Le moyen-âge

1. La chanson de Roland

La chanson de Roland est une chanson de geste¨ du onzième siècle. poème épique;
Notre seigneur, le grand roi Charlemagne,
Sept ans tout pleins¨ a été en Espagne, complets;
Jusqu’à la mer conquis¨ la terre hautaine pris;
Sauf¨ Saragosse, qui est sur la montagne; excepté, mais pas;
Le roi Marsile l'a, qui plein d'incroyance, ¨ sans religion;
Sert Mahomet, d'Apollon se réclame.¨ demande de l'aide;
Le Roi Marsile était en Saragosse
Là, il appelle tous les ducs et ses comtes¨ nobles;
"Voilà, Seigneurs, ce qui tant nous encombre¨ est notre problème;
L'empereur Charles, de douce France bonne,
En ce pays est venu nous confondre, ¨ rendre la vie difficile;
Je n'ai pas d'hommes suffisants¨ qui l'affrontent¨ en assez grand nombre; faire front;
Conseillez-moi comme des sages hommes
Sauvez-moi donc de la mort, de la honte."
Là, Blancandrin, un de ses païens¨ incroyants;
Dit à son roi: "ne soyez pas troublé;
Mandez¨ à Charles, l’orgueilleux¨ et le fier faites dire; qui se croit supérieur;
De le servir en fidèle amitié.
Faites donner des ours, des lions, des chiens.
Quatre cents mules d'or et d'argent chargées¨ qui portent de l'or etc.;
Dans ce pays il a assez lutté.¨ s'est assez battu;
En France, à Aix il doit bien retourner
Mandez de le suivre à la Saint-Michel¨ à la fête de Saint-Michel;
Pour les otages¨ , s'il en veut, envoyez prisonniers qui sont une garantie;
Dix ou vingt hommes, cela va le tromper¨ duper;
Nos propres fils, il faut les envoyer
S'il doit mourir, j'enverrai bien le mien
Les Francs iront tous en France, leur terre
Charles sera à Aix, à sa chapelle¨ petite église;
Le jour viendra, puis passera le terme¨ limite dans le temps;
Mais il n'aura jamais de vos nouvelles
Dix mules blanches fit amener¨ Marsile a fait venir;
Y montent ceux qui pour lui négocient¨ discutent les accords;
Et dans leurs mains ont des branches d'olive
Auprès de Charles, roi de France, ils arrivent.
Là, Blancandrin a tout d'abord parlé
Puis sous un pin¨ , le roi s'est allé sorte d'arbre;
Mandant¨ à ses pairs¨ pour y délibérer¨ faisant venir; barons; discuter;
Roland, le comte, se lève alors pour dire:
"Malheur à vous, si vous croyez Marsile..
Voila¨ sept ans que nous sommes ici depuis;
Le roi Marsile y fit bien des traîtrises¨ perfidies;
Deux de vos comtes¨ pour le païen¨ partirent nobles; incroyant, ici: Marsile;
Il prit leur têtes près du mont d'Haltoïde
Faites la guerre comme elle est entreprise.¨ " commencée;
Les Francs se taisent¨ excepté¨ Ganelon ne parlent pas; mais pas;
Il se relève et vient devant Charlon
Il dit au roi: "Croyez-vous un félon¨ homme sans honneur;
Qui ne veut pas faire de convention¨ accord;
Sans se soucier¨ comment donc nous mourrons?" se demander;
Après lui Naimes, le duc est venu
Il dit au roi: "Vous l'avez entendu,
Le roi Marsile, dans la guerre est vaincu¨ battu;
Quand il demande d'avoir pitié¨ de lui miséricorde, grâce;
C'est un péché¨ de lui demander plus." faute contre Dieu;
Les Français disent: "bien a parlé le duc."
"Chevaliers francs¨ , " a dit l'empereur Charles nobles;
Choisissez-moi un baron de ma marche¨ région;
qui porte au roi Marsile mon message¨ communication, annonce;
Là Roland dit: "Ganelon! Mon parâtre¨ " beau pere;
Les Français disent: "Il faut bien qu'il le fasse¨ !" il doit le faire;
Mais Ganelon, qui est en grande angoisse¨ peur;
Dit à Roland:"Fou¨ , pourquoi tu enrages¨ idiot; deviens furieux;
On sait bien que je suis ton parâtre
Et tu veux donc que chez Marsile j'aille!
Si Dieu me donne que de la j’échappe¨ je me tire, je me sauve;
Je te ferrai un si puissant¨ dommage¨ grand; perte, ravage;
Qu'il durera bien pendant tout ton age¨ " ici:vie;
L'empereur veut son gant droit lui remettre¨ donner;
Mais Ganelon voudrait ne pas y être
Avant qu'il prenne, le gant tombe à terre
Les Français disent: "Quel signe ce peut être!
De ce message¨ nous viendra grande perte!" ici: ambassade;
vêtement qui couvre la main
Mais Ganelon part avec Blancandrin.
L'un donne à l'autre méchamment¨ son crédit¨ cherchant à faire du mal; confiance;
Car ils voudraient faire Roland périr¨ mourir;
Ils chevauchèrent¨ tant par voies¨ , tant par chemins¨ allèrent à cheval; chemins; route;
Qu'à Saragosse descendent sous un if¨ sorte d'arbre;
Là fut le roi qui l'Espagne soumit.¨ mit sous sa domination;
Le Païen dit:"Je trouve merveilleux¨ étonnant;
Charlemagne est déjà chenu¨ et vieux blanc de vieillesse;
Ne va-t-il donc jamais quitter ces lieux¨ ?" ici: ce pays;
"Pas, " dit le comte, "tant¨ que vit son neveu." aussi longtemps que;
"Ganelon, Sire, " lui dit le roi Marsile,
"Comment pourrais-je donc Roland occire¨ ?" tuer;
Ganelon dit:"Je vais bien vous le dire:
Le roi sera aux plus grands ports¨ de Sizre; passages dans la montagne;
L’arrière-garde¨ va, de très loin, le suivre partie de l’armée qui ferme la marche;
Et là sera Roland, son neveu riche
Et Olivier, à qui tant il se fie¨ en qui il a confiance;
Vingt mille Francs sont de leur compagnie¨ avec eux;
De vos païens, envoyez-y cent mille.
De ce combat jamais il ne se tire
Vous n'aurez plus de guerre de la vie."
Marsile dit:"Que de plus j'en dirais¨ ? que dirais-je encore?;
Jurez-moi¨ donc de trahir¨ les Français." promettez-moi devant Dieu; livrer, donner entre les mains;
Ganelon dit:"Bon, si cela vous plaît."
De grand matin¨ l'empereur s'est levé très tôt;
Ganelon vint, le félon parjuré¨ perfide;
Perfidement, il commence à parler.
Il dit au roi: "Par dieu soyez sauvé.
De Saragosse je vous donne les clés
De tres grands biens¨ je viens vous ramener richesses;
Bien vous pouvez croire le roi païen.
Vous ne verrez ce dernier mois passé
Qu'il va vous suivre en France bien régnée.¨ " gouvernée;
Là le roi dit: "Que Dieu soit remercié.
De ce fait-là soyez récompensé¨ gratifié;
Puis dans l’armée il fait les cors¨ sonner instrument de musique;
Levant le camp¨ on charge les sommiers¨ repliant les tente; cheval de transport;
Vers douce France ils sont dirigés.¨ sont allés;
La nuit s’écoule¨ et l'aube¨ apparaît claire passe; lumière du soleil levant;
Tout fièrement notre empereur s'avance¨ vient en avant;
"Seigneurs barons" a dit l'empereur Charles
"Voyez les ports et les étroits¨ passages; peu larges;
Choisissez-moi ceux de l’arrière-garde"
Ganelon dit: "Mais, mon beau-fils le brave¨ courageux;
Aucun baron n'a de plus grand courage."
Étant choisi pour l’arrière-garde
Roland dit, furieux, a son parâtre¨ : beau père;
"Mauvais homme, lâche¨ de vile race, ¨ homme sans courage; mauvaise origine;
Penses-tu que le gant des mains m’échappe, ¨ tombe;
Comme cella t'arriva devant Charles"
L'empereur Charles a appelé Roland
"Seigneur neveu, or¨ sachez donc vraiment eh bien!;
Je vous donne la moitié¨ de mes gens." la deuxième partie;
Le comte dit: "Je n'en voudrais pas tant;
Je garderai¨ vingt mille Francs vaillants¨ me réserverai; courageux;
Vous passerez les ports très sûrement.¨ " sans danger;
Hauts sont les monts et les vals¨ ténébreux¨ vallées; sans lumière;
Et les Français vinrent avec douleurs¨ difficultés;
En Gascogne, terre de leur seigneurs.
Aucun soldat qui n'en verse des pleurs.¨ tous les soldats en pleurent;
Marsile mande¨ d'Espagne ses barons, fait venir;
Comtes, vicomtes, ducs et almanzors¨ titre de noblesse;
Quatre cent mille réunis en trois jours
Puis ils chevauchent avec grands efforts¨ énergie;
Par Cedagne, par les vals et les monts,
Lorsqu'ils ont vu les Francs les gonfalons, ¨ bannières, étendards;
L’arrière-garde des douze compagnons.
Les païens s'arment d'hauberts¨ maures de choix vêtement de protection;
Des cors ils sonnent pour causer de l'effroi¨ faire peur;
Le grand bruit¨ met les Français en émoi.¨ tumulte; agitation;
Olivier dit: "Les païens sont bien forts;
Ami Roland, sonnez de votre cor;
Charles l'entendra et reviendra alors."
Roland répond: "Je ne suis pas idiot!
En douce France, je perdrais mon renom.¨ " ma réputation;
Ailleurs¨ se trouve l’archevêque¨ Turpin à un autre place; prélat de l’église;
Qui sermonne¨ les Français et leur dit: commence a parler à;
"Charles, Seigneurs, nous a laissés ici.
Pour notre roi nous devons bien mourir.
La chrétienté¨ , il faut la soutenir.¨ monde chrétien; défendre;
Vous êtes sûr d'avoir bataille ici;
Confessez-vous¨ et priez Dieu merci; reconnaissez vos fautes;
J'absous¨ vos âmes¨ afin¨ de les guérir pardonne les péchés à; partie spirituelle de l'homme; pour;
Si vous mourez, vous serez des martyrs;¨ gens morts pour la religion;
Vous siégerez¨ au plus haut paradis." habiterez;
Tous les Français se dressent¨ sur les pieds. mettent;
Ils sont absous, quittes¨ de leurs péchés. libres;
Après, ils montent sur leurs destriers¨ légers. chevaux;
Au ports d'Espagne est donc passé Roland
Sur Veilantif, son bon cheval courant.¨ rapide;
Là, il regarde les Français doucement.¨ ici: avec sympathie;
Puis il leur dit un mot courtoisement¨ : aimablement;
"Seigneurs barons, battez vous bravement.¨ " avec courage;
Olivier dit:"À quoi bon¨ donc parler pourquoi;
Votre oliphant, ¨ il fallait¨ le sonner nom du cor de Roland; vous auriez dû;
Ceux qui sont là, ne sont pas a blâmer¨ critiquer;
Seigneurs barons, il faut que vous frappiez"
Le combat¨ est merveilleux¨ et pesant¨ rencontre des armées; remarquable, marquant; pénible, fort;
Très dur y frappent Olivier et Roland
Et les Français frappent très bravement
Les païens meurent à milliers et à cent
Et les Français perdent leurs meilleurs gens.
Quand Roland voit des siens¨ la grande perte, de ses gens;
Son compagnon Olivier, il l'appelle:
"Ami, de ça que peut-il vous paraître¨ ? que penses-vous de cela;
Vous voyez tant de bons vassaux¨ à terre; nobles;
Olivier, frère, que pourrons-nous donc faire?"
Olivier dit:"Où le roi peut-il être?
Mieux vaut¨ mourir que honte¨ nous soit faite.¨ " il serait mieux de; déshonneur; arrive;
"Je sonnerai, ", dit Roland, "L'oliphant.
Si Charlemagne l'entend aux ports passant, ¨ quand il passe;
Je vous jure¨ , il renverra¨ les Francs." assure; fera revenir;
Olivier dit:"L’opprobre¨ serait grand; déshonneur;
La honte aussi envers¨ tous vos parents.¨ " pour; votre famille;
Roland lui dit:"Très grande est la bataille.
Je sonnerai afin¨ d'avertir¨ Charles." pour; informer;
Olivier dit:"Ça ne serrait pas brave!
Quand je l'ai dit, alors vous refusâtes.¨ " avez dit: non;
Les morts ne doivent en avoir aucun blâme.¨ critique;
Si je revois ma sœur Aude¨ , la sage¨ la fiancée de Roland; sérieuse;
Je ferrai que jamais tu ne l'embrasses.¨ " la prenne dans tes bras;
Quand l’archevêque les entend quereller, ¨ discuter avec fureur;
Il vient à eux pour les réprimander¨ blâmer;
"Sire Roland et vous Sire Olivier,
Il ne faut pas, par Dieu, vous quereller.
Sonner du cor ne peut plus nous aider,
Mais que le roi vienne pour nous venger.¨ " réparer le déshonneur de notre mort;
prélat de l'église catholique
Roland le comte, par douleur et ahan, ¨ chagrin, déplaisir (ce sont synonymes);
Par grande peine sonne son oliphant
Puis de la bouche lui sort beaucoup de sang
Toute la tempe¨ , de la tête se fend¨ côté d la tête entre l’œil et l’oreille; se casse;
Charles l'entend au loin¨ aux ports passant. à grand distance;
Et le roi dit:"C'est le cor de Roland;
Il ne l'a jamais sonné qu'en battant.¨ " seulement quandil se battait;
Puis l'empereur a fait sonner les cors.
Sur leurs destriers¨ montent tous les barons. chevaux;
Piquant des deux¨ ils traversent¨ les ports (pour faire courir les chevaux); passent par;
Mais à quoi bon¨ ? Ils ont tardé par trop!¨ pourquoi; pris trop de temps;
Le roi fait prendre le comte Ganelon.
Et il commande aux gens de sa maison:
"Gardez-le¨ bien, comme un très grand félon, ¨ surveillez-le; criminel;
Qui de mes gens a fait la trahison.¨ " livré mes gens à l'ennemi;
Hauts sont les monts et ténébreux¨ et grands sombres, obscures;
Les vals profonds et les fleuves courants.¨ rivières rapides;
Là, l'empereur chevauche violemment, ¨ avec fureur;
Les Français sont curieux et très dolents, ¨ tristes;
Et prient¨ Dieu de protéger¨ Roland. demandent à; défendre, assister;
Mais à quoi bon¨ ? Ça ne sert nullement!¨ pourquoi; ce n'est plus utile;
Ils tardent trop, ¨ ne pouvant être à temps. prennent trop de temps;
Les païens voient tous les Français qui sont morts
L'un dit à l'autre:"L'empereur a bien tort.¨ " a fait une faute;
Un émir saute sur son cheval bien fort
Pique le bien de ses éperons¨ d'or¨ instrument qui sert à piquer un cheval; métal précieux;
Frappe Olivier arrière dans le dos.
Olivier sent qu'il est à mort battu.
Tient Hauteclaire, ¨ dont l'acier était brun, nom de son épée;
Frappe l’émir au heaume¨ à or aigu, ¨ armure qui protège la tête; pur;
Tranche¨ sa tête jusqu’à ses dents menues¨ coupe; petites;
Frappant son coup, à mort l'abattu.
Olivier sent qu'alors la mort le touche.¨ est tout près;
Il perd l’ouïe, ¨ et la vue se perd toute don des oreilles;
Puis il descend, sur la terre se couche,
De temps en temps vers Dieu son âme tourne
Il bénit ¨ Charles et la France douce. appelle l'aide de Dieu pour;
Le cœur lui manque¨ et le heaume se courbe¨ , ne bat plus; descend;
Et son corps sur la terre s’écroule¨ tombe;
Le comte est mort. Son âme à Dieu retourne.
Roland le pleure, des yeux les larmes coulent.
Jamais plus grande tristesse l'on trouve.
Roland le comte, résolument se bat.
Mais son corps est en sueur¨ et très las.¨ transpire; fatigué;
Sa tête est douloureuse et lui fait mal.
Il eut la tempe¨ rompue, ¨ quand il corna¨ côté de la tête entre l'oreille et l’œil; cassée; sonna le cor;
Voulant savoir si Charles reviendra
Il prit son cor, faiblement¨ le sonna. sans force;
Là, l'empereur s’arrêta, écouta
"Seigneurs, " dit il, "Quel malheur se fait là!
Car aujourd'hui Roland nous quittera.
J'entends au son de son cor qu'il mourra.
Sonnez les cors autant qu'il y en a!"
Soixante mille sonnent avec éclat.¨ intensité;
Quand ils l'entendent, les païens en ont mal.
L'un dit à l'autre:"Voila Charles déjà!"
Les païens disent":Quel malheur¨ d’être né¨ ! catastrophe; venu au monde;
Le pire¨ jour nous est donc arrivé plus mauvais;
Avec ses troupes, Charles va retourner.
Roland le comte a beaucoup de fierté.¨ supériorité;
Aucun mortel¨ ne le vaincra¨ jamais. pas un homme; ne triomphera de lui;
Attaquons-le¨ de loin ¨ pour le tuer!" frappons-le; à distance;
Ainsi ils firent; des dards, armes de jet, ¨ pour jeter;
Épées et lances, javelots empennés.
Ils ont troué ¨ l'écu¨ de Roland, et perforé; armure de protection;
Ils ont rompu son beau haubert doré, ¨ armure de couleur d'or;
Mais son beau corps, ils ne l'ont pas touché.¨ frappé;
Les païens fuient¨ furieux et courroucé¨ s'en vont en hâte; furieux;
Mais Roland n'a pas pu les pourchasser.
Il a perdu Vaillantif, son destrier.¨ cheval;
Puis Roland sent que la mort le surprend.¨ se présente à lui;
Sur l'herbe verte il s'est couché adent, ¨ la bouche contre la terre;
Sous lui il met l’épée et l'oliphant
Tournant la tête vers le pays païen.
Il fait cela parce qu'il veut vraiment
Que Charles dise, et avec lui ses gens:
"Le noble comte est mort en conquérant.¨ " en triomphant de l'ennemi;
Roland le comte se couche sous un pin.¨ sorte d'arbre;
De plusieurs choses lui vient le souvenir,
De ces pays si vaillamment¨ conquis, ¨ courageusement; pris à l'ennemi;
De Charlemagne, son roi qui l'a nourri.¨ lui a donné une éducation;
Il n'y peut rien, il en pleure ¨ et soupire; lamente;
Mais lui-même, il ne veut qu'il s'oublie.
"Mea culpa, ¨ " dit il, "Ah dieu, merci!" pardonne-moi;
Sur son bras droite chef¨ il l'a remis;¨ la tête; mis encore;
Les mains jointes¨ il est allé à sa fin.¨ mises ensemble; sa mort;
Dieu lui envoie son ange chérubin¨ être spirituel;
Et avec lui Saint-Michel du Péril¨ danger;
Puis avec eux Saint Gabriel y vint
Ils portent l'âme du comte au paradis.
Roland est mort. Dieu a son âme au ciel.
A Roncevaux, enfin, l'empereur vient.
Il n'y a pas de voie, ¨ ni de sentier¨ route; petit chemin;
Où il n'y a de Francs ou de païens.
Charles s'écrie:"Où est Roland, le fier,
Où l'archevêque, où le comte Olivier,
Les douze pairs, qu'ici j'avais laissés
Nul ¨ ne répond. À quoi bon¨ appeler? personne; pourquoi;
Il n'y a pas de chevalier¨ , de preux, noble;
Qui de pitié¨ très durement ne pleure. commisération, sympathie pour la misère;
Pleurant leurs fils, leurs frères, leurs neveux
Et leurs amis, et leurs liges ¨ seigneurs. légitimes;
Naimes, le duc, agit¨ en homme preux;¨ fait; comme un brave;
Tout premier, il dit à l'empereur:
"Regardez bien au loin à quelques lieues¨ 1 lieue=4km;
Vous pouvez voir les chemins poussiéreux, ¨ remplis de poussière;
Les païens sont, je crois, assez nombreux;¨ en grande quantité;
Chevauchez donc! Vengez¨ cette douleur!"¨ réparez; tristesse;
Le roi Marsile s'enfuit ¨ vers Saragosse. court en tout hâte;
Et la main droite, il l'a perdue en honte¨ déshonneur;
Devant sa femme, qui a nom Bramimonde
Il pleure et crie, au chagrin¨ s'abandonne.¨ tristesse; il se laisse dominer;
De Babylone, Baligant est mandé¨ on a fait venir B.;
Il est émir, depuis l'Antiquité
A Saragosse il va à son allié.
Les deux armées sont très grandes et belles.
Ils se rencontrent au milieu de la plaine.¨ terrain plat;
Les païens crient; "Précieuse", ils appellent.
Les Français disent: "Que la guerre, ils la perdent!"
Cirant "Monjoie", le cri qu'ils renouvellent.
Les deux armées, alors se rencontrèrent;
Et les païens frappent que c'est merveille.¨ un miracle;
Dieu! Tant de lances en deux parts brisèrent!
Vous auriez vu jonchée¨ toute la terre. couverte;
L'herbe du champ¨ qui était fine et verte terrain;
De tout le sang est devenue vermeille.¨ rouge;
Le jour passa, le soir est arrivé.
Francs et païens frappent de leurs épées.
Là, c'est "Précieuse" que l'émir a crié,
Charles: "Monjoie", son cri de guerre famé.¨ fameux;
Et au milieu ¨ ils se sont rencontrés. centre;
L'émir païen est de grande vertu.¨ ici: courage;
Il frappe Charles sur le heaume¨ tout brun, armure qui couvre la tête;
Jusqu'à la tête il l'a brisé, fendu.¨ mis en deux morceaux;
L'épée arrive jusqu'au cheveux menus, ¨ fins;
Ravit¨ la chair et laisse l'os ¨ à nu.¨ emporte; partie de la squelette; sans rien dessus;
Charles chancelle, ¨ manquant d'être abattu.¨ est près de tomber; battu;
Mais Dieu ne veut qu'il soit vraiment vaincu.
Saint Gabriel à Charles est venu.
Il lui demande:"Mais grand roi, que fais tu?"
Quand Charlemagne entend la voix de l'ange,
Il voit la mort déjà sans épouvante.¨ peur;
Il bat l'émir de son épée de France,
Lui fend le heaume dont les gemmes¨ reflambent, ¨ diamants; brillent;
Fait la tête le cervelle¨ répandre.¨ substance grise; sortir;
Il l'abat mort sans qu'il ait une chance.
Les païens fuient, les Français les confondent.¨ troublent;
La chasse dure, et jusqu'à Saragosse.
Là, dans sa tour, est montée Bramimonde
Elle, voyant des Arabes la honte, ¨ le déshonneur;
De haute voix s'écrie:"Quel opprobe!¨ déshonneur;
Eh! Gentil ¨ roi! Ils sont vaincus nos hommes!" noble;
À son chagrin Marsile s'abandonne, ¨ il se laisse dominer;
Pleure des yeux. Puis sa tête retombe.
Il meurt de deuil.¨ Par ses atroces, ¨ tristesse; fautes contre Dieu;
Il donne l'âme aux diables féroces.¨ terribles, cruels;
Notre empereur est revenu d'Espagne.
Il vient à Aix, capitale de France.
Monte au palais, arrive dans la salle.
Vient à lui Aude, une très belle dame.
Qui dit au roi:"Où est Roland, le brave,
Qui me voulut prendre comme sa femme?"
Pleurant des yeux, Charles tire sa barbe:
"Un homme mort, amie, tu me demandes.
Mais je te donne une excellente échange.¨ personne à sa place;
Voici Louis, le meilleur homme en France.
Il est mon fils, et il tiendra ma marche.¨ " il sera roi après ma mort;
Aude répond:"Ce mot-là m'est étrange.¨ incompréhensible;
Ne plaise à Dieu, à ses saints, à ses anges
Qu'après Roland je sois longtemps vivante!"
Là elle tombe aux pieds de Charlemagne
Et elle meurt. Que Dieu ait bien son âme!
Les barons francs en pleurent et la plaignent.¨ ont pitié d'elle;
Il est écrit dans l’ancienne geste:¨ chronique;
"Charles mandait¨ les hommes de ses terres." faisait venir;
Ils sont ensemble à Aix, à la chapelle¨ petite église;
Alors commencent les plaids¨ et les nouvelles procès;
De Ganelon, qui fit acte de traître.¨ avait livré Roland à l’ennemi;
L'empereur dit que cet homme on l'amène.
Les Bavarois viennent, les Allemands.
Les Poitevins, les Bretons, Les Normands.
Sur tous les autres ont conseillé les Francs
Que Ganelog meure par grand ahan.¨ terriblement;
Quatre destriers¨ sont menés en avant. chevaux;
Puis ils lui lient¨ les mains et les pieds blancs. fixent;
Les chevaux sont orgueilleux¨ et courants.¨ hautains; rapides;
Quatre servants les mènent en avant.
Ganelon meurt par terribles tourments.¨ torture, grave punition corporelle ;
Sur l'herbe verte le sang se répand
Quand l'empereur ainsi a fait justice,
La journée passe, la nuit s'est assombrie.¨ devenu sombre;
Le roi se couche dans sa chambre fleurie.
Saint Gabriel vient de Dieu pour lui dire:
"Charles appelle les gens de ton empire,
Puis allez vite dans la terre de Bire
Aider le roi Vivien qui vit en Imphe
"La cité¨ par les païens conquise.¨ ville; prise;
"Dieu!", dit le roi, "Quels malheurs dans ma vie!"
Pleurant des yeux, à sa barbe il se tire.
Ici, la geste de Turold se termine.¨ finit;

2. Le roman de Tristan et Iseut

(Extraits de la traduction et adaptation de Joseph Bédier, http://www.gutenberg.org/ebooks/42256, des fragments du texte de ±1165 par Béroul, des fragments du texte de ± 11745 par Thomas)
Vous plaît-il¨ d'entendre, Seigneurs, voulez-vous;
Un conte d'amour et de mort?
C'est de Tristan et d'Iseut la reine
Écoutez à grand joie, à grand deuil¨ tristesse;
Ils s'aimèrent, puis moururent'
Un même jour, lui par elle, elle par lui
Au temps anciens, le roi Marc régnait en Cornouailles.¨ Ayant appris¨ que ses ennemis le guerroyaient, Rivalen, roi de Loonnois, franchit¨ la mer pour lui porter son aide. Il le servit par l'épée et par le conseil, comme eût fait un vassal, si fidèlement que Marc lui donna en récompense¨ la belle Blanchefleur, sa sœur, que le roi Rivalen aimait d'un merveilleux amour. cornwall; entendu dire; traversa; pour le remercier;
Il la prit à femme au moutier¨ de Tintagel. Mais à peine l'eut-il épousée,¨ la nouvelle lui vint que son ancien ennemi, le duc Morgan, ruinait ses bourgs,¨ ses champs, ses villes. Rivalen partit pour soutenir¨ sa guerre. église; peu après le mariage; villages; faire;
Blanchefleur l'attendit longuement. Hélas! il ne devait pas revenir. Un jour, elle apprit¨ que le duc Morgan l'avait tué en trahison.¨ Elle ne le pleura point.¨ on lui dit; perfidement; pas;
Trois jours elle attendit de rejoindre¨ son cher seigneur. Au quatrième jour, elle mit au monde un fils, et, l'ayant pris entre ses bras: "Fils, lui dit-elle, j'ai longtemps désiré de te voir; et je vois la plus belle créature que femme ait jamais portée. Triste j'accouche,¨ triste est la première fête que je te fais, à cause¨ de toi j'ai tristesse à mourir. Et comme ainsi tu es venu sur terre par tristesse, tu auras nom Tristan." Quand elle eut dit ces mots, elle le baisa, et, sitôt qu'¨ elle l'eut baisé, elle mourut. aller à; met au monde un enfant; pour; immédiatement après qu';
Rohalt le Foi-Tenant¨ recueillit¨ l'orphelin et l'éleva parmi ses fils. Qui tient ses promesses; prit chez lui;
Après sept ans accomplis, lorsque le temps fut venu de le reprendre aux femmes, Rohalt confia¨ Tristan à un sage maître, le bon écuyer¨ Gorvenal. Gorvenal lui enseigna¨ en peu d'années les arts qui conviennent¨ aux barons. donna; page; apprit; sont bons pour;
Un jour, Tristan, emmenant avec lui le seul Gorvernal, appareillera¨ pour la terre du roi Marc. partit en bateau;
Quand Tristan y entra, Marc et toute sa baronnerie menaient grand deuil.¨ Car le roi d’Irlande avait équipé ¨ une flotte¨ pour ravager la Cornouailles, si Marc refusait encore, ainsi¨ qu'il faisait depuis 15 ans, d'acquitter¨ un tribut¨ jadis¨ payé par ces ancêtres.¨ Or, ¨ cette année, le roi avait envoyé un chevalier géant, ¨ le Morholt, que nul n'avait jamais pu vaincre¨ en bataille. tristesse; préparé; des bateaux; comme; payer; contribution forcée; au passé; pères; mais; très grand personne; triompher;
Au terme marqué,¨ quand les barons furent ensemble dans la salle voûtée¨ du palais le Morholt parla ainsi: moment fixé; qui a une coupole;
"Roi Marc, entends pour la dernière fois le mandement¨ du roi d'Irlande, mon seigneur. Il te sermont ¨ de payer enfin le tribut¨ que tu lui dois. Pourtant,¨ si quelqu'un de tes barons veut prouver¨ par bataille¨ que le roi d'Irlande lève¨ ce tribut contre le droit, j'accepte son gage.¨ Lequel d'enter vous, seigneurs Cornouailles, veut combattre pour la franchise¨ du pays? ordre; ordonne; contribution; mais; montrer; duel; impose; déclaration; liberté;
Les barons se regardaient entre eux à la dérobée,¨ puis baissaient¨ la tête. Alors Tristan s'agenouilla¨ aux pieds du roi Marc et dit: en secret; laissaient tomber; se mit à genoux;
"Seigneur roi, s'il vous plaît m'accorder¨ ce don, je ferai la bataille. donner;
En vain,¨ le roi Marc voulut l'en détourner. Il était si jeune chevalier; de quoi lui servirait sa hardiesse?¨ Mais Tristan donna son gage¨ au Morholt, et le Morholt le reçut. sans résultat; courage; promesse;
Nul¨ ne vit l'âpre¨ bataille. Enfin, vers l'heure de none,¨ on vit au loin la voile pourpre; la barque de l'Irlandais se détacha de¨ l'île, et une clameur¨ de détresse¨ retendit:¨ "Le Morholt! Le Morholt!" Mais, comme la barque grandissait, soudain, ¨ au sommet d'une vague,¨ elle montra un chevalier qui se dressait¨ à la proue;¨ c'était Tristan. Mais quand, parmi les chants d'allégresse,¨ Tristan parvint¨ au château, il s'affaissa¨ entre les bras du roi Marc; et le sang ruisselait¨ de ses blessures: un sang venimeux.¨ personne; dure; 15:00; quitta; cri; misère; se fit entendre; quand tout à coup; flot; s'élévait; partie avant; joie; arriva; tomba; sortait; plein de venin;
Les médecins connurent¨ que le Morholt avait enfoncé ¨ dans sa chair¨ un épieu¨ empoisonné,¨ et comme leurs boissons ne pouvaient le sauver, ils le remirent¨ à la garde¨ de Dieu. trouvèrent; mis; corps; lance; venimeux; laissèrent; protection;
Tristan songea:¨ "Il me faut mourir. Il est doux,¨ pourtant, de voir le soleil, et mon cœur est hardi¨ encore. Je veux tenter¨ la mer aventureuse ... Je veux qu'elle m'emporte au loin, seul. Il supplia ¨ tant que le roi consentit ¨ à son désir.¨ pensa; bon; courageux; chercher ma chance sur; demanda cette grâce; dit "oui"; ce qu'il voulait;
Sept jours et sept nuits la mer l’entraîna¨ doucement. Enfin, la mer, à son insu,¨ l'approcha¨ d'un rivage.¨ Des pécheurs l'accueillirent.¨ Hélas! ce port était Weisenfort et leur dame était Iseut la Blonde. Elle seule, habile aux philtres, ¨ pouvait sauver Tristan; mais , seule parmi les femmes, elle voulait sa mort. Quand Tristan, ranimé par son art, se reconnut,¨ il comprit qu'il fallait partir; il s'échappa¨ et après maints¨ dangers couru, un jour il reparut devant le roi Marc. emporta; sans qu'il le sache; le porta plus près de; bord; prirent chez eux; boissons magiques; vit où il était; se sauva; beaucoup de;
Il y avait à la cour du roi Marc quatre barons, les plus félons¨ des hommes, qui haïssaient¨ Tristan de male haine.¨ Connaissant¨ que leur roi méditait ¨ de vieillir sans enfants pour laisser sa terre à Tristan, leur envie¨ s'irrita et ils pressèrent le roi Marc de prendre à femme une fille de roi, qui lui donnerait des hoirs.¨ Marc leur dit:"Pour vous complaire,¨ seigneurs, je prendrai femme, si toutefois vous voulez quérir celle que j'ai choisie." perfides; contraire de: aimer; aversion; trouvant; avait l'intention; jalousie; enfant à qui laisser le trône; faire plaisir;
"Certes,¨ nous le voulons, beau seigneur. Qui est donc celle que vous avez choisie?" certainement;
"J'ai choisi celle à qui fut cheveux d'or et sachez que je n'en veux pas d'autre."
"Et de quelle part,¨ beau seigneur, vous vient ce cheveux d'or? Qui vous la porte? Et de quel pays?" d'où;
"Il me vient, seigneurs, de la Belle aux cheveux d'or; deux hirondelles¨ me l'ont porté; elles savent de quel pays." sorte d'oiseaux;
Les barons comprirent qu'ils étaient raillés¨ et déçus.¨ ridiculisés; désillusionnés;
Mais Tristan, ayant considéré¨ le cheveu d'or, se souvint¨ d'Iseut la Blonde. Il sourit et parla ainsi: regardé; rappela;
"Roi Marc, j'irai quérir¨ la Belle aux cheveux d'or." chercher;
Il équipa¨ une belle nef,¨ et gagna¨ la terre périlleuse.¨ prépara; bateau; arriva à; dangereuse;
Or, un matin, au point¨ du jour, il ouït¨ une voix si épouvantable¨ qu'on eût dit le cri d'un démon. début; entendit; terrible;
Il appela une femme qui passait sur le port:
"Dites-moi, " fait-il, "dame, d'où vient cette voix que j'ai ouïe¨ ?" entendu;
Elle vient d'une bête fière et la plus hideuse¨ qui soit au monde. Chaque jour, elle descend de sa caverne¨ et s'arrête à l'une des portes de la ville. Nul¨ n'en peut sortir, nul n'y peut entrer, qu'¨ on n'ait livré¨ au dragon une jeune fille; et, dès¨ qu'il la tient entre ses griffes, il la dévore.¨ d'aspect terrible; grotte; personne; avant qu'; donné; immédiatement quand; mange;
Vingt chevaliers éprouvés¨ ont déjà tenté l'aventure;¨ car le roi d'Irlande a proclamé qu'il donnerait sa fille Iseut la Blonde à qui tuerait le monstre; mais le monstre les a tous dévorés.¨ " Tristan quitte la femme et retourne vers sa nef.¨ Il s'arme en secret. Soudain, ¨ sur la route, cinq hommes fuyaient¨ vers la ville.Tristan saisit¨ au passage l'un d'entre eux et le maintint arrêté: "Dieu vous sauve, beau sire!" dit Tristan; "par quelle route vient le dragon?" Et quand le fuyard lui eut montré la route, Tristan le relâcha.¨ expérimenté; osé affronter; mangés; bateau; tout à coup; allaient à hâte; prit; lui rendit la liberté;
Le monstre approchait.¨ venait plus près;
Tristan lança contre lui son destrier d'une telle force que la lance vola en éclats.¨ Vainement:¨ il ne peut le blesser. Alors, le dragon vomit¨ par les naseaux¨ un double jet de flammes venimeuses:¨ le haubert ¨ de Tristan noircit son cheval s'abat et meurt. Mais, aussitôt ¨ relevé, Tristan enfonce ¨ sa bonne épée dans la gueule¨ du monstre: elle y pénètre¨ toute et lui fend¨ le cœur en deux parts. Le dragon pousse¨ une dernière fois son cri horrible et meurt. morceaux; sans résultat; rejeta; le nez; pleines de venin; armure; immédiatement; met; bouche; entre; coupe; fait entendre ;
Tristan lui coupa la langue et la mit dans sa chausse.¨ sac;
Arrivé devant le roi, il montra la langue du dragon et parla ainsi:
"Seigneurs, j'ai tué le Morholt. Afin¨ de racheter¨ le méfait,¨ j'ai mis mon corps en péril¨ de mort et je vous ai délivré¨ du monstre et voici que j'ai conquis¨ Iseut la Blonde, la belle. L'ayant conquise, je l'emporterai donc sur ma nef. Mais, afin ¨ que par les terres d'Irlande et de Cornouailles se répande ¨ non plus la haine, mais l'amour, sachez que le roi Marc l’épousera.¨ pour; réparer; crime; danger; sauvés; gagné; pour faire; s'étale; va se marier avec elle;
Quand le temps approcha de remettre Iseut aux chevaliers de Cornouailles, sa mère recueillit des herbes, des fleurs et des racines, les mêla dans du vin, et brassa¨ un breuvage¨ puissant.¨ L'ayant achevé¨ par science¨ et magie, elle le versa¨ dans un coutret¨ et dit secrètement à Brangien: Fille, tu dois suivre Iseut au pays du roi Marc . Prends donc ce coutret de vin et retiens¨ mes paroles.¨ Car telle est sa vertu:¨ ceux qui en boiront ensemble s'aimeront de tous leurs sens et de toute leur pensée, à toujours, dans la vie et dans la mort. Brangien promit à la reine qu'elle ferait selon sa volonté.¨ prépara; boisson; fort; fini; connaissances; mit; vase; n'oublie pas; ce que je te dis; les qualités; ce qu'elle voulait;
La nef,¨ tranchant les vagues profondes,¨ emportait Iseut. Mais, plus elle s'éloignait¨ de la terre d'Irlande, plus tristement la jeune fille se lamentait. Où ces étrangers l'entraînaient-¨ ils? Vers qui? Vers quelle destinée?¨ Quand Tristan s'approchait¨ d'elle et voulait l'apaiser¨ par de douces paroles, elle s'irritait, le repoussait, et la haine¨ gonflait¨ son cœur. bateau; traversant la mer; allait loin; emportaient; vie; venait près d'elle; calmer; (contraire d'amour); entrait dans;
Tristan vint vers la reine et tâchait¨ de calmer son cœur. Comme le soleil brûlait¨ et qu'ils avaient soif, ils demandèrent à boire. L'enfant chercha quelque breuvage, tant qu'elle découvrit le coutret¨ confié¨ à Brangien par la mère d'Iseut. "J'ai trouvé du vin!" leur cria-t-elle. Non, ce n'était pas du vin: c'était la passion, c'était l'âpre¨ joie et l'angoisse¨ sans fin, et la mort. L'enfant remplit un hanap et le présenta à sa maîtresse. Elle but à longs traits, puis le tendit à Tristan, qui le vida. faisait ce qu'il pouvait; était chaude; vase; donné secrètement; dure; terreur;
A cet instant,¨ Brangien entra et les vit qui se regardaient en silence,¨ comme égarés¨ et comme ravis.¨ Elle vit devant eux le vase presque vide et le hanap. Elle gémit:¨ "Malheureuse! maudit soit¨ le jour où je suis née et maudit le jour où je suis montée sur cette nef!" Et, quand le soir tomba, sur la nef qui bondissait¨ plus rapide vers la terre du roi Marc, liés¨ à jamais,¨ ils s'abandonnèrent ¨ à l'amour. moment; sans parler; fous; en extase; se lamentait; malheur au; courait; unis; pour toujours; se donnèrent;
Le roi Marc accueillit¨ Iseut la Blonde au rivage.¨ Tristan la prit par la main et la conduisit ¨ devant le roi; le roi se saisit d'elle¨ en la prenant à son tour par la main. À grand honneur il la mena¨ vers le château de Tintagel. reçut; bord de la mer; fit aller; l'accepta; fit aller.;
À dix-huit jours de là, ayant convoqué tous ses barons,¨ il prit à femme Iseut la Blonde. Mais, lorsque vint la nuit, Brangien, afin¨ de cacher le déshonneur de la reine et pour la sauver de la mort, prit la place d'Iseut dans le lit nuptial.¨ appelé; pour; de mariage;
Iseut est reine et semble vivre en joie. Elle a Tristan auprès d'elle, à loisir,¨ et le jour et la nuit; car, ainsi que¨ veut la coutume¨ chez les hauts seigneurs, il couche¨ dans la chambre royale,¨ parmi les privés et les fidèles. autant qu'elle veut; comme; tradition; passe la nuit; du roi;
(Ici suivent les fragments du texte de Béroul)
À la cour étaient trois barons
On ne vit pas de plus félons¨ mauvais;
Par serment¨ ils se sont liés¨ promesse devant Dieu; mis d'accord;
Que, si le roi de la contrée¨ du pays;
Ne faisait son neveu partir
Ils ne voudraient plus le servir.
Dans leurs châteaux ils rentreraient
Au roi Marc, la guerre feraient.
Ils ont tiré le roi à part:
"Sire, très mal l'affaire part.¨ les choses vont mal;
Ils s'aiment, Tristan et Iseut;
Peut le savoir celui qui veut.
Si vous ne faites pas partir
Votre neveu sans revenir,
vous ne nous verrez plus jamais;
Vous n'aurez jamais plus de paix.
Sire, mandez¨ le nain ¨ devin.¨ faites venir; homme de petite taille; magicien;
Certes, il sait bien le latin.
Ses conseils sont vrais, quoique¨ durs. malgré le fait qu'ils sont ;
Mandez le nain, vous serez sûr."
Écoutez quelle trahison¨ crime lâche;
Et quels mots de séduction¨ pour amener au crime;
A dit au roi le nain Frocin.
Malheur soit à tous ces devins¨ ! magiciens;
"Dis à ton neveu: qu'à Arthur
À Cordeuil, qui est près du mur,
Il doit aller de grand matin¨ très tôt le matin;
porter un bref¨ sur parchemin lettre officielle;
Tristan couche devant ton lit
Maintenant dans la même nuit
Je sais qu'il voudra lui parler¨ à Iseut;
Parce qu'il devra la quitter
Roi, sors de la chambre à minuit.
Je te jure¨ par Dieu l'Esprit, déclare;
Si Tristan l'aime follement¨ comme un fou;
Il va à elle sur le champ."¨ immédiatement;
Le roi repond:"Ce sera fait."
Tous partaient, chacun s'en allait
Le nain, de grande fourberie, ¨ fausseté de caractère;
fit une grande félonie, ¨ chose méchante;
Car il prit¨ chez le boulanger acheta;
De la fleur¨ pour quatre deniers.¨ farine; pièce de monnaie;
La nuit, quand le roi a mangé,
Dans la salle ils se sont couchés.
Du bref¨ Tristan entend parler. de la lettre;
Il dit qu'il veut bien la porter.
Le nain est là, tout à couvert.¨ caché;
Sachez comment la nuit le sert.¨ lui est utile;
Entre les deux lits il répand¨ met par terre;
La fleur¨ ; les pas vont paraissant¨ farine; se montreront;
Si la nuit, l'un à l'autre va
La fleur tient les formes des pas.
Tristan a vu le nain vaguer¨ travailler;
Et la farine éparpiller¨ mettre par terre;
ce qu'il faisait il le prévit;¨ comprit;
Il ne l'avait jamais servi.¨ été utile;
Au bois, à la jambe, Tristan
S'était blessé le jour avant.
Tristan, je crois, n'a pas dormi.
Le roi s'est levé à minuit;
Hors de la chambre il est sorti.
Le nain bossu¨ aussi partit. qui avait une déformation au dos;
Tristan se fut levé au pied.
Dieu! Pourquoi? Seigneurs, écoutez!
Il joint¨ les pieds et fait un saut, mets ensemble;
Sur le lit il tombe de haut.
Sa plaie¨ s'ouvre, et sortant, le sang blessure;
Souille¨ les draps, les colorant. rend sale;
La plaie saigne,¨ il ne le sent pas, le sang sort de la blessure;
Car il pense trop à sa joie.
En plusieurs lieux¨ le sang se mit.¨ places; tomba;
Grâce ਠsa magie, le nain vit par;
Dehors, qu'ils étaient ensemble,
Les deux amants. De joie il tremble.
Il dit au roi:"Tu peux les prendre,
Sinon, tu peux me faire pendre."¨ tuer par la corde;
Là se trouvaient les trois félons¨ mauvais hommes;
Par qui la lâche¨ trahison¨ sans courage; perfidie;
Fut méditée secrètement.¨ en cachette, clandestinement;
Le roi revient, Tristan l'entend.
Il se lève avec de frissons.¨ tremblements;
Tout de suite, il a fait un bond.¨ saut;
Au mouvement¨ que Tristan fait geste;
Le sang lui coule¨ de la plaie.¨ sort; blessure;
À sa chambre le roi revient.
Le nain, qui la chandelle tient,
Vient avec lui. Tristan faisait
Semblant de quelqu'un qui dormait.
Le roi a vu au lit le sang;
Vermeils¨ en furent les draps blancs. rouges;
Et sur la fleur¨ paraît¨ la trace¨ farine; est visible; ce qui reste;
Du saut. Le roi dit des menaces¨ montre sa fureur;
Les barons sont aussi dedans¨ dans la chambre;
Par fureur, ils prennent Tristan.
Le cri se lève en la cité¨ ville;
Qu'ensemble, ils ont été trouvés
Tristan avec la reine Iiseut;
Que c'est leur mort que le roi veut.
Le roi dit de chercher des ronces, ¨ branches;
Que dans la terre, on les enfonce.¨ met;
Puis il fait allumer le feu
Et dit d'amener son neveu.
Pour le brûler¨ premièrement. tuer par le feu;
Ils vont pour lui.¨ Le roi attend. ils vont le chercher;
Ils le prennent, lient¨ ses mains entourent d'une corde;
Par Dieu! Qu'ils sont donc vilains!¨ méchants;
Sur le chemin par où ils vont,
Une chapelle ¨ est sur un mont. petite église;
Les meneurs, ¨ Tristan les appelle: ceux qui l'amènent;
"Seigneurs, voyez cette chapelle;
Par Dieu, laissez-moi y entrer.
Ma vie va bientôt terminer.¨ finir;
Je prie Dieu d'avoir pitié
De moi; trop souvent j'ai péché."¨ fait des fautes contre Dieu;
L'un d'eux a dit à son confrère:¨ collègue, camarade;
"Nous pourrons bien le laisser faire."
Ils retirent les liens¨ ; Tristan cordes;
Entre, -n'allant pas lentement-.
Derrière l'autel¨ il alla, table du culte religieux;
Et la fenêtre, il la tira,
Sauta par la fenêtre dehors.
Il vaut mieux sauter que son corps
soit brûle devant le vulgaire.¨ peuple;
Seigneurs, une très large pierre
Était au milieu du rocher.
Tristan y vient d'un saut léger.
Dans ses habits¨ le vent le prend, vêtements;
L'empêche de tomber¨ crûment¨ fait qu'il ne tombe pas; durement;
La pierre, les Cornouaillans
L'appellent: le Saut de Tristan.
Ainsi Tristan s'est donc enfui;¨ échappé, sauvé;
Dieu avait pitié de lui
Écoutez comment Gorvernal
Son épée ceinte¨ et à cheval, autour de la taille;
De la cité¨ était sorti. ville;
Il sait que s'il était suivi,
Il mourrait bien pour son seigneur.
Il a pris le fuite¨ par peur. s'est échappé;
Son maître, Tristan, l'aperçut,
Le héla¨ qui¨ le reconnut, l'appela; et celui-ci;
Sans regarder et en courant.
Il eut grand'joie en le voyant.
Seigneurs, au roi vient la nouvelle
Que s'est enfui¨ par la chapelle¨ sauvé; petite église;
Son neveu qu'il voulait brûler.
De colère ¨ il s'est attristé¨ fureur; devenu triste ;
Triste, il ne peut se contenir, ¨ se maîtriser;
Et dit qu'on fasse Iseut venir.
Alors, la reine est amenée
Jusqu'au feu brûlant du bûcher¨ feu qui sert à brûler quelqu'un;
Il y eut un lépreux lancien¨ d'une certaine région;
Qui était appelé Yvain;
Affreusement¨ il fut défait.¨ terriblement; déformé;
Il accourut pour voir ce plaid, ¨ procès;
Et avec lui cent compagnons
Portant béquilles¨ et bâtons. moreaux de bois qui servent d'appui;
Chacun d'eux tenait sa crécelle.¨ instrument que les lépreux portaient pour s'annoncer;
Ils crient au roi et l'appellent:
"Sire, tu veux faire justice,
Brûler ta femme pour son vice;¨ mal qu'elle a fait;
C'est bien; mais tu sais, par le feu
Cette justice dure peu.
Il vaudrait mieux¨ que de mourir ce serait plus utile;
Qu'elle vive, mais sans plaisir.
Je te dirais brièvement¨ en quelques mots;
Comment: voici cent de mes gens;
Donne-nous Iseut en commun.¨ pour qu'elle vive avec nous;
Jamais dame n'eut pire fin."¨ un mort plus terrible;
Le roi la lui donne, il la prend.
Des malades, il y eut cent.
Ils se mettent tous autour d'elle.
L'un crie, l'autre l'appelle.
Ils l'emmènent, passant l'aguet¨ l'endroit caché;
Où Tristan attend en secret.
"Dieu, " dit Tristan, "Quelle aventure
Ahi! Iseut, belle figure!
Yvain, qui l'avez emmenée,
Laissez-la, pour cette épée
N'aille pas vous trancher¨ la tête." couper;
Yvain se défait¨ de sa veste. retire;
Tout haut il s'écrie:"Aux béquilles!¨ (comme on crie: aux armes!);
Qu'à moi les nôtres se rallient!"¨ s'unissent;
De sa béquille chacun tape;¨ frappe;
Et l'un menace, l'autre frappe.
Gorevenal vient aux cris lancés;
En sa main il tient une épée.
Il frappe Yvain qui tien Iseut.
Il tombe mort le malheureux.
Tristan s'en va avec la reine,
laissant le taillis ¨ et la plaine¨ terrain aux petits arbres; terrain plat;
En la forêt¨ Morrois ils vont, bois;
Et passent la nuit sur un mont.
Tristan se sent maintenant sûr, ¨ hors de danger;
Comme derrière un très grand mur.
Seigneurs, voilà au bois Tristan;
Il y vivait à grand ahan.¨ dans la misère;
En un lieu¨ il n'ose rester, place;
Changeant d'endroit pour se coucher,
Vivant de viande, sans plus rien.
Un couleur pâle leur vient.
Les ronces¨ rompent¨ leurs habits;¨ branches; cassent; vêtements;
Longtemps par Morrois ils ont fui.
Sachez, Seigneurs, quelle avanture
Leur devait être grave¨ et dure. sérieuse;
Par le bois passe un forestier¨ personne qui garde les forêts;
Qui trouve l'endroit ombragé
Où les amants étaient couchés.
Il les vit dormir, les connut.¨ reconnut;
Le sang lui fuit,¨ troublé il fut. il devint pâle;
Il s'enfuit; ce n'est pas merveille.¨ étonnant;
Il sort du bois, court à la merveille.¨ très vite;
Le roi Marc est dans son palais,
Tient avec ses barons ses plaids.¨ discussions;
La salle est pleine de barons.
Le forestier descend du mont.
Le roi le vit venir pressé;¨ en toute hâte;
Il appelle son forestier:
"Que¨ viens-tu? Qu'est-ce que tu sais?" pourquoi;
"Écoute-moi, Roi, s'il te plaît.
Par ce pays on a mandé¨ fait savoir;
Que celui qui aurait trouvé
Ton neveu , il devrait venir
Tout de suite pour le dire.
Je l'ai trouvé et avec lui
Ensemble, la reine endormie."
"En quel endroit¨ sont-ils, dis-moi." où;
"Dans une hutte du Morrois."
Le roi lui dit: "Sors donc d'ici.
Si tu aimes ton corps, ta vie,
Ne dis rien de ce que tu sais
Aux amis, ni aux étrangers.
C'est à la Croix Rouge, aux abords, ¨ près de la forêt;
Là où on enterre les morts,
Que tu t'arrêtes et m'attends.
Tu auras de l'or, de l'argent."
Le roi fait seller¨ son destrier¨ mettre une selle sur; cheval;
Et est sorti de la cité¨ ville;
Il vient là où l'autre l'attend,
Lui dit de partir sur le champ¨ immédiatement;
De le mener au but cherché.
Ils entrent au bois ombragé.
Liant¨ les rênes¨ du destrier, attachant; (avec les rênes on dirige un cheval);
À la branche d'un vert pommier,
Ils avancent, et puis ils virent
L'endroit pour lequel ils partirent.
Le roi délace¨ son manteau- retire;
Dont les nœuds sont en or très beau-
Entre, l'épée nue¨ dans la site tirée;
Le forestier entre à sa suite.¨ derrière lui;
Le roi a levé son épée,
Et furieux, il s'est oublié.
Déjà le coup tombe sur eux,
S'il les tue, c'était grand deuil, ¨ tristesse;
Quand il la voit dans sa chemise,
et l'épée nue qui les divise, ¨ sépare;
"Dieu, " dit le roi, "que dois-je faire?
Ou les tuer, ou me retraire?¨ me retirer;
J'avais le cœur¨ à les occire.¨ l'intention; tuer;
Sans les toucher je me retire.
Quand ils s’éveilleront pourtant,
Ils devront savoir sûrement
Qu'ils furent trouvés endormis,
Que j'eus pitié d'elle et de lui."
Au doigt d'Isseut, il voit l'anneau.¨ bijou qu'on met au doigt;
La retire doucement en haut.
Il prend l'épée qui est entre eux,
Puis il en met la sienne au lieu¨ remplace par son épée;
Hors de la hutte il est allé;
Il s'en va sur son destrier
La reine a rêvé qu'elle était
En une très grande forêt
Dans un très riche pavillon.
A elle venaient deux lions,
Qui voulaient bien la dévorer.¨ manger;
Elle voulait "grâce¨ " crier. pitié;
Par l'effroi¨ que ça lui donna, peur;
Criant elle se réveilla.
Tristan, de ce cri, s'éveille.
Elle avait la face¨ vermeille¨ visage; rouge;
Il vit alors l'épée du roi,
Et la reine vit à son doigt
L'anneau qu'il lui avait donné
Et de son doigt le sien ôté.¨ retiré et pris;
Elle cira:"Seigneur, merci, ¨ pitié;
Le roi nous a trouves ici."
Il lui répond:"C'est vrai, certain.
Il a mon épée; c'est le sien.
Dame, fuyons vite vers Galles.
Le sang me fuit.¨ Il devient pâle. quitte;
Traversant Morrois, ils s'en vont.
De grandes étapes ils font.
Le lendemain¨ de la Saint Jean¨ jour après; la fête de;
Furent accomplis¨ les trois ans finis;
Qu'à ce philtre furent donnés.
De son lit, Tristan s'est levé,
Dit à Isseut:"Reine, princesse,
Nous passons mal notre jeunesse.
Ma belle amie, si je pouvais,
Par un conseil qu'on me donnait,
Faire avec le roi un accord,
Afin qu'il calmât son transport, ¨ fureur, colère;
Et si c'était à son plaisir
de vous reprendre et me bannir, ¨ faire quitter le pays;
De se passer de¨ mon service, faire sans;
Je m'en irais au roi de Frise,
Ou je passerais en Bretagne,
Que¨ Governal seul m'accompagne.¨ je voudrais que; aille avec moi;
Isseut, franche,¨ gente ¨ façon¨ pure; gentille; femme;
Dites-moi ce que nous ferons."
"Seigneur Jésus soit remercié!
Vous voulez fuire ¨ le péché. défaire;
Ami, rappelez-vous l'hermite¨ religieux qui s'est retiré du monde;
Ogrin, qui de la loi écrite
Nous prêcha,¨ quand nous nous trouvions fit la leçon;
Dans sa si pauvre habitation.¨ demeure, maison;
Son conseil serait honorable, ¨ doit être respecté;
Et par cela, à joie durable
Nous pourrons encore venir."
Tristan l'entend, lâche un soupir.¨ soupire;
Puis, ils retournent au bocage.¨ bois;
Ils errent¨ tant qu'à l'hermitage¨ vagabondent; demeure d'une ermite;
Sont arrivés les deux amants,
Trouvant l’hermite Ogrin lisant.
Quand il les voit, il les appelle.
Ils s'asseyent dans la chapelle.
Tristan lui dit: "Or, écoutez:
Ceci fut notre destinée;¨ vie;
Voilà déjà plus de trois ans
Que nous manqua le tourment¨ que les difficultés nous poursuivent;
Si nous pouvons avoir la joie
De raccorder la reine au roi,
Je ne cherche plus le bonheur
D'être avec le roi, mon Seigneur.
Je m'en irrai avant un mois
En Bretagne ou en Loonois."
"Ce compliment je dois te faire,
En ceci tu n'as pas ton pair;¨ pareil, égal;
Tel sera donc mon bref¨ au roi." lettre;
Ogrin l'hermite se leva;
Plume, encre et parchemin il prit,
Toutes ces paroles y mit.
"Qui le portera?" dit 'hermite.
"Moi." - "Tristan, très bien vous le dites."
Avec son bref Tristan s'en va;
Il connaît bien ce pays-là.
Il descend, dans la ville il entre,
Voit la fenêtre de la chambre
Du roi, l'appelle faiblement,
Tâchant¨ de crier doucement. faisant tout pour;
Le roi s'éveille et dit alors:
"Qui me vient à cette heure encore?
Es-tu en peine¨ ? Dis-moi ton nom." malheur;
"Sire, Tristan m'appelle-t-on.
J'apporte un bref que je mets tôt¨ vite;
À la fenêtre de l'enclos."¨ mur;
Tristan partit; le roi fait un saut.
Il appelle trois fois très haut:
"Par Dieu, neveu, ton oncle attend."
Le bref, dans la main il le prend.
Puis il manda sin chapelain.¨ prêtre d'une capelle;
"Écris vite u bref de ta main,
et quand le bref sera scellé¨ fermé d'un cachet officiel;
À la Croix Rouge le pendez."
Tristan ne dormit pas la nuit.
Puis avant que vint minuit,
Blanche Lande il l'a traversée.
Là, il prend la charte scellée.¨ lettre cachetée;
La Cornouailles, il laconaût,
Il vient chez Ogrin, lui remet¨ donne;
La charte. L'hermite l'a prise,
Lit la lettre, voit la franchise¨ droiture, loyauté;
Du roi, qui pardonne à Iseut
Ses méfaits¨ ; et il lit qu'il veut le mal qu'elle a fait;
Le reprendre malgré ses torts;¨ fautes;
Il voit les termes de l'accord.
"Mon Dieu, " dit Tristan, "quel souci"
Pour celui qui perd son amie.
Il faut le faire pour l'effroi¨ peur;
Que vous avez eu tant pour moi."
"Tristan, écoutez-moi très bien.
Laissez-moi Husdent, votre chien."
Et il répond: "Ma chère amie,
Je donne Husdent par symathie."
"Seigneur, je veux vous remercier
Du chien que vous m'avez donné.
Prenez cet anneau en échange."
Elle l'ôte,¨ à son doigt le range.¨ retire de son doigt; met;
Tristan embrasse alors la reine,
Et elle lui. Dieu! quelle peine!¨ malheur;
Par Cornouailles on proclame:
Le roi s'accorde¨ avec sa femme. fait un accord;
Seigneurs, au jour du parlement,
Le roi fut avec tous ses gens.
Ils occupent¨ une prairie. se trouvent dans;
Tristan vient avec son amie.
Il dit à Iseut doucement:
"Dame vous garderez Husdent.
Je vous prie de le garder.
Aimez le bien, si vous m'aimiez.
Voyez le roi, notre seigneur,
Avec lui ses hommes d'honneur.
Si je vous demande une chose,
Faites ce que je vous propose."
"Ami Tristan, écoutez-moi:
Si cet anneau de votre doigt
Vous m'envoyez, je crois sur l'heure¨ immédiatement;
Tout ce que dira le porteur."
"Dame, " fait-il, "à Dieu soit grâce."¨ merci;
Il l'attire à lui et l'embrasse.
De la reine, congé il prend¨ il dit adieu;
Ils se regardent doucement.
Tristan part vers la mer. Iseut
l'accompagne longtemps des yeux.
Tant¨ qu'elle peut le voir de loin aussi longtemps;
De sa place, elle ne part point.¨ pas;
Or, il advint ¨ qu'un jour chevauchant avec le seul Gorvenal, il entra sur la terre de Bretagne. Pendant deux jours, Tristan et Gorvenal passèrent les champs et les bourgs ¨ sans voir un homme, un coq, un chien. Au troisième jour, à l'heure de none,¨ ils approchèrent ¨ d'une colline ¨ où se dressait ¨ une vieille chapelle, et, tout près, l'habitacle ¨ d'une ermite. Il souhaita la bienvenue ¨ aux arrivants et disposa le manger. Après le repas, comme la nuit était tombée, et qu'ils étaient assis autour du feu, Tristan demanda quelle était cette terre ruinée. arriva; villages; 15:00; arrivèrent à; hauteur; se trouvait; demeure; reçut bien les..;
"Beau seigneur, " dit l'ermite, "c'est la terre de Bretagne, que tient le duc Hoël. C'était naguère ¨ un beau pays. Mais le comte Riol de Nantes y a fait le dégât."¨ Tristan demanda:"Le duc Hoël, peut-il encore soutenir sa guerre?" au passé; ravage;
"À grand'peine ¨ seigneur. Pourtant, son dernier château, Carhaix, résiste ¨ encore, car les murailles en sont fortes, et fort est le cœur du fils du duc Hoël, Kaherdin!" difficilement; se défend;
Tristan demanda à quelle distance était le château. "Sire, à deux milles ¨ seulement. 2x1800 mètres;
Ils se séparent et dormirent.
Au matin, Tristan prit congé du ¨ prud'homme et chevaucha vers Carhaix. dit adieu au;
Quand il s'arrêta au pied des murailles closes,¨ il demanda le duc. Hoël se trouvait parmi ses hommes avec son fils Kaherdin. Il se fit connaître, et Tristan dit: "Je suis Tristan, roi de Loonnois, et Marc, le roi de Cornouailles, est mon oncle. J'ai su seigneur, que vos vassaux ¨ vous faisaient tort ¨ et je suis venu pour vous offrit mon service. Commandez qu'on m'ouvre cette porte." fermées; nobles qui dépendent d'un roi; mauvaise actions;
Kaherdin dit alors: "Recevez-le, mon père, afin qu'il prenne part de nos biens et nos maux.¨ " pl. de mal;
Un matin, un guetteur ¨ descendit en hâte de sa touret courut par les salles en criant: soldat de garde;
"Seigneurs, vous avez trop dormi! Levez-vous, Riol vient faire l'assaillie ¨ !" attaque, offensive;
Chevaliers et bourgeois s'armèrent et coururent aux murailles. Mais Tristan monte, éperonne ¨ son cheval jusque dans la plaine.¨ Le duc Riol s'élança. Quand ils se heurtèrent,¨ Tristan frappa Riol. le coup était si fortement assené,¨ que le baron tombe sur les genoux et sur les mains. Riol implora merci, ¨ et Tristan reçut son épée. Riol promit de se rendre en la prison du duc Hoël, de lui jurer ¨ de nouveaux hommage ¨ et foi,¨ de restaurer ¨ les bourgs et les villages brûlés. pique des éperons; terrain plat; se rencontrèrent; frappé; grâce, pitié; promettre; honneur; fidélité; réparer;
Quand les vainqueurs¨ f urent rentrés dans Carhaix, Kaherdin dit à son père: "Sire, mandez Tristan, et retenez-le; il n'est pas de meilleur chevalier, et votre pays a besoin d'un baron de telle prouesse.¨ " ceux qui avaient gagné; si grande courage;
Ayant pris conseil de ses hommes, le duc Hoël appela Tristan:
"Ami, je ne saurais trop vous aimer, car vous m'avez conservé cette terre. Je veux donc m'acquitter envers ¨ vous. Ma fille, Iseut aux Blanches Mains, est née de ducs, de rois et de reines. Prenez-la, je vous la donne." payer cette dette;
"Sire, je la prends, " dit Tristan.
Ah! seigneurs, dit il cette parole? Mais pour cette parole, il mourut..
Ici suivent des fragments du texte de Thomas
Tristan pense oublier Iseut,
Enlever ¨ l'amour s'il le peut, retirer;
en épousant ¨ une autre Iseut. en se mariant avec;
Se délivrer ¨ d'elle il le veut. libérer;
Au jour nommé, au terme ¨ mis,¨ date; fixé;
Vient Tristan avec ses amis,
Épouse ¨ Iseut aux blanches mains. se marie avec;
La messe dit le chapelain.
Le jour passe avec les déduits.¨ plaisirs;
Les lits sont prêts ¨ vers la minuit. préparés;
La pucelle ¨ va se coucher jeune fille;
Et Tristan se fait dépouiller¨ déshabiller;
Du 'blialt"¨ qu'il avait sur soi, tunique;
Qui était beau, au poing étroit
Quand le "blialt", ils l'ont ôté, ¨ retiré;
De son doigt l'anneau est tombé.
Au parc Iseut le lui donna,
l'ultime ¨ fois qu'il lui parla. dernière;
Tristan regarde, voit l'anneau,
Et pense à elle de nouveau,
Se rappelle la convention ¨ accord;
Qu'il fit à la séparation,
Dans le jardin et au départ,
Du fond ¨ du cœur son soupir part.¨ du plus profond; vient;
Il dit: "Comment puis-je le faire?
Cette chose qui m'est bien contraire.
Néanmoins¨ je dois me coucher pourtant;
Avec elle que j'épousai.
Peu j'ai pensé à mon amie,
Quand j'entrepris¨ cette folie.¨ " commençai; absurdité;
Donc Tristan dit: "Ma belle amie,
Ne prenez pas à la vilainie ¨ ne regardez pas comme une chose méchante;
La chose que je vous avoue.¨ dis en secret;
De ça, grâce, taisez-vous.¨ s.v.p. ne parlez pas;
Par ici, vers le droit côté,
Au corps, j'ai une infirmité ¨ endroit malade;
J'en fus malade très longtemps.
Nous en aurons encore assez,
Quand je voudrai et vous voudrez."
"Cela me pèse, ¨ ", Yseut répond, m'est difficile;
"Plus qu'aucun mal au monde, au fond.¨ " à vrai dire;
Mais ce que vous voulez dire,
Je le veux bien, je m'en retire.¨ " je n'en ferai pas;
Un jour, Tristan et Kaherdin,
Durent aller chez des voisins.
Ils voient venir un chevalier
Au galop sur un destrier.¨ cheval;
Il fut très richement armé;
Il eut un écu ¨ d'or paré ¨ arme de défense; orné;
Ils s'émerveillent ¨ qui ce soit. s'étonnent;
Il vient vers eux. Quand il les voit,
Il les salue doucement.
Son salut, Tristan le lui rend.
Et lui demande où il va.
Quelle affaire pressante il a.
"Sire, " dit donc le chevalier,
"Sauriez-vous bien me renseigner ¨ donner des informations;
Du bien¨ de Tristan, l'Amoureux?" propriété, château;
Tristan dit: "Dites-moi par Dieu,
À Tristan vous voulez parler?
Vous ne devez si loin aller,
Car je suis Tristan appelé.
Dites-moi ce que vous voulez."
Il dit: " Cette nouvelle j'aime.
Je me nomme Tristan le Naime.
Je suis du pays de Bretagne,
À droite de la mer d'Espagne.
J'y ai un château, une amie;
Je l'aime aussi bien que ma vie.
Mais par malheur je l'ai perdue:
L'avant-dernière nuit ce fut.
Estult l'Orgueilleux Castel Fer
L'a enlevée, cet homme fier.
Il la retient dans son château,
Fait d'elle ce qui lui est beau.¨ ce que lui plaît;
Vous êtes redouté et craint¨ dont on a peur;
Donc je vous demande merci ¨ pitié;
Aidez-moi donc. Et je vous prie
De bien vouloir m'accompagner¨ venir avec moi;
Pour mon amie, la délivrer."
Tristan dit: "Autant que je peux,
Je vous aidereai de mon mieux;¨ autant que possible;
Et très volontiers¨ j'y irai, avec plaisir;
Permettez-moi que je m'armerai."
Estult l'Orgueilleux Castel Fer,
Pour le tuer ils partent fiers.
Tant ils ont marché et erré
Que son château, ils l'ont trouvé.
Estult l'Orgueilleux était fier,
Et il avait six nobles frères,
Hardis et vaillants et très preux; ¨ synonymes de courageux;
Mais il était plus vaillant qu'eux.
Deux d'entre eux d'un tournoi rentrèrent.
Une embuscade ¨ ils leur dressèrent,¨ attaque par surprise; préparèrent;
Les défièrent¨ en criant, invitèrent à se battre;
Frappèrent sur eux durement.
Les deux frères furent tués.
Au pays on en a parlé.
Et ceux-ci ¨ montent au château Tristan et ses gens;
Où le seigneur¨ s'était enclos.¨ Estult; enfermé;
Et les deux Tristan assaillirent,¨ attaquèrent;
Courageusement l'¨ envahirent.¨ le château; entrèrent de force;
Ils furent tous bons chevaliers
À les voir ¨ leurs armes porter. quand on les voyaient;
Ils ne cessèrent ¨ de combattre¨ s’arrêtèrent; se battre;
Jusqu’à avoir tué les quatre.
Tristan le Naim y fut tué,
Et l'autre Tristan fut blessé,
Tout près de ses reins,¨ d'une épée, partie inférieure du dos;
De grand venin empoisonnée.
Ses plaies¨ il les a fait soigner, blessures;
Cherchant des mires¨ pour l'aider. médecins;
On en a fait assez venir,
Mais aucun n'a pu le guérir.
Sentant qu'il s'en va à sa fin ¨ qu'il va mourir;
Tristan appelle Kaherdin,
Lui dit:" Entendez, bel ami:
Je suis en étrange pays,
Je n'ai d'ami, ni de parent,
Bel ami, sauf¨ vous seulement. excepté;
Sans secours¨ il me faut mourir, aide;
Personne ne peut me guérir,
Sauf seulement la reine Iseut,
Elle le peut, si elle veut.
Allez-lui dire: je suis mort,
Si elle ne donne confort.¨ soulagement, aide;
C'est mon bateau que vous prendrez,
Double voile vous porterez,
Dont l'une est blanche et l'autre noire.
Si vous pouvez Iseut avoir,
Et qu'elle vienne me guérir¨ rendre la santé;
Du blanc¨ mettez au revenir.¨ la voile blanche; retour;
Mais si vous ne l'amenez pas,
Mettez la noire dans ce cas.
Courroux¨ de femme est bien à craindre¨ colère; on en doit avoir peur;
Beaucoup d'hommes peuvent s'en plaindre.¨ être mécontent;
Iseut écoute ce que dit
Tristan, et elle a tout compris.
Elle retient¨ tout cela bien, n'oublie pas;
Mais elle fait semblant de rien.¨ comme si elle ne savait rien;
Souvent Tristan se plaint,¨ soupire, se lamente;
Après¨ son Iseut qu'il désire. voulait avoir;
En cette angoisse,¨ en cet ennui¨ malaise; tristesse;
Sa femme Iseut vient devant lui.
Méditant une ruse ¨ bien chose pour tromper;
Elle lui dit:"Kaherdin vient.
Sur la mer j'ai vu son bateau
Cingler¨ à grand'peine¨ là-haut.¨ " naviguer; difficilement; sur la mer;
Tristan tressaute¨ à la nouvelle. tremble d'émotion;
Il dit à Iseut: "Amie belle,
C'est sa nef¨ donc? C'est bien certain? navire;
Quelle est la voile, dis-moi bien."
Iseut dit:"Vous pouvez me croire
Sachez bien que la voile est noire."
Bien plus que jamais, dans son cœur
Tristan en a grande douleur.
Il se tourne vers la paroi¨ mur;
Et dit: "Dieu! sauve Iseut et moi!"
"Amie Iseut" trois fois il dit,
A la quatrième, il rend l'esprit.¨ il meurt;
Alors pleurent par la maison
Les chevaliers, les compagnons.
Du navire Iseut est issue, ¨ sortie;
Entend les plaintes¨ dans la rue, lamentations;
Aussi les cloches des chapelles.
Elle demande des nouvelles.
Un vieillard, alors, lui a dit:
"Belle dame, à Dieu soit merci.¨ nous demandons pitié;
Nous avons beaucoup de douleur,
Bien plus que jamais, dans nos cœurs.
Tristan le preux,¨ le franc est mort, courageux;
À tous les gens de grand confort.¨ " aide;
Quand Iseut l'entend débiter¨ parler;
D'ennui¨ elle ne peut parler. tristesse;
De sa mort elle est affligée.¨ triste;
Mine défaite ¨ elle est allée visage décomposé;
Avant les autres au palais.
Et dans la salle où le corps est,
Elle se tourne vers l'orient,
Prie pour lui piteusement.
"Ami, Tristan, je vous vois mort.
Je veux subir le même sort.¨ que la même chose m'arrive;
Pour moi vous perdîtes la vie;
Je le ferai en vraie amie:
Je veux mourir également.
Elle l'embrasse, puis s’étend.¨ se couche;
Lui baise¨ la bouche et la face.¨ met un baiser; visage;
Étroitement¨ elle l'embrasse.¨ de très près; prend dans ses bras;
Bouche à bouche, corps contre corps,
Elle rend l'esprit.¨ C'est alors meurt;
Qu'elle meurt à côté de lui,
Pour la douleur de son amie.

3. Le Roman de Perceval ou le conte du Graal

Par Chrétien de Troyes
Chrétien sème¨ et il fait semence ¨ met des grains; met des grains;
D'un roman qu'ici il commence.
Il le fait pour le plus sage¨ homme, raisonable, serieux;
Qui soit dans l'empire de Rome:
Le Comte PHILIPPE DE FLANDRES,
Qui vaut¨ beaucoup mieux qu'Alexandre.¨ est préférable à; Alexandre le Grand de Macédoine;
Pour lui, ne perdra pas sa peine.
CHRÉTIEN qui entend¨ et qui peine ¨ a l'intention de; fait son mieux pour;
A mettre en vers le meilleur conte
Qui soit conté en Cour Royale:
C'est le conte du SAINT GRAAL.
Au temps ou les arbres fleurissent, ¨ se mettent en fleurs;
Les bocages¨ , les prés verdissent¨ , petits bois; deviennent vertes;
Toute chose de joie enflamme,
Un des fils d'une veuve ¨ dame qui avait perdu son mari;
Vit arriver cinq chevaliers,
De toutes armes équipés¨ , portant toutes leurs armes;
Il vit les hauberts¨ reluisants¨ , armures; brillants;
Et les heaumes¨ clairs et brillants, armure qui protège la tête;
Et les lances et les écus.¨ arme de défense;
Qu'avant, jamais il n'avait vus.
Il dit:"Ha! Seigneur Dieu, merci
Des¨ anges¨ que je vols ici"" pour les; être spirituel;
Et le maître des chevaliers
Dit à ses hommes:"Là!restez!"
Et au valet:"N'ayez pas peur!"
"Je n'ai pas peur, par le Sauveur¨ Jésus-Christ;
Qui êtes-vous?"-"Un chevalier."
"Jamais je n'en ai rencontré.
Qui vous habilla¨ donc ainsi?" a donné des vêtements;
"Valet¨ , je te dirai bien qui." ici: jeune homme;
"Dites-le donc."-"Très volontiers¨ ; avec plaisir;
Il n'y a pas cinq jours entiers"
Que tout ce harnais me donna
Le Roi Arthur qui m'adouba.¨ " fit chevalier;
Puis, vite, le chevalier part.
Alors le valet se prépare
A retourner à son manoir.¨ petit château;
Où sa mère, triste, le soir
L'attend.Elle aime son fils tant
Qu'elle court vers lui en criant:
"Mon fils, chagrine¨ , je le suis; triste;
Où as-tu été aujourd'hui?"
"Où Dame?je vous le dirai
Très bien, et je ne mentirai¨ , dirai la vérité;
Car une grande joie j'ai eue
Par une chose que j'ai vue:
Les plus belles choses qui sont,
Qui par la vaste¨ forêt¨ vont. grand; bois;
Ils sont plus beaux, comme je pense,
Que Dieu, plus beaux que tous ses anges.
La mère dans ses bras le prend,
Et dit:"Beau fils, à Dieu te rends¨ ; il te faut recommander à Dieu;
Car j'ai très grande peur pour toi.
Tu as vu, comme je le crois,
Les anges dont les gens se plaignent¨ sont mécontents;
Qui tuent tout ce qu'ils atteignent.¨ " peuvent prendre;
"Non, vraiment, ma mère, ce sont
Des chevaliers voilà leur nom.
"Hélas! que je suis mal servie¨ ! malheureuse;
Beau fils doux, de¨ chevalerie contre la chevalerie;
Je pensais si bien te garder
Qu'on ne dut jamais t'en parler.
Ton père, -tu l'as ignoré-¨ tu ne l'as pas connu;
Avait eu les jambes blessées.
Et toi, quand tu étais petit,
Avais deux frères très gentils;
En guerre ils sont morts tous les deux;
J'en ai eu grand chagrin¨ , grand deuil¨ ; tristesse;
Très peu le valet a compris
À ce que sa mère lui dit.
"Donnez-moi, " fait-il, "à manger!
Je ne sais de quoi vous parlez,
Mais j'irais, moi, très volontiers¨ avec beaucoup de plaisir;
Au roi, qui fait les chevaliers."
Là, elle l'embrasse en pleurant,
Et dit:"Que mon chagrin est grand,
Mon beau fils doux, quand je te vois
T'en aller à la cour du roi.
Tu seras chevaliers sous peu¨ dans peu de temps;
Et s'il plaît a Dieu, je le veux,
Si tu trouves tout près, au loin,
Dame qui d'appui¨ a besoin aide;
Ou fille de secours privée¨ , sans aide;
Que ton aide leur soit donnée.
Surtout je voudrais te prier
Que dans l’église et le moutier¨ chapelle;
Tu ailles prier le Seigneur
Pour qu'il te donne tout honneur."
Pas un moment, il ne demeure.¨ reste, attend;
Il prend congé¨ ; la mère pleure. dit adieu;
"Fils, "fait-elle, "que Dieu te mène¨ conduit;
Qu'il te donne très peu de peine.¨ tristesse;
Mais joie, où que tu puisses aller."
Quand le valet fut éloigné¨ à la distance;
Le jet d'une petite pierre,
Il se retourne et voit sa mère
Tomber sur le pont en arrière.
Elle se pâma¨ de manière perdit conscience;
A faire croire¨ : elle fut morte. de sorte qu'on croyait;
Mais il s'en va, d'allure¨ forte. à grande vitesse;
Et le valet tant chevauche,
Qu'en un chemin ou il entra,
Il vit sur¨ la mer un château, au bord de;
Fort bien séant¨ , solide et beau. agréable à voir;
Et il voit sortir par la porte
Un chevalier armé, qui porte
Une coupe d'or à la main.
De l'autre main il tient le frein¨ sert à arrêter un cheval;
Et ses armes bien lui séaient.
Bien vermeilles¨ elles étaient. rouges;
Le valet vit les armes belles,
Qui furent fraîches¨ et nouvelles, brillantes;
Qui lui plurent¨ ; Il dit:"Ma foi¨ , qu'il voulait avoir; vraiment;
Je les demanderai au roi."
Alors, vers le château il court;
Il se dépêche vers la cour,
Ou le roi et ses chevaliers
Étaient assis pour le dîner.
Cette salle était en aval¨ dans la partie la plus basse du château;
Et le valet entre à cheval.
Il fait:"Faites-moi chevalier,
Sire Roi, et je m'en irai."
"Ha!"fait le roi, "ami aimé,
Je le ferai bien volontiers."
Le valet dit:"Beau sire Roi,
Je ne le serai jamais, moi,
Que par un chevalier hardi.¨ courageux;
Donnez les armes de celui
Que je rencontrai à la porte
Qui votre coupe d'or emporte."
"Ami, vous êtes dans le droit.
Allez-lui donc prendre à l'endroit¨ là où il te faut;
Les armes; elles sont à vous.
Mais n'agissez¨ pas comme un fou." faites;
Il s'en retourne sans conseil
Après le chevalier vermeil,
Tant qu'il vint au chemin tout droit
Où le chevalier attendait,
Il lui cria:Il faut jeter
Les armes, sans plus les porter.
Le Roi Arthur vous le commande."
"Valet, "fait-il, "je te demande
Si quelqu'un vient de par le¨ roi au nom du;
Qui voudra se battre avec moi."
"Chevalier, ôtez¨ sur le champ¨ retirez; immédiatement;
Les armes;car je vous les prends,
Si vous me faites plus parler."
Le chevalier fut très fâché.¨ furieux;
Des deux mains sa lance il leva.
Il frappa tant qu'il le¨ blessa. Perceval;
Et le valet s'est courroucé¨ fâché;
Quand il sentit qu'il fut blessé.
Il fait partir¨ son javelot.¨ lance; sa lance;
Le frappe¨ par l’œil au cerveau¨ touche; dans la tête;
Répand¨ la cervelle et le sang. fait sortir;
Par la douleur le cœur lui manque ¨ perdit courage;
Il s'affaisse¨ ;tombe étendu¨ ne peut rester debour; de tout son long;
Et le valet est descendu.
Il met la lance d'une part¨ de côté;
Et l’écu du col lui séparé¨ à part;
Puis le valet, sans nul arrêt,
S'en va, courant par la forêt¨ , bois;
Tant qu'il vit, à gauche et en haut,
Paraître les tours d'un château.
Le valet, vers le pont chemine.¨ se dirige;
Vêtu¨ d'une robe d'hermine, habillé;
Un prud'homme, beau et charmant,
Là, au milieu du pont, l'attend.
Il dit:"Beau frère, d'où viens-tu?"
"D'où? de la cour du roi Arthur."
"Qu'y faisais-tu?"-"Le roi m'a fait
Chevalier; là, chacun le sait."
"Ces armes, qui te les donna?"
"Le Roi, "fait-il, "me les laissa."
"Comment?" Alors, il lui raconte
Ce que vous savez par ce conte.
"Mais quel besoin¨ vous amena¨ ?" nécessité; fit venir;
"Sire, ma mère m'enseigna¨ m'apprit;
D'aller toujours aux chevaliers,
Pour qu'ils puissent me conseiller."
Le prud'homme répond:"Beau frère,
Bénie¨ soit votre bonne mère, que Dieu donne grâce à;
Car elle vous conseilla bien.
Ne voulez-vous plus dire rien?"
"Oui."-"Et quoi?"-"Eh bien, je vous prie
De bien m’héberger cette nuit."
"Très volontiers, "fait le prud'homme,
"Gornemant de Goort je me nomme."
Ainsi jusqu’à l'hôtel ils viennent;
Par la main tous les deux se tiennent.
Le prud'homme, qui fut courtois,
Le pria de rester un mois.
Volontiers il le retiendrait¨ garderait chez lui;
Pendant ce temps il apprendrait
Telles choses qui lui plairaient,
Qui au besoin lui conviendraient¨ seraient utiles;
Mais le valet lui dit après:
"Sire, je ne sais pas si près
D'ici ma bonne mère habite.
Je voudrais la revoir très vite."
Ils se couchent sans plus d’arrêt,
car les lits étaient déjà faits.¨ préparés;
Le lendemain¨ le chevalier jour après;
Au lit de son hôte est allé.
Il lui chaussa¨ l'éperon droit. mit à la jambe;
Alors¨ , il y avait la loi¨ dans ce temps; règle;
Que celui qui anoblissait¨ faire noble;
Quelqu'un, l’éperon lui chaussait.
Alors¨ il commence à l'armer, après;
Et puis à lui ceindre¨ l’épée. mettre à la taille;
Il la lui ceint et l'a baisé¨ , embrassé;
Et lui dit qu'il lui a donné
Le plus haut ordre avec l’épée
Que Dieu ait fait et commandé:
C'est l'ordre de chevalerie,
Qui doit être sans vilenie¨ déshonneur;
Il dit:"Il faut vous rappeler:
S'il arrive¨ que vous devez le fait se produit;
Vous battre contre un chevalier,
Je veux vous dire et vous prier,
Si vous en¨ avez le dessus¨ , de lui; triomphe;
Et qu'envers¨ vous il ne peut plus contre;
Se défendre ni se tenir,
S'il se rend à votre merci¨ , pouvoir;
Ne le tuez en aucun cas.
Gardez-vous¨ bien de n'être pas faites attention à;
Trop bavard¨ ni trop discoureur¨ parlant trop; parlant trop;
Nul¨ ne peut être trop parleur; personne;
Si vous rencontrez homme ou femme,
Damoiselle ou bien une dame,
Qui est sans secours¨ et sans rien aide;
Conseillez-les, vous ferez bien.
Ceci n'est pas à dédaigner¨ négliger;
Allez volontiers au moutier¨ chapelle;
Prier Celui Qui a tout fait
De vous pardonner s'il Lui plaît."
Levant la main il le regarde,
Et dit:"Sire, que Dieu vous garde!"
Puis, le nouveau chevalier quitte
Son hôte, car il veut très vite
Chez sa mère pouvoir aller,
La trouver en bonne santé.
A un fleuve il est arrivé;
Par là, il n'ose pas passer.
Le long de la rive il partit,
Quand, en aval, ¨ sur l'eau, il vit du côté où coule la rivière;
Un bateau qui venait d'amont¨ du côté où vient la rivière;
Sur le bateau deux hommes sont.
Au milieu de l'eau arrêtés,
Ils mettent l'ancre pour pêcher.
Il salue pour demander:
"Voulez-vous, Seigneurs, raconter
Où je pourrais trouver logis?"
L'un d'eux répondit: "De ceci,
Bien besoin, je crois, vous aurez.
Cette nuit, je vous logerai.
Quand vous irez là, en amont,
Vous verrez là, au pied d'un mont,
Une maison qui est à moi,
Près de la rivière et du bois."
Maintenant il va en amont,
Tant qu'il vint au sommet¨ du mont. au point le plus haut;
Le haut d'une tour apparut;
L'on ne trouve jusqu’à Barut¨ (nom inconnu);
Si belle, ni si bien assise¨ , située;
Qui fut carrée, de roche bise.¨ gris-brun;
Alors, vers la porte il s'en va,
Et devant la porte il trouva
Un pont. Des valets tout en armes
Viennent vers lui et le désarment.
Jusqu'aux loges ils l'ont mené.
Là, dans une salle carrée,
Justement au milieu, il vit
Un prud'homme assis sur un lit.
Quand le seigneur le vit venir,
Il le salue avec plaisir,
Et dit:"Ami, ne m'en veux pas ¨ soyez pas fâché;
Si moi, je ne me lève pas."
A son coté il s'est assis,
Et le prud'homme dit:"Ami,
D'où veniez-vous donc aujourd'hui?"
"Seigneur, ce matin je partis
D'un lieu appelé Beaurepère."
Quand ainsi tous les deux parlèrent,
Un valet¨ d'une chambre vint, serviteur;
Une lance blanche en ses mains,
Et ceux qui sur le lit étaient,
Et tous ceux là-dedans, voyaient
La lance blanche et le fer blanc.
Une goutte de sang sortant
Du fer de la lance au sommet¨ bout;
Jusqu’à la main de ce valet
Coulait;une goutte vermeille.
Le valet¨ vit cette merveille.¨ Perceval; miracle;
Alors deux autres valets vinrent,
Des chandeliers en leurs mains tinrent,
Faits en or fin, à nielle¨ ouvrés.¨ émail noir; travaille;
Très beaux ces valets ont été,
Qui les chandeliers apportaient.
Sur chaque chandelier brûlait
Dix belles chandelles au moins.
Tenant un graal¨ en ses mains, coupe;
Une demoiselle marchait,
Qui avec les valets venait.
Belle svelte¨ et très bien parée¨ fine; habillée;
Quand dedans elle fut entrée
Avec le graal qu'elle le tint,
Telle grande clarté¨ en vint lumière claire;
Qu'ainsi perdirent les chandelles
Leur clarté, comme les étoiles
Sitôt que¨ se lève la lune. immédiatement quand;
Après elle, il en venait une, ¨ une jeune fille;
Tenant un beau plateau d'argent.
Le graal, qui allait devant,
Était tout d'or fin pur ouvré,
De pierres précieuses orné.¨ décoré;
Quand le valet¨ les vit passer, Perceval;
Il n'osa pas bien s'informer
Du graal, ni pour qui c’était,
Car toujours il se rappelait
La parole de l'homme sage,
Craignant d'en avoir du dommage¨ contraire de profit;
Il ne dit rien, rien ne demande.
Alors le seigneur, il commande:
"Dressez la table, donnez l'eau."
Le repas fut très bon et beau.
Ils se parlèrent et veillèrent
Et les valets appareillèrent¨ préparèrent;
Le lit.Couchant entre draps fins,
Il dormit jusqu'au grand matin.
Il se lève et arme ses membres¨ bras et jambes;
Et veut s'en aller par les chambres,
Mais il les trouve bien fermées.
Il appelle et il frappe assez,
Nul n'a ouvert, nul n'a parlé.
Quand il a assez appelé,
Trouvant la porte de la salle
Ouverte, aussitôt, il dévale¨ descend;
En descendant tous les degrés¨ marches de l'escalier;
Il trouve son cheval sellé ¨ avec selle;
Il monte et fait le tour dedans,
Retrouve là pas un sergent¨ valet, serviteur;
Il trouve le pont abaissé.
Sans tarder il l'a traversé.
Pour ce faire, il a eu du mal¨ difficultés;
Il sentit que de son cheval
Les pieds furent levés en haut,
Et le cheval fit un grand saut.
S'il n'avait pas si bien sauté,
Tous les deux, ils seraient blessés.
Cherchant ce que ça a été
Il vit que le pont fut levé.
Toute froide était la contrée.
Perceval, cette matinée,
Voulant chercher chevalerie
Vint tout droit dans une prairie,
Qui fut gelée et enneigée,
Où l’armée du roi fut logée.
Grande fut la joie que le roi
Fit de Perceval, le Gaulois;
La reine aussi et les barons
Toute la nuit grand'joie ils font.
Et le départ ils le remirent¨ renvoyèrent la date;
Jusqu'au troisième jour qu'ils virent
Une demoiselle qui vint
Sur une mule fauve¨ et tint sauvage;
En sa main droite une courroie¨ ; bande de cuir;
Ses cheveux, comme je le crois,
En deux tresses tordues et noires.
Et si on pouvait vraiment croire,
Ce que le livre nous fait lire,
Jamais chose plus laide et pire¨ plus mauvaise;
Ne fut même vue en enfer.
Jamais plus noir ne fut un fer
Que le noir du cou et des mains.
Et ceci était encore moins
Que l'autre laideur qu'elle avait,
Car tout clos¨ ses deux yeux étaient, fermés;
Pres-qu’aussi petits qu'yeux de rats.
Son nez fut de singe ou de chat;
Et ses lèvres d’âne ou de bœuf;
Ses dents semblaient du jaune d’œuf;
Et sur la.poitrine une bosse;¨ difformité;
Une échine¨ comme une crosse. colonne vertébrale;
La bosse au dos, tordues¨ les hanches, courbés;
Aussi bien que d’osier¨ les branches, plante grimpante;
Trop belles pour mener la danse. -
Devant les chevaliers s’élance
La demoiselle sur la mule.
Avant, jamais, a la cour nulle
Femme comme elle ne fut vue.
Elle va au roi, le salue,
Et les barons également,
Hormis¨ Perceval seulement. mais pas;
Elle dit, de sa mule fauve:
"Perceval, la Fortune est chauve¨ sans cheveux;
Derrière et devant chevelue.
Malheur à ceux qui te saluent,
Et qui te souhaitent du bien,
Car tu ne sus conserver point¨ pas;
Fortune, quand tu la trouvas. i
Chez le Roi-Pêcheur tu entras.
Là, tu vis la lance qui saigne;
Alors, tu eus si grande peine¨ difficulté;
D'ouvrir ta bouche pour parler,
Que tu ne pus pas demander
Pourquoi cette goutte de sang
Sort par la pointe du fer blanc.
Et du graal que tu as vu
Tu ne demandas rien;pas plus
Qu'à quel seigneur on l'a servi.
Très malheureux est celui qui
Voit du beau temps plus qu'il convienne¨ est agréable;
Mais attend que du plus beau vienne.
Malheur que tu n'aies pas parlé;
Car si tu l'eusses¨ demandé aurais;
Le riche roi, qui en souffrit¨ en avait mal;
De sa plaie fut¨ déjà guéri, serait;
Et eût tenu sa terre en paix.
Mais il ne l'aura plus jamais."
A part lui¨ Perceval s'est dit: en parlant à lui-même;
Qu'il ne passera pas deux nuit
Sous le même toit, de son âge¨ ; pendant toute sa vie;
Et si on parle d'un passage¨ quelque chose qui passe;
Étrange, il n'ira point¨ le voir; pas;
Et si on peut apercevoir¨ voir;
Un chevalier plus preux¨ que quatre, courageux;
Il n'ira pas pour le combattre,
Avant que du graal il sache
A qui on le sert, et qui cache
La lance-saignante trouvée;
Et que, de vérité prouvée, ¨ montrée avec certitude;
Il sache pourquoi elle saigne.
Pour ça, il n'y a rien qu'il craigne¨ dont il a peur;
Perceval-ainsi dit l'histoire-
A perdu toute la mémoire.,
Et Dieu, il l'a tout oublié.
Avril a bien cinq fois passé;
Ce sont donc cinq ans en entier¨ en total;
Sans qu'il entrât dans un moutier¨ , église;
Sans que de Dieu il se souvînt.
Au bout des¨ cinq ans il advint¨ après; l'événement se produisit;
Que par un désert il allait.
Comme d'usage¨ il cheminait¨ normalement; allait;
De toutes ses armes armé.
Trois chevaliers sont arrivés
Avec dix dames environ,
Leurs têtes dans des capuchons.
Et ils s'en allaient tous à pied,
Tout en haillons¨ et déchaussés¨ vêtements déchirés; sans chausures;
Ne celui qui était venu,
Qui tenait la lance et l’écu
S’émerveillent¨ tant les dames, s’étonnèrent;
Qui, pour le salut de leurs âmes,
Faisaient leur pénitence à pied
Pour leurs fautes et leurs péchés.
Et l'un de ces trois chevaliers
L’arrête et dit:"Ami aimé,
Ne croyez-vous en Jésus-Christ,
Qui la bonne loi écrivit?
Car il n'est pas juste ni bien
D'être armé, -et c'est un grand tort¨ injustice;
Le jour où Jésus-Christ fut mort"
Et lui qui n’était pas conscient¨ qui ne réalisait pas;
Du ¨ jour, de l'heure, ni du temps, quel jour c'était etc.;
Tant son cœur était en ennui, ¨ tristesse;
Répond:"Quel jour est-ce aujourd’hui?"
"Quel jour? vous ne le savez point?
C'est aujourd'hui Vendredi Saint."
"D'où venez-vous, dites-moi bien."
Fait Perceval.-"Sire, je viens
D'un homme sage, un saint hermite,
Qui dans cette forêt habite."
"Par Dieu, Seigneur, qu'y fîtes-vous?
Et que lui demandâtes-vous?"
"Quoi, Sire?"fait une des dames,
"De nos péchés nous demandâmes
Conseil, tout en nous confessant, ¨ disant nos fautes;
Faisant ce qui est important,
Ce que doit faire tout chrétien
Qui à Dieu veut se vouer¨ bien." donner sa vie;
Ce que Perceval apprenait,
Le fait pleurer.Ça lui plairait
Si au sage il pouvait parler.
Et il voudrait bien y aller.
Puis, Perceval se met en route,
En soupirant de l’âme toute,
Parce qu'en se sentant méfait¨ coupable;
Envers Dieu, il se repentait ¨ reconnaissait avoir fait des péchés;
Pleurant il va par les feuillages¨ ici: le bois;
Et quand il vient à l'hermitage,
Il descend et il se désarme,
Liant¨ son cheval à un charme¨ attachant; sorte d'arbre;
Après il entre chez l'hermite.
Dans une chapelle petite,
Avec un prêtre, il le trouva;
Un clerc jeune aussi était là.
Et ils commençaient le service
Le plus haut qui, en Sainte Église,
Puisse être fait, et le plus doux.
Perceval se met a genoux.
Des yeux les pleurs lui dégouttaient¨ tombaient;
Et Perceval, qui redoutait¨ avait peur;
D'avoir, envers Dieu, bien péché,
A pris l'hermite par les pieds.
Les mains jointes¨ , le chef¨ penché¨ ensembles; la tête; basse;
Il le prie de lui donner
Conseil, dont il a bien besoin.
Le bon homme lui prescrit¨ bien recomande;
De dire sa confession¨ reconnaître ses péchés;
Car il n'aura jamais pardon,
S'il n'est contrit¨ et repentant. ne reconnaît pas ses péchés;
"Sire, "fait-il, "voilà cinq ans,
Que je ne sais plus ou je fuis,
Sans aimer Dieu, ni croire en lui.
Et je fis du mal avec rage.¨ fureur;
"Hé, bel ami, " dit l'homme sage,
"Dis-moi donc, pourquoi l'as-tu fait?
Prie Dieu que pitié il ait
De ton âme, toi, grand pécheur.
"Sire, c'est chez le Roi Pêcheur
Que je fus;et j'y vis la lance
Dont le fer saigne d’évidence.¨ comme il est clair;
Rien de cette goutte de sang
Qu’à la pointe de ce fer blanc
Je vis, je ne lui demandai.
Puis jamais je ne m'amendai¨ me corrigai de mes fautes;
Ni ne sus¨ a qui on servit je savais non plus;
Le Saint Graal que la je vis."
"Hé! bel ami, " dit le sage homme,
Dis-moi donc comment tu te nommes."
Et il lui dit:"Perceval, Sire"
A ce mot le sage soupire.
Reconnaissant son nom a lui,
Il dit:"Frère, beaucoup t'a nui¨ fait du mal;
Un péché, dont tu n'as rien su:
Ce fut le deuil¨ que ta mère, eut tristesse;
De toi, quand tu t'en es allé.
Alors, elle est tombée pâmée"
Tout près du pont devant la porte;
Et de ce chagrin elle est morte.
Par le péché que tu en as
Il s'est fait que tu ne demandas
Rien de la lance et du graal.
Il t'est arrivé bien du mal.
À qui on le sert est mon frère.
Ma sœur et la sienne est ta mère.
Le Graal est chose si sainte,
Si spirituelle et sans feinte¨ pure;
Que rien n'est plus cher à la vie
Que du graal la sainte hostie.
Si vraiment donc tu te repens¨ regrettes tes péchés;
Tu dois aller en pénitent
A l’église, chaque matin,
Avant tout, c'est tout pour ton bien.
Crois en Dieu qu'il faut adorer¨ honorer;
Il faut les braves honorer.
Si pucelle¨ te requerra¨ jeune fille; demande ton aide;
Aide-la, car bien te fera¨ ce sera à ton profit;
Ou bien si orpheline¨ ou veuve¨ enfant sans parents; femme dont le mari est mort;
Veut de ta bonté une preuve¨ marque, signe;
Aide-les donc, tu feras bien,
Fais qu'il ne leur manque de rien."
Et puis l'hermite lui conseille
Une oraison¨ qu'à son oreille prière;
Il chuchota¨ tant qu'il¨ la sut. dit tout bas; perceval;
En cette oraison il y eut
Assez de titres¨ du Seigneur noms qu'on Lui donne;
Qui furent de tous les meilleurs.
Ici Perceval reconnut
Que Dieu, le Vendredi Saint, fut
Mort après être crucifié¨ mis sur la croix;
A Pâques, il a communié.

4. Le roman de la rose

ICI COMMENCE LE ROMAN DE LA ROSE
On dit qu'il n'y a dans les songes¨ rêves;
que des fables et des mensonges, ¨ contre-vérités;
mais parfois on peut bien songer¨ rever;
ce qui n'est pas si mensonger.
Quiconque¨ croit, quiconque dit tout celui qui;
que c'est vraiment de la folie¨ absurdité;
de croire qu'un songe est précieux, ¨ de valeur;
qu'il me tienne pour fou¨ s'il veut, sot;
mais pour moi il est établi¨ sur;
qu'un songe est une prophétie
et du bonheur et des ennuis;¨ malheurs;
car tant de gens songent la nuit
des choses formant¨ un secret: qui forment;
mais qu'on voit s'avérer¨ après. devenir réalité;
J'avais bien vingt ans de mon âge
a l'heure ou Amour prend¨ le page¨ ; domine;
des jeunes gens, je me couchai
un soir, comme à l'accoutume,¨ normalement;
Je m'endormis profondément,
et je vis un songe en dormant
qui fut très beau et qui me plut¨ fit plaisir;
Pourtant dans ce songe il n'y eut
rien qui ne se réalisa,
comme le songe l'annonça.
Je veux le¨ mettre tout en rime le songe;
pour que tous vos cœurs s'en animent
car c'est Amour qui le commande.
Et si un homme me demande
comment je veux que le roman
soit appelé, que j'entreprends¨ commence;
c'est bien le ROMAN DE LA ROSE,
ou l'Art d'Amour entier¨ s'expose¨ total; est raconté;
La matière en est benne et neuve.
Que Dieu donne que s'en émeuve¨ en soit touché;
celle pour qui je l'ai fini.
C'est elle qui tant de prix,
qui est si digne¨ d’être aimée en droit;
que:Rose, elle sera nommée.
Voile bien cinq ans, je songeai
que c'était au mois deux de mai,
au temps où toute chose est gaie;
car on ne voit buisson¨ , ni haie groupe de petits arbres;
qui au mois doux de mai ne veuille
se couvrir de nouvelles feuilles.
Joyeux¨ , gai et plein d'allégresse¨ de bonne humeur; plaisir;
Vers un beau ruisseau¨ je m'adresse.¨ petite rivière; je me rends;
Je vis un verger¨ large et grand lieu planté d'arbres;
tout clos¨ d'un haut mur crénelé fermé;
et peint dehors et tout gravés
de maintes¨ riches écritures. nombreuses;
Les images et les peintures
du mur volontiers¨ j'admirai; avec plaisir;
et moi, je vous raconterai
de ses images l'apparence¨ aspect;
ainsi que¨ j'en ai souvenance.¨ comme; souvenir;
Tout au milieu je vis la Haine
qui en tout courroux¨ , toute peine fureur;
sembla être une conseillère
coléreuse¨ et tracassière¨ furieuse; qui cherche à faire du mal;
elle était hideuse¨ et souillée¨ ; horrible à voir; sale;
Sa tête était entortillée¨ entourée;
hideusement d'une touaille.¨ bandeau;
Une image de même taille¨ hauteur;
à gauche d'elle a apparu,
et au-dessus d'elle se lut¨ on pouvait lire;
son nom qui était Félonie.¨ Infidélité;
Une image dont Vilainie¨ Méchanceté;
était le nom, a droite d'elle,
avait même face¨ que celle visage;
des deux autres, et même allure¨ aspect;
une mauvaise créature.
Puis était peinte Convoitise¨ désir excessif;
grâce à qui tant de gens s'avisent¨ essaient;
de prendre et de ne donner rien,
et de ramasser¨ de grands biens¨ réunir; possessions;
Une autre image était assise
tout à coté de Convoitise;
Avarice, elle était nommée,
Laide, sale et déguenillée¨ habillée de vêtements déchirés;
Après, elle était peinte Envie¨ Jalousie;
qui ne rit jamais de sa vie,
car sachez bien qu'elle s'irrite
quand a quelqu’un du bien profite.
Puis à coté d’Envie se dresse,
peinte en sa misère, Tristesse.
Il parait"¨ bien à sa couleur on peut voir;
qu'au cœur elle a grande douleur.
Puis Vieillesse était figurée¨ représentée;
qui était plus maigre d'un pied
que peu avant elle eut¨ été, aurait;
car a peine¨ elle pût¨ manger difficilement; pourrait;
tant elle était vieille et chenue;¨ blanche de vieillesse;
très laide elle était devenue.
Après, une autre était inscrite
qui sembla bien être hypocrite,
qui Papelardie¨ s'appelait; Hypocrisie;
c'est elle qui, tout en secret,
quand nul¨ ne peut le remarquer¨ , personne; voir;
n'a nulle honte¨ de pécher. n'hésite pas;
Ces images m'ont bien frappé¨ impressionné;
car elles, comme j'ai conté¨ raconté;
étaient en or et en azur,
peintes de toutes parts¨ au mur. partout;
Haut fut le mur et tout carré.
Par lui était bien enfermé
au lieu de haie, un grand verger
où jamais ne fut un berger¨ personne qui garde des moutons;
Quand j'y entendis des oiseaux,
Je me pris à chercher bientôt
par quel art et par quel moyen
je pourrais entrer au jardin.
Alors j'allai, à grande allure¨ très vite;
contourner toute la clôture¨ barrière;
et la cloison¨ du mur carré, séparation;
tant qu'une porte j'ai trouvée.
Là, je commençai à frapper,
car il n'y eut pas d'autre entrée.
Souvent j'ai frappé et tapé¨ syn. de frappé;
et maintes fois¨ j'ai écouté souvent;
si j'entendrais venir quelqu'un.
Ce huis¨ qui était peu commun¨ , porte; ordinaire;
fut ouvert par une pucelle¨ jeune fille;
qui était assez gente¨ et belle. gentille, aimable;
Quand la pucelle au corps joli
m'avait ouvert la porte ainsi,
je l'en remerciai beaucoup
et lui demandai d'un ton doux
son nom;et à cette prière¨ demande;
pour moi elle n’était pas fière¨ hautaine;
ni de répondre dédaigneuse¨ négative;
"Je m'appelle, fait-elle, Oiseuse¨ qui ne travaille pas;
Je suis lié et très ami
avec le doux et bon Déduit¨ plaisir;
et c'est à lui qu'est ce jardin.
Du pays des Alexandrina
il fit ces arbres ramener
qu'il mit par le verger entier."
Quand Oiseuse m'avait parlé,
et que je l'avais écouté,
j'entrai alors, sans dire un mot,
par le huis ouvert aussitôt,
au verger.Quand je fus dedans,
je fus heureux et tout content;
et sachez que je pensai être
vraiment au paradis terrestre.
Peu après je trouvai Déduit;
car maintenant en un réduit¨ endroit caché;
j'entrai ou Déduit se trouvait;
c'est ls que Déduit s'amusait,
et des gens si beaux, si jolis
que je ne sus, quand je les vis,
d'où donc de si beaux gens pouvaient
être venus, car tous semblaient
de race noble, des héros;
jamais on ne vit de plus beaux.
Ces gens, dont je parle en paroles,
s'étaient tous mis a la charole¨ ; sorte de danse;
et une Dame leur chantait;
Liesse¨ elle s'appelait. Joie;
Debout, je regardai, content,
la charole jusqu'au moment
qu'une dame, des plus jolies,
m'entrevit¨ :ce fut Courtoisie¨ aperçut; Amabilité;
Alors Courtoisie m'appela.
"Bel ami, que faites-vous la?
a fait Courtoisie, là; venez
pour qu'avec nous vous vous mettiez
à la charolle, s'il vous plait."
Et sans retard et sans arrêt,
à la danse j'ai bien dansé,
sans être trop embarrassé.¨ gêné, troublé;
De là je partis peu après
et m'en allai seul m'amuser.
En un très beau lieu j'arrivai
en un endroit ou je trouvai
une fontaine sous un pin.¨ sorte d'arbre;
C'est depuis Charles et Pepin
qu'un si beau pin ne fut pas vu:
si haut celui-ci avait cru¨ poussé, grandi;
que là c'était le plus haut arbre.
Et dans une pierre de marbre
une fontaine eut été mise¨ placée;
par Rature, à grande maîtrise.
sur la pierre furent inscrites,
an bord, des lettres très petites
qui disaient que là, sur ce bord,
le joli Narcisse ¨ était mort. personnage mythologique;
Et dans la fontaine, en aval ¨ côté vers lequel la rivière descend;
étaient II pierres de cristal.
C'est là le miroir périlleux¨ dangereux;
où Narcisse, cet orgueilleux¨ arrogant, hautain;
mira sa face¨ et ses yeux verts. visage;
Il en tomba mort à l'envers.
Ici aucun conseil n'est bon:
le fils de Vénus, Cupidon
sema¨ d'Amour ici la graine jeta;
qui couvre toute la fontaine.
Pour la graine qui fut semée
la fontaine fut appelée:
Fontaine d'Amour, a bon droit.
Plusieurs en ont, en maints¨ endroits, beaucoup d';
en romans et livres, parle,
mais jamais mieux vous n'entendrez
la vérité de la matière
quand j'aurai montré son mystère.
C'est que ce miroir m'a déçu¨ désillusioné;
et si, avant, j'avais connu¨ su;
quelle en était la qualité,
je ne m'y serais pas miré.
Au miroir, entre mille choses,
je vis des rosiers pleins de roses
qui étaient en un lieu secret,
et tout entourés d'une haie.
Vers les rosiers tantôt¨ j'allais. vite;
Et sachez, quand je fus tout près,
l'odeur des roses tant prisées
jusqu'aux entrailles¨ m'est entrée. bas du corps;
Parmi les autres j'ai choisi
une très belle, auprès¨ de qui à côté;
aucune autre ne valait rien.
C'est elle que j'avisai¨ bien, apreçus;
car une couleur l'enlumine¨ la colore;
qui est si vermeille et si fine
que Nature ne put mieux faire.
Et des feuilles bien quatre paires
par Nature, a grande maîtrise,
à tour de rôle¨ y furent mises. tour à tour;
Quand son odeur je l'ai sentie,
de partir je n'eus plus envie¨ désir;
mais je m'approchai¨ pour la prendre. vins plus près;
Mes mains allaient déjà se tendre¨ , avancer;
mais des chardons¨ aigus¨ piquants plante avec des piquants; pointus;
m'en ont fait bien rester distant.¨ éloigné;
Le dieu d'Amour, qui, l'arc tendu,
avait depuis longtemps voulu
me poursuivre pour m'épier,
s’arrêta sous un figuier¨ arbre fruitier;
et quand il avait aperçu
qu'ainsi j'avais alors élu¨ choisi;
ce bouton¨ qui plus me plaisait ici: fleur;
qu'aucun autre ne l'avait fait,
il prit sa flèche dans sa poche.
Quand la corde fut à l'encoche, ¨ à l'entaille de la flèche;
il a tendu jusqu’à l’oreille
l'arc, qui était fort a merveille¨ merveilleusement;
tirant sur moi, par tel génie?
que par l’œil au cœur il m'a mis
sa flèche par grande vigueur¨ force;
Alors m'a pris une froideur
qui fit, sous ma chaude pelisse, ¨ manteau de fourrure;
que maintes¨ frissons¨ je sentisse. beaucoup de; tremblements;
Alors, vite, Amour est venu
A moi, tantôt, a pas menus?
et en venant il me cria:
"Vassal¨ tu es pris¨ tu n'as pas homme dépendant; en mon pouvoir;
À t'enfuir, ni à te défendre.
Ne résiste pas¨ à te rendre.¨ ne fais pas d'opposition; livrer;
Plus volontiers tu te rendras,
plus tôt à merci tu viendras.¨ on aura pitié de toi;
Et moi, je veux bien t'enseigner¨ apprendre;
que tu ne peux rien y gagner
par félonie¨ ni par orgueil¨ infidélité; arrogance;
Mais rends-toi, puisque je le veux
en paix et débonnairement.¨ sans vouloir du mal;
Moi, je répondis maintenant:
"Oui, par Dieu, je veux bien me rendre,
Contre vous ne pas me défendre."
Amour répond:"Ne t'émeus¨ pas. te trouble;
Puisque¨ tu veux suivre mes pas, parce que;
je reçois ton service à gré¨ avec plaisir;
je te mets au premier degré¨ plan, place;
Si, en loyauté, tu te tiens,
je te donnerai tel moyen
qui de ta plaie¨ te guérira. blessure;
Mais, par ma tête, il paraîtra¨ je constaterai bien;
si de bon cœur tu serviras,
et comment tu accompliras¨ réaliseras;
nuit et jour les commandements
que je commande aux fins amants."
"Sire, fis-je, par Dieu, merci.
Avant que vous partiez d'ici,
Donnez-moi vos commandements;
je suis prêt à les faire à temps, "
Amour répond:"Tu parles bien;
Or, écoute-moi et retiens:
Sois toujours courtois¨ et aimable, galant;
doux en paroles, raisonnable.
Garde-toi¨ bien que tu n'emploies fais attention;
des mots sales ni grivois¨ obscène;
Sers toute femme, honore-les,
à les servir sois toujours prêt
Le premier bien qui réconforte¨ redonner du courage;
ceux que le lacs¨ d'Amour emporte¨ piège, trappe; prend;
est Doux penser, qui leur rappelle
ce qu’Espérance porte en elle.
Et l'autre bien est Doux parler,
qui donna a maints¨ bacheliers¨ beavoup de; jeune homme;
et à maintes dames secours.¨ aide;
car chacun qui de son amour
entend parler, s'en réjouit¨ en a du plaisir;
Il me souvient¨ que, pour ceci, je me rappelle;
une pucelle¨ qui aimait jeune fille;
a dit un jour un mot courtois¨ : galant;
"Je suis, dit-elle, bien ravie"
quand on parle de mon ami."
Le troisième bien à chercher
est Doux Regard, qui sait aider
ceux qui on un amour lointain.
Je t'engage¨ que tu te tiens conseille;
bien près de Doux Regard, sans honte,
pour que son aide te soit prompte,
car il est pour es amoureux
très délectable¨ et savoureux.¨ agréable; délicieux;
Sitôt¨ maintenant qu'Amour m'eut immédiatement quand;
dit son fait, je ne le vis plus,
car il s'était vite éclipsé.¨ s'en était allé;
Alors, j’étais bien étonné.
Or, lss rosiers de la haie furent
fermés autour, comme ils le durent,
Mais j'aurais bien voulu passer
par la cloison¨ pour m'emparer¨ séparation; prendre;
du bouton¨ à l'odeur légère, fleur;
si je ne pensais pas mal faire,
car il aurait bien pu sembler
que Je voulusse les voler.
Comme, ainsi, je réfléchissais
si par la haie je passerais,
Je vis venir vers moi, tout droit,
un jeune homme, beau, doux et droit,
en qui de mal il n'y eut rien;
Bel Accueil¨ , il s'appelait bien qui reçoit bien les invités;
Le fils de Courtoisie la large¨ généreuse;
Celui-ci m'ouvrit le passage
de la haie et très doucement;
Et il me dit aimablement1:
"Bel ami cher, ah!, s'il vous plaît,
passez la haie donc sans arrêt
pour l'odeur des roses sentir.
Je peux très bien vous garantir:
Vous n'aurez mal ni vilenie¨ chose ignoble;
Et si vous vous gardez¨ de folies¨ abstenez; sottises;
Très bien Bel Accueil me servit:
le bouton, de près je le vis.
Mais un vilain¨ , qu'il soit damné¨ infâme; envoyé aux diables;
tout près de là était caché;
C'était; Danger, il était bien
de tous les rosiers le gardien.
Le traître¨ fut en lieu¨ caché, infidèle; place, endroit;
tout couvert d'herbe et de feuillée
pour épier¨ et pour surprendre regarder en secret;
ceux qui voulaient les roses prendre.
Il ne fut pas seul, le félon, ¨ ignoble;
mais il avait pour compagnons
Male Bouche, la médisante¨ qui dit du mal;
Honte et Peur, ses amies mechantes.
Alors Bel Accueil s'est enfui,
et je restai, tout ébahi.¨ perplexe;
Ainsi, très longtemps j'ai été,
tant que me vit, ainsi mâté, ¨ dompté;
la dame de la haute garde,
qui de sa tour partout regarde.
C'est Raison qu'elle s'appelait.
De sa tour elle descendait,
tout droit à moi elle est venue.
Ni jeune, elle n'est ni chenue, ¨ blanche de vieillesse;
ni par trop haute, ni trop basse,
ni trop grêle¨ ni par trop grasse. maigre;
C'est ainsi que Raison commence:
"Bel ami, Folie¨ et enfance sotise;
t'ont mis en peine¨ et en regret.¨ difficultés; chagrin;
A tort¨ tu vis le mois de mai pour ton malheur;
par lequel ton cœur s'égayait.¨ devenait gai;
C'est a tort que tu es allé
an verger, dont Oideuse porte
la clef, dont elle ouvrit la porte.
Fou est celui qui à Oiseuse
se lie:elle est trop périlleuse.¨ dangereuse;
elle t'a trahi¨ et deçu¨ été infidèle; désillusioné;
Amour ne t'aurait jamais vu,
si Oiseuse ne l'eut conduit
an verger qui est à Déduit.
Tu dois bien te mettre en défense
contre tout ce que ton cœur pense.
Celui qui croit toujours son cœur,
ne peut prévenir le malheur."
Je restai seul, rageur¨ chagrin¨ : furieux; triste;
souvent je pleure et je me plains.
Moi, je ne savais plus que croire,
tant qu'il me vint à la mémoire
qu'Amour m'avait dit de chercher
un compagnon à qui conter¨ je pouvais raconter;
mes aventures, pleinement;¨ entièrement;
cela m'ôterait(chasserait mes tourments¨ peines};
Alors je trouvai que j'avais
un compagnon que je savais
tout loyal;Ami, il se nomme,
le meilleur compagnon des hommes.
J'allai à lui à grande allure, ¨ très vite;
lui dis la mauvaise aventure
dont je me sentais entouré,
comme Amour m'avait conseillé.
Quand Ami sut la vérité
il ne m'a pas épouvanté, ¨ fait peur;
mais il m'a dit: Ami, soyez
tranquille¨ , sans vous effrayer.¨ calme; avoir peur;
Il m'a un peu réconforté¨ , redonné du courage;
et il me sut persuader¨ faire décider;
d'aller hardiment¨ essayer avec courage;
d'apaiser¨ quelque peu Danger. calmer;
A Danger j'arrivai honteux, ¨ confus, penaud;
de faire la paix désireux.
Mais je ne passai pas la haie,
parce qu'il me le défendait.
Et quand j’étais en cette peine,
alors voilà que Dieu m’amène
Franchise¨ avec elle Pitié, Loyauté;
qui n'ont pas très longtemps tardé.¨ attendu;
À Danger elles sont venues,
car l'une et l'autre ont bien voulu,
si elles pouvaient, m'assister:
elles voient que c'est ordonné.¨ nécessaire;
Alors, la première à parlé,
Franchise, qu'elle soit louée¨ honorée, glorifiée;
Elle dit:"Ah!si Dieu m'entend,
vous faites tort¨ à cet amant, un action critiquable;
qui par vous est trop maltraité.
Sachez:vous vous avilissez¨ déshonorez;
car je n'ai pas encore appris¨ entendu dire;
qu'en rien il se soit mal conduit.
Par force¨ Amour le fait aimer, en le forçant;
devez-vous, pour ce¨ l'en blâmer¨ ?" cela; critiquer;
Pitié dit:"C'est la vérité
que douleur vainc¨ humilité¨ triomphe de; soumission;
et quand dure trop la douleur,
c'est félonie¨ et déshonneur. méchanceté;
C'est pour ce, Danger, que j’espère
que vous ne ferez plus la guerre
au chétif¨ qu'on voit languir¨ , misérable; soufrir;
qui jamais d' amour de frauda.
Souffrez¨ que Bel Accueil lui fasse tolérez;
maintenant déjà quelque grâce."
Danger de put plus fulminer,
Il lui faut bien se modérer¨ calmer;
"Dames, dit-il, vraiment, je n'ose
plus vous refuser cette chose:
ce serait grande vilenie.¨ méchanceté;
Je veux qu'il ait la compagnie
de Bel Accueil, si ça vous plaît;
Je n'y mettrai aucun arrêt."
Bel Accueil au commencement,
me salua très doucement.
Alors il n'a pris par la main
pour me mener dans le jardin.
Et la longtemps je suis resté;
car en Bel Accueil j'ai trouvé
la sympathie et l'amitié.
Voyant qu'il ne m'a refusé
ni son aide, ni son service,
une chose je l'ai requise¨ demandé;
digne de la lui rappeler:
"Sire, dis-Je, vraiment, sachez
que mol, je suis très désireux
d'avoir un baiser précieux
de la rose à l'odeur légère;
et s'il ne va pas vous déplaire,
je vous le demande en présent¨ cadeau;
Dites-moi, par Dieu tout-puisant,
S'il vous plaît bien, que je la baise
a moins que sa ne vous déplaise."
"Ami, fait-il, par Dieu, c'est vrai,
si Chasteté¨ ne m'en voulait¨ Décence, Pureté; n'était pas fâché contre moi;
Je te l'aurais bien accordé¨ permis;
Je n'ose pas pour¨ Chasteté." à cause de;
Quand j'entends ainsi sa réponse,
à en parler plus je renonce."
Mais Vénus, guerroyant¨ toujours qui fait la guerre;
Chasteté, me vint au secours¨ à l'aide;
En elle il n'y a point¨ d'orgueil. pas;
Vénus se rend¨ à Bel Accueil, va;
et a commencé à lui dire:
Pourquoi vous rendez-vous¨ beau sire, êtes-vous;
À cet amant si opposé
à ce qu'il ait un doux baiser?
Pourquoi vous le lui défendez?
Vous savez bien et vous voyez
qu'il sert et aime en loyauté;
mais il a assez de beauté ’
pour qu'il soit digne¨ d’être aimé. ait le droit;
Voyez comme il est distingué."
Bel Accueil, qui sentit l'ardeur¨ chaleur;
du brandon¨ sans plus de lenteur, feu de la passion;
me permit un baiser en don;
tant¨ fit Vénus et ses brandons. voilà que;
Puis, après, je n'ai plus tardé¨ attendu;
je pris à la rose un baiser
doux et exquis, et sans répit¨ immédiatement;
j'étais heureux, sans contredit,
car une odeur m'entra au corps
qui jeta la douleur dehors
et adoucit les maux d'amour
si amers¨ pendant tant de jours. qui étaient si pénibles;
Ici il est bon que le conte
comment je fus livré a Honte;
par qui je fus bien tourmenté¨ martyrisé;
et comment le mur fut dressé¨ élevé;
et le château, si riche et fort
que prit Amour par ses efforts.
Male Bouche, qui bien devine¨ sait par intuition;
ce que beaucoup d'amants ruminent¨ veulent faire;
qui fait tout le mal qu'elle sait,
s'aperçut du présent parfait
que Bel Accueil daignait¨ me faire. voulait;
Alors, elle ne put se taire¨ ne pas parler;
Là, Male Bouche commença
a m'accuser de ci de ça.
Alors, Danger s'est redressé,
prenant un air¨ tout courroucé¨ allure; furieux;
Il prend un bâton à la main
et cherche dans tout le jardin
s'il ne trouve sentier¨ ni trace petit chemin;
ni trou¨ a boucher¨ là, sur place. ouverture; fermer;
Il est bien temps que je recite¨ raconte;
de Jalousie l'âpre¨ conduite¨ pénible; manière de faire;
car elle eut de mauvaise soupçons¨ mauvaise opinions sur qqn;
Au pays ne reste maçon¨ ouvrier qui bâtit des maisons;
ni ouvrier qu' elle n'emploie¨ prend à son service;
faisant faire d'abord tout droits,
auteur des rosiers des fossés,
qui d'argent, coûtèrent assez
et qui sont larges et profonds.
Sur les fossés les maçons font
un mur de pierres bien taillées¨ coupées;
qui n'est pas sur sable basé
mais fondé sur roche très dure
Le fondement tout sur mesure,
Jusqu'au fond des fossés descend,
à très grande hauteur montant.
Et au milieu de ce jardin
ils ont fait une tour très bien
La tour fut faite toute ronde;
il n'y eut de plus riche au monde.
Jalousie a mis une garde
au grand château dont je vous parle.
Et je pense que Danger porte
la clef de la première porte,
celle qui ouvre sur l'orient¨ l'est;
Et elle a bien XXX sergents
qui travaillent tous à son compte¨ pour elle;
Et l'autre porte garde Honte:
et elle¨ ouvre sur le midi. la porte;
Elle¨ est rusée¨ et je vous dis, Honte; adroite, habile;
qu'elle a des gens en quantité
prêts à faire sa volonté¨ ce qu'elle veut;
Peur a de nombreux chevaliers;
elle fut choisi pour garder
l'autre porte, celle qu'on trouve
à gauche, et qui sur le nord s'ouvre.
Male Bouche, -que Dieu châtie"!
a des soldats de Normandie;
elle surveille le huis¨ droit; la porte;
et sachez bien qu'aux autres trois
elle va souvent qu'elle sait
Que la nuit elle fait le guet¨ la garde;
Jalousie, -que Dieu la confonde¨ ! trouble;
a bien équipé¨ la tour ronde; peuple de soldats;
et sachez bien qu'elle y a mis
des plus privés¨ de ses amis, intimes, fidèles;
c'est une grande garnison.
Et Bel Accueil est en prison,
là dans cette tour, enfermé;
la porte en est trop bien barrée.¨ fermée;
Aussitôt¨ donc que Jalousie immédiatement;
se fut de Bel Accueil saisie¨ avait arrêté B.A.;
et qu'elle l'eut fait emmurer, ¨ enfermer;
Son château, qu'elle vit si fort,
lui a donné du réconfort¨ courage;
Les rosiers sont bien enfermés.
Et en dormant et réveillée
elle peut en être très sûre.
Mais moi, qui suis hors de ces murs
je suis livre à deuil¨ , à peine tristesse;
Qui saurait quelle vie je mène
devrait avoir pitié de moi;
Amour me fait, de tout son poids¨ le plus possible;
payer les biens qu'il m'a prêtés;
que j'aurais voulu acheter.
Je crains avoir perdu aussi
mon espérance¨ et mon crédit¨ confiance dans l'avenir; respect des autres;
Hé! Bel Accueil, beau, doux ami,
si en prison vous êtes mis,
gardez-moi votre cœur sincère;¨ fidèle, loyal;
ne souffrez¨ d'aucune manière tolérez;
que Jalousie, cette sauvage¨ cruelle, brute;
vous mette tout en esclavage¨ dépendance totale;
mais je suis beaucoup angoissé¨ plein de peur;
que vous m'ayez presque oublié.
J'en ai grand deuil¨ et désespoir; tristesse;
jamais je n'aurai plus d'espoir,
si je perds votre bienveillance;¨ bonne volonté;
je n'ai pas d'autre confiance.

5. François Villon

5.1. Ballade des Dames du Temps Jadis

passé;
Dites-moi où, en quel pays
Est Flora¨ , la belle Romaine, déesse romaine des fleurs;
Archipiades¨ , et Thaïs¨ , probablement Alcibiade; Réputée à Athènes pour sa beauté;
Qui fut sa cousine germaine,
Écho¨ parlant quand bruit on mène¨ nymphe; fait du bruit;
Sur la rivière ou sur l’étang,
Qui eut la beauté plus qu'humaine
Mais où sent les neiges d'antan¨ ? du passé;

 
Où est la sage Héloïs¨ Héloise avait une correspondance d'amour platonique avec Abélard;
Pour qui fut châtré et puis moine¨ religieux;
Pierre Abélard¨ à Saint Denis? théologien chrétien;
Pour son amour ce fut la peine¨ punition;
Semblablement, ¨ où est la reine également;
Qui commanda que Buridan¨ philosophe; instigateur du scepticisme religieux;
Fit jeté en un sac en Seine?
Mais où sont les neiges d'antan?

 
La reine Blanche comme lis¨ fleur blanche;
Qui chantait à voix de sirène,
Berthe au grand pied,¨ Biétris¨ , Alis¨ , mère de Charlemagne; aimée de Dante; Aliénor d'Aquitaine;
Harenburgis¨ qui tint le Maine, ¨ Arembour, comtesse du Maine, morte en 1226; fut maîtresse du Maine;
Et Jeanne¨ la bonne Lorraine Jeanne d'Arc;
Qu'anglais brûlèrent à Rouen,
Où sont-elles, Vierge souveraine?¨ la vierge Marie;
Mais où sont les neiges d'antan?

 
Prince, ne cherchez cette semaine
Ou elles sont, ni de cet an,
Pour qu'à ce refrain vous vous tienne
Mais ou sent les neiges d'antan?

 

5.2. Le Testament

LXXV
Il me souvient¨ bien, Dieu merci, je me rappelle;
Que je fis alors en partant¨ en quittant Paris;
Certains lais¨ l'an cinquante-six¨ poésies; en 1456;
Qu'aucuns¨ sans mon consentement, ¨ certain gens; permission;
Voulurent nommer Testament;
Ce fut leur plaisir, non le mien.
Mais quoi? on dit communément¨ souvent;
Qu'aucun n'est maître de son bien.

 
LXXXV
D'abord, je donne ma pauvre âme
À la très Sainte Trinité¨ Dieu en trois personnes;
La recommande a Notre Dame,
Séjour de¨ la divinité¨ qui a porté; Dieu;
Priant touts la charité¨ amour;
Des dignes¨ neuf Ordres¨ des cieux respectueux; hiérarcie des anges;
Que par eux ce don soit porté
Devant le Trône précieux.¨ de Dieu;

 
Ici se clôt¨ le testament finit;
Et finit du pauvre Villon.
Venez a son enterrement,
En entendant le carillon,
Vêtus¨ de rouge vermillon, habillés;
Il mourut en amour martyr.

 
Prince, fier comme émerillon, ¨ oiseau de proie;
Sachez ce qu'il fit au partir:
Il but bien du vin morillon¨ rouge sombre;
Quand de ce monde il dut partir.

 

5.3. Ballade des Pendus

La Renaissance

Frères humains qui après nous¨ vivez, après notre mort;
N'ayez les cœurs contre nous endurcis¨ sans pitié;
Car, si pitié de nous pauvres avez
Dieu en aura plus tôt de vous merci¨ miséricorde;
Vous nous voyez attaches a cinq, six:
Quant à la chair¨ que trop avons nourrie, ¨ le corps; mangé;
Elle est déjà dévorée¨ et pourrie mangée;
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
Que personne de notre mal se rie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre¨ pardonner nos péchés;

 
Si nous vous nommons frères, n'en ayez
pas dédain¨ quoique¨ nous fussions occis¨ ne le rejetez pas; malgré le fait que; tués;
Par Justice. Toutefois¨ vous savez mais;
Que tout homme n'a pas bon sens¨ rassis¨ ? intéligence; sérieux;
Excusez-nous, -car nous sommes transis-,
Envers¨ le fils de la Vierge Marie, auprès de;
Que sa grâce ne soit pour nous tarie¨ mis à sec, fini;
Nous préservant¨ de l'infernale foudre.¨ conservant; feu de l'enfer;
Nous sommes morts, qu'aucun ne nous charrie¨ que personne se ne moque de nous;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre.

 
La pluie nous a lessivés¨ et lavés, nettoyés;
Et le soleil desséchés et noircis;
Pies, corbeaux, nous ont les yeux excavés¨ creusés;
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais, nul temps, nous ne sommes rassis;¨ calme;
Puis ça, puis là, comme le vent varie,
À son plaisir sans cesse il nous charrie, ¨ fait balancer;
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez pas de notre confrérie¨ compagnie;
Mais priez Dieu que tons nous veuille absoudre.

 
Prince Jésus, à qui tous est soumis,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie¨ fias que l'enfer ne nous domine pas;
À lui n'ayons que faire ni que soudre.
Hommes, il n'y a pas de moquerie
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre.

6. Francois Rabelais

6.1. Pantagruel

Ce sera chose inutile ni oiseuse,¨ vu que¨ nous sommes de loisir de vous rappeler la première source et origine dont nous est né le bon Pantagruel. Il vous convient¨ donc de noter qu'au commencement du monde, peu apres qu'Abel fut occis¨ par son frère Caïn, la terre imbue¨ du sang du juste fut certaine année si fertile¨ en tous fruits et singulièrement¨ en mêles. Les hommes et femmes de ce temps mangeaient avec grand plaisir de ce beau et gros fruit, mais des accidents divers leur en advinrent, ¨ car à tous il survint au corps une enflure¨ très horrible, mais non a tous en même lieu. Car d'aucuns¨ enflaient par le ventre; les autres enflaient par les épaules; d'autres croissaient¨ par les jambes; d'autres croissaient par les oreilles. Les autres croissaient le long du corps. Et de ceux-ci sont venue les géants, et par eux Pantagruel; inutile; parce-que; vous devez; tué; pénétrée; productif; spécialement; arrivèrent; agrandissement; certains; grandissaient;
Et le premier fut Chalbroth,
Qui engendra¨ Sarabroth, eut pour enfant;
Qui engendra Faribroth,
Qui engendra Hurtaly, qui fut beau mangeur de soupes et régna au temps du déluge¨ inondations du temps de Noé;
Qui engendra Nemrod,
Qui engendra Atlas, qui, avec ses épaules, garda le ciel de tomber,
Qui engendra . . .
. . . . . . . . . . . . Grandgousier,
Qui engendra Gargantua,
Qui engendra le noble Pantagruel, mon maître.
Gargantua, en son âge de quatre cent quatre vingt quarante et quatre ans, engendra son fils Pantagruel de sa femme Badebec, fille du roi des Amaurotes en Utopie, laquelle mourut de mal d'enfant.
Quand Pantagruel fut né, qui fut bien ébahi¨ et perplexe? Ce fut Gargantua, son père: car, voyant d'un côté sa femme Badebec morte, et de l'autre son fils Pantagruel né, si beau et si grand, il ne savait que dire ni que faire et le doute qui troublait son entendement¨ était de savoir s'il devait pleurer pour le deuil¨ de sa femme ou rire pour la joie de son fils. très étonné; raison; de tristesse d' avoir perdu;
Ainsi croissait¨ Pantagruel de jour en jour, et il profitait à vue d’œil, ce dont son père se réjouissait par affection¨ naturelle. Puis il l'envoya a l’école pour apprendre et passer son jeune âge. grandissait; amour;
Il vint à Paris avec ses gens; et, à son entrée, tout le monde sortit dehors pour le voir, comme vous savez bien que le peuple de Paris est sot Par nature.
Pantagruel étudiait fort¨ bien, comme vous l'entendez¨ assez et profitait de même. ¨ Et comme il était ainsi, demeurant là il reçut un jour une lettre do son père en la manière qui suit: très; comprenez; aussi;

 
Très cher fils,
Entre les dons, grâces et prérogatives¨ desquelles¨ le souverain créateur Dieu tout-puissant a doté et orné¨ l'humaine nature a son commencement, celle-là me semble singulière¨ et excellente par laquelle elle peut, en¨ état mortel, acquerir¨ une espèce¨ d’immortalité, et, en cours¨ de vie transitoire¨ perpetuer¨ son nom et sa semence. ¨ privilèges; dont; décore; spéciale; pendant; avoir; sorte; pendant; mortelle; faire durer; enfants;
C'est pourquoi, ainsi qu'¨ en toi demeure¨ l'image de mon corps, si pareillement¨ ne reluisaient¨ les mœurs¨ de l'âme, l'on ne te jugerait être garde et trésor de notre nom. comme; reste; de la même; brillaient; façon;
C'est pourquoi, mon fils, je t'admoneste¨ que tu emploies ta jeunesse à bien profiter en études et en vertus. ¨ Je veux que tu apprennes les langues parfaitement, premièrement la grecque, comme le veut Quintillien, secondement, la latine et puis l’hébraïque pour les Saintes Écritures. recommande; bonnes qualités;
Des arts libéraux, géométrie, arithmétique, et musique, je t'en donnai quelque goût¨ quand tu étais encore petit, à l'âge de cinq, six ans; poursuis¨ le reste, et d'astronomie, saches-en toutes les règles. appréciation; continue;
En somme¨ que je te voie un abîme de science¨ car avant en résumé; grand savant;
que tu deviennes homme et te fasses¨ grand, il te faudra sortir de cette tranquillité et de ce repos de l'etude et apprendre la chevalerie et les armes pour défendre ma maison. deviennes;
Mais parce que, selon le sage Salomon, sagesse n'entre point en âme malveillante¨ et que science¨ sans conscience n'est que ruine de l'âme, il te convient¨ de servir, aimer et craindre Dieu. de mauvaise volonté; compréhension; tu dois;
Mon fils, la paix et la grâce de Notre-Seigneur soient avec toi. Amen.
D'Utopie, ce dix-septième jour du mois de mars.
Ton père,
GARGARTUA

 
Cette lettre reçue et vue, Pantagruel prit un nouveau courage.
Un jour, Pantagruel, se promenant hors de la ville, rencontra un homme beau de stature et élégant, mais pitoyablement blessé, en divers lieux. Il lui demanda:
"Mon ami, je vous prie¨ qu'un peu veuillez arrêter ici et me répondre à ce que je vous demanderai, et vous ne vous en repentirez¨ point, car j'ai un désir très grand de vous donner aide en mon pouvoir dens la calamité¨ où je vous vois, car vous me faitez grand'pitié. Partant¨ mon ami, dites-moi: Qui êtes-vous? D'où venez-vous? Et quel est votre nom?" demande; le regrettez; misère; donc;
Le compagnon lui répondit en langue germanique:
"Junker, gott geb euch Gluck and Hail. . . . . .
A quoi répondit Pantagruel:
"Mon ami, je n'entends point ce baragouin¨ pourtant, si vous voulez qu'on vous entende, parlez un autre langage. langue incompréhensible;
Alors le compagnon repondit:
"Signor mio, voi videte . . . . . "
"Encore moins, "répondit Pantagruel.
Alors dit Panurge:
"Heer, ic en spreke anders gheen taele dan kersten ¨ taele; my dunkt nochtans, al en seg ik u niet een woordt, mynen noot verklaert genoegh wat ic begeere; geeft my uyt bermhertigheyt yets waar van ic gevoet magh zyn. " Christen;
"Vraiment, mon ami, dit Pantagruel, ne savez-vous parler français.
"Si fait, très bien, seigneur, répondit le compagnon. Dieu merci, c'est ma langue naturelle et maternelle, car je suis né et j'ai été nourri jeune an Jardin de la France: c'est la Touraine. "
"Donc, dit Pantagruel, racontez-nous quel est votre nom et d'où vous venez. "
"Seigneur, dit le compagnon, mon vrai et propre nom de du premier baptisme¨ est Panurge, et à présent¨ je viens de Turquie où je fus mené prisonnier lorsqu'on alla a Mételin en la male heure; et volontiers je vous raconterais mes fortunes¨ qui sont plus merveilleuses que celles d'Ulysse, mais puisqu'¨ il vous plaît de me retenir¨ avec vous, nous aurons, en un autre temps plus commode, assez loisir¨ d'en raconter, car pour cette heure, j'ai nécessité plus urgente de me repaître. ¨ " premièr sacrement; maintenant; aventures; parce qu'; garder; de tenps; manger;
Lors commanda Pantagruel qu'on le menât en son logis et qu'on lui apportât force¨ vivres. ¨ beaucoup de; nourriture;
Peu de temps après, Pantagruel apprit la nouvelle que son père Gargantua avait été transféré¨ au pays des Fées par Morgue; comme le furent jadis¨ Ogier et Artus; et aussi qu'à la nouvelle de son transfert les Dipsodes étaient sortie de leurs limites¨ et avaient dévasté un grand pays d'Utopie, et qu'ils tenaient pour lors assiégé ¨ la grande ville des Amaurotes. transporté; au passé; frontières; encerclé;
Alors il partit de Paris sans dire adieu à personne car l'affaire requérait¨ de la diligence¨ et il vint à Rouen, avec ses compagnons. demandait; rapidité;
Partant de Rouen, ils arrivèrent à Honfleur, ou se mirent sur mer Pantagruel, Panurge, Epistémon, Eusthène et Carpalim; finalement ils arrivèrent au port d'Utopie, distant de la ville des Amaurotes de trois lieues¨ et quelque peu davantage. ¨ 3x4 kilom. ; plus;
Quand ils furent à terre, quelque peu rafraîchis, Pantagruel dit:
"Enfants la ville n'est pas loin d'ici; avant de marcher plus loin, il serait bien de délibérer¨ de ce qu'il y a à faire. Êtes-vous déicides à vivre et à mourir avec moi?" discuter;
"Oui, seigneur, dirent-ils tous; tenez-vous pour assuré¨ de nous comme vos propres doigts. " soyez sûr;
"Eh bien, " dit il, "il n'y a qu'un point que mon esprit tienne pour suspendu ¨ et douteux; c'est que je ne sais en quel ordre ni en quel nombre sont les ennemis qui tiennent la ville assiégée. ¨ " peu sûr; encerclée;
Comme ils disaient cela, ils avisèrent¨ six cent soixante chevaliers. aperçurent;
Alors Pantagruel dit :
"Enfants, retirez-vous sur le navire. Voici de nos ennemis qui accourent, mais je vous les tuerai ici comme des bêtes. "
Alors Panurge répondit:
"Non, Seigneur, il n'y a pas de raison que vous agissiez¨ ainsi; mais, au contraire, retirez-vous sur le navire, vous et les autres, car moi tout seul, je les déconfirai¨ " fassiez; battrai;
Alors Panurge tira deux grandes cordes de la nef. ¨ Et incontinent¨ il entra dans le navire, prit un fagot de paille et un baril¨ de poudre, la répandit¨ par le cercle des cordes. navire; immédiatement; tonneau; met;
Soudain les chevaliers arrivèrent avec une grande force-les premiers chargèrent¨ jusqu’auprès du navire, et, parce que le rivage glissait, ils tombèrent, eux et leurs chevaux, jusqu'au nombre de quarante-quatre. Ce que voyant les autres approchèrent¨ pensant qu'on leur avait resisté¨ à l’arrivee. Mais Panurge, voyant que tous étaient dans le cercle des cordes, cria a Epistemon: attaquèren; vinrent plus près; fait opposition;
"Tire, tire!"
Alors Epistemon commence à tirer, et les deux cordes s’empêtrèrent¨ entre le chevaux et les renversaient¨ par terre bien aisément¨ avec leurs cavaliers; mais, eux, voyant cela, tirèrent l'épée et voulaient les défaire; alors Panurge mit le feu au poudre et les fit brûler tous là comme des âmes damnées¨ ; hommes et chevaux, nul n'en échappa, excepté un qui était monté sur un cheval turc; mais quand Carpalim l’aperçut, il courut après avec une telle hâte¨ "et légèreté¨ qu’il le rattrapa¨ moins de cent pas, et sautant sur la croupe¨ de son cheval, l'embrassa par derrière et l'amena au navire. se mirent; faisaient tomber; facilement; en enfer; vitesse; sou plesse; prit; derrière;
Pantagruel demanda à leur poissonnier:
"Mon ami, dis-nous ici la vérité et ne nous mens en rien si tu ne veux être écorché¨ tout vif, car c'est moi qui mange les petits enfants. Raconte-nous entièrement l'ordre, le nombre et la force de l’armée. " défait de ta peau;
À quoi répondit le prisonnier:
"Seigneur, sachez pour la vérité, qu'il y a en l'armée trois cents géants, tous armés de pierre de taille. ¨ " pour couper;
"Bien, mais, dit Panurge, le roi y est-il?"
"Oui, Sire, dit le prisonnier, il y est en personne et nous le nommons Anarche; roi des Dipsodes, ce qui équivaut¨ à dire "gens altérés¨ " car vous ne vites jamais gens tant altérés ni buvant plus volontiers; et il a sa tente sous la garde des géants. est la même chose que de; qui ont soif;
"C'est assez, dit Pantagruel, va-t'en à ton roi en son camp, et dis-lui des nouvelles de ce que tu as vu, et qu'il se décide a me festoyer¨ demain sur le midi, car aussitôt que mes galères seront venues, ce qui sera demain au plus tard, je lui prouverai¨ par dix-huit cent mille combattants¨ et sept mille géants, tous plus grands que tu me vois, qu'il a fait follement, et contra toute raison, d’assaillir¨ ainsi mon pays. " faire la fête; montrerai; soldats; attaquer;
En quoi Pantagruel feignait¨ d'avoir une armée sur mer. simulait;
Le prisonnier parti, Pantagruel dit à ses gens:
"Enfants, j'ai donné à entendre à ce prisonnier que nous avions une armée sur mer, et aussi que nous leur donnerions l'assaut demain sur le midi, à cette fin¨ que, redoutant¨ la grande venue de nos gens, ils s'occupent¨ cette nuit a se mettre en ordre et a se renforcer; mais cependant mon intention est que nous chargerions¨ sur eux environ à l'heure du premier sommeil. " intention; ayant peur de; travaillent; les attaquerons;
Laissons ici Pantagruel avec ses bons apôtres et parlons du roi Anarche et de son armée.
Quand donc le prisonnier fut arrivé, il se transporta¨ vers le roi et lui conta comment était venu un grand géant, nommé Pantagruel, qui avait déconfit¨ et fait rôtir¨ brûler cruellement tous les six cent cinquante-neuf chevaliers, et lui seul était sauvé pour en porter les nouvelles; de plus il avait la charge ¨ dudit géant de lui dire qu'il lui apprêtait¨ le lendemain vers midi à dîner, car il délibérait de l'envahir¨ alla; battu; ; mission; avait l'intention; attaquer}à la dite heure.;
Maintenant, retournons au bon Pantagruel, et racontons comment il se comporta¨ en cette affaire. ce qu'il fit;
Pantagruel dit à Carpalim:
"Allez à la ville, en montant comme un rat le long de la muraille, comme vous savez si bien faire, et mettez bien le feu en leurs poudres¨ " explosives;
À quoi obtempérant,¨ Carpalim partit soudain et fit comme cela avait été décrété par Pantagruel. obéissant;
Les ennemis, après s’être réveillés, voyant le feu en leur camp, ne savaient dire ni que penser. Les Géants emportèrent leur roi Anarche à leur cou, le mieux qu' ils purent, hors du tumulte. Quand Panurge les aperçut, il dit à Pantagruel:
"Seigneur, voilà les Géants qui sont sortis. Frappez dessus avec votre mat. "
Là-dessus, Pantagruel dit:
"Mais quoi? Hercule n'osa jamais entreprendre¨ contre deux. " se battre;
"C'est bien saletés en mon nez, dit Panurge. Vous comparer à Hercule? Vous avez, pardieu, plus de force aux dents et plus de sens¨ au cul¨ que n'eut jamais Hercule en tout son corps et toute son âme. Tant vaut l'homme qu'il estime. ¨ " intelligence; derrière; se croit fort;
Comme¨ ils disaient ces mots, voici qu'arrive Loup-Garou avec tous ses Géants, et, voyant Pantagruel seul, il fut pris de témérité¨ et d'outrecuidance¨ par l'espoir qu'il avait d'occire¨ le pauvre bonhomme, ce qui lui fit dire à ses gigantesques compagnons: quand; courage fou; arrogance; tuer;
"Paillards¨ de plat pays, par Mahomet! si l'un de vous entreprend¨ de combattre contra ceux-ci, je vous ferai mourir cruellement. Je veux que vous ne laisaiez combattre seul; cependant vous aurez tout votre passe-temps à nous regarder. " vulgaires; commence à;
Alors tous les géants se retirèrent avec leur roi près de l'endroit où étaient les bouteilles, et Panurge leur dit d'une voix enrouée¨ : voilée par l’émotion;
"Jarnibleu! compagnons, nous ne faisons point la guerre; donnez-nous à repaître¨ avec vous, pendant que nos maîtres s'entre-battent. " manger;
À quoi volontiers le roi et les géants consentirent¨ et ils les firent banqueter¨ avec eux. se mirent d'accord; manger;
Loup-Garou s'adressa à Pantagruel avec une massue¨ toute d'acier,¨ pesant neuf mille sept cents quintaux¨ deux quarterons d'acier de Chalybes, au bout de laquelle étaient treize pointes de diamant, dont la moindre était aussi grosse que la plus grande cloche de Notre-Dame de Paris. Ainsi donc, comme¨ il approchait¨ en grande fureur, Pantagruel, jetant les yeux au ciel, se recommanda à Dieu de bon cœur. Puis, Pantagruel, voyant que Loup-Garou approchait la gueule¨ ouverte, lui frappa du pied un si grand coup contre le ventre¨ qu'il le jeta en arrière, jambes en l'air. Et Loup-Garou s’écriait en rendant le sang par la gorge: gros bâton; métal; 100kilos; quand; venait plus près; bouche; bas du corps;
"Mahomet! Mahomet! Mahomet!"
A cette voix, tous les géants se levèrent pour le secourir. ¨ Lorsque Pantagruel les vit approcher, il prit Loup-Garou par les deux pieds et leva son corps en l'air comme une pique; et avec son corps armé d'enclumes¨ il frappait parmi les géants armés de pierres de taille, et les abattait¨ par terre. Faites votre compte qu'il n'en échappa pas un seul. Finalement, voyant que tous étaient morts, il jeta le corps de Loup-Garou tant qu'il put contra la ville, et celui-ci tomba comma une grenouille sur son ventre en la grand-place de ladite ville, et, en tombant, du coup il tua un chat brûlé, une chatte mouillée, une canepetière¨ et un oison bridé. ¨ aider; clous; faisait tomber; petit oie; aux yeux tirés;
Après cette victoire merveilleuse, Pantagruel envoya Carpalim en la ville des Amaurotes dire et annoncer comment le roi Anarche était pris et tous les ennemis défaits. ¨ En entendant cette nouvelle, tous les habitants de la ville sortirent au-devant de lui¨ en bon ordre et en grande pompe triomphale. battus; pour le rencontrer;
Quand Pantagruel avec toute sa bande entra dans les terres des Dipsodes, tout le monde en fut joyeux: incontinent¨ ils se rendirent¨ à lui, et, de leur libre volonté, lui apportèrent les clefs de toutes les villes ou il allait. immédiatement; livrèrent;
Or, Messieurs, vous avez entendu un commencement de l'histoire horrifique de mon maître et seigneur Pantagruel. Ici je mettrai fin au premier livre; la tête me fait un peu mal, et je sens que les registres de mon cerveau¨ sont quelque peu brouillés de cette purée de septembre. Vous aurez le reste de l'histoire à ces foires de Francfort venant prochainement. Bonsoir, messieurs. Pardonnez-moi, et ne pensez pas tant à mes fautes que vous ne pensez bien aux vôtres. tête;
FIN DES CHRONIQUES DE PANTAGRUEL

 

6.2. La vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel

Buveurs très illustres, il faut ouvrir le livre et soigneusement¨ peser¨ ce qui y est déduit.¨ Alors Vous connaîtrez que la drogue contenue dedans¨ est d'une bien autre valeur que ne promettait la boîte, c'est a dire que les matières ici traitée ne sont pas aussi folâtres¨ que le titre au-dessus le prétendait¨ Il vous convient ¨ d’être sages pour fleurer, ¨ sentir et estimer¨ ces beaux livres de haute graisse, légers au pourchas¨ et hardis¨ à la rencontre; puis, par curieuse lecture et méditation fréquente, rompre l'os et sucer la substantifique moelle. attentivement; méditer; conclu; qui est dans; frivoles; fait croire; vous devez; goûter; apprécier; lecture; osés;
Je vous remets¨ à la Grande Chronique Pantagruéline pour reconnaître la généalogie et l'antiquité dont nous est venu Gargantua.En celle-ci, vous entendrez plus au long comment les géants naquirent¨ en ce monde, et comment d'eux, par lignes directes, sortit Gargantua, père de Pantagruel. renvoie; sont nés;
Grandgousier était bon gaillard en son temps, aimant boire net autant qu'homme qui, pour lors¨ fut au monde, et il mangeait volontiers salé. En son age viril¨ il épousa Gargamelle, fille du roi des Parpaillots, belle, rouge et de bonne trogne¨ ;elle engrossa d'un beau fils, et le porta jusqu'au onzième mois. Sitôt¨ qu'il fut né, il ne cria pas comme les autres enfants: "Mies!mies!, " mais, a haute voix, il s'écriait:"À boire! À boire!" comme invitant tout le monde à boire. alors; d'homme; visage; immédiatement après;
Le bonhomme Grandgousier entendit le cri horrible que son fils avait fait en entrant en la lumière de ce monde, quand il bramait¨ demandant:"À boire! À boire! À boire! dont il dit:"Que grand tu as!(suppléez)le gosier. Ce qu'entendant, les assistants¨ dirent que vraiment il devait avoir pour cela le nom de Gargantua puisque¨ telle avait été la première parole de son père à sa naissance. criait; ceux qui étaient là; parce que;
Et lui furent ordonnées dix sept mille neuf cent treize vaches de Pontille et de Bréhémont pour l'allaiter.¨ lui donner du lait;
En cet état il passa jusqu'`a un an et dix mois; s'il advenait qu'il fut dépité¨ courroucé¨ fâché ou marri,¨ s'il trépignât,¨ s'il pleurait s'il criait on lui apportait à boire et soudain il demeurait¨ coi¨ et joyeux. déçu; furieux; triste; frappait des pieds; restait; calme;
Gargantua, depuis trois jusqu'à cinq ans, fut nourri et instruit en toute discipline convenable¨ par le commandement de son père, et il passa ce temps comme les petits enfants du pays; c'est à savoir: à boire, manger et dormir;à boire, manger et dormir;à boire, manger et dormir.Toujours il se vautrait¨ par les fanges,¨ se noircissait, le nez, se barbouillait¨ le visage, éculait¨ ses souliers et courait volontiers après les papillons. correcte; roulait; saletés; salissait; usait;
Sur la un de la cinquième année, le bonhomme Grandgousier dit à ses gouvernantes:
"Je le veux bailler¨ à quelque homme savent pour l'endoctriner selon sa capacité. Et je n'y veux rien épargner." donner;
De fait, l'on lui enseigna¨¨ et il y fut cinq ans et trois mois. Mais notez que, cependant, il lui apprenait a écrire gothiquement et écrivait tous ses livres, car l'art d'impression n’était pas encore en usage. Alors son père s’aperçut que vraiment il étudiait très bien et y mettait tout son temps, toutefois¨ qu'en rien il ne profitait, et qui pis¨ est, qu'il en devenait fou, niais,¨ tout rêveur et assoti.¨ donna comme maître un grand docteur en théologie, nommé maître Thubal Holopherne , qui lui apprit son A , B, C, si bien qu'il le disait par cœur à rebours; en sens contraire; mais; plus grave; bête; stupide;
De quoi se complaignant¨ à don Philippe de Marais, vice-roi de Papeligosse, il entendit que mieux lui vaudrait¨ rien n'apprendre qu'apprendre de tels livres, sous tels précepteurs¨ car leur savoir n'est que bêtise, et leur science que mufles¨ abâtardissement¨ les bons et nobles esprits et corrompant toute fleur de jeunesse. Puisqu'il en est ainsi, prenez, dit-il, quelqu'un de ces jeunes gens du temps présent qui ait seulement étudie deux ans. protestant; il serait mieux; maîtres; bêtises; dégénerants;
Ce qui à Grandgousier plut très bien, et il commanda qu'ainsi fût fait. Et au soir, en soupant, ledit des Marais introduit un sien jeune page de Villegongis, nommé Eudémon. Pour savoir quel précepteur¨ l'on pourrait lui donner, il fut avisé¨ qu'à cet office¨ serait mis Ponocrate, pédagogue d'Eudémon, et que tous ensemble iraient à Paris pour connaître¨ quelle était l'étude des jouvenceaux¨ de France pour ce temps-ci. maître; convenu; service; savoir; jeune gens;
En cette même saison, Fayoles, quatrième roi de Numidie, envoya du pays d'Afrique à Grandgousier une jument¨ la plus énorme et la plus grande qui fût jamais vue; comme vous le savez assez, l'Afrique apporte toujours quelque chose de nouveau.Lorsque Grandgousier la vit: "Voici bien le cas, dit-il, de porter mon fils à Paris. Or ça, par Dieu, tout ira bien. Il sera grand clerc¨ plus tard." femelle de cheval; savant;
Le lendemain, après avoir bu, comme vous l'entendez, prirent chemin Gargantua, son précepteur et ses gens, ainsi que¨ Eudémon, le jeune page. Finalement ils arrivèrent à Paris auquel lieu il se rafraîchit deux ou trois jours, faisant chère lie¨ avec ses gens, et s'enquérant¨ quels gens savants étaient pour lors en la ville et quels vin on y buvait. Il visita la ville, et fut vu de tout le monde en grande admiration. Et tant importunément¨ ils le poursuivaient qu'il fut contraint de se reposer sur les tours de l'église Notre-Dame. Cela fait, il considéra¨ les grosses cloches qui étaient auxdites tours et les fit sonner, bien harmonieusement.Ce que faisant, il lui vint en pensée qu'elles serviraient bien de clochettes au cou de sa jument. De fait il les emporta a son logis. et aussi; mangeant bien; s'informant; indiscrètement; regarda;
Toute la ville fut émue¨ en sédition.¨ Croyez que le lieu auquel se rassembla¨ le peuple, tout affolé¨ et ahuri¨ fut Nesle où alors était, -maintenant plus- l'oracle de Leucèce. Là fut proposé le cas, et remontré¨ l'inconvénient¨ des cloches transportées. Après avoir bien ergoté¨ pro et contra, i l fut conclu que l'on enverrait le plus vieux et le plus suffisant de la Faculté vers Gargantua, pour lui remontrer¨ l'horrible inconvénient de la perte de ces cloches. Et, nonobstant¨ la remontrance¨ de quelques-uns de l’université, qui alléguaient¨ que cette charge¨ convenait¨ mieux à un orateur qu'à un sophiste, fut pour cette affaire élu¨ notre maître Janotus de Bragnardo. Le théologien fut conduit en pleine ville et commença comme suit en toussant: troublé; révolte; réunit; perplexe; perplexe; discuté; conséquence pénible; chicané; dire; malgré; observation; argumentaient; misson; s'accordait; choisi;
"Ehen, hen, hen! Mna dies¨ monsieur, mna dies, et vobis¨ messieurs. Ce ne serait que bon que vous nous rendissiez nos cloches, car elles nous sont fort besoin.¨ Hen, hen, hasch! Nous en avions bien autrefois¨ refusé de bon argent de ceux de Londres en Cahors. Reddite quae sunt Caesaris Gaesari at quae sunt Dei Deo.¨ Par ma foi, Dominene, ¨ si vous voulez souper avec moi in camera¨ par le corps de Dieu! O, monsieur! Domine, clochi dona minor nobis:Ça, je vous prouve que vous me les devez donner. bona dies=bonjour; à vous; nécessaire; au passé; Donnez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu; Seigneur; dans la chambre;
Ego sic argumentor. Omnis clocha clochabilis in clocherio clochando clochans clochativo clochare facit clochabiliter clochantes. Parisius habet clochas. Ergo gluc. Ha, ha, ha, c'est parler, ça!
Le théologien n'eut pas sitôt¨ achevé que Ponocrate et Eudémon s'esclaffèrent¨ de rire tant profondément qu’ils en pensèrent rendre l'âme à"Dieu.¨ Ces rires une fois calmés, Gargantua consulta avec ses gens sur ce qu’il convenait de¨ faire.Là, Ponocrate fut d'avis qu'on fît reboire ce bel orateur. Le tout fut fait ainsi qu'il avait été délibéré. eut à peine; éclatèrent; mourir; on devait;
Les premiers jours ainsi passés et les cloches remises en leur lieu¨ les citoyens de Paris, par reconnaissance¨ de cette honnêteté,¨ s'offrirent de l'entretenir¨ et de le nourrir sagement¨ tant qu'il lui plairait-ce que Gargantua prit¨ bien à gré, ¨ et ils l’envoyèrent en la forêt de Bière. en place; pour remercier; bonté; nourrir; sérieusement; accepta; volontiers;
Il disposait donc de ¨ son temps de telle façon qu'il se réveillait soudainement entre huit heures et neuf heures, qu'il fut jour ou non: ainsi, l'avaient ordonné ses régents théologiques. Puis il déjeunait: belles tripes¨ frites, belles grillades, beaux jambons, belles carbonnades et force soupes de premier matin. Après avoir bien déjeuné, il allait a l’église. La, il entendait vingt-six ou trente messes. Au sortir de l’église, il étudiait quelque méchante demi-heure, les yeux fixés sur son livre, mais, comme dit le Comique, son âme était dans la cuisine. employait donc; viande;
En ce temps-là, qui était la saison des vendanges¨ au commencement de l'automne, les bergers de la contrée étaient à garder les vignes et empêcher¨ que les étourneaux¨ ne mangeassent les raisins. En même temps, les fouaciers¨ de Lerné passaient par le grand chemin, menant dix ou douze charges de fouaces¨ à la ville.Les-dits bergers leur demandèrent gentiment de leur en donner pour leur argent, au prix du marché. À leur requête¨ ne furent aucunement favorable lea fouaciers, mais ¨¨ est) les outrageaient¨ grandement, les appelant trop grande parleurs, brèche-dents, plaisants, rouquins,¨ débauchés,¨ chienlits, fainéants, ivrognes, berges de merde et autre telles épithètes¨ diffamatoires.¨ Auquel outrage, un d'entre eux, nommé Frogier, bien honnête homme de sa personne répondit doucement: "Depuis quand avez-vous pris des cornes¨ que vous êtes devenus si arrogants? Pourtant, vous aviez bien l'habitude de nous en donner volontiers, et maintenant vous vous y refusez!" récoltes des raisins pur le vin; prévenir; oiseaux; boulangers; petit pains; demande; qui pis; plus grave; offensaient; gens roux; immoraux; caractéristiques; offensantes; offense;
Alors Marquet, grand bâtonnier¨ de la Confrérie des fouaciers lui dit: représentant;
"Vraiment tu es très crétin¨ ce matin;tu mangeas hier soir trop de mais. Viens ça, viens ça, je te donnerai dema fouace." idiot;
Alors Frogier, en toute simplesse approcha, mais l'autre lui bailla¨ de son fouet¨ à travers les jambes si rudement que les nœuds y apparaissaient; puis il voulut prendre la fuite. Mais Frogier s'écria:"Au meurtre" et "à la force!" tant que les autres bergers et bergères entendant le cri de Frogier y vinrent avec leurs frondes¨ et bâtons et les suivirent à grands coups de pierres. Les fouaciers aidèrent à monter Marquet, qui était vilainement¨ blessé et retournèrent à Lerné. frappa; cravache; lance-pierres; mal;
Les fouaciers retournés à Lerné, soudain, avant de boire et de manger, se transportèrent au Capitole, et là, devant leur roi, nommé Picrochole, troisième de ce nom, exposèrent leur plainte¨ disant que le tout avait été fait par les bergers de Grandgousier. Lui, il entra incontinent¨ en un courroux¨ furieux, et sans demander quoi ni comment, fit crier par son pays" le ban et l’arrière-ban.¨ Alors, sans ordre ni mesure, ils prirent les champs.Ils firent tant, pillant ¨ et larronnant¨ qu'ils arrivèrent à Seullly, et détroussèrent¨ hommes et femmes, et prirent ce qu'ils purent: rien ne leur fut trop griefs; immédiatement; fureur; mobilisa le pays entièrement; volant; volant; volèrent des;
chaud ni trop pesant;¨ le bourg¨ ainsi pillé, ils se transportèrent en l'abbaye avec un horrible tumulte, mais ils la trouvèrent bien resserrée et fermée. lourd; vilage;
Dans l'abbaye il y avait alors un moine¨ cloîtré, nommé frère Jean des Entommeures, jeune galant, pimpant, ¨ alerte, bien adroit, hardi, ¨ aventureux, décide, haut, maigre, bien fendu en gueule,¨ bien avantagé en nez, beau dépêcheur d'heures, beau débrideur de messes, beau décrotteur de vigiles, pour tout dire sommairement¨ un vrai moine.Il mit bas son grand habit et se saisit du bâton de la croix et de son bâton de la croix il donna¨ si brusquement sur les ennemis sans crier gare, ¨ qu'ils les renversait¨ comme des porcs, frappant à tort et à travers, selon la vieille escrime.¨ religieux; gracieux; courageux; beau parleur; en résumé; frappa; attention; faisait tomber; exercice d'armes;
Pendant que le moine escarmouchait¨ comme nous avons dit, contre ceux qui étaient entrée dans le clos, Picrochole, avec une grande hàte, passa le gué¨ de Véde avec ses gens et assaillit¨ la Roche-Clermaud. Au matin il prit d'assaut les boulevards¨ et le château. se battait; passage d'une rivière; attaqua; bastions;
Or, laissons-les là, et retournons à notre bon Gargantua, qui est à Paris, et au vieux bonhomme Grandgousier, son père. Un des bergers qui gardaient les vignes, nommé Pillot, se transporta vers lui, a cette heure-là et raconta entièrement les excès et pillages¨ que faisait Picrochole, roi de Lerné, en ses terres et domaines, et comment il avait pillé, gâté, saccagé¨ tout le pays, excepté le clos¨ de Seuilly que frère Jean des Entommeures avait sauve en son honneur. ravages; ravagé; jardin;
"Hélas! hélas! dit Grandgousier. Qu'est ceci, bonnes gens? Songeai-je,¨ ou est-ce vrai ce qu'on me dit? est-ce que je rêve;
Il envoya donc sur l'heure¨ le Basque, son laquais, quérir en toute hâte Gargantua. directement;
Gargantua, qui était sorti de Paris aussitôt lues¨ les lettres de son père, venant sur sa grande jument, avait déjà passé le pont de la Nonnain, et, trouvant sur son chemin un haut et grand arbre, il dit: immédiatement après avoir lu;
Voici ce qu'il me fallait. Cet arbre me servira de bourdon¨ et de lance." bâton;
Et il l'arracha¨ facilement de la terre et en ôta¨ les branches, et le prépara pour son plaisir. Gargantua, venu à l'endroit du bois de Vède, fut avisé¨ par Eudémon qu'il y avait dans le château quelque reste des ennemis. tira; retira; informé;
Alors il choqua de son grand arbre contre le château, et abattit¨ à grands coups et tours et bastions, et ruina tout par terre. Par ce moyen ils furent tous rompus et ceux qui y étaient furent mis en pièces. ravagea;
Alors, Picrochole et ses gens, connaissant¨ que tout était désespéré, prirent la fuite en tous endroits.¨ comprenant; dans toutes les directions;
Après leur retraite, Gargantua premièrement recensa¨ les gens, et trouva que peu d'entre eux avaient péri¨ dans la bataille. Puis il les fit rafraîchir et commande à ses trésoriers¨ que ce repas leur fût payé. Puis ceux-là gui étaient morts, il les fit honorablement inhumer dans la vallée des Noirettes et au champ de Brûle-ville. Les blessées, il les fit panser¨ et traiter dans son grand hôpital. compta; étaient mort; hommes de finances; soigner;
Restait seulement le moine à pourvoir¨ et Gargantua voulait le faire abbé de Seuilly, mais il le refusa.Il voulut lui donner l'abbaye de Bourgueil, mais le moine lui fit une réponse péremptoire¨ qu'il ne voulait ni la charge, ni le gouvernement de moines: récompenser; décisive;
"Car comment, disait-il, pourrais-je gouverner autrui¨ moi qui ne saurais me gouverner moi-même? S'il vous semble que je vous aie rendu et que je puisse à l'avenir vous rendre un service agréable, permettez-moi de fonder¨ une abbaye selon mon plan." les autres; créer;
La demande plait à Gargantua, et il offrit tout son pays de Thélème, et il¨ requit¨ à Gargantua d'instituer sa règle religieuse au contraire de toutes les autres. frère Jean; demanda;
"Premièrement donc, dit Gargantua, il ne faudra plus bâtir de murailles d'enceinte¨ car toutes les autres abbayes son farouchement¨ murées." qui entourent l’abbaye; terriblement;
"C'est vrai, dit le moine, et non sans cause; où il y a un mur, devant ou derrière, il y a du murmure, envie¨ et conspirations¨ mutuelles" jalousie; intrigues;
De plus parce qu'aux couvents¨ de ce monde tout est compasse,¨ limité et réglé par heures, il fut décrété qu'il n'y aurait là ni horloge, ni cadran aucun. Mais, selon les occasions et opportunités¨ toutes les œuvres seraient dispensées.¨ Car, disait Gargantua, la plus vraie perte de temps qu'il sut était de compter les heures. abbayes; réglé; moments favorables; permises;
Quel bien en arrive-t-il? Et la plus grande rêverie du monde était de se gouverner au son d'une cloche, et non à la dictée du bon sens¨ et de l'entendement.¨ raison; intelligence;
Item, parce qu'en ce temps-la on ne mettait au couvent des femmes que celles qui étaient borgnes, ¨ boiteuses, ¨ bossues, ¨ laides, folles, mal formées, ni, les hommes, sinon catarrheux, mal nés, sots, il fut ordonnés que là ne seraient reçus que les belles, bien formées et de belle nature. aveugles; invalides; déformées;
Item, parce qu'aux_couvents des femmes n'entraient pas les hommes, sinon à la dérobée¨ et clandestinement, il fut décrété que jamais ne seraient là les femmes au cas où les hommes n'y seraient pas, ni les hommes au cas ou les femmes n'y seraient pas. en secret;
Item, parce tant¨ hommes que femmes, une fois reçus en religion, après l’année d’épreuve¨ étaient forcés et astreint d'y demeurer¨ perpétuellement¨ leur vie durant, il fut établi¨ que tant hommes que femmes reçus la sortiraient quand bon leur sembleraient¨ librement et entièrement. aussi bien; essai; rester; pour toujours; décrété; quand ils voulaient;
Item, parce qu'ordinairement les religieux faisaient trois vœux¨ à savoir de chasteté,¨ de pauvreté et d’obéissance, il fut constitué¨ que la on pourrait être honorablement marié, que chacun pourrait être riche et vivre en liberté. promesses; abstinence sexuelle; décrété;
Comment étaient règles les Thélémites¨ en leur manière de vivre? Toute leur vie était employée, non par des lois, statuts ou règles, mais selon leur vouloir et leur libre arbitre.¨ Ils se levaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur venait. Nul ne les veillait, nul ne les forçait ni à boire, ni à manger, ni à faire autre chose. Ainsi l'avait établi¨ Gargantua. habitants de l’abbaye de Thélème; volonté; décrété;
En leur regle n’était qu'une clause:
FAIS CE QUE TU VOUDRAS
parce que des gens libres, bien nés,¨ bien instruits, conversant en compagnies honnêtes¨ ont par nature un instinct et un aiguillon¨ qui les pousse¨ toujours à des actes vertueux¨ et les retire du vice¨ lequel instinct ils nommaient honneur. nobles; civilisés; stimulant; fait aller; de bonne morale; immoralités;

7. La pléiade

7.1. Joachim du Bellay

7.1.1. Défense et illustrations de la langue Française

Les langues ne sont pas nées d'elles-mêmes, mais toute leur vertu¨ est née de la volonté des mortels.¨ Cela est une grande raison pourquoi on ne doit pas ainsi louer¨ une langue et blâmer un autre, vu qu'elles viennent toutes d'une même origine. A ce propos¨ je ne peux pas assez blâmer la sotte arrogance et la témérité¨ de certains de notre nation qui méprisent¨ et rejettent toutes choses écrites en français; et je ne peux pas assez m’émerveiller¨ de l’étrange opinion de certains savants qui pensent que notre langue vulgaire soit incapable de toutes bonnes lettres¨ et érudition.¨ À ceux-ci je veux bien, s'il m'est possible, faire changer d'opinion par quelques raisons que brièvement¨ j'espère déduire.¨ principe; hommes; glorifier; pour cela; arrogance; ne respectent pas; étonner; littérature; grand savoir; en quelques mots; faire conclure;
Si notre langue n'est pas si riche que le grec ou le latin, cela ne doit pas être impute au défaut¨ d’elle-même, mais on doit l'attribuer à ¨ l'ignorance¨ de nos ancêtres. Mais qui voudrait dire que le grec et le latin eussent toujours été en l'excellence qu'on les a vus du temps d’Homère et de Démosthène, de Virgile et de Ciceron? critiquer; chercher la cause dans; manque des connaissances;
Si les Romains eussent étê négligents¨ à la culture de leur langue, elle ne serait pas devenue si grande. Mais eux ils l'ont restauré de rameaux¨ magistralement tirés de la langue grecque. inattentifs; branches;
Le temps viendra que notre langue, qui commence encore à jeter ses racines, sortira de la terre, et s’élèvera en telle hauteur et grosseur qu'elle pourra s’égaler au grec et au latin.
Celui qui voudra enrichir sa langue doit donc se mettre à l'imitation des meilleurs auteurs grecs et latins; car il n'y a pas de doute que la plus grande partie de l'art soit contenue en l'imitation.

7.1.2. Nostalgie

Heureux qui, comme Ulysse,¨ a fait un beau voyage, Odysseus;
Ou comme celui-lਠqui conquit la toison, Jason, qui conquis la toison d'or;
Et puis est retourné, plein d'usage¨ et raison, expérience;
Vivre entre ses parents le reste de son âge!

 
Quand reverrai-je, hélas! de mon petit village
Fumer la cheminée? Et en quelle saison
reverrai-je le clos¨ de ma pauvre maison, jardin;
Qui m'est une province et beaucoup davantage¨ ? plus;

 
Plus me plaît le séjour¨ qu'on bâti mes aîeux¨ maison; ancêtres;
Que des palais romains le front audacieux,¨ arrogant;
Plus que le marbre dur ne plaît l'ardoise¨ fine des toits;

 
Plus mon Loire gaulois que le Tibre¨ latin rivière à Rome;
Plus mon petit Liré que le mont Palatin
Et plus que l'air marin la douceur angevine.

7.2. Pierre de Ronsard

7.2.1. Ode à Cassandre

Mignonne¨ allons voir si la rose chérie, aimée;
Qui ce matin avait déclose¨ ouvert;
Sa robe de pourpre¨ au soleil rouge;
N'a point perdu, cette vêprée,¨ ce soir;
Les plis de sa robe pourprée
Et son teint au vôtre pareil¨ identique;

 
Las¨ ! voyez comme en peu d'espace¨ hélas; temps;
Mignonne, elle a dessus la place
Las! las! ses beautés laissé choir¨ tomber;
O vraiment marâtre¨ Nature, mauvaise mère;
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir!

 
Donc¨ si vous me croyez, mignonne, en concluant;
Tandisque¨ votre âge fleuronne¨ pendant que; est en fleurs;
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse:
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir¨ votre beauté. disparaître;

7.2.2. À une jeune morte

Comme on voit sur la branche, au mois de mai, la rose,
En sa belle jeunesse, en sa première fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l'aube¨ de ses pleurs, au point du jour l'arrose; commencement du jour;

 
La Grâce dans sa feuille et l'Amour se repose,
Embaumant¨ les jardins et les arbres d'odeur; remplissant;
Mais, battue¨ ou de¨ pluie ou d’excessive ardeur¨ frappé; par; chaleur;
Languissante¨ elle meurt, feuille à feuille déclose.¨ perdisant l'énergie; ouverte;

 
Ainsi, en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque t'a tuée, et cendre¨ tu reposes. comme poussière;

 
Pour obsèques¨ reçois mes larmes et mes pleurs, dernier honneur;
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin¨ que, vif et mort, ton corps ne soit que roses. pour faire que;
(Amours de Marie)

7.2.3. La Vieillesse (sonnets à Hélène)

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant¨ et filant¨ faisant des boules de fil; faisant du fil;
Direz, chantant mes vers, et vous émerveillant¨ vous étonnant;
"Ronsard me célébrait¨ du temps que j’étais belle." glorifiait;

 
Lors vous n'aurez servante oyant¨ telle nouvelle, entendant;
Déjà sous le labeur¨ à demi sommeillant,¨ travail; dormant;
Qui, au bruit de Ronsard, ne s'aille réveillant
Bénissant votre nom de louange¨ immortelle éloge;

 
Je serai sous la terre et, fantôme¨ sans os, esprit;
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos
Vous serez au foyer une vieille accroupie.

 
Regrettant mon amour et votre fier dédain¨ mepris;
Vivez, si vous m'en croyez, n'attendez a demain
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie

8. Michel de Montaigne

8.1. Les essais

8.1.1. Que philosopher c'est apprendre à mourir

Le but de notre carrière, c'est la mort; c'est l'objet nécessaire de notre visée¨ si elle nous effraie, ¨ comment est-il possible d'aller un pas en avant sans fièvre?¨ attention; fait peur; temperature;
Le remède¨ du vulgaire, ¨ c'est de n'y penser pas. Mais de quelle brutale¨ stupidité lui peut venir un si grossier aveuglement? Ce n'est pas merveille¨ s'il est si souvent pris au piège.¨ médicament; la masse; brute; étonnant; dupé;
On fait peur à nos gens¨ seulement en nommant la mort, et la plupart s'en signent¨ comme au nom du diable. aux hommes; font un signe de la croix;
Il n'y a justement que quinze jours que j'ai franchi¨ trente-neuf ans: il m'en faut, pour le moins, encore autant. Cependant s'empêcher de penser à une chose si éloignée, ce serait folie. Mais quoi?les jeunes et les vieux laissent¨ la vie de la même manière. passé 'âge de; quittent;
Pauvre fou que tu es, qui t'a établi¨ les termes de ta vie.Tu te fondes¨ sur les comptes des médecins; regarde plutôt l'effet¨ et l’expérience.¨ fixé; bases; résultat; pratique;
Il est plein de raison et de piété¨ de prendre l'exemple de l’humanité même de Jésus-Christ: or, il finit sa vie à trente-trois ans. Le plus grand homme, simplement¨ homme, Alexandre, mourut aussi à ce terme. Ces exemples nous passant devant les yeux, comment est-il possible qu'on puisse se défaire de la pensée de la mort, et qu'à chaque instant¨ il ne nous semble qu'elle nous tienne au collet?¨ religiosité; seulement; moment; surprenne;
Parmi les fêtes et la joie, ayons toujours ce refrain de la souvenance¨ de notre condition¨ et ne nous laissons pas si fort emporter au plaisir que parfois il ne nous repasse en la mémoire en combien de sortes notre allégresse¨ est en butte à la mort, et de combien de prises¨ elle la menace.¨ souvenir; situation; joie; dangers; lui fait risquer;
Il est incertain où la mort nous attend, attendons-la Partout.La préméditation de la mort est préméditation de la liberté: qui a appris à mourir, a désappris à servir¨ ; il n'y a rien de mal dans la vie pour celui qui a bien compris que la privation¨ de la vie n'est pas mal. Le savoir mourir nous affranchit¨ de toute sujétion¨ et contrainte.¨ être dépendant; perte; libère; soumission; dépendante;

8.1.2. Apologie de Raymond Sebond

Le Classicisme

Considérons¨ donc pour cette heure¨ l'homme seul, sans secours, ¨ étranger armé seulement de ses armes et dépourvu¨ de la grâce et de la connaissance divine¨ qui est tout son honneur, s a force et le fondement de son être. Est-il possible de rien imaginer si ridicule que cette misérable et chétive¨ créature, qui n'est pas seulement maîtresse de soi. étudions; maintenant; aide; sans; de Dieu; pauvre;
La présomption¨ est notre maladie naturelle et originelle. La plus calamiteuse¨ et frêle¨ de toutes les créatures, c'est l'homme, et en même temps la plus orgueilleuse.¨ Elle se sent et se voit logée ici, parmi la bourbe¨ et le fient¨ du monde et se va plantant¨ par imagination au-dessus du cercle de la Lune et, ramenant le ciel sous ses pieds. C'est par la vanité¨ de cette même imagination qu'il s’égale à Dieu, qu'il s'attribue¨ les conditions¨ divines.¨ arrogance; catastrophique; fragile; arrogante; ordures; saleté; se place; caractère prétentieux; donne; talents; de Dieu;
Nous ne sommes ni au-dessus, ni au-dessous du reste: tout ce qui est sous le Ciel, dit le sage, court une loi et une fortune pareille.
Ainsi me faut-il voir enfin s'il est en la puissance¨ de l'homme de trouver ce qu'il cherche; et si cette quête¨ qu'il y a employée depuis tant de siècles, l'a enrichi de quelque nouvelle force et de quelque vérité solide. Je crois qu'il me confessera s'il parle en conscience¨ que tout le profit qu'il a retiré d'une si longue poursuite¨ c'est d'avoir appris à reconnaître sa faiblesse. au pouvoir; recherche; sérieusement; étude;
Aussi ne fais-Je pas profession¨ de savoir la vérité et d'y atteindre, ¨ Le plus sage homme qui fut jamais¨ quand on lui demanda ce qu'il savait, répondit qu'il savait cela qu'il ne savait rien. prétention; arriver; Socrate;
Combien diversement jugeons-nous des choses? Combien de fois changeons-nous nos fantaisies? Ce que je tiens aujourd'hui et ce que je crois, je le tiens et le crois de toute ma croyance; mais ne m'est-il pas advenu¨ non une fois, mais cent, mais mille, et tous les jours, d'avoir embrassé¨ quel qu’autre chose que depuis j'aie jugée fausse? Au moins faut-il devenir sage a ses propres depens.¨ arrivé; accepté; coût;
Mais qu'est-ce donc qui est véritablement? Ce qui est éternel, c'est à dire ce qui n'a jamais eu de naissance, ni aura jamais de fin; à qui le temps n'apporte jamais aucune mutation.¨ Dieu seul est, non point selon aucune mesure du temps, mais selon une éternité immuable et immobile, non mesurée¨ par le temps, ni sujette ਠaucune déclinaison¨ changement; réglé; dépendant de; dégénération;
À cette conclusion si religieuse d'un homme païen¨ je veux joindre¨ seulement ce mot d'un témoin¨ de même condition; O la vile¨ chose, dit-il, et abjecte que l'homme, s'il ne s’élève au-dessus de l'humanité:"voilà un bon mot et un utile désir, mais pareillement¨ absurde. Car de faire la poignée plus grande que le poing et la brassée plus grande que le bras, et d’espérer enjamber plus que l’étendue¨ de nos jambes, cela est impossible et monstrueux.contre nature Ni que l'homme ne monte au-dessus de soi et de l'humanité: car il ne peut vois, que de ses yeux, ni saisir que de ses prises. Il s’élèvera si Dieu lui prête extraordinairement la main; il s’élèvera, abandonnant¨ et renonçant¨ a ses propres moyens, et se laissant et soulever par les moyens purement célestes.¨ ici: Platon; ajouter; personne qui prouve qqc; ici:Sénèque; basse; également; longueur; quittant; n’employant plus; du ciel};
C'est à notre foi chrétienne, non à sa vertu stoïque de prétendre¨ à cette divine et miraculeuse métamorphose. faire valoir ses droits;

9. René Descartes et le rationalisme

9.1. Discours de la méthode

POUR BIEN CONDUIRE¨ SA RAISON ET POUR CHERCHER LA VÉRITÊ DANS LES SCIENCES ¨ diriger; études;
Le bon sens¨ est la chose du monde la mieux partagée.¨ Ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement¨ égale en tous les hommes; et ainsi que¨ la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les par le fait que les uns sont plus raisonnables¨ que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons¨ nos pensées par diverses voies,¨ et ne considérons¨ pas les mêmes choses. raison; distribuée; parle nature; comme; intelligents; dirigeons; routes; observons;
Pour la raison, d'autant¨ qu'elle est la seule chose qui nous rend hommes et nous distingue¨ des bêtes, je veux croire qu'elle est tout entière¨ en chacun, et qu'il n'y a du plus ou du moins qu'entre les accidents ¨ et non point entre les formes ou natures des individus d'une même espèce¨ Parce que la r.; différencie; totale; changements de la fortune; genre;
Sitôt¨ que l'âge me permit de sortir de la sujétion¨ de mes précepteurs¨ je quittai entièrement l'étude des lettres;¨ et, me résolvant¨ de ne chercher plus d'autre science que celle qui pourrait se trouver en moi-même, ou bien dans le grand livre du monde,¨ j'employai le reste de ma jeunesse à voyager, et partout a faire réflexion¨ sur les choses qui se présentaient. Car il me semblait ¨ que je pourrais rencontrer plus de vérité dans les raisonnements que chacun fait touchant¨ les affaires qui lui importent¨ que dans ceux que fait un homme de lettres¨ dans son cabinet. immédiatement quand; tyrannie; professeurs; littérature; décidant; =la vie; réfléchir; je pensais; sur; importantes pour lui; savant;
Le plus grand profit que j'en retirais était que voyant plusieurs choses qui, bien qu'¨ elles nous semblent fort¨ extravagantes¨ et ridicules, ne laissent pas d’être¨ communément¨ reçues¨ et approuvées par d'autres peuples, j'apprenais à ne rien croire trop fermement de ce qui m avait été persuadé;¨ et ainsi je me délivrais¨ peu a peu de beaucoup d'erreurs.¨ malgré le fait que; très; anormales; sont pourtant; partout; acceptés; ici:appris; libérais; fautes;
Mais, après que j'eus employé quelques années a lire ainsi dans le livre du monde ¨ et a tacher¨ d’acquérir¨ quelque expérience, je pris un jour la résolution¨ d'étudier en moi-même. pratique de la vie; essayer; avoir; décision;
J’étais alors¨ en Allemagne. Le commencement de l'hiver m'arrêta en un quartier ou demeurais tout le jour enfermé dans un poêle¨ où j'avais tout le loisir ¨ de m'entretenir¨ de mes pensées, entre¨ lesquelles l'une des premiers fut que je m'avisai¨ de considérer¨ que souvent il n'y a pas tant de perfection dans les ouvrages composés¨ de plusieurs, et faits de¨ la main de divers maîtres, qu'en ceux auxquels un seul avait travaillé. Ainsi je pensai que, les sciences des livres, s’étant composés et grossies¨ peu à peu des opinions de plusieurs personnes, ne sont point si approchantes¨ de la vérité que les simples raisonnements que peut faire naturellement¨ un homme de bon sens touchant¨ les choses qui se présentent. à cette époque; chambre chaufé; temps libre; m'occuper; parmi; commençai; constater; faits; par; agrandies; près; par sa nature; sur;
J'avais un peu étudie, étant jeune, entre les parties¨ de la philosophie, à la logique, et, entre les mathématiques, à l'analyse des géomètres¨ et à l’algèbre. Mais en les examinant¨ je pris garde¨ que, pour la logique, ses syllogismes et la plupart de ses autres instructions servent plutôt¨ à expliquer à autrui¨ les choses qu'on sait qu'à les apprendre. Puis, pour¨ l'analyse des anciens et l'algèbre des modernes, la première est toujours si astreinte ਠla considération¨ des figures, qu'elle ne peut exercer¨ l'entendement¨ sans fatiguer beaucoup l'imagination et on s'est tellement assujetti¨ en la dernière, à certaines règles et à certains chiffres, qu'on en a fait un art confus¨ et obscur qui embarrasse¨ l'esprit au lieu¨ d'une science qui cultive¨ de qui fut cause que je pensai qu'il la fallait chercher quelque autre méthode qui fût exempte¨ de leurs défauts¨ Et au lieu de ce grand nombre de préceptes¨ dont la logique est composée, je crus que j'aurais assez des quatre suivants, pourvu¨ que je prisse une ferme et constante résolution¨ ne manquer pas une seule fois à les observer.¨ domaines; science des espaces; étudiant; constata; mieux; aux autres; parlant de; occupée de; études; développer; intelligence; laissé dominer; imprécis; trouble; en place; développe; libre; imperfections; règles; à condition; décision; y obéir;
Le premier était de ne recevoir¨ jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle; 'est à dire d’éviter¨ soigneusement la précipitation¨ et la prévention et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement¨ à mon esprit que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute. accepter; ne pas faire; hâte; clair;
Le second, de diviser¨ chacune des difficultés que j'examinais en autant de parcelles¨ qu'il se pourrait et qu'il serait requis¨ pour les mieux résoudre. couper; parties; nécessaire;
Le troisième, de conduire¨ par ordre de mes pensées, diriger en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés¨ à connaître, pour monter peu à peu, par degrés¨ jusqu’à la connaissance des plus composés.¨ décider; faciles; pas à pas; compliqués;
Et le dernier, de faire partout des dénombrements¨ si entiers¨ et des revues¨ si générales¨ que je fusse assuré de ne rien omettre.¨ contrôles; complets; inspections; totales; oublier;
Ce qui me contentait le plus de cette méthode était que, par elle, j’étais assuré d'user¨ en tout de ma raison, sinon parfaitement, au moins le mieux qu'il fût en mon pouvoir.¨ employer; capacités;
Remarquant¨ que cette vérité: je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes¨ suppositions¨ des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler,¨ je jugeai¨ que je pouvais la recevoir¨ sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais. constatant; bizarres; hypothèses; troubler; pensai; accepter;
Je pensai que je devais aussi savoir en quoi consiste¨ cette certitude.Et ayant remarqué qu'il n'y a rien en tout ceci, je pense donc je suis, qui m'assure que je dis la vérité, sinon¨ que je vois très clairement que, pour penser, il faut être, je jugeai¨ que je pouvais prendre pour règle générale que les choses que nous concevons¨ fort¨ clairement et fort distinctement,¨ sont toutes vraies, mais qu'il y a seulement quelque difficulté a bien remarquer quelles sont celles que nous concevons distinctement. de quoi se compose; excepté le fait; pensai; formons; très; nettement;
Je serais bien aisé¨ de poursuivre¨ et de faire voir ici toute la chaîne¨ des vérités que j'ai déduites¨ de ces premières; mais à cause¨ que, pour cet effet, il serait maintenant besoin¨ que je parlasse de plusieurs questions qui sont en controversions¨ entre les doctes¨ avec lesquels je ne désire¨ point me brouiller,¨ je crois qu'il sera mieux que je m'en abstienne. content; continuer; suite; conclues; pour; nécessaire; discussion; savants; veux; être en désaccord;
Je suis toujours demeuré¨ ferme en la résolution¨ de ne supposer¨ aucun principe autre que l'existence de Dieu et de l'âme. resté; décision; accepter;
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10. Pierre Corneille

10.1. Le Cid (1636)

Personnages:
DF DON FERNAND, premier roi de Castille.
DD DON DIEGUE, père de don Rodrigue.,
LC LE COMTE, père de Chimène, général de l’armée
DR DON RODRIGUE, amant de Chimène.
CH CHIMÈNE, fille du comte.
DS DON SANCHE, amoureux de Chimène.
DA DON ALONSE, gentilhomme de la Cour.

 
ACTE I
LC Enfin, vous l'emportez¨ et la faveur du Roi triomphez;
Vous élève¨ en un rang qui n’était dû qu'a moi: porte;
DD Il vous fait gouverneur du prince de Castille(1) Cette marque¨ d'honneur qu'il met dans ma famille signe;
Montre à tous qu'il est juste, et fait connaître assez
Qu'il sait récompenser¨ les services passés. gratifier;
LC Pour¨ grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes si;
Ils peuvent se tromper comme les autres hommes;
Et ce choix sert de preuve¨ à tous les courtisans¨ signe; gens de la cour;
Qu'ils savent mal payer les services présents.
DD Ne parlons plus d'un choix dont votre esprit s'irrite,
La faveur l'a pu faire autant que le métrite¨ capacités;
LC Parlons-en mieux, le Roi fait honneur à votre âge.
DD Le Roi, quand il en fait, le mesure¨ au courage. apprécie;
LC Et par là cet honneur n’était dû qu'à mon bras ma force
DD Qui n'a pu l'obtenir¨ ne le méritait pas.¨ avoir; n'en avait pas le droit;
LC Ne le méritait pas! Moi?
DD Ne le méritait pas! Moi? Vous!
LC Ne le méritait pas! Moi? Vous! Ton impudence¨ irrespect;
Téméraire¨ vieillard, aura sa récompense¨ imprudent; ici: punition;
(Il lui donne un soufflet)¨ le frappe au visage;
DD Achève¨ et prends ma vie après un tel affront fini;
Le premier dont ma race¨ ait vu rougir son front famille;
LC Et que penses-tu faire avec tant de faiblesse?
DD O Dieu! ma force en ce besoin¨ me laisse¨ ! nécessité; quitte;
DD Rodrigue, as-tu du cœur?¨ courage;
DR Rodrigue, as-tu du cœur?¨ Tout autre que mon père ¨ ressentirait;
L’éprouverait sur l'heure¨ immédiatement;
DD L’éprouverait sur l'heure¨ Agréable colère¨ fureur;
Ma jeunesse revit en cette ardeur¨ si prompte. énergie;
Viens, mon fils, viens, mon sang, viens réparer ma honte¨ déshonneur;
Viens me venger.
DR Viens me venger. De quoi?
DD Viens me venger. De quoi? D'un affront si cruel,
Qu'a l'honneur de tous deux il porte un coup mortel¨ fatal;
D'un soufflet. L'insolent¨ en eût¨ perdu la vie; ¨ ; aurait; homme irrespectueux;
Mais mon age a trompe ma généreuse envie¨ noble désir;
Et ce fer que mon bras ne peut plus soutenir
Je le remets au tien pour venger et punir.
Va contre un arrogant éprouver¨ ton courage; tester;
Ce n'est que dans le sang qu'on lave un tel outrage¨ offense;
Meurs ou tue. Au surplus¨ pour ne te point flatter au reste;
Je te donne à combattre un homme a redouter¨ craindre;
Plus que brave soldat, plus que grand capitaine, ;
C'est..
DR C'est.. De grâce¨ achevez¨ s'il vous plaît; dites tout;
QD C'est.. De grâce¨ achevez¨ Le père de Chimène.
DR Le...
DD Le... Ne réplique¨ point, je connais ton amour; réponds;
Mais qui peut vivre infâme¨ est indigne¨ du jour. sans honneur; n'a pas droit au;
Je ne te dis plus rien. Venge-moi, venge-toi;
Montre-toi digne fils d'un père tel que moi.
DR Percé¨ jusques au fond du cœur blessé;
DR À moi, Comte, deux mots.
LC D'une atteinte¨ imprévue aussi bien-que mortelle choc;
Misérable vengeur d'une juste querelle¨ conflit;
Et malheureux objet d'une injuste rigueur¨ fatalité;
Je demeure¨ immobile, et mon âme abattue reste;
Cède¨ au coup qui me tue. capitule;
Si près de voir mon feu¨ récompensé¨ amour; realisé;
O Dieu, l’étrange peine¨ ! malheur;
En cet affront¨ mon père est l’offensé, offense;
Et l'offenseur le père de Chimène
Il vaut mieux courir au trépas¨ à la mort;
Je dois à ma maîtresse aussi¨ bien"qu'a mon père: autant;
J'attire en me vengeant sa haine¨ et sa colère¨ horreur; fureur;
J'attire ses mépris¨ en ne me vengeant pas. (contr.de:respect);
A mon plus grand espoir l'un me rend infidèle,
Et l'autre indigne d'elle.
Mon mal augmente¨ à le vouloir guérir; grandit;
Tout redouble ma peine¨ malheur;
Allons, mon âme;et puisqu'¨ il faut mourir, parce qu';
Mourons du moins sans offenser Chimène.
Mourir sans tirer ma raison! ¨ me venger;
Rechercher un trépas¨ si mortel¨ à ma gloire! mort; fatal;
Endurer¨ que l'Espagne impute ¨ à ma mémoire accepter; accuse;
D'avoir mal soutenu l'honneur de ma maison!
Respecter un amour dont mon âme égarée
Voit la perte assurée!
N’écoutons plus ce penser suborneur¨ infâme;
Qui ne sert qu'ਠma peine agrandit;
Allons, mon bras, sauvons du moins l'honneur,
Puisqu'après tout il faut perdre Chimène.

 
ACTE II
DR À moi, Comte, deux mots
LC À moi, Comte, deux mots Parle.
DR À moi, Comte, deux mots Parle. Ôte-¨ moi d'un doute. délivre;
Connais-tu bien don Diègue?
LC Connais-tu bien don Diègue? Oui.
DR Connais-tu bien don Diègue? Oui. Parlons bas. Écoute.
Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu¨ courage;
La vaillance¨ et l'honneur de son temps? le sais-tu? courage;
LC Peut-être.
DR Peut-être. Cette ardeur¨ que dans les yeux je porte feu, énergie;
Sais-tu que c'est son sang? le sais-tu?
LU Sais-tu que c'est son sang? le sais-tu? Que m'importe?
DR À quatre pas d'ici je te le fais savoir.
LC Jeune présomptueux¨ arrogant;
DR Jeune présomptueux¨ Parle sans t’émouvoir¨ te fâcher;
Je suis jeune, il est vrai; mais aux âmes bien nées¨ nobles;
La valeur n'attend point le nombre des années¨ vient vite;
LC Te mesurer¨ à"moi, qui t'a rendu si vain¨ battre; arrogant;
Toi qu'on n'a jamais vu les armes à la main?¨ dans la guerre;
Sais-tu bien qui je suis?
DR Sais-tu bien qui je suis? Oui; tout autre que moi
Au seul bruit de ton nom pourrait trembler d'effroi¨ peur;
LC Viens, tu fais ton devoir, et le fils dégénère
Qui survit¨ un moment à l'honneur de son père. vit plus longtemps que;
DF Le Comte est donc si vain¨ et si peu raisonnable! arrogant;
Ose-t-il croire encore son crime pardonnable?
DA Je l'ai de votre part¨ longtemps entretenu¨ en votre nom; parlé;
J'ai fait mon pouvoir¨ Sire, et n'ai rien obtenu. ce que j'ai pu;
DF Justes cieux! ainsi donc un sujet téméraire¨ inférieur;
A si peu de respect et de soin de me plaire!
S'attaquer à mon choix, c'est se prendre¨ à moi-même critiquer;
Et faire un attentat¨ sur¨ le pouvoir¨ suprême. agression; contre; autorité;
N'en parlons plus. Au reste, on a vu dix vaisseaux¨ bateaux;
De nos vieux ennemis arborer¨ les drapeaux préparer;
Vers la bouche du fleuve ils ont osé paraître
Faites doubler la garde aux murs et sur le port.
C'est assez pour ce soir.
DS C'est assez pour ce soir. Sire, le Comte est mort!
Don Diègue, par son fils, à vengé son offense
DF Dès que¨ j'ai su l'affront;j'ai prévu la vengeance immédiatement;
Et j'ai voulu dès lors prévenir ce malheur.
Chimène à vos genoux apporte sa douleur;¨ chagrin;
Elle vient toute en pleurs vous demander justice.
DF Ce que le Comte a fait semble avoir mérité
Ce digne¨ châtiment¨ de sa témérité¨ juste; punition; arrogance;
Quelque juste pourtant que puisse être sa peine¨ chagrin;
Je ne puis sans regret perdre un tel capitaine.
CH Sire, Sire, justice!
DD Sire, Sire, justice! Ah!Sire, écoutez-nous.
CH Je me jette a vos pieds.
DD Je me jette a vos pieds. J'embrasse vos genoux
CH Je demande justice.
DD Je demande justice. Entendez ma défense.
CH D'un jeune audacieux¨ punissez l'insolence¨ arrogant; irrespect;
Il a de votre sceptre abattu le soutien¨ défenseur;
Il a tue mon père.
DD Il a tue mon père. Il a vengé le sien
DF L'affaire est d'importance, et, bien considérée¨ méditée;
Mérite en plein conseil d’être délibérée¨ discutée;
Don Sanche, remettez¨ Chimène en sa maison. reconduisez;
Don Diègue aura ma cour et sa foi¨ pour prison. parole d'honneur;
Qu'on me cherche son fils.Je vous ferai justice.
CH Il est juste, grand Roi, qu'un meurtrier¨ périsse¨ qq qui a tué; meure;
DF Prends du repos, ma fille, et calme tes douleurs¨ chagrin;
CH M'ordonner du repos, c'est croître¨ mes malheurs. agrandir;

 
ACTE III (Chimène et sa confidente Elvire)
EL Reposez-vous, Madame.
CH Reposez-vous, Madame. Ah! que mal à propos¨ à un mauvais moment;
Dans un malheur si grand tu parles de repos!
Par où¨ sera jamais ma douleur¨ apaisée¨ par quoi; chagrin; calmée;
Si je ne puis haïr¨ la main qui l'a causée? contr. de:aimer ;
EL Il vous prive¨ prends son père)d'un père, et vous l'aimez encore!;
CH C'est peu de dire aimer. Elvire:je l'adore.
Mon cœur prend son parti; mais malgré son¨ effort, (=du cœur);
Je sais ce que je suis, bet que mon père est mort.
EL Madame, croyez-moi, vous serez excusable
D'avoir moins de chaleur¨ contre un objet aimable¨ ici:fureur; QQ que vous aimez;
Ne vous obstinez¨ point en cette humeur étrange. restez;
CH Il y va de ma gloire¨ il faut que je me venge; ma g.est en question;
Et de quoi que nous flatte un désir amoureux,
Toute excuse est honteuse¨ aux esprits généreux¨ ; déshonorant; nobles;
EL Mais vous aimez Rodrigue, il ne vous peut déplaire.
CH Je l'avoue¨ reconnais;
EL Je l'avoue¨ Après tout, que pensez-vous donc faire?
CH Pour conserver ma gloire et finir mon ennui¨ chagrin;
Le poursuivre, le perdre¨ et mourir après lui. causer sa mort;
DR Eh bien, sans vous donner la peine de poursuivre¨ continuer;
Assurez-vous l'honneur de m'empêcher de vivre¨ me tuer;
Je t'ai fait une offense et j'ai dû m'y porter¨ le faire;
Pour effacer¨ ma honte¨ et pour te mériter. faire disparaître; déshonneur;
GH Ah! Rodrigue, il est vrai, quoique ton ennemie,
Je ne puis te blâmer¨ d'avoir fui l'infamie¨ critiquer; déshonneur;
Et de quelque façon qu’éclatent¨ mes douleurs se montrent;
Je ne t'accuse point, je pleure mes malheurs.¨ chagrin;
Je sais ce que l'honneur, après un tel outrage¨ offense;
Demandait a l'ardeur¨ d'un généreux¨ courage chaleur; noble;
Tu n'as fait le devoir que d'un homme de bien; `
Mais aussi, le faisant¨ tu m'as appris le mien. par cela;
DR Au nom d'un père mort, ou de notre amitié,
Punis~moi par vengeance, ou du moins par pitié.
Ton malheureux amant aura bien moins de peine¨ chagrin;
À mourir par ta main qu'à vivre avec ta haine¨ (contr.de:amour);
CH Va, je ne te hais point.
DR Va, je ne te hais point. Tu le dois.
CH Va, je ne te hais point. Tu le dois. Je ne puis.
DR Crains-tu¨ si peu le blâme,¨ et si peu les faux bruits? as-tu peur; critique;
CH Va-t'en, ne montre plus à ma douleur extrême¨ très grande;
Ce qu'il faut que ge perde, encore que¨ je l'aime. malgré que;
Rodrigue, qui l'eut cru?
DR Rodrigue, qui l'eut cru? Chimène qui l'eût dit?
CH Que notre heur¨ fût si proche et si tôt se perdit? bonheur;
Ah! mortelles douleurs!
DR Ah! mortelles douleurs! Ah! regrets¨ superflus¨ lamentations; inutiles;
CH Va-t'en, encore un coup¨ je ne t’écoute plus. une fois;
DR Adieu; je vais traîner¨ une mourante vie, mener;
Tant que, par ta poursuite, elle me soit ravie¨ prise;
DD Rodrigue, enfin le ciel permet que je te voie!
DR Hélas!
DD Hélas! Ne mêle point de soupirs¨ à ma joie. lamentations;
DR L'honneur vous en est dû, je ne pouvais pas moins.
Étant sorti de vous¨ et nourri¨ par vos soins votre fils; éduqué;
Ne me dites plus rien; pour vous j'ai tout perdu:
Ce que je vous devais, je vous l'ai bien rendu.
DD Porte, porte plus haut le fruit de ta victoire:
Je t'ai donne la vie, et tu me rends ma gloire;
Et d'autant que¨ l'honneur m'est plus cher que le jour, parce que;
D'autant plus maintenant je te dois de retour.
Mais d'un cœur magnanime¨ éloigne¨ ces faiblesses; noble; chasse;
Nous n'avons qu'un honneur, il est tant de maîtresses¨ ! femmes à aimer;
L'amour n'est qu'un plaisir, l'honneur est un devoir.
DR Ah! que me dites-vous?
DD Ah! que me dites-vous? Ce que tu dois savoir.
DR Mes liens¨ sont trop forts pour être ainsi rompus; relations;
Ma foi m'engage encore, si je n’espère plus.
Et ne pouvant quitter ni posséder Chimène
Le trepas¨ que je cherche est ma douce peine. mort;
DD Il n'est pas temps encor de chercher le trépas
Ton prince et ton pays ont besoin de ton bras¨ ; force;
La flotte¨ qu'on craignait, dans ce grand fleuve entrée, les bateaux(des Mores);
Croit surprendre la ville et piller¨ la contrée. ravager;
Les Mores vont descendre, et le flux¨ et la nuit courant;
Dans une heure à nos murs les amène sans bruit.
Dans ce malheur public mon bonheur a permis
Que j'ai trouvé chez moi cinq cents de mes amis.
Va marcher a leur tête ou l'honneur te demande:
C'est toi que veut pour chef leur généreuse¨ bande. noble;
Viens, suis-moi, va combattre, et montrer a ton roi
Que ce qu'il perd au Comte il le retrouve en toi.

 
ACTE IV
DF Généreux héritier¨ d'une illustre famille, enfant;
Qui fut toujours la gloire et l'appui¨ de Castille, défense;
Pour te récompenser¨ ma force est trop petite; payer de retour;
Et j'ai moins de pouvoir que tu n'as de mérite¨ capacités;
Le pays délivré d'un si rude ennemi,
Mon sceptre dans ma main par la tienne affermi¨ assuré;
Et les Mores défaits¨ avant qu'en ses alarmes battus;
J'eusse pu donner ordre à repousser¨ leurs armes, chasser;
Ne sont point des exploits¨ qui laissent à ton roi acte héroïque;
Le moyen ni l'espoir de s'acquitter¨ vers toi. payer de retour;
Mais deux rois, tes captifs¨ feront ta récompense. prisonniers;
Ils t'ont nommé tous deux leur Cid en ma présence.
Puisque¨ Cid en leur langue est autant que "seigneur", parce que;
Je ne t'envierai pas¨ ce beau titre d'honneur. suis pas jaloux;
Sois désormais¨ le Cid; qu'à ce grand nom tout cède;¨ à l'avenir; capitule;
Qu'il comble¨ d’épouvante¨ et Grenade et Tolède, remplit; peur;
Et qu'il marque¨ à tous ceux qui vivent sous mes lois fait savoir;
Et ce que tu vaux, et ce que je te dois.
Souffre¨ donc qu'on te loue¨ et de cette victoire; accepte; glorifie;
Apprends-moi plus au long la véritable histoire.
DR Sire, vous avez su qu'en ce danger pressant¨ urgent;
Qui jeta dans la ville un effroi¨ si puissant¨ terreur; grand;
Une troupe d'amis chez mon père assemblée¨ venu ensemble;
Sollicita¨ mon âme encor toute troublée...; demanda;
C'est de cette façon que, pour votre service ....
DA Sire, Chimène vient vous demander justice.
DF La fâcheuse¨ nouvelle et l’importun¨ devoir pénible; déplaisant;
Va, je ne la veux pas obliger¨ à te voir. mette dans la nécessité;
(Rodrigue se retire. À Chimène qui entre ...)
Ma fille, ces transports¨ ont trop de violence¨ fureur; intensité;
Quand on rend la justice, on met tout en balance:
On a tué ton père, il était l'agresseur;
Et la même équité¨ m'ordonne la douceur. justice;
CH Puisque vous refusez la justice a mes larmes,
Sire, permettez-moi de recourir¨ aux armes; employer;
C'est par la seulement qu'il a su m'outrager¨ offenser;
Et c'est aussi par là que je me dois venger.
A tous vos cavaliers¨ je demande sa tête: nobles;
Oui, qu'un d'eux me l'¨ apporte, et je suis sa conquête¨ =sa tête; pour lui;
Qu'ils le combattent, Sire, et le combat fini,
J’épouse¨ le vainqueur, si Rodrigue est puni. me marie avec;
DS_Accordez¨ cette grâce a l'ardeur¨ qui me presse, donnez; passion;
Madame, vous savez quelle est votre promesse.
DF Chimêne, remets-tu ta querelle¨ en sa main? conflit;
CH Sire, je l'ai promis.
DF Sire, je l'ai promis. Soyez prêt à demain.

 
ACTE V
CH Quoi! Rodrigue, en plein jour! d'où te vient cette audace¨ aplomb;
Va, tu me perds¨ d'honneur; retire-toi de grâce¨ fais perdre; s.v.p.;
DR Je vais mourir, Madame, et vous viens en ce lieu
Avant le coup mortel, dire un dernier adieu.
CH Tu vas mourir! Don Sanche est-il si redoutable¨ dangereux;
Qu'il donne l’épouvante¨ a ce cœur indomptable?¨ terreur; fier;
Qui t'a rendu si faible, ou qui le rend si fort?
Rodrigue va combattre, et se croit déjà mort!
DR J’ai toujours même cœur; mais je n'ai point de bras
Quand il faut conserver ce qui ne vous plaît pas.
Puisque, pour t’empêcher¨ de courir au trépas¨ retenir; mort;
Ta vie et ton honneur sont de faibles appas,¨ charmes;
Si jamais je t'aimai, cher Rodrigue, en revanche,¨ en compensation;
Défends-toi maintenant pour m’ôter a don Sanche;
Et si tu sens pour moi ton cœur encore épris¨ amoureux;
Sors vainqueur d'un combat dont Chimène est le prix.
CH Sire, il n'est plus besoin de vous dissimuler¨ cacher;
Ce que tous mes efforts ne vous ont pu celer¨ cacher;
J'aimais, vous l'avez su; mais pour venger mon père,
J'ai bien voulu proscrire¨ une tête si chère. chasser;
DF Ma fille, il ne faut point rougir d'un si beau feu¨ amour;
Ni chercher les moyens d'en faire un désaveu¨ négation;
Une louable¨ honte¨ en vain¨ t'en sollicite¨ juste; réserve; sans résultat; le veux de toi;
Ta gloire est dégagée¨ et ton devoir est quitte¨ ; libre; vengé;
Ton père est satisfait et c’était le venger
Que mettre tant de fois ton Rodrigue en danger.
Tu vois comme le ciel autrement en dispose¨ décide;
Ayant tant fait pour lui, fais pour toi quelque chose,
Et ne sois pas rebelle à mon commandement,
Qui te donne un époux¨ aimé si chèrement. mari;
CH Rodrigue a des vertus¨ que je ne puis haïr; qualités;
Et quand un roi commande, on lui doit obéir.
Mais a quoi que déjà vous m'ayez condamnée¨ obligée;
Pourrez-vous a vos yeux souffrir¨ cet hyménée?¨ tolérer; mariage;
DF Le temps assez souvent a rendu légitime
Ce qui semblait d'abord ne se pouvoir¨ sans crime semblait impossible;
Prends un an, si tu veux, pour essuyer tes larmes¨ porter le deuil;
Rodrigue, cependant il faut prendre les armes.
Et par tes grands exploits¨ fais-toi si bien priser¨ actes héroïques; glorifier;
Qu'il lui soit glorieux alors de t’épouser.

 

10.2. Quelques données sur Le Cid et son auteur

Quand Pierre Corneille publia, en l656, son Cid, les règles classiques étaient partout suivis:
unité de temps:
les événements de la pièce doivent se passer en vingt-quatre heures,
unité de lieu:
l’histoire doit se passer dans un seul endroit,
unité d'action:
toute scène et tout personnage doit être indispensable a l'intrigue.
Il est clair que Corneille s'est moqué¨ dans le Cid de toutes ces règles. Mais l’Académie française, fondée peu avant par le cardinal de Richelieu, avait écrit une critique officielle, sur l'ordre du même Richelieu, qui voulait mettre fin à la "querelle du Cid" entre les défenseurs et les adversaires¨ de la pièce. n'a pas pris au sérieux; les opposants;
Sentiments de l’Académie sur le Cid critiquent le manque d'observation¨ des règles classiques. obéissance;
Corneille a pris le sujet du Cid dans un "romancero"¨ espagnol du moyen-âge. Il écrivait la pièce pour les femmes des salons, flattant¨ leur goût¨ de l’héroïque. histoire épique; plaisant à; préférence;
Le héros cornélien fait toujours son devoir et il est "convaincu" que ce devoir, le principe qu'il est sûr suit, est juste. Et ce devoir contribue¨ à sa gloire. aide à agrandir;
Le héros cornélien ne peut aimer une femme que quand il peut avoir de l'estime¨ pour elle. Ainsi l'amour est base sur l'estime, c.a.d. sans respect, il n'y a pas d'amour possible. respect;

11. Molière

(Jean Baptiste POQUELIN)

11.1. Les précieuses ridicules (1659)

Personnages:
LG LA GRANGE, et
DC DU CROISY amants rebutés¨ refusés;
GO GORGIBUS, bon bourgeois
MA MADELON fille de Gorgibus, et
CA CATHOS, nièce de Gorgibus, précieuses ridicules
MA MAROTTE, servante des précieuses
AL ALMANZOR, laquais des précieuses
MS MASCARILLE, valet de La Grange
JO JODELET, valet de du Croisy

 
DC Seigneur La Grange.
LG Quoi?
DC Regardez-moi un peu sans rire.
LG Hé bien?
DC Que dites-vous de notre visite? En êtes-vous fort¨ satisfait¨ ? très; content;
LG À votre avis¨ avons-nous sujet¨ de l'être tous les deux? opinion; motif;
DC Pas tout à fait, à dire vrai.
LG Pour moi, je vous avoue¨ que j'en suis tout scandalisé.¨ A-t-on jamais vu, dites-moi, deux pecques¨ provinciales faire plus les renchéries¨ que celles-là, et deux hommes traités avec plus de mépris¨ que nous? reconnais; irrité; femme sotte; exagérées; irrespect;
DC Il me semble que vous prenez la chose fort¨ au cœur. très;
LG Sans doute, je l'y prends, et de telle façon, que je me veux venger de cette impertinence.¨ manque de respect;
DC Et comment?
LG J'ai un valet¨ nommé Mascarille, qui passe au nom de beaucoup de gens, ¨ pour une manière de bel esprit. serviteur; a la réputation;
DC Hé bien qu'en¨ prétendez~vous¨ faire? de lui; voulez-vous;
LG Ce que j'en prétends faire? Il faut... Mais sortons d'ici auparavant.¨ d'abord;

 
GO Hé bien! Vous avez vu ma nièce et ma fille? Les affaires iront-elles bien? Quel est le résultat de cette visite?
LG C'est une chose que vous pourrez mieux apprendre d'elles que de nous. Tout ce que nous pouvons vous dire c'est que nous vous rendons grâce¨ de la faveur¨ que vous nous avez faite, et demeurons vos très-humbles serviteurs. remercions; service;
DC Vos très-humbles serviteurs.
GO (seul) Ouais! il semble qu'ils sortent mal satisfaits¨ d'ici. D'où pourrait venir¨ leur mécontentement? Il faut savoir un peu ce que c'est. Holà! mécontents; quelle pourrait être la cause de;
MR (elle entre) Que désirez-vous, monsieur?
GO Ou sont vos maîtresses?
MR Dans leur cabinet.
GO Que font-elles?
MR De la pommade pour les lèvres.
GO C'est trop pommadé; dites-leur qu'elles descendent.
(seul)Ces pendardes¨ la, avec leur pommade, ont, je pense, envie¨ de me ruiner. méchantes; le besoin;
(aux filles, qui entrent) Il est bien nécessaire, vraiment de faire tant de dépense¨ pour vous graisser le museau¨ ! Dites-moi un peu ce tant d'argent; visage;
que vous avez fait à ces messieurs, que je les vois sortir avec tant de froideur?Vous avais-je pas commandé de les recevoir comme des personnes que je voulais vous donner pour maris?
MA Et quelle estime¨ mon père, voulez~vous que nous fassions du procédé¨ irrégulier¨ de ces gens-là? respect; manières; peu raisonnable;
CA Le moyen mon oncle, qu'une fille un peu normale pût s’accommoder de leur personne?
GO Et qu'y trouvez-vous à redire¨ ? critiquer;
MA La belle galanterie que la leur! Quoi! débuter¨ d'abord par le mariage? commencer;
GO Et par où¨ veux-tu qu'ils débutent? par le concubinage? N'est-ce pas un procédé¨ dont vous avez sujet¨ de vous louer¨ toutes deux aussi bien que moi? par quoi; manière de faire; raison; féliciter;
MA Ah! mon père, ce que vous dites là est du dernier¨ bourgeoisl! Cela me fait honte¨ de vous ouïr¨ parler de la sorte¨ et vous devriez un peu vous faire apprendre le bel air¨ des choses. très; choque; entendre; ainsi; aspect;
GO Je n'ai que faire¨ ni d'air, ni de chanson. Je te dis que le mariage est une chose sainte et sacrée, et que c'est faire en honnêtes gens, que de débuter par là. je ne m’intéresse pas;
MA Mon Dieu! que si tout le monde vous ressemblait, ¨ roman serait bientôt fini! La belle chose que ce serait, si d'abord Cyprus épousait Mandane, et qu'Aronce de plein pied¨ fut marié à Clélie!(2) était comme vous; immédiatement;
GO Que me vient conter celle-ci?
MA Mon père, voila ma cousine qui vous dira aussi bien que moi, que le mariage ne doit jamais arriver qu’après les autres aventures. Il faut qu'un amant, pour être agréable, sache débiter¨ les beaux sentiments, pousser¨ le doux, le tendre, et le passionné, et que sa recherche¨ soit dans les formes. exprimer, dire; produire; =r. de l'amour;
GO Quel diable de jargon¨ entends-je ici? Voici bien du haut style. langue spéciale;
CA GO En effet, mon oncle, ma cousine donne dans le vrai de la chose.¨ Le moyen de bien¨ recevoir des gens qui sont tout à fait incongrus¨ en galanterie!Je m'en vais gager qu'ils n'ont jamais vu la carte de Tendre, et que Billets-doux, Petits-soins, Billets-galants et Jolis-vers, sont des terres inconnues pour eux.(3) Je pense qu'elles sont folles toutes les deux, et je ne puis rien comprendre a ce baragouin¨ Cathos, et vous, Madelon... a raison; comment peut-on; ignorants; jargon;
MA Hé! de grâce¨ mon père, défaites vous de¨ ces noms étranges, et appelez-nous autrement. s.v.p.; n'employez plus;
GO Comment, ces noms étranges? Ne sont-ce pas vos noms de baptême?¨ premier sacrement;
MA Mon Dieu! que vous êtes vulgaire! Pour moi, un de mes étonnement, c'est que vous ayez pu faire une fille si spirituelle que moi. A-t-on jamais parlé dans le beau style de Cathos ni de Madelon, et ne m'avouerez¨ pas que ce serait assez d'un de ces noms pour décrier¨ le plus beau roman du monde? serez-vous pas d accord; rabaisser;
CA Il est vrai, mon oncle, qu'une oreille un peu délicate pâtit¨ furieusement à entendre prononcer ces mots là; et le nom de Polyxène que ma cousine a choisi, et Celui d'Aminte que je me suis donné, ont une grâce¨ dont il faut que vous demeuriez¨ d'accord. a beaucoup mal; charme; restiez;
GO Écoutez: il n'y a qu'un mot qui serve.¨ Je n'entends¨ point que vous ayez d'autres noms que ceux qui vous ont été donnés par vos parrains et marraines;¨ et pour ces messieurs dont il est question, je connais leurs familles et leurs biens, et je veux résolument que vous vous disposiez¨ à les recevoir pour maris. Et enfant, pour trancher¨ toutes sortes de discours, ou vous serez mariées toutes deux avant qu'il soit peu, ou, ma foi! vous serez religieuses; j'en fais un bon serment.¨ soit utile; veux; (ceux qui donnent le nom à un enfant; prépariez; mettre fin à; je le promets;
(Il sort)
CA Mon Dieu! ma chère, que ton père a la forme enfoncée dans la matière¨ ! que son intelligence est épaisse!¨ et qu'il fait sombre dans son âme! est matérialiste; peu;
MA Que veux-tu? j'en suis en confusion¨ pour lui. J'ai peine¨ à me persuader¨ que je puisse être véritablement¨ sa fille, et je crois que quelque aventure, un jour, viendra développer une naissance plus illustre.¨ troublée; des difficultés; me faire croire; vraiment; origine célèbre;
CA Je le croirais bien; oui, il y a toutes les apparences¨ et, pour moi, quand je me regarde ... air;
MR Voilà un laquais qui demande si vous êtes au logis¨ et dit que son maître veut venir vous voir.¨ à la maison; rendre visite;
MA Apprenez, sotte, à vous énoncer¨ moins vulgairement. Dites: Voilà un nécessaire qui demande si vous êtes en commodité¨ d'être visibles.¨ exprimer; état; recevoir;
MR Dame;¨ je n'entends point le latin, et je n'ai pas appris, comme vous, la filofie dans le grand Cyrus.¨ vraiment; (roman);
MA L'impertinente! Le moyen¨ de souffrir cela! Et qui est-il, le maître de ce laquais? comment peut on;
MR Il me l'a nommé le marquis de Mascarille.
MA Ah! ma chère! un marquis! Oui, allez dire qu'on nous peut voir. C'est sans doute un bel esprit qui aura ouï¨ parler de nous. entendu;
CA Assurément, ma chère.
MA Il faut le recevoir dans cette salle basse. Vite, venez nous tendre¨ ici dedans le conseiller des grâces. présenter;
MR Par ma foi!¨ je ne sais point quelle bête c'est là; il faut parler chrétien, si vous voulez que je vous entende. vraiment;
CA Apportez-nous le miroir, ignorante¨ que vous êtes, et gardez-vous bien d'¨ en salir la glace par la communication de votre image. stupide; faites tout pour ne pas;
MS (après avoir salue) Mesdames, vous serez surprises, sans doute, de l'audace¨ de ma visite, mais votre réputation vous attire cette méchante affaire, et le mérite a pour moi des charmes si puissant¨ que je valeur cours partout après lui. arrogance; forts;
MA Si vous poursuivez¨ le mérite, ce n'est pas sur nos terres que vous devez chasser. courez après;
CA Pour voir chez nous le mérite, il a fallu que vous l'y ayez amené.
MA Holà! Almanzor.
AL Madame.
MA Vite, voiturez-¨ nous les commodités¨ de la conversation. apportez; fauteuils;
MS Mais, au moins, y a-t-il sûreté ici pour moi?
CA Que craignez-vous?¨ de quoi avez-vous peur;
MS Quelque vol de mon cœur, quelque assassinat¨ de ma franchise.¨ Je vois ici des yeux qui ont la mine¨ d'être de fort¨ mauvais garçons, de faire insulte¨ aux libertés. meurtre; liberté; air; très; attaque;
MA Ma chère, c'est le caractère enjoué¨ gai, amusant;
CA Je vois bien que c'est un Amilcar.¨ (personnage de roman);
MA Ne craignez rien; nos yeux n'ont point de mauvais desseins¨ et votre cœur peut dormir en assurance sur leur prud'homie.¨ intentions; loyauté;
CA Mais de grâce, ¨ monsieur, ne soyez pas inexorable¨ à ce fauteuil qui vous tend¨ les bras il y a¨ un quart d'heure; contentez un peu l'envie¨ qu'il a de vous embrasser. s.v.p.; dur; présente; depuis; désir;
MS (après s'être peigné et avoir ajusté¨ ses canons¨ )-Hé bien! mesdames, que dites-vous de Paris? arrangé; ornements;
MA Hélas! qu'en pourrions-nous dire ?Il faudrait être l'antipode¨ de la raison, pour ne pas confesser¨ que Paris est le grand bureau des merveilles, le centre du bon goût, du bel esprit et de la galanterie. contraire; reconnaître;
MS Pour moi, je tiens¨ que hors Paris, il n'y a point de salut¨ pour les honnêtes gens. crois; bonheur;
CA C'est une vérité incontestable¨ certaine;
MS Vous recevez beaucoup de visites? Quel bel esprit est des vôtres¨ vient chez vous;
MA Hélas! nous ne sommes pas encore connues.
MS Ne vous mettez pas en peine.¨ Je veux établir¨ chez vous une académie de beaux esprits, et je vous promets qu'il ne se fera pas un bout de vers dans Paris, que vous ne sachiez par cœur avant tous les autres. Pour moi, tel que¨ vous me voyez, je m'en escrime¨ un peu quand je veux; et vous verrez courir¨ de ma façon¨ deux cents chansons, autant de sonnets, quatre cents épigrammes et plus de mille madrigaux, sans compter les énigmes et les portraits. ne vous faites pas de problèmes; installer; comme; pratique; circuler; main;
MA Je vous avoue¨ que je suis furieusement¨ pour les portraits; je ne vois rien de si galant que cela. reconnais; énormément;
MS Les portraits sont difficiles, et demandent un esprit profond; vous en verrez de ma manière¨ qui ne vous déplairont pas. Mais à propos, il faut que je vous dise un impromptu¨ que je fis hier chez une duchesse de mes amies que je fus¨ visiter; car je suis diablement fort sur les impromptus. main; poésie improvisée; étais allé;
CA L'impromptu est justement la pierre de touche¨ de l'esprit ce qui fait la valeur;
MS Écoutez donc
MA Nous y sommes de toutes nos oreilles.
MS Oh! Oh! je n'y prenais pas garde:¨ faisais pas attention;
Tandis que, sans songer¨ à mal, je vous regarde, penser;
Votre œil en tapinois¨ me dérobe mon cœur en cachette;
Au voleur! au voleur! au voleur! au voleur!
CA Ah! mon Dieu! voilà qui est poussé dans le dernier¨ galant. très;
MS Tous ce que je fais a l'air¨ cavalier;cela ne sent point le pédant. aspect;
MA Il en est éloigne¨ de plus de deux mille lieues à une distance;
MS Avez-vous remarqué¨ ce commencement? "Oh!oh!" voilà qui est extraordinaire; "oh! oh!" comme un homme qui s'avise¨ tout d'un coup, "oh!oh!", la surprise, "oh! oh!" signalé; comprend;
MA Oui, je trouve ce "oh! oh!" admirable.¨ excellent;
MS Il semble que cela ne soit rien.
CA Ah! mon Dieu! que dites-vous? Ce sont la de ces sortes de choses qui ne se peuvent payer.
MA Sans doute; et j'aimerais mieux avoir fait ce "oh! oh!" qu'un poème épique.
MS Tudieu! vous avez le goût bon.
MA Hé! je ne l'ai pas tout a fait mauvais.
MS Mais n'admirez-vous pas aussi "je n'y prenais pas garde"? "Je n'y prenais pas garde", j e ne m'apercevais¨ pas de cela; façon de parler naturelle, "je n'y prenais pas garde". "Tandis que, sans songer a mal", tandis qu'innocemment, sans malice¨ comme un pauvre mouton, "je vous regarde", c'est à dire, je m'amuse à vous considérer, je vous observe, je vous contemple; "votre œil en tapinois"... Que vous semble¨ de ce mot "tapinois"? N'est-il pas bien choisi? voyais; méchanceté; pensez-vous;
CA Tout à fait bien.
MS "Tapinois", en cachette; il semble que ce soit un chat qui vienne prendre une souris, "Tapinois".
MA Il ne se peut¨ rien de mieux. il n'y a;
MS "Me dérobe mon cœur", me l'emporte, me le ravit.
"Au voleur! au voleur! au voleur! au voleur" Ne diriez-vous pas que c'est un homme qui crie et court après un voleur pour le faire arrêter? "Au voleur! au voleur! au voleur! au voleur!"
MA Il faut avouer¨ que cela a un tour¨ spirituel et galant. reconnaître; aspect;
MS Tout ce que je fais me vient naturellement, ¨ c'est sans étude. par la nature;
MA La nature vous a traité en¨ vraie mère passionnée, et vous en êtes l'enfant gâté.¨ comme une; préféré;
MS A quoi donc passez-vous le temps?
CA A rien du tout.
MA Nous avons été jusqu'ici¨ dans un jeûne¨ effroyable¨ de divertissements?¨ maintenant; manque; très grand; amusements;
MS Je m'offre à vous mener l'un de ces jours à la comédie, si vos voulez; aussi bien¨ on en doit jouer une nouvelle que je serai bien aise¨ que nous voyions ensemble. Entre nous, j'en ai composé une que je veux faire représenter.¨ surtout parce que; content; jouer;
CA Héla! quels comédiens la donnerez-vous?
MS Belle demande! Aux grands comédiens; il n'y a qu'eux qui soient capables de faire valoir¨ les choses; les autres sont des ignorants qui récitent comme l'on parle; ils ne savent pas ronfler¨ les vers, et s'arrêter au bel endroit¨ et le moyen de¨ connaître où est le beau vers, si le comédien ne s'y arrête, et ne vous avertit¨ par la qu'il faut faire le brouhaha?¨ donner de la valeur; donner de la sonorité aux; place; comment; fait savoir; bruit;
CA En effet, il y a manière de faire sentir aux auditeurs les beautés d'un ouvrage; et les choses ne valent que ce qu'on les fait valoir.
MR Madame, on demande à vous voir
MA Qui?
MR Le vicomte de Jodelet.
MS Le vicomte de Jodelet?
MR Oui, monsieur.
CA Le connaissez-vous?
MS C'est mon meilleur ami.
MA Faites entrer vitement.
MS Il y a quelque temps que nous ne nous sommes vu, et je suis ravi¨ de cette aventure.¨ heureux; événement;
CA Le voici,
MS Ah! vicomte!
JO (s'embrassant l'un l'autre)-Ah! marquis!
MS Que je suis aise¨ de te rencontrer! heureux;
JO Que j'ai de joie¨ de te voir ici! plaisir;
MS Baise-¨ moi encore un peu, je te prie!¨ embrasse; s’il te plaît;
MA (à Cathos) Ma toute bonne, nous commençons d'être connues; voilà le beau monde qui prend le chemin de nous venir voir¨ rendre visite;
MS Mesdames, agréez¨ que je vous présente ce gentilhomme-ci:sur ma parole, il est digne¨ d’être connu de vous. Savez-vous, mesdames, que vous voyez dans le vicomte un des vaillants¨ hommes du siècle? C'est un brave à trois poils¨ permettez; assez noble; courageux; très courageux;
JO Vous ne m'en devez rien, ¨ marquis;et nous savons ce que vous savez faire aussi. vous êtes courageux aussi;
MS Il est vrai que nous nous sommes vus tous deux dans l'occasion.
JO Et dans des lieux¨ ou il faisait fort¨ chaud. places; très;
MS (regardant Cathos et Madélon)-Oui; mais non pas si chaud qu'ici. Ha, ha, ha!
JO Notre connaissance s'est faite à l’armée;et la première fois que nous nous vîmes, il commandait un régiment de cavalerie sur les galères de Malte.
MS Il est vrai;mais vous étiez pourtant dans l'emploi¨ avant que j'y fusse; et je me souviens que je n’étais que petit officier encore, que vous commandiez deux mille chevaux. Te souvient-il¨ vicomte de cette demi-lune¨ que nous emportâmes¨ sur les ennemis au siège¨ d'Arras? dans l’armée; rappelles-tu; ce fort; gagnâmes; attaque;
JO Que veux-tu dire avec ta demi-lune. C’était bien une lune tout entière.
MS Je pense que tu as raison.
JO Il m'en doit bien souvenir, ma foi¨ ! J'y fus blessé la la jambe d'un coup de grenade¨ dont je porte encore les marques!¨ Tâtez¨ un peu, de grâce¨ vous sentirez quel coup c’était là. vraiment; projectile; signes; mettez les doigt sur; s.v.p.;
CA (après avoir touché l'endroit)-Il est vrai que la cicatrice¨ est grande. marque d'une blessure;
MS Donnez-moi un peu votre main, et tâtez celui-ci; là justement derrière la tête. Y êtes-vous?
MA Oui, je sens quelque chose.
MS C'est un coup de mousquet¨ que je reçus la dernière campagne que j'ai faite. carabine;
JO (découvrant¨ sa poitrine)-Voici un autre coup qui me perça¨ de part en part"a l'attaque de Gravelines. déshabillant; perfora;
MS (mettant la main sur le bouton de son haut-de-chausses¨ )-Je vais vous montrer une furieuse plaie.¨ culotte; blessure;
MA Il n'est pas nécessaire; nous le croyons sans y regarder.
MS Ce sont des marques honorables qui font voir ce qu'on est.
CA Nous ne doutons pas de ce que vous êtes.
MS Vicomte, as-tu là ton carrosse?
JO Pourquoi?
MS Nous mènerions promener¨ ces dames hors des portes, ¨ et leur donnerions un cadeau¨ en excursion; (de Paris); ici: repas;
MA Nous ne saurions sortir aujourd'hui.
MS Ayons donc les violons pour danser.
JO Ma foi! c'est bien avisé¨ une bonne idée;
MA Pour cela, nous y consentons¨ mais il faut donc quel-que surcroît¨ de compagnie. sommes d'accord; supplément;
MS Holà! Champagne, Picard, Bourguignon, Sacsaret, Basque, La Verdure, Lorrain, Provençal, La Violette! Au diable soient tous les laquais! Je ne pense pas qu'il y ait gentilhomme plus mal servi que moi. Ces canailles me laissent toujours seul.
MA Almanzor, dites aux gens¨ de monsieur qu'ils aillent quérir¨ des violons, et nous faites venir ces messieurs et ces dames d'ici près¨ pour peupler¨ la solitude¨ de notre bal. (Almanzor sort) serviteurs; chercher; des voisins; remplir; manque de compagnie;
MS Vicomte, dis-moi un peu, y a-t-il longtemps que tu-n'as vu la comtesse?
JO Il y a plus de trois semaines que je ne lui ai rendu visite.
MS Sais-tu bien que le duc m'est venu voir ce matin et m'a voulu mener à la campagne courir¨ un cerf avec lui? faire la chasse d';
MA Voici nos amies qui viennent. Mon Dieu, mes chères, nous vous demandons pardon. Ces messieurs ont eu fantaisie de nous donner les âmes des pieds¨ et nous vous avons envoyé quérir¨ pour remplir les vides de notre assemblée¨ faire danser; chercher; réunion;
LU (Lucille, une des amies)Vous nous avez obligées¨ sans doute. fait plaisir;
MS Ce n'est ici qu'un bal à la hâte¨ mais l'un de ces jours nous vous en donnerons un dans les formes. organisé un peu vite;
Les violons sont-ils venus?
AL Oui, monsieur; ils sont ici.
CA Allons donc, mes chères, prenez place.
MS (dansant lui seul, comme par prélude)-La, la, la, la.
MA Il a tout à fait la taille élégante.
CA Et la mine de danser proprement.
MS (ayant pris Madélon pour danser)-Ma franchise¨ va danser la courante¨ aussi bien que mes pieds. En cadence, violons, en cadence. Oh! quels ignorants! Il n'y a pas moyen¨ de danser avec eux. Le diable vous emporte! ne sauriez-vous jouer en mesure¨ ? Là, la, la, la, la la la la la; ferme,¨ ô violons de village. liberté; (danse); il est impossible; cadence; finis;
JO Hola, ne pressez¨ pas si fort la cadence! je ne fais que sortir de maladie. rendez pas trop rapide;
LG (un bâton à la main)-Ah, ah! Coquins!¨ que faites-vous ici? Il y a trois heures que nous vous cherchons. méchants;
MS (se sentant battre)-Ahi!ahi! vous ne m'aviez pas dit que les coups en seraient aussi!¨ y seraient compris;
JO Ahi! ahi! ahi!
LG C'est bien à vous, infâme¨ que vous êtes, à vouloir faire¨ l'homme d'importance. méchant; jouer;
DC Voilà qui¨ vous apprendra à connaître.¨ ce qui; fera une leçon;
MA Que veut donc dire ceci? Quelle est donc cette audace¨ de venir nous troubler de la sorte¨ dans notre maison. arrogance; ainsi;
DC Comment! mesdames, nous endurerons¨ que nos laquais soient mieux reçus que nous; qu'ils viennent vous faire l'amour¨ à nos dépens¨ et vous donnent le bal? tolérerons; a cour; pour notre argent;
MA Vos laquais?
LG Oui, nos laquais; et cela n'est ni beau, ni honnête de nous les débaucher¨ comme vous faites. faire faire des excès;
MA O ciel! quelle insolence.¨ impertinence;
LG Mais ils n'auront pas l'avantage¨ de se servir de nos habits pour vous donner dans la vue;¨ et si vous les voulez aimer, ce sera, ma foi! pour leurs beaux yeux. (à ses serviteurs) Vite, qu'on les dépouille¨ sur le champ!¨ profit; plaire; déshabille; immédiatement;
JO Adieu notre braverie.¨ bravoure;
MS Voilà le marquisat et la vicomté à bas.¨ ruinés;
CA Ah!quelle confusion¨ ! gène, trouble;
MA Je crève¨ de dépit!¨ meurs; désillusion;
GO Ah! coquines¨ que vous êtes, vous nous mettez dans de beaux draps blancs¨ à ce que je vois; et je viens d'apprendre¨ de belles affaires, vraiment de ces messieurs qui sortent. méchantes; mauvaise situation; être informé;
MA Ah! mon père, c'est une pièce sanglante¨ qu'ils nous ont faite! choquante;
GO Oui, c'est une pièce sanglante, mais qui est un effet¨ de votre impertinence, infâmes! Ils se sont ressenti¨ du traitement que vous leur avez fait;et cependant, ¨ malheureux que je suis, il faut que je boive l'affront¨ résultat; ont été irrité; pendant cela; supporter;l' offense;
VIOLONISTE Monsieur, nous entendons¨ que vous nous contentiez¨ à leur défaut¨ pour ce que nous avons joué ici voulons; payiez; parce qu'ils ne le font pas;
GO (les battant)-Oui, oui, je vous vais contenter, et voici la monnaie¨ dont je vous veux payer. argent;
Et vous, pendardes¨ je ne sais qui me tient que je vous fasse autant;¨ nous allons servir de fable¨ et de risée de tout le monde; et voilà ce que vous vous êtes attiré par vos extravagances¨ Allez vous cacher, vilaines¨ allez vous cacher pour jamais!¨ méchantes; la même chose; être ridiculisés; absurdités; méchantes; toujours;
(Seul)
Et vous, qui êtes cause de leur folie,¨ sottes billevesées, ¨ pernicieux¨ amusements des esprits oisifs¨ romans, vers, chansons, sonnet et sonnettes, puissiez-vous être a tous les diables! sottise; non-sens; dangereux; inactifs;
Carte_du_tendre.png

11.2. L’école des femmes

Personnages:
AR ARNOLPHE, autrement M. DE LA SOUCHE,
AG AGNES, jeune fille innocente, élevée¨ par Arnolphe éduquée;
HO HORACE, amant d'Agnès
AL ALAIN, paysan, valet¨ d'Arnolphe serviteur;
GE GEORGETTE, paysanne, servante d'Arnolphe
CH CHRYSALDE, ami d'Arnolphe
EN ENRIQUE, beau-frère de Ghrysalde
OR ORONTE, père d'Horace, et grand ami d'Arnolphe

 
ACTE I
CH Voulez-vous qu'en ami je vous ouvre mon cœur?
Votre dessein¨ pour vous, me fait trembler de peur intention;
Et-de quelque façon que vous tourniez¨ l'affaire présentiez;
Prendre femme¨ est à vous un coup bien téméraire¨ vous marier; imprudent;
Et...
AR Mon Dieu! notre ami, ne vous tourmentez¨ point inquiétez;
Bien huppé¨ qui pourra m'attraper¨ sur ce point. habile; duper;
Je sais les tours rusés¨ et les subtiles trames¨ habiletés; intrigues;
Dont, pour nous en planter¨ savent user¨ les femmes duper; employer;
Et comme on est dupé par leurs dextérités.¨ habiletés;
Contre cet accident j'ai pris mes sûretés:
Et celle que j’épouse a toute innocence
Qui peut sauver mon front¨ de maligne¨ influence. ma personne; mauvaise;
Dans un petit couvent¨ loin de toute pratique pensionnat;
Je la fis élever selon ma politique;
C'est à dire, ordonnant quel soins¨ on emploîrait attention;
Pour la rendre¨ idiote autant qu'il se pourrait. faire;
Je l'ai donc après retirée; et, comme ma demeure¨ maison;
A cent sortes de monde¨ est ouverte à toute heure, gens;
Je l'ai mise à l'écart¨ comme il faut tout prévoir, loin du monde;
Dans cette autre maison où nul¨ ne me vient voir. personne;
Le résultat de tout est, qu'en ami fidèle,
Ce soir je vous invite a souper avec elle;
Je veux que vous puissiez un peu l'examiner¨ observer;
Et voir si ge mon choix on me doit condamner¨ critiquer;
CH J'y consens. ¨ suis d'accord;
AR J'y consens. ¨ Vous pourrez, dans cette conférence¨ conversation;
Juger¨ de sa personne et de son innocence. vous faire une idée de;
L'autre jour (pourrait-on se le persuader)¨ croire;
Elle était fort¨ en peine¨ et me vint demander, très; troublée;
Avec une innocence a nulle autre pareille¨ égale;
Si les enfants qu'on fait se faisaient par l'oreille.
CH Je me réjouis fort seigneur Arnolphe...
AR Je me réjouis fort seigneur Arnolphe... Bon!
Me voulez-vous toujours appeler de ce nom?
CH Ah! malgré que j'en aie,¨ il me vient à la bouche, mes efforts;
Et jamais je ne songe¨ à monsieur de La Souche. pense;
AR Adieu. Je frappe ici, pour donner¨ le bonjour, dire;
Et dire seulement que je suis de retour. (Il frappe)
(Chrysalde s'en va. Horace arrive)
AR Je me trompe! Nenni.¨ Si fait. Non, c'est lui-même, non;
Hor...
HO Hor... Seigneur Ar...
AR Hor... Seigneur Ar... Horace.
HO Hor... Seigneur Ar... Horace. Arnolphe.
AR Hor... Seigneur Ar... Horace. Arnolphe. Ah! Joie¨ extrême!¨ plaisir; très grand;
Et depuis quand ici?
HQ Et depuis quand ici? Depuis neuf jours.
AR Et depuis quand ici? Depuis neuf jours. Vraiment?
HO Je fus d'abord chez vous, mais inutilement.¨ sans résultat;
AR J’étais a la campagne.
HQ J’étais a la campagne. Oui, depuis dix journées.
AR Oh! comme les enfants croissent¨ en peu d’années! grandissent;
HO Vous voyez.
AR Vous voyez. Mais, de grâce,¨ Oronte, votre pere s.v.p.;
Mon bon et cher ami que j'estime et révère,¨ respecte;
Que fait-il? que dit-il? Est-il toujours gaillard?¨ joyeux;
HO Il est, seigneur Arnolphe, encore plus gai¨ que nous. joyeux;
Et j'avais de sa part une lettre pour vous.
AR (après avoir lu la lettre)
Sans qu'il prît le souci¨ de m'en écrire rien;¨ la peine; quelque chose;
Vous pouvez librement disposer de mon bien.
HO Je suis homme à saisir¨ les gens par leurs paroles, prendre;
Et j'ai présentement besoin de cent pistoles¨ (monnaie);
AR Ma foi, c'est m'obliger¨ que d'en¨ user¨ faire plaisir; ainsi; agir;
Et je me réjouis¨ de les avoir ici. suis heureux;
Gardez aussi la bourse.
HQ Gardez aussi la bourse. Il faut...
AR Gardez aussi la bourse. Il faut... Laissons ce style.
Hé bien, comment encore trouvez-vous cette ville?
HO A ne vous rien cacher de la vérité pure,
J'ai d'amour en ces lieu¨ eu certaine aventure. ici;
A Et c'est?
HO (lui montrant le logis d’Agnès devant lequel ils se trouvent)
Et c'est? Un jeune objet¨ qui loge en ce logis personne;
Dont vous voyez d'ici que les murs sont rougis;
C'est Agnès qu'on l'appelle.
AR C'est Agnès qu'on l'appelle. Ah!je crève¨ meurs;
HO C'est Agnès qu'on l'appelle. Ah!je crève¨ Pour l'homme,
C'est, je crois, de la Lousse, ou Source, qu'on le nomme;
Et l'on m'en a parlé comme d'un ridicule.
Le connaissez-vous point?
AR Le connaissez-vous point? La fâcheuse pilule!¨ chose désagréable;
HO Hé! vous ne dites mot?
AR Hé! vous ne dites mot? Hé oui, je le connais.
HO C'est-un fou, n'est-ce pas? Hé... Qu'en dites-vous? Quoi?
Vous me semblez chagrin! Serait-ce qu'en effet
Vous désapprouveriez¨ le dessein¨ que j'ai fait? ne seriez pas d'accord avec; plan;
AR Non, c'est que je songeais¨ pensais;
HO Non, c'est que je songeais¨ Cet entretien¨ vous lasse¨ conversation; fatigue;
Adieu. J'irai chez vous tantôt vous rendre grâce.¨ remercier;
AR (seul)Oh! oh! que j'ai souffert¨ durant cet entretien! eu mal;
Jamais trouble d'esprit ne fut égal au mien.
Mais, ayant souffert, je devais me contraindre¨ maîtriser;
Jusques à m’éclairer¨ de ce que je dois craindre, pour savoir;
A pousser¨ jusqu'au bout son caquet¨ indiscret, faire aller; conversation;
Et savoir pleinement leur commerce¨ secret, relation;

 
ACTE II
AR Venez Agnès
Venez Agnès Rentrez.¨ (à Alain et Georgette);
Venez Agnès Rentrez.¨ La-promenade est belle.¨ (à Agnès);
AG Fort¨ belle. très;
AR Fort¨ belle. Le beau jour.
AG Fort¨ belle. Le beau jour. Fort beau.
AR Fort¨ belle. Le beau jour. Fort beau. Quelle nouvelle?
AG Le petit chat est mort.
AR Le petit chat est mort. C'est dommage; mais quoi!
Nous sommes tous mortels et chacun est pour soi.
(après avoir un peu rêvé)¨ ici: médité;
Le monde, chère Agnès, est une étrange chose!
Voyez¨ la médisance¨ et comme chacun cause¨ prenez par exemple; accusations fausses; parle;
Quelques voisins m'ont dit qu'un jeune homme inconnu
Était en mon absence a la maison venu,
Que vous aviez souffert¨ sa vue et ses harangues;¨ toléré; conversations;
Mais je n'ai point pris foi sur¨ ces méchantes langues, cru à;
Et j'ai voulu gager que c’était faussement ...,
AG Mon Dieu! ne gagez pas, vous perdriez vraiment.
AR Quoi!c'est la vérité qu'un homme...?
AG Quoi!c'est la vérité qu'un homme...? Chose sûre.
Il n'a presque bougé de chez nous¨ je vous jure.¨ quitté la maison; assure;
AR (bas, à part)
Cet aveu¨ qu'elle fait avec sincérité déclaration;
Me marque pour le moins son ingénuité.¨ innocence;
(haut)
Mais il me semble, Agnès si ma mémoire est bonne,
Que J'avais défendu que vous vissiez personne.
AG Oui, mais, quand je l'ai vu, vous ignorez¨ pourquoi; ne savez pas;
Et vous auriez fait, sans doute, autant¨ que moi. la même chose;
AR Peut-être. Mais, enfin contez¨ moi cette histoire. racontez;
AG Elle est fort étonnante, et difficile à croire.
J’étais au balcon à travailler au frais¨ à l'air;
Lorsque je vis passer sous les arbres d’auprès¨ tout près;
Un Jeune homme, bien fait, qui rencontrant ma vue,¨ regard;
D'une humble¨ révérence aussitôt¨ me salue; respectueuse; immédiatement;
Moi, pour ne point manquer a la civilité,¨ respect;
Je fis la révérence aussi de mon côte.
AR Fort bien.
AG Fort bien. Le lendemain¨ étant sur notre porte jour après;
Une vieille m'aborde,¨ en parlant de la sorte:¨ s'adresse à moi; ainsi;
"Mon enfant, le bon Dieu puisse-t-il vous bénir¨ faire du bien;
"Et dans tous vos attraits¨ longtemps vous maintenir! beautés;
"Il ne vous a pas faite une belle personne
"Afin de¨ mal user¨ les choses qu'il vous donne; pour; employer;
"Et vous devez savoir que vous avez blessé
"Un cœur qui de s'en plaindre¨ est aujourd'hui forcé. en être mécontent;
AR (à Part)
Ah! Suppôt¨ de Satan! exécrable¨ damnée. complice; abominable;
AG "Moi, j'ai blesse quelqu'un!" fis-je tout étonnée.
"Oui, dit-elle, mais blessé tout de bon
"Et c'est l'homme qu'hier vous vîtes du balcon.
"En un mot, il languit¨ , le pauvre miserable; soufre;
"Et s'il faut, poursuivit la vieille charitable
"Que votre cruauté¨ lui refuse un secours¨ méchanceté; aide;
"C'est un homme à porter en terre dans deux jours
Voilà comme¨ il me vit, et reçut guérison. comment;
Vous-même, à votre avis¨ n'ai-je pas eu raison? opinion;
Et pouvais-je, après tout, avoir la conscience¨ responsabilité;
De le laisser mourir, faute¨ d'assistance? sans;
AR Chut.¨ De votre innocence, Agnès, c'est un effet silence;
Je ne vous en dis mot. Ce qui est fait est fait.
Mais enfin, apprenez qu'accepter des cassettes,¨ cadeaux;
Et des beaux blondins¨ écouter les sornettes,¨ garçon blond; paroles;
Que se laisser par eux, à force de langueur¨ par mélancolie;
Baiser ainsi les mains et chatouiller¨ le cœur, flatter;
Est un péché¨ mortel des plus gros qu'il se fasse. faute;
AG N'est-ce plus un péché lorsque l'on se marie?
AR Non.
AG Non. Mariez-moi donc promptement, je-vous prie.¨ s.v.p.;
AR Si vous le souhaitez,¨ je le souhaite aussi. désirez;
Et pour vous marier on me revoit ici.
AG Parlez-vous tout de bon?¨ sérieusement;
AR Parlez-vous tout de bon?¨ Oui, vous le pourrez voir.
AG Nous serons mariés?
AR Nous serons mariés? Oui.
AG Nous serons mariés? Oui. Mais quand?
AR Nous serons mariés? Oui. Mais quand? Dès¨ ce soir. déjà;
AG (riant)
Dès ce soir?
AR Dès ce soir? Dès ce soir. Cela vous fait donc rire?
AG Oui.
AR Oui. Vous voir bien contente est ce que je désire.
AG Hélas! que je vous ai grande obligation,
Et qu'avec lui j'aurai de satisfaction!
AR Avec qui?
AG Avec qui? Avec...Là...
AR Avec qui? Avec...Là... Là...Là n'est pas mon compte.¨ ce que je veux;
À choisir un mari vous êtes un peu prompte.
C'est un autre, en un mot, que je vous tiens tout prêt.¨ ai préparé;
Et quant au¨ monsieur-là, je prétends¨ s'il vous plaît, pour; veux;
Qu'avec lui désormais¨ vous rompiez¨ tout commerce.¨ à l'avenir; arrêtiez; Contact;

 
ACTE III
HO Je reviens de chez vous, et le destin¨ me montre Fortune;
Qu'il n'a pas résolu¨ que je vous y rencontre. décidé;
Mais j'irai tant de fois, qu'enfin quelque moment...
AR Hé! mon Dieu! n'entrons point dans de vains¨ compliments. inutiles;
C'est un maudit¨ usage¨ et la plupart des gens mauvais; tradition;
Y perdent sottement les deux tiers de leur temps.
Mettons donc sans façon¨ Hé bien!vos amourettes? compliments;
Puis-je, seigneur Horace apprendre où vous en êtes?
HO Ma foi, depuis qu'à vous s'est découvert mon cœur,
Il est a mon amour arrivé du malheur.
AR Oh!oh! comment cela?
HO Oh!oh! comment cela? La fortune cruelle
A ramené des champs¨ le patron de la belle. de la campagne;
AR Quel malheur!
HO Et de plus¨ à mon très grand regret,¨ deuxièmement; déplaisir;
Il a su de nous deux le commerce¨ secret¨ contacts; caché;
AR D'où, diantre,¨ a-t-il si tôt appris cette aventure? par le diable;
HO Je ne sais; mais enfin c'est une chose sûre.
Je pensais aller rendre, à mon heure à peu près,
Ma petite visite a ses jeunes attraits,¨ beautés;
Lorsque, changeant pour moi de ton et de visage,
Et servante et valet¨ m'ont bouché¨ le passage serviteur; fermé;
AR Ils n'ont donc point ouvert?
HO Ils n'ont donc point ouvert? Non, Et de la fenêtre
Agnès m'a confirmé¨ le retour de ce maître, assuré;
En me chassent de là d'un ton plein de fierté¨ arrogance;
Accompagné d'un grès¨ que sa main a jeté. pierre;
AR Comment d'un grès?
HO Comment d'un grès? D'un grès de taille¨ non petite dimension;
Dont on a, par sa main régalé¨ ma visite. rendue agréable (iron.);
Cette pierre ou ce grès dont vous vous étonniez
Avec un mot de lettre est tombée à mes pieds.
Trouvez-vous pas plaisant de voir quel personnage
A joué mon jaloux dans tout ce badinage?¨ jeu amusant;
Je puis, comme j'espère, à ce franc animal,
Ce traître, ce bourreau, ce faquin, ce brutal....
AR Adieu.
HO Adieu. Comment! si vite?
AR Adieu. Comment! si vite? Il m'est dans la pensée
Venu tout maintenant une affaire pressée.

 
ACTE IV
HO Je viens de l’échapper bien belle,¨ je vous jure. me tirer du danger;
Au sortir d'avec vous, sans prévoir l'aventure,
Seule dans son balcon j'ai vu paraître Agnès,
Qui des arbres prochains¨ prenait un peu le frais¨ tout près; air frais;
Après m'avoir fait signe, elle a su faire en sorte¨ s'arranger;
Descendant au jardin, de m'en ouvrir la porte.
Mais à peine¨ tous deux dans sa chambre étions-nous, pas une minute;
Qu'elle a, sur les degrés¨ entendu son jaloux. l'escalier;
Nous n'avons point voulu, de peur du personnage,
Risquer à nous tenir¨ ensemble d'avantage¨ rester; plus longtemps;
C’était trop hasarder¨ mais je dois, cette nuit, risquer;
Dans sa chambre un peu tard m'introduire sans bruit.
En toussant par trois fois je me ferai connaître;
Et je dois, au signal, voir ouvrir la fenêtre.
Comme à mon seul ami, je veux vous bien l'apprendre¨ le dire;
L’allégresse¨ du cœur s'augmente¨ la répandre¨ joie; grandit; communiquer;
Vous prendrez part, je pense, à l'heur¨ de mes affaires. bonheur;
Adieu. Je vais songer¨ aux choses nécessaires. penser;
AR Si son cœur m'est volé par ce blondin funeste,
J'empêcherai du moins qu'on s'empare¨ du reste. je ferai qu'on lui prenne pas;
Et cette nuit, qu'on prend pour ce galant exploit¨ acte héroïque;
Ne se passera pas si doucement qu'on croit..

 
ACTE V
HO Vous? vous, seigneur Arnolphe?
AR Vous? vous, seigneur Arnolphe? Oui. Mais vous?
HO Vous? vous, seigneur Arnolphe? Oui. Mais vous? C'est Horace
Je m'en allais chez vous vous prier d'une grâce.
Je viens vous avertir¨ que tout a réussi dire;
Et même beaucoup plus que je n'eusse osé dire,
Et par un incident qui devait tout détruire.¨ ruiner;
Je ne sais point par où l'on a pu soupçonner¨ avoir une idée;
Cette assignation¨ qu'on m'avait su donner. rendez-vous;
Mais, étant sur le point d'atteindre¨ la fenêtre, arriver à;
J'ai, contre mon espoir, vu quelques gens¨ paraître, serviteurs;
Qui, sur moi brusquement levant chacun le bras,
M'ont fait manquer le pied et tomber jusqu'en bas.
Ils ont cru tout de bon¨ qu'ils m'avaient assommé¨ sérieusement; tué;
Et chacun d'eux sien est aussitôt¨ alarmé. immédiatement;
Ils se sont retires avec beaucoup d'effroi;¨ peur;
Et comme je songeais¨ à me retirer, moi, voulais;
De cette feinte¨ mort la jeune Agnès émue;¨ simulée; émotionée;
Avec empressement¨ est devers¨ moi venue. énergie; vers;
Que vous dirai-je? Enfin cette aimable personne
A suivi les conseils que son amour lui donne,
N'a plus voulu songer¨ à retourner chez soi penser;
Et de tout son destin s'est commise¨ à ma foi.¨ abandonné; parole;
Ce que Je veux de vous, sous un secret fidèle
C'est que je puisse mettre en vos mains cette belle, _
Que dans votre maison, en faveur de¨ mes feux¨ au profit de; amour;
Vous lui donniez retraite au moins un jour ou deux,
AR Je suis, n'en doutez point, tout à votre service.
HO Vous voulez bien me rendre un si charmant office¨ ? service;
(à Agnès)
Ne soyez point en peine¨ où je vais vous mener; chagrin;
C'est un logement sûr que je vous fais donner.
Vous loger avec moi, ce serait tout détruire:¨ ruiner;
Entrez dans cette porte, et laissez-vous conduire.
(Arnolphe lui prend la main sans qu'elle le reconnaisse)
AG Pourquoi me quittez-vous?
HO Pourquoi me quittez-vous? Chère Agnès, il le faut.
AG Songez donc, je vous prie,¨ à revenir bientôt. S.v.p.;
Quand vous verrai-je donc?
HO Quand vous verrai-je donc? Bientôt, assurément.
AG Que je vais m'ennuyer¨ jusques à ce moment! être chagrine;
HO (s'en allant)
Grâce au ciel, mon bonheur n'est plus en concurrence.
Et je puis maintenant dormir en assurance.
AR (caché dans son manteau, et déguisant¨ sa voix) changeant;
Venez, ce n'est pas là que je vous logerai,
Et votre gîte¨ ailleurs¨ est par moi préparé. logis; à un autre place;
Je prétends en lieu sûr mettre votre personne. autre place
(Se faisant connaître)
Me connaissez-vous?
AG Me connaissez-vous? Hai!
AR Me connaissez-vous? Hai! Mon visage, friponne,¨ méchante;
Dans cette occasion rend vos sens effrayés¨ vous rend peureuse;
Et ce galant, la nuit, vous a donc enhardie?¨ encouragée;
Ah! coquine, en venir a cette perfidie!
Malgré tous mes bienfaits former un tel dessein!¨ plan;
Petit serpent que j'ai réchauffé dans mon sein¨ contre le cœur;
AG Pourquoi me criez-vous?
AR Pourquoi me criez-vous? J'ai grand tort, en effet!
AG Je n'entends point de mal¨ dans tout ce que j'ai fait je n'avais pas de mauvaises intentions;
AR Suivre un galant n'est pas une action infâme?
AG C'est un homme qui dit qu'il me veut pour sa femme;
J'ai suivi vos leçons, et vous m'avez prêche¨ appris;
Qu'il se faut marier pour ôter¨ le péché;¨ enlever; la faute;
AR Oui, mais pour femme, moi je prétendais¨ vous prendre; voulais;
Et je vous l'avais fait, me semble¨ assez entendre. je pense;
AG Mon Dieu! ce n'est pas moi que vous devez blâmer:¨ critiquer;
Que ne vous êtes-vous, comme lui, fait aimer?
AR Hé bien! faisons la paix, va, petite traîtresse¨ perfide;
Je te pardonne tout et te rends ma tendresse;¨ amour;
Considère¨ par là l'amour que j'ai pour toi, regarde;
Et, me voyant si bon, en revanche¨ aime-moi. de ton côté;
Je suis tout prêt, cruelle, à te prouver ma flamme.¨ amour;
AG Tenez, tous vos discours¨ ne me touchent point l’âme: paroles;
Horace avec deux mots en ferait plus que vous.
AR Ah! c'est trop me braver, trop pousser mon courroux¨ fureur;
Je suivrai mon dessein,¨ bête trop indocile,¨ intention; désobéissant;
Et vous dénicherez¨ à l'instant de la ville, quitterez;
(à Alain)
Trouvez une voiture. Enfermez-vous des mieux¨ très bien;
Et surtout gardez-vous¨ de la quitter des yeux. faites attention de ne pas;
(Seul)
Peut-être que son âme, étant dépaysée,¨ loin de tout;
Pourra de cet amour être désabusée.¨ guérie;
HO Ah! je viens vous trouver, accablé¨ de douleur¨ rempli; chagrin;
Le ciel, seigneur Arnolphe, a conclu¨ mon malheur décidé;
Pour arriver ici mon père a pris le frais;¨ dépensé l'argent;
J'ai trouvé qu'il mettait pied à terre ici près.
C'est qu'il m'a marié sans m'en écrire rien,
Et qu'il vient en ces lieux¨ célébrer ce lien.¨ ici; mariage;
Mon père ayant parlé de vous rendre visite,
L'esprit plein de frayeur¨ je l'ai devancê ¨ vite. peur; suis arrivé avant lui;
De grâce, gardez-vous de lui rien découvrir¨ ne lui parlez pas;
De mon engagement qui le pourrait aigrir.¨ irriter;
Et tâchez, comme en vous il prend grande créance¨ confiance;
De le dissuader¨ de cette autre alliance.¨ détourner; engagement;
AR Oui-da.
HO Oui-da. Conseillez-lui de différer¨ un peu. retarder;
Et rendez, en ami ce service a mon feu.¨ amour;
AR Oui, je vais vous servir de la bonne façon
HO Gardez encore un coup.¨ N'ayez aucun soupçon¨ un moment; méfiance;
(Arnolphe quitte Horace pour aller embrasser Oronte qui arrive)
OR Ah! que cette embrassade est pleine de tendresse¨ ! amitié;
AR Que je sens à vous voir une grande allégresse¨ joie;
OR Je suis ici venu..
AR Je suis ici venu.. Sans m'en faire le récit,¨ me le dire;
Je sais ce qui vous mène.¨ fait venir;
OR Je sais ce qui vous mène.¨ On vous l'a déjà dit?
AR Oui.
OR Oui. Tant mieux.
AR Oui. Tant mieux. Votre fils a cet hymen¨ résiste¨ mariage; est contraire;
Et son cœur prévenu¨ n'y voit rien que de triste. opposé;
l m a même prié¨ de vous en détourner; demandé;
Et moi, tout le conseil que je vous puis donner,
C'est de ne pas souffrir¨ que ce nœud¨ se diffère,¨ tolérer; mariage; soit retardé;
Et de faire valoir l’autorité de père.
Je vous ai conseillé, malgré tout son murmure¨ protestations;
D'achever l’hyménée.
OR D'achever l’hyménée. Oui. Mais pour le conclure¨ exécuter;
Si l'on vous a dit tout, ne vous a-t-on pas dit
Que vous avez chez vous celle dont il s'agit?¨ en question;
La fille qu'autrefois,¨ de l'aimable Angelique, au passé;
Sous des liens¨ secrets¨ eut le seigneur Enrique? mariage; caché;
AR Quoi!...
CH Quoi!... D'un hymen¨ secret ma sœur eut une fille, mariage;
Dont on cacha le sort¨ à toute la famille, existence;
Et qui, sous de feints¨ noms, pour ne rien découvrir, faux;
OR Par son époux,¨ aux champs¨ fut donnée à nourrir.¨ mari; à la campagne; éduquer;
CH Et dans ce temps, le sort,¨ lui déclarant la guerre, fatalité;
L obligea¨ força) de sortir de sa natale terre.;
OR Et de retour en France, il a cherché d'abord ça
Celle à qui de sa fille il confia le sort.¨ existence;
CH Et cette_paysanne a dit avec franchise¨ ouvertement;
Qu'en vos mains à quatre ans elle l'avait remise.¨ donnée;
OR Et vous allez, enfin, la voir venir ici,
Pour rendre aux yeux de tous ce mystère éclairci.
AR (s'en allant tout transporte,¨ et ne pouvant parler) furieux;
Ouff!
OR Ouff! D'où vient qu'il s'enfuit sans rien dire?
HO Ouff! D'où vient qu'il s'enfuit sans rien dire? Ah! mon père,
Vous saurez pleinement ce surprenant mystère.
J’étais, par des doux nœuds¨ d'une ardeur¨ mutuelle¨ engagement; amour; que l'un avait pour l'autre;
Engagé de parole avec que cette belle;
Et c'est elle, en un mot, que vous venez chercher,
Et pour qui mon refus a pensé vous fâcher
EN Je n'en ai point douté d'abord que je l'ai vue.
Et mon âme depuis n'a cessé¨ d’être émue. fini;
Ah! ma fille, je cède à des transports¨ si doux. émotions;
CH J'en ferais de bon cœur¨ mon frère, autant que vous. avec plaisir;

11.3. La critique de l'école des femmes

Personnages:
UR URANIE
EL ELISE
CL CLIMÈNE
LM LE MARQUIS
DO DORANTE ou LE CHEVALIER
LY LYSIDAS, poète
GA GALOPIN, laquais

 
CL Hé! de grâce¨ ma chère, faites-moi vite donne un siège.¨ s.v.p; chaise];
UR (à Galopin) Un fauteuil promptement.
CL Ah!mon Dieu!
UR Qu'est-ce donc?
CL Je n'en puis plus¨ je suis trop énervée;
UR Qu'avez-vous?
GL Le cœur me manque.
UR Sont-ce des vapeurs¨ qui vous ont prise? malaises;
CL Non.
UR Quel est donc votre mal, et depuis quand vous a-t-il pris.
CL Il y a plus de trois heures, et je l'ai rapporté du Palais-Royal.
UR Comment?
GL Je viens de voir, pour mes péchés, cette méchante rhapsodie de "l’École des Femmes". Je suis encore en défaillance¨ du mal de cœur que cela m'a donné et je pense que je n'en reviendrai plus¨ de quinze jours. malaise; serai plus guérie;
EL Voyez un peu comme les maladies arrivent sans qu'on y songe.¨ pense;
UR Je ne sais pas de quel tempérament nous sommes ma cousine et moi, mais nous fumes avant-hier à la même pièce, et nous en revînmes toutes deux saines¨ et gaillardes¨ en bonne santé; joyeuses;
GL Quoi! vous l'avez vue?
UR Oui et écoutée d'un bout à l'autre.
CL Ah! mon Dieu! que dites-vous là? Pour moi, je vous avoue¨ que je n'ai trouvé le moindre grain de sel¨ dans tout cela." Les enfants par l'oreille" m'ont paru d'un goût¨ détestable.¨ reconnais; ici: chose spirituel; style; blâmable;
UR Pour dire ma pensée, je tiens cette comédie pour une des plus plaisantes¨ que l'auteur ait produites. amusantes;
LM Votre petit laquais, madame, a du mépris¨ pour ma personne. (contraire de respect);
EL Il aurait tort¨ sans doute. n'aurait pas raison;
LM Sur quoi en étiez-vous¨ mesdames, lorsque je vous ai de quoi parliez vous;
interrompues?
UR Sur la comédie de "l’École des Femmes".
LM Je ne fais que¨ je viens)d'en sortir.;
GL Hé bien, monsieur, comment la trouves-vous, s.v.p.?
LM Tous à fait impertinente.
CL Ah! que j'en suis ravie¨ très contente;
LM Il ne s'est jamais fait, je pense, une si méchante comédie.
UR Ah! voici Dorante que nous attendions.
DO Ne bougez pas,¨ de grâce,¨ et n'interrompez point votre discours. Vous êtes là sur une matière qui, depuis quatre jours, fait presque l'entretien¨ de toutes les maisons de Paris, et jamais on n'a rien vu de si plaisant que la diversité des jugements¨ qui se font là dessus. Car enfin, j'ai ouï¨ condamner¨ cette comédie à certaines gens par les mêmes choses que j'ai vu d'autres estimer¨ le plus. restez assises; s.v.p; conversation; opinion; entendu; critiquer; apprécier;
UR Voila monsieur le marquis gui en dit force¨ mal. beaucoup de;
LM Il est vrai, je la trouve détestable¨ morbleu! détestable, du dernier¨ dêtestab1e, ce qu'on appelle détestable. abominable; très;
DO Et moi, mon cher marquis, je trouve le jugement¨ détestable. opinion;
LM Il ne faut que voir les continuels éclats de rire que le parterre¨ y fait. Je ne veux point d'autre chose pour témoigner¨ qu'elle ne vaut rien. (ou se trouve le peuple); montrer;
DO Tu es donc, marquis, de ces messieurs du bel air, qui ne veulent pas que le parterre ait du sens commun¨ et qui seraient fâchés d'avoir ri avec lui, fût-ce de la meilleure chose du monde? de l'intelligence;
LM Te voilà donc, chevalier, le défenseur du parterre? Parbleu! je m'en réjouis¨ et je ne manquerai pas de l'avertir¨ que tu es de ses amis. Hai, hai, hai, hai, hai. en suis content; lui dire;
DO Ris tant que tu voudras. Je suis pour le bon sens¨ et je ne saurais souffrir¨ les ébullitions de cerveau¨ de nos marquis de Mascarille. le raisonnable; tolérer; fantaisies;
LY Madame, je viens un peu tard; mais il m'a fallu¨ lire ma pièce chez madame la marquise dont je vous avais parlé; et les louanges¨ qui lui¨ ont été données, m'ont retenu une heure plus que je ne croyais. j'ai dû; compliments; (=à ma pièce);
EL C'est un grand charme que les louanges pour arrêter un auteur!
UR Mais sachons un peu les sentiments¨ de monsieur Lysidas. opinion;
LY Sur quoi, madame?
UR Sur le sujet de "l’École des Femmes".
LY Ah! ah!
DO Que vous en semble?¨ Qu'en pensez-vous;
LY Molière est bien heureux, monsieur, d'avoir un protecteur¨ aussi chaud que vous. Mais enfin, pour venir au fait, il est question¨ de savoir si la pièce est bonne, et je m'offre d'y montrer partout cent défauts. défenseur; important;
UR Mais de grâce, monsieur Lysidas, faites nous voir ces défauts, dont je ne me suis pas aperçue.¨ que je n'ai pas vu;
LY Ceux qui possèdent¨ Aristote et Horace, voient d'abord, madame, que cette comédie pèche¨ contre toutes les règles de l'art. ont étudié; fait des fautes;
DO Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles dont vous embarrassez¨ les ignorants,¨ et nous étourdissez¨ tous les jours. Il semble, à vous ouïr parler¨ que ces règles de l'art soient les plus grands mystères du monde; et"cependant¨ ce ne sont que quelques observations aisées¨ que le bon sens¨ a faites sur ce qui peut ôter¨ le plaisir que l'on prend a ces sortes pratiques de poèmes. troublez; peu intelligents; fatiguez; quand on vous entend; mais; faciles; raison; faire disparaître;
UR J'ai remarqué une chose de ces messieurs-là; c'est que ceux qui parlent le plus de règles, et qui les savent mieux que les autres, font des comédies que
personne ne trouve belles.
LY Est-il rien de si peu spirituel, ou, pour mieux dire, rien de si bas¨ que quelques mots ou tout le monde rit, et surtout celui des “enfants par l'oreille". plat;
CL Fort¨ bien. très;
LY Arnolphe ne donne-t-il pas trop librement son argent à Horace?Et puisque¨ c'est le personnage ridicule de la pièce, fallait-il lui¨ faire faire l'action d'un honnête homme? parce que; par lui;
LM Bon. La remarque est encore bonne.
DO Pour ce qui est des "enfants par l'oreille", ils ne sont plaisante que par réflexion¨ a Arnolphe; et l'auteur n'a pas mis cela pour être de soi un bon¨ mot, mais seulement une chose qui caractérise l’homme, et peint d'autant mieux son extravagance,¨ puisqu'il¨ rapporte une sottise triviale qu'a dite Agnès, comme la chose la plus belle du monde, et qui lui donne une joie inconcevable.¨ Quand à l'argent qu'il donne librement, outre¨ que la lettre de son meilleur ami lui est une cation¨ suffisante, il n'est pas incompatible¨ qu'une personne soit ridicule en de certaines choses et honnête homme en d'autres rapport; spirituel; excentricité; (=Arnolphe); incompréhensible; à coté; garanti; contradictoire;
LM Ma foi chevalier tu ferais mieux de te taire.¨ ne pas parler;
DO Fort bien. Mais enfin si nous nous regardions nous-mêmes, quand nous sommes bien amoureux...
LM Je ne veux pas t’écouter.
DO Écoutes-moi, si tu veux. Est-ce que dans la violence de la passion ...
LM La, la, la, la, (il chante)
UR Il se passe des choses assez plaisantes dans notre dispute. Je trouve qu'on pourrait bien faire une petite comédie, et que cela ne serait pas trop mal à la queue¨ de "L'École des Femmes". fin;
Do Vous avez raison.
UR Puisque Chacun en serait content, chevalier, faites Un mémoire de tout, et le donnez à Molière, que vous connaissez, pour le mettre en comédie.
DO Oui. Mais quel dénouement¨ pourrait-il trouver à ceci? fin;
GA Madame, on a servi sur table.
DO Ah! Voilà justement ce qu'il faut pour le dénouement!
UR La comédie ne peut pas finir mieux!

12. Blaise Pascal

12.1. Les provinciales(1657)

Lettres écrites à un provincial par un de ses amis sur le sujet des disputes présentes de la Sorbonne.

 
MONSIEUR,
Nous étions bien abusés.¨ Je ne suis détrompé¨ que hier; jusque-là, j'ai pensé que le sujet des disputes de Sorbonne était bien important, et d'une extrême¨ importance pour la religion. Tant d’assemblées¨ d'une compagnie aussi célèbre qu'est la Faculté¨ de Paris,où il s'est passé tant de choses si extraordinaires et si hors d'¨ exemple, en font concevoir¨ une si haute idée qu'on ne peut croire qu'il n'y en ait un sujet bien extraordinaire. dupés; tiré d'erreur; très grande; réunions; université; sans; former;
Cependant¨ vous serez bien surpris quand vous apprendrez¨ par ce récit¨ à quoi se termine¨ un si grand éclat;¨ et c'est ce que je vous dirai en peu de mots après m'en être parfaitement instruit.¨ mais; serez informé; rapport; finit; tumulte; informé;
On examine deux questions, l'une de fait, l'autre de droit.
Celle de fait consiste¨ à savoir si Monsieur Arnauld est téméraire¨ pour avoir dit dans sa seconde lettre "qu'il a lu exactement le livre de Jansénius,et qu'il n'y a point trouvé les propositions¨ condamnées¨ par le feu¨ pape; et néanmoins¨ que, comme il condamne ces propositions en quelque lieu¨ qu'elles se rencontrent, il les condamne dans Jansénius, si elles y sont." est; peu exact; thèses; défendues; qui est mort; cependant; où;
La question est de savoir s'il a pu sans témérité¨ témoigner¨ par là qu'il doute que ces propositions soient de Jansénius, après que ces messieurs les évêques ont déclaré qu'elles y sont. ici:tort; dire;
On propose l'affaire en Sorbonne, soixante et onze docteurs entreprennent sa défense,et soutiennent¨ qu'il n'a pu répondre autre chose. déclarent;
De l'autre part se sont trouvés quatre-vingts docteurs séculiers¨ et quelque quarante moines mendiants¨ qui ont condamné la proposition de Monsieur Arnauld sans vouloir examiner si ce qu'il avait dit était vrai ou faux, et ayant même déclaré qu'il ne s'agissait pas de la vérité,¨ mais seulement de la témérité¨ de sa proposition. prêtre; religieux; la vérité n’était pas en question; arrogance;
Pour la question de droit, elle semble bien plus considérable¨ en ce qu'elle touche¨ la foi.¨ Aussi¨ j'ai pris soin particulier¨ de m'en informer. Mais vous serez bien satisfait¨ de voir que c'est une chose aussi peu importante que la première. importante; a rapport à; religion; pour cela; attention spéciale; content;
Il s'agit¨ d'examiner ce que Monsieur Arnauld a dit dans la même lettre, "que la grâce, sans laquelle on ne peut rien,a manqué a Saint Pierre dans sa chute". Sur quoi nous pensions, vous et moi, qu'il était question d'examiner les plus grands principes de la grâce, comme si elle n'est pas donnée a tous les hommes, ou bien si elle est efficace; mais nous étions bien trompés.¨ Je suis devenu grand théologien en peu de temps, et vous en allez voir des marques. on doit; dupés;
Pour savoir la chose au vrai, je vis¨ Monsieur N., docteur de Navarre, qui demeure près de chez moi, qui est, comme vous le savez, des plus zélés¨ contre les Jansénistes; et, comme ma curiosité me rendait¨ presque aussi ardent¨ que lui, je lui demandai s'ils ne décideraient pas formellement que la grâce est donnée a tous les hommes afin¨ que on n’agitât¨ plus ce doute. Mais il me rebuta rudement et me dit que ce n’était pas la le point; qu'il y en avait de ceux de son côté qui tenaient que la grâce n'est pas donnée à tous; que les examinateurs mêmes avaient en pleine Sorbonne que cette opinion est problématique, et qu'il était lui-même dans ce sentiment¨ ce qu'il me confirma par ce passage, qu'il dit être célébré, de Saint Augustin: "Nous savons que la grâce n'est pas donnée a tous les hommes". j'ai rendu visite à; passionnés; faisait; passionné; pour faire; avançât; opinion;
Je lui fis excuse d'avoir mal pris son sentiment, et le priai de me dire s'ils¨ condamneraient donc pas au moins cette autre opinion des Jansénistes qui fait tant de bruit:¨ que la grâce est efficace, et qu'elle détermine¨ notre volonté a faire le bien". Mais je ne fus pas plus heureux en cette seconde question, "Vous n'y entendez¨ rien,me dit-il; ce n'est pas là une hérésie,¨ c'est une opinion orthodoxe; tous les Thomistes la tiennent¨ , et moi-même l'ai soutenue dans ma "Sorbonique". ces zélés; tumulte; décide; comprenez; fausse doctrine; défendent;
Je n'osai lui proposer mes doutes, et même je ne savais plus ou était la difficulté quand,pour m'en éclaircir¨ je le suppliai¨ de me dire en quoi consistait¨ l'hérésie de la proposition de Monsieur Arnauld. "C'est,ce me dit-il,en ce qu'il ne reconnaît¨ pas que les justes aient le pouvoir d'accomplir¨ les commandements de Dieu en la manière que nous l'entendons". informer; demandai; quelle était; accepte; réaliser;
Je le quittai après cette instruction,et, bien glorieux de savoir le nœud¨ de l'affaire, je fus¨ trouver Monsieur N., qui se porte de mieux en mieux,¨ et qui eut assez de santé pour me conduire chez son beau-frère, qui est Janséniste, et pourtant fort bon homme. Pour en être mieux reçu, je feignis¨ d'être fort des siens,¨ et lui dis: “Serait-il bien possible que la Sorbonne introduisît dans l’Église cette erreur, que tous les justes ont toujours le pouvoir d'accomplir les commandements? "Comment l'essentiel; j'allai; en bonne santé; simulai; d'accord;
parlez-vous? me dit mon docteur; appelez-vous erreur un sentiment si catholique, et que les seuls Luthériens et Calvinistes combattent? Et quoi! lui dis-je n'est-ce pas votre opinion? Non,me dit-il, nous anathématisons¨ comme hérétique et impie.¨ condamnons; anti-religieuse;
Il m'en parla si sérieusement que je ne pus en douter. Et, sur cette assurance, je retournai chez mon premier docteur, et lui dis, bien satisfait¨ que j’étais sûr que la paix serait bientôt en Sorbonne; que les Jansénistes étaient d’accord du pouvoir qu'ont les justes d'accomplir les préceptes¨ que j'en étais garant. "Tout beau" me dit-il, il faut être théologien pour en voir la fin. content; règles;
La différence est si subtile qu'à peine¨ pouvons-nous la marquer nous mêmes; vous auriez trop de difficulté à entendre. Contentez-vous donc de savoir que le Jansénistes vous diront bien que tous les justes ont toujours le pouvoir d'accomplir les commandements (Ce n'est pas de quoi nous disputons); mais ils ne vous diront pas que ce pouvoir soit prochain: c'est là le point. presque pas;
Ce mot me fut nouveau et inconnu. Jusque-là, j'avais entendu¨ les affaires, mais ce terme me jeta dans l'obscurité, et je crois qu'il n'a été invente que pour brouiller.¨ Je lui en demandai donc l’explication, mais il m'en fit un mystère, et me renvoya sans autre satisfaction¨ pour demander aux Jansénistes s'ils admettaient¨ ce pouvoir prochain. Je chargeai ma mémoire de ce terme; car mon intelligence n'y avait aucune part. compris; compliquer; explication; acceptaient;
Et de peur de l'oublier, je fus¨ promptement retrouver mon Janséniste, à qui je dis, immédiatement après les premières civilités¨ : "Dites-moi, je vous prie, si vous admettez le pouvoir prochain". Il se mit¨ à rire et me dit froidement: "Dites-moi vous-même en quel sens¨ vous l'entendez, et alors je vous dirai ce que j'en crois". j'allai; compliments; commença; signification;
Je le quittai, et fus d'abord chez un es disciples de Monsieur le Moine.
Je le suppliai¨ de me dire ce que c’était qu'avoir le pouvoir prochain de faire quelque chose. "Cela est aisé ¨ me dit-il; c'est avoir tout ce qui est nécessaire pour la faire, de telle sorte¨ qu'il ne manque rien pour agir. Et ainsi,lui dis-je, avoir le pouvoir prochain de la réaliser de passer une rivière, c'est avoir un bateau, des bateliers, des rames et le reste,en sorte que rien ne manque. Fort bien, me dit-il. Et, par conséquent¨ continuai-je, quand vous dites que tous les justes ont toujours le pouvoir prochain d'observer les commandements, vous endentez donc qu'ils ont toujours toute la grâce nécessaire pour les accomplir; en sorte qu'il ne leur manque rien pour prier Dieu? Attendez, me dit-il, ils ont toujours tout ce qui est nécessaire pour les observer, ou du moins pour prier Dieu lui dis-je; ils ont tout ce qui est nécessaire pour prier Dieu de les assister¨ sans qu'il soit nécessaire qu'ils aient aucune nouvelle grâce de Dieu pour prier Dieu. Vous l'entendez, me dit-il. Mais il n'est donc pas nécessaire qu'ils aient une grâce efficace pour prier Dieu? Non, me dit-il, suivant Monsieur le Moine". demandai; facile; maniéré; en conséquence de cela; aider;
Pour ne point perdre de temps, j'allai aux Jacobins, et demandai¨ ceux que je savais être les nouveaux Thomistes. Je les priai de me dire ce que c'est que pouvoir prochain. "N'est-ce pas celui,leur dis-je, auquel il ne manque rien pour agir? Non, me dirent-ils. Mais quoi! mon Père, s'il manque quelque chose à ce pouvoir,l 'appelez-vous prochain, et diriez-vous par exemple, qu'un homme ait, la nuit, et sans aucune lumière, le pouvoir prochain de voir? Oui-da, il l'aurait, selon nous, s'il n'est pas aveugle. Je le veux bien¨ leur dis-je; mais Monsieur le Moine l'entend d'une manière contraire. Il est vrai,me dirent-ils mais nous l'entendons ainsi. demandai à voir; suis d'accord;
J'y consens¨ leur dis-je, car je ne dispute jamais du nom, pourvu¨ qu'on m'avertisse¨ du sens¨ qu'on lui donne; mais je vois par la que, quand vous dites que les justes ont toujours le pouvoir prochain pour prier Dieu, vous entendez qu'ils ont besoin d'un autre secours¨ pour prier Dieu,sans quoi ils ne prieront jamais. suis d'accord; à condition; informe; signification; aide;
Voilà qui va bien, me répondirent mes Pères en m'embrassant, voilà qui va bien; car il leur faut de plus une grâce efficace, qui n'est pas donnée à tous, et qui détermine¨ leur volonté à prier. Et c'est une hérésie de nier¨ la nécessité de cette grâce efficace pour prier. décide; rejeter;
Voilà qui va bien, leur dis,je à mon tour, les Jansénistes sont catholiques, et monsieur le Moine hérétique: car les Jansénistes disent que les justes ont le pouvoir de prier, mais qu'il faut pourtant une grâce efficace, et c'est ce que vous approuvez¨ et Monsieur le Moine dit que les justes prient sans grâce efficace; et c'est ce que vous condamnez.-Oui, dirent-ils mais Monsieur le trouvez bon;
Moine appelle ce pouvoir pouvoir prochain.
Mais quoi! mes Pères, leur dis-je, c’est se jouer des paroles¨ de dire que vous êtes d'accord à cause des termes communs¨ dont vous usez¨ quand vous êtes contraires dans le sens". Mes Pères ne répondirent rien. mots; identiques; vous servez;

12.2. Les pensées

GRANDEUR ET MISÈRE DE L'HOMME
Disproportion de l'homme.
Que l'homme contemple¨ la nature entière¨ dans sa haute et pleine majesté; qu'il éloigne¨ sa vue des objets bas qui l'environnent.¨ Qu'il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle¨ pour éclairer l'univers; que la terre lui paraisse comme un point au prix du¨ vaste¨ tour que cet astre décrit"et qu'il s’étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'une pointe délicate à l’égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. examine; totale; détourne; Sont autour de lui; durable; comparé au; grand;
Que l'homme, étant revenu a soi, considère¨ ce qu'il est au prix de ce qui est; qu'il se regarde comme égaré¨ dans ce canton détourné de la nature; et que ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer¨ la terre, les royaumes, les villes et soi-même apprécier son juste prix. Qu'est-ce qu'un homme sans l'infini? examine; perdu; apprécier;
Qui se considérera de la sorte¨ s'effraiera¨ de soi-même, et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, il tremblera dans la vue de ces merveilles.¨ cette manière; aura peur; miracles;
Voila notre véritable état.¨ C'est ce qui nous rend¨ incapable de savoir certainement et d'ignorer¨ absolument. situation; fait; ne pas savoir;
Ne cherchons point, d'assurance¨ et de fermeté. Notre raison est toujours déçue¨ par l'inconstance des apparences¨ rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis qui l'enferment et qui le fuient. certitude; désillusionnée; choses vues;

 
Vanité de l'homme.
Nous ne nous contentons pas de la qualité de la vie que nous avons en nous et en notre propre être: nous voulons vivre dans l’idée des autres d'une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paraître. Nous travaillons incessamment¨ à embellir¨ et conserver notre être imaginaire et négligeons le véritable. toujours; rendre plus beau;
La vanité est si ancrée dans le cœur de l'homme,qu'un soldat, un cuisinier se vante et veut avoir des admirateurs; et les philosophes mêmes en veulent;et ceux qui écrivent contre, veulent avoir la gloire d'avoir bien écrit et ceux qui le lisent, veulent avoir la gloire de l'avoir lu; et moi, qui écris ceci, ai peut-être cette envie;et peut-être que ceux qui le liront ...

 
Faiblesse de l'homme.
Ce qui m’étonne le plus est de voir que tout le monde n'est pas étonne de sa faiblesse.
On agit¨ sérieusement, et chacun suit sa condition¨ non pas parce qu'il est bon en effet¨ de la suivre puisque la mode en est; mais comme si chacun savait certainement où est la raison et la justice. travaille; situation; en vérité;

 
Misère de l'homme.
On charge les hommes,dès¨ l'enfance, du soin¨ de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et encore du bien et de l'honneur de leurs amis. On les accable¨ d'affaires, de l'apprentissage des langues et d'exercices¨ et on leur fait entendre qu'ils ne sauraient être heureux sans que leur santé, leur honneur, leur fortune et celle de leurs amis soient en bon état, et qu'une seule chose qui manque leur rendrait malheureux. déjà pendant; devoir; surcharge; études pratiques;
A.P.R.¨ , les grandeurs et les misères de l'homme sont tellement visibles, qu'il faut nécessairement que la véritable religion nous enseigne¨ et qu'il y a quelque grand principe de grandeur en l'homme, et qu'il y a un grand principe de misère. Il faut donc qu'elle nous rende raison¨ de ces étonnantes contrariétés. à Port-Royal; apprenne; explique;
Il faut que, pour rendre l'homme heureux, elle lui montre qu'il y a un Dieu; qu'on est obligé¨ de l'aimer; que notre vraie félicité¨ est d’être en lui, et notre unique mal d'être séparé de lui. Qu'on examine sur cela¨ toutes les doit; bonheur; ce point;
religions du monde, et qu'on voie s'il y en a une autre que la chrétienne qui y satisfasse.¨ réalise ces conditions;

 
SECONDE PARTIE: QUE L'HOMME SANS LA FOI¨ NE PEUT CONNAITRE LE VRAI BIEN,NI LA JUSTICE. croyance religieuse;

 
Tous les hommes recherchent d'être heureux; cela est sans exception; quelque¨ différents moyens¨ qu'ils emploient, ils tendent¨ tous a ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre, et que les autres n'y vont pas, est ce même désir, qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues.¨ La volonté ne fait jamais la moindre démarche¨ que vers cet objet.¨ C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre. si; procédés; veulent arriver; manières de voir; pas; but;
Et cependant¨ ,depuis un si grand nombre d années, jamais personne,sans la foi, n'est arrivé à ce point ou tous visent¨ continuellement. Tous se plaignent¨ : princes, sujets; nobles, roturiers; vieux, jeunes; forts, faibles; savants, ignorants; sains, malades; de tous pays, de tous les temps, de tous âges et de toutes conditions.¨ malgré cela; veulent arrive; expriment leur mécontentement; classes sociales;
Une épreuve¨ si longue, si continuelle et si uniforme, devrait bien nous convaincre de¨ notre impuissance d'arriver au bien¨ par nos efforts; mais l'exemple nous instruit¨ peu. malheur; faire accepter; bonheur; apprend;
Sans ces divines¨ connaissances, qu'ont pu faire les hommes sinon, ou s’élever dans le sentiment intérieur qui leur reste de leur grandeur passée, ou s'abattre¨ dans la vue de leur faiblesse présente? Car,ne voyant pas la vérité entière, ils n'ont pu arriver à une parfaite vertu.¨ Les uns considérant¨ la nature comme incorrompue¨ ; les autres comme irréparable,¨ ils n'ont pu fuir,¨ ou l'orgueil,¨ ou la paresse,¨ qui sont les deux sources¨ de tous les vices.¨ de Dieu; se décourager; bonté; regardant; bonne; mauvaise; échapper à; sentiment de supériorité; préférence pour l'inaction; origines; mauvaises qualités;
La seule religion chrétienne a pu guérir ces deux vices, non pas en chassant l'un par l'autre, par la sagesse de la terre, mais en chassant l'un et l'autre par la simplicité de l’Évangile.
Qu'il est plus avantageux de croire que de ne pas croire
ce qu'enseigne la religion chrétienne
Qui blâmera¨ donc les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de¨ leur créance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison? Ils déclarent, en l'exposant¨ au monde que c'est une sottise, stultitiam; et puis,vous vous plaignez¨ de ce qu'ils ne la prouvent¨ pas! S'ils la prouvaient, ils ne tiendraient pas parole; c'est en manquant de preuves¨ qu'ils ne manquent pas de sens. critiquera; expliquer; décrivant; êtes mécontent; montrent; faits certains;
"Oui, mais encore¨ que cela excuse ceux qui l'offrent¨ telle, et que cela les ôte de blâme¨ de la produire sans raison, cela n'excuse pas ceux qui la reçoivent". malgré le fait; présentent; excuse;
Examinons donc ce point,et disons: "Dieu est, ou il n'est pas". Mais de"quel côté pencherons¨ nous? La raison n'y peut rien déterminer;¨ il y a un chaos infini qui nous sépare.Il se¨ joue un jeu,à l'extrémité¨ de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile.¨ Que gagerez-¨ vous? préférons; décider; on; bout; (les deux faces d'une monnaie); choisirez;
Par raison, vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre; par raison,vous ne pouvez défendre nul des deux. Ne blâmez¨ donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix; car vous n'en savez rien. critiquez;
"Non;mais je les blâmerai d'avoir fait, non ce choix,mais un choix; car encore¨ que celui qui prend croix et l'autre soient en pareille¨ faute, ils sont tous deux en faute; le juste est de ne malgré le fait; identique;
pas parier"
Oui; mais il faut parier. Cela n'est pas choisir volontaire; vous êtes embarqué.¨ Lequel prendrez-vous donc? Voyons. Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins.¨ Vous avez deux choses à perdre: le vrai et le bien, et deux choses à engager:¨ votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude,¨ et votre nature a deux choses à fuir: l'erreur et la misère. Votre raison n'est plus blessée en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé.¨ Mais votre béatitude? Pesons¨ le gain¨ et la perte, en prenant croix que Dieu est.Estimons¨ ces deux cas:¨ si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter.¨ "Cela est admirable. Oui, il faut gager; mais je gage peut-être trop" Voyons. Puis-qu'il y a pareil¨ hasard¨ de gain et de perte,si vous n'aviez qu'à gagner deux vies pour une, vous pourriez encore gager, mais s'il y en avait trois a gagner, il faudrait jouer (puisque vous êtes dans la nécessité de jouer), et, vous seriez imprudent, lorsque vous êtes forcé à jouer, de ne pas hasarder¨ votre vie pour en gagner trois àa un jeu ou il y a un pareil hasard de perte et de gain. Mais il y a une éternité¨ de vie et de bonheur. engagé; est de la plus petite importance; mettre en jeu; bonheur; décidé; évaluons; profit; examinons; possibilités; être indécis; identique; chance; risquer; durée infinie;

 
JESUS-CHRIST.
Preuve de Jésus-Christ par les prophéties.
La plus grande des preuves de Jésus Christ sont les prophéties. C'est aussi à quoi¨ Dieu a le plus pourvu,¨ car l’événement qui les a remplies¨ est un miracle subsistant¨ depuis la naissance de l’Église jusques a la fin. Aussi¨ Dieu a suscité¨ les prophètes durant seize cents ans; et, pendant quatre cents ans après,i1 a dispersé¨ toutes ces prophéties, avec tous les Juifs qui les portaient dans tous les lieux du monde. ce que; donné; réalisées; infini; c'est pourquoi; appelé; envoyé;
Après que bien des gens sont venus devant,¨ il est venu enfin Jésus-Christ dire:"Me voici, et voici le temps. Ce que les prophètes ont dit devoir avenir¨ dans la suite des temps,¨ je vous dis que mes apôtres le vont faire. Les Juifs vont être rebutés,¨ Jérusalem sera bientôt détruite,¨ et les païens vont entrer dans la connaissance de Dieu. avant lui; qu'il va arriver; histoire; rejetés; ravagée;
Alors Jésus-Christ vient dire aux hommes qu'ils n'ont point d'autres ennemis qu’eux-mêmes, que ce sont leurs passions qui les séparent de Dieu, qu'il vient pour les détruire, et pour leur donner sa grâce, afin¨ de faire d'eux tous une Église sainte. dans le but;

13. Jean Racine

13.1. Andromaque (1667)


 
Personnages:
AN ANDROMAQUE, veuve d'Hector,captive de Pyrrhus
PY PYRRHUS, fils d'Achille, roi d’Épire
OR ORESTE, fils d'Agamemnon
HE HERMIONE,fille d’Hélène, fiancée de Pyrrhus
PL PYLADE,ami d'Oreste
CL CLEONE, confidente d'Hermione
CE CÉPHISE, confidente d'Andromaque
PH PHOENIX, gouverneur d’Achille, puis de Pyrrhus.

 
ACTE PREMIER
OR Avant que tous les Grecs vous parlent par ma voix,
Souffrez¨ que j'ose ici me flatter¨ de de leur choix, permettez; être charmé;
Et qu'à vos yeux, seigneur, je montre quelque joie
De voir le fils d'Achille et le vainqueur¨ de Troie. triomphateur;
Oui, comme ses exploits,¨ nous admirons vos coups. acte héroïque;
Hector tomba sous lui, Troie expira¨ sous vous; mourut;
Et vous avez montré, par une heureuse audace,¨ courage;
Que le seul fils d'Achille a pu remplir sa place.
Mais ce qu'il n'eut¨ point fait, la Grèce, avec douleur,¨ aurait; tristesse;
Vous voit du sang Troyen relever¨ le malheur, réparer;
Ne vous souvient-il¨ plus seigneur, quel fut Hector? vous rappelez-vous;
Nos peuples affaiblis s'en souviennent encor.
Son nom seul fait frémir¨ nos veuves et nos filles, trembler;
Et dans toute la Grèce il n'est point¨ de familles il n'y a pas;
Qui ne demandent compte à ce malheureux fils
D'un père ou d'un époux¨ qu'Hector leur a ravis.¨ mari; tué;
Et qui ait ce qu'un jour ce ils peut entreprendre¨ ? faire;
Peut-être dans nos ports nous le verrons descendre.
Enfin de tous les Grecs satisfaites¨ l'envie¨ contentez; désir;
Assurez leur vengeance, assurez votre vie
Perdez¨ un ennemi d'autant plus dangereux tuez;
Qu'il essaiera sur vous à combattre contre eux.
PY La Grèce en ma faveur¨ est trop inquiété¨ pour moi; alarmée;
De soins¨ plus importants je l'ai crue agitée,¨ alarmes; troublée;
Seigneur; et, sur le nom de son ambassadeur,
J'avais dans ses projets conçu¨ plus de grandeur. cru;
Qui croirait, en effet, qu'une telle entreprise¨ affaire;
Du fils d'Agamemnon méritât¨ l'entremise;¨ dut avoir; intervention;
Qu'un peuple tout entier, tant de fois triomphant,
N'eût daigné¨ conspirer¨ que la mort d'un enfant? voulu; préparer;
Oui, seigneur, lorsqu'au pied des murs fumants de Troie,
Les vainqueurs tout sanglants partagèrent leur proie,
Le sort¨ dont les arrêtes¨ furent alors suivis, fortune; décisions;
Fit tomber en mes mains Andromaque et son fils.
Ah! si du fils d'Hector la perte¨ était jurée,¨ mort; décidée;
Pourquoi d'un an entier l'avons-nous différée¨ ? retardée;
Non, seigneur; que les Grecs cherchent quelque autre proie;
Qu'ils poursuivent ailleurs¨ ce qui reste de Troie. dans un autre lieu;
OR Ainsi la Grèce en vous trouve un enfant rebelle?
PY Et je n'ai donc vaincu¨ que pour dépendre d'elle? triomphé;
OR Hermione, seigneur arrêtera vos coups:¨ fantaisies;
Ses yeux s'opposeront entre son père et vous.
PY Hermione, seigneur, peut m'être toujours chère;
Je puis l'aimer, sans être esclave¨ de son père. dépendre;
Vous pouvez cependant voir la fille d’Hélène:
Du sang qui vous unit je sais l’étroite chaîne.¨ relation;
Après cela, seigneur, je ne vous retiens¨ plus fais rester;
Et vous pourrez aux Grecs annoncer mon refus.
(Oreste sort)
PH Ainsi vous l'envoyez aux pieds de sa maîtresse¨ ? femme qu'il aime;
PY On dit qu'il a longtemps brûlé pour¨ la princesse. aimé;
PH Seigneur...
PY Seigneur... Une autre fois je t'ouvrirai mon âme¨ ; cœur;
Andromaque paraît.¨ Me cherchiez-vous, madame? arrive;
Un espoir si charmant me serait-il permis?
AN Je passais¨ jusqu'aux lieux¨ où l'on garde mon fils. allais; à la place;
Puisqu'une fois le jour vous souffrez¨ que je voie permettez;
Le seul bien qui me reste et d'Hector et de Troie,
J'allais, seigneur, pleurer un moment avec lui:
Je ne l'ai point encore embrassé aujourd'hui!
PY Ah! madame, les Grecs, si j'en crois leurs alarmes¨ agitation;
Vous donneront bientôt d'autres sujets¨ de larmes¨ motifs; pleurs;
Leur haine¨ pour Hector n'est pas encore éteinte:¨ aversion; calmé;
Ils redoutent¨ son fils. ont peur de;
AN Ils redoutent¨ son fils. Digne¨ objet de leur crainte¨ ! juste; peur;
Un enfant malheureux, qui ne sait pas encore
Que Pyrrhus est son maître, et qu'il est fils d'Hector!
PY Madame, mes refus ont prévenu vos larmes.¨ pleurs;
Tous les Grecs m'ont déjà menacé¨ de leurs armes. cherché à m'intimider;
Mais, parmi ces périls¨ où je cours pour vous plaire, dangers;
Me refuserez-vous un regard moins sévère?¨ dur;
Je vous offre¨ mon bras. Puis-je espérer encore présente;
Que vous accepterez un cœur qui vous adore¨ ? aime;
AN Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grèce?
Faut-il qu'un si grand cœur montre tant de faiblesse?
Souffrez¨ que,loin des Grecs, et même loin de vous, permettez;
J'aille cacher mon fils et pleurer mon époux.¨ mari;
PY Hé bien, madame, hé bien, il faut vous obéir:
Il faut vous oublier, ou plutôt¨ vous haïr pour être plus précis;
Je n’épargnerai¨ rien dans ma juste colère:¨ ferai grâce à; fureur;
Le fils me répondra¨ des mépris¨ de la mère. paiera; irrespect;
La Grèce le demande; et je ne prétends¨ pas veux;
Mettre toujours ma gloire à sauver des ingrats.
AN Hélas! il mourra donc! Il n'a pour sa défense
Que les pleurs de sa mère et que son innocence;
Et peut-être après tout, en l’état¨ où je suis, situation;
Sa mort avancera¨ la fin de mes ennuis?¨ dépêchera; maux;
Je prolongeais pour lui ma vie et ma misère;;
Mais enfin sur ses pas¨ j'irai revoir son père. après lui;
Ainsi, tous trois, seigneur, par vos soins¨ réunis, actions;
Nous vous ...
PY Nous vous ... Allez, madame, allez voir votre fils.
Peut-être, en le voyant, votre amour plus timide
Ne prendre pas toujours sa colère¨ pour guide.¨ fureur; cons;
Pour savoir nos destins¨ j'irai vous retrouver: avenirs;
Madame, en l’embrassant, songez¨ à le sauver. pensez;

 
ACTE II
HE Le croirai-je seigneur, qu'un reste de tendresse¨ amour;
Vous fasse ici chercher une triste princesse?
Ou ne dois-je imputer¨ qu'à votre seul devoir chercher le motif dans;
L'heureux empressement¨ qui vous porte à me voir? enthousiasme;
OR Tel est de mon amour l'aveuglement funeste;
Vous le savez, madame, et le destin¨ d'Oreste fatalité;
Est de venir sans cesse¨ adorer¨ vos attraits,¨ toujours; admirer; beauté;
Et de jurer toujours qu'il n'y viendra jamais.
HE Quittez, seigneur, quittez ce funeste langage.
A des soins¨ plus pressants¨ la Grèce vous engage; affaires; urgents;
Que parlez-vous d'amour et mes cruautés!
Songez¨ à tous ces rois que vous représentez. pensez;
Dégagez¨ vous des soins¨ dont vous êtes chargé.¨ libérez; troubles; rempli;
Les refus de Pyrrhus m'ont assez dégagé,
Madame, il me renvoie; et quelque autre puissance¨ influence;
Lui fait du fils d'Hector embrasser¨ la défense. prendre;
HE L'infidèle!
OR L'infidèle! Ainsi donc, tout prêt à le quitter,
Sur mon propre destin¨ je viens vous consulter. avenir;
Déjà même je crois entendre la réponse
Qu'en secret contre moi votre haine prononce.
HE Hé quoi! toujours injuste en vos tristes discours,¨ conversations;
De mon inimitié vous plaindrez¨ vous toujours? lamentez;
Enfin, qui vous a dit que, malgré mon devoir,
Je n'ai,pas quelquefois souhaité¨ de vous voir? désiré;
OR Souhaité de me voir! Ah, divine princesse ...
Mais,de grâce¨ est-ce à moi que ce discours¨ s'adresse? s.v.p.; paroles;
Ouvrez vos yeux; songez qu'Oreste est devant vous,
Oreste, si longtemps l'objet de leur courroux.¨ fureur;
HE Il faut donc m'expliquer: vous agirez ensuite.
Vous savez qu'en ces lieux mon devoir m'a conduite;
Mon devoir m'y retient; et je n'en puis partir
Que mon père ou Pyrrhus ne m'en fasse sortir.
De la part¨ de mon père allez lui faire entendre au nom;
Que l'ennemi des Grecs ne peut être son gendre;¨ beau-fils;
Du¨ Troyen ou de moi faites-le décider; entre le;
Qu'il songe¨ qui des deux il veut rendre ou garder pense;
Enfin qu'il me renvoie,ou bien qu'il vous le livre.
Adieu. S'il y consent,¨ je suis prête à vous suivre. l'accepte;
OR (seul)Oui, oui, vous me suivrez, n'en doutez nullement¨ : pas du tout;
Je vous réponds¨ déjà de son consentement.¨ garantis; accord;

 
PY Je vous cherchais, seigneur;un peu de violence¨ brusquerie;
M'a fait de vos raisons¨ combattre la puissance, arguments;
Je l'avoue¨ et depuis que je vous ai quitté, confesse;
J'en ai senti la force et connu¨ l’équité¨ reconnu; justesse;
J'ai songé¨ comme vous, qu'à ]a Grèce,à mon père, pensé;
A moi-même, en un mot, je devenais contraire;
Que je relevais¨ Troie, et rendais imparfait¨ redressait; annulait;
Tout ce qu'a fait Achille et tout ce que j'ai fait.
Je ne condamne¨ plus un courroux¨ légitime, fureur; blâme;
Et l'on vous va, seigneur, livrer votre victime.
OR Seigneur,par ce conseil¨ prudent¨ et rigoureux;¨ décision; réfléchi; dur;
C'est acheter la paix du sang d'un malheureux.
PY Oui, mais je veux, seigneur, l'assurer davantage:¨ plus;
D'une éternelle paix Hermione est le gage;¨ garantie;
Je l’épouse.¨ Il semblait qu'un spectacle si doux me marie avec elle;
N'attendit en ces lieux qu'un témoin¨ tel que vous. assistant;
Voyez-la donc. Allez. Dites-lui que demain
J'attends, avec la paix, son cœur de votre main.

 
ACTE III
OR Hé bien, mes soins¨ vous ont rendu votre conquête?¨ actions; amant;
J'ai vu Pyrrhus, madame, et votre hymen¨ s'apprête.¨ mariage; se prepare;
HE On le dit; et de plus¨ on vient de m'assurer aussi;
Que vous ne me cherchiez que pour m'y préparer.
OR Et votre âme à ses vœux¨ ne sera point rebelle? désirs;
HE Qui l'eût cru que Pyrrhus ne fût point infidèle?
Que sa flamme¨ attendrait si tard pour éclater¨ ? amour; se montrer;
Qu'il reviendrait à moi, quand je l'allais quitter?
Je veux croire avec vous qu'il redoute"la Grèce, a peur de
Qu'il suit son intérêt¨ plutôt que sa tendresse? profit;
L'amour ne règle pas le sort¨ d'une princesse: vie;
La gloire d’obéir est tout ce qu'on nous laisse.
Cependant je partais,¨ et vous avez pu voir voulais partir;
Combien¨ je relâchais¨ pour vous de mon devoir. comment; abandonnais;
OR Tel est votre devoir: je l'avoue¨ et le mien confesse;
Est de vous épargner un si triste entretien¨ conversation;

 
HE Attendais-tu Cléone, un courroux¨ si modeste?¨ fureur; peu fort;
CL La douleur qui se tait¨ n'en est que plus funeste. ne parle pas;
HE Songe...
CL Songe... Dissimulez,¨ ,votre rivale en pleurs cachez-vous;
Vient a vos pieds, sans doute, apporter ses douleurs.
HE Dieux! ne puis-je à ma joie abandonner¨ mon âme? livrer;
Sortons; que lui dirais-je?
AN Sortons; que lui dirais-je? Où fuyez-vous,madame?
N'est-ce pas à vos yeux un spectacle assez doux
Que la veuve d'Hector pleurante à vos genoux?
Je ne viens point ici, par de jalouses larmes,
Vous envier¨ un cœur qui se rend a vos charmes. jalouser;
Mais il me reste un fils. Vous saurez quelque jour,
Madame, pour un fils jusqu’où va notre amour;
Que craint-on d'un enfant qui survit ਠsa perte?¨ vit plus longtemps que; ruine;
Laissez-moi le cacher en quelque île déserte.
HE Je conçois¨ vos douleurs;mais un devoir austère" comprends;
Quand mon père a parlé, m'ordonne de me taire.
C'est lui qui de Pyrrhus fait agir¨ le courroux¨ travailler; fureur;
S'il faut fléchir¨ Pyrrhus,qui le peut mieux que vous? changer d'opinion;
Vos yeux assez longtemps ont régné sur son âme.
Faites-le prononcer;¨ j'y souscrirai,¨ madame. dire ce qu'il veut; accepterai;
AN Quel mépris¨ la cruelle attache¨ à ses refus! arrogance; ajoute;
CE Je croirais ses conseils, et je verrais Pyrrhus,
Un regard¨ confondrait¨ Hermione et la Grèce ... (de vous); consternait;
Mais lui-même il vous cherche.

 
PY (à Phoenix) Où donc est la princesse?
Ne m'avais-tu pas dit qu'elle était en ces lieux?
PH Je le croyais.
AN Je le croyais. (à Céphise) Tu vois le pouvoir de mes yeux!
PY Quel orgueil!¨ arrogance;
AN Quel orgueil!¨ Je ne fais que l'irriter encor,
Sortons.
PY Sortons. Allons aux Grecs livrer le fils d'Hector.
AN Ah! seigneur, arrêtez! Que prétendez-¨ vous faire? voulez;
Si vous livrez le fils,livrez-leur donc la mère!;
Vos serments¨ m'ont tantôt¨ juré tant d’amitié promesses; tout à l'heure;
Dieux! ne pourrais-je au moins toucher¨ votre pitié? éveiller;
Sans espoir de pardon m'avez-vous condamnée?
PY Phoenix vous le dira,ma parole¨ est donnée. promesse;
AN Seigneur,voyez l’état¨ ou vous me réduisez.¨ situation; placez;
J'ai vu mon père mort et nos murs embrases;¨ en flammes;
J'ai vu trancher les jours ¨ de ma famille entière, tuer;
Et mon époux sanglant traîné¨ sur la poussière, tiré;
Son fils seul avec moi, réservé pour les fers.¨ la prison;
Mais que ne peut un fils? Je respire, je sers;¨ suis esclave;
J'ai fait plus: je me suis quelquefois consolée¨ tranquillisée;
Qu'ici, plutôt qu'ailleurs,le sort¨ m'eût exilée.¨ fatalité; envoyé;
PY Va m' attendre, Phoenix.Madame, demeurez
On peut vous rendre encor ce fils que vous pleurez.
Mais ce n'est plus, madame,une offre à dédaigner;¨ refuser;
Je vous le dis: il faut ou périr¨ où régner.¨ mourir; gouverner;
Mon cœur, désespéré d'un an d'ingratitude¨ manque de reconnaissance;
Ne peut plus de son sort souffrir l'incertitude.
Songez-y: je vous laisse, et je viendrai vous prendre
Pour vous mener au temple où ce fils doit m'attendre;
Et la vous me verrez,soumis¨ ou furieux, votre serviteur-;
Vous couronner, madame, ou le perdre¨ à vos yeux. tuer;
CE Je vous l'avais prédit, qu'en dépit de¨ la Grèce malgré;
De votre sort¨ encor vous seriez la maîtresse. avenir,vie;
AN Hélas! de quel effet¨ tes discours¨ sont suivis! résultat; paroles;
Il ne me restait plus qu'à condamner mon fils.
CE Madame, à votre époux c'est être assez fidèle:
Trop de vertu¨ pourrait vous rendre criminelle. loyauté;
Lui-même¨ il porterait votre âme à la douceur. (=Hector);
AN Quoi! je lui donnerais Pyrrhus pour successeur?¨ remplaçant;
Dois-je oublier Hector privé de¨ funérailles¨ sans; enterrement;
Et traîné sans honneur autour de nos murailles?
Songe, songe,Céphise, à cette nuit cruelle
Qui fut pour toute une peuple une nuit éternelle;
Peins-toi¨ dans ces horreurs Andromaque éperdue;¨ imagine; agitée;
Voila comment Pyrrhus vint s'offrir à ma vue;¨ mes yeux;
Voila par quels exploits¨ il sut se couronner; actions;
Enfin voilà l'époux que tu me veux donner.
CE Hé bien! allons donc voir expirer¨ votre fils. mourir;
On n'attend plus que vous..Vous frémissez,¨ madame tremblez;
AN Ah! de quel souvenir viens-tu frapper mon âme!
Quoi! Céphise,j'irai voir expirer¨ encor mourir;
Ce fils,ma seule joie et l'image d'Hector!
Mais cependant,mon fils,tu meurs si je n'arrête
Le fer¨ que le cruel tient levé sur ta tête. l’épée;
Allons.
CE Allons. Où donc,madame? et que résolvez-¨ vous? décidez;
AN Allons sur son tombeau consulter mon époux.

 
ACTE IV
CE Ah! je n'en doute point; c'est votre époux,madame
C'est Hector qui produit ce miracle en votre âme!
Mais tout s'apprête¨ au temple;et vous avez promis. se prépare;
AN Oui,je m'y trouverai.¨ Mais allons voir mon fils j'y serai;
CE Madame, qui vous presse?¨ Il suffit que sa vue¨ hâte; rencontre;
Désormais à vos yeux ne soit plus défendue.
AN Céphise, allons le voir pour la dernière fois.
CE Que dites-vous? ô dieux!
AN Que dites-vous? ô dieux! O, ma chère Céphise!
Ce n'est point avec toi que mon cœur se déguise?¨ cache;
Quoi donc? as-tu pensé qu'Andromaque infidèle
Pût trahir un époux qui croit revivre en elle?
Je vais donc, puisqu'il faut que je me sacrifie¨ abandonne;
Assurer¨ à Pyrrhus le reste de ma vie. donner;
Je vais, en recevant sa foi¨ sur les autels¨ promesse; table du culte;
L'engager¨ à mon fils par des liens immortels. unir;
Mais aussitôt¨ ma main, à moi seul funeste, immédiatement;
D'une infidèle vie abrégera¨ le reste. finira;
J'irai seule rejoindre Hector et mes aïeux;¨ pères;
Céphise, c'est à toi de me fermer les yeux.
CE Ah! ne prétendez¨ pas que je puisse survivre...¨ pensez; vivre plus long temps;
AN Non, non, je te défends, Céphise, de me suivre.
Je confie¨ à tes soins mon unique trésor:¨ donne; richesse;
Si tu vivais pour moi, vis pour le fils d'Hector.
Fais connaître à mon fils les héros de sa race:¨ famille;
Autant que tu pourras, conduis-le sur leur trace:¨ exemple;
Dis-lui par quels exploits¨ leur noms ont éclaté¨ actes héroïques; brillé;
Plutôt ce qu'ils ont fait que ce qu'ils ont été;
Parle-lui tous les jours des vertus¨ de son père bonnes qualités;
Et quelquefois aussi parle-lui de sa mère.
On vient. Cache tes pleurs, Céphise; et souviens-toi,
Que le sort¨ d'Andromaque est commis ਠta foi.¨ vie; dépend; fidélité;
C'est Hermione. Allons,f uyons sa violence.¨ fureur;
CL Non, je ne puis assez admirer ce silence.
Vous vous taisez,¨ madame;et ce cruel mépris¨ ne parlez pas; attitude négative(de Pyrrhus);
N'a pas du moindre trouble agité votre esprit?
Ah! que je crains, madame, un calme si funeste!
Et qu'il vaudrait bien mieux ...
HE Et qu'il vaudrait bien mieux ... Fais-tu venir Oreste?
CL Il vient, madame,il vient; et vous pouvez juger
Que bientôt à vos pieds il viendra se ranger.¨ mettre;
Mais il entre!
OR Mais il entre! Ah! madame, est-il vrai qu'une fois
Oreste en vous cherchant obéisse a vos lois?
Ne m'a-t-on point flatté d'une fausse espérance?
Avez vous en effet souhaité¨ ma présence; désiré;
Croirai-je que vos yeux,a la fin désarmes,
Veulent...
HE Veulent... Je veux savoir, seigneur, si vous m'aimez.
OR Si je vous aime? O dieux! mes serments,¨ mes_parjures;¨ promesse; promesse fausse;
Ma fuite, mon retour,mes respects, mes injures,¨ offenses;
Mon désespoir, mes yeux de pleurs toujours noyes,¨ remplis;
Quels témoins croirez-vous, si vous ne les croyez?
HE Vengez-moi, je crois tout.
OR Vengez-moi, je crois tout. Hé bien allons madame.
Mettons encore un coup toute la Grèce en flammes;
Prenons,en signalant¨ mon bras et votre nom, faisant connaître;
Vous, la place d’Hélène, et moi,d'Agamemnon.
Partons, je suis tout prêt.
HE Partons, je suis tout prêt. Non,seigneur,demeurons:¨ restons;
Je ne veux pas si loin porter de tels affronts¨ offenses;
Je veux qu'a mon départ toute l’Épire pleure.
Mais,si vous me vengez, vengez-moi dans une heure.
Tous vos retardements¨ sont pour moi des refus. retard;
Courez au temple.Il faut immoler...¨ tuer;
OR Courez au temple.Il faut immoler...¨ Qui?
HE Courez au temple.Il faut immoler...¨ Qui? Pyrrhus.
OR Pyrrhus,madame?
HE Hé quoi? votre haine¨ chancelle?¨ aversion; diminue;
Ah!courez, et craignez¨ que je ne vous rappelle. ayez peur;
Conduisez¨ ou suivez une fureur si belle; commandez;
Revenez tout couvert du sang de l’infidèle;
Allez: en cet état soyez sûr de mon cœur.
OR Mais,madame,songez...
HE Mais,madame,songez... Ah! c'en est trop, seigneur.
Tant de raisonnements offensant ma colère.¨ fureur;
J'ai voulu vous donner les moyens¨ de me plaire,¨ possibilité; faire plaisir;
Rendre Oreste content; mais enfin je vois bien
Qu'il veut toujours se plaindre¨ et ne mériter¨ rien lamenter; avoir droit;
Je m' en vais seule au temple,où leur hymen¨ s'apprête,¨ mariage; se prépare;
Où vous n'osez aller mériter ma conquête¨ (=moi);
Là, de mon ennemi je saurai m'approcher,¨ venir plus près;
Je percerai¨ le cœur que je n'ai pu toucher.¨ tuerai; émouvoir;
OR Non, je vous priverai de¨ ce plaisir funeste, prendrai;
Madame: il ne mourra que de la main d'Oreste.
Vos ennemis par moi vont vous être immolés.¨ sacrifiés;
Et vous reconnaîtrez mes soins,¨ si vous voulez. services;
HE Allez. De votre sort laissez-moi la conduite.¨ direction;
Et que tous vos vaisseaux¨ soient prêts pour notre fuite. bateaux;

 
ACTE V
HE Où suis-je? Qu'ai-je fait? Que dois-je faire encore?
Quel transport¨ me saisit¨ ? Que chagrin me dévore?¨ émotion; prend; trouble;
Errante et sans dessein,¨ je cours dans ce palais. but;
Ah! ne puis-je savoir si j'aime ou si je hais?
OR (entre) Madame, c'en est fait, et vous êtes servie!
Pyrrhus rend à l'autel¨ son infidèle vie. table du culte religieux;
HE Il est mort?
OR Il est mort? Il expire¨ et nos Grecs irrités meurt;
Ont lavé dans son sang ses infidélités,
Madame; et vous pouvez justement¨ vous flatter¨ avec raison; féliciter;
D'une mort que leurs bras n'ont fait qu’exécuter.¨ réaliser;
Vous seule avez poussé les coups ...
HE Vous seule avez poussé les coups ... Tais-toi,¨ perfide, ne parle pas;
Et n'impute¨ qu'à toi ton lâche parricide,¨ donne la faute; meurtre;
Va faire chez tes Grecs admirer ta fureur,
Va: je la désavoue¨ et tu me fais horreur. en refuse la responsabilité;
Barbare, qu'as-tu fait? Avec quelle furie
As-tu tranche¨ le cours¨ d'une si belle vie! coupé; durée;
Avez-vous pu, cruels, l'immoler¨ aujourd'hui, le tuer;
Sans que tout votre sang se soulevât¨ pour lui? protestât;
Mais parlez de son sort¨ qui t'a rendu l'arbitre?¨ vie; fait-juge;
Pourquoi l'assassiner?¨ Qu'a-t-il fait? À quel titre?¨ tuer; droit;
Qui te l'a dit?
OR Qui te l'a dit? O dieux! Quoi? ne m'avez-vous pas
Vous-même, ici, tantôt¨ , ordonné son trépas?¨ il y a peu; mort;
HE Ah! fallait-il en croire une amante insensée?¨ folle;
Ne devais-tu pas lire au fond de¨ ma pensée? dans;
Et ne voyais-tu pas dans mes emportements¨ fureurs;
Que mon cœur démentait¨ ma bouche à tous moments? contredisait;
Adieu. Tu peux partir. Je demeure¨ en Épire: reste;
Je renonce¨ à la Grèce, à Sparte, à son empire, abandonne;
À toute ma famille; et c'est assez pour moi,
Traître, qu'elle ait produit un monstre comme toi.
OR Que vois-je? est-ce Hermione? Et que viens-je d'entendre?
Pour qui coule¨ le sang que je viens de repandre?¨ est versé; faire couler;
Je suis, si je l'en crois, un traître¨ un assassin.¨ perfide; tueur;
Est-ce Pyrrhus qui meurt? et suis-je Oreste,enfin?
Et l'ingrate en fuyant me laisse pour salaire `
Tous les noms odieux¨ que j'ai pris pour lui plaire! horribles;
PL Il faut partir, seigneur. Sortons de ce palais,
Ou bien résolvons-nous¨ de n'en sortir jamais. décidons;
Nos Grecs pour un moment en défendent la porte.
Tout le peuple assemblé nous poursuit à main forte.¨ les armes à la main;
Aux ordres d'Andromaque ici tout est soumis:¨ obéit;
Ils la traitent en¨ reine, et nous comme ennemis. regardent comme;
Andromaque elle-même, à Pyrrhus si rebelle,
Lui rend tous les devoirs d'une veuve fidèle,
Commande qu'on le venge, et peut-être sur nous
Veut venger Troie encore et son premier époux.
Allons. N'attendons pas que l'on nous environne¨ entoure;
Nos Grecs nous rejoindront,¨ et tandis¨ qu'Hermione viendront à nous; pendant;
Tient encore le peuple autour d'elle arrêté,
Voilà notre chemin, sortons en sûreté.
OR Non, non, c'est Hermione, amis, que je veux suivre:
A son dernier arrêt¨ je ne puis plus survivre. jugement;
Partez: j'ai fait le crime, et je vais l'expier.¨ en être puni;
PL Hermione,seigneur? Il la faut oublier.
Et parce qu'elle meurt, faut-il que vous mouriez?
OR Elle meurt? Dieux! qu'entends-je?
PL Elle meurt? Dieux! qu'entends-je? Eh quoi! vous l'ignoriez?¨ ne le saviez pas;
En rentrant dans ces lieux nous l'avons rencontrée I
Qui courait vers le temple,inquiète¨ égarée.¨ alarmé; folle;
Elle a trouvé Pyrrhus porté sur des soldats
Que son sang excitait¨ à venger son trépas.¨ stimulait; mort;
Sans doute a cet objet¨ sa rage s'est emue.¨ en voyant cela; a grandi;
Mais du haut de la porte enfin nous l'avons vue;
Un poignard¨ à la main, sur Pyrrhus se courber¨ couteau; baisser;
Lever les yeux au ciel, se frapper et tomber.
OR Grâce aux dieux! Mon malheur passe mon espérance!
Oui, je te loue¨ ô ciel,de ta persévérance.¨ complimente; obstination;
Mais quelle épaisse nuit tout a coup m'environne?¨ entoure;
De quel côte sortir? D’où vient que je frissonne?¨ tremble;
PY Ah! seigneur.
OR Ah! seigneur. Quoi? Pyrrhus, je te rencontre encore?
Trouverai-je partout un rival que j'abhorre?¨ déteste;
Percé¨ de tant de coups, comment t'es-tu sauvé? blessé;
Tiens, tiens, voilà le coup que je t'ai réservé.
Mais que vois-je? À mes yeux Hermione l'embrasse?
Elle vient l'arracher¨ au coup qui le menace.¨ tirer; met en danger;
Dieux! quels affreux¨ regards elle jette sur moi! horribles;
Quels démons, quels serpents traîne-¨ t-elle après soi? tire;
Venez, à vos fureurs Oreste s'abandonne. o
Mais non,retirez-vous,laissez faire Hermione:
L'ingrate mieux que vous saura me déchirer
Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer.¨ manger;
(il tombe sans connaissance)
PL Il perd le sentiment. Amis, le temps nous presse;
Ménageons¨ les moments que ce transport¨ nous laisse. employons bien; fureur;
Sauvons-le. Nos efforts deviendraient impuissants;
S'il reprenait ici sa rage avec ses sens.

14. Jean de la Fontaine

14.1. La cigale et la fourmi

cigale_fourmi.png
La cigale ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort¨ dépourvue¨ très; pauvre;
Quand la bise¨ fut venue: vent d'hiver;
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau;
Elle alla crier famine¨ plaindre de sa faim;
Chez la fourmi, sa voisine,
La priant¨ de lui prêter lui demandant;
Quelque grain pour subsister¨ rester en vie;
Jusqu'à la saison nouvelle¨ printemps;
"Je vous paierai," lui dit-elle,
"Avant l'août, foi d'animal,¨ sur ma parole;
Intérêt et principal¨ capital;
La fourmi n'est pas prêteuse;¨ ne prête pas facilement;
C'est la son moindre¨ défaut¨ plus petite; faute;
"Que faisiez-vous au temps chaud?"¨ l’été;
Dit-elle à cette emprunteuse.¨ celle qui demande de l'argent;
"Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise."¨ avec votre permission;
"Vous chantiez? J'en suis fort aise.¨ content;
Hé bien, dansez maintenant!"

 

14.2. Le corbeau et le renard

corbeau.png
Maître corbeau,sur un arbre perché¨ assis,installé;
Tenait en son bec un fromage.
Maître renard,par l'odeur allèche¨ attiré;
Lui tint à peu près ce langage:¨ lui parla plus ou moins comme suit;
"Hé! bonjour,monsieur du corbeau!
Que vous êtes joli! que vous me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage¨ chant;
Se rapporte¨ à votre plumage,¨ est conforme; plumes;
Vous êtes le phénix¨ des hôtes¨ de ces bois. oiseau mythologique; habitants;
A ces mots,le corbeau ne se sent plus de joie.
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec,laisse tomber sa proie.
Le renard s'en saisit¨ et dit:"Mon bon monsieur, le prend;
Apprenez que tout flatteur¨ complimenteur;
Vit au dépens de celui qui l’écoute:
Cette leçon vaut bien un fromage,sans doute.
Le corbeau, honteux et confus,
Jura,¨ mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.¨ se promit; qu'on ne le duperait plus;

 

14.3. La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf.

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Une grenouille vit un bœuf
qui lui sembla de belle taille.¨ bien grande;
Elle, qui n’était pas grosse¨ en tout¨ comme un œuf, grande; total;
Envieuse,¨ s’étend, s'enfle¨ et se travaille;; jalouse; augmente son volume;
Pour égaler¨ l'animal en grosseur devenir égale à;
Disant: "Regardez bien, ma sœur,
Est-ce assez? dites-moi: n'y suis-je point encore?"
"Nenni"-"M'y voici donc?"-"Point du tout¨ "M'y voila?" non;
Vous n'en approchez point.¨ La chétive pécore¨ êtes loin; pauvre bête;
S'enfla si bien qu'elle creva.¨ se cassa;
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages.
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs;
Tout petit prince a des ambassadeurs;
Tout marquis veut avoir des pages.

 

14.4. Le loup et le chien.

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Un loup n'avait que les os et la peau,¨ était très maigre;
Tant les chiens faisaient bonne garde;
Ce loup rencontre un dogue aussi puissant¨ que beau, fort;
Gras, poli,¨ qui s’était fourvoyé¨ par mégarde.¨ brillant; avait perdu le chemin; inattention;
L'attaquer,le mettre en quartiers¨ chasser;
Sire Loup l'eût¨ fait volontiers; - aurait;
Mais il fallait livrer bataille
Et le mâtin¨ était de taille¨ chien; assez fort;
À se défendre hardiment¨ avec courage;
Le loup donc l'aborde¨ humblement¨ parle; timidement;
Entre en propos¨ et lui fait compliment conversation;
Sur son embonpoint¨ qu'il admire. santé;
"Il ne tiendra¨ qu'à vous, beau sire, cela dépendra;
D'être aussi gras que moi," repartit¨ le chien, répondit;
"Quittez les bois, vous ferez bien;
Vos pareils¨ y sont misérables, camarades;
Cancres,¨ hères¨ et pauvres diables; pauvres; miséreux;
Dont la condition¨ est de mourir de faim. vie;
Car, quoi rien d’assuré¨ ! point de franche lippée!¨ sûr; bon repas;
Tout à la pointe de l’épée!¨ rien sans bataille;
Suivez-moi,vous aurez un meilleur destin.¨ vie;
Le reprit:"Que me faudra-t-il faire?"-
"Presque rien," dit le chien; "donner la chasse aux gens¨ chasses les..;
Portant¨ bâtons et mendiants,¨ qui portent; qui demandent de l' argent;
Flatter ceux du logis,¨ à son maître complaire:¨ maison; faire plaisir;
Moyennant¨ quoi votre salaire pour;
Sera force¨ reliefs.¨ de toutes les façons, beaucoup de; morceaux;
Os de poulets, os de pigeons;
Sans parler de mainte¨ caresse." beaucoup de;
Le loup déjà se forge ¨ une félicité¨ se fait; paradis;
Qui le fait pleurer de tendresse.¨ sentiment doux;
Chemin faisant¨ il vit le cou du chien pelé.¨ en route; sans poil;
"Qu'est-ce la?" lui dit-il. "Rien." "Quoi rien?" "Peu de chose."
"Mais encore?"-"Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause."
"Attaché!" dit le loup; "Vous ne courez donc pas
Ou vous voulez?" "Pas toujours; mais qu'importe"?¨ qu'est-ce que ça fait?;
"Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte.¨ rien;
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor"¨ fortune;
Cela dit,¨ maître loup s'enfuit,¨ et court encore. après avoir dit cela; prit la fuite;

 

14.5. Le loup et l'agneau

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La raison¨ du plus fort est toujours la meilleure: le droit;
Nous l'allons montrer tout a l heure.¨ bien tôt;
Un agneau se désaltérait¨ buvait;
Dans le courant d'une onde¨ pure rivière;
Un loup survint,¨ à jeun,¨ qui cherchait aventure arriva; qui n'avait pas mangé;
Et que la faim en ces lieux attirait.
"Qui te rend¨ si hardi¨ de troubler mon breuvage?"¨ fait; arrogant; boisson;
Dit cet animal plein de rage:¨ fureur;
"Tu seras châtié¨ de ta témérité."¨ puni; arrogance;
"Sire," répond l'agneau,"que votre majesté
Ne se mette pas en colère;¨ fureur;
Mais plutôt qu'elle¨ considère¨ (=votre majesté); observe;
Que je me vais désaltérant¨ bois;
Dans le courant
Plus de vingt pas au-dessous d'elle,
Et que, par conséquent,¨ en aucune façon,¨ logiquement; manière;
Je ne puis troubler sa boisson."
"Tu la troubles!" reprit cette bête cruelle;
"Et je sais que de moi tu médis¨ l'an passe." as dit du mal;
"Comment l'aurais-je fait,si je n’étais pas ne?"
Reprit l'agneau; "Je tette¨ encore ma mère." bois le lait de ...;
"Si ce n'est toi, c'est donc ton frère."
"Je n'en ai point."-"C'est donc quelqu'un des tiens¨ de ta famille;
Car vous ne m’épargnez¨ guère;¨ respectez; presque pas;
Vous, vos bergers¨ et vos chiens. celui qui garde les moutons;
On me l'a dit; il faut que je me venge."
Là-dessus,¨ au fond des¨ forêts¨ après cela; dans les; bois;
Le loup l'emporte, et puis le mange
Sans autre forme de procès.

 

14.6. La mort et le bûcheron

Un pauvre bûcheron¨ ,tout couvert de ramêe,¨ celui qui coupe du bois; branches d'arbre;
Sous le faix¨ du fagot¨ aussi bien que des ans, charge; branches;
Gémissant¨ et courbé¨ marchait a pas pesants,¨ se lamentant; le dos plié; lourds;
Et tachait¨ de gagner¨ sa chaumine¨ enfumée. essayait; arriver à; hutte;
Enfin,n'en pouvant plus d'effort et de douleur;
Il met bas¨ son fagot, il songe¨ à son malheur. dépose; pense;
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde?¨ terre;
Point de pain quelquefois, et jamais de repos:
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,¨ fiscalités;
Le créancier¨ et la corvée celui à qui on doit payer de l'argent;
Lui font d'un malheureux la peinture¨ achevée.¨ image; parfaite;
Il appelle la Mort.Elle vient sans tarder,¨ attendre;
Lui demande ce qu'il faut faire.
"C'est," dit-il,"afin de¨ m'aider pour;
À recharger ce bois; tu ne tarderas guère."¨ tu feras vite;
Le trépas¨ vient tout guérir: la mort;
Mais ne bougeons¨ d’où nous sommes: ne nous déplaçons pas;
Plutôt souffrir¨ que mourir être malheureux;
C'est la devise de l'homme.

15. Nicolas Boileau

15.1. L'art poétique (1674)

Quelque sujet qu'on traite¨ , ou plaisant,ou sublime, présent;
Que toujours le bon sens¨ s'accorde avec la rime. raison;
Aimez donc la raison; que toujours vos écrits
Empruntent¨ d'elle seule et leur lustre¨ et leur prix. prennent; beauté;
Voulez-vous du,public mériter¨ les amours,¨ attirer; admiration;
Sans cesse en écrivant variez vos discours.¨ paroles;
Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse:¨ platitudes;
N'offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire.
Ayez pour la cadence une oreille sévère.¨ critique;
Durant¨ les premiers ans du Parnasse¨ français, pendant; poésie;
Le caprice¨ tout seul faisait toutes les lois, humeur;
Villon sut le premier dans ces siècles grossiers¨ peu délicats;
Débrouiller¨ l'art confus¨ de nos vieux romanciers. rendre clair; peu clair;
Marot bientôt après fit fleurir les ballades,
Tourna¨ des triolets,¨ rima des mascarades. fit; certains vers;
Ronsard, qui le suivit par une autre méthode,
Réglant tout brouilla tout, fit un art à sa mode
Et toutefois¨ longte,ps eut un heureux destin,¨ pourtant; fortune;
Mais sa muse, en français parlant grec et latin
Vit dans l'âge suivant sur un retour grotesque
Tomber de ses grands mots le faste¨ pédantesque. luxe;
Enfin Malherbe vint et le premier en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D'un mot mis en sa place enseigna¨ le pouvoir, fit apprendre;
Et réduisit¨ la muse aux règles du devoir. changea;
Il est¨ certains esprits dont les sombres pensées il y a;
Sont d'un nuage épais toujours embarrassés;¨ troublées;
Le jour¨ de la raison ne le saurait percer.¨ lumière; traverser;
Avant donc que d’écrire apprenez a penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,¨ peu claire;
l'oppression la suit,ou moins nette,ou plus pure.
De que l'on conçoit¨ bien s’énonce¨ clairement. imagine; s'exprime;
Et les mots pour le dire arrivent aisément.¨ facilement;
Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier¨ remettez votre ouvrage: table de travail;
Polissez-¨ le sans cesse et le repolissez; rendez brillant;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez;¨ gommez;
Vous donc,qui d'un beau feu¨ pour le théâtre épris?¨ amour; amoureux;
Venez, en vers pompeux, y disputer le prix,
Voulez-vous sur la scène étaler des ouvrages,
Où tout Paris en foule¨ apporte ses suffrages,¨ masse; applaudissements;
Et qui, toujours plus beaux, plus ils sont regardés,
Soient au bout de vingt ans encor redemandés?
Que dans tous vos discours¨ la passion émue¨ paroles; émotionnée;
Aille chercher le cœur,l’échauffe et le remue?¨ frappe;
Que dès les¨ premiers vers l'action préparée déjà aux ...;
Sans peine¨ du sujet aplanisse¨ l’entrée. difficulté; facilite;
Qu'en un lieu¨ qu'en un jour, un seul fait accompli¨ place; complet;
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli.
Jamais au spectateur n'offrez rien d'incroyable:
Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.¨ plausible;
Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit"nous l'expose¨ raconte;
Les yeux en le voyant saisiraient¨ mieux la chose, comprendraient;
Mais i est¨ des objets que l'art judicieux¨ il y a; juste;
Doit offrir à l’oreille et reculer¨ des yeux. tenir loin;
La tragédie, informe et grossière¨ en naissant peu fine;
N’était qu'un simple chœur ou chacun en dansant,
Et du dieu des raisins entonnant¨ les louanges¨ chantant; gloire;
S'efforçait¨ d'attirer de fertiles vendanges.¨ voulait; bonne production;
Eschyle dans le chœur jeta les personnages,
D'un masque plus honnête¨ habilla les visages. correct;
Sophocle enfin, donnant l'essor¨ a son génie, élan;
Accrut¨ encor la pompe, augmenta¨ l'harmonie, agrandit; agrandit;
Intéressa¨ le chœur dans toute l'action, fit entrer;
Des vers trop radoteux¨ polit¨ l'expression, dur; adoucit;
Lui donna chez les Grecs cette hauteur divine¨ glorieux;
Où jamais n'atteignit¨ la faiblesse latine. arriva;
Chez nos dévots aïeux¨ le théâtre abhorré¨ (au moyen-âge); rejeté;
Fut longtemps dans la France un plaisir ignoré.¨ inconnu;
De pèlerins, dit-on, une troupe grossière¨ peu civilisée;
En public à Paris y monta la première;
Et, sottement zélée¨ en sa simplicité, enthousiaste;
Joua les Saints, la Vierge et Dieu,par piété¨ dévotion;
Le savoir, à la fin dissipant¨ l'ignorance,¨ chassant; manque de savoir;
Fit voir de ce projet la dévote imprudence.
On chasse ces docteurs prèchants¨ sans mission: prédicateurs;
On vit renaître Hector, Andromaque, Ilion.¨ Troie;
Le théâtre, fertile en¨ censeurs¨ pointilleux,¨ plein de; critiques; précis;
Chez nous, pour se produire, est un champ périlleux.¨ dangereux;
Un auteur n'y fait pas de faciles conquêtes;¨ victoires;
Il trouve a le siffler¨ des bouches toujours prêtes. critiquer;
Il faut qu'en cent façons, pour plaire, il se replie;¨ s'adapte;
Que tantôt il s’élève, et tantôt s'humilie¨ s'abaisse;
Qu'en nobles sentiments il soit toujours fécond¨ riche;
Qu'il soit aisé¨ solide,agréable, profond; facile à comprendre;
Et que tout ce qu'il dit, facile a retenir,¨ se rappeler;
De son ouvrage en nous laisse un long souvenir.
Auteurs, prêtez l'oreille¨ à mes instructions. écoutez;
Voulez-vous faire aimer vos riches fictions?
Qu'en savantes leçons votre muse fertile¨ riche;
Partour joigne¨ au plaisant le solide et l'utile. unisse;

16. Madame de la Fayette

16.1. La princesse de Clèves (l678)

Le dix-huitième siècle (Siècle philosophique)

La magnificence et la galanterie n'ont jamais paru en France avec tant d’éclat¨ que dans les dernières années du règne de Henri second. Jamais cour n'a eu tant de belles personnes et d'hommes admirablement bien faits; et il semblait que la nature eût pris plaisir a placer ce qu'elle donne de plus beau,dans les plus grands princesses et dans les plus grands princes. Madame Élisabeth de France, qui fut depuis reine d'Espagne,commençait à faire paraître un esprit surprenant et cette incomparable¨ beauté qui lui a été si funeste. Marie Stuart, reine d’Écosse, qui venait d’épouser¨ M. le dauphin, et qu'on appelait la reine dauphine, était une personne parfaite pour l'esprit et pour le corps. Le roi de Navarre attirait le respect de tout le monde par la grandeur de son rang, et par celle qui paraissait en sa personne.Le duc de Nevers, dont la vie était glorieuse par la guerre et par les grands emplois¨ qu'il avait eus, quoique dans un âge avancé,¨ faisait les délices¨ de la cour. Le vidame de Chartres était également¨ distingué¨ dans la guerre et dans la galanterie. Il était beau, de bonne-mine,¨ vaillant,¨ libéral,¨ toutes ces bonnes qualités étaient vives et éclatantes; enfin,il était seul digne¨ d'être comparé au duc de Nemours; mais ce prince était un chef-d’œuvre de la nature; ce qu'il avait de moins admirable était d'être l'homme du monde le mieux fait et le plus beau. Ce qui le mettait au-dessus des autres, était une valeur incomparable,et un agrément¨ dans son esprit, dans son visage,e t dans ses actions, que l'on n'a jamais vu qu'en lui seul. lustre gloire; inégalable; s’était mariée avec; fonctions; vieux; plaisir; aussi; éminent; air; courageux; généreux; en droit; charme;
Le roi demeura¨ sur la frontière,quand il y reçut la nouvelle de la mort de Marie, reine d'Angleterre. Il envoya le comte de Randan à Élisabeth, pour la complimenter sur son avènement¨ à la couronne. Ce comte la trouva instruite¨ des intérêts¨ de la cour de France, mais surtout il la trouva si remplie de la réputation du duc de Nemours, elle lui parla tant de fois de ce prince, et avec tant d'empressement,¨ que,quand M. de Randan fut revenu, et qu'il rendit compte¨ au roi de son voyage,il lui dit qu'il n'y avait rien que M. de Nemours ne pût prétendre¨ auprès de cette princesse, et qu'il ne doutait point qu'elle ne fût capable de l’épouser.¨ Le roi en parla dès¨ le soir même; il lui fit conter par M. de Randan toutes ses conversations avec Élisabeth, et il lui conseilla de tenter cette fortune .Le roi lui promit risquer de ne parler qu'au connétable de ce dessein,¨ et il jugea¨ même le secret nécessaire pour le succès. M. de Randan conseillait d'aller en Angleterre sur le prétexte¨ de voyager. fut; arrivée; informée; affaires; vivacité; rapporta; aspirer; se marier avec lui; déjà; projet; crut; faux motif;
En attendant l’événement de ce voyage, il alla voir le duc de Savoie, qui était alors à Bruxelles avec le roi d'Espagne. La mort de Marie d'Angleterre apporta de grands obstacles à la paix.
Il parut¨ alors à la cour une beauté qui attira les yeux de tout le monde, et l'on doit croire que c'était une beauté parfaite puisqu'elle donna de l'admiration dans un lieu¨ où l'on était si accoutumé à voir¨ de belles personnes. Elle était de la même maison que le vidame de Chartres, et une des plus grandes héritières¨ de France. Son père était mort jeune, et l'avait laissée sous la conduite¨ de madame de Chartres, sa femme, dont le bien,¨ la vertu¨ et le mérite¨ étaient extraordinaires. Après avoir perdu son mari ,elle avait passe plusieurs années sans revenir a la cour. Pendant cette absence elle avait donne ses soins¨ à l’éducation de sa fille, mais elle ne travailla pas seulement a cultiver son esprit et sa beauté; elle songea aussi a lui donner de la vertu; elle faisait souvent a sa fille des peintures de l'amour; elle lui montrait ce qu'il y a d’agréable pour la persuader¨ plus aisément¨ ce qu'elle lui en apprenait de dangereux. arriva; place; on y voyait si souvent; femmes de bonne famille; direction; fortune; intégrité; valeur; attention; faire accepter; facilement;
Madame de Chartres, qui était extrêmement¨ glorieuse,ne trouvait rien qui fut digne de¨ sa fille; la voyant dans sa seizième année, elle voulut la mener a la cour. tres; bon pour(un mariage);
Le lendemain¨ qu'elle fut arrivée, elle alla pour assortir¨ des pierreries¨ chez un Italien.Comme¨ elle y était, le prince de Clèves y arriva. Il fut tellement surpris de sa beauté, qu'il ne put cacher sa surprise. M de Clèves la regardait avec admiration, et il ne pouvait comprendre qui était cette belle personne qu'il ne connaissait point. jour après; choisir; bijoux; quand;
Le prince de Clèves devint passionnément amoureux de mademoiselle de Chartres,et souhaitait¨ ardemment¨ de l’épouser;¨ mais il ne la voyait que chez les reines, ou aux assemblées;¨ il était difficile d'avoir une conversation particulière.¨ Il en trouva pourtant les moyens,¨ et il lui parla de son dessein¨ avec tout le respect imaginable. Comme mademoiselle de Chartres avait le cœur noble et très bien fait, elle fut véritablement¨ touchée¨ de reconnaissance du procédé¨ du prince de Clèves. Cette reconnaissance donna a ses réponses et à ses paroles un certain air¨ de douceur qui suffisait¨ pour donner de l’espérance à un homme aussi¨ éperdument¨ amoureux que l’était le prince. désirait; vivement; se marier avec elle; avec d'autres; privé; la possibilité; intention; vraiment; frappée; manière de faire; aspect; était assez; si; passionnément;
Elle rendit compte¨ à sa mère de cette conversation, et madame de Chartres lui dit qu'il y avait tant de grandeur dans M. de Clèves que, si elle sentait son inclination¨ portée a l’épouser,elle y consentirait¨ avec joie. Mademoiselle de Chartres répondit qu'elle lui remarquait¨ les mêmes bonnes qualités; qu'elle l’épouserait même avec moins de répugnance¨ qu'un autre; mais qu'elle n'avait aucune inclination¨ particulière¨ pour sa personne. rapporta; préférence; serait d'accord; voyait en lui; antipathie; amour; spécial;
Dès¨ le lendemain,¨ ce prince fit parler à madame de Chartres; elle reçut la proposition¨ qu'on lui faisait, et elle ne craignit¨ point de donner à sa fille un mari qu'elle ne pût¨ aimer, en lui donnant le prince de Clèves. déjà; jour après; demande; n'eut pas peur; pourrait;
Les articles furent conclus;¨ on parla au roi, et ce mariage fut su¨ de tout le monde. on annonça le mariage; connu;
La cérémonie s'en fit au Louvre; et le soir le roi et les reines vinrent souper chez Madame de Chartres, avec toute la cour, où ils furent reçus avec une magnificence admirable.
M. de Clèves ne trouva pas que mademoiselle de Chartres eût changé de sentiments en changeant de nom. Il conservait pour elle une passion violente¨ et inquiète¨ qui troublait sa joie: la jalousie n'avait pas de part à ce trouble: jamais mari n'a été si loin d'en¨ prendre, et jamais femme n'a été si loin d'en donner. intense; troublante; (=de la jalousie);
La duchesse de Lorraine, en travaillant à la paix, avait aussi travaillé pour le mariage du duc de Lorraine,son fils; il¨ avait été conclu¨ avec Madame Claude de France, seconde fille du roi. Les noces¨ en furent résolues pour le mois de février. (le mariage); réglé; fête du mariage;
Cependant le duc de Nemours était demeuré¨ à Bruxelles, entièrement rempli¨ et occupé de"ses desseins¨ pour l'Angleterre.Il en recevait, ou y envoyait continuellement¨ des courriers: ses espérances augmentaient chaque jour,et il n'y avait plus d'obstacles. resté; pensant uniquement; projets; constamment;
Il envoya en diligence à Paris donner tous les ordres nécessaires pour faire un équipage¨ magnifique, afin de¨ paraître en Angleterre avec un éclat¨ proportionne¨ au dessein¨ qui l'y conduisit,¨ et il se hâta lui-même de venir à la cour pour assister¨ au mariage de M. de Lorraine. escorte; pour; magnificence; conforme; projet; fit aller; être présent;
Il arriva à la veille¨ des fiançailles, et,des¨ le même soir qu'il fut arrivé, il alla rendre compte¨ au roi de l'état de son dessein. Il alla ensuite¨ chez les reines. le jour avant; deja; rapporter; après cela;
Madame de Clèves n'y était pas de sorte¨ qu'elle ne le vit point et ne sut pas même qu’il fût arrivé. Elle avait ouï¨ parler de ce prince ਠtout le monde, comme de ce qu'il y avait de mieux fait¨ et de plus agréable à la cour et c'est par cela; entendu; par; plus beau;
Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer,¨ pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisaient au Louvre. Lorsqu'elle arriva, l'on admira sa beauté et sa parure;¨ le bal commença; et, comme¨ elle dansait avec M. de Guise,il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu'un qui entrait, et à qui on faisait place. Madame de Clèves acheva¨ de danser, et, pendant qu'elle cherchait des yeux quelqu'un qu'elle avait dessein¨ de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait. faire beau; bijoux+vêtements; quand; finissait; l'intention;
Elle se tourna, et vit un homme qu'elle crut d'abord¨ ne pouvoir être que M. de Nemours. immédiatement;
M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté, que, lorsqu’il fut proche¨ d'elle, et qu'elle lui fit la révérence¨ il ne put s'empêcher de donner des marques son admiration. Quand il commencèrent à danser, il s’éleva un murmure¨ de louanges.¨ tout près; salut de la tête; bruit; admirations;
Madame de Clèves revint chez elle, l'esprit si rempli de tout ce qui s’était passé au bal, que,quoiqu'il fût fort¨ tard, elle alla dans la chambre de sa mère pour lui en rendre compte.¨ très; le raconter;
Le lendemain,¨ la cérémonie des noces¨ se fit;madame de Clèves y vit le duc de Nemours avec une mine¨ et une grâce admirables. jour après; mariage; visage;
Les Jours suivants,elle le vit chez la reine dauphine; elle le vit jouer a la paume avec le roi; elle l'entendit parler; mais elle le vit toujours surpasser¨ de si loin tous les autres,qu'il fit,en peu de temps,une grande impression¨ sur son cœur. dominer; effet;
Il est vrai aussi, comme M. de Nemours sentait pour elle une inclination¨ violente,¨ qu'elle lui ôta¨ le goût, et même le souvenir de toutes les personnes qu'il avait aimées. Son impatience¨ pour le voyage d'Angleterre commença même à se ralentir.¨ Il allait souvent chez la reine dauphine, parce que madame de Clèves y allait souvent. Il n'en parla pas même au vidame de Chartres, qui était son ami intime.Il prit¨ une conduite sage, et s'observa¨ avec tant de soin¨ que personne ne le soupçonna¨ d'être amoureux de madame de Clèves. amour; intense; retira; désir de; diminuer; adopta; se contrôla; attention; crut;
Elle ne se trouva pas la même disposition¨ à dire à sa mère ce qu'elle pensait des sentiments de ce prince; sans avoir un dessein¨ bien formé de le lui cacher, elle ne lui en parla point. Mais madame de Chartres ne le voyait que trop, aussi bien que le penchant¨ que sa fille avait pour lui. Elle jugeait¨ bien le péril¨ ou était cette jeune personne, d'être aimée d'un homme fait¨ comme M. de Nemours, pour qui elle avait de l'inclination.¨ Elle fut entièrement¨ confirmée¨ dans les soupçons¨ qu'elle avait de cette inclination¨ par une chose qui arriva peu de jours après. tendance; intention; préférence; voyait; danger; de la mentalité; amour; complètement; assurée; idée; amour;
Un jour, la reine dauphine fit apporter ses pierreries, afin d'¨ en choisir pour le bal du maréchal de Saint-André, et pour en donner à madame de Chartres, à qui elle en avait promis. Comme¨ elles étaient dans cette occupation,¨ le prince de Condé arriva. La reine dauphine lui dit qu'il venait sans doute de chez le roi, son mari, et lui demanda ce que l'on y faisait."L'on dispute contre M. de Nemours, madame", répondit-il, "et il défend avec tant de chaleur¨ la cause¨ qu'il soutient¨ qu'il faut que ce soit le sienne. Je crois qu'il a quelque maîtresse qui lui donne de l’inquiétude.¨ quand elle est au bal;tant il trouve que c'est une chose fâcheuse¨ pour un amant que d'y voir la personne qu'il aime." pour; quand; travail; enthousiasme; principe; défend; ici: jalousie; désagréable;
"Comment!" reprit Madame la Dauphine, "M. de Nemours ne veut pas que sa maîtresse aille au bal! J'avais bien cru que les maris pouvaient souhaiter¨ que leurs femmes n'y, allassent pas; mais,pour les¨ amants, je n'avais pas pensé qu'ils fussent de ce sentiment.¨ " vouloir, désirer; pour ce qui est des; idée;
Madame de Clèves ne faisait pas semblant d'entendre¨ ce que disait le prince de Condé; mais elle l’écoutait avec attention .Sitôt que¨ le prince de Condé avait commencé à conter¨ les sentiments de M. de Nemours sur le bal, madame de Clèves avait senti une grande envie¨ de ne point aller a celui du maréchal de Saint-André. Elle emporta néanmoins¨ la parure¨ que lui avait donnée le reine dauphine; mais le soir, lorsqu'elle la montra à sa mère, elle lui dit qu'elle n'avait pas dessein¨ de s'en servir. Madame de Chartres combattit¨ quelque temps l'opinion de sa fille; mais, voyant qu'elle s'y opiniâtrait,¨ elle s'y rendit,¨ et lui dit qu'il fallait donc qu'elle fît¨ la malade pour avoir un prétexte¨ de ne pas y aller. M. de Nemours revint le lendemain¨ du bal et sut¨ qu'elle ne s'y était pas trouvée;mais il était bien éloignée¨ de croire qu'il fût assez heureux pour l'avoir empêchée¨ d'y aller. simulait de ne pas entendre; immédiatement quand; raconter; désir,besoin; pourtant; bijou; l'intention; critiqua; ne changea pas; accepta; jouât; motif; jour après; fut informé; loin; retenue;
Madame de Chartres comprit pourquoi sa fille n'avait point voulu aller au bal. Elle se mit¨ un jour à lui en parler. L'on ne peut exprimer¨ la douleur¨ qu'elle sentit de connaître¨ par ce que lui venait de dire sa mère, l’intérêt qu'elle prenait à M. de Nemours: elle n'avait encore osé se l'avouer¨ a elle-même. Elle vit alors que sentiments qu'elle avait pour lui étaient ceux que M. de Clèves lui avait tant demandes; elle trouva¨ combien il était honteux¨ de les avoir pour un autre que pour un mari qui les méritait .Cette pensée la détermina à conter à madame de Chartres ce qu'elle ne lui avait point encore dit. Elle alla le lendemain dans sa chambre pour exécuter¨ ce qu'elle avait résolu;¨ mais elle trouva madame de Chartres avait un peu de fièvre, de sort qu'elle ne voulut pas lui parler. Ce mal paraissait néanmoins¨ si peu de chose que madame de Clèves ne laissa pas d'aller l’après-dîner chez madame la Dauphine. commença; dire; tristesse; savoir; reconnaître; découvrit; déshonorant; faire; décidé; pourtant;
Lorsqu'elle revint chez sa mère,elle sut¨ qu'elle était beaucoup plus mal qu'elle ne l'avait laissée. La fièvre avait redoublé, et,les jours suivants, elle augmente¨ telle sorte que l'on commença a désespérer de sa vie; elle reçut¨ ce que les médecins lui dirent du péril¨ où elle était avec un courage digne¨ de sa vertu¨ et de sa piété. Après qu'ils furent sortis, elle fit retirer tout le monde et appeler madame de Clèves. trouva; s’éleva; écouta; danger; conforme à; courage;
"Il faut nous quitter, ma fille", lui dit-elle en lui tendant la main; le péril¨ où je vous laisse et le besoin que vous avez de moi augmentent¨ le déplaisir que j'ai de vous quitter. Vous avez de l'inclination¨ pour M. de Nemours; je ne vous demande point de me l'avouer.¨ Ayez de la force et du courage, ma fille, retirez-vous de la cour, obligez¨ votre mari de vous emmener. danger; agrandissent; amour; confesser; forcez;
Elle se tourna de l'autre¨ côte en achevant¨ ces paroles et commanda sa fille d'appeler ses femmes. Elle vécut encore deux jours. vers; finissant;
Madame de Clèves était dans une affliction¨ extrême;¨ son mari ne la quittait point, et sitôt que¨ madame de Chartres fut expirée,¨ il l'emmena à la campagne. Elle se trouvait malheureuse d'être abandonnée¨ à elle-même dans un temps où elle était si peu maîtresse de ses sentiments. tristesse; très grande; immédiatement quand; morte; seule;
La manière dont M. de Clèves en usait¨ pour elle, lui faisait souhaiter¨ plus fortement que jamais, de ne manquer en rien à ce qu’elle lui devait. Elle lui témoignait¨ aussi plus d’amitié et plus de tendresse¨ qu'elle n'avait encore fait; elle ne voulait point qu'il la quittât, et il lui semblait qu’à force de s'attacher¨ à lui,il la défendait contre M. de Nemours. faisait tout; désirer; montrait; douceur; elle pensait quand se liait;
Ce prince vint voir¨ M. de Clèves a la campagne. Il fit ce qu'il put pour rendre aussi visite à madame de Clèves; mais elle ne voulut point le recevoir; et,sentant bien qu'elle ne pouvait s’empêcher¨ de le trouver aimable, elle avait pris une forte résolution de s’empêcher de le voir et d'en éviter¨ toutes les occasions qui dépendraient d'elle. visiter; se défendre; fuir;
M. de Clèves vint a Paris pour faire sa cour, et promit à sa femme de s'en retourner le lendemain;¨ il ne revint cependant que le jour après. "Je vous attendis hier", lui dit madame de Clèves, "mais j'étais si nécessaire à la consolation¨ d'un malheureux qu'il m’était impossible de le quitter.Il faut que je m'en retourne pour voir ce malheureux, et je crois qu'il faut que vous reveniez à Paris." jour après; aide mentale;
Madame de Clèves consentit¨ à son retour, et elle revint le lendemain. Les jours suivants, le roi et les reines allèrent voir madame de Clèves. M. de Nemours, qui avait attendu son retour avec une extrême¨ impatience ,et qui souhaitait¨ ardemment¨ de lui pouvoir parler sans témoins, attendit, pour aller chez elle, l'heure où tout le monde en sortirait. Il demeura¨ quelque temps sans pouvoir parler. Madame de Clèves n’était pas moins interdite,¨ de sorte qu'ils gardèrent assez longtemps le silence.¨ fut d'accord avec; très grande; désirait; intensément; resta; troublée; ne parlèrent pas;
Enfin M.de Nemours prit la parole¨ et lui fit des compliments sur son affliction;¨ madame de Clèves, étant bien aise¨ de continuer la conversation sur ce sujet,parla assez longtemps de la perte qu'elle avait faite.Le discours¨ de M. de Nemours lui plaisait et l'offensait ¨ également. Elle ne se flattait plus de¨ l’espérance de ne commença à parler; tristesse; heureux; les paroles; choquait; n'avait plus;
pas l'aimer; elle songea¨ seulement à ne lui en donner jamais aucune marque.¨ Le seul moyen¨ d'y réussir était d’éviter¨ la présence de ce prince, et, comme son deuil¨ lui donnait lieu¨ d'être plus retirée que de coutume,¨ elle se servit de ce prétexte¨ pour n'aller plus dans les lieux où il pouvait la voir. avait l'intention; signe; possibilité; fuir; (de la mort de sa mère); motifs; normalement; motif;
M. de Clèves ne prit pas garde¨ d'abord à la conduite¨ de sa femme; mais enfin,il s'aperçut(vit qu'elle ne voulut pas être dans sa chambre¨ lorsqu'il y avait du monde¨ Il lui en parla, et elle lui répondit qu'elle ne croyait pas que la bienséance¨ voulut qu'elle fût tous les jours avec ce qu'il y avait de plus jeune à la cour. M. de Clèves, qui avait naturellement¨ beaucoup de douceur¨ et de complaisance¨ fit pas attention; manières; salon; des gens; l’étiquette; par nature; bonté; clémence} pour sa femme, n'en eut pas à cette occasion, et il lui dit qu'il ne voulait absolument pas qu'elle changeât de conduite.;
Comme il y avait déjà assez longtemps de la mort de sa depuis mère,il fallait qu'elle commençât à paraître¨ dans le monde et à faire sa cour, comme elle était accoutumée:¨ elle voyait M. de Nemours chez madame la Dauphine; elle voyait chez M. de Clèves,où il venait souvent avec d'autres personnes de qualité de son âge. se montrer; faisait toujours;
Il y avait¨ longtemps que M. de Nemours souhaitait¨ voir le portrait de madame de Clèves. Lorsqu'il vit celui qui était à M. de Clèves il ne put résister¨ à l'envie¨ de le dérober¨ à un mari qu'il croyait tendrement¨ aimé. Madame de Clèves aperçut par un rideau qui n’était fermé qu'à demi, M. de Nemours, le dos contre la table, et elle vit que, sans tourner la tête, il prenait adroitement¨ quelque chose sur la table; elle n'eut pas de peine¨ à deviner¨ que c’était son portrait, et elle fut si troublée que madame le Dauphine remarqua¨ qu'elle ne l’écoutait pas et lui demanda ce qu'elle regardait. M. de Nemours se tourna à ces paroles, et il rencontra les yeux de madame de Clèves qui étaient encore attachés¨ sur lui, et il pensa qu'il n’était pas si impossible qu'elle eût vu ce qu'il venait de faire. Madame de Clèves n’était pas peu embarrassée;¨ la raison voulait qu'elle demandât son portrait; mais en le demandant publiquement, c’était apprendre¨ à tout le monde les sentiments que ce prince avait pour elle, et, en le lui demandant en particulier,¨ c’était quasi¨ l'engager¨ à lui parler de sa passion. Enfin, elle jugea¨ qu'il valait mieux le lui laisser, et elle fut bien aise¨ de lui accorder¨ une faveur¨ qu'elle pouvait lui faire,sans qu'il sût même qu'elle la lui faisait. depuis; désirait; s'opposer; désir; voler; bien; habilement; difficulté; comprendre; signala; fixés; troublée; faire savoir; en privé; presque; inviter; crut; heureuse; donner; grâce;
La paix entre la France et l'Espagne était signée; madame Élisabeth, après beaucoup de répugnance,¨ s’était résolue¨ à obéir au roi son père. Le duc d'Albe été nommé pour venir l’épouser¨ au nom du roi catholique, et il devait bientôt arriver. aversion; avait décidée; se marier avec elle;
Peu de jours avant l’arrivée du duc d'Albe, le roi fit une partie de jeu de paume avec M. de Nemours, le chevalier de Guise et le vidame de Chartres. Après que la partie fut finie, Châtelart s'approcha¨ de la reine Dauphine et lui dit que le hasard lui venait de mettre la fortune entre les mains une lettre de galanterie qui était tombée de la poche de M. de Nemours. Cette_reine, qui avait toujours de la curiosité¨ pour ce qui regardait¨ ce prince,dit à Châtelart de la lui donner; elle la prit et suivit la reine, sa belle-mère, qui s'en allait avec le roi, travailler a la lice.¨ Après que l'on y eut été quelque temps, le roi fit amener des chevaux qu'il avait fait venir depuis peu. Quoiqu'¨ ils ne fussent pas -encore dressés, il les voulut monter et en fit donner à tous ceux qui l'avaient suivi. Le roi et M. de Nemours se trouvèrent sur les plus fougueux;¨ ces chevaux voulurent se jeter l'un sur l'autre. M. de Nemours, par la crainte¨ de blesser le roi,recula¨ brusquement et porta¨ son cheval contre un pilier¨ du manège avec tant de violence¨ que la secousse¨ le fit chanceler.¨ On courut à lui et on le crut considérablement¨ blessé. Madame de Clèves le crut encore plus que les autres.Ce prince demeura¨ quelque temps la tête penchée¨ sur ceux qui le soutenaient.¨ Quand il la releva,il vit d'abord madame de Clèves; il connut¨ sur son visage la pitié qu'elle avait de lui et il la regarda de manière à lui faire juger¨ combien il était touché.¨ vint plus près; intérêt; concernait; tournoi; bien qu'; vifs; peur; se retira; fit aller; colonne; force; choc; presque tomber; sérieusement; resta; baissée; maintenaient; vit; comprendre; ému;
Madame de Clèves, en sortant de la lice,¨ alla chez la reine, l'esprit bien occupé¨ de ce qui s’était passé. La reine Dauphine, qui avait une extrême¨ impatience de savoir ce qu'il y avait dans la lettre que Châtelart lui avait donnée, s'approcha¨ de madame de Clèves:"Allez lire cette lettre," lui dit-elle, "elle s'adresse à M. de Nemours, et, selon les apparences,¨ elle est de cette maîtresse pour qui il a quitte toutes les autres; si vous ne pouvez pas la lire présentement,¨ gardez-la." Madame la Dauphine quitta madame de Clèves après ces paroles et la laissa si étonnée et dans un si grand saisissement¨ qu'elle_fut quelque temps sans pouvoir sortir de sa place. Sitôt¨ qu 'elle fut dans son cabinet, elle ouvrit cette lettre. Madame de Clèves relut la lettre plusieurs fois, sans savoir néanmoins¨ ce qu'elle avait lu; elle voyait seulement que M. de Nemours ne l'aimait pas comme elle avait pensé,et qu'il en aimait d'autres qu'il trompait¨ comme elle. tournoi; absorbé; très grande; vint plus près; vraisemblablement; maintenant; émotion; immédiatement quand; pourtant; dupait;
Madame de Clèves n’était pas la seule personne dont cette lettre troublait le repos.¨ Le vidame de Chartres qui l'avait perdue, et non pas M. de Nemours, en¨ était dans une grande inquiétude.¨ Il trouva qu il n y avait que M. de Nemours qui pût l'aider a sortir de l'embarras¨ où il était. Il s'en allait chez lui et entra dans sa chambre."Je viens vous confier¨ la plus importante affaire de ma vie," lui dit-il, "J'ai laisse tomber cette lettre; il m'est d'une conséquence¨ extrême¨ que ici: personne ne sache qu'elle s'adresse a moi. Je vous de mande en grâce de vouloir bien dire que c'est vous qui l'avez perdue; l'on a dit a la reine Dauphine que c’était de votre poche qu'elle était tombée." le calme; par là; trouble; difficultés; dire en confiance; importance; très grande;
M. de Nemours le promit au vidame de Chartres; néanmoins¨ il ne pouvait supporter¨ qu'une personne qu'il aimait si éperdument¨ eût lieu¨ de croire qu'il eut quelque attachement¨ pour une autre. mais; tolérer; follement; avait des raisons; amour;
Il alla chez elle a l'heure qu'il crut qu'elle pouvait être éveillée.¨ M. de Nemours lui conta tout ce qu'il venait d'apprendre¨ du vidame. Elle trouva une apparence¨ de vérité à ce que lui disait M. de Nemours. Cette idée la tira¨ de la froideur qu'elle avait eue jusqu'alors. Sitôt¨ qu'elle le crut innocent, elle entra avec un esprit ouvert et tranquille¨ dans les mêmes choses qu'elle semblait d'abord ne daigner¨ pas entendre.Ils convinrent¨ qu'il ne fallait point rendre la lettre a la reine Dauphine.Cet air¨ de mystère et de confiance n’était pas un médiocre¨ charme pour ce prince et même pour madame de Clèves. sortie du sommeil; entendre; aspect; fit sortir; immédiatement quand; calme; vouloir; accordèrent; atmosphère; petit;
Madame de Clèves demeura¨ seule; et sitôt qu'elle ne fut plus soutenue¨ par cette joie que donne la présence de ce que l'on aime, elle revint comme d'un songe,¨ et regarda avec étonnement la prodigieuse¨ différence de l’état¨ où elle était le soir d'avec celui ou elle se trouvait alors."e suis vaincue¨ et surmontée¨ par une inclination,¨ se disait-elle, "qui m'entraîne¨ malgré moi;¨ toutes mes résolutions sont inutiles.Il faut m'arracher¨ de la présence de M. de Nemours; il faut m'en aller à la campagne." resta; animée; rêve; miraculeuse; humeur; dominée; surpassé; amour; emporte; contre ma volonté; éloigner;
Quand M. de Clèves fut revenu, elle lui dit qu'elle voulait aller à la campagne,qu'elle se trouvait mal¨ et qu'elle avait besoin de prendre l'air.Elle le pria de trouver bon qu'elle allât à Coulommiers. M.de Clèves y consentit.¨ malade; fut d'accord;
M. de Nemours avait bien de la douleur¨ de n'avoir point revu madame de Clèves. Il avait une impatience¨ de la revoir qui ne lui donnait point de repos¨ de sorte qu'il résolut¨ d'aller chez sa sœur qui était à la campagne assez près de Coulommiers. Madame de Mercoeur,sa sœur, le reçut avec beaucoup de joie et ne pensa qu'à le divertir¨ et a lui donner tous les plaisirs de la campagne. tristesse; désir; calme; décida; amuser;
Comme¨ ils étaient à la chasse, M. de Nemours s’égara¨ dans la foret. Il se laissa conduire au hasard par des routes faites avec soin. Il trouva, au bout de ces routes un pavillon.Il entra dans le pavillon, lorsqu'il vit venir par la grande allée du parc M. et madame de Clèves. quand; perdit le chemin;
Son premier mouvement¨ le porta ਠse cacher. Voyant que madame de Clèves et son mari s’étaient assis sous le pavillon, il ne put se refuser le plaisir de voir cette princesse, ni résister¨ à la curiosité d’écouter sa conversation avec un mari qui lui donnait plus de jalousie qu'aucun de ses rivaux. impulsion; fit; s'opposer;
Il entendait que M. de Clèves disait à sa femme: "Mais pourquoi ne voulez-vous point revenir a Paris? Votre air et vos paroles me font voir que vous avez des raisons pour souhaiter¨ d'être seule et je ne les sais point; et je vous conjure¨ de me les dire." "Eh bien,monsieur," lui répondit-elle en se jetant à ses genoux¨ "je vais vous faire un aveu¨ que l'on n'a jamais fait a un mari; mais l'innocence de ma conduite¨ et de mes intentions m'en donne la force. Il est vrai que j'ai des raisons pour m’éloigner¨ de la cour, et que je veux éviter¨ les périls¨ où se trouvent quelquefois les personnes de mon âge." désirer; demande; devant lui; confession; actions; tenir loin; prévenir; dangers;
"Je n'ai jamais pu vous donner de l'amour,"dit-il,"et Je vois que vous craignez¨ d'en avoir pour un autre. Et qui est-il, madame, cet homme heureux qui vous donne cette crainte¨ ? Depuis quand vous plaît-il¨ ?""Je vous supplie¨ de ne me le point demander,“ répondit-elle; "Je suis résolue¨ de ne pas vous le dire, et je crois que la prudence ne veut pas que je vous le nomme; contentez-vous de l'assurance,que je vous donne encore,qu'aucune de mes actions n'a fait paraître¨ mes sentiments." avez peur; peur; l'aimez-vous; demande; décidée; montré;
"Ah!madame," reprit tout d'un coup M. de Clèves, "je ne vous saurais croire. Je me souviens de l'embarras¨ où vous fûtes le jour ou votre portrait se perdit.¨ Vous avez donné, madame, vous avez donné ce portrait qui m’était si cher." "Est-il possible," s’écria-t-elle, "que vous puissiez penser qu'il y a quelque déguisement¨ dans un aveu¨ comme le mien,qu'aucune raison ne m'obligeait¨ à vous faire! Fiez-vous¨ à mes paroles; croyez, je vous en conjure,¨ que je n'ai point donne mon portrait. Il est vrai que je le vis prendre; mais je ne voulus pas faire paraître que Je le voyais, de peur de m'exposer à ¨ me par faire dire des choses que l'on n'a pas encore osé me dire". "Vous avez raison,madame," reprit-il, "Je suis injuste."¨ trouble; disparut; simulation; confession; imposait; ayez confiance en; prie; risquer de; peu correct;
Dans ce moment, plusieurs de leurs gens¨ vinrent avertir¨ M. de Clèves qu'un gentilhomme venait le chercher de la part du¨ roi,pour lui ordonner de se trouver le soir à Paris. M. de Clèves fut contraint¨ de s'en aller. serviteurs; informer; au nom du; forcé;
Cependant M. de Nemours était sorti du lieu ou il avait avait entendu une conversation qui le touchait¨ si sensiblement¨ et s’était enfoncé¨ dans la forêt. concernait; d'une manière notable; était entré;
Il s'abandonna¨ d'abord à cette joie, mais elle ne fut pas longue, quand il fit réflexion¨ que la même chose qui lui venait d'apprendre ¨ qu'il avait touché¨ le cœur de madame de Clèves devait le persuader¨ aussi qu'il n'en recevrait jamais nulle marque.¨ se laissa dominer par; pensa; faire savoir; ému; assurer; signe;
Cependant M.,de Clèves était aller trouver¨ le roi, le cœur pénétré"d'une douleur¨ mortelle; ce qui l'occupait¨ le plus c’était l'envie¨ de deviner¨ celui qui avait su lui plaire. M. de Nemours lui¨ vint d'abord dans l'esprit, et le chevalier de Guise et le maréchal de Saint André. visiter; tristesse; obsédait; désir; trouver le nom de; (à sa M. de Clèves);
Il arriva au Louvre, et le roi le mena dans son cabinet pour lui dire qu'il l'avait choisi pour conduire Madame¨ enEspagne la Princesse;
Il écrivit à l'heure même à madame de Clèves pour lui apprendre¨ ce que le roi venait de lui dire,et lui manda¨ encore qu'il voulait absolument qu'elle revînt à Paris. Elle y revint comme il l'ordonnait. dire; fit savoir;
Un soir que M. et madame de Clèves étaient chez la reine, quelqu'un dit que le bruit courait¨ que le roi nommerait¨ encore un grand seigneur de la cour pour aller conduire¨ Madame en Espagne. M. de Clèves avait les yeux sur sa femme, dans le temps qu'on ajouta¨ que ce serait peut-être le chevalier de Guise ou le maréchal de Saint-André. Il remarqua¨ qu'elle n'avait point été émue¨ de ces deux noms. Voulant s’éclaircir¨ de ses soupçons,¨ il entra dans le cabinet de la reine où était le roi. on racontait; choisirait; accompagner; dit encore; constata; émotionnée; assurer; pensées non assurées;
Après y avoir demeuré¨ quelque temps,il revint auprès de sa femme et lui dit tout bas qu'il venait d'apprendre¨ que ce serait H. de Nemours qui irait avec eux en Espagne. Le nom de M. de Nemours donna un tel trouble à madame de Clèves qu'elle ne put le cacher. resté; entendre dire;
Les fiançailles de Madame se faisaient le lendemain et le mariage se faisait le jour après .Enfin le jour du tournoi arriva. Quoique¨ le roi fut le meilleur homme de cheval de son royaume, on ne savait à qui donner l'avantage.¨ Il manda¨ au comte de Montmorency ,qui était extrêmement¨ adroit,¨ qu'il se mît sur la lice.¨ Il courut;les lances se brisèrent¨ et un éclat¨ de celle du comte de Montmorency lui donna¨ dans l’œil et y demeura. Ce prince tomba du coup. On peut juger¨ quel trouble et quelle affliction¨ apporta un accident si funeste dans une journée destinée¨ à la joie. malgré que; supériorité; fit dire; très; habile; terrain du tournoi; se cassèrent; morceau; entra; s'imaginer; tristesse; faite pour;
Le mal du roi se trouva si considérable,¨ que le septième jour il fut condamne¨ par les médecins. Il mourut à la fleur de son âge, heureux, adoré¨ de ses peuples. sérieux; déclaré perdu; aimé;
Peu de jours après la mort du roi, on résolut¨ d'aller à Reims pour le sacre.¨ Madame de Clèves pria son mari de trouver bon qu'elle ne suivît point la cour et qu' elle s'en allât à Coulommiers, prendre l'air et songer¨ à sa santé. Il lui répondit qu'il ne voulait point pénétrer¨ si c’était la raison de sa santé qui l’obligeait¨ à ne pas faire le voyage, mais qu'il consentait¨ qu'elle ne le fit point. décida; couronnement du nouveau roi; faire attention; comprendre; imposait; êtait d'accord;
M. de Clèves résolut de s’éclaircir¨ de la conduite¨ de sa femme, et de ne pas demeurer dans une cruelle incertitude. Il résolut de se fier ਠun gentilhomme qui était à lui, dont il connaissait la fidélité et l'esprit. Il lui ordonna de partir sur les pas ¨ de M. de Nemours, de l'observer exactement, de voir s'il n'irait point à Coulommiers et s'il n'entrerait pas la nuit dans le jardin. assurer; manière de faire; mettre sa confiance en; après;
Le gentilhomme s'en acquitta¨ avec toute l’exactitude imaginable. Il suivit M. de Nemours jusqu'à un village à une demi-lieu ¨ de Coulommiers où ce prince s’arrêta. Il alla dans la forêt à l'endroit¨ où il jugeait¨ que M. de Nemours pouvait passer. Sitôt que¨ la nuit fut venue, il entendit marcher, et, quoiqu'il fît obscur¨ aisément¨ M. de Nemours. Il le vit faire le tour ¨ du jardin, pour choisir le lieu où il pourrait passer le plus aisément. M. de Nemours se rangea¨ derrière une des fenêtres pour voir ce que faisait madame de Clèves. Poussé ¨ par le désir de lui parler, il avança quelques pas, mais avec tant de trouble qu'il fit du bruit.¨ Madame de Clèves tourna la tête. Elle crut le reconnaître, et sans balancer¨ elle entra dans le lieu ou étaient ses femmes. le fit; ± 2 kilomètres; la place; pensait; immédiatement quand; nuit; facilement; marcher autour; plaça; pressé; tumulte; hésiter;
M. de Nemours était resté dans le jardin tant¨ qu'il avait vu de la lumière; mais voyant qu'on fermait les portes,il jugea¨ bien qu'il n'avait plus rien a espérer. tout le temps; conclut;
Il vint reprendre son cheval tout proche¨ du lieu¨ où attendait le gentilhomme de M. de Clèves. Ce gentilhomme le suivit jusqu'au village. M. de Nemours attendit la nuit avec impatience, et quand elle fut venue, il reprit le chemin de Coulommiers. Le gentilhomme de M. de Clèves le suivit jusqu'au lieu où il l'avait suivi le jour auparavant,¨ et le vit entrer dans le même jardin. près; place; avant;
Le gentilhomme revint à Paris. Son maître attendait son retour comme ce qui allait décider du malheur de toute sa vie. Sitôt qu'il le vit, il jugea¨ par son visage et par son silence qu'il n'avait que des choses fâcheuses¨ à lui apprendre.¨ "Allez," lui dit-il, "je vois ce que vous avez à me dire, mais je n'ai pas la force de l’écouter." conclut; pénibles; faire savoir;
"Je n'ai rien a vous apprendre," répondit le gentilhomme, "sur quoi on puisse se faire un jugement¨ assuré.¨ il est vrai que M. de Nemours est entré deux nuits dans le jardin de la forêt."-"C'est assez," répliqua¨ M. de Clèves, "c'est assez," en lui faisant encore signe de se retirer.¨ Le gentilhomme fut contraint¨ de laisser son maître à son désespoir. opinion; sûr; répondit; partir; forcé;
M. de Clèves ne put résister¨ à l'accablement¨ où il se trouva. La fièvre¨ le prit dès la nuit même, et avec de si grands accidents¨ que dès ce moment sa maladie parut dangereuse; on en donna avis¨ à madame de Clèves;elle vint en diligence.¨ Quand elle arriva,il était encore plus mal. Elle vint se mettre à genoux devant son lit, le visage tout couvert de larmes.¨ "Vous versez bien des vite pleurs,¨ madame," dit-il,"pour une mort que vous causez et qui ne peut vous donner la douleur¨ que vous faites paraître. Mais sachez que vous me rendrez la mort agréable, et, qu’après m'avoir ôté¨ l'estime¨ et la tendresse¨¨ Mais ma mort vous laissera en liberté," ajouta-t-il, "et vous pourrez rendre¨ M. de Nemours heureux,sans qu'il vous en coûte des crimes." "Moi, des crimes!" s’écria-t-elle, "la pensée même m'est inconnue." "Mais que pouvez-vous me dire? M. de Nemours n'a-t-il pas passé les deux nuits précédentes¨ avec vous dans le jardin de la forêt?" "Si c'est là mon crime," répliquait-¨ elle, "il m'est aisé¨ de me justifier,¨ et elle lui parla avec tant d'assurance¨ que M. de Clèves fut presque convaincu¨ de son innocence. s'opposer; décourage; température; complications; information; vite; pleurs; vous pleurez bien vite; tristesse; pris; respect; amour que j'avais pour vous, la vie me ferait horreur.; serait terrible; faire; passées; répondit; facile; défendre; fermeté; sûr;
"Je ne sais pas," lui dit-il,"si je dois me laisser aller a vous croire.Je me sens si proche¨ de la mort, que je ne veux rien voir de ce qui pourrait me faire regretter¨ la vie. Vous m'avez éclairci¨ trop tard; mais ce me sera toujours un soulagement¨ d'emporter la pensée que vous êtes digne de¨ l'estime¨ que j'ai eue pour vous." près; être triste de quitter..; informé; bonne pensée; avez droit à; le respect;
Il voulut continuer; mais une faiblesse lui ôta¨ la parole. Madame de Clèves fit venir les médecins; ils trouvèrent presque sans vie.Il languit¨ néanmoins¨ quelques jours, et mourut enfin avec une constance admirable. prit; fut malade; pourtant encore;
Madame de Clèves demeura dans une affliction¨ si violente¨ qu'elle perdit quasi l'usage de la raison.L'horreur¨ qu'elle eut pour elle-même et pour M. de Nemours ne peut se représenter.¨ Elle ne trouvait de consolation¨ qu'à penser qu'elle le regrettait autant qu'il méritait d’être regretté. Et qu'elle ne ferait dans le reste de sa vie que ce qu'il aurait été bien aise¨ qu'elle eut fait,s'il avait vecu. tristesse; intense; aversion; s'imaginer; aide morale; heureux;
Après que plusieurs mois fuyant passes, elle sortit de cette violente¨ affliction¨ où elle était et passa dans un état de tristesse et de langueur.¨ intense; tristesse; mélancolie;
Lasse¨ d'un état si malheureux et incertain, M. de Nemours résolut de tenter¨ quelque voie¨ d’éclaircir sa destinée.¨ fatigué; essayer; possibilité; avenir;
Il alla chez le vidame de Chartres, et lui fit un aveu¨ sincère¨ de tout. Le vidame reçut¨ tout ce qu’il lui dit avec beaucoup de joie, et lui proposa de le mener chez elle; mais M. de Nemours crut qu elle en serait choquée parce qu' elle ne voyait¨ encore personne. Ils trouvèrent que M. le vidame la priât de venir chez lui sur quel-que prétexte.¨ Cela s’exécuta¨ comme ils l avaient résolu; madame de Clèves vint; le vidame alla la recevoir, et la conduisit dans un grand cabinet; quelque temps après, M. de Nemours entra comme si¨ le hasard¨ l'eut conduit. Madame de Clèves fut extrêmement surprise de le voir. confession; ouvert; écouta; recevait; faux motif; fut réalisé; simulant que; coïncidence;
"Ne craignez rien,¨ madame", lui dit-il, "personne ne sait que je suis ici et aucun hasard es a craindre. n'ayez pas peur;
Écoutez-moi madame, écoutez-moi; si ce n'est pas par bonté, que ce soit du moins pour l'amour de vous-même."
"Puisque¨ vous voulez que je vous parle,et que je m'y résous¨ répondit madame de Clèves en s'asseyant, "je le ferai avec une sincérité¨ que vous trouverez malaisément¨ dans les personnes de mon sexe;je vous avoue que vous m'avez inspiré des sentiments qui m’étaient inconnus avant de vous avoir vu. Mais cet aveu n'aura pas de suites,¨ et je suivrai les règles sévères¨ que mon devoir m'impose: mon devoir me défend de penser jamais à personne, et moins qu'à vous qu'à qui que soit monde. Il n'est que trop véritable¨ que vous êtes cause de la mort de M. de Clèves: les soupçons¨ que lui a donnés votre conduite¨ inconsidérée¨ lui ont coûté la vie, comme si vous la lui aviez ôtée¨ de vos propres mains. parce-que; décide; cœur ouvert; difficilement; conséquences; strictes; vrai; méfiance; manière de faire; irréfléchie; pris;
Je sais que vous êtes libre,¨ que je le suis, et que les choses sont telles que le public n'aurait peut-être pas sujet¨ de vous blâmer,¨ ni moi non plus, quand nous nous engagerions¨ ensemble pour jamais;¨ mais les hommes conservent-ils de la passion dans ces engagements¨ éternels¨ Vous avez eu déjà plusieurs passions, vous en aurez encore; je ne ferais plus votre bonheur; je vous verrais pour¨ une autre, comme vous auriez été pour moi; j'en aurais une douleur¨ mortelle. Adieu," lui dit-elle, “voici une conversation qui me fait honte.¨ " Elle sortit en disant ces paroles,sans que M. de Nemours pût la retenir.¨ non-marié; des motifs; critiquer; unirons; toujours; unions; pour toujours; être à; tristesse; déshonneur; l'arrêter;
Madame de Clèves, dont l'esprit avait été si agité¨ tomba dans une maladie violente,¨ sitôt qu'elle fut arrivée chez elle. La nécessité de mourir, dont elle se voyait si proche,¨ l'accoutuma¨ se détacher de¨ toutes choses,et la longueur de sa maladie lui en fit une habitude.¨ Lorsqu'elle revint de cet état, elle trouva néanmoins¨ que M. de Nemours n'était pas effacé¨ de son cœur; mais elle appela à son secours,¨ pour se défendre contre lui toutes raisons qu'elle croyait avoir pour ne l’épouser jamais. Il se passa un assez grand combat en elle-même. troublé; grave; près; lui fit accepter; de ne plus aimer; chose normale; pourtant; chassé; aide;
Enfin, elle surmonta¨ les restes de cette passion qui était affaiblie par les sentiments que sa maladie lui avait donnés. La pensée de la mort lui avait rapproché¨ la mémoire de M. de Clèves. domina; fait penser plus à;
Elle se retira, sur le prétexte¨ de changer d'air dans une maison religieuse, sans faire paraître¨ un dessein¨ arrêté¨ de renoncer à la cour. Elle passait une partie de l'année dans cette maison religieuse, et l'autre chez elle; mais dans une retraite¨ et dans de occupations plus saintes que celles des couvents¨ les plus austères;¨ et sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables. motif; montrer; intention; décisif; isolement; maisons religieuses; durs;

17. Marivaux

17.1. Le jeu de l'amour et du hasard (1730)

MO Monsieur Orgon
LI Lisette,femme de chambre de Silvia
MA Mario,fils d'Orgon
SI Silvia,fille d'Orgon
AR Arlequin, valet de Dorante
DO Dorante, amant de Silvia

 
ACTE PREMIER, Scène I
MO Eh!bonjour, ma fille;la nouvelle que je viens t'annoncer te fera-t-elle plaisir? Ton prétendu¨ arrive aujourd'hui; son père me l'apprend¨ par cette lettre-ci. Tiens,¨ ma chère enfant, tu sais combien je t'aime. Dorante vient pour t’épouser;¨ Dans le dernier voyage futur mari; fait savoir; écoute; se marier avec toi;
que je fis en province,j’arrêtai¨ ce mariage-là avec son père, qui est mon intime et ancien ami;mais ce fut a condition que vous vous plairiez ਠtous deux. décidai; aimeriez;
SI Je suis pénétrée¨ de vos bontés, mon père. Mais si j'osais, je vous proposerais, sur une idée qui me vient, de m'accorder¨ une grâce¨ qui me tranquilliserait¨ tout a fait.¨ remplie; donner; faveur; rassurerait; complètement;
MO Explique-toi, ma fille.
SI Dorante arrive aujourd'hui; si je pouvais le voir, l'examiner¨ un peu sans qu'il me connût. Lisette a de l’esprit, monsieur; elle pourrait prendre ma place pour un peu de temps, et je prendrais la sienne.¨ observer; (=sa place);
MO Soit,¨ ma fille, je te permets le déguisement.¨ d'accord; mascarade;

 
Scène II. Mario entre
MA Ma sœur, je te félicite de la nouvelle que j'apprends;¨ nous allons voir ton amant, dit-on. qu'on me dit;
SI Oui, mon frère, mais je n'ai pas le temps de m'arrêter;¨ j'ai des affaires sérieuses, et mon père vous les dira; je vous quitte. (Elle sort) rester;
MO Ne l’arrêtez pas,Mario; venez, vous_saurez de quoi il s'agit.¨ il est question;
MA Qu'y a-t-il de nouveau, monsieur?
MO Nous verrons Dorante aujourd'hui; mais nous ne le verrons que déguise.¨ masqué;
MA Viendra-t-il en partie¨ démasquée? Lui donne-t-il le bal? fête;
MO Écoutez l'article¨ de la lettre du père:(Hum) .., alinéa;
"Je ne sais au reste¨ ce que vous penserez d'une imagination¨ qui est venue à mon fils; elle est bizarre, il en convient¨ lui-même; mais le motif est pardonnable et même dêlicat; c'est qu'il m'a prié de demandé lui permettre de n'arriver d'abord¨ chez vous que sous la figure de son valet,¨ qui,de son côté, fera pour le reste; fantaisie; est d'accord; pour la première fois; serviteur;
le personnage de son maître."
Mais ce n'est pas le tout. Voici ce qui arrive: C'est que votre sœur , inquiète de son côté sur le chapitre de Dorante, dont,elle ignore¨ le secret, m'a demandé de jouer ici la même comédie,et cela précisément pour observer Dorante, comme Dorante veut l'observer ne sait pas;
Qu'en dites-vous? Avertirai-¨ je votre sœur? informerai;
MA Ma foi,¨ monsieur,puisque¨ les choses prennent ce train-là,¨ je ne voudrais pas les déranger¨ et je respecterais l’idée qui leur est venue à l'un et à l'autre. Il faudra bien qu'ils se parlent souvent sous ce déguisement.¨ vraiment; parce que; marchent ainsi; troubler; identité cachée;

 
Scène III. Silvia entre.
SI Me voilà, monsieur; ai-je mauvaise grâce¨ en femme de chambre? Et vous, mon frère, vous savez de quoi il agit¨ , apparemment.¨ Comment me trouvez-vous? air peu correct; quel est le problème; évidemment;
MA Ma foi, ma sœur, tu pourrais bien escamoter¨ Dorante voler;
à ta maîtresse.
SI Franchement¨ je ne hairais pas¨ de lui plaire sous le à vrai dire; aimerais bien;
personnage que je joue.

 
Scène IV. Dorante entre en valet
DO Je cherche monsieur Orgon; n'est-ce pas à lui que j'ai l'honneur de faire la révérence?¨ saluer;
MO Qui,mon ami, c'est à lui-même.
DO Monsieur, vous avez sans doute, reçu de nos nouvelles; j'appartiens ਠmonsieur Dorante qui me suit, et qui suis m'envoie toujours devant¨ vous assurer de ses respects,en attendant¨ qu'il vous en assure lui-même. je suis le serviteur de; avant lui; jusqu’à ce;
MO Tu fais ta commission de fort bonne grâce.¨ Lisette, que dis-tu de ce garçon-la? correctement;
SI Moi, monsieur,je dis qu'il est le bienvenu,et qu'il promet.¨ (=d"être mieux);
DO Vous avez bien de la bonté; je fais du mieux¨ qu'il m'est possible. aussi bien;
MA Il n'est pas mal tourné,¨ au moins-ton cœur n'a qu'à se bien tenir,¨ Lisette. fait; faire attention;
MO Mon fils, retirons-¨ nous; Dorante va venir, allons-le dire à ma fille; et vous Lisette, montrez à ce garçon l'appartement de son maître. Adieu, Bourguignon. sortons;
DO Monsieur, vous me faites trop d'honneur.

 
Scène V. Silvia et Dorante.
DO Dis-moi, Lisette, ta maîtresse te vaut-elle?¨ Elle est bien hardie¨ d'oser avoir une femme de chambre comme toi. est-elle aussi belle que toi; courageuse;
SI Bourguignon, cette question-là m'annonce que, suivant la coutume,¨ tu arrives avec l'intention de me dire des douceurs,¨ n'est-il pas vrai? habitude; mots doux;
DO Ma foi¨ , je n’étais pas venu dans ce dessein¨ là, je te l'avoue.¨ Quelle espèce¨ de suivante es-tu donc, avec ton air de princesse? vraiment; intention; confesse; sorte;
SI (a part) Mais en vérité,voilà un garçon qui me surprend. (Haut):Dis-moi,qui es-tu, toi, qui me parles ainsi?
DO Le fils d’honnêtes gens qui n’étaient pas riches.
SI Va; je te souhaite¨ de bon cœur¨ une meilleure situation que la tienne, et je voudrais y contribuer;¨ la fortune a tort¨ avec toi. espère; avec plaisir; aider; malfait;

 
Scène VI Dorante, Silvia, Arlequin
AR_Ah! te voilà, Bourguignon! Mon porte-manteau¨ et toi avez-vous été bien reçus? valise;
DO Il n’était pas possible qu'on nous reçût mal monsieur.
AR Un domestique¨ là-bas m'a dit d'entrer ici, et qu'on allait avertir¨ mon beau-père qui était avec ma femme. serviteur; informer;
SI Vous voulez dire: monsieur Orgon et sa fille, sans doute,monsieur!
AR Eh! oui, mon beau-père et ma femme,autant vaut.¨ Je viens pour épouser, et ils m'attendent pour être mariés; cela est convenu;¨ il ne manque plus que la cérémonie qui est une bagatelle. ` c'est la même chose; décide;
SI C'est une bagatelle qui vaut bien la peine qu'on y
pense.¨ Je cours¨ informer votre beau-père de votre arrivée. à laquelle on doit bien penser; vais vite;

 
ACTE DEUX. Scène l. Lisette, monsieur Orgon.
MO Eh bien! que me veux-tu, Lisette?
LI J'ai à vous entretenir¨ un moment. je dois vous parler;
MO De quoi s'agit-il?¨ quel est le problème;
LI De vous dire l’état ou sont les choses, parce qu'il est important que vous en soyez éclairci,¨ afin¨ que vous n'ayez point à vous plaindre¨ de moi. informé; pour; être mécontent;
MO Ce ci est donc sérieux.
LI Oui, très sérieux. Il faut que je vous dise que,si vous ne mettez ordre à ce qui arrive, votre prétendu gendre¨ n'aura plus de cœur à donner à mademoiselle votre fille. Il est temps qu'elle se déclare;¨ cela se presse,¨ car, un jour plus tard, je n'en réponds¨ plus. futur beau-fils; dise qui elle est; hâte; le garantis;
MO Eh! que vous importe?¨ S'il vous aime tant, qu'il, qu'est-ce que ça peut faire;
vous épouse!
LI Quoi! Vous ne l'en empêcheriez¨ pas? préviendrez;
MO Non, foi¨ d'homme d'honneur, si tu le mènes¨ jusque là. Mais le valet, comment se gouverne-¨ t-il? ne se mêle-¨ t-il pas d'aimer ma fille? parole; décides; conduit; essaie;
LI C'est un original; j'ai remarqué qu'il fait¨ l'homme d’importance avec elle, parce qu'il est bien tourné;¨ il la regarde et soupire. joue; beau;
MO Et cela la fâche?
LI Mais ... elle rougit.
MO Bon,tu te trompes; les regards d'un valet ne l'embarrassaient¨ pas jusque là. troublaient;

 
Scène II. Lisette, Arlequin, Monsieur Orgon.
AR Ah! je vous trouve merveilleuse¨ dame; je vous demandais à tout le monde. Serviteur,¨ cher beau-père ou peu s'en faut¨ très belle; je suis votre serviteur; presque;
MO Serviteur. Adieu,mes enfants;je vous laisse ensemble; il est bon que vous vous aimiez un peu avant de vous marier.
AR Je ferais bien ces deux besognes¨ là à la fois,¨ monsieur. affaires; en même temps;
MO Point d'impatience; adieu! (il sort)
AR Madame, il dit que je ne m'impatiente pas; il en parle bien à son aise,¨ le bonhomme. sans comprendre le problème;
LI J'ai de la peine¨ à croire qu'il vous en coûte tant d'attendre, monsieur. des difficultés;
AR (en lui baisant la main).Cher joujou¨ de mon âme! Cela me réjouit¨ comme du vin délicieux. jouet; fait plaisir;
LI Allons, arrêtez-vous; vous êtes trop avide.¨ Ne faut-il pas avoir de la raison? désireux;
AR Avoir de la raison! hélas! je l'ai perdue; vos beaux yeux sont les filous¨ qui me l'on volée.¨ bandits; prise;
LI Mais est-il possible que vous m'aimiez tant? Je ne saurais me le persuader¨ le croire;
AR Je ne me soucie¨ pas de ce qui est possible, moi, mais je vous aime comme un perdu, et vous verrez bien dans votre miroir que cela est juste. m’intéresse;
LI Mais que me demandez-vous?
AR Dites-moi un petit brin¨ que tous m'aimez. Tenez,je vous aime, moi; faites l’écho, répétez, princesse. peu;
LI Quel insatiable!¨ Eh bien,monsieur,je vous aime. difficile à contenter;
AR Votre bonté m'éblouit¨ et je me prosterne¨ devant elle (Il se met à genoux); aveugle; mets à genoux;
LI Arrêtez-vous; je ne vous saurais souffrir¨ dans cette posture-¨ là; je serais ridicule de vous y laisser;levez-vous. Voilà encore quelqu'un. tolérer; attitude;

 
Scène III Silvia entre.
LI Que voulez-vous,Lisette?
SI J'aurais à vous parler, madame.
LI Ne pouvez-vous pas revenir dans un moment, Lisette?
SI Mais, madame . . .
LI Permettez donc que je m'en¨ défasse, monsieur. (=d'elle);
AR Puisque¨ le diable le veut, et elle aussi ... patience! ... Je me promènerai¨ en attendant¨ qu'elle ait fait.¨ Ah! les sottes gens que nos gens.¨ (il sort) parce que; sortirai; jusqu'à ce; fini; serviteurs;

 
Scène IV Silvia, Lisette
SI Je vous trouve admirable de ne pas le renvoyer tout d'un coup¨ et de me faire essuyer¨ les brutalités de cet animal-là. tout de suite; supporter;
LI Pardi! madame,je ne puis pas jouer deux rôles à la fois.¨ il faut que je paraisse ou la maîtresse ou la suivante;¨ que j’obéisse ou que j'ordonne. en même temps; servante;
SI Fort¨ bien, mais puisqu'il n'y est plus, écoutez-moi comme votre maîtresse. Vous voyez bien que cet homme là ne me convient¨ pas. très; plaît;
LI Mais, madame, le futur, qu'a-t-il donc de si désagréable, de si rebutant?¨ antipathique;
SI Il me déplaît, vous dis-je, et votre peu de zèle¨ aussi. enthousiasme;
LI Son valet, qui fait l'important, ne vous aurait-il pas gâté¨ l'esprit? troublé;
SI Hum! la sotte! son valet a bien affaire ici.¨ n'a rien à faire avec ceci;
LI C'est que je me défie¨ de lui, car il est raisonneur. n'ai pas confiance;
SI Finissez vos portraits; on n'en a que faire. J'ai soin¨ que ce valet me parle peu, et dans le peu qu'il m'a dit,il ne m'a jamais dit rien que de très sage.¨ rien à faire; intelligent;
LI Oh! madame, dès¨ que vous le défendez sur ce ton-là, et que cela va jusqu'à vous fâcher, je n'ai plus rien à dire. immédiatement quand;
SI Dès que je le défends sur ce ton-là! Qu'est-ce que c'est que le ton dont vous dites cela vous-même! Qu'entendez vous¨ par ce discours?¨ Que faut-il que je réponde à cela? Qu'est-ce que cela veut dire? À qui parlez-vous? Qui est-ce qui est à l'abri¨ de ce qui m'arrive? Ou en sommes-nous? voulez-vous dire; ce que vous dites; protégée;
LI Je n'en sais rien; mais je ne reviendrez¨ de longtemps de la surprise où vous me jetez. (Elle sort) sortira;

 
Scène V Silvia, seule.
SI Je frissonne¨ encore de ce que je lui ai entendu dire; avec quelle impudence¨ les domestiques ne nous traitent-¨ ils pas dans leur esprit! Voici Bourguignon, voilà cet objet¨ en question pour lequel je m'emporte;¨ mais ce n'est pas sa faute, le pauvre garçon! et tremble; irrespect; considèrent; (=personne); me fâche;
je ne dois pas m'en prendre à lui.¨ me fâcher contre lui;

 
Scène VI. Dorante, Silvia.
DO Lisette,quelque éloignement¨ que tu aies pour moi, je suis forcé de¨ te parler; mon malheur est inconcevable.¨ Tu m’ôtes¨ peut-être le repos de ma vie. antipathie; dois; incroyable; prends;
SI Quelle fantaisie il s'est allé mettre dans l'esprit! Il me fait de la peine.¨ Reviens a toi. Tu parles, je te réponds; c'est beaucoup;c'est trop même. chagrin;
DO Ah! ma chère Lisette, que je souffre.¨ suis malheureux;
SI Venons à ce que tu voulais me dire; de quoi était-il question?
DO De rien, d'une bagatelle; j'avais envie¨ de te voir, et je crois que je n'ai pris qu'un prétexte.¨ désirais; faux motif;
SI (à part) Que dire de cela? Quand je n'en fâcherais il n'en serait ni plus ni moins.¨ la situation serait la même;
DO Laisse-moi du moins le plaisir de te voir.
SI Le beau motif qu'il me fournit¨ là! J'amuserai¨ la donne; ferais plaisir à;
passion de Bourguignon! Le souvenir de tout ceci me fera bien rire un jour.
DO Tu me railles;¨ tu as raison; je ne sais ce que je dis, ni ce que je te demandes. Adieu. ridiculise;
SI Adieu; tu prends le bon parti¨ ... Mais à propos¨ de tes adieux, il me reste encore une chose a savoir. Vous partez, m'as-tu dit; cela est-il sérieux? décision; pour parler;
DO Pour moi, il faut que je parte ou que la tête me tourne.¨ je deviens fou;
SI Nous y voilà.¨ Je me défendrai bien de t'entendre, moi; adieu. (Elle se retourne) cela recommence;
DO Reste; ce n'est plus Bourguignon qui te parle.
SI Eh! qui es-tu donc!
DO Ah! Lisette! C'est ici que tu vas juger¨ des peines¨ donner ton opinion; misères;
qu'a dû ressentir mon cœur.
SI Ce n'est pas a ton cœur que je parle, c'est a toi.
DO Personne ne vient-il?
SI Non.
DO Sache¨ que celui qui est avec ta maîtresse n'est pas ce qu'on pense. tu dois savoir;
SI Qui est-il donc?
DO Un valet.
SI Après?¨ continue;
DO C'est moi qui suis Dorante.
SI (à part) Ah! je vois clair dans mon cœur. Cachons-lui qui je suis ... (haut).Votre situation est neuve assurément. Mais,monsieur, je vous fais d'abord mes excuses de tout ce que mes discours¨ ont pu avoir d’irrégulier¨ dans nos entretiens.¨ ce que j'ai dit; contre les règles; conversations;
DO Tais-toi,¨ Lisette; tes excuses me chagrinent;¨ elles ne dis pas ça; attristent;
me rappellent la distance qui nous sépare, et ne me la rendent ¨ que plus douloureuse.¨ font; pénible;
SI Votre penchant¨ pour moi est il sérieux? M'aimes-tu? amour;
DO Au point de¨ renoncer¨ à"tout engagement¨ puisqu'il ne m'est pas permis d'unir mon sort au tien; et dans cet état, la seule douceur que je pouvais goûter, c'etait de croire que tu ne me haïssais¨ pas. tellement que; abandonner; obligation; détestait;
SI Un cœur qui m'a choisi dans la condition¨ où je suis,est assurément digne¨ qu'on l'accepte, et je le payerais¨ volontiers du mien,¨ si je ne craignais¨ pas de le lui jeter dans un engagement¨ qui lui ferait tort. état; de valeur; donnerais; (=mon cœur); avais peur; liaison;
DO N'as-tu pas assez de charmes, Lisette? Y ajoutes-tu encore la noblesse avec laquelle tu me parles?
SI J'entends quelqu'un. Patientez¨ encore sur l'article de votre valet; les choses n'iront pas si vite. Nous nous reverrons, et nous chercherons les moyens¨ de vous tirer d'affaire.¨ ayez patience; possibilités; des problèmes;

 
ACTE TROIS, scène I. Lisette, Arlequin.
AR Enfin, ma reine, je vous vois et je ne vous quitte plus,car j'ai trop pâti¨ d'avoir manque de votre présence, et j'ai cru que vous esquiviez¨ la mienne. été malheureux; fuyiez;
LI Il faut¨ vous avouer,¨ monsieur,qu'il en était quelque je dois; reconnaître;
chose.¨ c'était vrai;
AR Comment donc, ma chère âme, élixir de mon cœur, avez-vous entrepris¨ la fin de ma vie? décidé;
LI Non, mon cher; la durée m'en¨ est trop précieuse.¨ (de votre vie); chère;
AR Ah! que ces paroles me fortifient.¨ font du bien;
LI Et vous ne devez point douter de ma tendresse.¨ amour;
AR (à part) Préparons un peu cette affaire-la ...(haut)
Madame,votre amour est-il d'une constitution¨ robuste? Soutiendrait-¨ il bien la fatigue que je vais lui donner? condition; supportera;
LI Ah! tirez-moi à l’inquiétude.¨ état d'alarme;
AR Je suis ... N'avez-vous jamais vu de fausse monnaie? Savez-vous ce que c'est qu'un louis d'or¨ faux? Eh bien,je ressemble assez à cela. pièce d'argent;
LI Achevez¨ donc. Quel est votre nom? finissez;
AR Mon nom?(à part) Lui dirai-je que je m'appelle Arlequin? Non,cela rime trop avec coquin.¨ mauvais sujet;
LI Eh bien?
AR Ah dame! Haïssez-vous¨ la qualité de soldat? avez-vous une aversion de;
LI Qu'appelez-vous un soldat?
AH Oui,par exemple, un soldat d'antichambre.
LI Un soldat d'antichambre! Ce n'est donc point à Dorante que je parle enfin.
AR C'est lui qui est mon capitaine. Je suis Arlequin.
LI Faquin!¨ méchant;
AR (à part) Je n'ai pu éviter¨ la rime. prévenir;
LI Mais voyez ce magot!¨ tenez! gorille;
AR La Jolie culbute¨ que je fais. action de tomber;
LI Il y a une heure que je lui demande grâce¨ et que je m’épuise ¨ en humilités ¨ pour cet animal-là. Touchez lਠArlequin. Je suis prise pour dupe. Le soldat d'anti-chambre vaut bien la coiffeuse de madame. excuse; me fatigue; compliments; vraiment;
AR La coiffeuse de madame!
LI Venons au fait. M'aimes-tu?
AR Pardi, oui. En changeant de nom tu n'as pas changé de visage, et tu sais bien que nous nous sommes promis fidélité en dépit de¨ toutes les fautes d’orthographe.¨ malgré; la manière d’écrire;
LI Va. le mal n'est pas grand, consolons-nous;il y a apparence¨ que ton maître est encore dans l'erreur à l’égard de ma maîtresse; ne l'avertis¨ de rien; laissons les choses comme elles sont.Je crois que le voici qui entre. Monsieur, je suis votre servante.(Elle sort) semble; informe;
AR Et moi votre valet, madame.(il rit)

 
Scène II. Dorante, Arlequin, puis Silvia.
AR (à Dorante) Votre soubrette arrive.
(à Silvia)Bonjour Lisette; je vous recommande Bourguignon; c'est un garcon qui a quelque mérite.¨ (il sort). valeur;
DO (à part) Qu'elle est digne¨ d'être aimée. de valeur à;
SI Où étiez-vous, monsieur? Je n'ai pu vous retrouver pour vous rendre compte¨ de ce que j'ai dit à M. Orgon. rapporter;
DO Je ne me suis pourtant pas éloigné.¨ Mais de quoi s' agit-il? n’étais pas loin;
SI (à part) Quelle froideur!(Haut) J'ai eu beau¨ décrier¨ votre valet; j'ai eu beau lui représenter¨ qu'on pouvait du moins reculer¨ le mariage, il ne m'a pas seulement écoutée. Je vous avertis¨ même qu'on parle d’envoyer chez le notaire¨ et qu'il est temps de vous déclarer. malgré que je; critiquer; expliquer; retarder; informe; (pour l'acte du mariage);
DO C'est mon intention. Je vais partir incognito, et je laisserai un billet qui instruira¨ M. Orgon de tout. informera;
SI Quoi! sérieusement? vous partez?
DO Nous avez bien peur que je ne change d'avis.¨ d'opinion;
SI Que vous êtes aimable d'être si bien au fait.¨ informé;
DO Cela est bien naïf.
SI (à part). S'il part, je ne l'aime plus, je ne l’épouserai jamais ... (Elle le regarde aller).Il s'arrête pourtant; il rêve¨ ... il regarde si je tourne la tête, et je ne saurais le rappeler,¨ moi ...il serait pourtant singulier¨ qu'il partît, après tout ce que j'ai fait. Ah! voilà qui est fini; il s'en va; je n'ai pas, tant de pouvoir¨ sur lui que je le croyais. médite; faire revenir; étonnant; influence;
Quel dénouement. Dorante reparaît pourtant; il me semble¨ qu'il revient.Je me dédis¨ donc;je l'aime encore ...Feignons¨ de sortir, afin qu'il m'arrête; il faut bien que notre réconciliation¨ lui coûte quelque chose. je crois; retire ce que j'ai dit; simulons; remise d'accord;
DO (l’arrêtant) Restez,je vous prie;j'ai encore quel-que chose à vous dire.
SI À moi,monsieur?
DO J'ai de la peine¨ à partir sans vous avoir convaincue¨ que je n'ai pas tort¨ à le faire. des difficultés; fait comprendre; j'ai raison;
SI Eh! monsieur,d e quelle conséquence¨ est-il de vous justifier¨ auprès de moi? Ce n'est pas la peine;¨ je ne suis qu'une servante et vous me le faites bien sentir. Vous m'aimez; mais votre amour n'est pas une chose bien sérieuse pour vous. La distance qu'il y a de vous à moi, mille objets¨ que vous allez trouver sur votre chemin, l'envie¨ qu'on aura de vous rendre sensible,¨ les amusements d'un homme de votre condition,¨ tout va vous ôter¨ cet amour dont vous m'entretenez¨ impitoyablement,¨ Vous en rirez peut-être au sortir d'ici, et vous aurez raison. Mais moi,monsieur,si je m'en ressouviens¨ comme j'en ai peur,s'il m'a frappée, quel secours¨ aurai-je contre l'impression qu'il n'aura faite? Qui est-ce qui me dédommagera¨ de"votre perte? importance; excuser; important; (ici:des femmes); désir; travailler sur vos sentiments; standing; éliminer; parlez; sans pitié; me le(à l'amour)rappelle; aide; réparera;
DO Ah! ma chère Lisette, que viens-je d'entendre? Tes paroles ont un feu qui me pénètre¨ Je t'adore,je te respecte. Il n'est¨ ni rang, ni fortune qui ne disparaisse devant une âme comme la tienne. J'aurais honte¨ que mon orgueil¨ tint¨ encore contre toi, et mon cœur et ma main t'appartiennent.¨ entre dans mon cœur; il n' y a; regretterais; arrogance; s'opposa; sont à toi;
SI Quoi! Vous m’épouserez malgré ce que vous êtes, malgré la colère¨ d'un père, malgré votre fortune? fureur;
DO Mon père me pardonnera des qu'il vous aura vue. Ma fortune nous suffit¨ à tous deux et le mérite vaut¨ bien la naissance. Ne disputons point,car Je ne changerai jamais. est assez; aussi important que;
SI Il ne changera jamais! Savez-vous bien que vous me charmez, Dorante.
DO Ne gênez¨ donc plus votre tendresse¨ et laissez-la répondre. cachez; amour;
SI Enfin, je suis venue à bout.¨ Vous ... vous ne change- je ne sais plus que dire;
rez jamais?
DO Non, ma chère Lisette.
SI Que d'amour!

 
Scène III. Dorante, Silvia, Orgon, Lisette, Arlequin,Mario.
SI Ah! mon père, vous avez voulu que je fusse à Dorante. Venez voir votre fille vous obéir avec plus de joie qu'on n'en eut jamais.
DO Qu'entends-je! Vous, son père, monsieur?_
SI Oui, Dorante; la même idée de nous connaître est venue a tous deux. Après cela je n'ai plus rien a vous dire; vous m'aimez, je n'en saurais plus douter, mais
à votre tour, jugez¨ de mes sentiments pour vous; jugez du cas¨ que j'ai fait de votre,cœur par la délicatesse avec la quelle j'ai tâché de l’acquérir.¨ faites votre opinion; valeur; gagner;
DO Je ne saurais vous exprimer mon bonheur, madame, mais ce qui m'enchante¨ le plus,ce sont les preuves¨ que je vous ai données de ma tendresse.¨ charme; signes; amour;
AR (à Lisette) De la joie, madame! Vous avez perdu votre rang, mais vous n'êtes point à plaindre, puisqu’Arlequin vous reste.
LI Belle consolation!¨ il n'y a que toi qui gagne à cela.¨ compensation; profite;
AR Je n'y perds pas. Avant notre connaissance votre dot¨ valait mieux que vous; à présent¨ vous valez mieux que votre dot. Allons, saute, marquis!; argent de mariage; maintenant;

18. L'Abbé Prevost

18.1. Manon Lescaut

18.1.1. Première partie

Je suis obligé¨ de faire remonter¨ mon Lecteur au temps de ma vie où je rencontrai pour la première fois le Chevalier des Grieux. Je revenais un jour de Rouen. Ayant repris mon chemin par Evreux, où je couchai la première nuit, j'arrivai le lendemain¨ pour dîner à Pacy. Je fus surpris en entrant dans ce bourg¨ d'y voir tous les habitants en alarme: il se précipitaient¨ de leurs maisons pour courir en foule¨ à la porte d'une mauvaise hôtellerie. Un archer¨ ayant paru a la porte, je lui fis signe de la main de venir à moi. Je le priai de m'apprendre¨ le sujet¨ de ce désordre. dois; revenir; jour après; village; couraient; masse; policier; dire; cause;
"Ce n'est rien, Monsieur," me dit-il, "c'est une douzaine de filles de joie que je conduis¨ avec mes compagnons, jusqu'au Havre-de-Gràce, où nous les ferons embarquer¨ pour l’Amérique." mène; entrer en bateau;
Parmi les douze filles qui étaient enchaînées¨ par le milieu du corps, il y en avait une dont l'air¨ et la figure¨ étaient si peu conformes à sa condition¨ qu'en tout autre état je l'eusse prise pour¨ une personne du premier rang. Je pris le chef en particulier¨ et je lui demandai quelques lumières¨ sur le sort¨ de cette belle fille. attachées; aspect; visage; situation; regardé comme; à part; informations; situation;
"Nous l'avons tirée de l'Hôpital,"¨ me dit-il, "par ordre de M.le Lieutenant Générale de Police. Voilà un jeune homme qui pourrait vous instruire¨ mieux que moi sur la cause de sa disgrâce;¨ il l'a suivie depuis Paris sans cesser¨ presque un moment de pleurer. II faut que ce soit un frère ou son amant." =prison; informer; malheur; finir;
Je me tournai vers le coin de la chambre ou ce jeune homme était assis; il paraissait enseveli¨ dans une rêverie¨ profonde. Je m'approchai¨ de lui. absorbé; réflexion; allai vers;
"Que je ne vous trouble point," lui dis-je en m'asseyant près de lui. "Voulez-vous bien satisfaire¨ la curiosité que j'ai de connaître cette belle personne, qui ne me parait point faite pour le triste état¨ où je la vois?" contenter; situation;
Il me répondit honnêtement¨ qu'il ne pouvait m'apprendre¨ qui elle était sans se faire connaître lui-même, et qu' il avait de fortes¨ raisons pour souhaiter¨ de demeurer¨ inconnu. correctement; dire; grandes; vouloir; rester;
"Je ne vous presse¨ pas," lui dis-je, "de me découvrir¨ le secret de vos affaires; mais si je puis vous être utile à quelque chose, j'en offre volontiers¨ à vous rendre service. Voici quelque argent que je vous prie d’accepter; je suis fâché¨ de ne pouvoir vous servir autrement." force; dire; avec plaisir; malheureux;
La bonne grâce et la vive reconnaissance avec laquelle ce jeune inconnu me remercia achevèrent de me persuader¨ qu'il, était né quelque chose¨ et qu'il méritait¨ ma libéralité.¨ me donnèrent tout à fait l’idée; de bonne famille; avait droit à; bonté;
Il se passa près de deux ans, jusqu’à ce que le hasard¨ me fit renaître¨ l'occasion d'en apprendre à fond les circonstances. coïncidence; rendit;
J'arrivais de Londres à Calais. En marchant l'après-midi dans les rues je crus apercevoir ce même jeune homme dont j'avais fait la rencontre à Pacy. Sa joie fut plus vive que toute expression, lorsqu'il m'eut remis¨ à son tour. reconnu;
"Ah! monsieur," s’écria -t-il en me baisant la main, "je puis donc encore une fois vous marquer¨ mon immortelle¨ reconnaissance." montrer; très grande;
Je lui demandai d’où il venait. Il me répondit qu'il arrivait par mer du Havre-de-Gràce, où il était revenu de l’Amérique peu auparavant.¨ avant;
"Monsieur," me dit-il, "vous en usez si noblement avec moi¨ que je veux vous apprendre¨ non seulement mes malheurs et mes peines,¨ mais encore mes désordres et mes plus honteuses¨ faiblesses. Je suis sûr qu'en me condamnant, vous ne pourrez pas vous empêcher¨ de me plaindre." êtes si noble pour moi; raconter; difficultés; déshonorantes; retenir;
Voici donc son récit¨ auquel je ne mêlerai¨ jusqu’à la fin, rien qui ne soit de lui. histoire; ajouterai;
J'avais dix-sept ans et j'achevais¨ mes études de philosophie à Amiens, où mes parents, qui sont l'une des meilleures maisons de P... m'avaient envoyé. Les vacances arrivant je me préparais à retourner chez mon, père, qui m'avait promis de m'envoyer bientôt a l’Académie. Mon seul regret¨ en quittant Amiens, était d'y laisser un ami avec lequel j'avais toujours été tendrement¨ uni. allais finir; déplaisir; avec beaucoup d'amitié;
Il avait mille bonnes qualités. Vous le connaîtrez par les meilleures dans la suite¨ de mon histoire. le reste;
J'avais marqué¨ le temps de mon départ d'Amiens. Hélas! que¨ ne le marquais-je un jour plus tôt! J'aurais porté chez mon père toute mon innocence. fixé; pourquoi;
La veille¨ même de celui que je devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s'appelait Tiberge, nous vîmes arriver le cocher¨ d'Arras, et nous suivîmes jusqu'à l’hôtellerie ou ces voitures descendent.¨ Nous n'avions pas d'autres motifs que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent¨ aussitôt,¨ mais il en resta une, fort¨ jeune, qui s'arrêta seule dans la cour. le jour avant; le diligence; s'arrêtent; (de la diligence); immédiatement; très;
Elle me parut si charmante, que moi, qui n'avais jamais pense a la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d'attention; moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue,¨ je me trouvai enflamme tout d'un coup jusqu'au transport.¨ J'avais le défaut¨ d'être excessivement timide et facile à déconcerter,¨ mais loin d'être arrêté alors par cette faiblesse, je m'avançai vers la maîtresse de mon cœur. réserve; extase; faute de caractère; troubler;
Quoiqu'elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses¨ sans paraître embarrassée.¨ Je lui demandai ce qui l'amenait¨ à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance; elle me répondit ingénument¨ qu'elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse. L'amour me rendait déjà si éclairé¨ depuis un moment qu'il était dans mon cœur, que je regardai ce dessein¨ comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d'une manière qui lui fit comprendre mes sentiments car elle était bien plus expérimentée¨ que moi. Mlle Manon Lescaut (c'est ainsi qu'elle me dit qu'on la nommait) parut fort¨ satisfaite¨ de cet effet de ses charmes. compliments; troublée; faisait; naïvement; instruit; projet; experte (en amour); très; contente;
Elle me confesse qu'elle me trouvait aimable et qu'elle serait ravie¨ de m'avoir obligation de sa liberté. Après quantité¨ de réflexions, nous ne trouvâmes point d'autre voie¨ que celle de fuite. Il fallait tromper¨ la vigilance¨ du conducteur, qui était un homme à ménager¨ quoiqu'il ne fût qu'un domestique. Nous réglâmes que je ferrais préparer pendant la nuit une chaise ¨ de poste, et que je reviendrais de grand matin¨ à l'auberge avant qu'il fût éveille. heureuse; beaucoup; possibilité; détourner; attention; de qui il fallait se garder; (chaise à porteurs); très tôt;
J’employai la nuit à mettre ordre à mes affaires et m'étant rendu¨ à l'hôtellerie de Mlle Manon vers la pointe¨ du jour je la trouvai qui m'attendait. La chaise était en état de partir; nous nous éloignâmes aussitot de la ville. étant allé; commencement;
Nous nous hâtâmes tellement d'avancer que nous arrivâmes à Saint Denis avant la nuit. Nos projets de mariage furent oubliés; nous fraudâmes¨ les droits de l'Église et nous nous trouvâmes époux ¨ sans y avoir fait réflexion. violâmes; comme femme et mari;
Nous prîmes un appartement meublé à Paris. Ce fut dans la rue V..., et, pour mon malheur, auprès de la maison de M. de B..., célèbre fermier général.¨ chef du fisc;
Je m’aperçus, peu après, que notre table était mieux servie, et qu'elle s'était donné quelques ajustements¨ d'une prix considérable.¨ Comme j'ignorais pas¨ qu'il devait nous rester à peine¨ douze ou quinze pistolets,¨ je lui marquai mon étonnement de cette augmentation¨ apparente¨ de notre opulence.¨ Elle me pria, en riant, d'être sans embarras.¨ toilettes; élevé; savais bien; pas plus de; monnaie; agrandissement; évidante; richesse; problèmes;
"Ne vous ai je pas promis," me dit elle,"que je trouverais des ressources."¨ moyens;
Je l’aimais avec trop de simplicité pour m'alarmer facilement; j'embrassai Manon avec ma tendresse ordinaire.
Dans le temps que j'étais ainsi tout occupé d'elle, j'entendis le bruit de plusieurs personnes qui montaient l'escalier. On frappa doucement à la porte. Manon me donna un baisser et, s'échappant de mes bras, elle entra rapidement dans le cabinet qu'elle ferma aussitôt sur¨ elle. derrière;
J'allai leur ouvrir moi-même. À peine¨ avais-je ouvert que je me vis saisir¨ par trois hommes, que je reconnus pour les laquais de mon père. Ils me dirent qu'ils agissaient par l'ordre de mon père et que mon frère aîné m'attendait en bas dans une carrosse. J'étais si troublé que je me était laissé conduire sans résister¨ et sans répondre. juste; pris; me défendre;
Nous arrivâmes, en un peu de temps, à Saint Denis. Mon frère, surpris de mon silence, s'imagina¨ que s'était un effet de ma crainte.¨ Il vit mon père avant moi, pour le prévenir¨ en ma faveur, en lui apprenant¨ avec quelle douceur je m'étais laissé conduire, de sorte que j'en fus reçu moins durement que je ne m'y étais attendu. Il se contenta de me faire quelques reproches¨ généraux sur la faute que j'avais que j'avais commise. Je lui promis de prendre une conduite¨ plus soumise¨ et plus réglée. pensa; peur; informer; racontant; réprimandes; vie; discipliné;
On se mit à table pour souper. On me railla¨ sur ma conquête d'Amiens. Mais quelques mots lâchés¨ par mon père me firent prêter l’oreille¨ avec la dernière¨ attention: il me parla de perfidie et de service intéressé, rendu par M. de B.... Je demeurai¨ interdit¨ en lui entendant prononcer¨ se nom, et je le priai humblement¨ de s'expliquer d'avantage.¨ se moqua de moi; dites; écouter; très grande; restai; perplexe; dire; timidement; plus;
"Tu ne sauras donc," reprit mon père, "puisque tu l'ignores,¨ que M. de B... a gagné la cœur de ta princesse. Il a su d'elle que tu es mon fils, et, pour se délivrer de tes importunités¨ il m'a écrit le lieu de ta demeure." ne le sais pas; gêne;
Je n'eus pas la force de soutenir¨ plus longtemps un discours¨ dont chaque mot m'avait percé¨ le cœur. Je me levai de table. Mon père, qui m'a toujours aimé tendrement, s'employa¨ avec toute son affection pour me consoler. Je l’écoutais, mais sans l'entendre. Je me jetai à ses genoux, je le conjurais¨ en joignant les mains, de me laisser retourner à Paris pour poignarder¨ B... Mon père vit bien que rien ne serait capable¨ de m’arrêter. Il me conduisit dans une chambre haute, où il laissa deux domestiques avec moi pour me garder à vue.¨ supporter; conversation; brisé; fit tout; priai; tuer; pourrait; surveiller;
J'y passai six mois entiers. On me donna des livres qui servirent ਠrendre un peu de tranquillité¨ à mon âme. eurent pour effet; calme;
Tiberge vint me voir un jour dans ma prison. Il me parla en conseiller sage plutôt qu'en ami d’école; enfin il m'exhorta¨ à profiter de cette erreur¨ de jeunesse pour ouvrir les yeux sur la vanité¨ des plaisirs. Il me flatta¨ si adroitement sur la bonté de mon caractère qu'il me fit naître, dès¨ cette première visite, une forte envie¨ de renoncer¨ comme lui à tous les plaisirs du siècle pour entrer dans l’état ecclésiastique.¨ Je goûtai"tellement cette idée que, lorsque je me trouvai seul, je ne m'occupai plus d'autre chose. conseilla; faute; inutilité; charma; deja à; désir; refuser; service de l'église;
Tiberge continuant de me rendre de fréquentes visites, dans le dessein¨ qu'il m'avait inspiré, je pris l’occasion d'en faire l'ouverture¨ à mon père. Il me déclara que son intention était de laisser ses enfants libres dans le choix de leur condition.¨ intention; confidence; état social;
Mon père, me croyant tout à fait¨ revenu de ma passion, fit aucune difficulté de me laisser partir. Nous arrivâmes à Paris. L'habit ecclésiastique¨ prit la place de la croix de Malte,¨ et le nom d’abbé Des Grieux celle de chevalier. Je m'attachai¨ à l'étude avec tant d'application¨ que je fis des progrès extraordinaires en peu de mois. complètement; de l’église; (titre noble); intéressai; concentration;
J'avais passe près d'un an à Paris, sans m'informer des affaires de Manon. Le temps arriva auquel je devais soutenir¨ un exercice¨ public dans l’École de Théologie. faire; test;
Je retournai à Saint Sulpice couvert de gloire et chargé de compliments.
Il était six heures du soir.On vint m'avertir,¨ un moment après mon retour, qu'une dame demandait a me voir; j'allai au parloir sur-le-champ.¨ Dieux! Quelle apparition¨ surprenante! J'y trouvai Manon. C’était elle, mais plus aimable et plus brillante que je ne l'avais vue. Elle était dans sa dix-huitième année; ses charmes surpassaient tout ce qu'on peut décrire. Je demeurai¨ interdit¨ à sa vue.¨ Son embarras fut pendant quelque temps égal au mien. Enfin je fis un effort pour m’écrier douloureusement: informer; immédiatement; vue; restai; perplexe; en la voyant;
"Perfide Manon! Ah! perfide! perfide..."
Elle me répéta, en pleurant à chaudes larmes, qu'elle ne prétendait¨ point justifier¨ sa perfidie. voulait; excuser;
"Que prétendez-vous donc?" m’écriai-je encore.
"Je prétends mourir, répondit-elle, si vous ne me rendez votre cœur, sans lequel il est impossible que je vive.
"Demande donc ma vie, infidèle!" repris-je en versant¨ moi-même des pleurs, que je m'efforçai¨ en vain¨ de retenir. Demande ma vie, qui est l'unique chose qui me reste à te sacrifier;¨ car mon cœur n'a jamais cessé¨ d'être a toi." pleurant; essayai; sans résultat; donner; arrêté;
À peine eus-je achevé¨ ces derniers mots, qu'elle se leva avec transport¨ pour venir m'embrasser. Elle m'accabla¨ de mille caresses passionnées; elle m'appela par tous les noms que l'Amour inventé pour exprimer ses plus vives tendresses.¨ Nous nous assîmes l'un près de l'autre. Je pris ses mains dans les miennes. j'avais juste dit; extase; donna; sentiments;
"Ah! Manon, lui dis-je en la regardant d'un œil triste, je ne m’étais pas attendu à la noire trahison dont vous avez payé mon amour."
Elle me répondit des choses si touchantes¨ par son repentir,¨ et elle s'engagea¨ à la fidélité par tant de protestations¨ et de serments¨ qu'elle m'attendrit a un degré inexprimable. Où trouver un barbare qu'un repentir si vif et si tendre n'eût pas touché? Pour moi, je sentis, dans ce moment, que j'aurais sacrifié¨ pour Manon tous les évéchés¨ du monde chrétien. Je lui demandai quel pleines d’émotion; regret; promit; assurances; promesses; donné; fonction d’évêque;
nouvel ordre elle jugeait¨ à propos de mettre dans nos affaires; elle me dit qu'il fallait sur-le-champ¨ sortir du Séminaire et remettre à nous arranger dans un lieu plus sûr. Je consentis¨ à toutes ses volontés sans réplique.¨ Elle entra dans son carrosse pour aller m'attendre au coin de la rue. Je m’échappai un moment après, sans être aperçu du portier. Je montai avec elle. croyait; immédiatement; fus d'accord; protestation;
Nous ne tardâmes point à gagner¨ Chaillot. Nous logeâmes la première nuit a l'auberge pour nous donner le temps de chercher une maison, ou du moins un appartement commode.¨ Nous en trouvâmes dès¨ le lendemain, un de notre goût. arrivâmes bien-tôt à; confortable; déjà;
L'hiver approchait;¨ tout le monde retournait à la ville, et la campagne devenait déserte.¨ Elle me proposa de reprendre une maison à Paris; je n'y consentis point.¨ Mais pour la satisfaire¨ en quelque chose, je lui dis que nous pouvions y louer un appartement meublé. arrivait; inhabitée; ne fus pas d'accord; contenter;
Nous étions demeurés¨ un jour à Paris, pour y coucher, comme il nous arrivait fort¨ souvent. Un servante, qui restait seule à Chaillot dans ces occasions, vint m'avertir¨ le matin que le feu avait pris pendant la nuit dans ma maison, et qu'on avait eu beaucoup de difficulté à l’éteindre. Je tremblai¨ pour notre argent, qui était enfermé dans une petite caisse. Je me rendis¨ promptement à Chaillot. Diligence¨ inutile; la caisse avait déjà disparu. Je compris tout d'un coup à quels nouveaux malheurs j'allais me trouver exposé;¨ l'indigence¨ était le moindre.¨ restés; très; informer; avais peur; allai; activité; soumis; pauvreté; plus petit (malheur);
Je connaissais Manon: elle aimait trop l'abondance¨ et les plaisirs pour me les sacrifier.¨ richesse; abandonner;
Je résolus d'abord d'aller consulter M.Lescaut, frère de Manon. Je découvris¨ ma peine¨ à M.Lescaut. Il me répéta que, si je voulais tenter¨ le hasard¨ du jeu, il ne désespérait point que je ne pusse être admis¨ à sa recommandation, dans la Ligue de l'Industrie. racontai; difficultés; essayer; chance, fortune; accepté;
M. Lescaut me présenta, le soir même, comme un de ses parents. Je profitai en peu de temps des leçons de mon maître; j'en acquis¨ surtout beaucoup d’habileté à faire volte-face. Cette adresse extraordinaire hâta¨ si fort le progrès de ma fortune, que je me trouvai en peu de semaines des sommes considerahles.¨ Je pensais a placer¨ une partie de mon argent. Mes domestiques n'ignoraient pas¨ mes succès, surtout mon valet de chambre et la suivante de Manon. eus; activa; très grandes; (à une banque); savaient bien;
M.Lescaut nous ayant un jour donné à souper, il était environ minuit lorsque nous retournâmes au logis. J'appelai mon valet, et Manon sa femme de chambre; ni l'un ni l'autre ne parurent.¨ La serrure¨ de mon cabinet avait été forcée, et mon argent enlevé¨ avec tous mes habits. se montrèrent; fermeture; volé;
Dans le temps que je réfléchissais seul sur cet accident, Manon vint, tout effrayée¨ m'apprendre¨ qu'on avait fait le même ravage dans son appartement. paniquée; raconter;
"Nous sommes perdus!" me dit-elle, les larmes aux yeux.
Je m'efforçai¨ en vain¨ de la consoler¨ par mes caresses. essayai; inutilement; calmer;
Il était près de quatre heures, lorsque je me mis au lit, et m'y étant encore occupé des moyens¨ de rétablir¨ ma fortune, je m'endormis si tard que je ne pus me réveiller que vers onze heures ou midi. Je me levai promptement pour aller m'informer de la santé de Manon; on me dit qu'elle était sortie, une heure auparavant¨ avec son son frère. Je me promenai à grands pas dans nos appartements. J'aperçus dans celui de Manon une lettre cachetée¨ qui était sur sa table. L'adresse était à moi, et l’écriture de sa main. Je l'ouvris avec un frisson¨ mortel. Elle était dans ces termes: "Je te jure,¨ mon cher Chevalier, que tu es l'idole de mon cœur, et qu'il n'y a que toi au monde que je puisse aimer de la façon dont je t'aime. Mais ne vois-tu pas, ma pauvre chère âme, que, dans l’état¨ où, nous sommes réduits,¨ c'est une sotte vertu¨ que la fidélité?Crois-tu qu'on puisse être bien tendre¨ lorsqu'on manque¨ de pain? réfléchi sur les possibilités; réparer; plus tôt; fermée; peur; assure; situation; tombés; principe; amoureux; n'a pas assez;
La faim me causerait quelque méprise¨ fatale; je t'adore, compte là-dessus, mais laisse-moi pour quelque temps le ménagement¨ de notre fortune. Malheur à qui va tomber dans mes filets! Je travaille pour rendre mon Chevalier riche et heureux. Mon frère t'apprendra¨ des nouvelles de ta Manon, et qu’elle a pleuré de la nécessité de te quitter. faute; préparation; dira;
Je demeurai¨ après cette lecture, dans un état qui me serait difficile à décrire. Mes plaintes¨ furent interrompues par une visite a laquelle je ne m'attendais pas. restai; lamentations;
Ce fut celle de Lescaut.
"Bourreau!"¨ lui dis-je en mettant l’épée a la main, où est Manon? qu'en¨ as-tu fait? Il faut défendre ta vie, ou me faire retrouver Manon." assassin; d'elle;
"Là! que vous êtes vif!" repartit¨ il, "c'est l'unique sujet qui m’amène. Je viens vous annoncer un bonheur auquel motif vous ne pensez pas." répondit;
Je voulus être éclairci¨ sur-le-champ.¨ Il me raconta que Manon, ne pouvant soutenir¨ la crainte¨ de la misère et surtout l’idée d'être obligée tout à coup à la réforme de notre équipage, l'avait prié de lui procurer¨ la connaissance de M.de G... M..., qui passait pour un homme généreux. informé; immédiatement; supporter; peur; faire;
"Je l'y ai menée ce matin," continua-t-il, "et cet homme a été si charmé de son mérite¨ qu'il l'a invitée d'abord a lui tenir compagnie à sa maison de campagne, où il est allé passer quelques jours." "Moi," ajouta Lescaut, "je lui ai dit que l'avenir amènerait a ma sœur de grands besoins qu'elle s’était chargée du soin d'un jeune frère, qui nous était reste sur les bras¨ après la mort de nos père et mère. Ce récit¨ n'a pas manqué de l'attendrir.¨ Il s'est engagé à louer une maison commode¨ pour vous et pour Manon; car c'est vous-même qui êtes ce pauvre petit frère orphelin. Vous reverrez alors Manon, qui m'a chargé¨ de vous assurer qu'elle vous aime plus que jamais." capacités; à notre charge; histoire; émotionner; confortable; ordonné;
Je m'assis en rêvant¨ à cette bizarre disposition¨ de mon sort.¨ Ce fut, dans ce moment, que l'honneur et la vertu¨ me firent sentir encore les pointes¨ du remords.¨ pensant; arrangement; vie; morale; douleurs; conscience des fautes;
Par quelle fatalité, disais-je, suis-je devenu si criminel! L'amour est une passion innocente; comment s'est-il changé pour moi en une source¨ de misères et de désordres. Quel est l’infâme personnage qu'on vient ici me proposer? Quoi! j'irai partager ... Mais y a-t-il à balancer,¨ si c'est Manon qui l'a réglé, et si je la perds sans cette complaisance?¨ cause; hésiter; acte pour lui plaire;
"Monsieur Lescaut, m’écriai-je en fermant les yeux, comme pour écarter¨ de si chagrinantes réflexions, si vous avez eu dessein¨ de me servir, je vous rends grâces.¨ Vous auriez pu prendre une voie¨ plus honnête;¨ mais c'est une chose finie,¨ n'est-ce pas? Ne pensons donc plus qu'a profiter de vos soins¨ et à remplir¨ votre projet." chasser; intention; remercie; moyen; correct; décidée; activités; réaliser;
Nous concertâmes¨ de quelle manière nous pourrions prévenir les défiances¨ de M.de G... M... discutâmes; méfiance;
Nous nous rendîmes tous deux chez elle. Je lui parus triste et languissant.¨ Elle me fit des reproches¨ de ma froideur;je ne pus m’empêcher¨ de laisser échapper les noms de perfide et d’infidèle. Elle m'interrompit: mélancolique; blâme; défendre;
"Tenez," dit-elle, "mon Chevalier, il est inutile de me tourmenter¨ par des reproches qui me percent¨ le cœur lors-qu'ils viennent de vous. Je vois ce qui vous blesse. J'avais espéré que vous consentiriez¨ au projet que j'avais fait pour rétablir un peu notre fortune; mais j'y renonce,¨ puisque vous ne l'approuvez¨ pas." troubler; font mal au; seriez d'accord avec; je l'abandonne; trouvez bon;
Elle ajouta qu'elle ne me demandait qu'un peu de complaisance¨ pour le reste du jour; qu'elle avait déjà reçu deux cents pistoles¨ de son vieil amant, et qu'il avait promis de lui apporter le soir un beau collier de perles avec d'autres bijoux. souplesse; (certaine monnaie);
"Laissez-moi seulement le temps," me dit-elle, "de recevoir ses présents."
L'heure du souper étant venue, M.de G... M... ne se fit pas attendre longtemps.Le vieil amant parut prendre plaisir a me voir. Il me donna deux ou trois petits coups sur la joue, en me disant que j’étais un joli garçon.
"Je lui trouve l'air¨ de Manon", reprit le vieillard, en me haussant le menton avec la main. visage;
Je répondis d'un air niais:¨ sot bête;
"Monsieur, c'est que nos chairs¨ se touchent de bien proche; aussi¨ j'aime ma sœur Manon comme un autre moi-même" corps; c'est pourquoi;
Toute notre conversation fut à peu près du même goût¨ pendant le souper. Enfin l'heure du sommeil étant arrivé, il parla d'amour et d'impatience. Nous nous retirâmes, Lescaut et moi; on le conduisit à sa chambre, et Manon, étant sortie sous prétexte¨ d'un besoin, nous vint joindre¨ à la porte. Nous nous éloignâmes en un instant du du quartier. M. de G... M... ne tarda pas¨ longtemps à s'apercevoir qu'il était dupé. Je ne sais s'il fit, dès le¨ soir, quelques démarches¨ pour nous découvrir.¨ style; faux motif; se réunir; ne fut pas...; le même; recherches; trouver;
Nous étions encore au lit, lorsqu'un exempt¨ de police entra dans notre chambre avec une demi-douzaine de gardes. Il se saisirent¨ d'abord de notre argent, ou plutôt de celui de M.de G... M...; et, nous ayant fait lever brusquement, il nous conduisirent a la porte, ou nous trouvâmes deux carrosses, dans l'un desquels la pauvre Manon fut enlevée¨ sans explication, et moi traîné dans l'autre à Saint-Lazare. J'avais de terribles idées de cette maison. Ma frayeur¨ augmenta¨ lorsqu'en entrant les gardes visitèrent une seconde fois mes poches , pour s'assurer qu'il ne me restait ni armes, ni moyens de défense. Le Supérieur parut à l'instant;¨ il était prévenu¨ de mon arrivée; il me salue avec beaucoup de douceur. Il me pria de monter dans une chambre haute; je le suivis sans résistance.¨ agent; prirent; emportée; peur; grandit; immédiatement; informé; m'opposer;
"Je suis donc votre prisonnier," lui dis-je. "Eh bien, mon père, que prétendez¨ vous faire de moi" voulez;
Il me dit qu'il était charmé de me voir prendre un ton raisonnable; que son devoir serait de travailler a m'inspirer le goût¨ de la vertu¨ et de la religion, et le mien de profiter de ses exhortations¨ et de ses conseils. désir; morale; encouragements;
Il crut devoir me traiter avec beaucoup de douceur et d'indulgence.¨ Il me visitait deux ou trois fois le jour; il me prenait souvent avec lui, pour faire un tour dans le jardin. Je lui témoignai¨ que dans la nécessité de demeurer;¨ c’était une douce consolation¨ pour moi d'avoir quelque part à son estime.¨ Je le priai de m'accorder¨ une grâce:¨ c’était de faire avertir¨ un de mes amis, un saint ecclésiastique¨ qui demeurait à Saint-Sulpice, que j'étais à Saint-Lazare, et de permettre que je reçusse quelquefois sa visite. Cette faveur me fut accordée sans délibérer.¨ C’était mon ami Tiberge dont il était question. Ce fidèle ne m'avait pas tellement perdu de vue qu'il ignorait¨ mon aventure. Il accourut aussitôt¨ à ma chambre. Notre entretien¨ fut plein d’amitié. clémence; fit comprendre; rester (dans la prison); pensée; respect; donner; faveur; informer; prêtre; discussion; ne savait pas; immédiatement; conversation;
Cette conversation servit du moins à renouveler la pitié de mon ami. Il comprit qu'il y avait plus de faiblesse que de malignité¨ dans mes désordres. Cependant je ne lui fis pas la moindre ouverture¨ du dessein¨ que j'avais de m’échapper de Saint-Lazare. Je le priai seulement de se charger de ma lettre. Il eut la fidélité de la porter exactement, et Lescaut reçut, avant la fin du jour, celle qui était pour lui. méchanceté; confidence; intention;
Il vint me voir le lendemain¨ et il passa heureusement sous le nom de mon frère. Ma joie fut extrême¨ en l'apercevant dans ma chambre. J'en fermai la porte avec soin. jour après; très grande;
"Ne perdons pas un moment," lui dis-je; "pourriez-vous m'apporter un pistolet?"
"Aisément,¨ " me dit Lescaut; "mais voulez-vous tuer quelqu'un?" facilement;
Je l'assurai que j'avais si peu dessein¨ de tuer, qu'il on'était pas même nécessaire que le pistolet fût chargé. intention;
"Apportez-le-moi demain," ajoutai-je, "et ne manquez pas de vous trouver le soir, à onze heures, vis-a-vis¨ de la porte de cette maison, avec deux ou trois de nos amis. J'espère que je pourrai vous y rejoindre.¨ en face; retrouver;
Je le priai d’abréger¨ sa visite, afin qu'il trouvât plus de facilité à me revoir le lendemain. Il fut admis¨ avec aussi peu de peine¨ que la première fois. finir; reçu; difficulté;
Lorsque je me trouvai muni¨ de l'instrument de ma liberté, je ne doutai presque plus du succès de mon projet. en possession;
Je frappai d'abord doucement a la porte du père, pour l'éveiller sans bruit. Il se leva pour m'ouvrir.
"Ha! c'est vous, mon cher fils, me dit-il, en ouvrant la porte; qu'est-ce qui vous amène¨ si tard? fait venir;
J'entrai dans sa chambre, et, l'ayant tiré à l'autre bout opposé à la porte, je lui déclarai qu'il m’était impossible de demeurer¨ plus longtemps a Saint-Lazare. rester;
J'aperçus les clefs qui étaient sur la table. Je les pris, et je le priai de me suivre, en faisant le moins de bruit qu'il pourrait. Enfin, nous arrivâmes à une espèce¨ de barrière , qui est avant la grande porte de la rue. Je sorte;
me croyais déjà libre, et j’étais derrière le père, avec ma chandelle dans une main et mon pistolet dans l'autre. Pendant qu'il s'empressait¨ d'ouvrir, un domestique, qui couchait dans une petite chambre voisine, se lève et met la tête à sa porte. C’était un puissant coquin,¨ qui s’élança sur moi sans balancer.¨ Je ne le marchandai¨ point;je lui lâchai le coup au milieu de la poitrine. se hâta; méchant; hésiter; courut;
"Voilà de quoi vous êtes cause, mon père," dis-je assez fièrement à mon guide. Mais que cela ne vous empêche¨ point d'achever¨ ajoutai-je en le poussant vers la dernière porte. retienne; finir;
Il n'osa refuser de l'ouvrir. Je sortis heureusement, et je trouvai, à quatre pas, Lescaut qui m'attendait avec deux amis, suivant sa promesse. Nous nous éloignâmes.
Nous allâmes passer la nuit chez un traiteur. J'employai une partie de ce temps à former des projets et des expédients¨ pour secourir¨ Manon. J’étais bien persuadé¨ que sa prison était encore plus impénétrable¨ que n'avait été la mienne. J'y vis si peu de jour¨ que je remis¨ à considérer¨ mieux les choses, lorsque j'aurais pris quelques informations sur l'arrangement intérieur de l'Hôpital. moyens; aider; sur; difficile à ouvrir; clarté; retarda; méditer;
Aussitôt¨ que la nuit m'eut rendu la liberté, je priai Lescaut de m'accompagner. Nous liâmes¨ conversation avec après que un des portiers, qui nous parut homme de bon sens.¨ Je feignis¨ d'être étranger, qui avait entendu parler avec admiration de l'Hôpital Général, et de l'ordre qui s'y observe.¨ Je l'interrogeai¨ sur les plus minces¨ détails et de circonstances en circonstances, nous tombâmes sur les administrateurs.¨ Je lui demandai si ces messieurs avaient des enfants. Il me dit qu'il ne pouvait pas m'en rendre un compte¨ certain, mais que pour M.de T..., qui était un des principaux,¨ il lui connaissait un fils en age d'être marié. Je rompis¨ presque aussitôt l’entretien,¨ et je fis part¨ à Lescaut, en retournant chez lui du dessein¨ que j'avais conçu.¨ immédiatement; entrâmes en; intelligent; simulai; fait régner; posai des questions; petits; dirigeants; informer; plus importants; finis; conversation; parlai; projet; formé;
"Je m'imagine,¨ " lui dis-je, que M.de T..., le fils qui est riche et de bonne famille, ne saurait être ennemi des femmes, ni ridicule au point de¨ refuser ses services pour une affaire d'amour.J'ai formé le dessein¨ de l’intéresser a la liberté de Manon." pense; si ridicule qu'il va; projet;
Le matin étant venu, je me fis conduire dans un fiacre¨ à la maison de H.de T... Il fut surpris de recevoir la visite d'un inconnu. Je m'expliquai naturellement avec lui; et, pour le gagner¨ de plus en plus, je lui racontai le détail de tout ce qui était arrivé à Manon et à moi. voiture; intéresser;
Il parut fort¨ sensible à cette marque d'ouverture.¨ Il ne promit pas de me rendre Manon, mais il m'offrit de me procurer¨ le plaisir de la voir, et de faire tout ce qui serait en sa puissance¨ pour la remettre entre mes bras. Nous ne nous séparâmes qu’après être convenus¨ du très; confiance; donner; pouvoir; avoir réglé;
temps et du lieu où nous devions nous retrouver. Je l'attendis dans un café, où il vint me rejoindre¨ vers les quatre heures, et nous prîmes ensemble le chemin de l’Hôpital. retrouver;
M.de T... parla à quelques concierges de la maison, qui s’empressèrent¨ de lui offrir tout ce qui dépendait d'eux pour sa satisfaction.¨ Il se fit montrer le quartier où Manon avait sa chambre, et l'on nous y conduisit. Nous approchâmes de¨ sa porte. Mon cœur battait violemment¨ J'entrai, lorsqu'elle accourait avec précipitation;¨ nous embrassâmes avec cette effusion¨ de tendresse¨ qu'une absence de trois mois fait trouver si charmante à de parfaits amants. Nous pleurâmes amèrement¨ en nous entretenant¨ de l’état où elle était et de celui d’où je ne faisais que¨ sortir. M.de T... nous consola¨ par de nouvelles promesses de s'employer ardemment¨ pour finir nos misères. Il nous conseilla de ne pas rendre cette ma première entrevue¨ trop longue, pour lui donner plus de tout facilité à nous en procurer¨ d'autres. M.de T... promit de la venir voir souvent avec moi. firent tout; ce qu'il voulait; arrivâmes à; fort; vitesse; manifestation; sentiments; tristement; parlant; venais de; calma; faire tout; rencontre; donner;
Je fis, en sortant, quelques libéralités¨ au valet qui la servait, pour l'engager à lui rendre ses soins avec zèle.¨ Il me prit à l’Écart¨ en descendant dans les cours. dons d'argent; enthousiasme; à part;
"Monsieur," me dit-il, "si vous voulez me prendre à votre service, je crois qu'il me sera facile de délivrer Mlle Manon."
Je voulus savoir quels moyens il avait dessein¨ d'employer. l'intention;
"Nul autre, me dit-il, que de lui ouvrir le soir la porte de sa chambre, et de vous la conduire jusqu'à celle de la rue, ou il faudra que vous soyez pret à la recevoir.
J'appelai M.de T... pour lui communiquer¨ ce projet. Nous convînmes¨ donc, avec le valet, de ne pas remettre¨ son entreprise¨ plus loin qu'au jour suivant; et pour la rendre aussi certaine qu'il était en notre pouvoir, nous résolûmes d'apporter des habits d'homme, dans la vue¨ de faciliter notre sortie. faire savoir; réglâmes; retarder; projet; l'intention;
Le reste du jour me parut d'une longueur insupportable.
Enfin, la nuit étant venue, nous nous rendîmes¨ un peu en dessous¨ de la porte de l’Hôpital, dans un carrosse. Nous n'y fûmes pas longtemps sans voir paraître Manon avec son conducteur.¨ Notre portière étant ouverte, ils montèrent tous deux à"l'instant.¨ Je reçus ma chère maîtresse dans mes bras. Elle tremblait comme une feuille. Le cocher¨ me demanda où il fallait toucher,¨ et lorsque je lui dis le nom de la rue ou nous voulions être conduits, il me répondit qu'il craignait¨ que je ne l'engageasse¨ dans une mauvaise affaire. allâmes; à distance; celui qui l'accompagna; immédiatement; postillon; aller; avait peur; mêlasse;
"Tais-¨ toi," lui dis-je, "il y a un louis d'or à gagner pour toi." ne dis rien;
Nous gagnâmes¨ la maison où demeurait Lescaut. Lorsqu'il fallut descendre, j'eus avec le cocher un nouveau démêle¨ dont les suites¨ furent funestes.Je me repentis¨ de lui avoir promis un louis, non seulement parce que le présent était excessif, mais par une autre raison bien plus forte, qui était l'impuissance¨ de le payer.Je fis appeler Lescaut; il descendit de sa chambre pour venir a la porte. Je lui dis à l'oreille dans quel embarras¨ je me trouvais.Il me répondit que je me moquais.¨ allâmes à; discussion; conséquences; regrettai; impossibilité; difficulté; n’étais pas sérieux;
"Un louis d'or!" ajouta-t-il. Vingt coups de canne¨ à ce coquin-¨ là bâton; méchant;
Il m'arracha¨ ma canne, avec l'air d'en vouloir maltraiter¨ le cocher .Celui-ci s'enfuit de peur, avec son carrosse, en criant que je l'avais trompé,¨ mais que j'aurais de ses nouvelles.¨ prit de force; molester; dupé; (=menace);
Je lui répétai inutilement d’arrêter. Sa fuite me causa une extrême¨ inquiétude.¨ Je ne doutai point qu'il n'avertît¨ très grande; peur; informât} le commissaire.;
"Vous me perdez," dis-je à Lescaut. Je ne serais pas en sûreté chez vous; il faut nous éloigner¨ dans le moment."¨ partir; immédiatement;
Je prêtai le bras à Manon pour marcher et Lescaut nous tint compagnie. À peine¨ avions-nous marché cinq ou six minutes, qu'un homme, dont je ne découvris¨ point le visage, reconnut Lescaut. tout juste; reconnus;
"C'est Lescaut," dit-il, en lui lâchant¨ un coup de pistolet; "il ira souper ce soir avec les anges". tirant;
Il se déroba¨ aussitôt;¨ Lescaut tomba, sans le moindre mouvement de vie. Je pressai Manon de fuir. Enfin j'aperçus un fiacre au bout de la rue. Nous y montâmes. "Mène- nous à Chaillot," dis-je au cocher. disparut; immédiatement;
Nous fûmes reçus à l'auberge comme des personnes de connaissance.
Je me hâtai le lendemain d'aller à Paris. J'avais besoin d'un secours¨ présent, pour un nombre infini de nécessités présentes. Je continuai mon chemin, résolu d'aller d'abord chez Tiberge, et de la chez M.de T... aide;
Tiberge me demanda si cent pistoles me suffiraient,¨ et, sans m'opposer un seul mot de difficulté, il me les alla chercher dans le moment.¨ Lorsqu'il eut achevé¨ de me compter mon argent et que je me préparais a le quitter, il me pria de faire avec lui un tour d’allée. Il me dit qu'étant allé pour me visiter à Saint-Lazare, le lendemain de mon évasion,¨ il avait été frappé au-delਠde toute expression en apprenant la manière dont j'en étais sorti; qu'il avait eu là-dessus un entretien¨ avec le Supérieur; que ce bon Père n’était pas encore remis¨ de son effroi,¨ qu'il avait eu néanmoins¨ la générosité¨ de déguiser¨ à M. le Lieutenant Général de Police les circonstances de mon départ, et qu'il avait empêche¨ que la mort du portier ne fut connue au dehors; que je n'avais donc, de ce côte-la nul sujet¨ d'alarme, mais que, s'il me restait le moindre sentiment de sagesse,¨ je profiterais de cet heureux tour que le Ciel donnait à mes affaires; que je devais commencer par écrire à mon père et me remettre bien avec lui. seraient assez; immédiatement; fini; fuite; plus; conversation; rétabli; peur; malgré tout; bonté; cacher; prévenu; raison, motif; raison;
J’écoutai son discours¨ jusqu'à la fin. Il y avait là bien des choses satisfaisantes.¨ Je promis à Tiberge de faire partir, le jour même, une lettre pour mon père. histoire; agréables;
Après avoir quitté Tiberge, je me fis un plaisir de marcher fièrement à pied, en allant chez H.de T... Cependant¨ il me revint tout d'un coup à l'esprit que j'avais l'affaire de l'Hôpital sur les bras, sans compter la mort de Lescaut dans laquelle j’étais mêlé, du moins comme témoin.¨ Ce souvenir m'effraya¨ si vivement, que je me retirai dans la première allée, d'où je fis appeler un carrosse J'allais droit chez H.de T... que Je fis rire de ma frayeur.¨ mais; quelqu'un qui a vue; fit peur; peur;
Elle me parut risible¨ à moi-même, lorsqu'il m'eut appris que je n'avais rien à craindre du côté de l'Hôpital, ni avoir peur de celui de Lescaut. Il me dit que, dans la pensée qu'on pourrait le¨ soupçonner¨ d'avoir eu part¨ à l'enlèvement¨ de Manon, il était allé le matin a l'Hôpital, et qu'il avait demandé à la voir en feignant¨ d'ignorer¨ ce qui était arrivé. On s’était empressé¨ de lui apprendre¨ cette aventure comme une étrange nouvelle, et qu'on admirait¨ qu'une fille aussi jolie que Manon eût pris le parti¨ de fuir avec un valet. Il continua de me raconter qu'il était allé de là chez Lescaut; que l'hôte¨ de la maison n'avait pas refusé d'expliquer ce qu'il savait de cause et des circonstances de cette mort. ridicule; (=M.de T..); supposer; coopération; libération; simulant; pas savoir; hâté; raconter; était étonné; la décision; propriétaire;
Environ deux heures auparavant,¨ un garde du corps, des amis de Lescaut, l’était venu voir et lui avait proposé de jouer. Lescaut avait gagné si rapidement que l'autre avait juré,¨ en le quittant, de lui casser la tête¨ : ce qu'il avait exécuté¨ le soir même. avant; assuré; le tuer; réalisé;
M.de T... me pria de trouver bon qu'il allât souper avec nous.Nous prîmes ensemble le chemin de Chaillot, où j'arrivai avec moins d’inquiétude¨ que je n'en étais parti. trouble;

18.1.2. Seconde partie

La présence et les politesses¨ de M.de T... dissipèrent¨ tout ce qui pouvait rester de chagrin à Manon. bonnes manieres; chassèrent;
Ainsi, pendant les premières semaines, je ne pensais qu'à jouir¨ de ma situation. trouver mon plaisir dans;
Le seul valet qui composait¨ notre domestique, me prit un jour à l'écart¨ pour me dire qu'un seigneur étranger semblait avoir pris beaucoup d'amour pour Mlle Manon. formait; à part;
Le trouble de mon sang me fit sentir dans toutes mes veines. Je ne sais à quoi les tourments¨ de mon cœur m'auraient porté si Manon, qui m'avait entendu rentrer, ne fût venue au-devant de moi¨ avec un air d'impatience et des plaintes de ma lenteur. Elle n'attendit point ma réponse pour m'accabler¨ de caresses. Elle marqua¨ peu d'attention pour mon chagrin. Elle voulait que mes cheveux fussent accommodés¨ de ses propres mains. Je les avais fort¨ beaux. C'était un amusement qu'elle s'était donné plusieurs fois. Elle se mit à rajuster¨ mes cheveux, lors-qu'on vint l'avertir¨ que le Prince de ... demandait à la voir. troubles; à ma rencontre; donner beaucoup; donna; arrangés; très; arranger; informer;
"Quoi donc?" m’écriai-je en la repoussant, "Qui? Quel prince?"
Elle ne répondit point a mes questions.
"Faites-le monter", dit-elle froidement au valet.
Et, se tournant vers moi: "Cher ami, toi que j'adore, "reprit-elle d'un ton enchanteur,¨ "je te demande un moment de complaisance¨ un moment, un seul moment. Je t'en aimerai mille fois plus. Je t'en saurai gré¨ toute ma vie". charmant; clémence; remercierai;
L'indignation¨ et la surprise me lièrent¨ la langue.Je vis un homme fort bien mis,¨ mais d'assez mauvaise mine.¨ Manon ne lui donna pas le temps d'ouvrir la bouche; elle lui présenta son miroir: irritation; immobilisèrent; habillé; aspect;
"Voyez, Monsieur," lui dit-elle, "regardez-vous bien, et rendez-moi justice. Vous me demandez de l'amour. Voici l'homme que j'aime, et que j'ai juré¨ d'aimer toute ma vie: promis;
Si vous croyez lui pouvoir disputer mon cœur, apprenez-¨ moi donc sur quel fondement;¨ car je vous déclare qu'aux yeux de votre servante très humble, tous les princes d'Italie ne valent pas un des cheveux que je tiens." dites; base, motif;
"Mademoiselle, Mademoiselle," lui dit-il avec un sourire forcé, "j'ouvre en effet les yeux, et je vous trouve bien moins novice¨ que je ne me l’étais figuré¨ naïf; cru;
Il se retira aussitôt sans jeter les yeux sur elle.
Je ne dissimulai¨ pas que je fus touché jusqu'au fond du cœur, d'un sacrifice¨ que je ne pouvais attribuer¨ qu'à l'amour. Cependant la plaisanterie me parut excessive. cachai; abandon; mettre sur le compte de;
Un jour que nous avions M.de T... a souper, nous entendîmes le bruit d'un carrosse qui s'arrêtait a la porte de l'hôtellerie. La curiosité nous fit désirer qui pouvait arriver à cette heure. On nous dit que c’était le jeune ... M..., c'est à dire le fils de notre plus cruel ennemi. Son nom me fit monter la rougeur au visage.
"C'est le ciel qui me l'amène,¨ dis-je à M. de T...; pour le punir de la lâcheté de son père. Il ne m’échappera pas, que¨ nous n'ayons mesuré nos épées."¨ fait venir; avant que; nous nous soyons battus;
M.de T..., qui le connaissait et qui était même de ses meilleurs amis, s'efforça¨ de me faire prendre d'autres sentiments pour lui. essaya;
Il entra d'un air qui nous prévint¨ effectivement en sa faveur. Il baissa les yeux pour nous parler de l'excès où son père s’était porté contre nous; il nous fit les excuses les plus soumises. influença;
Il ne nous quitta qu’après s'être félicite de notre connaissance et nous avoir demandé la permission de venir nous renouveler quelquefois l'offre de ses servi-
ces. Il partit le matin avec M.de T..., qui se mit avec lui dans son carrosse.
M.de T... revint nous voir avant la fin de la semaine.
M'ayant tiré aussitôt en particulier:¨ à part;
"Je suis," me dit-il, "dans le dernier¨ embarras¨ depuis que je ne vous ai vu; et la visite que je vous fais aujourd'hui en est une suite.¨ G... M... aime votre maîtresse; il m'en a fait confidence¨ et c'est ce qui m'a porté à venir si matin¨ pour vous informer de ses vues.¨ Il peut arriver a tout moment". très grand; trouble; conséquence; confession; tôt le matin; intentions;
Un avis¨ si pressant¨ me fit regarder cette affaire d'un; information; urgent;
œil plus sérieux; et, m’étant retiré à l’écart¨ avec Manon, je lui déclarai naturellement tout ce que je venais d'apprendre. Elle reprit, après avoir un peu rêvé:¨ à part; réfléchi;
"Il me vient un dessein¨ admirable," s’écria-t-elle, "et je suis toute glorieuse de l'invention. G... M... est le fils de notre plus cruel ennemi; il faut nous venger du père, non pas sur le fils, mais sur sa bourse. Je veux l’écouter, accepter ses présents, et se moquer de lui." projet;
Nous vîmes paraître son carrosse vers les onze heures.
Nous nous mimes a table avec un air de confiance et d'amitié. G... M... trouva aisément¨ l'occasion de déclarer ses sentiments à Manon. facilement;
Aussitôt¨ qu'il fut monté en carrosse avec M. de T..., Manon accourut à moi, les bras ouverts, et m'embrassa en éclatant de rire. Elle me répéta ses discours¨ et ses propositions, sans y changer un mot. Ils se réduisent¨ à ce-ci: il l'adorait. Il voulait partager avec elle quarante mille livres de rente dont il jouissait¨ déjà, sans compter ce qu'il attendait après la mort de son père.Il s'engageait¨ à lui compter dix mille francs, en prenant possession de l'hôtel, et il lui marquait¨ le nom de la rue et de l'hôtel, où il lui promettait de l'attendre l'après-midi du second jour, si elle pouvait se dérober¨ de mes mains. immédiatement après; paroles; résument; avait; obligeait; indiquait; s’échapper;
Nous délibérâmes sur la conduite¨ que Manon avait à tenir. Je fis encore des efforts pour lui ôter¨ cette entreprise¨ de la tête, et je lui représentai tous les dangers. attitude; chasser; projet;
Rien ne fut capable d’ébranler¨ sa résolution. Il lui semblait que je ne pouvais me venger plus agréablement de mon rival, qu'en mangeant son souper et en couchant, cette nuit même, dans le lit qu'il espérait occuper avec ma maîtresse; cela lui paraissait assez facile, si je pouvais m'assurer de trois ou quatre hommes qui eussent assez de résolution¨ fermeté pour l’arrêter dans la rue et de fidélité pour le garder à vue¨ jusqu'au lendemain. changer; ; surveiller;
Je cédai¨ à ses instances¨ malgré les mouvements secrets de mon cœur, qui semblaient me présager¨ une catastrophe malheureuse. Je sortis , dans le dessein¨ de prier deux ou trois gardes de corps, avec lesquels Lescaut m'avait mis en liaison,¨ de se charger du soin d'arrêter G... M... Je n'en trouvai qu'un au logis; mais c’était un homme entreprenant.¨ me rendis; demande; prophétiser; intention; relation; courageux;
Je retournai aussitôt chez Manon, et, pour ôter tout soupçon¨ aux domestiques, je leur dis, en entrant, qu'il ne fallait pas attendre M.de G... M... pour souper; qu'il lui était survenu des affaires qui le retenaient malgré lui, et qu'il m'avait prie de venir lui en faire ses excuses. méfiance;
Pendant ce temps-là, notre mauvais génie travaillait à nous perdre. G... M... était suivi d'un laquais lorsqu'il avait été arrête par le garde de corps. Ce garçon, effrayé¨ de l'aventure de son maître, retourna en fuyant sur ses pas; et la première démarche¨ qu'il fit pour le secourir¨ fut d'aller avertir¨ le vieux G... M... de ce qui venait d'arriver. Il découvrit¨ tout ce qu'il savait de son amour pour Manon. C'en fut assez pour faire soupçonner¨ au vieillard que l'affaire de son fils était une querelle¨ d'amour. paniqué; activité; aider; informer; raconta; supposer; conflit;
J'allais me mettre au lorsqu'il arriva; il entra suivi de deux archers.¨ Il s’écria en s'adressant à moi: policiers;
"Ah! malheureux! je suis sûr que tu as tué mon fils!"
"Vieux scélérat!¨ " lui répondis-je avec fierté, "si j'avais eu à tuer quelqu'un de te famille, c'est par toi que j'aurais commencé." criminel;
"Conduisez-le au Petit-Châtelet, " dit-il aux archers¨ et prenez garde¨ que le Chevalier ne vous échappe. C'est un rusé¨ qui s'est déjà sauvé de Saint-Lazare." policiers; faites attention à; adroit;
Les archers avaient un carrosse à la porte. Nous partîmes dans le même carrosse. Nous arrivâmes à la prison. On nous mit chacun dans un lieu séparé.¨ isolé;
Mon argent eut un fort¨ bon effet. On me mit dans une chambre proprement meublé et l'on m'assura que Manon en avait une pareille.¨ Je m'occupai, aussitôt, des moyens de hâter ma liberté. Je résolus d’écrire promptement à mon père pour le prier de venir en personne à Paris. Il arriva le lendemain de mon emprisonnement. très; identique;
Avant de recevoir sa visite, je reçus celle de M.le Lieutenant Général de Police, ou, pour expliquer les choses par leur nom; je subis l'interrogatoire.¨ Il me fit quelques reproches;¨ mais ils n’étaient ni durs, ni désobligeants.¨ Je m'expliquai avec lui d'une manière si respectueuse et si modérée,¨ qu'il parut extrêmement satisfait¨ de mes réponses. fus questionné; réprimandes; désagréables; douce; très content;
J’étais à réfléchir sur la conversation que j'avais eue avec M. le Lieutenant Général de Police, lorsque j'entendis ouvrir la porte de ma chambre: c’était mon père.
J'allais l'embrasser, avec toutes les marques d'une extrême¨ confusion. Il s'assit sans que ni lui, ni moi, eussions encore ouvert la bouche. Comme je demeurai(restai} debout, les yeux baisés et le tête couverte: très grande;
"Asseyez-vous, Monsieur, " me dit-il gravement,¨ "asseyez-vous. sérieusement;
Grâce au scandale de votre libertinage,¨ j'ai découvert le lieu de votre demeure. On se console¨ d'un malheur de fortune; mais quel remède contre un mal, tel que¨ les désordres d'un fils vicieux,¨ qui a perdu tous sentiments d'honneur?" vie immorale; remet; comme; immoral;
"Je vous assure, Monsieur, " lui dis-je, "je ne mérite pas des noms si durs. C'est l'Amour, vous le savez, qui a causé toutes mes fautes. Mon cher père, un peu de pitié pour un fils qui a toujours été plein de respect et d'affection¨ pour vous." amour;
"Viens, mon pauvre Chevalier, " me dit-il, "viens m'embrasser; tu me fais pitié".
Je l'embrassai; il me serra d'une manière qui me fit juger¨ de ce qui se passait dans son cœur. donna une idée;
"Mais quel moyen prendrons-nous donc, " reprit-il, "pour te tirer d'ici? Explique-moi toutes tes affaires sans déguisement."¨ mascarade;
Je lui appris¨ les sentiments que le Lieutenant Général de Police avait pour moi. racontai;
"Si vous trouvez quelques difficultés, lui dis-je, elles ne peuvent venir que de la part¨ des G... M...: ainsi, je crois qu'il serait à propos¨ que vous prissiez la peine¨ de les voir."¨ du côté; opportun; effort; rendre visite;
En me quittant, mon père alla faire une visite à M.de G... M... Il le trouva avec son fils. Je n'ai jamais les particularités¨ de leur conversation; mais ils allèrent ensemble chez M.le Lieutenant Général de Police, auquel ils demandèrent deux grâces: l'une, de me faire sortir sur-le-champ¨ du Châtelet; l'autre d'enfermer Manon pour le reste de ses jours, ou de l'envoyer en Amérique. On commençait, dans le même temps, à embarquer¨ quantité¨ de gens sans aveu¨ pour le Mississippi. M. le Lieutenant Général de Police leur donna sa parole de faire partir Manon par le premier vaisseau. ¨ M.de G... M... et mon père vinrent aussitôt m'apporter ensemble la nouvelle de ma liberté. M.de G... M... me fit in compliment civil¨ sur le passé, et, m'ayant félicité sur l'honneur que j'avais d'avoir un tel père, il m'exhorta¨ à profiter désormais¨ de ses leçons et de ses exemples :Nous sortîmes ensemble, sans avoir dit un mot de ma maîtresse. Cette fille infortunée fut conduite, une heure après, à l'Hôpital, pour y être associée¨ à quelques malheureuses qui étaient condamnées à subir¨ le même sort.¨ La malheureuse bande où elle devrait entrer était destinée à partir le surlendemain¨ du jour où nous étions. détails; immédiatement; transporter en bateau; beaucoup; ignobles, sans foi ni loi; bateau; courtois; encouragea; à l'avenir; réunie; supporter; avenir; 2 jours après;
Le seul moyen dont il semblait que je pusse espérer du changement dans le sort¨ de Manon, c’était de choisir quelques braves, qui eussent¨ le courage d'attaquer les gardes de Manon, lorsqu'ils seraient sortis de Paris avec elle. Le premier qui s'offrit a mon esprit, fut le même garde de corps que j'avais employé pour arrêter G... M...; il m'offrit affectueusement¨ ses services. situation; auraient; aimablement;
Nous employâmes une partie de la nuit à raisonner sur mon dessein¨ Il me parla de trois soldats aux gardes dont il s’était servi dans la dernière occasion. projet;
Le jour de l’exécution¨ étant venu, j'en envoyai un de grand matin¨ à l’Hôpital, pour s'instruire¨ par ses propres yeux, du moment auquel les archers¨ partiraient avec leur proie. Je fus informé par le rapport du soldat aux gardes que cette déplorable troupe prenait le chemin de Normandie, et que c'était du Havre-de-Grâce qu'elle devait partir pour l’Amérique. réalisation; très tôt; informer; policiers;
Nous nous réunîmes au bout du faubourg. Nous ne"tardâmes point à découvrir¨ les six gardes; je fus le premier a piquer mon cheval; mais la Fortune avait rejeté impitoyablement¨ mes vœux.¨ Les archers, voyant cinq chevaliers accourir vers eux, ne doutèrent point que ce ne fût pour les attaquer. Ils se mirent en défense, en préparant leurs baïonnettes et leurs fusils, d'un air résolu. Cette vue, qui ne fit que nous animer, le garde de corps et moi, ôta¨ tout d'un coup le courage a nos trois lâches¨ compagnons. Ils s’arrêtèrent, comme de concert,¨ tournèrent la tête de leurs chevaux pour reprendre le chemin de Paris. bientôt nous découvrîmes; sans pitié; désirs; chassa; peu courageux; ayant fait un accord;
"Dieux! me dit le garde du corps, qui paraissait aussi éperdu¨ que moi de cette infâme désertion; qu'allons-nous faire? Nous ne sommes que deux." perplexe;
Ne voyant de tous côtes que des sujets¨ de désespoir, je pris une résolution¨ véritablement désespérée. Ce fut de remercier mon compagnon de ses services; et, loin d'attaquer les archers, je résolus d'aller avec soumission, les prier de me recevoir dans leur troupe. motifs; décision;
"Rassurez-vous, Messieurs, " leur dis-je en les abordant,¨ je ne vous apporte point la guerre, je viens vous demander des grâces". leur adressant la parole;
Le chef de la bande me répondit que les ordres qu'ils avaient de veiller sur¨ leurs captives¨ étaient d'une extrême rigueur,¨ que je lui paraissais néanmoins¨ si joli homme, que lui et ses compagnons se relâcheraient¨ un peu de leur devoir; mais que je devais comprendre qu'il fallait m'en coûtât quelque chose. garder; prisonnières; très stricte; malgré tout; deviendraient moins stricte;
Vous dirai-je quel fut le déplorable sujet de mes entretiens¨ avec Manon, pendant, cette route? Figurez-¨ vous ma pauvre maîtresse enchaînée par le milieu du corps, assise sur quelques poignées¨ de paille. Elle était si languissante¨ et si affaiblie, qu'elle fut longtemps sans pouvoir se servir de sa langue, ni remuer¨ ses mains. Je les mouillai pendant ce temps-là de mes pleurs. conversations; imaginez; petites quantités; malade; faire des mouvements avec;
Lorsque nous arrivâmes au Hâvre, je vendis mon cheval. L'argent que, j'en tirai, joint ਠce qui me restait encore de vos libéralités¨ me composa la petite somme de dix-sept pistoles. J'en employai sept a l'achat de quelques tes soulagements¨ nécessaires à Manon. Je n'eus point de peine¨ à me faire recevoir dans le vaisseau,¨ On cherchait alors des jeunes gens qui fussent disposes ਠse joindre¨ à la colonie. Le passage et la nourriture me furent accordés¨ gratis. La poste de Paris devant partir le lendemain, j'y laissai une lettre pour Tiberge. avec; bontés; confort; difficulté; bateau; voudraient; aller; donnés;
Nous mîmes a la voile.¨ J'obtins du capitaine un lieu à part pour Manon et moi. Il eut la bonté de nous regarder d'un autre œil que le commun¨ de nos misérables associés.¨ le bateau partit; la majorité; compagnons;
Après une navigation de deux mois, nous abordâmes¨ enfin au rivage¨ désiré. Nous primes le chemin de la ville; mais nous fûmes surpris de découvrir que ce qu'on avait vanté¨ jusqu'alors comme une bonne ville, n’était qu'un assemblage¨ de quelques pauvres cabanes.¨ La maison du Gouverneur nous parut un peu distinguée¨ par sa hauteur et sa situation. arrivâmes; côte; recommandé; réunion; baraques; différent;
Nous fûmes d'abord présentés a lui. Il s'entretint¨ longtemps en secret avec le capitaine; et, lorsqu'il eut ordonné aux autres de se retirer, il nous fit demeurer,¨ elle et moi. parla; rester;
"J'apprends du capitaine, " nous dit il, "que vous êtes mariés, et qu'il vous à reconnus sur la route¨ pour deux personnes d'esprit et de mérite.¨ Je n'entre point dans les raisons qui ont causé votre malheur; mais s'il est vrai que vous ayez autant de savoir-vivre que votre figure¨ me le promet, je n’épargnerai rien¨ pour adoucir¨ votre sort.¨ pendant le voyage; respectables; air, visage; ferai tout; tempérer; malheur;
Le soir, il nous fit conduire au logement qu'on nous avait préparé. Nous trouvâmes une misérable cabane. Manon parut effrayée¨ et elle se mit à pleurer amèrement. J'entrepris¨ d'abord de la consoler,¨ mais lorsqu'elle m'eut fait entendre¨ que c’était moi seul qu'elle plaignait,¨ j'affectai¨ de montrer assez¨ de courage et même assez de joie pour lui en inspirer. paniqué; commençai; calmer; comprendre; dont elle pleurait le sort; simulai; beaucoup;
"De quoi me plaindrai-¨ je?lui dis-je.Je possède tout ce que je désire. Vous m'aimez, n'est-ce pas? Quel autre bonheur me suis-je jamais proposé? Laissons au Ciel le soin de notre fortune." lamenterai;
"Vous serez donc la plus riche personne de l'univers, " me répondit-elle, "car, s'il n'y eut jamais d'amour tel que le vôtre, il est impossible aussi d’être aime plus tendrement que vous l'êtes.J'ai été légère¨ et volage,¨ mais vous ne sauriez croire combien je suis changea." frivole; inconstante;
Ces charmantes idées changeront ma cabane en un palais digne du¨ premier roi du monde. L’Amérique me parut un lieu de délices¨ après cela. qui avait le droit de recevoir; bonheur;
"C'est au Nouvelle-Orléans qu'il faut venir, " disais-je à Manon, "quand on veut goûter les vraies douceurs de l'amour .C'est ici qu'on s'aime, sans intérêt,¨ sans jalousie, sans inconstance." égoïsme;
Nous cultivâmes soigneusement¨ l’amitié du Gouverneur. Il eut la bonté, quelques semaines après notre arrivée, de me donner un petit emploi. scrupuleusement;
L'innocence de nos occupations¨ et la tranquillité¨ où nous étions continuellement¨ servirent à nous faire rappeler insensiblement¨ des idées de religion. Manon n'avait jamais été une fille impie.¨ Je lui fis comprendre qu'il manquait une chose a notre bonheur; c'est de le activités; calme; toujours; peu à peu; irréligieuse;
faire approuver¨ du Ciel.Pour moi, je ne vous offre rien de nouveau en vous offrant mon cœur et ma main; mais je suis prêt à vous en renouveler le don au pied de l'autel". sanctionner;
Il me parut que ce discours¨ la pénétrait¨ de joie. ces paroles; remplissait;
"Croiriez-vous, " me répondit-elle, "que j'y ai pense mille fois, depuis que nous sommes en Amérique?"
J'allai chez le Gouverneur, comme j'en étais convenu¨ avec Manon, pour le prier de consentir¨ à la cérémonie de notre mariage. Le Gouverneur avait un neveu, nommé Synnelet, qui lui était extrêmement¨ cher. La beauté de Manon l'avait touché¨ dès le jour de notre arrivée. Cependant, comme il était persuadé,¨ avec son oncle et toute la ville, que j’étais réellement marie, il s’était rendu maître¨ de son amour. Je le trouvai avec son oncle, lorsque j'arrivai au fort. Je n'avais nulle raison qui m'obligeait de lui faire un secret de mon dessein,¨ de sorte que je ne fis point de difficulté de m'expliquer en sa présence. Le Gouverneur m'écouta avec sa bonté ordinaire; je lui racontai une partie de mon histoire, qu'il entendit avec plaisir, et, lorsque je le priai d'assister¨ à la cérémonie que je méditais, il eut la générosité¨ de s'engager¨ à faire toute la dépense de la fête. Je me retirai fort¨ content. avais réglé; être d’accord avec; très; impressionné; croyait; avait dominé; projet; être présent; bonté; prendre sur lui; très;
Une heure après, je vis entrer l’aumônier¨ chez moi. Je m'imaginai¨ qu'il venait me donner quelques instructions sur mon mariage; mais, après m'avoir salué froidement, il me déclara, en deux mots, que M.le Gouverneur me défendait d'y penser, et qu'il avait d'autres vues¨ sur Manon. prêtre; pensai; intentions;
"D'autres vues sur Manon!" lui dis-je avec un mortel saisissement¨ au cœur, "et quelles vues donc, Monsieur l’aumônier?" trouble;
Il me répondit que je n'ignorais pas¨ que H.le Gouverneur était le maître; que Manon ayant été envoyée de France pour la colonie, c'était à lui de disposer d'elle; qu'il ne l'avait pas fait jusqu'alors, parce qu'il la croyait mariée; mais qu'ayant appris¨ moi-même qu'elle ne l’était point, il jugeait¨ à propos¨ de la donner à M. Synnelet, qui en était amoureux. savais bien; raconté; pensait; juste;
J’étais dans une agitation que je ne saurais comparer à rien. Après une infinité de réflexions, je m’arrêtai à la résolution d'aller trouver le Gouverneur. Le sort,¨ qui voulait hâter ma ruine, me fit rencontrer Synnelet. Il lut dans mes yeux une partie de mes pensées; j'ai dit qu'il était brave; il vint à moi. fatalité;
"Ne me cherchez-vous pas?" me dit-il. Je connais¨ que mes desseins¨ vous offensent, et j'ai bien prévu qu'il faudrait se couper la gorge¨ avec vous. Allons voir qui sera le plus heureux". sais; intentions; se battre;
Nous écartâmes d'une centaine de pas hors de la ville.
Nos épées se croisèrent; l'amour conduisit mon épée, et je lui fournis¨ un coup si vigoureux¨ qu'il tomba à mes pieds, sans mouvement. Je réfléchis aussitôt sur les conséquences de cette mort. Il n y avait pour moi ni grâce, ni délai¨ de supplice¨ à espérer. Je repris le chemin de la ville. J'entrai chez moi; J'y trouvai Manon a demi morte de frayeur¨ et d’inquiétude.¨ Je ne pouvais lui déguiser¨ le terrible accident qui venait de m'arriver. donnai; fort; retard; punition; peur; alarme; cacher;
"Fuyons ensemble, " me dit-elle, "ne perdons pas un instant. Le corps de Synnelet peut avoir été trouvé par hasard, et nous n'aurions pas le temps de nous éloigner."¨ aller loin;
Nous nous éloignâmes de la ville. J'avais acquis¨ asses de connaissance du pays, depuis près de dix mois que j'étais en Amérique, pour ne pas ignorer¨ de quelle manière on apprivoisait¨ les sauvages. J'avais même appris quelques mots de leur langue. Avec cette triste ressource,¨ j'en avais une autre du côté des Anglais, qui ont, comme nous des établissements¨ dans cette partie du nouveau monde; mais nous avions à traverser, jusqu'à leurs colonies, de stériles campagnes de plusieurs journées de largeur. Nous marchâmes aussi longtemps que le courage de Manon put la soutenir. Il était déjà nuit. Nous nous assîmes au milieu d'une vaste¨ plaine.¨ appris; bien savoir; domptait; moyen; colonies; grand; terrain;
Nous avions passé tranquillement une partie de la nuit.
Je croyais ma chère maîtresse endormie. Je m'aperçus dès le point¨ du jour, en touchant ses mains, qu'elle les avait froides et tremblantes. Elle me dit d'une voix faible, qu'elle se croyait à sa dernière heure. Ses soupirs fréquents me firent connaître que la fin de ses malheurs approchait. commencement;
N'exigez¨ point de moi que je décrive mes sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières expressions. Je la perdis; je reçus d'elle des marques d'amour, au moment même qu'elle expirait.¨ demandez; mourait;
Je demeurai¨ plus de vingt~quatre heures, la bouche attachée¨ sur le visage et les mains de ma chère Manon. Enfin je formai la résolution de l'enterrer. J'ouvris une large fosse. J'y plaçai l'idole de mon cœur. J’ensevelis¨ pour toujours, dans le sein¨ de la terre, ce qu'elle avait porté de plus parfait et de plus aimable. Je me couchai ensuite sur la fosse, le visage tourné vers le sable; et, fermant les yeux, avec le dessein¨ de ne les ouvrir jamais, j'invoquais¨ le secours¨ du Ciel et attendis la mort avec impatience. restai; collée; enterrai; fond; intention; appelais; aide;
Après ce que vous venez d'entendre, la conclusion de mon histoire est de si peu d'importance, qu'elle ne mérite¨ pas la peine¨ que vous voulez bien prendre à l’écouter. vaut; effort;
Le corps de Synnelet ayant été rapporté à la ville et ses plaies¨ visitées¨ avec soin, il se trouva, non seulement qu'il n'était pas mort, mais qu'il n'avait pas même reçu de blessure dangereuse. Il apprit à son oncle de quelle manière les choses s’étaient passées entre nous. blessures; examinées;
On me fit chercher. On me trouva, sans apparence de vie, sur la fosse de Manon. Synnelet eut la générosité¨ de solliciter¨ ma grâce; il l'obtint. J’étais si faible, qu'on fut obligé de me transporter dans mon lit, où je fus retenu pendant trois mois par une violente maladie. bonté; demander;
Ce fut environ six semaines après mon rétablissement que, me promenant seul un jour sur le rivage¨ je vis arriver un vaisseau.¨ Je fus frappé d'une surprise extrême¨ en reconnaissant Tiberge. Il m'apprit que l'unique motif de son voyage avait été le désir de me voir et de m'engager¨ à retourner en France. Je ne pouvais marquer trop de reconnaissance pour un ami si généreux¨ et si constant. Je le conduisis chez moi.Je lui appris¨ tout. côte; bateau; três grande; conseiller; bon; racontai;
Nous avons passé deux mois ensemble au Nouvel-Orléans, pour attendre l'arrivée des vaisseaux¨ de France; et, nous étant mis en mer, nous primes terre, il y a quinze jours, au Havre-de-Grâce. bateaux;

19. Voltaire

19.1. Histoire de Charles XII (1731)

DISCOURS ¨ introduction;
La fureur d’écrire est venue au point qu'à peine¨ un souverain cesse de vivre,¨ que le public est inondé de¨ volumes¨ sous le nom de mémoires, d'histoires de sa vie, d'anecdotes de sa cour. Cette saintongeaise¨ de transmettre¨ à la postérité¨ des détails inutiles, et d'arrêter les yeux des siècles à venir sur des événements communs¨ vient d'une faiblesse, très ordinaire à ceux qui ont vécu dans quelque cour, et qui ont eu le malheur d'avoir quelque part¨ aux affaires publiques. Ils regardent la cour où ils ont vécu comme la plus belle qui ait jamais été, le roi qu'ils ont vu comme le plus grand monarque, les affaires dont ils se sont mêlés¨ comme ce qui a jamais été de plus important dans le monde: ils s'imaginent¨ que la postérité¨ verra tout cela avec les mêmes yeux. tout juste; meurt; fatigué; livres; désir; faire passer; avenir; ordinaires; coopération; occupés; pensent; gens après eux;
Qu'arrive-t-il? Ce prince meurt: on prend après lui des mesures toutes différentes; on oublie et les intrigues de sa cour, et ses maîtresses, et ministres, et ses généraux, et ses guerres, et lui-même.
On se serait donc bien donné de garde¨ d'ajouter cette histoire particulière¨ de Charles XIII, roi de Suède, à la multitude¨ des livres dont le public est accablé;¨ mais on n'a pas été déterminé¨ seulement à donner cette vie pour la petite satisfaction¨ d’écrire des faits extra-ordinaires; on a¨ pensé que cette lecture pourrait être utile à quelques princes. je me serais défendu; spéciale; masse; fatigué; décidé; contentement; j'ai;
On a¨ composé cette histoire sur des récits¨ de personnes connues, qui ont passé plusieurs années auprès de Charles XII et de Pierre le Grand, empereur de Moscovie, et qui, s’étant retirées dans un pays libre, longtemps après la mort de ces princes, n'avaient aucun intérêt a déguiser¨ la vérité. j'ai; histoires; masquer;
On n'a pas avancé un seul fait sur lequel on n'ait consulté des témoins oculaires¨ et irréprochables;¨ c'est pourquoi on trouvera cette histoire fort¨ différente des gazettes¨ qui ont paru jusqu'ici sous le nom de la vie de Charles XII. gens qui ont vu; intègres; très; revues;
On est obligé¨ d'avertir¨ que plusieurs choses qui étaient vraies lorsqu'on¨ écrivit cette histoire,(en l728),cessent¨ déjà de l'être aujourd'hui(en l73l). Il faut toujours, lorsqu'on lit une histoire, songer¨ au temps où l'auteur a écrit. Un homme qui ne lirait que le cardinal de Retz prendrait les Français pour des forcenés¨ qui ne respirent¨ que la guerre civile, la faction¨ et la folie. Celui qui ne lirait que l'histoire des belles années de Louis XIV dirait: les Français sont nés pour obéir, pour vaincre¨ et pour cultiver les arts. Un autre qui verrait les mémoires des premières années de Louis XV ne remarquerait dans notre nations que mollesse,¨ une avidité¨ extrême de s'enrichir,et trop d’indifférence pour tout le reste. je dois; informer; je; ne le sont plus; penser; furieux; sont obsédés par; agitation politique; triompher; faiblesse; désir;
Il faudrait dire, en parlant d'une nation: Elle paraissait telle¨ sous un tel gouvernement et en telle année. comme ça;

19.2. Lettres Anglaises (l754)

Vous voulez que je vous donne une idée générale du peuple avec lequel je vis.
C'est ici le pays des Sectes. Un Anglais, comme homme libre, va au ciel par le chemin qui lui plaît. Cependant, quoique¨ chacun puisse ici servir Dieu a sa mode, leur véritable religion, celle où l'on fait fortune, est la Secte des Épiscopaux, appelée l’église Anglicane, ou l’Église par excellence. On ne peut avoir d'emploi ni en Angleterre, ni en Irlande, sans être du nombre des fidèles¨ Anglicans; cette raison, qui est une excellente preuve,¨ a converti¨ tant de non-conformistes, qu'aujourd'hui, il n'y a pas la vingtième partie de la Nation qui soit hors du giron¨ de l’Église dominante. malgré que; un des croyants; ici:raison; fait changer de religion; groupe;
La Religion Anglicane ne s’étend¨ qu'en Angleterre et en Irlande. Le Presbytérianisme est la Religion dominante en Écosse. Ce Presbytérianisme n'est autre chose que le Calvinisme pur, tel¨ qu'il avait été établi¨ en France et qu'il subsiste¨ à Genève. se trouve; comme; fondé; existe encore;
Quoique la Secte Épiscopale et la Presbytérienne soient les deux dominantes dans la Grande Bretagne, toutes les autres y sont bienvenues¨ et vivent toutes assez bien ensemble, pendant que la plupart de leurs prédicants se détestent¨ réciproquement¨ avec presque autant de cordialité qu'un Janséniste damne¨ un Jésuite. acceptées; haïssent; l'un l'autre; envoie aux diables;
S'il n'y avait en Angleterre qu'une Religion, le despotisme serait à craindre; s'il y en avait deux, elles se couperaient la gorge; mais il y en a trente, et elles vivent en paix heureuse.
La Nation Anglaise est la seule de la terre, qui soit parvenue¨ à régler le pouvoir des Rois en leur résistant,¨ et qui, d'efforts en efforts, ait enfin établi¨ ce Gouvernement sage, où le Prince tout puissant pour faire du bien, a les mains liées pour¨ faire le mal, où les Seigneurs sont grands sans insolence¨ et sans vassaux¨ et où le peuple partage¨ le gouvernement sans confusion.¨ La Chambre des Pairs et celle des Communs sont les arbitres de la Nation, le Roi est le Sur-Arbitre. ait réussi; s'opposant à eux; installé; ne peut pas; manque de respect; dépendants; prend part au; difficulté;
Il en a coûté¨ sans doute pour établir la liberté en Angleterre; c'est dans des mers de sang qu'on a noyé¨ l'Idole du pouvoir despotique; mais les Anglais ne croient point avoir acheté trop cher de bonnes lois. a été difficile; tué;
Les autres Nations n'ont pas eu moins de troubles, n'ont pas versé moins de sang; mais ce sang qu'elles ont répandu pour la cause de leur liberté n'a fait que cimenter¨ leur servitude. consolider;

19.3. Candide ou l'optimisme (l759)

Il y avait en Westphalie,dans le château de monsieur le baron de Thunder-ten-tronckh, un jeune garçon a qui la nature avait donné les mœurs¨ les plus douces. Sa physionomie¨ annonçait son âme. Il avait le jugement¨ assez droit, avec l'esprit le plus simple; c'est, je crois, pour cette raison qu'on le nommait Candide.¨ Les anciens domestiques de la maison soupçonnaient¨ qu'il était le fils de la sœur de M.le baron. habitudes; visage; raison; (=Le Pur); supposaient;
M.le baron était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son château avait une porte et des fenêtres. Mme la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres¨ s'attirait par la une très grande considération.¨ Sa fille Cunégonde, âgée de dix-sept ans, était haute en couleur, fraîche, grasse, appétissante. Le fils du baron paraissait en tout digne de¨ son père. Le précepteur¨ Pangloss était l'oracle de la maison, et le petit Candide écoutait ses leçons avec toute la bonne foi¨ de son âge et de son caractère. demi-kilos; respect; de la même valeur; professeur privé; confiance;
Pangloss enseignait¨ la métaphysico-thélogo-cosmoloni-gologie. Il prouvait¨ admirablement qu'il n'y a point d' effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles. Candide écoutait attentivement, et croyait innocemment,¨ car il trouvait Mlle Cunégonde extrêmement¨ belle quoiqu'il ne prit jamais la hardiesse¨ de le lui dire. professait; démontrait; naïvement; très; courage;
Un jour, Cunégonde en se promenant rencontra Candide revenant au château, et rougit; Candide rougit aussi; elle lui dit bonjour d'une voix entrecoupée, et Candide lui parla sans savoir ce qu'il disait. Le lendemain après le dîner, comme on sortait de table, Cunégonde et Candide se trouvèrent derrière un paravent; Cunégonde laissa tomber son mouchoir, Candide le ramassa, elle lui prit innocemment la main, le jeune homme baisa innocemment la main de la jeune demoiselle avec une vivacité, une sensibilité, une grâce toute particulière;¨ leurs bouches se rencontrèrent, leurs yeux s’enflammèrent. spéciale;
M.le baron de Thunder-ten-tronckh passa auprès du paravent, et, voyant cette cause et cet effet, chassa Candide du château a grands coups de pied dans le derrière; Cunégonde s’évanouit;¨ elle fut souffletée¨ par Mme la Baronne dès¨ qu'elle fut revenue à elle-même; et tout fut consterné dans le plus beau et le plus agréable des châteaux possibles. perdit conscience; frappé au visage; immédiatement quand;
Candide, chassé du paradis terrestre, marcha longtemps sans savoir où. Il s’arrêta tristement à la porte d'un cabaret. Deux hommes habillés de bleu le remarquèrent:¨ Camarade," dit l'un, "mettez-vous à table; non seulement nous vous défraierons, mais nous ne souffrirons¨ jamais qu'un homme comme vous manque d'argent. N'aimez-vous pas tendrement ...?" aperçurent; tolérons;
"Oh! oui," répondit-il, "j'aime tendrement Mlle Cunégonde."
"Non," dit l'un de ces messieurs, "nous vous demandons si vous n'aimez pas tendrement le roi des Bulgares."
"Point du tout," dit-il, car je ne l'ai jamais vu.
"Comment! c'est le plus charmant des rois, et il faut boire à sa santé."
"Oh! très volontiers ¨ Messieurs," et il boit. avec plaisir;
"C'en est assez," lui dit-on, "vous voila l'appui,¨ le soutien, le défenseur, le héros des Bulgares, votre fortune est faite, et votre gloire est assurée." aide;
On lui met sur-le-champ¨ les fers aux pieds, et on le mène au régiment. Le régiment était compose de deux mille hommes, quand le roi des Bulgares livra bataille au roi des Arabes. Rien n’était si beau, si leste,¨ si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les canons renversèrent¨ d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté; ensuite la mousqueterie¨ ôta¨ du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins.¨ Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. immédiatement; vif; abattirent; fusillade; élimina; méchants;
Enfin,tandis¨ que les deux rois faisaient chanter des "Te Deum"¨ chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il s'enfuit au plus vite dans un autre village; il appartenait a des Bulgares. pendant; (pour remercier Dieu);
Candide, toujours marchant, arriva enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques provisions dans son bissac, et n'oubliant jamais Mlle Cunégonde. Ses provisions lui manquèrent quand il fut en Hollande; mais, ayant entendu dire que tout le monde était riche dans ce pays-là, et qu'on y était chrétien, il ne doute pas qu'on le traitât¨ aussi bien qu'il l'avait été dans le château de monsieur le baron avant qu'il en eût été chassé pour les beaux yeux de Mlle Cunégonde. reçût;
Il demanda l'aumône¨ à plusieurs graves personnages, qui lui répondirent tous que, s'il continuait à faire ce métier, on l'enfermerait dans une maison de correction¨ pour lui apprendre à vivre. don d'argent; prison;
Un homme qui n'avait pas été baptise, un bon anabaptiste, nommé Jacques, vit la manière cruelle dont on traitait ainsi un de ses frères; il l'amena chez lui, le nettoya, lui donna du pain et de la bière, lui fit présent de deux florins.
Le lendemain, en se promenant, il rencontra un gueux¨ tout couvert de pustules,¨ les yeux morts. Le fantôme le regarda fixement, versa¨ des larmes et sauta à son cou. Candide, effrayé¨ recule.¨ pauvre; tumeurs; pleura; paniqué; fait un pas en arrière;
"Hélas!" dit le misérable, "ne reconnaissez-vous plus votre cher Pangloss?"
"Qu'entends-je? Vous mon cher maître! vous, dans cet état horrible! Quel malheur vous est-il donc arrivé?"
"Je n'en peux plus," dit Pangloss. Aussitôt Candide le mena dans l’étable de l'anabaptiste, ou il lui fit manger un peu de pain; et quand Pangloss fut refait: "Eh bien," lui dit-il, "Cunégonde?"
"Elle est morte", reprit l'autre.
"Cunégonde est morte! Ah! meilleur des mondes, où êtes-vous? Mais de quelle maladie est-elle morte?"
"Elle a été éventrée¨ par des soldats bulgares; ils ont cassé la tête a M.le baron, qui voulait la défendre; Mme la baronne a été coupée en morceaux; mon pauvre pupille, traité précisément comme sa sœur; et quant au¨ château, il n'est pas resté pierre sur pierre." tuée par des coups de couteaux; pour le;
"O Pangloss!" s’écria Candide; "mais il faut vous faire guérir."
"Et comment le puis-je?" dit Pangloss, "je n'ai pas le sou, mon ami".
Ce discours¨ détermina¨ Candide; il alla se jeter aux pieds de son charitable¨ anabaptiste Jacques; le bonhomme n’hésite pas à recueillir¨ le docteur Pangloss; il le fit guérir à ses dépens.¨ Pangloss, dans la cure, ne perdit qu'un œil et une oreille. Il écrivait bien et savait parfaitement l’arithmétique; L'anabaptiste Jacques en¨ fit son teneur de livres. paroles; décida; bon; recevoir chez lui; en payant lui-même; de lui;
Au bout de¨ deux mois, étant obligé d'aller à Lisbonne pour les affaires de son commerce, il mena dans son vaisseau¨ ses deux philosophes. Pangloss lui expliqua comment tout on n’était pas mieux. Jacques n’était pas de cet avis.¨ Tandis qu'il raisonnait,¨ l'air s'obscurcit, les vents soufflèrent des quatre coins du monde, et le vaisseau fut assailli¨ de la plus horrible tempête à la vue du port de Lisbonne. Le vaisseau s'entrouvre, tout après; bateau; opinion; argumentait; attaqué;
périt¨ à la réserve de Pangloss et de Candide. mourut;
Quand ils furent revenus un peu à eux, ils marchèrent vers Lisbonne. À peine ont-ils mis le pied dans la ville, en pleurant la mort de leur bienfaiteur, qu'ils sentent la terre trembler sous leurs pas; les maisons s’écroulent,¨ trente mille habitants de tout âge et de tout sexe sont écrasés sous des ruines. tombent en ruine;
Le lendemain ils travaillèrent comme les autres à soulager¨ les habitants échappés à la mort. Quelques citoyens secourus¨ par eux leur donnèrent un aussi bon dîner qu'il le pouvait dans un tel désastre.¨ Il est vrai que le repas était triste; les convives¨ arrosaient leur pain de leurs larmes; mais Pangloss les consola¨ en les assurant que les choses ne pouvaient être autrement: "Car," dit-il, "tout ceci est ce qu'il y a de mieux. Car, s'il y a un volcan à Lisbonne, il ne pouvait être ailleurs. Car c'est impossible que les choses ne soient pas où elles sont. Car tout est bien". aider; aidés; catastrophe; invités; calma;
Un petit homme noir, familier¨ de l'Inquisition, lequel était à côté de lui, prit poliment la parole et dit: habitué;
"Apparemment¨ que monsieur ne croit pas au péché originel; ¨ car, si tout est au mieux, il n'y a donc eu ni chute, ni punition." visiblement; péché d'Adam;
"Je demande très humblement pardon à Votre Excellence," répondit Pangloss encore plus poliment, "car la chute de l'homme et la malédiction¨ entraient nécessairement dans le meilleur des mondes possibles." condamnation par Dieu;
"Monsieur ne croit donc pas à la liberté?" dit le familier.
"Votre Excellence m'excusera," dit Pangloss; "la liberté peut subsister avec la nécessité absolue; car il était nécessaire que nous fussions libres; car enfin la volonté déterminée...".
Pangloss était au milieu de sa phrase, quand le familier fit un signe de tête à son estafier¨ qui lui servait à boire du vin de Porto, ou d'Oporto. valet;
Après le tremblement de terre qui avait détruit¨ les trois quarts de Lisbonne, les sages du pays avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fe;¨ il était décidé par l’université de Coïmbre que le spectacle, de quelques personnes brûlées à petit feu en grande cérémonie, est un secret infaillible¨ pour empêcher la terre de trembler. On avait en conséquence saisi¨ un Biscayen et deux Portugais; on vint lier¨ après le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l'un pour avoir parlé, et l'autre pour avoir écouté avec un air d'approbation;¨ tous deux furent menés séparément¨ dans des appartements d'une extrême fraîcheur,¨ dans lesquels on n’était jamais incommodé du soleil. Candide, épouvanté,¨ interdit,¨ éperdu¨ tout sanglant, tout palpitant¨ se disait a lui-même; "Si c'est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres?" lorsqu'une vieille l'aborda¨ et lui dit: "Mon fils, prenez courage, suivez-moi". ravagé; punition par le feu; parfait; arrêté; arrêter et lier; adhésion; à part; froideur; effrayé; perplexe; agité; tremblant; s'adressa à lui;
Candide ne prit point courage, mais il suivit la vieille dans une masure;¨ elle lui donna à manger et a boire. "Mangez, buvez et dormez," lui dit-elle, "je reviendrai demain". baraque;
Candide, malgré tant de malheurs, mangea et dormit. Le lendemain la vieille lui apporte à déjeuner; elle revint sur le soir. "Venez avec moi," dit-elle, "et ne dites mot".
Elle le prend sous le bras, et marche avec lui dans la campagne environ un quart de mille¨ ils arrivent a une maison isolée, entourée de jardins et de canaux. La vieille frappe à une petite porte. On ouvre; elle mens Candide dans un cabinet doré, le laisse sur un canapé de brocart, referme la porte, et s'en va. 1 mille=l6O9 mètres;
La vieille reparut bientôt; elle soutenait avec peine¨ une femme tremblante; d'une taille¨ majestueuse et couverte d'un voile. "Ôtez¨ ce voile," dit la vieille à Candide. Le jeune homme approche;¨ il lève le voile d'une main timide. difficilement; corps; retirez; vient plus près;
Quel moment! quelle surprise! il croit voir Mlle Cunégonde; il la voyait en effet,¨ c’était elle-même. La vieille prit alors la parole et dit: "Il Y a trois chevaux andalous dans l’écurie; montons vite à cheval, et allons a en vérité;
Cadix. Aussitôt Candide selle les trois chevaux. Cunégonde, la vieille et lui font trente milles d'une traite.¨ sans arrêt;
A Cadix, on équipait¨ une flotte,¨ et on y assemblait¨ troupes pour mettre à la raison¨ les révérends pères jésuites du Paraguay, qu'on accusait d'avoir fait révolter¨ une de leurs hordes contre les rois d'Espagne et du Portugal. Candide, ayant servi chez les Bulgares, fit l'exercice bulgarien devant le général de la petite armée avec tant de grâce, qu'on lui donna une compagnie d'infanterie à commander. Le voilà capitaine; il s'embarque avec Mlle Cunégonde, la vieille, deux valets. des préparait; des bateaux; réunissait; soumettre; rebeller;
On aborda¨ dans Buenos Aires. Cunégonde, le capitaine Candide et la vieille allèrent chez le gouverneur Don Fernando d'Ibaraa, y Figueora, y Mascarenes, y Lampourdos, y Souza. Cunégonde lui parut ce qu'il avait jamais vu de plus beau. Il ordonna au capitaine Candide d'aller faire la revue¨ de sa compagnie. Candide obéit; le gouverneur demeura¨ avec Mlle Cunégonde. Il lui déclara sa passion, lui protesta¨ que le lendemain il l’épouserait à la face de L’Église, ou autrement, ainsi¨ qu'il plairait a ses charmes. Cunégonde lui demanda un quart d'heure pour se recueillir,¨ pour consulter la vieille et pour se déterminer.¨ arriva; inspection; resta; assura; comme; méditer; décider;
La vieille dit à Cunégonde: "Mademoiselle, il ne tient¨ qu'à vous d'être la femme du plus grand seigneur de l’Amérique méridionale¨ qui a une très belle moustache. J'avoue¨ que si j’étais à votre place, je ne ferais aucun scrupule d’épouser M.le gouverneur et de faire la fortune de M.le capitaine Candide". Tandis¨ que la vieille parlait avec toute la prudence¨ que l'âge et l’expérience¨ donnent, on vit entrer dans le port un petit vaisseau;¨ il portait un alcade et des alguazils¨ et voici ce qui était arrive. dépend; du sud; reconnais; pendant; réflexion; pratique; bateau; militaires;
La fuite de Cunégonde et de Candide était déjà connue.
On les suivit à Cadix; on envoya sans perdre de temps un vaisseau à leur poursuite.¨ Le vaisseau était déjà dans le port de Buenos Aires. La prudente¨ vieille vit dans l'instant¨ tout ce qui était à faire. après eux; attentive; immédiatement;
"Vous ne pouvez fuir," dit~elle à Cunégonde, "et vous n'avez rien à craindre¨ et le gouverneur qui vous aime, ne souffrira¨ pas qu'on vous maltraite;¨ demeurez.¨ Elle court sur-le-champ¨ à Candide: pas à avoir peur; tolérera; brutalise; restez; immédiatement;
"Fuyez," dit-elle, "ou, dans une heure, vous allez être brûlé". Il n'y avait pas un moment à perdre.
Candide avait amené de Cadix un valet; c’était un quart d'Espagnol, né d'un métis de Tucuman; il avait été enfant de chœur, sacristain, matelot, moine,¨ facteur, soldat, laquais. Il s'appelait Cacambo, et aimait fort¨ son maître. Il sella au plus vite les deux chevaux andalous. religieux; beaucoup;
"Allons,mon maître, suivons le conseil de la vieille; partons,et courons sans regarder derrière nous".
Candide versa des larmes.¨ pleura;
"Ou me mènes-tu? ou allons-nous? que ferons-nous sans Cunégonde?" disait Candide.
"Tournons vers la Cayenne," dit Cacambo; "nous y trouverons des Français; ils pourront nous aider.Dieu aura peut-être pitié de nous".
Il n'était pas facile d'aller à la Cayenne; leurs chevaux moururent de fatigue; leurs provisions furent consumées.¨ Cacambo dit a Candide: "Nous n'en pouvons plus, nous avons assez marché; j'aperçois un canot vide sur le rivage,¨ laissons-nous aller au courant". détruites; bord;
Ils vaguèrent¨ quelques lieues¨ entre des bords tantôt¨ fleuris,tantôt¨ arides.¨ Au bout de vingt-quatre heures leur canot se fracassa¨ contre les écueils;¨ il fallut se traîner de rocher en rocher pendant une lieue entière; enfin ils découvrirent un horizon immense, bordé de montagnes. Candide mit pied à terre avec Cacambo auprès du premier village qu'il rencontra. Quelques enfants du village, couverts de brocarts d'or, jouaient au palet¨ à l’entrée du bourg.¨ Nos hommes de l'autre monde s'amusèrent à les regarder; leurs palets¨ étaient d'assez larges pièces rondes, jaunes, rouges, vertes, qui jetaient un éclat¨ singulier.¨ Il prit envie aux"voyageurs¨ d'en ramasser quelques-uns; c'était de l'or, des émeraudes¨ , des rubis. Les voyageurs, ne manquèrent pas de ramasser l'or, les rubis et les émeraudes. naviguèrent; (±4km); à un moment; à un autre moment; secs; cassa; rocher; (certain jeu); village; pierres du jeu; lumière; extraordinaire; les v. voulurent; pierre précieuse;
"Ou sommes-nous?" s’écria Candide. Cacambo était aussi surpris que Candide. Ils s’approchèrent enfin de la première maison du village. Une musique délicieuse de cuisine se faisait sentir. Cacambo s'approcha de la porte."
Je vous servirai d’interprète,¨ " dit-il à Candide; "entrons,c'est ici un cabaret". traducteur;
Aussitôt deux garçons et deux filles de l'hôtellerie les invitent à se mettre à la table de l'hôte.¨ Quand le repas fut fini, Cacambo crut, ainsi que¨ Candide bien payer son écot.¨ "Messieurs,dit l’hôte, nous voyons bien que vous êtes des étrangers. Toutes les hôtelleries établies¨ pour la commodité¨ du commerce sont payées par le gouvernement." patron; comme; repas; fondées; confort;
Cacambo expliquait tous les discours¨ de l’hôte. paroles;
"Quel est donc ce pays," se disaient-ils l'un et l'autre, "inconnu a tout le reste de la terre,et où toute la nature est d'une espèce¨ si différente de la notre? C'est probablement le pays où tout va bien". genre;
Cacambo témoigna¨ à son hôte toute sa curiosité; l'hôte lui dit:"Je suis fort ignorant¨ et je m'en trouve bien; mais nous avons ici un vieillard retiré de la cour¨ qui est le plus savant homme du royaume, et le plus communicatif.¨ Aussitôt il mène Cacambo chez le vieillard. montra; très peu instruit; (cour du rd); qui aime parler;
Le vieillard reçut les deux étrangers et satisfit¨ leur curiosité en ces termes: contenta;
"Je suis âgé de cent soixante et douze ans. Le royaume où nous sommes est l'ancienne patrie des Incas. Les Espagnols ont eu une connaissance confuse¨ de ce pays, ils l'ont appelé El Dorado". peu claire;
La conversation fut longue; elle roula sur la forme du gouvernement, sur les mœurs,¨ sur les femmes,sur les spectacles publics, sur les arts. Enfin Candide,qui avait toujours du goût¨ pour la métaphysique,fit demander par Cacambo si dans le pays il y avait une religion. habitudes; préférence;
Le vieillard rougit un peu. "Comment donc,dit-il,en pouvez-vous douter? Est-ce que vous nous prenez¨ pour des ingrats?¨ Nous avons,je crois,la religion de tout le monde; nous adorons Dieu du soir jusqu'au matin". tenez; gens peu reconnaissants;
Candide voulut savoir comment on priait Dieu dans l'Eldorado.
"Nous ne le prions point," dit le bon et respectable sage; "nous n'avons rien à lui demander;il nous a donné tout ce qu'il nous faut;nous le remercions sans cesse."¨ sans arrêt;
Candide eut la curiosité de voir des prêtres; il fit demander où ils étaient. Le bon vieillard sourit."Mes amis nous sommes tous prêtres".
"Quoi! vous n'avez point de moines qui enseignent,¨ qui disputent,qui gouvernent,¨ qui cabalent,¨ et qui font brûler les gens qui ne sont point de leur avis?¨ " font la leçon; dirigent; complotent; opinion;
"Il faudrait que nous fussions fous,¨ " dit le vieillard; "nous sommes tous ici du même avis,et nous n'entendons pas ce que vous voulez dire avec vos moines. Candide à tous ces discours demeurait¨ en extase. idiots; restait;
Après cette longue conversation,le bon vieillard fit atteler un carrosse à six moutons, et donna douze de ses domestiques aux deux voyageurs pour les conduire à la cour. Sa Majesté les reçut avec toute la grâce imaginable.
Ils passèrent un mois dans cet hospice.¨ Candide ne cessait¨ de dire à Cacambo: "Il est vrai, mon ami, encore une fois, que le château où je suis né ne vaut pas le pays où nous sommes; mais enfin Mlle Cunégonde n'y est pas, et vous avez sans doute quelque maîtresse en Europe. Si nous restons ici, nous n'y serons que comme les autres; au lieu que¨ si nous retournons dans notre monde seulement avec douze moutons chargés de cailloux d'Eldorado, nous serons plus riches que tous les rois ensemble, nous n'aurons plus d'inquisiteurs à craindre, et nous pourrons aisément¨ reprendre Mlle Cunégonde". asile; arrêtait; mais; facilement;
Ce discours plut à Cacambo; on aime tant à courir, à se faire valoir chez les siens, à faire parade de ce qu'on a vu dans ses voyages, que les deux heureux résolurent de ne plus l’être et de demander leur congé¨ à Sa Majesté. permission de partir;
Ce fut un beau spectacle que leur départ.
La première journée de nos voyageurs fut assez agréable. À la seconde journée deux de leurs moutons s'enfoncèrent¨ dans des marais¨ ; sept ou huit périrent¨ ensuite de faim dans un désert; d'autres tombèrent au bout de quelques jours dans des précipices.¨ Enfin, après cent jours de marche, il ne leur resta que deux moutons. Candide dit à Cacambo: "Mon ami,vous voyez comme les richesses de ce monde sont périssables;¨ il n'y a rien de solide que la vertu¨ et le bonheur de revoir Mlle Cunégonde. disparurent; terrains humides; moururent; trous; peu durables; intégrité;
"Je l'avoue,¨ " dit Cacambo; "mais il nous reste encore deux moutons avec plus de trésors¨ que n'en aura jamais le roi d’Espagne, et je vois de loin une ville que je soupçonne¨ être Surinam, appartenant aux Hollandais. Nous sommes au bout¨ de nos peines.¨ " reconnais; richesses; suppose; fin; problèmes;
La première chose dont ils s'informent, c'est s'il n'y a point au port quelque vaisseau¨ qu'on pût envoyer à Buenos Aires. Celui à qui ils s’adressèrent était justement un patron espagnol, qui s'offrit à faire avec eux un marché¨ honnête.¨ Candide,qui avait le cœur sur les lèvres conta à l'Espagnol toutes ses aventures, et lui avoua¨ qu'il voulait enlever¨ Mlle Cunégonde. bateau; contrat; correct; garde-dit en confiance; kidnapper;
"Je me garderai bien de vous passer¨ à Buenos Aires," dit le patron; "je serais pendu et vous aussi. La belle Cunégonde est la maîtresse favorite de monseigneur". transporter;
Ce fut un coup de foudre pour Candide; il pleura longtemps; enfin il tira à part Cacambo:
"Voici mon cher ami," lui dit-il, "ce qu'il faut que tu fasses.Nous avons chacun dans nos poches pour cinq ou six millions de diamants; tu es plus habile que moi; va prendre Mlle Cunégonde a Buenos Aires. Si le gouverneur fait quelque difficultés, donne-lui un million; s'il ne se rend pas, donne-lui en deux; tu n'as pas tué d'inquisiteur, on ne se défiera¨ point de toi. J’équiperai¨ un autre vaisseau; j'irai t'attendre à Venise." méfiera; préparerai;
Cacambo partit des le jour même. Candide resta encore quelque temps à Surinam. Enfin,un vaisseau français étant sur le point de partir pour Bordeaux, il loua une chambre du vaisseau à juste prix.
Un pauvre savant, qui s'appelait Martin, s'embarqua pour Bordeaux avec Candide. L'un et l'autre avaient beaucoup vu et beaucoup souffert,¨ de quoi s'entretenir¨ du mal moral et du mal physique pendant tout le voyage. eu beaucoup de mal; parler;
Cependant Candide avait un grand avantage¨ sur Martin, c'est qu'il espérait toujours revoir Mlle Cunégonde. supériorité;
"Mais vous,monsieur Martin," dit-il au savant, "que pensez-vous de tout cela? Quelle est votre idée sur le mal moral et le mal physique?"
"Monsieur," répondit Martin," je vous avoue qu'en jetant la vue¨ sur ce globe¨ je pense que Dieu l'a abandonné à quelque être¨ malfaisant" regard; monde; créature;
"Il y a pourtant du bon," répliqua Candide.
"Cela peut être," disait Martin, "mais je ne le connais pas".
On aperçut enfin les côtes de France.
"Avez-vous jamais été en France, monsieur Martin?" dit Candide.
"Oui," dit Martin, "j'ai parcouru¨ plusieurs provinces.Il y en a où la moitie des habitants est folle;¨ quelques-unes où l'on est trop rusé, d'autres où l'on est communément¨ assez doux et assez bête, d'autres où l'on fait le bel esprit; et, dans toutes, la principale occupation¨ est l'amour, la seconde de médire¨ et la troisième de dire des sottises." traversé; idiote; en général; activité; dire du mal;
"Mais, monsieur Martin, avez-vous vu Paris?"
"Oui, j'ai vu Paris; il tient de¨ toutes ces espèces¨ là;c'est un chaos, c'est une presse¨ dans laquelle tout le monde cherche le plaisir, et où presque personne ne le trouve". ressemble à; genres; masse;
En raisonnant ainsi, ils arrivent à Bordeaux.
Il y avait un petit vaisseau hollandais à la rade.¨ Candide fit son marché avec le patron hollandais pour le conduire sans délai¨ à Venise Dès qu“il fut à Venise, il fit chercher Cacambo dans tous les cabarets, dans tous les cafés et ne le trouva point. Il tomba dans une mélancolie noire. port; immédiatement;
Cependant les jours, les semaines s’écoulaient.¨ Un soir que Candide, suivi de Martin, allait se mettre à table avec les étrangers qui logeaient dans la même hôtellerie, un homme à visage couleur de suie l'aborda¨ par derrière, et, le prenant par le bras,lui dit: "Soyez prêt a partir avec nous; n'y manquez pas". Il se retourne et voit Cacambo. Il fut sur le point de devenir fou de joie. Il embrasse son cher ami. passèrent; lui adressa la parole;
"Cunégonde est ici, sans doute; où est-elle? Mène-moi vers elle, que je meure de joie avec elle."
"Cunégonde n'est point ici," dit Cacambo, "elle est à Constantinople."
"Que fait Cunégonde? Est-elle toujours un prodige¨ de beauté? M'aime-t-elle toujours? Comment se porte-t-elle?¨ Tu lui as sans doute acheté un palais à Constantinople?" miracle; va-t-elle;
"Mon cher maître," répondit Cacambo, "Cunégonde lave les écuelles¨ sur le bord de la Propontide, chez un prince qui a très eu d’écuelles; elle est esclave dans la maison d'un ancien souverain nommé Ragotski; mais ce qui est bien plus triste, c'est qu'elle a perdu sa beauté et qu'elle est devenue horriblement laide." assiettes;
"Ah! belle ou laide," dit Candide, "je suis honnête¨ homme, mon devoir est de l'aimer toujours". et d'honneur;
Candide se jeta dans une galère¨ avec ses compagnons, pour aller sur le rivage¨ de la Propontide chercher Cunégonde, quelque laide qu'elle pût être. bateau ramé par des forçats; bord;
Il y avait dans la chiourme¨ deux forçats¨ qui ramaient¨ fort mal, et à qui le patron appliquait¨ de temps en temps quelques coups sur les épaules. Candide,par mouvement¨ naturel, les regarda plus attentivement que les autres galériens, et s'approcha d'eux avec pitié. Quelques traits de leurs visages lui parurent avoir un peu de ressemblance¨ avec Pangloss et avec ce malheureux jésuite, ce baron, ce frère de Mlle Cunégonde. Cette idée l’émut¨ et l'attrista. Il les considéra¨ encore plus attentivement. équipe; condamnes; faisaient avancer le bateau; donnait; tendance; caractéristiques de; émotionna; regarda;
"En vérité, dit-il à Cacambo, je croirais que ce sont .."
Les deux forçats poussèrent un grand cri, s'arrêtèrent sur leur banc et laissèrent tomber leurs rames. Le patron accourait sur eux, et les coups redoublaient.
"Arrêtez, arrêtez, Seigneur," s’écria Candide, "je vous donnerai tant d'argent que vous voudrez."
"Chien de chrétien," répondit le patron, "puisque ces deux chiens de forçats chrétiens sont des barons et des métaphysiciens, tu m'en donnera cinquante mille sequins."
"Vous les aurez, Monsieur; ramenez-moi comme un éclair à Constantinople."
Pendant que Candide, le baron, Pangloss, Martin et Cacambo contaient leurs aventures, ils abordèrent¨ sur le rivage¨ de la Propontide à la maison du prince de Transylvanie. Les premiers objets qui se présentèrent furent arrivèrent; bord;
Cunégonde et la vieille, qui étendaient des serviettes plaçaient sur des ficelles¨ pour les faire sécher. cordes;
Candide les racheta toutes deux.
Cunégonde ne savait pas qu'elle était enlaidie, personne ne l'en avait avertie;¨ elle fit souvenir Candide de ses promesses avec un ton si absolu que le bon Candide n'osa pas la refuser.I l signifia¨ donc au baron qu'il allait se marier avec sa sœur. informée; fit savoir;
"Je ne souffrirai¨ jamais," dit le baron,une telle bassesse¨ de sa part et une telle insolence¨ de la vôtre. Tu peux me tuer, mais tu n'épouseras pas ma sœur de mon vivant". tolérerai; manque d'honneur; manque de respect;
Candide, dans le fond de son cœur, n'avait aucune envie¨ d’épouser Cunégonde. Mais l'impertinence extrême du baron le déterminait¨ à conclure¨ le mariage, et Cunégonde le pressait si vivement qu'il ne pouvait s'en dédire.¨ désir; décidait; faire; y manquer;
Il consulte Pangloss, Martin et le fidèle Cacambo. Cacambo décida qu'il fallait le rendre au patron et le remettre aux galères, après quoi on l'enverrait à Rome au
père général¨ par le premier vaisseau. L'avis fut trouvé fort bon; la vieille l'approuva;¨ on n'en dit rien à sa sœur; la chose fut exécutée¨ pour quelque argent, et on eut le plaisir d'attraper¨ un jésuite et de punir l'orgueil¨ d'un baron allemand. chef des jésuites; fut d' accord; réalisée; duper; prétention;
Il était tout naturel d'imaginer qu’après tant de désastres,¨ Candide, marié avec sa maîtresse et vivant avec le philosophe Pangloss, le philosophe Martin,le prudent¨ Cacambo et la vieille, ayant d'ailleurs¨ rapporte tant de diamants de la patrie des anciens Incas, mènerait la vie du monde la plus agréable; mais il fut tant friponné¨ par les Juifs qu'il ne lui resta plus rien que sa petite métairie;¨ sa femme, devenant tous les jours plus laide, devint acariâtre¨ et insupportable;¨ la vieille était infirme¨ et fut encore de plus mauvaise humeur que Cunégonde. Cacambo, qui travaillait au jardin, et qui allait vendre des légumes à Constantinople, êtait excédé¨ de travail et maudissait¨ sa destinée.¨ Pangloss était au désespoir de ne pas briller dans quelque université d'Allemagne. Pour Martin, il était fermement persuadé¨ qu'on est également mal partout; il prenait les choses en patience. catastrophes; réfléchi; d'autre part; dupé; ferme; difficile; irritant; invalide; surchargé; abominait; mauvaise fortune; d'opinion;
Il y avait dans le voisinage¨ un derviche¨ très fameux qui passait pour¨ le meilleur philosophe de la Turquie; ils allèrent le consulter; Pangloss porta la parole, et lui dit: "Maître, nous venons vous prier de nous dire pourquoi un aussi étrange animal que l'homme a été formé." environs; religieux musulman; avait la réputation d'être;
"De quoi te mêles-tu,¨ " dit le derviche, "est-ce là ton affaire?" t'occupes;
"Mais, mon révérend père," dit Candide, "il y a horriblement de mal sur la terre."
"Qu'importe!¨ " dit le derviche, "qu'il y ait du mal ou du bien? Quand sa Hautesse envoie un vaisseau en Égypte, s'embarrasse-¨ t-elle si les souris qui sont dans le vaisseau sont à leur aise¨ ou non?" Ce n'est pas important; se trouble; confortable;
"Que faut-il donc faire?" dit Pangloss.
"Te taire.¨ " dit le derviche. ne pas parler;
"Je me flattais,¨ " dit Pangloss, "de me raisonner un peu avec vous des effets et des causes, du meilleur des mondes possibles, de l'origine du mal, de la nature de l’âme et de l'harmonie préétablie¨ " espérais; déterminé;
Le derviche, à ces mots, leur ferma la porte au nez.
Candide, en retournant dans sa métairie¨ fit de profondes réflexions¨ sur le discours du Turc. "Travaillons sans raisonner," dit Martin; "c'est le seul moyen de rendre¨ la vie supportable".¨ ferme; méditations; faire; acceptable;
Toute la petite société entra dans¨ ce louable dessein;¨ chacun se mit¨ à exercer¨ ses talents. La petite terre rapporta¨ beaucoup. Cunégonde était à la vérité bien laide, mais elle devint une excellente pâtissière; la vieille eut soin du linge; et Pangloss disait quelquefois à Candide: "Tous les événements sont enchaînés¨ dans le meilleur des mondes possibles; car enfin, si vous n'aviez pas été chassé d'un beau château à grands coups de pieds dans le derrière pour l'amour de Mlle Cunégonde, si vous n'aviez pas été mis à l'inquisition, si vous n'aviez pas couru l’Amérique à pied, si vous n'aviez pas perdu vos moutons du bon pays d'Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des cédrats¨ confits et des pistaches." était d'accord avec; au bon intention; commença; réaliser; produisit; coordonnés; (certains fruits);
"Cela est bien dit," répondit Candide, "mais il faut cultiver notre jardin."

20. Montesquieu

20.1. De l'esprit des lois (1748)

PRÉFACE
J'ai d'abord examine les hommes et j'ai cru que, dans cette infinie diversité des lois et des mœurs, ¨ ils n’étaient pas uniquement¨ conduits¨ par leurs fantaisies. Je n'ai point tire mes principes de mes préjuges, ¨ mais de la nature des choses. habitudes; exclusivement; menés; parti-pris;
Les lois, dans la signification la plus étendue¨ sont les rapports¨ nécessaires qui dérivent¨ de la nature des choses: et, dans ce sens¨ tous les êtres ont leurs lois; la Divinité¨ a ses lois; le monde matériel a ses lois; les intelligences supérieures à l'homme ont leurs lois; les bêtes ont leurs lois; l'homme a ses lois. totale; relations; résultent; signification; Dieu;
Les êtres particuliers peuvent avoir des lois qu'ils ont faites. Avant qu'il y eût des êtres intelligents , ils étaient possibles; ils avaient donc des rapports possibles, et par conséquence des lois possibles.
Il y a trois espèces¨ de gouvernements: le RÉPUBLICAIN, le MONARCHIQUE et le DESPOTlQUE. Pour en découvrir la nature¨ il suffit¨ de l’idée qu'en ont les hommes les moins instruits. Je suppose¨ trois définitions, ou plutôt trois faits: l'un que "le gouvernement républicain est celui où le peuple en corps¨ ou seulement une partie du peuple, a la souveraine puissance;¨ le monarchique, celui où un seul gouverne, mais par des lois fixes¨ et établies¨ au lieu que, dans le despotique, un seul, sans loi et sans règle, entraîne¨ tout par sa volonté et par ses caprices.¨ genres; caractère; est assez; prend comme hypothèse; entier; autorité; invariables; définitives; dirige; humeurs;
Lorsque, dans la république, le peuple en corps a la souveraine puissance, c'est une Démocratie. Lorsque la souveraine puissance est entre les mains d'une partie du peuple, cela s'appelle une Aristocratie.
Le peuple, dans la démocratie, est, à certains égards¨ le monarque;à certains autres, il est le sujet.¨ Il ne peut être monarque que par les suffrages¨ qui sont ses volontés.¨ Les lois qui établissent¨ le droit de suffrage sont donc fondamentales dans ce gouvernement. points; subordonné; élections; décisions; règlent;
Le peuple qui a la souveraine puissance doit faire par lui-même tout ce qu'il peut bien faire; et ce qu'il ne peut pas bien faire, il faut qu'il le fasse par ses ministres. Ses ministres ne sont pas à lui, s'il ne les nomme¨ pas; c'est donc une maxime¨ fondamentale de ce gouvernement que le peuple nomme ses ministres, c'est à dire ses magistrats. choisit; règle;
Les pouvoirs intermédiaires, subordonnés et dépendants, constituent¨ la nature du gouvernement monarchique, c'est à dire de celui ou un seul gouverne par des lois fondamentales. En effet¨ dans la monarchie, le prince¨ est la source¨ de tout pouvoir politique et civil. forment; vérité; monarque; origine;
Le pouvoir intermédiaire subordonné le plus naturel est celui de la noblesse. Elle entre en quelque façon¨ dans l'essence¨ de la monarchie, dont la maxime¨ fondamentale est: point de monarque, point de noblesse; point de noblesse, point de monarque. Abolissez¨ dans une monarchie les prérogatives¨ des seigneurs, du clergé, ¨ de la noblesse et des villes, vous aurez bientôt un État populaire, ou bien un État despotique. pour ainsi; essentiel; règle; retirez; privilèges; prêtres;
Il ne faut pas beaucoup de probité¨ pour qu'un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintienne¨ ou se soustienne.¨ La force des lois dans l'un, le bras du prince toujours levé dans l'autre, règlent ou contiennent¨ tout. Mais, dans un État populaire, il faut un ressort¨ de plus¨ qui est la VERTU. intégrité; défende; consolide; maîtrisent; force; extra;
Le gouvernement monarchique suppose des prééminences, ¨ des rangs, et même une noblesse d'origine. La nature de l'HONNEUR est de demander des préférences et des distinctions;¨ il¨ est donc, par la chose même, placé dans ce gouvernement. supériorités; raffinements; (=l’honneur);
Comme il faut de la vertu dans une république, et dans une monarchie de l'honneur, il faut de la crainte¨ dans un gouvernement despotique: pour¨ la vertu, elle n'y est point nécessaire, et l'honneur y serait dangereux. peur, terreur; si on parle de;
La corruption de chaque gouvernement commence presque toujours par celle des principes.
Le principe de la démocratie se corrompt¨ non seulement lorsqu'on perd l'esprit d'égalité, mais encore¨ quand on prend¨ l'esprit d’égalité extrême¨ et que chacun veut être égal à ceux qu'il choisit pour lui commander: le peuple veut faire¨ les fonctions des magistrats; on ne les respecte donc plus; tout le monde parviendra¨ à aimer ce libertinage;¨ il n'y aura plus de mœurs, ¨ plus d'amour, plus de l'ordre, enfin plus de vertu. Il se forme de petits tirans qui ont tous les vices¨ d'un seul. Bientôt ce qui reste de liberté devient insupportable;¨ un seul tiran s'élève; et le peuple perd tout. dénature; aussi; accepte; excessif; pratiquer; arrivera; dérèglement; règles morales; défauts; irritable;
Comme¨ les démocraties se perdent lorsque le peuple dépouille¨ le sénat, les magistrats et les juges de leurs fonctions, les monarchies se corrompent lorsqu'on ôte¨ peu à peu les prérogatives¨ des corps¨ ou les privilèges des villes. Dans le premier cas, on va au despotisme de tous;dans l'autre, au despotisme d'un seul. de la même manière que; défait; retire; privilèges; classes;
Il est vrai que dans les démocraties le peuple paraît faire ce qu'il veut; mais la liberté politique ne consiste¨ point ਠfaire ce que l'on veut. Dans un État, c'est à dire dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu'a pouvoir faire ce que l'on doit vouloir, et a n'être point contraint¨ de faire ce que l'on ne doit pas vouloir. est; de; forcé;
Il y a dans chaque État trois sortes de pouvoirs: la puissance législative, ¨ la puissance exécutrice¨ des choses qui dépendent du droit et des gens et la puissance exécutrice¨ de celles qui dépendent du droit civil. qui fait les lois; réalise (=le gouvernement); (=la justice);
Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté; parce qu'on peut craindre¨ que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement. il est malheureusement probable;
Il n'y a point encore de liberté si la puissance de Juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. Si elle est jointe¨ à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire¨ car le juge serait législateur. unie; despotique;
Si elle était jointe¨ à la puissance exécutrice, le juge combinée pourrait avoir la force d'un oppresseur.¨ unie; tyran;
S'il est vrai que le caractère de l'esprit et les passions du cœur soient extrêmement¨ différentes dans les divers climats, l es lois doivent être relatives¨ à la différence de ces passions et à la différence de ces caractères. très; en relation;
Dans les pays froids on aura peu de sensibilité¨ pour les plaisirs; elle sera plus grande dans les pays tempérés, ¨ dans les pays chauds, elle sera extrême;¨ mais la chaleur du climat peut être si excessive que le corps y sera absolument sans force; ainsi les Indiens¨ croient que le repos et le néant¨ sont le fondement de toutes choses; et la fin où elles aboutissent¨ et Foé, législateur des Indes, a suivi¨ ce qu'il sentait, lorsqu'il a mis les hommes dans un état extrêmement passif; mais sa doctrine, née de la paresse¨ du climat, la favorisant a son tour, a causé mille maux. préférence; de climat doux; très grande; des Indes; inactivité; arrivent; réalisé; inertie;
Le commerce guérit des préjugés¨ destructeurs; et c'est presqu'une règle générale que partout où il y a des mœurs¨ douces, il y a du commerce; et partout ou il y a du commerce, il y a des mœurs douces. partis-pris; habitudes;
La religion chrétienne est éloignée¨ du pur despotisme: c'est que la douceur étant si recommandée dans l’Évangile, elle s'oppose à la colère¨ despotique avec laquelle le prince se ferait¨ justice et exercerait¨ ses cruautés. à grande distance; fureur; prendrait; pratiquerait;
Cette religion défendant la pluralité¨ des femmes, les princes y sont moins renfermés, moins séparés de leurs sujets, et, par conséquent, plus hommes; ils sont plus disposes¨ à se faire des lois, et plus capables de sentir qu'ils ne peuvent pas tout. mariage avec plusieurs femmes; prêts;
Au Japon, la religion dominante n'ayant presque point de dogmes, et le proposant¨ point de paradis ni d'enfer, les lois pour y suppléer¨ ont été faites avec une sévérité¨ et exécutées avec une ponctualité extraordinaire. promettant; compléter; dureté;

21. Denis Diderot

21.1. Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient (1749)

Je me doutais¨ bien, madame, que l’aveugle-née, à qui M. de Réaumur vient de faire abattre¨ la cataracte, ¨ ne vous apprendrait pas ce que vous vouliez savoir; mais je n'avais garde de deviner¨ que ce ne serait ni sa faute, ni la vôtre. prévoyais; opérer; infection de l’œil; savoir interpréter;
Le jour même que le Prussien¨ faisait l'opération de la cataracte à la fille de Simoneau, nous allâmes interroger¨ l'aveugle-né du Euiseaux; c'est un nomme qui ne manque pas de bon sens.¨ (=Reaumur); poser des questions à; intelligence;
Notre aveugle juge¨ fort¨ bien des symétries. Mais quand il dit: cela est beau, il ne juge pas; il rapporte seulement un jugement¨ de ceux qui voient. La beauté, pour un aveugle, n'est qu'un mot, quand elle est séparée¨ de l’utilité.¨ Il juge de la beauté par le toucher.¨ se fait une opinion; très; opinion; isolée; profit; contact direct;
Comme je n'ai jamais douté que l’état de nos organes et de nos sens n'ait beaucoup d'influence sur notre métaphysique et sur notre morale, et que nos idées les plus purement intellectuelles, si je puis parler ainsi, ne tiennent¨ de fort près à la conformation¨ de notre corps, je me mis¨ à questionner notre aveugle sur les vices et sur les vertus.¨ dépendent; condition; commençai; moralités;
Je m'aperçus d'abord qu'il avait une aversion¨ prodigieuse¨ pour le vol; elle naissait en lui de deux causes: de la facilité qu'on avait de le voler; et plus encore, peut-être, de celle qu'on avait de l'apercevoir, ¨ quand il volait. antipathie; extraordinaire; voir;
Il ne fait¨ pas grand cas de la pudeur:¨ sans les injures de l'air, ¨ dont les vêtements le garantissent, il n'en comprendrait guère¨ l'usage.¨ Ah, madame! que la morale des aveugles est différente de la nôtre! apprécie; réserve sexuelle; mauvais temps; presque pas; profit;
Notre métaphysique ne s'accorde pas mieux avec la leur. Combien de principes pour eux qui ne sont que des absurdités pour nous, et réciproquement.¨ Je me contenterai d'observer¨ une chose dont je crois qu'il faut que tout le monde convienne;¨ c'est ce grand raisonnement qu'on tire des merveilles de la nature, est bien faible pour des aveugles.Ce globe lumineux¨ qui s'avance d'orient¨ en occident¨ les étonne moins qu'un petit feu. inversement; parler d'; soit d'accord; le soleil; est; ouest;
L'imagination d'un aveugle n'est autre chose que la faculté¨ de se rappeler et de combiner des sensations palpables.¨ capacité; du toucher;
Nos sens nous ramènent à des signes analogues¨ à l’étendue¨ de notre esprit et à la conformité¨ de nos organes. Nous avons même fait en sorte¨ que ces signes pussent être communs¨ entre nous. Nous en avons institue¨ pour les yeux, ce sont les caractères;¨ pour l'oreille, ce sont les sons articulés, mais nous n'en avons aucun pour le toucher. Faute de¨ cette langue, la communication est entièrement rompue¨ entre nous et ceux qui naissent sourds, aveugles et muets. Ils croissent, ¨ mais ils restent dans un état d’imbécillité. conformes; proportion; condition; de manière; généraux; créé; lettres; à l'absence; coupée; grandissent;
Les connaissances ont trois portes pour entrer dans notre âme, et nous en tenons une barricades par le défaut¨ de signes. Si l'on` eût négligé¨ les deux autres, nous en serions réduits¨ à la condition¨ des animaux. absence; désintéressé; ramenés; état, vie;

21.2. Rêve de D'Alembert

INTERLOCUTEURS¨ personnages;
DA D'Alembert
ME Mademoiselle de L'Espinasse
BO Le médecin Bordeu

 
BO Eh bien! qu'est-ce qu'il y a de nouveau? Est-ce qu'il est malade?
ME Je le crains;¨ il a eu la nuit la plus agitée.¨ en ai peur; troublée;
BO Est-il éveillé?
ME Pas encore. Quand il a été couché, au lieu de reposer à son ordinaire, ¨ car il dort comme un enfant, il s'est mis à se tourner, à se retourner, à tirer ses bras, à écarter¨ ses couvertures, et à parler haut. comme normalement; mettre de côté;
BO Et qu'est-ce qu'il disait? de la géométrie?
ME Non cela avait tout l'air¨ du délire, et je me suis mise à écrire tout ce que j'ai pu attraper¨ de sa rêvasserie.¨ Écoutez. "Un point vivant... Non, je me trompe. Rien d'abord;¨ puis un point vivant ...À ce point au vivant il s'en applique¨ un autre, encore un autre et par ces applications successives il résulte un être¨ un, ¨ car je suis bien un, je n'en saurais douter ... aspect; comprendre; ses rêves; commencement (de la vie); ajoute; créature; une unité;
Mais comment cette unité s'est-elle faite?
Dans la goutte d'eau, tout s’exécute¨ et se passe en un clin d’œil.¨ Dans le monde, le même phénomène¨ dure un peu davantage, ¨ mais qu'est-ce que notre durée en comparaison de l’éternité des temps? moins que la goutte que j'ai prise avec la pointe d'une aiguille, en comparaison de l'espace illimité qui m'environne. se fait; un instant; processus; plus;
Suite¨ indéfinie¨ d'animalcules¨ dans l'atome qui fermenté¨ , même suite indéfinie d'animalcules dans l'autre atome qu'on appelle la Terre. série; infinie; cellules vivantes; agité;
Qui sait les races d'animaux qui nous ont précédés?¨ qui sait les races d'animaux qui succéderont¨ aux nôtres? Tout change, tout passe, il n'y a que le tout qui reste. Le monde commence et finit sans cesser, ¨ il est à chaque instant à son commencement et à sa fin; il n'en a jamais eu d'autre, et n'en aura jamais d'autre. vécu avant nous; viennent après; toujours;
Qui sait à quel instant de la succession¨ de ces générations animales nous en sommes? Qui sait si ce bi-pède¨ déformé n'est pas l'image d'une espèce¨ qui passe?¨ Qui sait s’il n'en est pas ainsi de toutes les espèces d'animaux? Qui sait si tout ne tend¨ pas à se réduire¨ à un grand sédiment¨ inerte¨ et immobile? Qui sait quelle sera la durée de cette inertie? Qui sait quelle race nouvelle peut résulter derechef¨ d'un amas¨ aussi grand de points sensibles et vivants? Pourquoi pas un seul animal? Peut-être faut-il, pour renouveler les espèces, dix fois plus de temps qu'il n'en est accorde¨ à leur durée. ordre historique; (=l'homme); race; disparaît; a tendance; changer en; reste; inactif; une deuxième fois; masse; donné;
Pourquoi suis je tel¨ ? c'est qu'il a fallu que je fusse tel. Changez le tout , vous me changez nécessairement; mais le tout change sans cesse ...L'homme n'est qu un effet commun, ¨ le monstre, qu'un effet rare; tous les deux également¨ naturels, également nécessaires, dans l'ordre universel et général... comme je suis; normal; aussi;
Et qu'est-ce qu'il y a d’étonnant à cela?... Tous les êtres circulent les uns dans les autres, par conséquent toutes les espèces... tout est en un flux¨ perpétuel ...Tout animal est plus ou moins homme; tout minéral est plus ou moins plante. Il n'y a rien de précis en nature... mouvement;
Et vous parlez d'individus, pauvres philosophes! laissez lਠvos individus. Que voulez-vous donc dire avec vos individus? Il n'y en a point, non, il n'y en a point... Il n'y a qu'un seul grand individu, c'est le tout. Dans ce tout, comme dans une machine, dans un animal quelconque, ¨ il y a une partie que vous appellerez telle ou telle; mais quand vous donnerez le nom d'individu à cette partie du tout, c'est par un concept¨ aussi faux que si, dans un oiseau, vous donniez le nom d'individu à l'aile, à une plume de l'aile... Et les espèces?... abandonnez; ordinaire; notion;
Les espèces ne sont que des tendances à un terme¨ commun¨ qui leur est propre...¨ Et la vie?... La vie, une suite d'actions et de réactions. Vivant, j'agis et je réagis en masse; mort, j'agis et je réagis en molécules... Je ne meurs donc point?... Non, sans doute, je ne meurs point en ce sens, ni moi, ni quoi que ce soit... Naître, vivre et passer, ¨ c'est changer de formes... Et qu'importe une forme ou une autre? Chaque forme a le bonheur et le malheur qui lui est propre.... fin; collectif; caractéristique; mourir;
ME Il ne dit plus rien.
BO Non; il a fait une assez belle excursion. Voilà de la philosophie bien haute; systématique dans ce moment, je crois que plus les connaissances de l'homme feront des progrès, plus elle se vérifiera.¨ deviendra plus vrai;
DA Mademoiselle, vous êtes avec quelqu'un: qui est-ce qui cause¨ là avec vous? parle;
ME C'est le docteur.
DA Bonjour, docteur: que faites-vous ici si matin?¨ tôt le matin;
BO Vous le saurez: dormez.
DA Ma foi!¨ j'en ai besoin. Je ne crois pas avoir passé une autre nuit aussi agitée que celle-ci. vraiment;

21.3. L'encyclopédie (l75l-l772)

En l745, le libraire LE BRETON eut l'idée de publier une traduction de la CYCLOPAEDIA de l'Anglais CHAMBERS. Il confia l'affaire à DIDEROT, qui, au lieu d'une traduction en fit une œuvre originale. Il était assisté des spécialistes les plus réputés de son temps. ll écrivit lui-même beaucoup d'articles dont voici quelques uns:
PHILOSOPHE.-La raison est à l'égard du¨ philosophe ce que la grâce est à l'égard du chrétien. La grâce détermine¨ le chrétien à agir; la raison détermine le philosophe. pour le; fait décider;
Le philosophe forme ses principes sur une infinité¨ d'observations particulières.¨ De cette connaissance, le philosophe en conçoit¨ de l'estime¨ pour la science des faits. grand nombre; séparées; se fait; respect;
L'esprit philosophique est donc un esprit d'observation et de justesse, qui rapporte tout à ses véritables principes; mais ce n'est pas l'esprit seul que le philosophe cultive, il porte plus loin son attention et ses soins.La raison exige¨ de lui qu'il étudie, et qu'il travaille à acquérir¨ les qualités sociables. Notre philosophe ne se croit pas en exil¨ dans ce monde; c'est un honnête homme qui veut plaire et se rendre utile. demande; avoir; déplacé;
Il serait inutile de remarquer ici combien le philosophe est jaloux de¨ tout ce qui s'appelle honneur et probité.¨ La société civile est, pour ainsi dire, une divinité¨ pour lui sur la terre. Les sentiments de probité entrent autant dans la constitution mécanique¨ du philosophe que les lumières de l'esprit.Plus vous trouverez de raison dans un homme, plus vous trouverez en lui de probité. Au contraire, où règne¨ le fanatisme et la superstition, ¨ règnent les passions et l'emportement.¨ aime; intégrité; dieu; automatisme; il y a; fausse croyance; fureur;
Le vrai philosophe est donc un honnête homme qui agit en tout par raison, et qui joint¨ à un esprit de réflexion et de justesse, les mœurs¨ et les qualités sociables. ajoute; manières;
CHRISTIANISME.-Le christianisme, je le sais, a eu ses guerres de religion, et les flammes en ont été souvent funestes aux sociétés: cela prouve¨ qu'il n'y a rien de si bon dont la malignité¨ humaine ne puisse abuser.¨ Le montre; méchanceté; mésuser;
fanatisme est une peste qui reproduit de temps en temps des germes¨ capables d'infecter la terre; mais c'est le vice¨ des particuliers¨ et non du christianisme, qui par sa nature est également éloigné des fureurs outrées¨ du fanatisme et des craintes¨ imbéciles de la superstition.¨ éléments; faute; individus; excessives; peur; fausse croyance;
La superstition est le partage¨ des esprits faibles et imbéciles, et non de cette société d'hommes qui, perpétuée depuis Jésus-Christ jusqu’à nous, a transmis¨ dans tous les âges la révélation¨ dont elle est la fidèle dépositaire.¨ lot; continuée; connaissance donné; gardienne;
AUTORITÊ POLITIQUE.-Aucun homme n'a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel, et chaque individu a le droit d'en jouir.¨ profiter;
La puissance qui s'acquiert¨ par la violence n'est qu'une usurpation.¨ se fait; tyrannie;

22. Jean-Jacques Rousseau

22.1. Discours sur les sciences et les arts (1750)

Avant que l'art eût façonné¨ nos manières et appris à nos passions à parler un langage apprêté, ¨ nos mœurs¨ étaient rustiques, mais naturelles; et la différence des procédés¨ annonçait, du premier coup d’œil, celle des caractères. La nature humaine, au fond¨ n’était pas meilleure; mais les hommes trouvaient leur sécurité¨ dans la facilité de se pénétrer¨ réciproquement, ¨ et cet avantage, dont nous ne sentons plus le prix, leur épargnait¨ bien des vices.¨ formé; façonné; habitudes; manières; en vérité; confiance; comprendre; l'un l'autre; retenait; immoralités;
Aujourd'hui que des recherches plus subtiles et un goût plus fin ont réduit¨ l'art de plaire en¨ principes, il règne¨ dans nos mœurs une vile¨ et trompeuse¨ uniformité; on n'ose plus paraître ce qu'on est, et nos âmes se sont corrompues¨ à mesure¨ que nos sciences et nos arts sont avancés à la perfection. Dira-t-on que c'est un malheur particulier¨ à notre âge¨ ? Non, les maux causés par notre vaine¨ curiosité sont aussi vieux que le monde; le progrès intellectuel et artistique, et l'envahissement du luxe ont déjà causé la déchéance¨ de l’Égypte, de la Grèce, de Rome. ramené; à des; il y a; vulgaire; hypocrite; infectées; en même temps; caractéristique pour; époque; arrogante; dégénération;
Si nos sciences sont vaines dans l'objet¨ qu'elles se proposent, elles sont encore plus dangereuses par les effets qu'elles produisent. Nées dans l’oisiveté, ¨ elles la nourrissent¨ à leur tour. but; inactivité; favorisent;
D'autres maux pires¨ encore suivent les lettres¨ et les arts. Tel est le luxe, né comme eux de l’oisiveté et de la vanité¨ des hommes. Le luxe va rarement¨ sans les sciences et les arts, et jamais ils ne vont sans lui. Que le luxe soit un signe certain des richesses; qu'il serve même, si l'on veut, à les multiplier, ¨ que faudra-t-il conclure de ce paradoxe si digne¨ d'être né de nos jours? et que deviendra la vertu¨ quand il faudra s'enrichir à quelque prix que ce soit? Les anciens politiques parlaient sans cesse de mœurs et de vertu; les nôtres ne plus mauvais; littérature; arrogance; exceptionnellement; agrandir; caractéristique pour; intégrité;
parlent que de commerce et d'argent. Que nos politiques apprennent qu'on a de tout avec l'argent, hormis¨ des mœurs et des citoyens. excepté, mais pas;
Si la culture des sciences est nuisible¨ aux qualités guerrières, ¨ elle l'est encore plus aux qualités morales. dangereuse; militaires;
C'est dès¨ nos premières années qu'une éducation insensée¨ borne¨ notre esprit et corrompt¨ notre jugement.¨ déjà pendant; sotte; limite; infecte; raison;
Je vois de toute part¨ des établissements¨ immenses, où l'on élève à grands frais¨ la jeunesse, pour lui apprendre toutes les choses, excepté ses devoirs. On ne demande plus d'un homme s'il a de la probité¨ mais s'il a des talents; ni d'un livre s'il est utile, mais s'il est bien écrit. partout; institutions; pour beacoup d'argent; intégrité;
Les récompenses¨ sont prodiguées au bel esprit, et la vertu reste sans honneur. prix données;
O vertu, science sublime des âmes simples, faut-il donc tant de peines et d'appareil¨ pour te connaître?Tes principes ne sont-ils pas gravés dans tous les cœurs? et ne suffit-il pas pour apprendre tes lois de rentrer en soi-même, et d’écouter la voix de sa conscience dans le silence des passions? Voilà la véritable philosophie! efforts;

22.2. Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes (1755)

Je conçois¨ dans l'espèce¨ humaine, deux sortes d’inégalité: l'une, que j'appelle naturelle ou physique, parce qu'elle est établie¨ par la nature¿et qui consiste¨ dans la différence des âges, de la santé, des forces du corps et des qualités de l'esprit ou de l’âme; l'autre qu'on peut appeler inégalité morale ou politique, parce qu'elle dépend¨ d'une sorte de convention.¨ vois; race; causée; se trouve; résulte; tradition;
Le corps de l'homme sauvage¨ étant le seul instrument qu’il connaisse, il l'emploie a divers usages, ¨ dont, par défaut¨ d' exercice, ¨ les nôtres sont incapables; c'est notre industrie qui nous ôte¨ la force et l’agilité¨ que la nécessité l'oblige d’acquérir. primitif; buts; absence; pratique; prend; souplesse;
Errant¨ dans les forets, s ans industrie, sans parole, sans domicile, sans guerre et sans liaison, ¨ sans nul besoin de ses semblables comme sans nul besoin de leur nuire, ¨ l'homme sauvage, sujet ਠpeu de passions, et se suffisant à lui-même, ¨ n'avait que les sentiments et les lumières propres ਠcet état; il ne sentait que ses vrais besoins, ne regardait que ce qu'il croyait avoir intérêt de voir. vagabondant; amitié; faire du mal; dominé par; indépendant; bons pour;
Le premier qui, ayant enclos¨ un terrain, s'avisa¨ de dire: "Ceci est à moi, " et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur¨ de la société civile. grillé; imagina; créateur;
Cette idée de propriété¨ ne se forma pas tout d'un coup dans l'esprit humain: ce fut à l’époque d'une première révolution qui forma l’établissement¨ et la distinction¨ des familles, et qui introduisit une sorte de propriété. possession; institution; différenciation;
Comme les plus forts furent vraisemblablement les premiers à se faire des logements¨ qu'ils se sentaient capables de défendre, il est à croire que les faibles trouvèrent plus sûr de les imiter que de tenter¨ de les déloger.¨ domiciles; essayer; chasser;
Tant¨ qu'ils ne s’appliquèrent¨ qu’à des ouvrages qu'un seul pouvait faire, ils vécurent libres, sains, ¨ bons et heur eux, mais dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours¨ d'un autre, dès qu'on s'aperçut qu'il était utile à un seul d'avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire. pendant; travaillèrent; en bonne santé; aide;
La métallurgie et l'agriculture furent les deux arts dont l'invention produisit cette grande révolution; ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et perdu¨ le genre humain. dégradé;
De la culture des terres s'ensuivit¨ nécessairement leur partage, et de la propriété une fois reconnue, les premières règles de justice; car, pour rendre à chacun le sien, il faut que chacun puisse avoir quelque chose. résulta;
Les choses en cet état eussent¨ pu demeurer¨ égales, si les talents eussent été égaux, et que, par exemple, l'emploi du fer et la consommation des denrées¨ eussent toujours fait une balance exacte; mais la proportion que rien ne maintenait¨ fut bientôt rompue; le plus fort faisait plus d'ouvrage; le plus adroit tirait meilleur parti¨ du sien; le plus ingénieux trouvait des moyens d'abréger¨ le travail. auraient; rester; vivres; balance qui n’était assuré par rien; profit; diminuer;
C'est ainsi que, les plus puissants¨ ou les plus misérables se faisant de leurs forces ou de leurs besoins¨ une sorte de droit au bien d'autrui, équivalent¨ selon eux, à celui de propriété, l’égalité rompue¨ fut suivie du plus que affreux désordre; c'est ainsi que les usurpations¨ des riches, les brigandages¨ des pauvres, les passions effrénées¨ de tous, étouffant¨ la pitié naturelle et la voix encore faible de la justice, rendirent¨ les hommes avares, ambitieux et méchants. Il s'élevait entre le droit du plus fort et le droit du premier occupant un conflit perpétuel¨ qui ne se terminait¨ que par des combats et des meurtres. La société naissante fit place au plus horrible état de guerre. influents; misères; de même valeur; perdue; prise par violence; banditisme; excessives; supprimant; firent; continuel; finissait;
Écrasant¨ facilement un particulier, mais écrasé lui-même par des troupes de bandits, seul contre tous, le riche pressé par la nécessité, conçut¨ enfin le projet le plus réfléchi¨ qui soit jamais entré dans l'esprit humain: ce fut d'employer en sa faveur¨ les forces mêmes de ceux qui l'attaquaient. Dans cette vue il inventa aisément¨ des raisons pour les amener à son but. "Unissons-nous, " leur dit-il, "pour garantir de l'oppression¨ les faibles, contenir¨ les ambitieux, et assurer à chacun la possession de ce qui lui appartient;¨ instituons¨ des règlements de justice et de paix auxquels tous soient obligés¨ de se conformer.¨ battant; forma; sage; profit; facilement; tyrannie; stopper; est à lui; formons; doivent; obéir;
Telle fut ou dut être l'origine de la société et des lois, qui donnèrent de nouvelles entraves¨ au faible et de nouvelles forces au riche, détruisirent sans retour la liberté naturelle, fixèrent pour jamais¨ la loi de la propriété et de l’inégalité. obstacles; toujours;
J'ai tâché¨ d'exposer¨ l'origine et le progrès¨ de l’inégalité. Il suit de cet expose que l’inégalité, étant presque nulle dans l’état de nature, tire sa force et son accroissement¨ du développement de nos facultés¨ et résulte des progrès de l'esprit humain, et devient enfin stable¨ et légitimé par l’établissement¨ de la propriété et des lois. Il est manifestement¨ contre la nature, de quelque manière qu'on la définisse, qu'un enfant commande à un vieillard, qu'un imbécile conduise¨ un homme sage, et qu' une poignée¨ de gens regorge¨ de superfluités, ¨ tandis¨ que la multitude¨ affamée¨ manque de nécessaire. essayé; expliquer; développement; agrandissement; talents; permanent; création ; clairement; domine; petit nombre; a trop; choses peu nécessaire; alors; masse; ayant très faim;

22.3. Julie ou La Nouvelle Héloïse (1761)

LETTRES DE DEUX AMANTS HABITANTS D'UNE PETITE VILLE AU PIED DES ALPES

 
À JULIE
Il faut vous fuir, ¨ mademoiselle, je le sens bien; j'aurais dû beaucoup moins attendre; ou plutôt il fallait ne vous voir jamais. Mais que faire aujourd'hui? Comment m'y"prendre?¨ Vous m'avez promis de l'amitié; voyez mes perplexités, et conseillez-moi. quitter en hâte; agir;
Vous savez que je ne suis entre dans votre maison que sur l'invitation de madame votre mère. Sachant que j'avais cultivé quelques talents agréables, elle a cru qu'
ils ne seraient pas inutiles, dans un lieu dépourvu de¨ maîtres¨ à l’éducation d'une fille qu'elle adore. Fier, à mon tour, d'orner¨ de quelques fleurs un si beau naturel, j'osai me charger de ce dangereux soin¨ sans en prévoir le péril¨ ou du moins sans le redouter.¨ Je ne vous dirai point que je commence à payer le prix de ma témérité.¨ sans; gouverneurs; décorer; travail; danger; en avoir peur; arrogance;
Quand je commençai de vous aimer, que j’étais loin de voir tous les maux que je m’apprêtais!¨ Je ne sentis d'abord que celui d'un amour sans espoir, que¨ la raison peut vaincre¨ à force de¨ temps; j'en connus ensuite un plus grand dans la douleur de vous déplaire. O Julie! je le vois avec amertume, ¨ mes plaintes¨ troublent votre repos. Vous gardez un silence invincible.¨ En attendant, ¨ il faut vous rendre le repos que j'ai perdu pour toujours, et que je vous ôte¨ malgré moi. Il est juste que je porte seul la peine¨ du crime dont je suis seul coupable. Adieu, me préparas; dont; triompher; par le; désespoir; lamentations; ferme; alors; prend; punition;
trop belle Julie; vivez tranquille; dés demain vous ne me verrez plus.

 
DE JULIE
Il faut donc l'avouer¨ enfin, ce fatal secret trop mal déguisé!¨ Combien de fois j'ai juré¨ qu'il ne sortirait de mon cœur qu'avec la vie! La tienne¨ en danger me l'arrache.¨ Tout fomente¨ l'ardeur¨ qui me dévore;¨ tout m'abandonne à moi-même, ou plutôt, tout me livre à toi; la nature entière semble être ta complice;¨ tous mes efforts sont vains;¨ je t'adore en dépit de¨ moi-même. Si tu daignes¨ m'écouter, que d'amour, que de respects ne dois-tu pas attendre de celle qui te devra son retour à la vie! Quels charmes dans la douce union de deux âmes pures. confesser; caché; promis; (=ta vie); le fait dire; produit; la passion; brûle; aide; inutiles; malgré; veux;

 
À JULIE
Puissances du ciel! j'avais une âme pour la douleur, donnez-m'en une pour ma félicité.¨ bonheur;
Permets, permets que je savoure¨ le bonheur inattendu d'être aime...d'être aimé de celle ...Que je la relise mille fois, cette lettre adorable où ton amour et tes sentiments sont écrits en caractères¨ de feu. Ah! daigne¨ te confier¨ aux feux que tu m'inspires, et que tu sais bien purifier; je crois qu'il suffit¨ que je t'adore pour respecter à jamais¨ le précieux¨ dépôt¨ dont tu m'as chargé. Oh! quel cœur je vais posséder! Vrai bonheur, gloire de ce qu'on aime, triomphe d'un amour qui s'honore, combien tu vaux mieux que tous ses plaisirs. goûte; lettres; aie la bonté de; donner; c'est assez; pour toujours; riche; trésor;

 
DE JULIE
Il est important, mon ami, que nous nous séparions pour quelque temps, et c'est ici la première épreuve¨ de l’obéissance que vous m'avez promise. Si je l'exige¨ en cette occasion, croyez que j'en ai des raisons très fortes. test; veux absolument;
Il y a longtemps que vous avez un voyage à faire en Valais. Je voudrais que vous pussiez l'entreprendre¨ à présent¨ qu'il ne fait pas encore froid. Tâchez donc de partir dès¨ demain: vous m’écrirez à l'adresse que je vous envoie, et vous m'enverrez la vôtre quand vous serez arrive a Sion. le faire; maintenant; déjà;
Adieu, mon ami; n'oubliez pas que vous emportez le cœur et le repos de Julie.

 
RÉPONSE
Je suis parti sans vous voir; me voici bien loin de vous; êtes-vous contente de vos tyrannies, et vous ai-je assez obéi?
Je ne puis vous parler de mon voyage; à peine¨ sais-je comment il s'est fait. J'ai mis trois jours à faire vingt lieues¨ et je suis arrivé à Sion sans être parti de Vevai. presque pas; =2Ox4 km.;
Si vous voulez m’éprouver, ¨ je n'en murmure¨ plus. tester; proteste;

 
DE JULIE
Enfin, le premier pas est franchi, ¨ et il a été question¨ de vous. Mon père a été surpris; il n'a pas moins admiré mes progrès dans la musique et dans le dessin; et au grand étonnement de ma mère, il a été fort¨ content de mes talents. Mais ces talents ne s’acquièrent¨ pas sans maître;¨ il a fallu nommer le mien; et je l'ai fait avec une énumération¨ pompeuse de toutes les sciences qu'il voulait bien m'enseigner, ¨ hors¨ une. Il s'est rappelé de vous avoir vu plusieurs fois à son précédent¨ voyage, et il n'a pas paru qu'il eût conservé de vous une impression¨ désavantageuse.¨ fait; on a parlé; très; se développent; gouverneur; citation; apprendre; excepté; dernier; idée; défavorable;
Ensuite, ¨ il s'est informé de votre fortune: on lui a dit qu'elle était médiocre¨ de votre naissance; on lui a dit qu elle était honnête.¨ Dès qu'il a su que vous n’étiez pas noble, il a demandé ce qu'on vous donnait par mois. après; petite; acceptable;
Ma mère, prenant la parole , a dit qu'un pareil¨ arrangement¨ n’était pas même proposable; et qu'au contraire vous aviez rejeté constamment tous les moindres présents qu'elle avait tâché de vous faire. Il a donc été décidé qu'on vous offrirait un paiement, au refus duquel, malgré tout votre mérite¨ dont on convient¨ vous seriez remercié de vos soins.¨ Voila, mon ami, le résumé d'une conversation qui a été tenue sur le compte de mon très honoré maître, et durant laquelle son humble¨ écolière n'était pas fort tranquille. J'ai cru ne pouvoir trop me hâter de vous en donner avis, ¨ afin de¨ vous laisser le temps d'y réfléchir. Aussitôt que vous aurez pris votre résolution, ne manquez pas de m'en instruire, ¨ car cet article est de votre compétence, et mes droits ne vont pas jusque-là. cet; accord; capacités; est d'accord; service; modeste; informer; pour; informer;

 
À JULIE
Je réponds sur-le-champ¨ à l article de votre lettre qui regarde le paiement, et n'ai, Dieu merci, nul besoin d'y réfléchir. Voici, ma Julie, quel est mon sentiment sur ce point. immédiatement;
Que je prenne, comme ce fou de la fable, de l'argent pour enseigner¨ la sagesse, cet emploi paraîtra bas aux yeux du monde, et j'avoue¨ qu'il a quelque chose de ridicule en soi. Mais ici, ma Julie, nous avons d'autres considérations¨ à faire. Que serai-je réellement à votre père en recevant de lui le salaire des leçons que je vous aurai données, et lui vendant une partie de mon temps, c'est-à-dire de ma personne? Un mercenaire¨ un homme à ses gages, ¨ une espèce¨ de valet. Que fera donc celui qui lui vend ses services? Fera-t-il taire¨ ses sentiments pour elle? Ah! tu sais si cela se peut! Ou bien, se livrant sans scrupule au penchant¨ de son cœur, offensera-¨ t-il dans la partie la plus sensible celui a qui il doit fidélité? Alors je ne vois plus dans un tel maître¨ qu'un perfide qui foule aux pieds¨ les droits les plus sacrés. faire apprendre; suis d'accord; motifs, arguments; salarié; son service; sorte; ne pas parler de; passion; choquera; gouverneur; marche sur;
Quand les lettres d’Héloïse et d’Abélard tombèrent entre vos mains, vous savez ce que je vous dis de cette lecture et de la conduite¨ du théologien. J'ai toujours plaint¨ Héloïse; elle avait un cœur fait pour aimer; mais Abélard ne m'a jamais paru qu'un misérable digne¨ de son sort¨ et connaissant aussi peu l'amour que la vertu. Apres l'avoir jugé¨ faudra-t-il que je l'imite? procédé; eu pitié d'; qui recevait justement; fatalité; critiqué;
S'il faut choisir entre l'honneur et vous, mon cœur est prêt¨ à vous perdre; il vous aime trop, ô Julie, pour vous conserver a ce prix. préparé;

 
DE JULIE
Je savais le parti¨ que vous prendriez. Nous nous connaissons trop bien pour en être encore à ces éléments. Si jamais la vertu¨ nous abandonne, ¨ ce ne sera pas, croyez-moi, dans les occasions qui demandent du courage et des sacrifices. la décision; attitude morale; quitte;
Je l'avais trop prévu; le temps du bonheur est passé comme un éclair; celui des disgrâces commence.
Je le sens, mon ami, le poids¨ de l'absence m'accable.¨ Je ne puis vivre sans toi, je le sens; c'est ce qui m’effraie¨ le plus. charge; est trop pour moi; fait peur;

 
À JULIE
Je n’étais encore qu'à la seconde lecture de ta lettre quand milord Édouard Bonnston est entré; et milord s'informa avec intérêt de ma situation; je lui en dis tout ce qu'il en devait savoir. Il a désiré de savoir en détail l'histoire de nos amours et les causes qui s'opposent au bonheur de ton ami; j'ai cru qu’après ta lettre une demi-confidence était dangereuse et de propos;¨ je l'ai faite entière, et il m'a écouté avec une attention qui m'attestait¨ sa sincérité.¨ Si le crédit et la richesse nous pouvaient être utiles, je crois que nous aurions lieu¨ de compter sur lui. hors pas juste; montrait; sérieux; motifs;

 
DE CLAIRE À JULIE
Faudra-t-il toujours, aimable cousine, ne remplir envers¨ toi que les plus tristes devoirs de l’amitié? à;
Hier, après le concert, nos deux pères restèrent avec milord à parler de politique. Une demi-heure après j'entendis nommer ton ami plusieurs fois avec assez de véhémence;¨ je connus¨ que la conversation avait changé d'objet, et je prêtai l'oreille.¨ Je jugeai¨ par la suite du discours¨ qu’Édouard avait osé proposer ton mariage avec ton ami. Ton père avait rejeté avec mépris¨ cette proposition. "Quoi! milord, " dit-il, "un homme d'honneur comme vous peut-il seulement penser que le dernier rejeton¨ d'une famille illustre aille éteindre¨ ou dégrader son nom dans celui d'un quidam¨ sans asile et réduit¨ à vivre d'aumônes?..." dureté; compris; écoutai; compris; des paroles; arrogance; enfant; faire finir; individu; forcé;
"Arrêtez, " interrompit Édouard; "vous parlez de mon ami; songez¨ que je prends pour moi tous les outrages¨ qui lui sont faits en ma présence, et que les noms injurieux¨ à un homme d'honneur le sont encore plus à celui qui les prononce. De tels quidams sont plus respectables que tous les hobereaux¨ de l'Europe!" pensez; offenses; blessants; petits nobles;
Je connus¨ à la réplique¨ de ton père que cette conversation ne faisait que l'aigrir.¨ Tu dois t'attendre de¨ sa part¨ à ¨ une explication terrible pour toi-même. compris; réponse; irriter; compter; côté; sur;
Je te l'ai dit et le répète plus fortement, éloigne ton ami, ou tu es perdue.

 
DE JULIE À CLAIRE
Tout ce que tu avais prévu, ma chère, est arrivé. Hier, une heure après notre retour, mon père entra dans la chambre de ma mère, les yeux étincelants, ¨ le visage enflammé, dans un état, ¨ en un mot, où je ne l'avais jamais vu. Je compris d'abord qu'il venait d'avoir querelle, ¨ ou qu'il allait la chercher; et ma conscience agitée me fit trembler d'avance. en feu; humeur; conflit;
Il commença par apostropher¨ vivement, mais en général, les mères de famille qui appellent indiscrètement chez elles des jeunes gens sans état¨ et sans nom. Il cita sans ménagement¨ en exemple ce qui s’était passé dans notre maison, depuis qu'on y avait introduit un prétendu¨ bel¨ esprit, un diseur de riens, plus propre¨ à corrompre¨ une fille sage qu'à lui donner aucune bonne instruction. Ma mère, qui vit qu'elle gagnerait¨ peu de chose à se taire¨ l'arrêta sur ce mot de corruption, et lui demanda ce qu'il trouvait dans la conduite¨ ou dans la réputation de l'honnête homme dont il parlait. Qui pût autoriser¨ de tels soupçons.¨ Je n'ai pas cru, ajouta-t-elle, que l' ces esprit et le mérite¨ fussent des titres d'exclusion¨ dans la société. À qui donc faudra-t-il ouvrir votre maison, si les talents et les mœurs¨ n'en obtiennent¨ pas l’entrée?" critiquer; standing; réserve; pseudo; cultivé; fait pour; dégénérer; profiterait; ne pas parler; actes; permettre; fausses idées; talents; punissables; bonne morale; reçoivent;
"À des gens sortable, ¨ madame, " reprit-il colère.¨ Alors commença une dangereuse altercation¨ durant ¨ laquelle ton indigne¨ cousine eût voulu être à cent pieds sous terre. présentable; fureur; discussion; pendant; ignoble;
"Vous savez, " m'a-t-il dit, "à qui je vous destine;¨ je vous l'ai déclaré des mon arrivée, et ne changerai jamais d'intention sur ce point. Quant¨ à l'homme dont m'a parlé milord Édouard, quoique¨ je ne lui dispute point le mérite¨ que tout le monde lui¨ trouve, je ne sais s'il a conçu¨ de lui-même le ridicule espoir de s'allier¨ à moi, ou si quelqu'un a pu le lui inspirer; mais, quand je n'aurais personne en vue, ¨ et qu'il aurait toutes les guinées de l'Angleterre, soyez sûre que je n'accepterais jamais un tel gendre.¨ Je vous défends de le voir et de lui parler de votre vie." ai donné en mariage; concernant; malgré que; valeur; en lui; à formé; apparenter; pensée à personne(pour un mariage); beau-fils;
A ces mots, il est sorti sans attendre ma réponse.
Voilà, ma Claire, comment s'est passée l'explication que tu avais prévue. Ne crois-tu pas, chère amie, que, malgré tous les préjugés, tous les obstacles, tous les revers¨ le ciel nous a faits l'un pour l'autre? Oui, oui, j'en suis sûre, il nous destine a être unis; il m'est impossible de perdre cette idée. malheurs;

 
DE CLAIRE À MONSIEUR D'ORBE
Mon père m'a rapporté ce matin l'entretien¨ qu'il eut hier avec vous. Je vois avec plaisir que tout s'achemine¨ à ce qu'il vous plaît¨ d'appeler votre bonheur. J’espère, vous le savez, d'y trouver aussi le mien; l'estime¨ et l’amitié vous sont acquises¨ et tout ce que mon cœur peut nourrir de sentiments plus tendres est encore à vous. conversation; va; vous voulez; respect; assurée;
Ainsi, monsieur, s'il est vrai que vous aimiez, votre intérêt s'accorde, en cette occasion, avec votre générosité; et ce n'est pas tellement ici l'affaire d'autrui, que ce soit aussi la vôtre.

 
DE CLAIRE A JULIE
Tout est fait, ma Julie est en sûreté.
J'ai passé la matinée à méditer mes discours¨ et à réfléchir sur l’impression qu'ils pouvaient faire. Enfin l’heure est venue, et j'ai vu entrer ton ami. Il avait l' air inquiet, ¨ et m'a demandé précipitamment¨ de tes nouvelles. J'ai eu le temps de lui détailler par ordre tout ce qu'il fallait qu'il sût. paroles; alarmé; vite;
"Voilà, mon cher, " ai-je poursuivi, ¨ "l’état actuel des choses: Julie est au bord de l'abîme, ¨ prête ਠs'y voir accabler¨ du déshonneur public, de l'indignation¨ de sa famille, des violences d'un père emporté¨ et de son propre désespoir. Il reste un seul moyen de prévenir tous ces maux, et ce moyen dépend de vous seul.Le sort¨ de votre amante est entre vos mains. Voyez si vous avez le courage de la sauver en vous éloignant d'elle." continué; perte; sur le point; surcharger; fureur; furieux; l'avenir;
"Il faut partir!" m'a-t-il dit d'un ton qu'une autre aurait cru tranquille.¨ Eh bien, je partirai. N'ai-je pas assez vécu?" calme;
Je tâchais de détourner ses idées funestes par celle d'une correspondance familière continuée entre nous. Nous nous sommes ensuite ajustés¨ pour les adresses des lettres. arrangés;

 
DE JULIE
Je viens, mon bon ami, de jouir¨ d'un des plus doux spectacles qui puissent jamais charmer mes yeux. avoir le plaisir;
La plus sage, la plus aimable des filles est enfin devenue la plus digne et la meilleure des femmes.¨ L'honnête homme dont elle a comblé¨ les vœux, ¨ plein, d'estime¨ et d'amour pour elle, ne respire¨ que pour la chérir, ¨ la rendre heureuse; et je goûte le charme inexprimable d'être témoin¨ du bonheur de mon amie. (mariées); réalisé; désirs; respect; vit; adorer; voir le;
Ne nous dissimulons¨ pas pourtant que cette amie incomparable va nous échapper en partie. La voilà dans un nouvel ordre de choses; la voilà sujette¨ à de nouveaux engagements, à de nouveaux devoirs. cachons; obligée;
Sur ce principe, j'ai déjà pris un prétexte¨ pour retirer tes lettres, que la crainte¨ d'une surprise me faisait tenir chez elle. J'ai imaginé un autre expédient¨ beaucoup moins sûr a la vérité, mais aussi moins répréhensible, ¨ en ce¨ qu'il ne compromet personne et ne nous donne aucun confident; c'est de m’écrire sous un nom en l'air¨ comme, par exemple, M.du Bosquet. Tandis que notre correspondance continuera par cette voie, ¨ je verrai si l'on peut reprendre quelque autre qui soit permanente et sûre. motif; peur; moyen; blâmable; par le fait; de fantaisie; manière;

 
DE JULIE
Tout est perdu! Tout est découvert! Je ne trouve plus tes lettres dans le lieu où je les avais cachées. Elles y étaient encore hier au soir. Elles n'ont pu être enlevées¨ que d'aujourd'hui. Ma mère seule peut les avoir surprises.¨ Si mon père les voit, c'est fait¨ de ma vie! Eh! que servirait qu'il ne les vît pas, s'il faut renoncer.. Ah Dieu! ma mère m'envoie appeler. Où fuir? emportées; trouvées; fini;
Comment soutenir¨ son regard? Elle voudra savoir... Il faudra tout dire.. Ne m’écris plus jusqu'à nouvel avis..¨ répondre à; information;
Qui sait jamais... Je pourrais... quoi!mentir!...mentir à ma mère!... Ah! s'il faut nous sauver par le mensonge, adieu, nous sommes perdus!

 
DE MADAME D'ORBE
Que de maux vous causez à ceux qui vous aiment; vous savez de quelle manière le secret de vos feux¨ dérobé¨ si longtemps aux soupçons¨ de ma tante, lui fut dévoilé¨ par vos lettres. Elle déplore¨ sa fatale illusion: sa plus cruelle peine¨ est d'avoir pu trop estimer¨ sa fille, et sa douleur est pour Julie un châtiment¨ cent fois pire¨ que ses reproches.¨ amour; caché; doutes; découvert; regrette; tristesse; respecter; punition; plus grande; réprimandes;
L'accablement¨ de cette pauvre cousine ne saurait s'imaginer. Elle se tient nuit et jour au chevet¨ de sa mère. découragement; lit;
Il est très clair que c'est la maladie de la mère qui soutient¨ les forces de la fille. maintient;
Le sacrifice que vous avez fait à l'honneur de Julie en quittant ce pays est garant de celui que vous allez faire à son repos en rompant¨ un commerce¨ inutile. Je veux vous montrer, comme il est vrai, que le parti¨ le plus honnête est aussi le plus sage, et que s'il peut rester quelque ressource¨ à votre amour, elle est dans le sacrifice que l'honneur et la raison vous imposent. arrêtant; contact; décision; possibilité;

 
DE JULIE
Elle n'est plus.¨ Mes yeux ont vu fermer les siens pour jamais, ¨ ma bouche a reçu son dernier soupir;¨ mon nom fut le dernier mot qu'elle prononça; son dernier regard fut tourné vers moi. est morte; toujours; respiration;
Âme pure et chaste, digne¨ épouse et mère incomparable, tu vis maintenant au séjour¨ de la gloire et de la félicité.¨ respectable; demeure; bonheur;
Et moi, je suis morte au bonheur, à la paix, à l'innocence; je ne sens plus que ta perte; je ne vois plus que ma honte, ¨ ma vie n'est plus que peine et douleur. Ma mère, ma tendre¨ mère, hélas! je suis bien plus morte que toi! déshonneur; douce;
Je ne viens plus, comme autrefois, partager avec vous des peines¨ qui devaient nous être communes. Ce sont les soupirs¨ d'un dernier adieu qui s’échappent malgré moi. C'en est fait¨ l'empire¨ de l'amour est éteint¨ dans une âme livrée au seul désespoir. Je consacre¨ le reste de mes jours à pleurer la meilleure des mères. S’il vous reste quelque respect pour la mémoire d'un nœud¨ si cher et si funeste, c'est par lui que je vous conjure¨ de me fuir à jamais;¨ de ne plus m’écrire. tristesses; lamentations; fini; domination; arrêté; donne; amour; prie; pour toujours;
Mon parti¨ est pris, je ne veux désoler¨ aucun de ceux que j'aime .Qu'un père esclave de sa parole¨ et jaloux¨ d'un vain¨ titre dispose de mon cœur. décision; attrister; promesse; avare; sans valeur;

 
DE MADAME D'ORBE
Julie est mariée, et digne¨ de rendre heureux l'honnête homme qui vient d'unir son sort¨ au sien. Après tant d'imprudences, rendez grâces au¨ ciel qui vous à sauvés, tous deux, elle de l'ignominie¨ et vous du regret de l'avoir déshonorée. Respectez son nouvel état; ne lui écrivez point; elle vous en prie. Attendez qu'elle vous écrive; c'est ce qu'elle fera dans peu.¨ Voici le temps où je vais connaître si vous méritez l'estime¨ que j'eus pour vous, et si votre cœur est sensible à une amitie pure et sans intérêt.¨ capable; vie; remerciez le; déshonneur; peu de temps; respect; égoïsme;

 
DE JULIE
Vous êtes depuis si longtemps le dépositaire¨ de tous les secrets de mon cœur, qu'il¨ ne saurait plus perdre une si douce habitude. Dans la plus importante occasion de ma vie il veut s’épancher¨ avec vous. possesseur; (=le cœur); ouvrir;
Liée¨ au sort¨ d'un époux, ou plutôt aux volontés d'un père, par une chaîne¨ indissoluble, ¨ j'entre dans une nouvelle carrière qui ne doit finir qu'à la mort. unie; vie; lien; définitive;
Mon père, en quittant le service, avait amené chez lui M.de Wolmar; la vie qu'il lui devait, ¨ et une liaison¨ de de vingt ans, lui rendaient cet ami si cher, qu'il ne pouvait se séparer de lui. M.de Wolmar avançait en âge et, quoique riche et de grande naissance, il ne trouvait point de femme qui lui convînt.¨ Mon père lui avait parlé de sa fille en¨ homme qui souhaitait¨ se faire un gendre¨ de son ami. Mon destin¨ voulut que je plusse à M.de Wolmar, qui n'avait jamais rien aimé. Ils se donnèrent secrètement leur parole. que celui-ci avait sauvé; amitié; plût; comme un; désirait; beau-fils; fatalité;
Après son départ, mon père nous déclara à ma mère et à moi qu'il me l'avait destiné¨ pour époux, ¨ et m'ordonna d'un ton qui ne laissait point de réplique¨ à ma timidité de me disposer¨ à recevoir sa main. décidé; mari; protestation; préparer;
La tristesse et l'amour consumaient¨ mon cœur; je tombai dans un abattement¨ dont mes lettres se sentirent.¨ brûlaient; découragement; que faisaient comprendre;
À peine eus-je retiré vos lettres de chez ma cousine qu'elles furent surprises. Le témoignage¨ était convaincant, ¨ la tristesse acheva¨ d’ôter¨ à ma mère le peu de forces que son mal lui avait laissées. Elle finit ses tristes jours dans la douleur de n'avoir pu fléchir¨ un époux sévère¨ et de laisser une fille si peu digne d'elle. preuve; clair; finit; prendre; faire changer; dur;
Accablée¨ d'une si cruelle perte, mon âme n'eut plus de force que pour la sentir. Je pris dans une espèce¨ d'horreur¨ la cause de tant de maux; je voulus étouffer¨ enfin l'odieuse¨ passion qui me les avait attirés, et renoncer ਠvous pour jamais.¨ Tout semblait favoriser ma résolution. M.de Wolmar arriva, et ne se rebuta¨ pas du changement de mon visage. Le jour qui devait m'ôter¨ pour jamais à vous et à moi me parut le dernier de ma vie. Arrivée à l’église, je sentis en entrant une sorte d’émotion que je n'avais jamais éprouvée.¨ Je crus voir l'organe de la Providence¨ et entendre la voix de Dieu dans le ministre¨ prononçant gravement la sainte liturgie. Une puissance inconnue sembla corriger tout à coup le désordre de mes affections¨ et les rétablir¨ selon la loi du devoir et de la nature.J'envisageai¨ le saint nœud¨ que j'allais former comme un nouvel état qui devait purifier mon âme et la rendre à tous ses devoirs. frappée; sorte; aversion; tuer; cruelle; abandonner; à toujours; découragea; allait prendre; eue; Dieu; pasteur; sentiments; remettre; regardai; mariage;
Quand le pasteur me demanda si je promettais obéissance et fidélité à celui que j'acceptais pour époux, ma bouche et mon cœur le promirent. Je le tiendrai jusqu'à la mort.

 
À MILORQ EDOUARD
Oui, milord, il est vrai, mon âme est oppressée¨ du poids¨ de la vie. Depuis longtemps elle m'est à charge; j'ai perdu tout ce qui pouvait me la¨ rendre chère, il ne m'en reste que les ennuis.¨ écrasée; charge; (=la vie); tristesse;
Robeck fit l'apologie de la mort volontaire avant de se la donner. Je ne veux pas faire un livre à son exemple et je ne suis pas fort¨ content du sien;mais j’espère imiter son sang froid.¨ J'ai longtemps médité sur ce grave sujet. Plus j'y réfléchis, plus je trouve que la question se réduit¨ ਠcette proposition fondamentale: chercher son bien et fuir son mal en ce qui n'offense point¨ autrui; c'est le droit de la nature. Quand notre vie est un mal pour nous, et n'est bien pour personne, il est donc permis de s'en délivrer. très; flegme, calme; résume; en; fait pas mal;

 
RÉPONSE
Jeune homme, un aveugle transport¨ t'égare;¨ sois plus discret. Une douleur insensée¨ te rend stupide et impitoyable. Je n'en veux pour preuve¨ que ta lettre même. Autrefois je trouvais en toi du sens¨ de la vérité. émotion; te trouble l'esprit; folle; marque; raison;
Tes sentiments étaient droits, tu pensais juste. Qu'ai-je trouvé maintenant dans les raisonnements de cette lettre dont tu parais si content?
Pour renverser¨ tout cela d'un mot, je veux te demander une seule chose. Toi qui crois Dieu existant, l’âme immortelle, et la liberté de l'homme, tu ne penses pas, sans doute, qu'un être intelligent reçoive un corps et soit placé sur la terre au hasard¨ seulement pour vivre, souffrir¨ et mourir? Il y a bien peut-être à la vie humaine un but, une fin, un objet moral? changer; sans but; être malheureux;
Ne dis donc plus que c'est un mal pour toi de vivre. Ne dis pas non plus qu'il t'est permis de mourir. Écoute-moi, jeune insensé, ¨ tu m'es cher, j'ai pitié de tes erreurs.¨ S'il te reste au fond du cœur le moindre sentiment de vertu¨ que je t'apprenne à aimer la vie. fou; fautes; morale;
Il faut, pour vous rendre à vous-même, que vous sortiez d'au-dedans de vous, et ce n'est que dans l'agitation d'une vie active que vous pouvez trouver le repos. Il se présente pour cette épreuve¨ une occasion qui n'est pas à dédaigner;¨ il est question d'une entreprise¨ grande, belle, et telle que bien des âges n'en voient pas de semblables.¨ Il dépend de vous d'en être témoin¨ et d'y concourir.¨ test; refuser; affaire; mêmes; présent; prendre part;
Vous savez qu'on vient d'armer à Plymouth une escadre de cinq vaisseaux¨ de guerre, et qu'elle est prête à mettre à"voile.¨ Celui qui doit la commander est M.George Anson, habile et vaillant¨ officier, mon ancien ami. Elle est destinée¨ pour la mer du Sud, où elle doit se rendre¨ par le détroit de Le Maire, et en revenir par les Indes orientales. Ainsi vous voyez qu'il n'est pas question de moins que du tour du monde. bateaux; partir; courageux; faite; aller;
Je compte¨ retourner demain à Londres et vous présenter a M.Anson dans deux jours. En attendant, ¨ songez¨ à votre équipage, ¨ et à vous pourvoir¨ d'instruments et de livres; car l'embarquement est prêt et l'on n'attend plus que l'ordre du départ. Mon cher ami, j'espère que Dieu vous ramènera sain¨ de corps et de cœur de ce long voyage. pense; pendant ce temps; pensez; matériel; acheter; en bonne santé;

 
À MADAME D'ORBE
Je pars, chère et charmante cousine, pour faire le tour du globe; je vais chercher dans un autre hémisphère¨ la paix dont je n'ai pu jouir dans celui-ci. Sans espérer de guérir, il faut au moins le vouloir, puisque Julie et la vertu¨ l’ordonnent. côté du globe; loyauté;
J'entends le signal et les cris des matelots; je vois fraîchir¨ le vent et déployer les voiles. Il faut monter à bord, il faut partir. devenir plus fort;

 
À MADAME D'ORBE
Ma cousine, ma bienfaitrice, mon amie, j'arrive des extrémités¨ de la terre; j'ai fait le tour du monde. J'ai beaucoup souffert, ¨ j'ai vu souffrir d'avantage.¨ Mais ce que je n'ai point vu dans le monde entier, c'est quelqu'un qui ressemble a Claire d'Orbe, à Julie d'Etange, et qui puisse consoler¨ de leur perte un cœur qui sut les aimer. bout; eu mal; plus; compenser;
Comment vous parler de ma guérison? C'est de vous que je dois apprendre à la connaître. Reviens-je plus libre et plus sage que je ne suis parti? J'ose le croire et ne puis l'affirmer. La même image règne toujours dans mon cœur; vous savez s'il est possible qu'elle s'en efface, ¨ mais il me semble que mes sentiments ne se sont pas affaiblis, mais rectifiés; et, avec quelque soin¨ que je m'examine, je les trouve aussi purs que l'objet¨ qui les inspire. Souffrez¨ que je vous voie, et m'examinez vous-même; ou laissez-moi voir Julie, et je saurai ce que je suis. en sorte; attention; personne; permettez;

 
DE M. DE WOLMAR
Quoique nous ne nous connaissions pas encore, je suis chargé de vous écrire. La plus sage et la plus chérie des femmes vient d'ouvrir son cœur à son heureux époux. Il vous croit digne d 'avoir¨ été aimé d'elle, et il vous offre sa maison. L'innocence et la paix y règnent; vous y trouverez l'amitié, l’hospitalité, ¨ l'estime, ¨ la confiance. Consultez votre cœur; et, s'il n'y a rien là qui vous effraye, ¨ venez sans crainte;¨ vous ne partirez point d'ici sans y laisser un ami. avoir droit; bonne réception; respect; fait peur; peur;

 
À MILORD EDOUARD
Je me lève au milieu de la nuit pour vous écrire. Je ne saurais trouver un moment de repos. Mon cœur agité, transporté¨ ne peut se contenir au-de-dans de moi; il a besoin de s'épancher.¨ extasié; s'ouvrir;
Je l'ai vue, milord! mes yeux l'ont vue! J'ai entendu sa voix; ses mains ont touché les miennes; elle m'a reconnu; elle m'a appelé son ami, son cher ami; elle m'a reçu dans sa maison; plus heureux que je ne fus de ma vie, je loge avec elle sous un même toit, et maintenant que je vous écris, je suis a trente pas d'elle.
Mes idées sont trop vives pour se succéder.¨ Je vais m'arrêter et reprendre haleine pour tâcher de mettre quelque ordre dans mon récit.¨ être logiques; ce que je raconte;
Jusque là je m’étais toujours rappelé Julie brillante comme autrefois des charmes de sa première jeunesse. Maintenant j'allais voir Julie mariée, Julie mère.
En arrivant, je fis arrêter à la grille; j'envoyai le postillon dire qu'un étranger demandait à parler à M. de Wolmar. Il était à la promenade avec sa femme. On les avertit. À peine Julie m'eut-elle aperçu qu'elle me reconnut. À l'instant, ¨ me voir, s’écrier, courir, s’élancer¨ dans mes bras, ne fut pour elle qu'une même chose. immédiatement; se jeter;
À peine étions-nous dans le salon qu'elle disparut, et rentra le moment d’après. Elle n’était pas seule. Qui pensez-vous qu'elle amenait avec elle? Milord, c’étaient ses enfants, ses deux enfants plus beaux que le jour, et portant déjà sur leur physionomie¨ enfantine le charme de leur mère. Que devins-je à cet aspect?¨ Dès¨ cet instant, je connus qu'elle ou moi n’étions plus les mêmes. Tout ce que je sais très certainement, c'est que, si mes sentiments pour elle n'ont pas changé d’espèce, ¨ ils ont au moins bien change de forme. visage; en voyant cela; immédiatement à; caractère;

 
À MILORD EDOUARD
Je veux, milord, vous rendre compte¨ d'un danger que nous courûmes ces jours passés. Vous savez que la maison de Mme de Wolmar n'est pas loin du lac, et qu'elle aime les promenades sur l'eau. Il y a trois jours que le désœuvrement¨ ou l'absence de son mari nous laisse et la beauté de la soirée nous firent projeter une de ces promenades pour le lendemain. Au lever du soleil nous nous rendîmes¨ au rivage;¨ nous prîmes un bateau avec des filets pour pêcher. Nous passâmes une heure ou deux à pêcher à cinq pas du rivage. Nous avançâmes ensuite en pleine eau. Tandis que nous nous amusions agréablement à parcourir des yeux les cotes voisines, un séchard, ¨ qui nous poussait vers la rive opposée, s’éleva; et, quand nous songeâmes ਠrevirer, ¨ la résistance se trouva si forte qu'il ne fut plus possible à notre frêle¨ bateau de la vaincre; il fallut regagner¨ la rive de Savoie, et tâcher d'y prendre terre. En abordant, ¨ toutes les fatigues furent oubliées; le petit terrain où nous étions étalait les charmes d'un séjour riant¨ et champêtre; il semblait que ce lieu dût être l'asile de deux amants échappée seuls au bouleversement¨ de la nature. rapporter; inactivité; allâmes; bord du lac; vent sec; voulurent; retourner; peu solide; retourner à; arrivant au rivage; agréable; agitation;
"Quoi!" dis-je à Julie, "votre cœur ne vous dit-il rien ici, et ne sentez-vous point quelque émotion secrète à l'aspect¨ d'un lieu si plein de vous? O Julie, éternel charme de mon cœur! Voici les lieux où soupira¨ jadis¨ pour toi le plus fidèle amant du monde. Faut-il me retrouver avec toi dans les mêmes lieux, et regretter le temps que j'y passais a gémir¨ de ton absence?"Je me mis¨ à verser¨ un torrent¨ de larmes; je repris sa main. en voyant; lamenta; autrefois; me lamenter; commençai; pleurer; beaucoup;
Elle tenait son mouchoir; je le sentis fort mouillé.
"Ah!" lui dis-je tout bas, "je vois que nos cœurs n'ont jamais cessé¨ de s'entendre."¨ arrêté; se comprendre;
"Il est vrai, " dit-elle d'une voix altérée, ¨ mais que ce soit la dernière fois qu'ils auront parlé sur ce ton." changée;
Voilà, mon ami, le détail du jour de ma vie où, sans exception, j'ai senti les émotions les plus vives. J'espère qu'elles seront la crise qui me rendra tout a fait à moi. Au reste, je vous dirai que cette aventure m'a plus convaincu¨ que tous les arguments de la liberté de l'homme et du mérite¨ de la vertu.¨ Combien de gens sont faiblement tentés¨ et succombent?¨ Pour Julie, mes yeux le virent et mon cœur le sentit; elle soutint¨ ce jour-là le plus grand combat qu’âme humaine ait pu soutenir; elle vainquit¨ pourtant. fait comprendre(la situation); valeur; pureté; éprouvés; sont vaincus; fit; triompha;

 
À MILORD EDOUARD
Oui, milord, je vous le confirme avec des transports¨ de joie: la paix est au fond de mon âme comme dans le séjour¨ que j'habite. La simplicité, l’égalité que j'y vois régner ont un attrait¨ qui me touche et me porte au respect. En fréquentant¨ ces heureux époux leur ascendant¨ me gagne. Contents de leur sort, ¨ ils jouissent paisiblement¨ contents de leur fortune¨ ils ne travaillent pas a l'augmenter extases; maison; charme; en voyant régulièrement; influence; vie; calmement; argent;

 
À MADAME D'ORBE
Milord avait craint¨ l'attendrissement¨ et , comparant ce départ à celui dont il me rappelait l’idée, je me sentis si différent de ce que j’étais alors. eu peur de; émotions;
Je partis le cœur plein de tous mes devoirs. Nous ne rentrâmes à Villeneuve qu'à la nuit. Dans huit jours nous comptons être à Rome, et j'espère y trouver de vos nouvelles en arrivant.

 
DE FANCHON ANET
Ah! monsieur, que me charge-t-on de vous apprendre!¨ Madame...ma pauvre maîtresse...O Dieu! Ah! que deviendrez-vous quand vous saurez notre malheur?. faire savoir;
Toute la famille alla dîner à Chillon. On se promena le long de la digue. Monseigneur le bailli¨ offrit le bras à madame. Pour le prendre elle me renvoie Marcellin; il court à moi, j'accours à lui; en courant l'enfant fait un faux pas, le pied lui manque, il tombe dans l'eau. Je pousse¨ un cri perçant;¨ Madame se retourne, voit tomber son fils, part comme un trait¨ et s’élance¨ après lui. On n'avait là ni gens, ni bateau, il fallut¨ du temps pour les retirer...L'enfant est remis, ¨ mais la mère...Ma bonne maîtresse! ah! si je vous perds, je n'aurai plus besoin de personne...O mon cher monsieur, que le bon Dieu vous soutienne¨ dans cette épreuve.¨ juge; produit; fort; vite; saute; ça prenait; guéri; aide; charge;

 
DE MADAME D'ORBE
C'en est fait!¨ Jamais vous ne la reverrez... Julie n'est..¨ fini; est morte;
Elle vous a écrit. Attendez sa lettre; honorez ses dernières volontés. Il vous reste de grands devoirs à remplir sur la terre.

 
LETTRE DE JULIE
Je me suis longtemps fait illusion.
Cette illusion me fut salutaire;¨ elle se détruit au moment que je n'en ai plus besoin. Vous m'avez crue guérie, et j'ai cru l'être. Oui, j'eus beau vouloir¨ étouffer¨ le premier sentiment qui m'a fait vivre, il s'est concentré dans mon cœur. Il s'y réveille au moment qu'il n'est plus à craindre; il me soutient¨ quand mes forces m'abandonnent; il me ranime quand je me meurs. Mon ami, je fais cet aveu¨ sans honte.¨ N'ai-je pas assez vécu pour le bonheur et pour la vertu? Que me restait-il d'utile à tirer de la vie? En me l'ôtant¨ le ciel ne m'ôte plus rien de regrettable, et met mon honneur à couvert.¨ Mon ami, je pars au moment favorable, contente de vous et de moi; je pars avec joie, et ce départ n'a rien de cruel. Après tant de sacrifices, je compte pour peu celui qui me reste à faire; ce n'est que mourir une fois de plus. bonne; malgré que je voulusse; dominer; aide; confession; réserve; prenant; en sûreté;
Je prévois vos douleurs, je les sens; vous restez à plaindre, je le sais trop; et le sentiment de votre affliction¨ est la plus grande peine que j'emporte avec moi. tristesse;
Adieu, adieu, mon doux ami... Non je ne te quitte pas, je vais t'attendre. La vertu qui nous sépara sur la terre nous unira dans le séjour éternel.¨ Je meurs dans cette attente, trop heureuse d'acheter au prix de ma vie le droit de t'aimer toujours sans crime, et de te le dire encore une fois! paradis;

22.4. Du contrat social (l762)

L'homme est né libre et partout il est dans les fers.¨ Comment ce changement s'est-il fait? Je l'ignore.¨ Qu'est ce qui peut le rendre¨ légitime? Je crois pouvoir résoudre cette question. emprisonné; sais pas; faire;
L'ordre social est un droit sacré, qui sert de base à tous les autres. Cependant ce droit ne vient point de la nature; il est donc fondé¨ sur des conventions. basé;
La plus ancienne de toutes les sociétés et la seule naturelle est celle de la famille. Encore¨ les enfants ne restent-ils liés¨ au père qu'aussi longtemps qu'ils ont besoin de lui pour se conserver.¨ Sitôt¨ que ce besoin cesse, ¨ le lien naturel se dissout.¨ Cette liberté commune est une conséquence de la nature de l'homme. Sa première loi est de veiller¨ à sa propre conservation. et de plus; unis; survivre; immédiatement; s'arrête; finit; défendre;
La famille est donc, si l'on veut, le premier modèle des sociétés politiques, le chef est l'image¨ du père, le peuple est l'image des enfants, et tous étant nés égaux et libres n’aliènent¨ leur liberté que pour leur utilité. symbole; abandonnent;
Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme¨ sa force en droit.De là le droit du plus fort. Mais sitôt que¨ c'est la force qui fait le droit, l'effet change avec la cause; sitôt qu'on peut désobéir impunément, on le peut légitimement. Or, qu'est-ce qu un droit qui périt¨ quand la force cesse?¨ On voit donc que ce mot de droit n'ajoute rien à la force. change; immédiatement quand; disparaît; s' arrête;
Puisqu'aucun homme n'a une autorité naturelle sur son semblable, et puisque la force ne produit aucun droit, restent donc les conventions pour base de toute autorité légitime.
Il y aura toujours une grande différence entre soumettre¨ une multitude¨ et régir¨ une société. Dans le despotisme je ne vois qu'un maître et des esclaves, je n'y vois point un peuple et son chef. Cet homme (le despote) n'est toujours qu'un particulier; son intérêt¨ n'est toujours qu'un intérêt privé. Si ce même homme vient à périr, ¨ son empire après lui reste épars¨ et sans laison.¨ dominer; masse; gouverner; profit; meurt; en désordre; unité;
Un peuple, dit Grotius, peut se donner à un roi. Selon Grotius, un peuple est donc un peuple avant de se donner à un roi. Avant d'examiner¨ l'acte par lequel un peuple élit¨ un roi, il serait bon d'examiner l'acte par lequel un peuple est un peuple. étudier; choisit;
Je suppose les hommes parvenus¨ à ce point où les obstacles qui nuisent ਠleur conservation¨ dans l’état de nature l'emportent¨ par leur résistance¨ sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors, les hommes n'ont plus d'autre moyen pour se conserver que de former par agrégation¨ une somme¨ de forces qui puisse l'emporter¨ sur la résistance. Cette somme de forces ne peut naître que du concours¨ de plusieurs. Mais la force et la liberté de chaque homme étant les premiers instruments de sa conservation, comment les engagera-t-il¨ sans se nuire, ¨ et sans négliger¨ les soins qu'il se doit? Cette difficulté ramenée à mon sujet peut s’énoncer en ces termes: arrivés; font du mal à; survie; triomphent; force; union; total; triompher; coopération; mettra-t-il en jeu; faire du mal; oublier;
"Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune¨ la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n’obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant."¨ Tel est le problème fondamental dont le contrat social donna la solution. collective; avant cela;
Si on écarte¨ du pacte social ce qui n'est pas de son essence, on trouvera qu'il se réduit¨ aux termes suivants: élimine; résume;
Chacun de nous met en commun¨ sa personne et toute sa puissance sous la suprême¨ direction de la volonté générale; et nous recevons¨ en corps¨ chaque membre¨ comme partie indivisible du tout. collectivité; supérieur; adoptons; unité; individu;
Cet acte d'association produit un corps moral et collectif composé d'autant de membres que l’assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. Cette personne publique prenait autrefois le nom de Cité, et prend maintenant celui de République ou de corps politique, lequel est appelé par ses membres État quand il est passif, Souverain quand il est actif, Puissance en le comparant à ses semblables. À l’égard¨ des associés ils prennent collectivement le nom de Peuple, et s'appellent en particulier citoyens comme participants à l’autorité souveraine, et sujets comme soumis aux lois de l’état. devant les;
Le plus grand bien qui doit être la fin¨ de tout système de législation, se réduit ਠces deux objets principaux, la liberté et l’égalité. but; résume en;
La liberté, parce que toute dépendance particulière est autant de force ôtée¨ au corps de l’État; l’égalité, parce que la liberté ne peut subsister¨ sans elle. prise; survivre;
On distingue puissance législative et puissance exécutive.
La puissance législative appartient¨ au peuple; la puissance exécutive ne peut appartenir à la généralité ¨ comme législative ou souveraine.Il faut donc à la force publique un agent¨ propre¨ qui la réunisse et la mette en œuvre selon les directions¨ de la volonté générale. est; collectivité; corps; spécial; indications;
Voilà quelle est dans l’État la raison du gouvernement. La voix du plus grand nombre oblige¨ toujours tous les autres; c'est une suite¨ du contrat même. Mais on demande comment un homme peut être libre, et forcé de se conformer à des volontés qui ne sont pas les siennes. s'impose; conséquence;
La question est mal posée. Le citoyen consent¨ à toutes les lois, même à celles qu'on passe¨ malgré lui. La volonté générale: c'est par elle qu'ils sont citoyens et libres. Quand on propose une loi dans l’assemblée du peuple, ce qu'on leur demande n'est pas précisément s' ils approuvent¨ la proposition ou s'ils la rejettent, mais si elle est conforme ou non à la volonté générale. est d'accord avec; accepte; acceptent;
Le christianisme est une religion toute spirituelle, occupée uniquement des choses du Ciel; la patrie du chrétien n'est pas de ce monde. Il fait son devoir, il est vrai, mais il le fait avec une profonde indifférence. Si malheureusement il s'y trouve un seul ambitieux, celui-là très certainement aura bon marché de¨ ses pieux compatriotes. Or, il importe bien à l’État que chaque citoyen ait une religion qui lui fasse aimer ses devoirs. Il y a donc une profession de foi purement civile dont il appartient au¨ souverain de fixer les articles. s'imposera facilement sur; est la tâche du;

22.5. Émile ou de l'éducation

Tout est bien sortant¨ des mains de l'Auteur des choses, ¨ tout dégénère entre les mains de l'homme. Nous naissons faibles, nous avons besoin de force. Tout ce que nous n'avons pas à notre naissance et dont nous avons besoin étant grands, nous est donne par l’éducation. ce qui sort; Dieu;
Cette éducation nous vient de la nature, ou des hommes ou des choses. Le développement interne de nos facultés et capacités de nos organes est l’éducation de la nature; l'usage qu'on nous apprend à faire de ce développement est l'éducation des hommes; et l'acquis¨ de notre propre expérience sur les objets qui nous affectent¨ est l’éducation des choses. développement; impressionnent;
Chacun de nous est donc formé par trois sortes de maîtres. Le disciple dans lequel leurs diverses leçons se contrarient est mal eleve, et ne sera jamais d'accord avec lui-même; celui dans lequel elles tombent toutes sur les mêmes points, et tendent¨ aux mêmes fins¨ va seul à son but et vit conséquemment. Celui-la seul est bien élevé. vont; buts;
Voulez-vous donc qu'il garde sa forme originelle, conservez-la dès¨ l'instant qu'il vient au monde, Sitôt qu'il naît, emparez-vous de lui, et ne le quittez plus qu'il ne soit homme; vous ne roussirez jamais sans cela. immédiatement;
C'est surtout dans les premières années de la vie que l'air agit¨ sur la constitution des enfants. Les villes sont le gouffre¨ de l’espèce¨ humaine. Envoyez vos enfants reprendre, au milieu des champs, la vigueur¨ qu'on perd dans l'air malsain¨ des lieux trop peuplés. influence; ruine; race; force; mauvais pour la santé;
Je le répète, l’éducation de l'homme commence à sa naissance; avant de parler, avant que d'entendre, il s'instruit déjà: l’expérience prévient les leçons.
Dès que l'enfant commence à distinguer les objets, il importe de mettre du choix¨ dans ceux qu'on lui montre. Je veux qu'on l'habitue à voir des objets nouveaux, mais peu à peu, de loin, jusqu'à ce qu'il y soit accoutumé et qu'à force de les voir¨ manier¨ à d'autres, il les manie enfin lui-même. une sélection; par le fait qu'il les voit; utiliser;
Les enfants entendent parler dès¨ leur naissance; on leur parle non seulement avant qu'ils comprennent ce qu'on leur dit, mais avant qu'ils puissent rendre les voix qu'ils entendent. Je voudrais que les premières articulations qu'on lui fait entendre fussent rares, ¨ faciles, distinctes, ¨ souvent répétées et que les mots qu'elles expriment ne se rapportassent qu'a des objets sensibles qu'on pût d'abord montrer aux enfants. immédiatement à; sporadiques; nettes;
L'enfant qui veut parler ne doit écouter que les mots qu'il peut entendre, ne dire que ceux qu'il peut articuler.
Les enfants qu'on presse trop de parler, ont le temps ni d'apprendre à bien prononcer, ni de bien concevoir¨ ce qu'on leur fait dire. Le plus grand mal de la précipitation¨ avec laquelle on fait parler les enfants avant l'age, n'est pas que les premiers discours¨ qu'on leur tient et les premiers mots qu'ils disent n'aient aucun sens¨ pour eux mais qu'ils aient un autre sens que le nôtre. se faire une idée de; trop grande hâte; paroles; signification;
Resserrez¨ donc le plus qu' il est possible le vocabulaire de l'enfant. diminuez;
C'est ici le second terme de la vie, et celui auquel proprement¨ finit l'enfance. précisément;
Quand les enfants commencent à parler, ils pleurent moins.
Ce progrès est naturel; un langage est substitué¨ à l'autre. Sitôt qu'ils peuvent dire qu'ils souffrent¨ avec des paroles, pourquoi le diraient-ils avec des cris? remplacé; ont mal;
Maintenez¨ l'enfant dans la seule dépendance des choses, vous aurez suivi l'ordre de la nature dans le progrès de son éducation. N'offrez jamais a ses volontés indiscrètes que des obstacles physiques¨ ou des punitions qui naissent des actions mêmes. L’expérience ou l'impuissance doivent seules lui tenir lieu¨ de loi.N'accordez¨ rien à ses désirs parce qu'il le demande, mais parce qu'il en a besoin. gardez; matérielles; prendre la place; donnez;
Votre enfant dyscole¨ gâte¨ tout ce qu'il touche; ne vous fâchez point; mettez hors de sa portée¨ ce qu'il peut gâter. Il casse les fenêtres de sa chambre; laissez le vent souffler sur lui nuit et jour sans vous soucier¨ des rhumes;¨ car il vaut mieux qu'il soit enrhumé que fou. Enfin, après que l'enfant aura demeuré là plusieurs heures, assez longtemps pour s'y ennuyer et s'en souvenir, ¨ quelqu'un lui suggérera de vous proposer un accord au moyen duquel¨ vous lui rendriez la liberté, et il ne casserait plus de vitres. Il ne demandera pas mieux, ¨ il vous fera prier de le venir voir; vous viendrez; il vous fera sa proposition, et vous l'accepterez à l'instant¨ en lui disant: C'est très bien pensé; que¨ n'avez-vous eu plus tôt cette bonne idée! méchant; ruine; loin de lui; troubler; maladies du nez; en garder un souvenir; par lequel; voudra bien; immédiatement; pourquoi;
J'en ai dit assez pour faire entendre¨ qu'il ne faut jamais infliger¨ aux enfants le châtiment¨ comme châtiment, mais qu'il doit toujours leur arriver comme une suite¨ naturelle de leur mauvaise action. comprendre; donner; punition; conséquence;
Quoique la mémoire et le raisonnement soient deux facultés¨ essentiellement différentes, cependant l'une ne se développe véritablement qu'avec l'autre. Je suis cependant bien éloigné¨ de penser que les enfants n'aient aucune espèce¨ de raisonnement. Au contraire, je vois qu'ils raisonnent très bien dans tout ce qu'ils connaissent et qui se rapporte à leur intérêt¨ présent et sensible.¨ Mais c'est sur leurs connaissances que l'on se trompe en leur prêtant¨ celles qu'ils n'ont pas, et faisant raisonner sur ce qu'ils ne sauraient comprendre. activités; loin; sorte; profit; évident; les supposant;
Émile n'apprendra jamais rien par cœur, pas même des fables. En ôtant¨ ainsi tous les devoirs des enfants, j'ôte les instruments de leur plus grande misère, savoir¨ les livres. La lecture est le fléau¨ de l'enfance, et presque la seule occupation¨ qu'on lui sait donner. À peine à douze ans Émile saura-t-il ce que c'est qu'un livre. Mais il faut bien au moins, dira-t-on, qu'il sache lire. J'en conviens, ¨ il faut qu'il sache lire quand la lecture lui est utile; jusqu'alors elle n'est bonne qu'à l'ennuyer. retirant; c'est-à-dire; catastrophe pour; activité; suis d'accord;
Si l'on ne doit rien exiger des¨ enfants par obéissance, il s'ensuit¨ qu'ils ne peuvent rien apprendre dont ils ne sentent l'avantage¨ actuel et présent. demander aux; en résulte; profit;
On se fait une grande affaire de chercher les meilleures méthodes d'apprendre a lire. L’intérêt¨ présent, voilà le grand mobile, ¨ le seul qui mène sûrement et loin. profit; impulsion;
À douze ou treize ans les forces de l'enfant se développent bien plus rapidement que ses besoins. Que fera-t-il donc de cet excédent¨ de facultés¨ et de forces qu'il a de trop à présent? Il tâchera de l'employer à des soins qui lui puissent profiter au besoin.¨ Voici donc le temps des travaux, des instructions, des études, et c'est la nature elle-même qui l'indique.¨ surplus; capacités; quand il en aura besoin; fait savoir;
Sitôt que nous sommes parvenus¨ à donner à notre élève une idée du mot utile, nous avons une grande prise¨ de plus¨ pour le gouverner. Songez¨ bien que c'est rarement à vous de lui proposer ce qu'il doit apprendre; c'est à exceptionnel à lui de le désirer, de le chercher, de le trouver ; à vous de le mettre à sa portée, ¨ de faire naître adroitement ce désir et de lui fournir¨ les moyens de le satisfaire.¨ avons réussi; influence; extra; pensez; près de lui; donner; contenter;
De plus¨ il importe¨ il est important peu qu'il apprenne ceci ou cela, pourvu¨ qu'il conçoive¨ bien ce qu'il apprend. et; ; à condition; comprenne;
Je n'aime point les explications en discours.¨ Supposons que, tandis que j’étudie avec mon élève le cours du soleil et la manière de s'orienter, tout à coup il m'interrompe pour me demander à quoi sert tout cela. Quel beau discours¨ je vais lui faire! Quand j'aurai tout dit, j'aurai fait l’étalage d'un vrai pédant, auquel il n'aura pas compris une seule idée. Ainsi se pratiquent les belles éducations. paroles; prédication;
Mais notre Émile, plus rustiquement élevé, n’écoutera rien de tout cela. Du premier mot qu'il n'entendra¨ pas, il va s'enfuir. Cherchons une solution plus grossière. comprendra;
Nous observions la position de la forêt au nord de Montmorency, quand il m'a interrompu par son importune¨ question: À quoi sert cela? irritante;
Vous avez raison, lui dis-je.
Le lendemain matin, je lui propose un tour de promenade avant le déjeuner; il ne demande pas mieux. Nous montons dans la forêt, nous parcourons les Champeaux, nous nous égarons, ¨ nous ne savons plus ou nous sommes; et, quand il s'agit de¨ revenir, nous ne pouvons plus retrouver notre chemin. Nous nous asseyons enfin pour nous reposer, pour délibérer. Émile pleure; il ne sait pas que nous sommes à la porte de Montmorency, et qu'un simple taillis¨ nous le cache; mais ce taillis est une forêt pour lui. perdons le chemin; nous devons; petits arbres;
EMILE en pleurant à chaudes larmes:Je suis las, ¨ j'ai faim; j'ai soif, je n'en puis plus. fatigué;
JEANJACQUES Me croyez-vous en meilleur état que vous? Il ne s'agit pas de pleurer, il s'agit de se reconnaître¨ Voyons votre montre; quelle heure est-il? savoir où on est;
EM Il est midi, et je suis à jeun.¨ j'ai faim;
JJ Cela est vrai, il est midi, et je suis à jeun.
EM Oh; que devez-vous avoir faim!
JJ Le malheur est que mon dîner ne viendra pas me chercher ici. Il est midi: c'est justement l'heure ou nous observions hier de Montmorency la position de la forêt. Si nous pouvions de même¨ observer de la forêt la position de Montmorency... de la même manière;
EM Oui; mais hier nous voyions la forêt, et d'ici nous ne voyons pas la ville. JJ Voila le mal... Si nous pouvions nous passer¨ de la voir pour trouver sa position... ne pas avoir;
EM O mon bon ami!
JJ Ne disions-nous pas que la forêt était ...
EM Au nord de Montmorency.
JJ Par conséquent, ¨ Montmorency doit être ... en concluant;
EM Au sud de la forêt.
JJ Nous avons un moyen de trouver le bord à midi?
EM Oui, par la direction de l'ombre.
JJ Mais le sud?
EM Comment faire?
JJ Le sud est l’opposé du nord.
EM Cela est vrai; il n'y a qu'ਠchercher l'opposé de l' ombre. Oh!voilà le sud! voila le sud! sûrement Montmorency est de ce côté. nous avons seulement à;
JJ Vous pouvez avoir raison; prenons ce sentier¨ à travers le bois. petit chemin;
EM frappant des mains, et poussant un cri de joie: Ah! je vois Montmorency! Allons déjeuner, allons dîner, courons vite:l'astronomie est bonne à quelque chose.
Soyez sûr qu'il n'oubliera de sa vie la leçon de cette journée.
C'est par leur rapport sensible¨ avec son utilité, sa sûreté, sa conservation, son bien-être, qu'il doit apprécier tous les corps de la nature et tous les travaux des hommes. L'art dont l'usage¨ est le plus général et le plus indispensable¨ est incontestablement¨ celui qui mérite¨ le plus d'estime.¨ Le premier et le plus respectable de tous les arts est l'agriculture. Et de toutes les occupations¨ qui peuvent fournir¨ la subsistance¨ a l'homme, celle qui le rapproche le plus de l’état de nature est le travail des mains; de toutes les conditions, la plus indépendante de la fortune et des hommes est celle de l'artisan. L'artisan ne dépend que de son travail; il est libre, aussi libre que le laboureur¨ est esclave;car celui-ci tient ਠson champ, dont la récolte¨ est à la discrétion¨ d'autrui. L'ennemi, le prince, un voisin puissant, un procès, lui peut enlever¨ ce champ; par ce champ on peut le vexer¨ en mille manières; mais partout ou l'on veut vexer l’artisan, son bagage est bientôt fait. Toutefois: l'agriculture est le premier métier de l'homme. évident; pratique; nécessaire; sans aucun doute; doit attirer; respect; activités; donner; nourriture; agriculteur; dépend de; production; dépend; prendre; contrarier;
Quand Émile apprendra son métier, je veux l'apprendre avec lui; car je suis convaincu qu'il n'apprendra jamais bien que ce que nous apprendrons ensemble.
Nous naissons, pour ainsi dire, en deux fois: l'une pour exister, et l'autre pour vivre; l'une pour l’espèce, ¨ l'autre pour le sexe. Cette orageuse révolution s'annonce par le murmure des passions naissantes. C'est ici que l'homme naît véritablement à la vie. race;
Nos passions sont les principaux instruments de notre conservation: c'est donc une entreprise aussi vaine¨ que ridicule de vouloir les détruire; c'est contrôler la nature, c'est réformer l'ouvrage de Dieu. inutile;
Le penchant¨ de l'instinct est indéterminé.¨ Un sexe est attiré vers l'autre; voilà le mouvement de la nature. Il convient¨ d’éclairer¨ les enfants de bonne heure¨ sur les objets de leur curiosité. Si l'on prend le parti¨ de répondre, que ce soit avec la plus grande simplicité, sans mystère. Je ne vois qu'un bon moyen de conserver un seul aux enfants leur innocence: c'est que tous ceux qui les entourent la respectent et l'aiment. impulsion; imprécise; il faut; informer; tôt; décide;
Maintenant qu'il commence à sentir ce que c'est qu'aimer, il sent aussi quel doux lien¨ peut unir un homme à ce qu'il aime. Des premiers mouvements du cœur s’élèvent les premières voix de la conscience, ¨ et des sentiments d'amour et de haine naissent les premières notions du bien et du mal; justice et bonté ne sont point seulement des mots abstraits, mais de véritables affections¨ de l’âme éclairée par la raison. relation; sentiment de la morale; sentiments;
Au lieu de vous dire ici ce que je pense, je vous dirai ce que pensait un homme qui valait mieux que moi.

 
PROFESSION DE FOI DU VICAIRE¨ SAVOYARD prêtre;
Mon enfant, n'attendez de moi ni des discours savants, ni de profonds raisonnements.
Plus je réfléchis sur la pensée et sur la nature de l'esprit humain, plus je trouve que le raisonnement des matérialistes ressemble à celui d'un sourd. Ils sont sourds, en effet, à la voix intérieure qui leur crie d'un ton difficile à méconnaître: Une machine ne pense point, il n'y a ni mouvement ni figure qui produise la réflexion.
Nul être matériel n'est actif par lui-même, et moi je le suis; je le sens, et ce sentiment qui me parle est plus fort que la raison qui le combat. Si l'homme est actif et libre, il agit de lui-même; tout ce qu'il fait librement n'entre point dans le système ordonné de la Providence¨ et ne peut lui être imputé.¨ Elle ne veut point le mal que fait l'homme. C'est l'abus¨ de nos facultés¨ qui nous rend malheureux et méchants. Nos chagrins, nos soucis, ¨ nos peines, nous viennent de nous. Le mal moral est incontestablement¨ notre ouvrage. Homme, ne cherche plus l'auteur du mal; cet auteur, c'est toi-même. Dieu; compté comme faute; excès; capacités; alarmes; sans aucun doute;
La conscience est la voix de l'âme, les passions sont la voix du corps. Est-il étonnant que souvent ces deux langages se contredisent? et alors lequel faut-il écouter? Trop souvent la raison nous trompe; mais la conscience ne trompe jamais; elle est le vrai guide de l'homme. Voyez le spectacle de la nature, écoutez la voix intérieure. Dieu n'a-t-il pas tout dit a nos yeux, à notre conscience? Qu'est-ce que les hommes nous diront de plus? Loin d’éclaircir les notions du grand Être, je vois que les dogmes particuliers les embrouillent¨ obscurcissent;
Dès que les peuples se sont avisés¨ de faire parler Dieu, chacun l'a fait parler à sa mode. Si l'on eût¨ écouté ce que Dieu dit au cœur de l'homme, il n'y aurait jamais eu qu'une religion sur la terre. ont eu l’idée; aurait;
Ne confondons point le cérémonial de la religion avec la religion. Le culte que Dieu demande est celui du cœur.
Nous avons trois principales religions en Europe. Dans les trois révélations, ¨ les livres sacres sont écrits en des langues inconnues aux peuples qui les suivent. Je ne concevrai¨ jamais que ce que tout homme est obligé de savoir soit enfermé dans des livres, et que celui qui n'est à portée¨ de ces livres, ni des gens qui les entendent, soit puni d'une ignorance involontaire. Toujours des livres! Quelle manie! Je n'ai jamais pu croire que Dieu m’ordonnât, sous peine¨ de l'enfer, d’être savant.J'ai donc refermé tous les livres. Il en est un seul ouvert à tous les yeux, c'est celui de la nature. C'est dans ce grand et sublime livre que j'apprends à servir et adorer son divin auteur. Je sers Dieu dans la simplicité de mon cœur. Je ne cherche à savoir que ce qui importe¨ à ma conduite. Quand aux¨ dogmes qui n'influent ni sur les actions, ni sur la morale, et dont tant de gens se tourmentent, ¨ je ne m'en mets nullement en peine.¨ religions; comprendrai; ne comprend; punition; est important; en ce qui concerne les..; troublent; problèmes;
Je regarde toutes les religions particulières comme autant d'institutions salutaires¨ qui prescrivent dans chaque pays une manière uniforme d'honorer Dieu par un culte public, et qui peuvent toutes avoir leurs raisons dans le climat, dans le gouvernement, dans le génie¨ du peuple. Je les crois toutes bonnes quand on y sert Dieu convenablement.¨ Le culte essentiel est celui du cœur. profitables; esprit; correctement;
Quand on aime, on veut être aimé. Émile aime les hommes, il veut donc leur plaire. À plus forte raison il veut plaire aux femmes; son âge, ses mœurs, son projet, tout concourt¨ à nourrir en lui ce désir. Nous cherchons Sophie. Enfin le moment presse. contribue;
Il n'est pas bon que l'homme soit seul, Émile est homme, nous lui avons promis une compagne, il faut la lui donner. Cette compagne est Sophie.
Sophie doit être femme comme Émile est homme, c'est-à-dire avoir tout ce qui convient¨ à la constitution de son espèce¨ et de son sexe pour remplir sa place dans l'ordre physique et moral. est bien; race;
En tout ce qui tient¨ au sexe, la femme et l'homme ont partout des rapports¨ et partout des différences; tout ce qu'ils ont de commun¨ est de l'espèce¨ et tout ce qu'ils ont de différent est du sexe. En ce qu'ils ont de commun ils sont égaux; en ce qu'ils ont de différent ils ne sont pas comparables. se rapporte; relations; collectivement; race humaine;
Dans l'union des sexes chacun concourt¨ également¨ à l'objet commun, mais non pas de la même manière. De cette diversité naît la première différence assignable¨ entre les rapports moraux de l'un et de l'autre. L'un doit être actif et fort, l'autre passif et faible. Ce principe contribue; de la même façon; évidente;
établi, ¨ il s'ensuit que la femme est faite spécialement pour plaire à l'homme. quand on accepte ce principe;
Sophie est bien née, elle est d'un bon naturel; elle a le cœur très sensible. Sophie n'est pas belle; mais auprès d'elle les hommes oublient les belles femmes. Sans éblouir, ¨ elle intéresse. Sophie aime la parure¨ et s'y connaît. Sophie a des talents naturels. Ce que Sophie sait le mieux, et qu'on lui a fait apprendre avec le plus de soin, ce sont les travaux de son sexe, comme de coudre ses robes; elle s'est appliquée¨ à tous les détails du ménage; elle entend la cuisine et l'office. fasciner; ornements; a donné son énergie;
Sophie a de la religion, mais une religion raisonnable et simple, peu de dogmes et moins de pratiques de dévotion; ou plutôt ne connaissant de pratique essentielle que la morale, elle dévoue sa vie entière à servir Dieu en faisant le bien.
Plusieurs partis¨ s’étaient présentés, elle les avait tous rebutés.¨ Qu'attendait-elle donc? que voulait-elle? prétendants; refusés;
Elle cherchait un homme et ne trouvait que des singes.
Rendons à notre Émile sa Sophie.

23. Beaumarchais

23.1. Le barbier de Séville (l775)


 
AL LE COMTE ALMAVIVA, amant de Rosine
BA BARTHOLO, médecin, tuteur de Rosine
RO ROSINE, jeune personne noble, pupille de Bartholo
FI FIGARO, barbier de Séville, ancien valet du Comte Almaviva
DB DON BAZILE, organiste, maître à chanter de Rosine.

 
ACTE PREMIER, scène I.
AL Le jour est moins avancé que je ne croyais. L'heure à laquelle elle a coutume¨ de se montrer derrière sa jalousie est encore éloignée. N'importe; il vaut mieux arriver trop tôt, que de manquer l’instant de la voir. Si quelque aimable¨ de la cour pouvait me deviner à cent lieues de Madrid, arrêté tous les matins sous les fenêtres d'une femme à qui je n'ai jamais parlé, il me prendrait pour un Espagnol du temps d'Isabelle...Pourquoi non? Chacun court après le bonheur. Il est pour moi dans le cœur de Rosine... Mais quoi! suivre une femme à Séville, quand Madrid et la cour offrent de toutes parts¨ des plaisirs si faciles?... Et c'est ce-la même que je fuis. Je suis las¨ des conquêtes que l’intérêt, ¨ la convenance¨ ou la vanité¨ nous présentent sans cesse. Il est si doux d'être aimé pour soi-même! habitude; galant; partout; j'ai assez; profit; étiquette; besoin de gloire;
Et si je pouvais m'assurer sous ce déguisement...
Au diable l'importun!¨ gèneur;
FI J'ai vu cet abbé-là quelque part.
AL (à part) Cet homme ne m'est pas inconnu.
FI Eh non, ce n'est pas un abbé! cet air altier¨ et noble.. hautain;
AL Cette tournure¨ grotesque ... air, allure;
FI Je ne me trompe point:c'est le comte Almaviva.
AL Je crois que c'est ce coquin¨ de Figaro. vaurien;
FI C'est lui-même, monseigneur.
AL Maraud!¨ si tu dis un mot ... vaurien;
FI Oui, je vous reconnais; voilà les bontés familières dont vous m'avez toujours honoré.
AL Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas à mon déguisement¨ que je veux être inconnu? mascarade;
FI Je me retire.
AL Au contraire. J'attends ici quelque chose, et deux hommes qui jasent¨ sont moins suspects. parlent;
FI Que regardez-vous donc toujours de ce côté?
AL Sauvons-nous.¨ Allons-nous en;
FI Pourquoi?
AL Viens donc, malheureux! tu me perds!¨ (Ils se cachent) ruines;

 
Scène II.
RO Comme le grand air fait plaisir à respirer!...Cette jalousie s'ouvre si rarement.¨ peu;
BA Quel papier tenez-vous là?
RO Ce sont des couplets de la Précaution¨ inutile, que mesures pour mon maître à chanter m'a donnés hier. prévenir un mal;
BA Qu'est-ce que "la Précaution inutile"?
RO C'est une comédie nouvelle.
BA Quelque drame encore! quelque sottise d'un nouveau genre.
RO (Le papier lui échappe et tombe dans la rue)
Ah! ma chanson! ma chanson est tombée en vous écoutant; courez, courez, donc, monsieur! ma chanson, elle sera perdue!
BA Que diable aussi! l'on tient¨ ce qu'on tient. (Il quitte le balcon) (dans ses mains);
RO (regarde dedans et fait signe dans la rue) St, st.(Le comte paraît); ramassez vite et sauvez-vous¨ (Le comte ne fait qu'un saut, ramasse le papier et rentre) fuyez;
BA (sort de la maison et cherche) Ou donc est-il? je ne vois rien.
RO Sous le balcon, au pied du mur.
BA Vous me donnez la une jolie commission.¨ Il est donc passé quelqu'un? chose à faire;
RO Je n'ai vu personne.
BA (à lui-même)-Et moi qui ai la bonté de chercher!... Batholo, vous n'êtes qu'un sot, mon ami; ceci doit vous apprendre ne jamais ouvrir de jalousies sur la rue.
(Il rentre) .
RO (toujours au balcon)-Mon excuse est dans mon malheur: seule, enfermêe, en butte¨ à la persécution¨ d'un homme odieux, ¨ est-ce un crime de tenter ਠsortir d'esclavage? exposée; tyrannie; haï; essayer de;
BA (Paraissant au balcon)-Rentrez, signora; c'est ma faute si vous avez perdu votre chanson; mais ce malheur ne vous arrivera plus, je vous jure.(Il ferme la jalousie à clef) ,

 
Scene III
AL À present¨ qu'ils se sont retirés, examinons cette chanson dans laquelle un mystère est sûrement renfermé. C'est un billet! maintenant;
FI Il demandait ce que c'est que la Précaution inutile!
AL (lit vivement)-"votre empressement¨ excite¨ ma curiosité; sitôt que mon tuteur sera sorti, chantez indifféremment, sur l'air¨ connu de ces couplets, quelque chose qui m'apprenne enfin le nom, l’état et les intentions de celui qui paraît s'attacher¨ si obstinément¨ à l’infortunée Rosine". Ah!si l'on pouvait écarter¨ tous les surveillants! enthousiasme; cause; mélodie; s'intéresser; énergiquement; éliminer;
FI Il me vient une idée; le régiment de Royal-Infant arrive en cette ville.
AL Le colonel est de mes amis.
FI Bon. Présentez-vous chez le docteur en habit de cavalier, avec un billet de logement; il faudra bien qu'il vous héberge¨ et moi, je me charge du reste. loge;
AL Excellent!
FI Il ne serait même pas mal que vous eussiez l'air entre deux vins.. ¨ ivre, d'avoir trop bu;
AL À quoi bon?
FI Pour qu'il prenne aucun ombrage.¨ méfiance;
AL La porte s'ouvre;c'est notre homme.
FI Éloignons-nous jusqu'à ce qu'il soit parti.

 
Scène IV. (Le Comte Almaviva et Figaro cachés)
BA (sort en parlant à la maison)-Je reviens à l'instant;¨ qu'on ne laisse entrer personne. Quelle sottise à moi d’être descendu! Dès qu'elle m'en priait¨ je devais bien m'en douter...¨ Et Bazile qui ne vient pas! Il devait tout arranger pour que mon mariage se fît secrètement demain: Allons voir ce qui peut l'¨ arrêter. vite; me le demandait; méfier; (=Bazile);

 
Scène V
AL Qu'ai-je entendu? Demain il épouse Rosine en secret!
FI Monseigneur, la difficulté de réussir ne fait qu'ajouter¨ à la nécessité d'entreprendre.¨ hâter; commencer;
AL Quel est donc ce Bazile qui se mêle¨ de son mariage? s'occupe;
FI Un pauvre hère¨ qui montre¨ la musique à sa pupille, infatué¨ de son art, friponneau, ¨ besogneux, ¨ à genoux devant un êcu, ¨ et dont il sera facile de venir à bout¨ à monseigneur...(Regardant à la jalousie).La voilà! diable; apprend; arrogant; bandit; misérable; (pièce de monnaie); triomphe;
AL Qui donc?
FI Derrière sa jalousie, la voilà, la voilà. Ne regardez pas, ne regardez donc pas!
AL Pourquoi?
FI Ne vous écrit-elle pas: Chantez indifféremment? c'est-à-dire: chantez comme si vous chantiez...seulement pour chanter. Oh; la v'là, la v'là.
AL Puisque j'ai commencé à l’intéresser sans être connu d'elle, ne quittons point le nom de Lindor que j'ai pris; mon triomphe en aura plus de charmes.(Il chante en se promenant, et s'accompagnant sur sa guitare):
Vous l'ordonnez, je me ferai connaître
Plus inconnu, j'osais vous adorer;
En me nommant, que pourrais-je espérer?
N'importe, il faut obéir à son maître.
FI Fort bien, parbleu! Courage, monseigneur!
AL Je suis Lindor, ma naissance est commune;¨ ordinaire;
Mes vœux¨ sont ceux d'un simple bachelier;¨ idéals; jeune homme;
Que n'ai-je, hélas! d'un brillant chevalier
À vous offrir le rang et la fortune!
Crois-tu que l'on m'ait entendu?
RO (en dedans, chante:)
Tout me dit que Lindor est charmant,
Que je dois l'aimer constamment...
(On entend une croisée¨ qui se ferme avec bruit) fenêtre;
FI Croyez-vous qu'on vous ait entendu, cette fois?
AL Elle a fermé sa fenêtre; quelqu'un apparemment¨ est entré chez elle. probablement;

 
ACTE II.Scène I.
RO (surprise)-Ah! monsieur Figaro, que je suis aise¨ de vous voir! contente;
FI Votre santé, madame?
RO Pas trop bonne, monsieur Figaro. Avec qui parliez-vous donc là~bas si vivement?Je n'entendais pas; mais...
FI Avec un jeune bachelier¨ de mes parents¨ de la plus grande espérance; plein d'esprit, de sentiments, de talents, et d'une figure fort¨ revenante;¨ homme; de ma famille; très; agréable;
RO Oh! tout à fait bien, je vous assure! Il se nomme?...
FI Lindor....
RO Dieux! j'entends mon tuteur. S'il vous trouvait ici...
Passez par le cabinet du clavecin, et descendez le plus doucement que vous pourrez.

 
Scène II.
BA Ce barbier n'est pas entré chez vous, au moins?
RO Vous donne~t-il de l'inquiétude?¨ jalousie;
BA Tout comme un autre.
RO Que vos rêplique¨ sont honnêtes.¨ Quoi! vous n'accordez¨ pas même qu'on ait des principes contre la séduction¨ de M.Figaro? Eh bien, oui, cet homme est entré chez moi; je l'ai vu, je lui ai parlê. Je ne vous cache pas que je l'ai trouvé fort aimable; et puissiez-vous en mourir de dépit.¨ (Elle sort) réponses; polis; supposez; charme; jalousie;
BA Oh!

 
Scène III.(Figaro, caché dans le cabinet, paraît de temps en temps et écoute)
BA Ah! don Bazile, vous veniez donner à Rosine sa leçon de musique?
DB C'est ce qui presse¨ le moins. est urgent;
BA J'ai passe chez vous sans vous trouver.
DB J'êtais sorti pour vos affaires.Apprenez une nouvelle assez fâcheuse. ¨ désagréable;
BA Pour vous?
DB Non, pour vous. Le comte Almaviva est en cette ville.
BA Parlez bas. Celui qui faisait chercher Rosine dans tout Madrid?
DB Il loge à la grande place, et sort tous les jours déguisé.¨ masqué;
BA Je prétends¨ bien épouser Rosine avant qu'elle apprenne seulement que ce comte_existe. veux;
DB En ce cas, vous n'avez pas un instant à perdre.
BA Et à qui tient il, ¨ Bazile?Je vous ai chargé de tous les détails de l'affaire. de qui est-ce que cela dépend;
DB Demain, tout sera terminé;¨ c'est à vous d'empêcher¨ que personne, aujourd'hui, ne puisse instruire la pupille. Restez, docteur, restez donc. réglé; prévenir;
BA Non pas. Je veux fermer sur¨ vous la porte de la rue. derrière;

 
Scène IV. FIGARO, seul, sortant du cabinet.
FI Oh! la bonne précaution!¨ Ferme, ferme la porte de la rue; et moi je vais la rouvrir au comte en sortant. prudence;
RO (accourant)-Quoi! vous êtes encore là, monsieur Figaro?
FI Très heureusement pour vous, mademoiselle. Votre tuteur et votre maître à chanter, se croyant seuls ici, viennent de parler à cœur ouvert. Apprenez que votre tuteur se dispose¨ à vous épouser demain. prépare;
RO Ah! Grands dieux!
FI Ne craignez rien; nous lui donnerons tant d'ouvrage, qu'il n'aura pas le temps de songer à celui-là.
RO Le voici qui revient; sortez donc par le petit escalier. Vous me faites mourir de frayeur.¨ peur;

 
Scène V.BARTHOLO, ROSINE.
RO Vous étiez ici avec quelqu'un, monsieur?
BA Don Bazile que j'ai reconduit, et pour cause.¨ Vous eussiez mieux que c'eût été M.Figaro? pour des raisons spéciales;
RO Cela m'est fort égal, je vous assure.

 
Scène VI. LE COMTE ALMAVIVA, BARTHOLO, ROSINE.
AL (en uniforme de cavalier, ayant l'air d'être entre deux vins¨ et chantant) d'avoir trop bu;
BA Mais que nous veut cet homme? Un soldat! Rentrez chez vous, signora.
AL Qui de vous deux mesdames, se nomme le docteur Balordo? (À Rosine, base) Je suis Lindor.
BA Bartholo!
RO (à part)-Il parle de Lindor!
AL Balordo, Barque à l'eau; je m'en moque comme de ça. Il s'agit(est important) seulement de savoir laquelle des deux...(A Rosine, lui montrant un papier). Prenez cette lettre.
BA Laquelle! vous voyez bien que c'est moi! Laquelle! Rentrez donc, Rosine; cet homme paraît avoir du vin.
RO C'est pour cela, monsieur; vous êtes seul. Une femme en impose¨ quelquefois. commande le respect;
BA Enfin, que voulez-vous, que demandez-vous?
AL (feignant¨ une grande colère¨ )-Eh bien donc, il s'enflamme!¨ Ce que je veux? Est-ce que vous ne le voyez pas? simulant; fureur; se fâche;
RO Monsieur le soldat, ne vous emportez¨ point, de grâce.¨ fâchez; s.v.p.;
AL Vous avez raison. Je dis en tout bien tout honneur, que vous me donniez à coucher ce soir.
BA Rien que cela?
AL Pas davantage.¨ Lisez le billet doux¨ que notre maréchal des logis vous écrit. plus; (=d'amour);
BA Voyons.(Il lit) Le docteur Bartholo recevra, nourrira, hébergera, couchera...
AL (appuyant¨ )-Couchera. accentuent;
BA Pour une nuit seulement, le nommé Lindor dit l’Écolier, cavalier du régiment...
RO C'est lui, c'est lui-même.
BA (vivement à Rosine)-Qu'est-ce qu'il y a?
AL Eh bien, ai-je tort à présent, docteur Barbaro.
BA Allez au diable, et dites à votre impertinent maréchal des logis que, depuis mon voyage à Madrid, je suis exempt¨ de loger des gens de guerre.¨ dispensé; militaires;
AL Montrez-moi votre brevet d'exemption;quoique je ne sache pas lire, je verrai bientôt.
BA Qu'à cela ne tienne.¨ Il est dans ce bureau. Cela ne doit pas dépendre de cela;
AL (pendant que B. y va)Ah! ma belle Rosine!
RO Quoi! Lindor, c'est vous?
AL Recevez au moins cette lettre.
RO Prenez garde;¨ il a les yeux sur nous. attention;
AL Tirez votre mouchoir, je la laisserai tomber. (Rosine tire son mouchoir; le comte laisse tomber sa lettre entre elle et lui)
BA (se baissant) Ah, ah!
AL (la reprend et dit)-Tenez..¨ moi qui allais vous apprendre les secrets de mon métier... voilà;
Une femme bien discrète, en vérité! ne voilà-t-il pas un billet doux¨ qu'elle laisse tomber de sa poche? (=d'amour);
BA Donnez, donnez.
AL Dulciter, ¨ papa! chacun son affaire. Si une ordonnance de rhubarbe était tombée de la vôtre? doucement;
RO (avance la main)-Ah! je sais que c'est, monsieur le soldat.(Elle prend la lettre, qu'elle cache dans la petite poche de son tablier).
BA Sortez-vous enfin?
AL Eh bien, je sors. Adieu, docteur; sans rancune.

 
Scène VII.
BA Il est enfin parti!(À part)Dissimulons.(Haut)-Heureux, m'amour, d'avoir pu nous en délivrer! Mais n'es-tu pas un peu curieuse de lire avec moi le papier qu'il t'a remis?
RO Quel papier?
BA Celui qu'il a feint¨ de ramasser pour te le faire accepter. simulé;
RO Bon!c'est la lettre de mon cousin l'officier, qui était tombée de ma poche.
BA J'ai idée, moi, qu'il l'a tirée de la sienne. Donne mon cœur.
RO Mais quelle idée avez-vous en insistant, monsieur? Est-ce encore quelque méfiance? ,
BA Vous voulez me faire prendre le change¨ et détourner mon attention du billet qui, sans doute, est une missive¨ de quelque amant.Mais je le verrai, je vous assure. duper; lettre;
RO Vous ne le verrez pas. Si vous m'approchez, je m'enfuis de cette maison, et je demande retraite¨ au premier venu. asile;
BA Pour vous en ôter la fantaisie, je vais fermer la porte.
RO (pendant qu'il y va)-Ah ciel! que faire?... Mettons vite à la place la lettre de mon cousin, et donnons-lui beau jeu à la prendre. (Elle fait l'échange, et met la lettre du cousin dans sa pochette, de façon qu'elle en sorte un peu)
BA (revenant)-Ah! j'espère maintenant la voir.
RO De quel droit, s'il vous plaît.
BA Du droit le plus universellement reconnu, celui du plus fort.
RO On me tuera plutôt que de l' obtenir¨ de moi. recevoir;
BA (frappant du pied)-Madame! madame!...
RO (tombe sur un fauteuil, et feint¨ de se trouver mal)- Ah! quelle indignité!...¨ simule; déshonneur;
BA (lui tête le pouls et dit à part)-Dieux! la lettre!
Lisons-la sans qu'elle en soit instruite.¨ (Il continue à lui tâter le pouls, et prend la lettre, qu'il tâche de lire en se tournant un peu). O ciel! c'est la lettre de son cousin. Maudite¨ inquiétude¨ ! Comment l'apaiser¨ maintenant? Qu'elle ignore¨ au moins que je l'ai lue! (Il remet la lettre dans la pochette) le sache; abominable; alarme; calmer; elle ne doit pas savoir;
RO (soupire)-Ah!...
BA Ma chère Rosine, un peu de cette eau spiritueuse?
RO Je ne veux rien de vous; laissez-moi.
BA Je conviens¨ que j'ai montré trop de vivacité sur ce billet reconnais;
RO Il s'agit bien du billet! C'est votre façon de demander les choses qui est révoltante.¨ irritante;
BA (à genoux)-Pardon:j'ai bientôt senti tous mes torts.¨ et tu me vois à tes pieds prêt à les réparer. fautes;
RO (lui présentant la lettre)-Vous voyez qu'avec de bonnes façons, ¨ on obtient tout de moi. Lisez-la. manières;
BA À Dieu ne plaise que je te fasse une pareille injure.¨ offense;
RO Vous me contrarieriez¨ de la refuser. irriteriez;
BA Reçois en réparation cette marque de ma parfaite confiance.

 
ACTE III. Scène première.-BARTHOLO.LE COMTE ALMAVIVA, en¨ bachelier. dans le rôle de;
AL Que la paix et la joie habitent toujours céans.¨ dans cette maison;
BA Que voulez-vous?
AL Monsieur, je suis Alonzo, bachelier licencié...
BA Je n'ai pas besoin de précepteur¨ gouverneur;
AL élève de don Bazile, organiste du grand couvent, qui a l'honneur de montrer la musique à madame votre...
BA Bazile! organiste! qui a l'honneur! Je le sais;au fait?¨ parle!;
AL (embarrassé¨ )-Monsieur, j’étais chargé...Personne ne peut-il nous entendre? troublé;
BA (À part) C'est quelque fripon¨ (Haut)Eh non, monsieur le mystérieux! parlez sans vous troubler si vous pouvez. charlatan;
AL (À part)Maudit¨ vieillard!(Haut)Don Bazile m'avait chargé¨ de vous apprendre... abominable; ordonné;
BA Parlez haut, je suis sourd d'une oreille.
AL (dit élevant la voix) Ah!volontiers.¨ que le comte Almaviva, qui restait à la grande place... avec plaisir;
BA ¨ effrayé)Parlez bas; parlez bas!;
AL (plus haut)...en est dêlogê¨ ce matin. Comme c'est par moi qu'il a su que le comte Almaviva... parti, sorti;
BA Bas; parlez bas, je vous prie.
AL (du même ton)...était en cette ville, et que j'ai découvert que la signora Rosine lui a écrit...
BA Lui a écrit? Mon cher ami, parlez plus bas, je vous en conjure!¨ Tenez, asseyons-nous et jasons¨ d’amitié. Vous avez découvert, dites-vous, que Rosine... vous prie; parlons;
AL Mais je crains¨ qu'on ne soit aux écoutes. j'ai peur;
BA Je vais encore m'assurer...(Il va ouvrir doucement la porte de Rosine)
AL (à part)Je me suis enferré¨ de dépit.¨ Garder la lettre, à présent.¨ Il faudra m'enfuir; autant vaudrait¨ n'être pas venu... La lui montrer!... Si je puis en prévenir¨ Rosine, la montrer est un coup de maître. dupé; maladresse; maintenant; j'aurais du; informer;
BA (revient sur la pointe du pied) Elle est assise auprès de sa fenêtre, le dos tourné à la porte, occupée à relire une lettre de son cousin l'officier, que j' avais décachetée.¨ Voyons donc la sienne. ouverte;
AL (lui remet la lettre de Rosine) La voici. (À part) C' est ma lettre qu'elle relit.
BA (lit) Depuis que vous m'avez appris votre nom et votre état...¨ Ah!la perfide!c'est bien là sa main. situation sociale;
AL Parlez donc bas à votre tour...
BA Quelle obligation, mon cher!
AL Quand tout sera fini, si vous croyez m'en devoir, ¨ vous devoir me récompenser;
serez le maître. D’après un travail que fait actuellement don Bazile avec un homme de loi...
BA Je dirai que vous venez en sa place. Ne lui donnerez-vous pas bien une leçon?
AL Il n'y a rien que je ne fasse pour vous plaire.
BA Son clavecin est dans ce cabinet. Amusez-vous en l'attendant; je vais faire l'impossible pour l'amener.

 
Scene II ALMAVIVA, seul.
AL Me voila sauvé. Ouf!

 
Scène III. ALMAVIVA, ROSINE, BARTHOLO
BA Écoutez donc, mon enfant; c'est le seigneur Alonzo l’élève et l'ami de don Bazile, choisi par lui pour être un de nos témoins. La musique te calmera, je t'assure.
RO (les deux mains sur son cœur, avec un grand trouble) Ah! mon Dieu!
AL (prenant un papier de musique sur le pupitre)-Est-ce la ce que vous voulez chanter, madame?
RO Oui, c est un morceau très agréable de "La Précaution inutile"
BA Toujours "la Précaution inutile"
AL C'est ce qu'il y a de plus nouveau aujourd'hui. C'est une image du printemps. Si madame veut l'essayer...
RO Avec grand plaisir (Elle chante. En l’écoutant, Bartholo s'est assoupi.¨ Le comte se hasarde¨ à prendre une main qu'il couvre de baisers. L’émotion ralentit le chant de Rosine, l'affaiblit, et finit par lui couper la voix. L'absence du bruit qui avait endormi Bartholo, le réveille.) endormi; risque;
BA Moi, je crois que j'ai un peu dormi pendant le morceau charmant.(Apercevant Figaro)Ah. entrez, monsieur le barbier; avancez;vous êtes charmant.
FI Monsieur, il est vrai que ma mère me l'a dit autrefois; mais je suis un peu déformé depuis ce temps-là.
(À part, au comte) Bravo, monseigneur!
BA Enfin, quel sujet¨ vous amène?¨ motif; fait venir;
FI Eh! parbleu, monsieur, je viens vous raser, ¨ voila tout; n'est-ce pas aujourd'hui votre jour? Monsieur passe-t-il chez lui?¨ faire la barbe; dans sa chambre;
BA Non, monsieur ne passe point chez lui. Eh mais...qui empêche qu'on ne me rase ici?
FI Eh bien! j'irai tout chercher. N'est-ce pas dans votre chambre? (Bas, au comte) Je vais l'attirer dehors.
BA Tenez.(Il lui donne le trousseau¨ ) Dans mon cabinet, sous mon bureau; mais ne touchez à rien. (Bas, au comte) C'est le drôle qui a porté la lettre au comte. les clefs;
(Ici, l'on entend un bruit, comme de vaisselle¨ renversée¨ )-Qu'est-ce que j'entends donc? Le cruel barbier aura tout laissé tomber dans l'escalier, et les plus belles pièces de mon nécessaire!¨ (Il court dehors) assiettes etc.; tombée; instruments;

 
scène IV. LE COMTE, ROSINE.
AL Profitons du moment que l'intelligence de Figaro nous ménage.¨ Accordez-¨ moi ce soir, je vous en conjure¨ madame, un moment d'entretien¨ indispensable¨ pour vous soustraire¨ à l'esclavage où vous alliez tomber. réserve; donnez; prie; conversation; nécessaire; tirervde;
RO Ah! Lindor!
AL Je puis monter à votre jalousie; et quant à la lettre que j'ai reçue de vous ce matin, je me suis vu forcé...

 
Scène V. ROSINE, BARTHOLO, FIGARO, LE COMTE ALMAVIVA.
BA Je ne m’étais pas trompé; tout est brisé.
FI Voyez le grand malheur pour tant de train!¨ On ne voit goutte¨ sur l'escalier.(Il montre la clef au comte. À part) Moi, en montant, j'ai accroché¨ une clef... bruit; rien; saisi;
AL (bas à Rosine)Nous avons la clef de la jalousie, et nous serons ici à minuit.(Bartholo va derrière les amants écouter leur conversation.)Et quant à votre
lettre, je me suis trouve tantôt¨ dans un tel embarras¨ pour rester ici... cet après-midi; difficulté;
FI (De loin, pour avertir) Hem! hem!
RO (effrayée) Ah!...
BA Fort bien, madame, ne vous gênez pas. Comment! sous mes yeux mêmes, en ma présence, on m'ose outrager¨ de la sorte!¨ offenser; de cette manière;
AL Qu'avez-vous donc, seigneur?
BA Perfide Alonzo!
AL Seigneur Bartholo, si vous avez souvent des lubies¨ comme celle dont le hasard me rend témoin, ¨ je ne suis plus étonné de l’éloignement¨ que mademoiselle a pour devenir votre femme. folies; fait voir; antipathie;
RO Sa femme! Moi! Passer mes jours auprès d'un vieux jaloux, qui, pour tout bonheur, offre à ma jeunesse un esclavage abominable!
BA Ah! qu'est-ce que j'entends!
RO Oui, je le dis tout haut; je donnerai mon cœur et ma main à celui qui pourra m'arracher¨ de cette horrible prison, où ma personne et mon bien sont retenus contre toute justice.(Rosine sort) sauver;
BA Ma colère¨ me suffoque.¨ fureur; étouffe;
FI Je me retire, il est fou.
AL Et moi aussi; d'honneur, ¨ il est fou. parole d'honneur;

 
ACTE IV. scène première. BARTHOLO, DON BAZILE
BA Comment, Bazile, vous ne le connaissez pas! Ce que vous dites est-il possible?
DB Vous m'interrogeriez cent fois, que je vous ferais la même réponse. S'il vous a remis la lettre de Rosine, c'est sans doute un des émissaires¨ du comte. agents;
BA Vous avez raison. Voici la lettre de Rosine, que cet Alonzo m'a remise¨ et il m'a montré, sans le vouloir, l'usage que j'en dois faire auprès d'elle. donnée;
DB Adieu; nous serons ici à quatre heures;

 
scène II. ROSINE, BARTHOLO
BA Ah! Rosine, puisque vous n'êtes pas encore rentrée dans votre appartement....
RO Je vais me retirer.
BA Rosine, écoutez-moi.(Il lui montre sa lettre)Connaissez-vous cette lettre?
RO Ah! grands dieux!
BA Cette lettre que vous avez écrite au comte Almaviva...
RO (étonnée) Au comte Almaviva!
BA J'en frémis!¨ le plus abominable complot entre Almaviva, Figaro et cet Alonzo, cet élève supposé¨ de Bazile, qui porte un autre nom et n'est que le vil¨ agent du comte, allait vous entraîner¨ dans un abîme¨ dont rien n'eut pu vous tirer. tremble; pseudo; méchant; tirer; catastrophe;
RO (accablée¨ )Quelle horreur! Quoi! Lindor! quoi, ce jeune-homme!... découragé;
BA (à part) Ah! c'est Lindor?
RO C'est pour le comte Almaviva...C'est pour un autre...
(outrée¨ )Ah! quelle indignité!¨ Il en sera puni...Monsieur, vous avez désiré de m’épouser? furieuse; bassesse;
BA Tu connais la vivacité de mes sentiments.
RO S'il peut vous en rester encore, je suis à vous.
BA Eh bien! le notaire viendra cette nuit même.
RO Ce n'est pas tout. O ciel! suis-je assez humiliée!¨ Apprenez que dans peu le perfide ose entrer par cette jalousie dont ils ont eu l'art de vous dérober¨ la clef. confondue; voler;
BA (Regardant au trousseau) Ah!les scélérats!¨ Mon enfant, monte chez Marceline; enferme-toi chez elle a double tour. Je vais chercher main-forte¨ et l'attendre auprès de la maison.(Il sort) RO (seule)Malheureuse!...Que faire?...Il va venir. Je veux rester et feindre¨ avec lui, pour le contempler¨ un moment dans toute sa noirceur. criminels; aide armée=police; simuler; observer;
Scène III. LE COMTE ALMAVIVA FIGARO
FI (parle en dehors)Quelqu'un s'enfuit: entrerai-je?
AL C'est Rosine, que ta figure¨ atroce¨ aura mise en fuite. visage; laide;
FI (saute dans la chambre)Nous voici enfin arrivés.
AL Donne-moi la main.(Il saute à son tour). La voici!-Ma belle Rosine.
RO Je commençais à craindre, monsieur, que vous ne y vinssiez pas.
AL (à ses pieds)-Ah! Rosine! je vous adore!...
RO (Indigné¨ )-Arrêtez, malheureux!...vous osez profaner!...Tu m'adores!...Va! tu n'es plus dangereux pour moi; j'attendais ce mot pour te détester!¨ Mais avant de t'abandonner au remords¨ qui t'attend, (en pleurant), apprends que je t'aimais. Misérable Lindor, j'allais de ta faute tout quitter pour te suivre. Mais le lâche abus¨ que tu as fait de mes bontés, et l’indignité¨ de cet affreux comte Almaviva, à qui tu me vendais, ont fait rentrer dans mes mains ce témoignage¨ de ma faiblesse. Connais-tu cette lettre? scandalisée; haïr; conscience; usage mauvais; bassesse; signe;
AL (vivement)-Que votre tuteur vous a remise? _
ARO (fièrement)-Oui, je lui en ai obligation!¨ le remercie;
AL Dieux, que je suis heureux! Il la tient de moi. Dans mon embarras¨ hier, je m'en suis servi pour arracher¨ sa confiance; et je n'ai pu trouver l'instant de vous en informer. Ah! Rosine! il est donc vrai que vous m' aimez véritablement! situation difficile; gagner;
FI Monseigneur; vous cherchiez une femme qui vous aimât pour vous-même...
RO Monseigneur...Que dit-il?
AL (jetant son large manteau, paraît en habit magnifique)-O la plus aimée des femmes! il n'est plus temps de vous abuser;¨ l'heureux homme que vous voyez à vos pieds n'est point Lindor; je suis le comte Almaviva, qui meurt d'amour, et vous cherche en vain¨ depuis 6mois. tromper; sans résultat;
RO (tombe dans les bras du comte)-Ah!...
FI (regarde à la fenêtre)-Monseigneur, le retour est fermé; l’échelle est enlevée.¨ (il regarde encore)-Monseigneur l'on ouvre la porte! c'est notre notaire. retirée;
NO Sont-ce la les futurs conjoints?¨ époux;
AL Oui, monsieur. Avez~vous notre contrat?
NO J'ai donc l'honneur de parler à Son Excellence monsieur le comte Almaviva?
FI Précisément.
NO C'est que j'ai deux contrats de mariage, monseigneur. Ne confondons point; voici le vôtre.
AL Signons toujours. Don Bazile voudra bien nous servir de second témoin.(Ils signent)
DB Mais, Votre excellence...je ne comprends pas...
AL (lui jetant une bourse)-Vous faites l'enfant! Signez donc vite.
DB (étonné)-Ah! an! (il signe)

 
Scène IV. Les acteurs précédents, BARTHOLO, un Alcade¨ policier;
BA Rosine avec ces fripons!¨ Arrêtez tout le monde. charlatans;
AL Mademoiselle est noble et belle; je suis homme de qualité; elle est ma femme. Elle n'est plus en votre pouvoir, je la mets sous l’autorité des lois; et monsieur que vous avez amené vous-même, la protégera contre la violence que vous voulez lui faire.
ALCADE Certainement.
BA Et moi qui leur ai enlevé l’échelle, pour que le mariage fût plus sûr! Ah!je me suis perdu faute de soins.

24. Chateaubriand

24.1. Atala

Après la découverte du Macchabée par le P.Marquette et l’infortuné¨ La Salle, les premiers Français qui s’établirent¨ au Biloxi et à la Nouvelle-Orléans firent alliance avec les Natchez, nation indienne dont la puissance était redoutable¨ dans ces contrées. Il y avait parmi ces Sauvages¨ un vieillard nomme Chactas, qui était le patriarche et l'amour des déserts. Retenue¨ aux galères à Marseille par une cruelle injustice, rendu à la liberté, présenté à Louis XIV, il avait conversé avec les grands hommes de ce siècle. malheureux; s’installèrent; respectée; primitifs; emprisonné;
Depuis plusieurs années rentré dans le sein de sa patrie Chactas jouissait du repos. Toutefois¨ le ciel lui vendait encore cher cette faveur; le vieillard était devenu aveugle. mais;
En l725, un Français nomme René, poussé¨ par des passions et des malheurs, arriva à la Louisiana. Chactas l'adopta pour fils, et lui donna pour épouse une Indienne appelée Céluta. dominé;
Une nuit, à la clarté de la lune, tandis-que tous les Natchez dorment, René demeure¨ seul avec Chactas, lui demande le récit de¨ ses aventures. Le vieillard consent¨ à le satisfaire¨ et il commence en ces mots: reste; de raconter; veut bien; contenter;
Je comptais à peine dix-sept chutes de feuilles¨ lors-que je marchais avec mon père, le guerrier Outalissi, contre les Muscogulges. Nous nous joignîmes¨ aux Espagnols nos alliés¨ et le combat se donna sur une des branches de la Maubile.¨ Les ennemis triomphèrent; mon père perdit la vie; je fus entraîné¨ par les fuyards¨ à Saint-Augustin. (l7 ans); réunîmes avec; amis de guerre; rivière); emmené; fugitifs;
Dans cette ville, un vieux Castillan nommé Lopez m'offrit un asile. Après avoir passé trente lunes¨ à Saint-Augustin, je fus saisi du dégoût¨ de la vie des cités. mois; aversion;
Ne pouvant plus résister¨ à l'envie¨ de retourner au désert, un matin je me présentai à Lopez, vêtu¨ de mes habits de Sauvage. Nous nous quittâmes avec des sanglots.¨ m'opposer; désir; habillé; pleurs;
Mon inexpérience m’égara¨ dans les bois, et je fus pris par un parti de Muscogulges. Je fus reconnu pour Natchez. Le chef de la troupe, Simaghan, voulut savoir mon nom; je répondis: "Je m'appelle Chactas, fils Outalissi" me fit perdre le chemin;
Simaghan me dit: "Chactas, réjouis-toi;¨ tu seras brûlé au grand village". Je repartis:¨ "Voila qui va bien", et j'entonnai¨ ma chanson de mort. sois heureux; répondis; commençai à chanter;
Une nuit que les Muscogulges avaient placé leur camp sur le bord d'une forêt, une femme vint s'asseoir à mes cotes. Elle était régulièrement belle; son sourire était céleste.¨ Je crus que c’était la Vierge des dernières amours, cette vierge qu'on envoie au prisonnier de guerre pour enchanter sa tombe. La jeune fille me dit: "Je ne suis pas la Vierge des dernières amours. Es-tu chrétien?" surnaturel;
Je répondis que je n'avais point trahi les génies¨ de ma cabane.¨ À ces mots, l'Indienne fit un mouvement involontaire. Elle me dit: "Je te plains¨ de n'être qu'un méchant idolâtre.¨ Ma mère m'a faite chrétienne; je me nomme Atala, fille de Simaghan aux bracelets d'or, et chef des guerriers de cette troupe. Nous nous rendons¨ à Apalachucla, où tu seras brûlé". En prononçant ces mots, Atala se lève et s’éloigne. esprits; wigwam; j'ai pitié de toi; incroyant; allons;
Plusieurs jours s’écoulèrent;passèrent¨ la fille du sachem¨ revenait chaque soir me parler. Le sommeil avait fui mes yeux, et Atala était dans mon cœur comme le souvenir de la couche de mes pères. ; chef;
Le dix-septième jour de marche, nous entrâmes sur la grande savane Alachua. La troupe camp au pied des collines. J’étais attaché au pied d'un arbre; un guerrier veillait impatiemment auprès de moi. J'avais à peine passé quelques instants dans ce lieu, qu'Atala parut.
"Chasseur", dit-elle au héros Muscogulge, "si tu veux poursuivre le chevreuil, je garderai le prisonnier"
Interdit¨ et confus,¨ je crois que j'eusse préféré d’être jeté aux crocodiles de la fontaine, à me trouver seul ainsi avec Atala. La fille du désert était aussi troublée que son prisonnier; nous gardions un profond silence. Enfin Atala dit:"Guerrier, vous êtes retenu faiblement; vous pouvez aisément¨ vous échapper." À ces mots, la hardiesse¨ revint sur ma langue; je, répondis: "Faiblement retenu, ô femme...!" Je ne sus comment achever.¨ Atala hésita quelques moments, puis elle dit: "Sauvez-vous!“Et elle me détacha¨ du tronc de l'arbre. Je saisis la corde: je la remis dans la main de la fille étrangère, en forçant ses beaux doigts à se fermer sur ma chaîne. "Reprenez-la! reprenez-la!" m’écriai-je. "Vous êtes un insensé¨ ", dit Atala d'une voix émue.¨ Malheureux! ne sais-tu pas que tu seras brûlé?" perplexe; troublé; facilement; courage; finir ma phrase; libéra; fou; pleine d’émotion;
"Il fut¨ un temps," répliquai je avec des larmes, "que mon père avait aussi une belle hutte; mais j'erre¨ maintenant sans patrie. Le corps d'un étranger malheureux n’intéresse personne." il y avait; vagabonde;
Ces mots attendrirent¨ Atala. "Ah!" repris-je avec vivacité, "si votre cœur parlait comme le mien, le désert n'est-il pas libre? O ma bien-aimée ose suivre mes pas. Ah! si un pauvre esclave...." émotionnèrent;
"Hé bien!" dit-elle en se penchant sur moi, "un pauvre esclave..."
Je repris avec ardeur:¨ "Qu'un baiser l'assure de ta foi¨ !" Atala écouta ma prière. La fille du sachem prononça ces paroles: "Beau prisonnier, j'ai follement cédé¨ à ton désir, mais où nous conduira cette passion? Ma religion me sépare de toi pour toujours... O ma mère! qu'as-tu fait?..." Atala se tut¨ tout à coup, et retint je ne sus quel fatal secret près s'échapper à ses lèvres. Ses paroles me plongèrent dans le désespoir." Hé bien!" m'écriai-je, "je serai aussi cruel que vous; je ne fuirai point. Vous me verrez dans le feu et vous serez pleine de joie." Atala saisit mes mains entre les deux siennes. "Pauvre jeune idolâtre!" s’écria-t-elle, "tu me fais réellement pitié. Il faut bien que je vous suive, puisque vous ne voulez pas fuir sans moi." passion; fidélité; capitulé; s'arrêta de de parler;
Nous avions pris notre route vers l’étoile immobile.¨ =le nord;
Quand nous rencontrions un fleuve, nous le passâmes à la nage. Souvent, dans les grandes chaleurs du jour, nous cherchions un abri¨ à l'ombre. Chaque soir nous allumions un grand. protection;
Je découvris bientôt que je m’étais trompé sur le calme apparent¨ d'Atala. À mesure que nous avancions, elle devenait triste. Je la surprenais attachant¨ sur moi un regard passionné, qu'elle reportait vers le ciel avec une profonde mélancolie. Que¨ de fois elle m'a dit: "O mon jeune amant, je t'aime comme l'ombre des bois au milieu du jour; mais je ne serai jamais ton épouse¨ !" extérieur; fixant; combien; femme;
Les perpétuelles contradictions de l'amour et de la religion d'Alata en faisait pour moi un être incompréhensible. Cependant la solitude, la présence continuelle de isolement l'objet¨ aimé, nos malheurs même, redoublaient à chaque instant notre amour. Les forces d'Atala commençaient à l'abandonner, et les passions allaient triompher de sa vertu.¨ Pour moi, épuisé¨ de fatigue mais toujours brûlant de désir, embrassant étroitement celle que j'aimais: "Atala," lui dis-je, "vous me cachez quelque chose. Ouvre-moi ton cœur, ô ma beauté! Ah! je le vois, tu pleures ta patrie." personne; moralité; fatigué;
Elle repartit¨ aussitôt:¨ "Enfant des hommes, comment pleurerais-je ma patrie, puisque mon père n’était pas du pays des palmiers?" répondit; immédiatement;
"Quoi!" répliquai-¨ je avec un profond étonnement, quel est donc celui qui vous a mise sur cette terre? Répondez." répondis;
Atala dit ces paroles: "Avant que ma mère eût apporté en mariage au guerrier Simaghan trente cavales, trente buffles et beaucoup d'autres richesses, elle avait connu un homme de la chair¨ blanche. Or, la mère de ma mère la contraignit¨ d’épouser le magnanime¨ Simaghan. Mais ma mère dit à son nouvel époux: "Mon ventre a conçu;¨ tuez-moi." Simaghan lui répondit: "Le Grand-Esprit me garde¨ d'une si mauvaise action. Je ne vous mutilerai¨ point, parce que vous avez été sincère,¨ et que vous n'avez point trompé ma couche. Le fruit de vos entrailles sera mon fruit." corps; força; noble; j'attends un enfant; retienne; blesserai; ouvert;
En ce temps, je brisai le sein de ma mère¨ et je commençai à croître¨ comme une Espagnole et comme une sauvage. Ma mère me fit chrétienne, afin¨ que son Dieu et le Dieu de mon père fut aussi mon Dieu. Ensuite le chagrin d'amour vint la chercher, et elle descendit dans la petite cave garnie de peaux, d'où l'on ne sort jamais." fus né; grandir; pour faire;
Telle fut l'histoire d'Atala. "Et quel était donc ton père, pauvre orpheline?" lui dis-je.
"Je n'ai jamais lavé les pieds de mon père," dit Atala, "je sais seulement il vivait avec sa sœur à Saint Augustin, et qu'il a toujours été fidèle à ma mère; les hommes le nommaient Lopez.".
A ces mots je poussai un cri. Serrant Atala sur mon cœur, je m’écriai avec des sanglots:¨ "Ô ma sœur, ô fille de Lopez, fille de mon bienfaiteur!" pleurs;
C'en était trop pour nos cœurs que cette amitié fraternelle qui venait nous visiter. Désormais les combats après cela allaient devenir inutiles. Elle n'offrait plus qu'une faible résistance; je touchais¨ au moment du bonheur, quand un impétueux¨ éclair, suivi d'un éclat de foudre, sillonne¨ l’épaisseur des ombres,¨ remplit la forêt de lumière, et brise un arbre à nos pieds. Nous fuyons. Ô surprise!...dans le silence qui succède¨ nous entendons le son d'une cloche! Tous deux interdits, nous prêtons¨ l'oreille à ce bruit, si étrange dans un désert. À l'instant¨ un chien aboie dans le lointain; il approche, il redouble ses cris, il arrive, il hurle¨ de joie à nos pieds; un vieux solitaire¨ portant une petite lanterne le suit à travers les ténèbres¨ de la forêt. "La Providence¨ soit bénie!¨ " s'écria-t-il aussitôt qu'il nous aperçut. "Il y a bien longtemps que je vous cherche! Notre chien vous a sentis depuis le commencement de l'orage, et il m'a conduit ici. Pauvres enfants!" était près du; brusque; traverse; la nuit; suit; écoutons; immédiatement; crie; (h)ermite; le noir; Dieu; remerciée;
Atala était au pied du religieux: "Chef de la prière," lui disait-elle, "je suis chrétienne; c'est le ciel qui t'envoie pour me sauver." Pour moi, j e comprenais à peine l'ermite; cette charité¨ me semblait si fort au-dessus de l'homme, que je croyais faire un songe.¨ "Vieillard," m'écriai-je enfin, "quel cœur as-tu donc, toi qui n'as pas craint¨ d'être frappé de la foudre?" bonté; rêve; peur;
"Craindre," repartit¨ le père, "craindre, lorsqu'il y a des hommes en péril!¨ je serais donc un bien indigne¨ serviteur de Jésus-Christ" répondit; danger; condamnable;
"Mais, sais-tu," lui dis-je, "que je ne suis pas chrétien?"
"Jeune homme," répondit l'ermite, "vous ai-je demande votre religion? Jésus-Christ n'a pas dit: Mon sang lavera celui-ci, et non celui-là. Il n'a vu dans tous les hommes que des frères et des infortunés."
Ces paroles saisirent¨ mon cœur; des larmes d'admiration et de tendresse¨ tombèrent de mes yeux. "Mes chers enfants," dit le missionnaire, "ma grotte est assez près d'ici dans la montagne; venez vous réchauffer chez moi." émotionnèrent; sympathie;
Nous sortîmes de la forêt, et, après une demi-heure, nous arrivâmes à la grotte du missionnaire.
Le soir ayant ramené la sérénité,¨ le serviteur du Grand-Esprit nous proposa d'aller nous asseoir à l’entrée de la grotte. Ce fut au milieu de cette scène qu'Atala raconta notre histoire au vieux génie de la montagne. Son cœur parut touché, et des larmes tombèrent sur sa robe. calme;
"Mon enfant," dit-il à Atala, "il faut offrir vos souffrances à Dieu. J'instruirai¨ Chactas, et je vous le donnerai pour époux quand il sera digne de l'être." (=de la religion);
À ces mots je tombai aux genoux du solitaire, en versant¨ des pleurs de joie; mais Atala devint pâle comme la mort. pleurant;
Le vieillard me releva avec bénignité¨ et je m'aperçus alors qu'il avait les deux mains mutilées.¨ Atala comprit sur-le-champ¨ ses malignes. "Les barbares!" s'écria-t-elle. douceur; amputées; immédiatement;
Ma fille,"reprit le père avec un doux sourire, qu'est-ce que cela auprès¨ de ce qu'a enduré¨ mon divin Maître?¨ Si les Indiens idolâtres m'ont affligée¨ sont de pauvres aveugles que Dieu éclairera un jour." comparé à; souffert; le Christ; fait mal;
En achevant¨ ces mots, le solitaire se mit à genoux, et nous imitâmes son exemple. finissant;
Le lendemain je cherchai mon hôte. Il me proposa d'aller avec lui à la Mission, tandis qu'Atala reposait encore; j' acceptai son offre, et nous nous mîmes en route à l'instant.¨ immédiatement;
En descendant la montagne, nous découvrîmes le village de la mission, situé au bord d'un lac. Aussitôt que les Indiens aperçurent leur pasteur, ils abandonnèrent leurs travaux et accoururent au-devant lui .On présenta un enfant au missionnaire, qui le baptise parmi les jasmins en fleurs. Deux époux reçurent la bénédiction nuptiale.¨ sous un chêne.¨ Je voulus savoir du saint ermite comment il gouvernait ses enfants; il me répondit avec une grande complaisance:¨ "Je ne leur ai donné aucune loi; je leur ai seulement enseigné¨ à s'aimer, à prier Dieu, et à espérer une meilleure vie." du mariage; (certain arbre); bonté; appris;
Les paroles-du solitaire me ravirent¨ et je sentis la supériorité de cette vie stable et occupée¨ sur la vie errante et oisive¨ du Sauvage. Ah! qu'une hutte, avec Atala, sur ces bords, eut rendu ma vie heureuse! m’enthousiasmèrent; travailleuse; inactive;
Si mon songe¨ de bonheur fut vif, il fut aussi d'une court durée, et le réveil¨ m'attendait à la grotte du solitaire. rêve; retour à la réalité;
Je fus surpris, en y arrivant, de ne pas voir Atala accourir au devant de nos pas.¨ Je ne sais quelle soudaine horreur¨ me saisit. Je m’élançai¨ dans la nuit de la caverne.¨ à notre rencontre; peur; courut; grotte;
Atala se montrait pâle et échevelée; ses regards cherchaient encore à m'exprimer son amour, et sa bouche essayait de sourire. Elle nous fit signe de nous approcher¨ de sa couche.¨ venir plus près; lit;
"Mon père," dit-elle d'une voix affaiblie en s'adressant au religieux, je touche au¨ moment de la mort. O, Chactas! écoute sans désespoir le funeste secret que je t'ai caché. J'ai beaucoup de choses à raconter. suis près du;
Après quelques moments de silence, Atala poursuivi ainsi:
Ma mère me mit au monde avec de grands déchirement¨ d'entrailles;¨ on désespéra de ma vie. Pour sauver mes jours ma mère fit un vœu:¨ elle promit à la reine des anges que je lui consacrerais¨ ma virginité,¨ si j’échappais à la mort... Vœu fatal qui me précipite¨ au tombeau! douleurs; utérus; promesse; donnerais; pureté; jette;
J'entrais dans ma seizième année lorsque je perdis ma mère. Quelques heures avant de mourir, elle m'appela au bord de sa couche:¨ "Ma fille," dit-elle, "tu sais le vœu que j'ai fait pour toi. Jure sur cette image de la mère du Sauveur que tu ne trahiras point à la face du ciel." lit;
Je promis tout ce qu'on voulut me faire promettre.
Je ne connus d'abord pas le danger de mes serments.¨ Je te vis, jeune et beau prisonnier, alors je sentis tout le poids¨ de mes vœux." vœux; charge;
Comme Atala achevait¨ de prononcer ces paroles, serrant les poings et regardant le missionnaire d'un air menaçant,¨ je m’écriai: "La voilà donc cette religion que vous m'avez tant vantée!¨ Périsse¨ le Dieu qui contrarie la nature! Homme-prêtre, qu'es-tu venu faire dans ces forets?" finissait; intimidant; glorifiée; Que meure;
"Te sauver," dit le vieillard d'une voix terrible, dompter tes passions, et t'empêcher¨ blasphémateur, d'attirer¨ sur toi la colère céleste."¨ prévenir; que tu attires; du ciel;
Les éclairs qui sortaient des yeux du vieillard, ses paroles foudroyantes¨ le rendaient semblable à un dieu. Je tombai à ses genoux, et lui demandai pardon de mes emportements.¨ "Mon fils," me répondit-il avec un accent si doux que le remords¨ entra dans mon âme, "mon fils, ce n'est pas pour moi-même que je vous ai réprimandé.¨ Mais, mon fils, le ciel, voilà ce qu'il ne faut jamais accuser!" violentes; violence; regret; blâmé;
Pardonnez-moi si je vous ai offensé, mais écoutons votre sœur. Il y a peut-être du remède. Ma fille, la religion n'exige¨ point de sacrifice plus qu'humain. Rassurez-vous donc, ma chère fille, votre situation exige¨ du calme; adressons-nous à Dieu, qui guérit toutes les plaies¨ de ses serviteurs. Si c'est sa volonté, comme je l’espère, que vous échappiez à cette maladie, j’écrirai à l'évêque de Québec; il a les pouvoirs nécessaires pour vous relever¨ de vos vœux." demande; demande; blessures; libérer;
"Il est trop tard," s’écria-t-elle. "Faut-il mourir, au moment ou j'apprends¨ que j'aurais pu être heureuse!" on me dit;
"Calme-toi," lui dis-je, "ce bonheur, nous allons le goûter."
"Jamais! jamais! " dit Atala.
"Comment?" repartis-¨ je. répondis;
"Tu ne sais pas tout", s’écria la vierge, "c'est hier ... pendant l'orage ... j'allais¨ violer¨ mes vœux; j'allais plonger ma mère dans les flammes de l'abîme...¨ Quand tu baisais mes lèvres tremblantes, tu ne savais pas que tu n'embrassais que la mort!' étais sur le point de; casser; enfer;
"O ciel!" s'écria le missionnaire," chère enfant qu'avez vous fait?"
"Un crime, mon père", dit Atala les yeux égarés,¨ "mais je ne perdais¨ que moi, et je sauvais ma mère. En quittant ces cabanes, j'ai emporté avec moi ..." comme fous; ruinais;
"Quoi?" repris-je avec horreur.
"Un poison?" dit le père.
"Il est dans mon sein." s’écria Atala, "crois-tu que ma mère soit contente, et que Dieu me pardonne ce que j'ai fait?"
"Ma fille," répondit le bon religieux, "ma fille, tous vos malheurs viennent de votre ignorance; Dieu vous pardonnera, à cause de la simplicité de votre cœur."
La parole du vieillard apaisa¨ les passions dans le sein¨ de mon amante. Elle ne parut plus occupée que¨ de ma douleur, et des moyens de me faire supporter¨ sa perte.¨ Elle m'exhortait¨ à la patience, à la vertu.¨ "Tu ne seras pas toujours malheureux,"disait-elle; "si le ciel t’éprouve¨ aujourd'hui, c'est seulement pour te rendre plus compatissant¨ aux maux des autres. Quand je te parlai pour la première fois, tu vis cette croix briller à la lueur¨ du feu sur mon sein; c'est le seul bien que possède Atala. Lopez l'envoya à ma mère peu de jours après ma naissance. Reçois donc de moi cet héritage,¨ ô mon frère! conserve-le en mémoire de mes malheurs. Tu auras recours¨ à ce Dieu des infortunes dans les chagrins de ta vie. Si tu m'as aimée, fais-toi instruire dans le religion chrétienne, qui préparera notre réunion." calma; cœur; penser à; accepter; mort; stimulait; vie morale; fait souffrir; sympathique; lumière; testament; demanderas de l'aide;
Navré¨ de douleur, je promis à Atala d'embrasser¨ un jour la religion chrétienne. À ce spectacle, le solitaire se levant d'un air inspiré: "Il est temps," s'écria-t-il, "il est temps d'appeler Dieu ici." triste; adopter;
Il regarde un moment la fille mourante, et tout à coup ces fortes paroles lui échappent: "Partez, âme chrétienne, allez rejoindre¨ votre Créateur!" Atala venait d'expirer.¨ retrouver; mourir;
Je n'entreprendrai¨ point, ô René! de te peindre¨ aujourd'hui le désespoir qui saisit mon âme lorsque Atala eut rendu le dernier soupir!¨ Pendant deux jours entiers¨ je fus insensible aux discours¨ de l'ermite. essayerai; décrire; fut morte; totales; paroles;
La tendresse, l'onction,¨ l'inaltérable¨ patience du vieux serviteur de Dieu vainquirent enfin l'obstination de ma douleur. Nous convînmes¨ que nous partirions le lendemain au lever du soleil pour enterrer Atala. douceur; constante; nous accordâmes;
Il fut résolu aussi que nous passerions la nuit en prière auprès du corps de cette sainte.
Le religieux ne cessa¨ de prier toute la nuit. J’étais assis en silence au chevet¨ du lit funèbre¨ de mon Atala. Cependant une barre¨ d'or¨ se forma dans l'orient¨ : c’était le signal du convoi d'Atala. Je chargeai le corps sur mes épaules. Enfin, nous arrivâmes au lieu marqué. O mon fils! il eût fallu voir un jeune sauvage et un vieil ermite à genoux l'un vis-à-vis de l'autre dans un désert, creusant¨ avec leurs mains un tombeau pour une pauvre fille dont le corps était étendu¨ près de là, dans la ravine desséchée d'un torrent.¨ s'arrêta; tête; de mort; trait; jaune; est; faisant; couché; rivière de montagne;
Quand notre ouvrage fut achevé,¨ nous transportâmes la beauté dans son lit d'argile.¨ Prenant alors un peu de poussière¨ dans ma main, j'attachai¨ pour]e dernière fois mes yeux sur le visage d'Atala. fini; terre; terre; fixai;
"Lopez", m’écriai-je alors, vois ton fils inhumer¨ ta fille!" et j'achevai¨ de couvrir Atala de la terre du sommeil.¨ enterrer; finis; de la mort;
Nous retournâmes à la grotte, et me fis part¨ au missionnaire du projet¨ que j'avais formé de me fixer¨ près de lui. Le saint découvrit ma pensée et la ruse de ma douleur. Il me dit: "Chactas, fils d'Outalissi, vous vous devez à votre patrie. Croyez-moi, mon fils, les douleurs ne sont pas éternelles. Retournez au Meschacebé; allez consoler¨ votre mère, qui vous pleure tous les jours, et qui a besoin de votre appui.¨ Faites-vous instruire dans la religion de votre Atala, lorsque-vous en trouverez l'occasion; et souvenez-vous¨ que vous lui avez promis d'être vertueux¨ et chrétien. Moi, je veillerai ici sur son tombeau. Partez, mon fils. Dieu, l’âme de votre sœur et le cœur de votre vieil ami vous suivront." parlai; intention; installer; calmer; aide; n'oubliez pas; moralement bon;
Telles furent les paroles de l'homme du rocher; son autorité était trop grande, sa sagesse trop profonde, pour ne lui obéir pas. Dès le lendemain¨ je quittai mon vénérable¨ hôte, qui, me pressant sur son cœur, me donna ses derniers conseils, sa dernière bénédiction et ses dernières larmes. déjà le jour après; respectable;
René
En arrivant chez les Natchez, René avait été obligé¨ de prendre une épouse,¨ pour se conformer aux mœurs¨ des indiens; mais il ne vivait point avec elle. Un penchant¨ mélancolique l’entraînait¨ au fond des bois; il y passait des journées entières et semblait sauvage parmi les sauvages. Chactas, son père adoptif, et le père Souël, missionnaire au fort Rosalie, avaient pris beaucoup de empire¨ sur son cœur; le premier, par une indulgence¨ aimable, l'autre, au contraire, par une extrême¨ sévérité. dû; femme; traditions; tendance; faisait aller; influence; compréhension; très grande;
Chactas et le missionnaire désiraient vivement de connaître¨ par quel malheur un Européen bien né¨ avait été conduit¨ à l'étrange résolution de s'envelir¨ déserts de Louisiane. René avait toujours donné pour motif de ses refus le peu d’intérêt¨ de son histoire. savoir; noble; inspiré; enterrer; importance;
Quelques années s’écoulèrent¨ de la sorte¨ sans que les deux vieillards pussent lui arracher¨ son secret. Une lettre qu'il reçut de l'Europe par le bureau des Missions étrangères, redoubla tellement sa tristesse, qu'il fuyait jusqu'ਠses vieux amis. Ils n'en¨ furent que plus ardent¨ à le presser de leur ouvrir son cœur; ils y mirent tant de discrétion, de douceur et d'autorité, qu'il fut enfin obligé de les satisfaire.¨ Il prit donc jour(rendez-vous} avec eux pour leur raconter, non les aventures de sa vie, mais les sentiments secrets de son âme. passèrent; ainsi; tirer de lui; même; pour cela; énergiques; contenter;
Le père Souël et Chactas s'assirent sur le gazon; René prit place au milieu d'eux, et après un moment de silence, il parla de la sorte(ainsi} à ses amis:
J'ai coûté la vie à ma mère en venant au monde, j'ai été tiré de son sein avec le fer. J'avais un frère que mon père bénit,¨ parce qu'il voyait en lui son fils aîné. Timide et contraint¨ devant mon père, je ne trouvais l'aise¨ et le contentement qu'auprès de ma sœur Amélie. Une douce conformité¨ d'humeur et de goûts m'unissait étroitement à cette sœur; elle était un peu plus âgée que moi. préféra; gêné; liberté; identité;
Cependant¨ mon père fut atteint¨ d'une maladie qui le conduisit en peu de jours au tombeau. Il expira¨ dans mes bras. J'appris à connaître la mort sur les lèvres de celui qui m'avait donne la vie. Cette impression fut grande; elle dure encore. mais; frappé; mourut;
Il fallut quitter le toit paternel, devenu l’héritage¨ de mon frère; je me retirai avec Amélie chez de vieux parents. biens par testament;
Amélie m’entrerait¨ souvent du bonheur de la vie religieuse; elle me disait que j'étais le seul lien¨ qui la retint dans le monde, et ses yeux s'attachaient¨ sur moi avec tristesse. me parlait; relation; fixaient;
Le cœur ému par ces conversations pieuses,¨ je portais¨ souvent mes pas vers un monastère¨ voisin de mon nouveau séjour; un moment même j'eus la tentation¨ d'y cacher ma vie. dévotes; allai; maison religieuse; désir;
Soit¨ inconstance naturelle, soit préjugé contre la vie monastique,¨ je changeai mes desseins;¨ je me resolus à voyager. Je dis adieu à ma sœur;elle me serra dans ses bras avec un mouvement qui ressemblait à de la joie, comme si elle eût été heureuse de me quitter. ou bien; religieuse; projets;
Je visitai d'abord les peuples qui ne sont plus: je m'en allai m'asseyant sur les débris¨ de Home et de la Grèce. restes, ruines;
Mais je me lassai¨ de fouiller dans ses cercueils, où je ne remuais¨ trop souvent qu'une poussière criminelle. j'en avais assez; troublais;
Je voulus savoir si les races vivantes m'offriraient plus de vertus¨ ou moins de malheurs que les races évanouies.¨ Comme¨ je me promenais un jour dans une grande cité, en passant derrière un palais, j'aperçus une statue. Des manœuvres¨ étaient couchés avec indifférence au pied de la statue, ou taillaient¨ des pierres en sifflant. Je leur demandai ce que signifiait ce monument; les uns purent à peine me le dire, les autres ignoraient la catastrophe qu'il retraçait.¨ Rien ne m'a plus donné la juste mesure¨ des événements de la vie et du peu que nous sommes. Que sont devenus ces personnages qui firent tant de bruit?¨ bonnes qualités; mortes; quand; ouvriers; coupaient; rappelait; valeur; sensation;
Je recherchai surtout dans mes voyages les artistes, et ces hommes divins qui chantent les dieux sur la lyre et la félicité des peuples, qui honorent les lois, la religion et les tombeaux.
Ces chantres sont de race divine; ils possèdent le seul talent incontestable¨ dont le ciel ait fait présent à la terre. certain;
Sur les monts de la Calédonie, le dernier barde qu'on ait ouï¨ dans ses déserts me chanta les poèmes dont un héros consolait¨ jadis sa vieillesse. entendu; calmait la douleur de;
L'ancienne et riante Italie m'offrit la foule¨ de ses chefs-d’œuvre. masse;
Cependant¨ qu'avais-je appris jusqu'alors avec tant de fatigue? Rien de certain, parmi les anciens, rien de beau parmi les modernes. mais;
Ce grand siècle¨ dont je n'ai vu que la fin dans mon enfance, n’était plus, lorsque je rentrai dans ma patrie. Jamais un changement¨ plus étonnant et plus soudain ne s'est opéré¨ chez un peuple. De la hauteur du génie, du respect pour la religion, de la gravité¨ des mœurs,¨ tout était subitement descendu à la souplesse de l'esprit, à l’impiété, à la corruption. (le l8 ); (=la Révolution); réalisé; noblesse; morale;
Ma sœur, par une conduite inexplicable, semblait se plaire à augmenter¨ mon ennui; elle avait quitte Paris, quelques jours avant mon arrivée. Je lui écrivis que je comptais¨ l'aller rejoindre; elle si hâta de me répondre pour me détourner de ce projet. agrandir; voulais;
Je me trouvai bientôt plus isolé dans ma patrie que je ne l'avais été sur une terre étrangère. Dégoûté¨ de plus en plus des choses et des hommes, je pris le parti¨ de me retirer pour m'ensevelir¨ dans la solitude absolue. J'étais seul, seul sur la terre! Une langueur¨ secrète s'emparait¨ de mon corps. Ce dégoût¨ de la vie que j'avais ressenti dès mon enfance revenait avec une force nouvelle. Enfin, ne pouvant trouver de remède à cette étrange blessure de mon cœur, qui était nulle part et qui était partout, je résolus de quitter la vie.Je résolus de mettre toute ma raison dans cet acte insensé.¨ Rien ne pressait. Cependant je crus nécessaire de prendre des arrangements concernant¨ ma fortune, et je fus oblige d’écrire à Amélie. Au lieu de me répondre, elle me vint tout à coup surprendre. Je reçus Amélie dans une sorte d'extase de cœur. Il y avait si longtemps que je n'avais trouvé quelqu'un qui m'entendît, et devant qui je pusse ouvrir mon âme. remplis antipathie; décision; cacher; mélancolie; gagna; aversion; fou; pour;
Amélie, se jetant dans mes bras, me dit: "Ingrat, tu veux mourir, et ta sœur existe! Jure que c'est la dernière fois que tu te livreras à tes folies; fais le serment¨ de ne jamais attenter à tes jours!¨ " promesse devant Dieu; te suicider;
Je le fis sans hésiter, ne soupçonnant¨ même pas que désormais¨ je pusse être malheureux. n'ayant pas l'idée; à l'avenir;
Nous fûmes plus d'un mois à nous accoutumer¨ à l'enchantement d'être ensemble. Quand le matin, au lieu de me trouver seul j'entendais la voix de ma sœur, j’éprouvais¨ un tressaillement¨ de joie et de bonheur. habituer; sentais; élan;
L'hiver finissait; brusque je m'aperçus qu’Amélie perdait le repos et la santé. Un jour, je la surpris tout en larmes¨ au pied d'un crucifix. En vain¨ je recherchais à découvrir son secret. Enfin, un matin, je monte à son appartement; je frappe, on ne me répond point; j’entre-ouvre¨ la porte, il n'y avait personne dans la chambre. J'aperçois sur la cheminée un paquet à mon adresse.¨ Je le saisis en tremblant, je l'ouvre, et je lis cette pleurs; sans résultat; ouvre un peu; pour moi;
lettre que je conserve pour m'ôter¨ à l'avenir tout mouvement¨ de joie. me refuser; sentiment;
À René.
Le ciel m'est témoin,¨ mon frère, que je donnerais mille fois ma vie pour vous épargner¨ un moment de peine,¨ mais infortunée que je suis, je ne puis rien pour votre bonheur. Vous me pardonnerez donc de m'être dérobée¨ de chez vous comme une coupable; je n'aurais jamais pu résister¨ à vos prières, et cependant il fallait partir. sait de moi; éviter; chagrin; d'être parti; m'opposer;
Je ne vous rappellerai point votre serment;¨ je connais la fidélité de votre parole.¨ Vous l'avez juré¨ vous vivrez pour moi. promesse; promesse; promis;
Mon frère, sortez au plus vite de la solitude,¨ qui ne vous est pas bonne; cherchez quelque occupation.¨ Peut-être trouveriez-vous dans le mariage un soulagement¨ à vos ennuis;¨ une femme, des enfants, occuperaient¨ vos jours. isolement; travail; aide; chagrin; rempliraient;
Je pars pour le couvent¨ de ..., Aimable compagnon de mon maison religieuse;
enfance, est-ce que je ne vous verrai plus? Je ne sais si vous pourrez lire ces lignes à demi effacées par mes larmes. Après tout, mon ami, un peu plus tôt, un peu
plus tard, n'aurait-il pas fallu nous quitter? O mon frère! si je m'arrache à vous dans le temps, c'est pour n'être pas séparée de vous dans l’éternité.
AMÉLIE
La foudre¨ qui fût¨ tombée à mes pieds ne m'eût pas causé plus d'effroi¨ que cette lettre. Quel secret Amélie me cachait-elle? Je résolus d'aller à B... pour faire un dernier effort auprès de ma sœur. La terre où j'avais été élevé se trouvait sur la route. Quand j'aperçus les bois où j'avais passé les seuls moments heureux de ma vie, je ne pus retenir¨ mes larmes, et il me fut impossible de résister¨ à la tentation¨ de leur dire un dernier adieu. l’éclair; serait; terreur; dominer; m'opposer à; désir;
Mon frère aîné avait vendu l'héritage paternel, et le nouveau propriétaire ne l'habitait plus. J'arrivai au château par la longue avenue de sapins.¨ Un gardien inconnu s’écria: "Hé bien! allez-vous faire comme cette étrangère qui vint ici il y a quelques jours? Quand ce fut pour entrer, elle s'évanouit,¨ et je fus obligé¨ de la reporter à sa voiture." (certain arbre); tomba sans connaissance; dus;
Il me fut aisé¨ de reconnaître l'"étrangère", qui, comme moi, était venue chercher dans ces lieux des pleurs et des souvenirs. facile;
En arrivant à B..., je me fis-conduire au couvent; je demandai à parler à ma sœur, on me dit qu'elle ne recevait personne, je lui écrivis; elle me répondit que, sur le point de se consacrer¨ à Dieu, il ne lui était pas permis de donner une pensée au monde. Elle ajoutait: donner sa vie;
"Cependant¨ si votre projet est de paraître à l'autel le jour de ma profession,¨ daignez¨ m'y servir de père." mais; entrée définitive à l'ordre; veuillez;
La supérieure du couvent me fit prévenir¨ qu'on avait prepare un banc dans le sanctuaire, et elle m'invitait à me rendre à la cérémonie. informer;
On vient alors me chercher pour remplir les fonctions paternelles. On me place à côté du prêtre, pour lui présenter les ciseaux. Ma sœur avance hardiment¨ la tête. courageusement;
Sa superbe chevelure tombe de toutes parts sous le fer; et le voile mystérieux, double symbole de la virginité¨ et de la religion accompagne¨ sa tête dépouillé.¨ pureté; couvre; sans cheveux;
Tout à coup un murmure confus¨ sort de dessus le voile.. peu clair;
Je m'incline,¨ et ces paroles épouvantables¨ (que je fus seul à entendre) viennent frapper mon oreille: "Dieu de miséricorde, fais que je ne me relève jamais et comble¨ de tes biens un frère qui n'a point partagé ma criminelle passion!" me baisse; terribles; remplis;
À ces mots, l'affreuse¨ vérité m’éclaire; ma raison s’égare,¨ je me laisse tomber; on m'emporte sans connaissance. terrible; est troublée;
J’appris, en rouvrant les yeux, que, le sacrifice¨ était consommé¨ et que ma sœur avait été saisie d'une fièvre ardente.¨ Elle me faisait prier de ne plus chercher à la voir. cérémonie; fini; violente;
Éclairé¨ sur les maux de ma sœur, je me figurais¨ ce qu'elle avait du souffrir. Alors s’expliquèrent pour moi plusieurs choses que je n'avais pu comprendre. informé; faisais une idée;
Je me déterminai à quitter l'Europe, et à passer en Amérique. Et ce fut le lendemain de cette nuit terrible que je vis s’éloigner pour jamais¨ ma terre natale." toujours;
Comme¨ René achevait¨ de raconter son histoire, il tira de son sein¨ un papier, et le donna au père Souel. Elle était de la supérieure de ... Elle contenait le récit¨ des derniers moments de la sœur¨ Amélie de la Miséricorde, morte victime de son zèle et de sa charité, en soignant ses compagnes attaquées¨ d'une maladie contagieuse. Toute la communauté était inconsolable,¨ et l'on y regardait Amélie comme une sainte. quand; finissait; cœur; histoire; religieuse; frappées; triste;
Chactas pressait René dans ses bras; le vieillard pleurait. Jusqu'alors le père Souël, sans proférer¨ une parole, avait écouté d'un air austère¨ l'histoire de René. Il portait en secret un cœur compatissant¨ mais il montrait au dehors un caractère inflexible.¨ dire; dur; plein de pitié; dur;
"Rien," dit-il au frère d’Amélie, "rien ne mérite, dans cette histoire, la pitié qu'on vous montre ici. Je vois un jeune homme entêté¨ de chimères¨ à qui tout déplaît, et qui s'est soustrait¨ aux charges¨ de la société pour se livrer à d'inutiles rêveries. On n'est point, monsieur, un homme supérieur parce qu'on aperçoit le monde sous un jour odieux.¨ Étendez¨ un peu votre regard, et vous serez bientôt convaincu¨ que tous ces maux dont vous vous plaignez sont de purs néants.¨ La solitude¨ est celui qui n'y vit pas avec Dieu; quiconque¨ a reçu des forces doit les consacrer¨ au service de ses semblables;¨ s'il les laisse inutiles, il en est d'abord puni par une secrète misère, et tôt ou tard le ciel lui envoie un châtiment¨ effroyable."¨ rempli; illusions; à abandonné; obligations; mauvaise; élargissez; sur; riens; isolement; celui qui; employer; prochains; punition; terrible;
Troublé par ces paroles, René releva sa tête humiliée.¨ rabaissée;
Le sachem aveugle se prit¨ à sourire. "Mon fils," dit le vieil amant d'Atala, il nous parle sévèrement,¨ il corrige et le vieillard et le jeune homme, et il a raison. Oui, il faut que tu renonces¨ à cette vie extraordinaire, qui n'est pleine que de soucis,¨ il n'y a de bonheur que dans les voies communes."¨ commença; durement; quittes; contrariétés; vie normale;
Chactas cessa¨ de parler. Les trois amis reprirent en silence la route de leurs cabanes: René marchait en silence entre le missionnaire qui priait Dieu et le Sachem aveugle qui cherchait sa route. On dit que, pressé par les deux vieillards, il retourna chez son épouse,¨ mais sans y trouver le bonheur. Il périt¨ peu de temps après avec Chactas et le père Souël, dans le massacre des Français et des Natchez à la Louisiane. On montre encore un rocher où il allait s'asseoir au soleil couchant. s'arrêta; femme; mourut;

25. Benjamin Constant

25.1. Adolphe

Je venais de finir, à vingt-deux ans, mes études à l’université de Goettingue. L'intention de mon père, ministre de l’électeur¨ de ..., était que je parcourusse¨ les pays les plus remarquables¨ de l'Europe. Il voulait ensuite m'appeler auprès de lui, me faire entrer dans le département dont la direction lui était confiée,¨ et me préparer à le remplacer un jour. Ces espérances l'avaient rendu très indulgent¨ pour beaucoup de mes fautes. Malheureusement sa conduite¨ était plutôt noble et généreux que tendre. Il avait dans l'esprit je ne sais quoi d'ironique qui convenait¨ mal à mon caractère. Je ne savais pas que, même avec son fils, mon père était timide. prince; visite; intéressants; donnée; compréhensif; manière de faire; allait avec;
Aussi timide que lui, je m'accoutumai¨ à renfermer en moi-même tout ce que j*éprouvais,¨ à cacher mes véritables pensées. Cependant,¨ je portais au fond de mon cœur un besoin de sensibilité dont je ne m'apercevais pas. pris l'habitude; ressentais; mais;
Distrait¨ ennuyé, je partageais mon temps entre des études que j'interrompais¨ souvent, des projets que je n’exécutais¨ pas, des plaisirs qui ne m’intéressaient guère,¨ lorsqu’une circonstance, très frivole en apparence, produisit dans me disposition¨ une révolution importante. inattentif; arrêtais; réalisais; presque pas; état d’âme;
Une jeune homme avec lequel j’étais assez lié¨ cherchât à plaire à l'une des femmes les moins insipides¨ de la société dans laquelle nous vivions: j’étais le confident; très désintéressé de son entreprise,¨ après de longs efforts il parvint¨ à se faire aimer. Rien n’égalait ses transports¨ et l'excès de sa joie. Le spectacle d'un tel bonheur me fit regretter de n'en avoir pas essayé encore. Un nouveau besoin se fit sentir au fond de mon cœur. Je veux être aimé, me disais-je, et je regardais autour de moi. ami; désagréables; affaire; réussit; extases;
Je m'agitais ainsi intérieurement, lorsque je fis connaissance avec le comte P..., homme de quarante ans, dont la famille était alliée à la mienne. Il me proposa de venir le voir. Malheureuse visite! Il avait chez lui sa maîtresse, une Polonaise, célèbre par sa beauté, quoiqu'¨ elle ne fût plus de la première jeunesse. Cette femme, malgré sa situation désavantageuse, avait montré dans plusieurs occasions un caractère distingué. Sa famille, assez illustre en Pologne, avait été ruinée dans les troubles de cette contres. bien que;
Ellénore me parut une conquête digne de moi.¨ Il me tardait¨ d'avoir parlé, car il me semblait que je n'avais je qu'à parler pour réussir. Cependant¨ une invincible¨ timidité m’arrêtait. J’étais indigne contre moi-même, mais à peine me retrouvais-je auprès d'elle que je me sentais de nouveau tremblant et troublé. Convaincu¨ que je n'aurais jamais le courage de parler à Ellénore, je me déterminai¨ à lui écrire. Le comte de P.. était absent. de ma valeur; je désirais; mais; très forte; sûr; décidai;
Ellénore vit dans ma lettre ce qu'il était naturel d'y voir: le transport¨ passager¨ d'un homme qui avait dix ans de moins qu'elle. Elle me répondit avec bonté, mais me déclara que, jusqu'au retour du comte de P.., elle ne pourrait me recevoir. passion; momentané;
Cette réponse me bouleversa.¨ Je lui écrivis, je la suppliai¨ de m'accorder¨ une dernière entrevue.¨ On m'apporta le soir quelques mots d'elle: ils étaient doux, mais elle persistait¨ dans sa résolution. Je me présentai de nouveau chez elle le lendemain. Elle était partie pour une campagne dont ses gens ignoraient¨ le nom. Je restai longtemps immobile à sa porte. J’étais étonné moi-même de ce que je souffrais.¨ Je me promenais dans la ville, comme si j'avais pu espérer de la rencontrer. troubla; priai; donner; rencontre; ne changeait pas; ne savaient pas; étais malheureux;
Au bout d'un mois, M.de P... me fit avertir¨ qu' Ellénore devait arriver le soir. Il avait invite à souper plusieurs femmes de ses parentes et de ses amies qui avaient consenti¨ à voir Ellénore. informer; accepté;
Je restai chez moi toute la journée. L'impatience me dévorait:¨ à tous les instants je consultais ma montre. troublait;
Il était assez tard lorsque j'entrai chez M.de P... J'aperçus Ellénore assise au fond de la chambre. Le comte me découvrit et me conduisit vers Ellénore.
"Je vous présente," lui dit-il en riant, "l'un des hommes que votre départ inattendu a le plus étonnés." Ellénore parlait à une femme placée à côté d'elle.. Lorsqu'elle me vit elle demeura tout interdite.¨ J'adressai à Ellénore des questions indifférentes. Nous reprîmes tous deux une apparence¨ de calme On annonça qu'on avait servi;j'offris à Ellénore mon bras, qu'elle ne put refuser. "Si vous ne me promettez pas," lui dis-je en la conduisant, de me recevoir demain chez vous à onze heures, je pars à l'instant,¨ j'abandonne mon pays, ma famille et mon père, je romps tous mes liens,¨ j’abjure¨ tous mes devoirs, et je vais, n'importe où, finir au plus tôt une vie que vous vous plaisez à empoisonner." sans parole; aspect; immédiatement; relations; abandonne;
"Adolphe!" me répondit-elle; et elle me regarda. Une terreur mêlée d'affection se peignit¨ sur sa figure,¨ "Je vous recevrai demain," me dit-elle, "mais je vous conjure...¨ " Beaucoup de personnes nous suivaient, elle ne put achever¨ sa phrase. Je pressai sa main de mon bras; nous nous mîmes à table. lisait; visage; prie; finir;
Je passai la nuit sans dormir. Onze heures sonnèrent, je me rendis auprès d'Ellénore; elle m'attendait. Elle voulut parler; je lui demandai de m’écouter, et je continuai en ces termes:
"Je ne viens point réclamer¨ contre la sentence¨ que vous avez prononcée. Cet amour que vous repoussez¨ est indestructible. Mais ce n'est plus pour vous en entretenir¨ que Je vous ai priée de m'entendre; c'est au contraire pour vous demander de l'oublier, de me recevoir comme autrefois. Votre amitié me soutenait;¨ sans cette amitié je ne puis vivre; je ne demande rien, je ne veux que vous voir." protester; décision; rejetez; parler; assurait;
Ellénore fut émue. Elle m'imposa¨ plusieurs conditions. fit accepter;
Elle ne consentit¨ à me recevoir que rarement¨ au milieu d'une société nombreuse, avec l'engagement¨ que je ne lui parlerais jamais d'amour. Je promis ce qu'elle voulut. accepta; peu souvent; promesse;
Je profitai dès¨ le lendemain de la permission que j'avais obtenue;¨ je continuai de même les jours suivants. Lors-que j'arrivais, j’apercevais dans les regards d'Ellénore une expression de plaisir. Quand elle s'amusait dans la conversation, ses yeux se tournaient naturellement:¨ vers moi. Mais elle n’était Jamais seule. Je ne tardai pas à m'irriter¨ déjà; eue; automatiquement; bientôt je m'irritai;
de tant de contrainte.¨ Je devins sombre, taciturne,¨ inégal dans mon humeur. Elle se plaignit à moi de ce changement. "Que voulez-vous?," lui dis-je, "je ne conçois¨ rien à votre nouvelle manière d'être. Autrefois vous viviez retirée. Aujourd'hui votre porte est ouverte à la terre entière. Ne méritai-je¨ donc pas d'être distingué des¨ mille importuns¨ qui vous assiègent?"¨ gêne; fermé; comprends; n'ai-je pas le droit; préféré aux; indiscrets; entourent};
Ellénore craignait¨ en se montrant inflexible¨ de voir se renouveler des imprudences qui l'alarmaient pour elle et pour moi. L’idée de rompre n'approchait plus de son cœur; elle consentit¨ à me recevoir quelquefois avait peur; dur; accepta;
seule.
Alors se modifièrent¨ rapidement les règles sévères¨ qu'elle m'avait prescrites.¨ Elle me permit de lui peindre¨ mon amour; elle se familiarisa par degrés¨ avec ce langage: bientôt elle m'avoua¨ qu'elle m'aimait. changèrent; durs; décrétées; parler de; lentement; confessa;
Ellénore n'avait jamais été aimée de la sorte.¨ M.de P.. avait pour elle une affection¨ très vrai, beaucoup de reconnaissance pour son dévouement,¨ beaucoup de respect pour son caractère, mais il y avait toujours dans sa manière une nuance de supériorité sur une femme qui s’était donnée publiquement à lui sans qu'il l'eut épousée. Mon amour tenait du¨ culte, et il avait pour elle d'autant plus de charme qu'elle craignait sans cesse de se voir humiliée. Elle se donna enfin tout entière. ainsi; amour; fidélité; était comme un;
M.de P... fut obligé, pour des affaires pressantes, de s'absenter pendant six semaines. Je passai ce temps chez Ellénore presque sans interruption. Elle ne me
laissait jamais la quitter sans essayer de me retenir. Lorsque je sortais, elle me demandait quand je reviendrais. Deux heures de séparation lui étaient insupportables.
Ellénore était sans doute un vif plaisir dans mon existence, mais elle n'était plus un but; elle était devenue un lien. Je craignais d'ailleurs¨ de la compromettre.¨ Ma présence continuelle devait étonner ses gens,¨ ses enfants, qui pouvaient m'observer. du reste; discréditer; domestiques;
Le comte P... revint. Il ne tarda pas à soupçonner¨ mes relations avec Ellénore; il me reçut chaque jour d'un air plus froid et plus sombre.Je parlai vivement à Ellénore des dangers qu'elle courait; je lui représentai¨ l’intérêt¨ de sa réputation, de sa fortune; je lui bientôt il comprit; montrai; importance;
rappelai ses enfants. "Mes enfants sont ceux de M.de P... Il les a reconnus; il en aura soin." Je redoublai mes prières. "Écoutez," me dit-elle, "si je romps avec le
comte, refuserez-vous de me voir?" "Le refuserez-vous?" reprit-elle en saisissant¨ mon bras avec une violence¨ qui me fit frémir.¨ "Non, assurément," lui répondis-je; "et plus vous serez malheureuse, plus je vous serai dévoue. Mais considérez..." "Tout est considéré," interrompit-elle. Il va rentrer, retirez-vous maintenant." prenant; énergie; trembler;
Je passai le reste de la journée dans une angoisse¨ inexprimable, lorsqu'une femme me remit un billet par lequel Ellénore me priait d'aller la voir dans telle rue, dans telle maison, au troisième étage. Je la trouvai faisant des apprêts¨ d'un établissement¨ durable. Elle vint à moi, d'un air à la fois¨ content et timide, cherchant à lire dans mes yeux mon impression. "Tout est rompu," me dit-elle, "je suis parfaitement¨ libre. J'ai de ma fortune particulière¨ soixante-quinze louis de rente; c'est, assez pour moi." Et, comme si elle eut redouté¨ une réponse, elle entra dans une foule¨ de détails relatifs¨ à ses projets. Elle chercha de mille manières à me faire persuader¨ qu'elle serait heureuse. Il était visible¨ qu'elle se faisait un grand effort, et qu'elle ne croyait qu'à moitié ce qu'elle disait. J'acceptai son sacrifice, je l'en remerciai; je lui dis terreur; préparations; installation; en même temps; tout à fait; privée; eut peur de; masse de; sur; faire croire; clair;
que j'en étais heureux.
La séparation d'Ellénore et du comte de P... produisit dans le public un effet qu'il n’était pas difficile de prévoir. Ellénore perdit en un instant le fruit de dix ans de dévouement¨ et de constance; on la fidélité;
confondit avec¨ toutes les femmes de sa classe qui se livrent sans scrupule à mille inclinations¨ successives. L'abandon de ses enfants la fit regarder comme une mère dénaturée. traita comme; passions;
Les six mois que m'avait accordés¨ mon père étaient expirés;¨ il fallut songer¨ à partir. Ellénore ne s'opposa point à mon départ, elle n'essaya même pas de le retarder; mais elle me fit promettre que, deux mois après, je reviendrais auprès d'elle, ou que je lui permettrais de me rejoindre.¨ Je le lui jurai¨ solennellement. donnés; finis; penser; venir auprès de moi; promis;
Pendant mon absence, j’écrivis régulièrement à Ellénore Elle avait compris par mes lettres qu'il me serait difficile de quitter mon père; elle m'écrivit qu'elle commençait en conséquence les préparatifs de son départ. Je fus longtemps sans combattre¨ sa résolution; je ne lui répondais rien de précis à ce sujet.¨ m'opposer à; sur cela;
Je me déterminai¨ enfin à lui parler avec franchise.¨ décidai; ouverture;
La réponse de Ellénore fut impétueuse;¨ elle était indignée¨ de mon désir de ne pas la voir. Que me demandait-elle? De vivre inconnue auprès de moi. Que pouvais-je redouter ¨ de sa présence dans une retraite ignorée¨ au milieu d'une grande ville où personne ne la connaissait? violente; irritée; avoir peur; inconnue;
Ellénore suivit de près¨ cette lettre; elle m'informa de son arrivée. Je me rendis chez elle avec la ferme résolution de lui témoigner¨ beaucoup de joie. Mais elle avait été blessée: elle m'examinai avec défiance.¨ Une fureur insensée s’empara de nous:¨ tout ménagement¨ fut abjuré¨ , toute délicatesse oubliée. On eut dit immédiatement; montrer; manque de confiance; nous prit; réserve; quittée;
que nous étions poussés l'un contre l'autre par des furies.
Nous nous quittâmes après une scène de trois heures; et, pour la première fois de la vie, nous nous quittâmes sans explication, sans réparation.
Je rentrai chez mon père. Il y avait beaucoup de monde. Lorsque nous fûmes seuls, il me dit: "On m'assure¨ que l'ancienne maîtresse du comte de P... est dans cette ville. Je vous ai toujours laissé une grande liberté, et je n'ai jamais rien voulu savoir sur vos liaisons; mais il ne vous convient¨ pas, à votre âge, d'avoir une maîtresse avouée¨ et je vous avertis¨ que j'ai pris des mesures pour qu'elle s’éloigne d'ici. me dit; est utile; officielle; informe;
En achevant¨ ces mots, il me quitta. Ellénore chassée! chassée avec opprobe!¨ Ma résolution fut bientôt prise. finissant; déshonneur;
Je commandai une chaise de poste pour six heures du matin à la porte de la ville. Le jour parut; je courus chez Ellénore. Elle était couchée, ayant passé la nuit à pleurer. "Viens," lui dis-je, "partons." Elle voulut répondre. "Partons," repris-je. "As-tu sur la terre un autre protecteur, un autre ami que moi? Mes bras ne sont-ils pas ton unique asile? Au nom du ciel! suis-moi."
Je l’entraînai.¨ Pendant la route je accablais¨ de caresses, je la pressais sur mon cœur. Je lui dis enfin qu'ayant aperçu dans mon père l'intention de nous séparer, j'avais senti que je ne pouvais être heureux sans elle; que je voulais lui consacrer¨ ma vie et nous unir par tous les genres de lien. Sa reconnaissance fut d'abord extrême,¨ mais elle démêla¨ bientôt des contradictions dans mon récit. "Adolphe," me dit-elle, "vous vous trompez sur vous-même; vous êtes généreux; vous vous dévouez¨ à moi parce que je suis persécutée; vous croyez tout pour avoir de l'amour, et vous n'avez que de la pitié." emmenai; lui donnais beaucoup; donner; très grande; découvrit; abandonnez;
Pourquoi prononça-t-elle ces mots funestes? Pourquoi me révélait-¨ elle un secret que je voulais ignorer?¨ Je m'efforçai de la rassurer, j'y parvins¨ peut-être; mais là vérité avait traversé mon âme. montra; ne pas savoir; réussis;
Quand nous fûmes arrivés sur les frontières, j'écrivis à mon père. Ma lettre fut respectueuse, mais il y avait un fond d'amertume.¨ Je lui annonçais que je ne quitterais Ellénore que lorsque, convenablement fixée,¨ elle ressentiment; installée;
n'aurait plus besoin de moi.
Nous nous fixâmes à Cadan, petite ville de la Bohême. Je me répétai que, puisque j'avais pris la responsabilité du sort¨ d' Ellénore, il ne fallait pas la faire souffrir.Je parvins¨ à me contraindre.¨ la vie; réussis; dominer;
Un jour, je vis Ellénore agitée et cherchant à me taire¨ une idée qui l'occupait. Aprês de longues sollicitation,¨ elle m'avoua¨ que M.de P... lui avait écrit; son procès était gagne; il se rappelait avec reconnaissance les services qu'elle lui avait rendus, et leur liaison de dix années. Il lui offrait la moitié de sa fortune, à condition qu'elle quitterait l'homme ingrat et perfide qui les avait séparés. "J'ai répondu," me dit-elle, et vous devinez¨ bien que j'ai refusé." Je ne le devinais que trop. J’étais touché¨ mais au désespoir du nouveau sacrifice que me faisait Ellénore. cacher; instances; confia; comprendrez; ému;
Trois mois après, une nouvelle possibilité de changement s'annonça dans la situation d'Ellénore. Une de ces vicissitudes¨ communes¨ dans les républiques que des factions¨ agitent rappela son père en Pologne, et le rétablit dans ses biens. Quoiqu'il ne connût qu'à peine sa fille, que sa mère avait emmenée en France à l'âge de trois ans, il désira la fixer¨ auprès de lui. changements de fortune; normales; intrigues; installer;
Elle sentait qu'il était de son devoir d’obéir; elle assurait de la sorte¨ à ses enfants une grande fortune, et remontait elle-même au rang que lui avaient ravi¨ ses malheurs et sa conduite; mais elle me déclara positivement qu'elle n'irait en Pologne que si je l'accompagnais. Je me dis qu'il fallait la satisfaire¨ une dernière fois, et qu'elle ne pourrait plus rien exiger ¨ quand je l'aurais replacée au milieu de sa famille. J'allais¨ lui proposer de la suivre en Pologne, quand elle reçut la nouvelle que son père était mort subitement. Il l'avait instituée¨ son unique héritière, mais son testament était contredit par des lettres postérieures¨ que des parents¨ éloignés menaçaient de faire valoir. Ellénore se reprocha de l'avoir abandonne. Bien-tôt elle m’accusa de sa faute: "Vous m'avez fait manquer," me dit-elle, "à un devoir sacré. Maintenant il ne s'agit que de ma fortune; je vous l'immolerai¨ plus facilement encore. Mais, certes, je n'irai pas seule dans un pays où je n'ai que des ennemis à rencontrer." ainsi; pris; contenter; demander; était sur le point de; faite; suivantes; famille; sacrifierai;
"Je n'ai voulu," lui répondis-je, "vous faire manquer à aucun devoir. Je me rends. Ellénore, votre intérêt l'emporte sur¨ toute autre considération.¨ Nous partirons ensemble quand vous le voudrez" est plus important que; motivation;
Ellénore obtint¨ dès son arrivée d’être établie¨ dans la jouissance¨ des biens qu'on lui disputait, en s'engageant¨ à n'en pas disposer¨ que son procès fut décidé. réussit à; installée; possession; promettant; vendre;
Elle s’établit dans une des possessions de son père.
Le mien, qui n’abordait¨ jamais avec moi dans ses lettres aucune question directement, se contenta de les remplir d'insinuations: "Vous m'avez," me dit-il, "jusqu'à présent, paru le protecteur d' Ellénore, et sous ce rapport¨ il y avait dans vos procédés quelque chose¨ de noble. Je ne prononce¨ point sur une position que vous choisissez; mais j’écris au baron de T..., notre ministre dans le pays où vous êtes, pour vous recommander à lui; n'y voyez au moins qu'une preuve¨ de zèle,¨ et nullement une atteinte¨ à l’indépendance que vous avez toujours su défendre avec succès contre votre père." parlait; manière de faire; aspect; juge; marque; sympathie; attaque;
Je me rendis chez le baron de T... Il me reçut avec amitié, me demanda les causes de mon séjour en Pologne, me questionna sur mes projets; je ne savais trop que lui répondre. Après quelques minutes d'une conversation embarrassée:¨ "Je vais," me dit-il, "vous parler avec franchise. Je connais les motifs qui vous ont amené dans ce pays, votre père me les a mandés;¨ mais le bien qu'on m'a dit de vous, les talents que vous annoncez,¨ la carrière que vous deviez suivre, tout me fait une loi¨ de ne rien vous déguiser.¨ Je lis dans votre âme, malgré vous et mieux que vous; vous n'êtes plus amoureux de la femme qui vous domine. Que voulez-vous donc faire? Elle a dix ans de plus que vous; vous en avez vingt-six; vous la soignerez¨ dix ans encore;mais souvenez-vous bien qu'il y a entre vous et tous les genres de succès, un obstacle insurmontable, et que cet obstacle est Ellénore." gênée; écrits; promettez; devoir; cacher; entretiendrez;
"J'ai cru vous devoir,¨ monsieur," lui répondis-je, "de vous écouter en silence; mais je dois aussi vous déclarer que vous ne m'avez pas ébranlé.¨ Tant qu'elle aura besoin de moi, je resterai près d'elle." être obligé; fait changer d'opinion;
Je sortis en achevant¨ ces paroles;je traversai précipitamment¨ la ville; il me tardait de¨ me trouver seul. finissant; vite; je désirais;
Arrivé au milieu de la campagne, je ralentis ma marche et mille pensée m'assaillirent.¨ Ces mots funestes "Entre tous les genres de succès et vous, il existe un obstacle insurmontable, et cet obstacle, c'est Ellénore" attaquèrent;
retentissaient¨ autour de moi. Mille souvenirs rentraient comme par torrents¨ dans mon âme; mes relations avec Ellénore m'avaient rendu¨ tous ces souvenirs odieux.¨ résonnaient; violemment; fait; désagréables;
La nuit presque entière s’écoula¨ ainsi. Le lendemain,¨ je me relevai poursuivi des mêmes idées qui m'avaient agité la veille. Mon agitation redoubla les jours suivants; Ellénore voulut inutilement en pénétrer¨ la cause: je répondais par des monosyllabes contraints¨ à ses questions impétueuses.¨ Nous passions tête à tête de monotones soirées, entre le silence et l'humeur. passa; le jour arrivant; comprendre; forcés; violentes;
Ellénore résolût d'attirer chez elle les familles nobles qui résidaient dans son voisinage de Varsovie. La fortune dont elle jouissait,¨ sa beauté, que le temps n'avait encore que légèrement¨ diminuée,¨ le bruit de ses aventures, tout en elle excitait¨ la curiosité. Elle se vit entourée bientôt d'une société nombreuse. La distraction nous soulageait¨ de nos pensées habituelles. qu'elle avait; peu; affaiblie; stimulait; détournait;
Mais bientôt ce nouveau genre de vie devint pour moi la source¨ d'une nouvelle perplexité; une.nouvelle circonstance vint compliquer cette situation douloureuse l'origine;
Une singulière¨ révolution s’opéra¨ tout à coup dans la conduite¨ et dans les manières d' Ellénore: Jusqu’à cette époque elle n'avait paru occupée que de moi; soudain¨ je la vis recevoir et rechercher les hommages des hommes qui l'entouraient. Je me trompai quelque temps sur ses motifs. J'entrevis¨ l'aurore¨ de ma liberté future;je m'en félicitai. bizarre; se fit; les actes; tout à coup; prévis; commencement;
La société cependant m'observait avec surprise. L'on attribua ma tolérance inexplicable à une légèreté de principes, à une insouciance¨ pour la morale, qui annonçaient, disait-on, un homme profondément égoïste, et que le monde avait corrompu. Le bruit en parvint¨ enfin jusqu'à moi; je fus indigné.¨ Je m'expliquai vivement avec Ellénore: un mot fit disparaître cette tourbe¨ d'adorateurs qu'elle n'avait appelés que pour me faire craindre sa perte. ` indifférence; arriva; fâché; masse;
Je ne saurais peindre¨ quelles amertumes¨ et quelles fureurs résultèrent de nos rapports ainsi compliqués. décrire; irritations;
Notre vie ne fut qu'un perpétuel orage.
Je n’étais pas retourné chez le baron de T... depuis ma dernière visite. Un matin Je reçus de lui le billet suivant: "Les conseils que je vous avais donnés ne méritaient pas une si longue absence. Quelque parti¨ que vous preniez sur ce qui vous regarde,¨ vous n'en êtes pas moins le fils de mon ami le plus cher." décision; concerne;
Je fus reconnaissant de la bienveillance¨ qu'un homme âgé me témoignait.¨ Je me rendis chez lui; il ne fut pas question¨ d'Ellénore. Le baron me retint à dîner. L’assemblée¨ était nombreuse; on m'examinait avec attention. bonté; montrait; il ne parla pas; compagnie;
J'entendais répéter tout bas, autour de moi, le nom de mon père, celui d'Ellénore, celui du comte de P.., on se taisait¨ à mon approche. Tour à tour je rougissais et ja pâlissais. Le baron s'aperçut de mon embarras.¨ Il vint à moi, redoubla d'attentions et de prévenances.¨ cessait de parler; gêne, trouble; amabilités;
Lorsque tout le monde se fut retiré: "Je voudrais," me dit M. de T..., vous parler encore une fois à cœur ouvert.
Pourquoi voulez-vous rester dans une situation dont vous souffrez? À qui faites-vous du bien? Croyez-vous que l'on ne sache pas ce qui se passe entre vous et
Ellénore?" Le baron me montra plusieurs lettres de mon père. Elles annonçaient une affliction¨ bien plus vive que je ne l'avais supposée.¨ Je fus ébranlé. "Oui," m’écriai-je, "je le prends, l'engagement¨ de rompre avec Ellénore, j'oserai le lui déclarer moi-même, vous pouvez d'avance en instruire¨ mon père!" chagrin; crue; promesse; informer;
En disant ces mots je m’élançai loin du baron. Ellénore m'attendait avec impatience. Elle me parla de ses affaires avec un air de confiance qui n'annonçait que trop qu'elle regardait nos existences comme indissolublement unies.¨ Où trouver des paroles qui la repoussassent dans l'isolement? inséparables;
Le temps s’écoulait¨ avec une rapidité effrayante. Chaque minute ajoutait ਠla nécessité d'une explication. passa; agrandissait;
Des trois jours que j'avais fixés, déjà le second était près de disparaître; M.de T... m’attendait au plus tard le surlendemain.
Ce jour se passa comme le précédent.¨ J’écrivis à M. de T... pour lui demander du temps encore: J'entassai¨ dans ma lettre mille raisonnements pour justifier¨ mon retard, pour démontrer qu'il ne changeait rien à la résolution que j'avais prise, et que, dès l'instant même, on pouvait regarder mes liens avec Ellénore comme brisés pour jamais.¨ jour avant; accumulai; excuser; toujours;
Je passai les jours suivants plus tranquille; je croyais avoir tout le temps de préparer Ellénore. Il n'y avait plus en moi d'impatience; il y avait, au contraire, un désir secret de retarder le moment funeste.
Un soir, nous nous étions quittés après une conversation plus douce que de coutume.¨ La nuit j'entendis dans le château un bruit inusité.¨ Ce bruit cessa¨ bien-tôt, et je n'y attachai¨ point d'importance. Le matin cependant, l’idée¨ m'en revint; j'en voulus savoir la cause, et je dirigeai mes pas vers la chambre d' Ellénore. Quel fut mon étonnement, lorsqu'on me dit que, depuis douze heures, elle avait une fièvre ardente,¨ qu'un médecin que ses gens avaient fait appeler déclarait sa vie en danger, et qu'elle avait défendu que l'on m'avertît¨ ou qu'on me laissât pénétrer¨ jusqu'à elle. normalement; anormal; s'arrêta; donnai; le souvenir; brûlante; informât; entrer chez;
Cependant j'entrai dans sa chambre. Je vis au pied de son lit deux lettres. L'une était la mienne au baron de T..., l'autre était de lui-même à Ellénore. Je ne
conçus¨ que trop alors le mot de cette affreuse énigme.¨ Ellénore avait lu, tracées¨ de ma main, mes promesses de l'abandonner. Je m'approchai d'elle; elle me regarda sans me reconnaître. Je lui parlai; elle tressaillit.¨ compris; mystère; écrites; trembla;
"Quel est ce bruit?" s’écria-t-elle, "c'est la voix qui m'a fait du mal." Le médecin remarque que ma présence ajoutait¨ à son délire, et me conjura¨ de m’éloigner. agrandissait; demanda;
Ellénore dormit longtemps. Instruit¨ de son réveil, je pria, lui écrivis pour lui demander de me recevoir. Elle me fit dire d'entrer. Je voulus parler, elle m'interrompit. "Que je n'entende de vous," dit-elle, "aucun mot cruel. Adolphe, Adolphe, j'ai été violente, j'ai pu vous offenser, mais vous ne savez pas ce que j'ai souffert: Dieu veuille que jamais vous ne le sachiez!" informé;
Son agitation devint extrême.¨ Elle posa son front sur ma main; il était brûlant; elle appuya¨ sa tête sur mon épaule."C'est ici," dit-elle, "que j'ai toujours désiré mourir." Je la serrai¨ contre mon cœur, j'abjurai¨ de nouveau mes projets, je désavouai mes fureurs cruelles. très grande; mit; pressai; jura d'abandonner;
"Non," reprit-elle, "il faut que vous soyez libre et content."
"Puis-je l’être si vous êtes malheureuse?"
"Je ne serai pas longtemps malheureuse, vous n'aurez pas longtemps à me plaindre, cher Adolphe; quand on a longtemps invoqué¨ la mort, le ciel nous envoie, à la fin, je ne sais quel pressentiment infaillible¨ qui nous avertit; que notre prière est exaucée."¨ Je lui jurai de ne jamais la quitter. appelé; certain; entendue;
"Je l'ai toujours espéré, maintenant j'en suis sûre." Elle me pria de lui apporter une cassette qui contenait beaucoup de papiers; elle en fit brûler plusieurs devant elle,¨ mais elle paraissait en chercher un qu'elle ne trouvait point, et son inquiétude¨ était extrême. Je la suppliai¨ de cesser¨ cette recherche qui l'agitait. en sa présence; trouble; priai; arrêter;
"J'y consens,"¨ me répondit-elle; "mais cher Adolphe, ne me refusez pas une prière. Vous trouverez parmi mes papiers, je ne sais où, une lettre qui vous l'accepte;
est adressée; brûlez-la sans la lire, je vous en conjure¨ au nom de notre amour." Je le lui promis; elle fut tranquille.¨ prie; calme;
Elle s'assoupit¨ d'un sommeil assez paisible.¨ Le médecin m'avait prédit qu'elle ne vivrait pas vingt-quatre heures; je regardais tour à tour une pendule qui marquait les heures, et le visage d’Éléonore. Tout à coup Ellénore s’élança par un mouvement subit;¨ je la retins dans mes bras; elle me serra la main; elle voulut pleurer, il n'y avait plus de larmes; elle voulut parler, il n'y avait plus de voix; elle laissa tomber comme résignée,¨ sa tête sur le bras qui l appuyait,¨ sa respiration devint plus lente; quelques instants après elle n’était plus. s'endormit; calme; inattendu; fataliste; soutenait;
Je demeurai¨ longtemps immobile près d' Ellénore sans vie. Une de ses femmes, étant entrée, répandit¨ dans la maison la sinistre nouvelle. Le bruit qui se fit autour de moi me tira de la léthargie¨ où j’étais plongé. Je me levai; ce fut alors que, je sentis le dernier lien se rompre, et l'affreuse vérité se placer à jamais¨ entre elle e t moi. Combien elle me pesait,¨ cette liberté que j'avais tant regrettée!¨ J'étais libre, en effet, je n'étais plus aimé; étais étranger pour tout le monde. L'on m'apporta tous les papiers d'Ellénore, comme elle l'avait ordonné; à chaque ligne, j'y rencontrai de nouvelles preuves¨ de son amour, de nouveaux sacrifices qu'elle m'avait faits et qu'elle m'avait cachés .; je trouvai enfin cette lettre que j'avais promis de brûler; je ne la reconnus pas d'abord, elle était sans adresse, elle était ouverte; je ne pus résister au besoin de la lire tout entière.Je n'ai pas la force de la transcrire. Ellénore l'avait écrite après une des scènes violentes qui avaient précédées sa maladie."Adolphe," me disait-elle, "pourquoi vous acharnez-vous sur moi ? Quel est mon crime? De vous aimer, de ne pouvoir exister sans vous? Qu'exigez-vous? Que je vous quitte? Ne voyez-vous pas que je n'en ai pas la force? Faut-il que je meure, Adolphe? En bien, vous serez content; elle mourra, cette pauvre créature que vous avez protégée, mais que vous frappez à coups redoubles. Peut-être, un jour, vous regretterez ce cœur dont vous disposiez, qui vivait de votre affection." restai; fit savoir; apathie; pour toujours; faisait mal; désiré; marques;

26. Alphonse de Lamartine

(Méditations poétiques)

26.1. Le lac

Ainsi toujours poussés vers de nouveaux rivages,¨ bords de rivière;
Dans la nuit éternelle emportes sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges¨ siècles;
Jeter l'ancre un seul jour?

O lac! l'année à peine a fini sa carrière,¨ course, durée;
Et, près des flots chéris¨ qu'elle(4) devait revoir, aimés;
Regarde! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir!

Un soir, t'en souvient-il? nous voguions¨ en silence; naviguions;
On n'entendait au loin, sur l'onde¨ et sous les cieux l'eau;
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Temps jaloux, se peut-il¨ que ces moments d'ivresse¨ est-il possible; extase;
Où l'amour à longs flots nous verse¨ le bonheur apporte;
S'envolent¨ loin de nous de la même vitesse; partent;
Que les jours de malheur?

Hé quoi! N'en pourrons-nous fixer¨ au moins la trace? assurer;
Quoi! passés pour jamais?¨ quoi! tout entiers¨ perdus? toujours; totalement;
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,¨ fait disparaître;
Ne nous les rendra plus?

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,¨ profondeurs;
Que faites-vous des jours que vous engloutissez?¨ absorbez;
Parlez: nous rendez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez?¨ volez;

O lac! rochers muets!¨ grottes! forêt obscure! silencieux;
Vous que le temps épargne¨ ou qu'il peut rajeunir, protège;
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir!

Qu'il¨ soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages, (=le souvenir);
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,¨ hauteurs;
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux!

Qu'il soit dans le zéphir¨ qui frémit¨ et qui passe, vent; tremble;
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre¨ au front d'argent qui blanchit ta surface, ici:la lune;
De ses molles clartés!

Que le vent qui gémit,¨ le roseau¨ qui soupire, murmure; certaine plante;
Que les parfums légers de ton air embaumé,¨ parfumé;
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire:
Tout dise: "Ils ont aimé".

26.2. L'isolement

Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds;
Je promène¨ au hasard¨ mes regards sur la plaine,¨ fais circuler; sans but; pays plat;
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.

Mais à ces doux tableaux mon âme, indifférente,
N'éprouve¨ devant eux ni charme, ni transports;¨ sent; extases;
Je contemple¨ la terre ainsi¨ qu'une ombre¨ errante:¨ regarde; comme; âme; vagabonde;
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.

De colline¨ en colline en vain¨ portant ma vue,¨ petite hauteur; inutilement; regardant;
Du sud à l'aquilon¨ de l'aurore¨ au couchant,¨ nord; est; ouest;
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis: "Nulle part le bonheur ne m'attend"

Que me font¨ ces vallons, ces palais, ces chaumières?¨ intéressent; huttes;
Vains¨ objets dont pour moi le charme est envolé? illusoires;
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé!

Que le tour su soleil ou commence et s’achève,¨ finisse;
D'un œil indifférent je le suis dans son cours;
En un ciel sombre ou pur qu'il¨ se couche ou se lève, =le soleil;
Qu'importe le soleil? Je n'attends¨ rien des jours. espère;

Quand je pourrais le¨ suivre en sa vaste¨ carrière¨ =le soleil; longue; course;
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts:
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire;
Je ne demande rien à l'immense univers.

Mais peut-être au-delਠdes bornes¨ de sa sphère,¨ de l'autre côté; frontières; cercle;
Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille¨ à la terre, corps;
Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux!

Là, je m'enivrerais¨ à la source ou j'aspire; extasierais;
Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre¨ séjour; sur la terre;

Que¨ ne puis-je, porté sur le char de l'Aurore¨ pourquoi; =le soleil;
Vague objet de mes vœux,¨ m’élancer jusqu'à toi! désirs;
Sur la terre d'exil¨ }pourquoi resté-je encore? ici:misère;
Il n'est¨ rien de commun entre la terre et moi. il n'y a;

Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent ou sois s’élève et l’arrache¨ aux vallons; retire de;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie:¨ décoloré;
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons.¨ vents;

27. Alfred de Vigny

27.1. Moïse

Le soleil prolongeait sur la cime¨ des tentes sommet;
Ces obliques¨ rayons, ces flammes éclatantes, en diagonale;
Ces larges traces d'or qu'il laisse dans les airs,
Lorsqu'en un lit de sable il se couche aux déserts.
La pourpre et l'or semblaient revêtir¨ la campagne. couvrir;
Du stérile Nébo gravissant¨ la montagne, montant;
Moïse, homme de Dieu, s'arrête, et, sans orgueil,¨ arrogance;
Sur le vaste¨ horizon promène¨ un long coup d'œil. immense; fait circuler;
Il voit tout Chanaan, et la terre promise,
Où sa tombe, il le sait, ne sera point admise.¨ permise;
Il voit; sur les Hébreux étend sa grande main,
Puis vers le haut du mont il reprend son chemin.
Et, debout devant Dieu, Moïse ayant pris place,
Dans le nuage obscur lui parlait face à face.
Il disait au Seigneur: "Ne finirai-je pas?
Où voulez-vous encor que je porte¨ mes pas? dirige;
Je vivrai donc toujours puissant et solitaire?
Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre!¨ =mourir;
Que vous ai-je donc fait pour être votre élu?¨ préféré, délégué;
J'ai conduit votre peuple où vous avez voulu.;
Pourquoi vous fallut-il tarir¨ mes espérances, chasser;
Ne pas me laisser homme avec mes ignorances?
Hélas! vous m'avez fait sage parmi les sages!
Mon doigt du peuple errant¨ a guidé les passages. en voyage;
Je suis très grand, mes pieds sont sur les nations,
Ma main fait et défait les générations.
Hélas! je suis, Seigneur, puissant et solitaire,
Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre!
Sitôt que¨ votre souffle¨ a rempli le berger¨ immédiatement; esprit; gardien de moutons;
Les hommes se son dit: "Il nous est étranger;"
Et les yeux se baissaient devant mes yeux de flamme,
Car ils venaient, hélas, d'y voir plus que mon âme.
J'ai vu l'amour s'éteindre¨ et l'amitié tarir;¨ s'affaiblir; disparaître;
Les vierges se voilaient¨ et craignaient de mourir. se cachaient le visage;
M'enveloppant alors de la colonne noire,
J'ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire,
Et j'ai dit dans mon cœur: "Que vouloir à présent?"¨ maintenant;
Pour dormir sur un sein¨ mon front est trop pesant,¨ poitrine de femme; lourd;
Ma main laisse l'effroi¨ sur la main qu'elle touche, terreur;
L'orage est dans ma voix, l'éclair est sur ma bouche;
Aussi,¨ loin de m'aimer, voila qu'ils tremblent tous, c'est pourquoi;
Et quand j'ouvre les bras, on tombe à genoux.
O seigneur! j'ai vécu puissant et solitaire,
Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre!"
Or, le peuple attendait, et, craignant son courroux,¨ fureur;
Priait sans regarder le mont du Dieu jaloux;
Car, s'il levait les yeux, les flancs noirs du nuage
Roulaient et redoublaient les foudres¨ de l'orage, éclairs;
Et le feu des éclairs, aveuglant les regards,
Enchaînait¨ tous les fronts courbés¨ de toutes parts. retenait; baissés;
Bientôt le haut du mont reparut sans Moise.
Il fut pleuré. Marchant vers la terre promise,
Josué s'avançait pensif, et pâlissant,
Car il était déjà l'élu du Tout-fuissant

27.2. Cinq-Mars

Dans une matinée du mois de juin l639, la cloche du château ayant sonné à midi, selon l'usage,¨ le dîner de la famille, tous les habitants du château entrèrent successivement dans la salle: onze personnes, hommes et femmes se placèrent à table; une place à gauche du fils aîné restait vacante encore. tradition;
La porte s'ouvrit et l'on vit entrer un jeune homme d'une assez belle taille; il était pâle, ses cheveux étaient bruns, ses yeux noirs, son air triste et insouciant: c'était Henri d'Effiat, marquis de CINQ-MARS. Il marcha droit à la maréchale d'Effiat en la saluant profondément, et lui baisa la main. "Eh bien, Henri, lui dit-elle, vos chevaux sont-ils prêts? À quelle heure partez-vous?"
"Après le dîner, sur-le-champ,¨ madame, si vous permettez," dit-il à sa mère avec le cérémonieux respect du temps; et, passant derrière elle, il fut¨ saluer M.de Bassompierre, avant de s'asseoir à la gauche de son frère aîné. immédiatement; alla;
"Eh bien!" dit le maréchal, "vous allez partir, mon enfant; vous allez à la Cour; c'est un terrain glissant aujourd'hui. Je regrette pour vous qu'il ne soit pas resté ce qu'il était. La Cour autrefois n'était autre chose que le salon du Roi, où il recevait ses amis naturels, les nobles des grandes maisons. Ce temps de magnificence ne reviendra plus: le Cardinal-duc accomplira¨ son dessein¨ en entier, la grande noblesse quittera et perdra ses terres, et, cessant d'être la grande propriété, cessera d'être une puissance." finira; projet;
"Que vous êtes sinistre aujourd'hui, maréchal!" interrompit la marquise. J'espère que ni moi, ni mes enfants ne verront ces temps-là. Je ne reconnais plus votre caractère enjoué¨ à toute cette politique; je m'attendais à vous entendre donner des conseils à mon fils. Eh bien, Henri, qu'avez-vous donc? Vous êtes bien distrait!"¨ amusant; peu attentif;
Se réveillant au mot de sa mère et craignant de montrer un regret¨ trop enfantin de son beau pays et de sa famille: "Je songeais,¨ madame, à la route que je vais prendre pour aller à Perpignan, et aussi à celle qui me ramènera chez vous." tristesse de devoir quitter; pensais;
"C'est donc au siège¨ de Perpignan que vous vous rendez, mon ami?" répondit le vieux maréchal. "Ah! c'est bien militaire; heureux pour vous. Peste! un siège! c'est un joli début." encerclement;
Le dîner n'était pas à la moitié, quand l'arrivée de Marie de Gonzague fit lever tout le monde. La maréchale fit le geste de se lever pour son rang, et l'embrassa sur le front pour sa bonté et son bel âge.
"Nous vous avons attendue longtemps aujourd'hui, chère Marie, lui dit-elle en la plaçant près d'elle; vous me restez heureusement pour remplacer un de mes enfants qui part."
La jeune duchesse rougit, et dit d'une voix timide: "madame, il le faut bien, vous remplacez ma mère auprès de moi." Et un regard fit pâlir Cinq-Mars à l'autre bout de la table.
Cette arrivée changea la conversation, et on allait sortir de table, lorsque l'horloge ayant sonné deux heures, cinq chevaux parurent dans la grande cour.
"Ah!" s'écria Bassompierre, "voila notre cheval de bataille!" La maréchale pâlit, sortit de table en fondant en larmes: "Pardon mes amis...c'est une folie. Mais c'est bien mal à moi tant de faiblesse devant lui. Adieu, mon enfant, que Dieu vous conduise! Soyez digne de votre nom et e votre père."
Le silencieux voyageur baise les mains de sa mère et la salua ensuite profondément. Il s'inclina¨ aussi devant la duchesse. "Faut-il donc oublier tout, ô Marie!" dit Cinq-Mars avec douceur. fit une révérence;
"Oui, oubliez nos jours heureux, nos longues soirées et même nos promenades de l'étang et du bois; mais souvenez-vous de l'avenir; partez.Votre père était maréchal, soyez plus, connétable, prince. Partez, vous êtes jeune, noble riche brave aimé..."
"Pour toujours?" dit Henri.
"Pour la vie et l'éternité."
Cinq-Mars tressaillit¨ et, tendant la main, s'écria: "'Eh bien! j'en jure par la Vierge dont vous portez le nom, vous serez a moi, Marie, ou ma tête tombera sur échafaud!"¨ tremble; lieu d'exécution;

La salle était fort¨ longue, mais éclairée par une suite¨ de hautes fenêtres en ogive. Une table énorme la remplissait dans toute sa largeur. Autour de cette table étaient assis et courbes huit secrétaires occupés à copier des lettres. Le seul bruit qui s'élevât était celui des plumes qui couraient rapidement sur le papier et une voix grêle¨ qui dictait, en.s'interrompant pour tousser. Elle sortait d'un immense fauteuil à grands bras. L'homme qui s'y trouvait avait le front large et quelques cheveux fort bancs. Ce vieillard n'était rien moins qu'Armand Duplessis, cardinal de Richelieu. très; série; faible;
La porte s'ouvrant rapidement de chaque côte, on vit paraître debout entre les deux battants¨ un capucin. parties de la porte;
Marchant sans cérémonie¨ il vint s'asseoir auprès du Cardinal, qui ne s'attendait pas à la visite qu'il recevait. Son confident, voyant qu'il devait rompre le silence le premier le fit ainsi assez brusquement: formalités;
"Nous étions convenus, monseigneur, de remplacer mademoiselle d'Hautefort; nous l'avons éloignée comme mademoiselle de La Fayette, c'est fort bien; mais sa place n'est pas remplie, et le Roi ..."
"Eh bien?"
"Le Roi a des idées qu'il n'avait pas eues encore. Il a parlé de rappeler la Reine mère," dit le capucin à voix basse, "de la rappeler de Cologne."
"Marie de Médicis!" s'écria le Cardinal en frappant sur le bras de son fauteuil avec ses deux mains. "Non, par le Dieu vivant! elle ne rentrera pas sur le sol de
France d'où je l'ai chassée pied par pied!"
Puis , après avoir rêvé un instant, il ajouta:
"Mais dans quels termes a-t-il exprimé ce désir?"
"Il a dit assez publiquement, et en présence de MONSIER;¨ (=frère du roi);
"Je sens que l'un des premiers devoirs d'un chrétien est d'être bon fils, et je ne résisterai¨ pas longtemps aux murmures de ma conscience." m'opposerai;
"Chrétien! conscience! ce ne sont pas ses expressions; c'est le père Caussin, c'est son confesseur qui me trahit!"¨ s'écria le Cardinal. Je ferai chasser ce confesseur; Joseph; prenez une plume et écrivez vite ceci; pour l'autre confesseur que nous choisirons mieux. Je pense au Père Sirmond..." dupe;
Le Père Joseph se mit devant la grande table, prêt à écrire. Le Cardinal se promenait en long et en large, lorsque la porte s'ouvrit, et un courrier entra. Ce messager tenait sous le bras un paquet cacheté de noir pour le roi, et ne donna au Cardinal qu'un petit billet.
Le Duc tressaillit,¨ le déchire en mille pièces. "Le départ, Joseph, le départ!" dit-il. "Ouvre les portes à toute cette cour qui m'assiège,¨ et allons trouver le Roi, qui m'attend à Perpignan; je le tiens cette fois pour trembla; attaque;
toujours."

Devant une très petite table entourée de fauteuil dorés, était debout le Roi Louis XIII, environné¨ des grands officiers de la couronne; son costume était fort¨ élégant. Il avait la tête découverte et l'on voyait parfaitement sa figure¨ pâle et noble. Il affecta¨ en ce moment d'appeler autour de lui et d'écouter avec attention les plus grands ennemis du Cardinal, qu'il attendait à chaque minute, lorsque deux huissiers¨ à la fois¨ crièrent:"Son Éminence" entouré; très; visage; simula; laquais; en même temps;
Le Roi rougit involontairement, comme surpris en flagrant délit; mais bientôt, se raffermissant, il prit un air de hauteur résolue qui n'échappa point au ministre.
Celui-ci, arrivé près du monarque, ne s'inclina pas¨ mais, sans changer d'attitude, les yeux baissés, il dit: ne fit pas de révérence;
"Sire, je viens supplier¨ Votre Majesté de m'accorder¨ enfin une retraite après laquelle je soupire¨ depuis longtemps. Ma santé chancelle,¨ je sens que ma vie est bientôt achevée."¨ prier; donner; que je désire; est faible; finie;
Le Roi ne donna aucun des signes de faiblesse qu'attendait le Cardinal et qu'il lui¨ avait vus toutes les fois qu'il l'avait menacé de quitter les affaires. Au contraire, se sentant observé par toute sa cour, il le regarda en¨ roi et dit froidement: en lui; comme un;
"Nous vous remercions donc de vos services, monsieur le Cardinal, et nous vous souhaitons le repos que vous demandez."
Richelieu fut ému¨ au fond, mais d'un sentiment de colère¨ qui ne laissa nulle trace sur ses traits.¨ Il reprit en s'inclinant: choqué; fureur; visage;
"La seule récompense que je demande de mes services est que Votre Majesté daigne¨ accepter de moi, en pur don, le palais Cardinal, élevé¨ de mes deniers¨ dans Paris." veuille; construit; mon argent;
Le Roi, étonné, fit un signe de tête consentant.¨ approuvant;
"Je me jette aussi aux pieds de Votre Majesté pour qu'elle veuille m'accorder¨ la révocation¨ d'une rigueur¨ que j'ai provoquée¨ (je l'avoue publiquement), et que je regardai peut-être trop à la hâte comme utile au repos de l'État. Oui, il est¨ une, personne, Sire, qui doit vous être chère; une personne enfin que je vous supplie de rappeler de l'exil; je veux dire la Reine Marie de Médicis, votre mère." donner; réparation; dureté; causée; il y a;
Le prince, touché, se retourna avec grâce vers sa cour et dit d'une voix très émue:¨ pleine d'émotion;
"Nous nous trompons souvent, messieurs, et surtout pour connaître un aussi grand politique que celui-ci; il ne nous quittera jamais, j'espère, puisqu'il a un cœur aussi bon que sa tête."
En ce moment un capitaine des gardes vint parler à l'oreille du prince.
"Un courrier de Cologne?" dit le Roi; "qu'il m'attende dans mon cabinet!"
Puis, n'y tenant pas: "J'y vais, j'y vais," dit-il. Et il impatiemment entra seul dans une petite tente carrée.
Le Cardinal témoigna¨ un trouble qui n'était pas joué; ses regards durs et inquiets¨ se tournaient vers le cabinet; il s'ouvrit tout à coup; le Roi reparut seul, et s'arrêta à l'entrée. Il était plus pâle qu'à l'ordinaire¨ et tremblait de tout son corps. il tenait à la main une large lettre couverte de cinq cachets noirs. montra; alarmés; normalement;
"Messieurs," dit-il avec une voix haute, mais entrecoupée, "la Reine mère vient de mourir à Cologne, et je n'ai peut-être pas été le premier à l'apprendre," ajouta-t-il en jetant un regard sévère sur le Cardinal impassible¨ mais Dieu sait tout. Dans une heure à cheval, et l'attaque des lignes. Messieurs les maréchaux, suivez-moi." insensible;
Et il tourna le dos brusquement, et rentra dans son cabinet avec eux. La cour se retira après le ministre, qui, sans donner un signe de tristesse ou de dépit, sortit aussi gravement qu'il était entré, mais en vainqueur.

Cinq-Mars arriva au camp de Perpignan. Il avait fait établir¨ sa tente comme volontaire dans la rue du camp assignée¨ aux jeunes seigneurs qui devaient être présentes au Roi. En attendant ses amis, Cinq-Mars eut le temps d'examiner le côté sud de Perpignan, devant lequel il se trouvait. Il avait entendu dire que ce n'était pas ces ouvrages¨ que l'on attaquerait et cherchait en vain¨ à se rendre compte¨ de ces projets. Il aperçut bientôt cinq cavaliers qui se dirigeaient¨ vers lui. Les deux premiers, qui arrivèrent au grand galop, ne le saluèrent pas; mais, s'arrêtant presque sur lui, se jetèrent à terre, et il se trouva dans les bras du conseiller de Thou, qui le serrait tendrement,¨ tandis-que le petit abbé de Gondi, riant de tout son cœur s'écriait: "Voici encore un Oreste¨ qui retrouve son Pylade" installer; désignée; fortifications; sans résultat; comprendre; venaient; avec sympathie; (personnages mythologiques);
"Eh quoi! c'est vous, cher Cinq-Mars!" s'écriait de Thou; quoi! sans que j'aie su votre arrivée au camp?"
"Et moi," répondit Henri l'Effiat, "j'ai été bien coupable envers vous: mais Je vous conterai tout ce qui m'étourdissait!"¨ troublait;
Pendant ce peu de mots, Gondi n'avait cessé¨ de les tirer par leur manteau en disant: arrêté;
"A cheval! à cheval! messieurs, car il est question d'attaquer les lignes, et il faut que je sois à mon poste.
"Nous sommes prêts, monsieur," dit Cinq-Mars, l'attaque est commencée de toutes parts."
En effet, la canonnade était générale; la citadelle, la ville et l'armée étaient couvertes de fumée, le bastion seul qui leur faisait face¨ n'était pas attaquée et ses gardes semblaient moins se préparer à le défendre qu'à examiner le sort des¨ fortifications. était devant eux; ce qui arrivait aux...;
"Messieurs," dit Cinq-Mars, qui n'avait cessé d'observer les murailles, "nous pourrions prendre un parti:¨ ce serait d'entrer dans ce bastion mal gardé." décision;
"Ma foi, l'idée n'est pas mauvaise," dit Gondi.
Malgré une décharge à mitraille des deux plus grosses pièces,¨ tous arrivèrent pêle-mêle sur un petit terrain de gazon, au pied des remparts. Dans l'ardeur¨ du passage, Cinq-Mars et Fontrailles lancèrent leurs chevaux sur le rempart¨ même. La défense ne fut pas longue. Les soldats castillans ne tinrent¨ pas longtemps contre les officiers français. Et Cinq-Mars et tous ces gentilshommes débordèrent¨ enfin sur la plate-forme du bastion. Le canon avait cessé de se faire entendre, et un garde était venu avertir¨ que le Roi et le Cardinal parcouraient la ligne¨ pour voir les résultats de la journée. canons; enthousiasme; mur de la fortification; résistèrent; arrivèrent; dire; (=de l'armée);
Le Roi était prêt à revenir sur ses pas, quand le duc de Beaufort, le nez au vent et l'air étonné, s'écria:
"Mais, Sire, ai-je encore du feu dans les yeux, ou suis-je devenu fou d'un coup de soleil? Il me semble que je vois sur ce bastion des cavaliers en habits rouges."
"Eh bien, allons donc visiter ce point," dit le Roi avec nonchalance; "si j'y retrouve mon vieux Coislin, j'en serai bien aise"¨ content;
Il fallut suivre. Ce fut avec de grandes précautions¨ que les chevaux du Roi et de sa suite passèrent à travers les débris.¨ prudence; ruines;
"Vive Dieu!" cria Louis XIII, "je crois qu'il n'en manque pas un. Qui sont-ils?"
"Trois d'entre eux se sont retires modestement, Sire mais le plus jeune, que vous voyez, était le premier à l'assaut,¨ et en a donné l'idée." attaque;
Cinq-Mars, à cheval derrière le vieux capitaine, ôtai¨ son chapeau, et découvrit sa jeune et pâle figure.¨ retira; visage;
"Voilà des traits qui me rappellent quelqu'un," dit le Roi; "qu'en dites-vous, Cardinal?"
Celui-ci avait déjà jeté un coup d'œil pénétrant¨ sur le nouveau venu, et dit: fixe;
"Je me trompe ou ce jeune homme est ..."
"Henri d'Effiat," dit à haute voix le volontaire, en s'inclinant.
"Comment donc, sire, c'est lui-même que j'avais annoncé à Votre Majesté, et qui devait lui être présenté de ma main, le second fils du maréchal."
"Ah!" dit Louis XIII avec vivacité, "j'aime à le voir présenté par ce bastion. Je vous ai promis d'avance de le faire capitaine de mes gardes;faites-le nommer des demain. Je veux le connaître davantage,¨ et je lui réserve mieux que cela par la"suite;¨ s'il me plaît. Retirons-nous; le soleil est couché, et nous sommes loin de notre armée." plus; plus tard;

Pour paraître devant le Roi, Cinq-Mars avait été forcé de monter le cheval de l'un des chevaux-légers¨ blessés dans l'affaire, ayant perdu le sien. En ce moment il vit arriver son ami de Thou, qui, inquiet¨ de ce qu'il était resté en arrière, le cherchait dans la plaine et accourait pour le secourir¨ s'il l'eut fallu.¨ hussards; alarmé; aider; avait été nécessaire;
"Il est tard, mon ami, la nuit approche;¨ vous vous êtes arrêté bien longtemps. Le Roi va venir bientôt." arrive;
"J'étais un peu blessé. Que peut-il me vouloir, mon ami? Que faut-il faire s'il veut m'approcher du trône?
La faveur du Roi a je ne sais quoi qui m'épouvante.¨ Je l'ai vu enfin, ce Roi, que on m avait peint¨ si faible; je l'ai vu, et son aspect m'a touche le cœur, malgré moi; certes, il est bien malheureux, mais il ne peut être cruel, il entendrait la vérité ..." fait peur; décrit;
"Oui, mais il n'oserait la faire triompher," répondit le sage de Thou. "N'attaquez pas un colosse tel¨ que Richelieu sans l'avoir mesuré." comme;
"Vous ne savez pas combien je"suis las¨ de moi-même, et jusqu'où j'ai jeté mes regards. Il me faut monter ou mourir" j'ai assez;
"Quoi! déjà ambitieux!" s'écria de Thou avec une extrême surprise. "L'ambition est la plus triste des espérances."
"Et cependant elle me possède à présent¨ tout entier,¨ car je ne vis que par elle." maintenant; complètement;
"Ah! Cinq-Mars, je ne vous reconnais plus! que vous étiez différent autrefois!"
Ils s'aperçurent qu'ils étaient arrivés presque devant la tente du Roi. C'était seulement autour du Roi que tout veillait, mais à une assez grande distance de lui. Ce prince avait fait éloigner toute sa suite;¨ il se promenait seul devant sa tente. Les deux amis allaient se retirer, lorsque la voix même de Louis XIII se fit entendre. cour;
"N'est-ce pas M.de Cinq-Mars?" dit le Roi d'une voix haute; "qu'il vienne, je l'attends."
Le jeune d'Effiat s'approcha à cheval, et, à quelques pas du Roi, voulut mettre pied à terre; mais à peine eut-il touche le gazon, qu'il tomba à genoux.
"Pardon, Sire, je crois que je suis blesse."
Et le sang sortit violemment de sa botte.
De Thou l'avait vu tomber et s'était approché pour le soutenir; Richelieu saisit l'occasion de s'avancer avec un empressement¨ simulé. hâte;
"Ôtez¨ ce spectacle des yeux du Roi," s'écria-t-il; "vous voyez bien que ce jeune homme se meurt." retirez;
"Point du tout," dit Louis, le soutenant lui-même, "un roi de France sait voir mourir et n'a point peur du sang qui coule pour lui. Ce jeune homme m'intéresse;
qu'on le fasse porter près de ma tente, et qu'il ait auprès de lui mes médecins."
À ces mots, le Roi rentra brusquement dans sa tente.
Le pavillon royal était ferme, Cinq-Mars emporté par de Thou et ses gens, que¨ le duc de Richelieu, immobile et stupéfait,¨ regardait encore la place ou cette scène s'était passée; il semblait frappé de la foudre¨ et incapable de voir ou d'entendre ceux qui l'observaient. lorsque; perplexe; feu du ciel;
À peine le Cardinal fut-il dans sa tente qu'il tomba dans un grand fauteuil. Le capucin parla le premier:
"Si monseigneur veut se souvenir de mes conseils donnés à Narbonne, il conviendra¨ que j'avais un juste pressentiment des chagrins que lui causerait un jour ce jeune homme. J'ai dit qu'il serait bon de se défaire de ce petit Effiat, et que je m'en chargerais, si tel était mon bon plaisir; il serait facile de le perdre¨ dans l'esprit du Roi." sera d'accord; ruiner;
"Il serait plus sûr de le faire mourir de sa blessure," reprit Laubardemont; "si Son Éminence avait la bonté de m'en donner l'ordre..."
"C'est bon, c'est bon," dit le ministre; "il ne s'agit pas de cela. Vous, Joseph, soyez à Paris avant ce jeune présomptueux¨ qui va être favori,¨ j'en suis certain; devenez son ami, tirez en parti¨ pour moi ou perdez¨ le." arrogant; (=du Roi); profit; ruinez;

Rien n'était changé pour la France en l642, époque à laquelle nous passons. L'intérieur¨ n'était pas heureux, mais tranquille,¨ un invisible génie semblait avoir maintenu¨ ce calme; car le Roi, mortellement malade, languissait¨ à Saint-Germain près d'un jeune favori; et le Cardinal, disait-on, se mourait à Narbonne. le pays lui-même; calme; assuré; souffrait;
On était au mois de décembre ;un hiver rigoureux¨ avait attristé Paris, où la misère et l'inquiétude¨ du peuple étaient extrêmes.¨ Une nuit surtout, des coups de pistolet et de fusil avaient été entendus fréquemment dans dur; alarme; très grandes;
la Cité.Il était deux heures du matin; il gelait, et l'ombre¨ était épaisse,¨ lorsqu'un nombreux rassemblement¨ s'arrêta sur le quai. Deux cents hommes, à peu près, semblaient composer cet attroupement. obscurité; totale; groupe;
Un bruit de carrosses et de chevaux se fit entendre.
Plusieurs hommes à manteaux roulèrent une énorme pierre au milieu du pavé. Les premiers cavaliers passèrent rapidement à travers la foule¨ et le pistolet à la main, se doutant bien de quelque chose; mais le postillon qui guidait les chevaux de la première voiture s'embarrassa dans la pierre et s'abattit.¨ masse; tomba;
Ce fut le signal des coups de pistolet qui s'échangèrent avec fureur; le cliquetis¨ des épées et le piétinement des chevaux n'empêchaient¨ pas de distinguer¨ les cris: "À bas le ministre! vive le roi! vive MONSIEUR et monsieur le Grand!¨ ", et de l'autre côté:"Vive Son Éminence! vive le grand Cardinal! mort aux factieux¨ ! vive le Roi!" bruit; prévenaient; entendre; (=Cinq-Mars); rebelles;
Les fenêtres du Louvre s'éclairaient peu à peu. Les appartements de Gaston d'Orléans étaient dans une grande rumeur. À chaque coup de pistolet, ce prince timide courait aux fenêtres. Il était à moitié nu lorsque Montrésor et Eontrailles arrivèrent.
"Eh bien, arrivez donc," leur cria-t-il de loin, courant au-devant¨ d'eux, "arrivez donc enfin. Que se passe-t-il?" a leur rencontre;
On crie: "Vive MONSIEUR."
Gaston, sans faire semblant d'entendre, continua, en criant de toute force et en gesticulant:
"Je ne sais rien de tout ceci et n'ai rien autorisé."
Fontrailles, qui savait à quel homme il avait affaire¨ prit la parole: parlait;
"Monseigneur, dit-il nous venons vous demander mille pardons de ce peuple, qui ne cesse¨ de crier qu'il veut la mort de votre ennemi, et qu'il voudrait même vous voir Regent si nous avions le malheur de perdre Sa Majesté. On a pu voir, de vos fenêtres mêmes, monseigneur, de respectables mères de famille, poussées par le désespoir, jeter leurs enfants dans la Seine en maudissant Richelieu." s'arrête;
"Ah! c'est épouvantable!¨ "s'écria le prince indigné; il est donc bien vrai qu'il est détesté¨ si généralement?" il est terrible; haï;
"Oui, monseigneur," reprit l'orateur; "et ici ce n'est pas Paris seulement, c'est la France entière qui vous supplie¨ avec nous de vous décider à la délivrer de ce tyran." prie;
"Mais, mais, mais..." dit le duc d'Orléans avec un peu d'effroi¨ "savez-vous que c'est une conjuration¨ que vous me proposez là tout simplement?" peur; complot;
"Tout le royaume en est déjà,¨ et je suis du royaume. Eh! qui ne mettrait son nom après celui de MM.de Bouillon et de Cinq-Mars?..." y prend part;
"Après, peut-être, mais avant?" dit Gaston.
"Enfin, s'il y en a un, monseigneur nous promet-il de signer celui de Gaston au-dessous?"
"Ah! parbleu, de tout mon cœur, je ne risque rien, car je ne vois que le Roi, qui n'est sûrement pas de la partie."
"Eh bien, à dater de ce moment, permettez," dit Montrésor, "que nous vous prenions au mot, et veuillez bien consentir¨ à présent à deux choses seulement: voir M. de Bouillon chez la Reine, et M. le grand écuyer¨ chez le Roi." être d'accord; (=Cinq-Mars);
"Tope!"¨ dit MONSIEUR gaiement. d'accord;

La Reine avait entendu des cris aigus derrière les portes et les épaisses tapisseries de sa chambre. Et le bruit du combat redoublait sur les quais. La Reine voulut se mettre à la fenêtre et l'entr'ouvrit, appuyée sur l'épaule de la duchesse de Mantoue.
"Qu'entends-je? dit-elle;"En effet:Vive le Roi!...Vive la Reine!..."
Le peuple, croyant la reconnaître, redoubla de cris en ce moment, et l'on entendit: "A bas le Cardinal! Vive M.le Grand!"¨ (=Cinq-Mars);
Marie tressaillit.¨ trembla;
"Qu'avez-vous?" lui dit la Reine en l'observant.
Mais, comme elle ne répondait pas et tremblait de tout son cœur, cette bonne et douce princesse ne parut pas s'en apercevoir.
Une heure après, la princesse fit refermer ses fenêtres et se hâta de congédier¨ sa suite timide. Elle voulut rester seule avec Marie de Mantoue et, rentrée avec elle dans l'enceinte¨ que formait la balustrade royale elle lui parla ainsi: renvoyer; espace enfermé;
"Si tu pries Dieu pour moi, demande-lui qu'il me donne la force de ne pas haïr l'ennemi qui me poursuit partout, et qui perdra¨ la famille royale de France et la monarchie par son ambition démesurée."¨ ruinera; énorme;
"Eh quoi, madame? N'est-il pas à Narbonne? car c'est le Cardinal dont vous parlez, sans doute?"
"Oui, mon amie, il est à trois cents ligues¨ de nous, mais son génie fatal veille ਠcette porte." l200 km; surveille;
"Mais cependant le Roi ne l'aime plus depuis deux ans: c'est un autre qu'il aime."
La reine sourit et reprit:
"Tu ne soupçonnes¨ pas, pauvre ange, une triste vérité: c'est que le Roi n'aime personne, et que ceux qui paraissent le plus en faveur sont les plus près d'être abandonnés par lui." n'as pas l'idée de...;
"Ah! mon Dieu! que me dites-vous?"
"Sais-tu combien il en a perdu¨ ?" poursuivit le Reine. ruiné;
Mais la jeune duchesse n'était plus en état¨ d'entendre la Reine. capable;
"Je suis bien cruelle, n'est-ce pas, Marie?" poursuivit la Reine avec une voix d'une douceur extrême;¨ vous n'en pouvez plus, mon enfant. Allons, parlez-moi; où en êtes-vous avec M. de Cinq-Mars?" très grande;
"Ah! madame; M.de Cinq-Mars et moi nous sommes unis pour toujours."
"Pour toujours! s'écria la Reine; y pensez-vous? et votre rang, votre nom, votre avenir? Cinq-Mars est bien par lui-même, brave, spirituel, profond même dans ses idées; je l'ai observé: il a fait en deux ans bien du chemin¨ et je vois que c'était pour Marie... Mais il faut qu'il s'élève davantage¨ encore: la princesse de Mantoue ne peut pas avoir épousé moins qu'un prince. Pour moi, je =carrière; plus;
n'y peux rien. Il n'y a que le Cardinal, l'éternel Cardinal... et il est son ennemi, et peut-être cette émeute.."¨ rébellion;
"Hélas! c'est le commencement de la guerre entre eux, je l'ai trop vu tout à l'heure."
"Il est donc perdu!" s'écria la Reine en embrassant Marie. "Oui, il est perdu s'il ne renverse¨ lui-même ce méchant homme, car le Roi n'y renoncera¨ pas..." fait tomber; l'abandonnera;
"Il le renversera, madame; il le fera si vous l'aidez.";
La Reine sourit.
"Ah! mon enfant, ne parlons pas d'affaires d'État; tu n'es pas bien savante encore; laisse-moi dormir un peu."
En disant ces mots, l'aimable princesse pencha sa tête sur son oreiller, et bientôt Marie la vit s'endormir à force de¨ fatigue. par la...;

De Thou et Cinq-Mars entrèrent chez la Reine; elle était assise à sa toilette. Dans l'embrasure¨ d'une croisée,¨ MONSIEUR causait à voix basse avec un homme d'une taille élevée,¨ assez gros, rouge de visage et l'œil fixe et hardi¨ c'était le duc de Bourbon. Alors la Reine, retournant son fauteuil elle-même, dit à MONSIEUR: espace; fenêtre; grand; courageux;
"Mon frère, je vous prie de vouloir bien venir vous asseoir près de moi. Ne cherchez pas à nous échapper, je vous tiens aujourd'hui! C'est bien la moindre chose que nous écoutions M.de Bouillon."
"Madame," répondit le duc, "ce n'est plus le temps des ménagements;¨ la maladie du Roi est grave; le moment de penser et de résoudre est arrivé, car le temps d'agir n'est pas loin." prudences;
"Eh bien, quoi? que craignez-vous et que voulez-vous faire?"
"Je crains pour vous-même, et peut-être pour les princes vos fils."
"Pour mes enfants, monsieur le duc, pour les fils de France? L'entendez-vous, mon frère, l'entendez-vous? et vous ne paraissez pas étonné?"
"Non, madame," dit Gaston d'Orléans fort paisiblement,¨ vous savez que je suis accoutumé¨ à toutes les persécutions,¨ je m:attends¨ à tout de la part de cet homme; il est le maître, il faut se résigner..."¨ calmement; habitué; coups; suis préparé; accepter;
"Il est le maître!" reprit la Reine; "et de qui tient-il son pouvoir, si ce n'est du Roi? et, après le Roi, quelle main le soutiendra, s'il vous plaît? qui l'empêchera¨ de retomber dans le néant?¨ sera-ce vous ou moi?" retiendra; misère;
"Ce sera lui-même," interrompit M.de Bouillon, "car il veut se faire nommer régent, et je sais qu'à l'heure" qu'il est¨ il médite de vous enlever¨ vos enfants, et demande au Roi que leur garde lui soit confiée."¨ maintenant; prendre; donnée;
"Me les enlever!" s'écria la mère; mais avant tout, pas de terreur panique: sachons bien où nous en sommes. Monsieur le Grand, vous quittez le Roi: avons-nous de
telles craintes?"
Cinq-Mars avait déjà relevé la tête, et parla ainsi:
"Je ne crois point, madame, que le Roi soit aussi malade qu'on vous l'a pu dire. Il souffre, il est vrai, il souffre beaucoup; mais son âme surtout est malade, et d'un mal que rien ne peut guérir. Sa langueur¨ est toute morale: il a senti depuis de longues années s'amasser en lui les germes¨ d'une juste haine¨ contre un homme auquel il croit devoir de la reconnaissance, et c'est ce combat¨ intérieur entre sa bonté et sa colère¨ qui le dévore.¨ Le Roi voit et s'indigne: il veut le punir; mais tout à coup il s'arrête et le pleure d'avance. Enfin, madame, l'orage gronde dans son cœur, mais ne brûle que lui; la foudre n'en peut pas sortir." maladie; éléments; aversion; conflit; fureur; trouble;
"Eh bien, qu'on la fasse donc éclater!" s'écria le duc de Bouillon.
"Celui qui la touchera peut en mourir," dit MONSIEUR
"Mais quel beau dévouement!" dit la Reine.
"Que je l'admirerais!" dit Marie à demi-voix.
"Ce sera moi," dit Cinq-Mars.
"Ce sera nous," dit M.de Thou à son oreille.

De Thou était chez lui avec son ami, les portes de sa chambre refermées avec soin. Le conseiller était tombé dans son fauteuil et méditait profondément. Cinq-Mars attendait d'un air sérieux et triste la fin de ce silence, lorsque de Thou, le regardant fixement et croisant les bras, lui dit d'une voix sombre:
"Voilà donc où vous en êtes venu! voila donc les conséquences de votre ambition! Vous allez faire exiler,¨ peut-être tuer un homme, et introduire en France une armée étrangère. Par quel chemin êtes-vous arrivé jusque-là?" quitter le pays;
"C'est Marie de Gonzague que j'aime; pour elle je fus courtisan; pour elle j'ai presque régné en France, et c'est pour elle que je vais succomber¨ et peut-être mourir." me ruiner;
"Eh! ne pouvez-vous vous arrêter?"
"Lorsqu'on a en face¨ un ennemi tel que¨ ce Richelieu, il faut le renverser ou en être écrasé. Je vais frapper demain le dernier coup." devant soi; comme;
"Et, pour votre bonheur personnel, vous voulez renverser un État!"
"Le bonheur de l'État s'accorde avec le mien. Je le fais en passant, si je détruis le tyran du Roi. Mais je crois que je ne triompherai pas dans l'âme tourmentée¨ du Roi." troublée;
"Sur quoi comptes-vous donc?" dit de Thou.
"Sur un coup de dés,¨ si sa¨ volonté peut cette fois durer quelques heures, j'ai gagné ;c'est un dernier calcul auquel est suspendue¨ ma destinée."¨ du hasard; =du Roi; dont dépend; vie;
"Et celle de votre Marie!";
"S'il m'abandonne, je signe le traité¨ d'Espagne et guerre." la pacte;
"Ah! quelle horreur!" dit le conseiller; "une guerre civile et l'alliance avec l'étranger!"
"Oui, un crime," reprit froidement Cinq-Mars; "je vous le répète, si l'on m'y force, je signerai le traité avec l'Espagne."

Cinq-Mars montait lentement les larges degrés¨ qui devaient le conduire auprès du Roi. Le jeune favori entra dans le cabinet.Le prince, en apercevant le grand écuyer, balança longtemps sa tête avant de parler; puis, d'un ton larmoyant et un peu emphatique:¨ marches; tragique;
"Qu'ai-je appris, Cinq-Mars," lui, dit-il; "qu'ai-je appris de votre conduite? Vous avez noué¨ une coupable intrigue; était-ce de vous que je devais attendre de pareilles¨ choses?" fait; ces;
Cinq-Mars se vit découvert et ne put se défendre¨ d'un moment de trouble; mais, parfaitement maître de lui-même, il répondit sans hésiter: retenir;
"Oui, sire, et j'allais¨ vous le déclarer, je suis accoutumé à vous ouvrir mon âme. C'est vous qui m'avez perdu en m'attachant¨ à votre personne; si vous m'avez fait concevoir¨ des espérances trop grandes, que vous renversiez¨ ensuite, est-ce ma faute à moi? Et pourquoi m'avez-vous fait grand écuyer, si je ne devais pas aller plus loin? Pourquoi ne suis-je pas admis¨ au conseil? J'y parlerais aussi bien que toutes vos vieilles têtes à collerettes; j'ai des idées neuves et un meilleur bras pour vous servir. C'est votre Cardinal qui vous a empêché¨ de m'y appeler, et c'est parce qu'il vous éloigne de moi que je le déteste." ` étais sur le point de; associant; former; détruisez; accepté; retenu;
"Mais Cinq-Mars, comment se défaire d'un ministre qui depuis dix-huit ans m'a entouré de ses créatures?"
"Il n'est pas si puissant," reprit le grand écuyer; "Toute l'ancienne ligue des "princes de la Paix" existe encore, Sire, et ce n'est que le respect dû au choix de
Votre Majesté qui l'empêche d'éclater."
"Ah! bon Dieu! tu peux leur dire qu'ils ne s'arrêtent pas pour moi. Si mon frère¨ veut me donner le moyen de remplacer Richelieu, ce sera de tout mon cœur." (=Gaston d'Orléans);
"Eh bien, Sire," dit Cinq-Mars avec confiance, "c'est une affaire faite dès que Votre Majesté ne s'oppose plus. On a proposé de faire disparaître Richelieu comme le maréchal d'Ancre, qui le méritait moins que lui."
En ce moment Cinq-Mars crut entendre du bruit sur l'escalier; le Roi rougit un peu.
"Va-t'en," dit-il, "va vite te préparer pour la chasse; tu seras à Cheval près de mon carrosse; va vite, je le veux!"
Et il poussa lui-même Cinq-Mars vers l'escalier et vers l'entrée qui l'avait introduit.
Le favori sortit; mais le trouble de son maître ne lui était point échappé.
Bientôt MONSIEUR arriva suivi des siens, et une heure ne s'était pas écoulée¨ que le Roi parut¨ et tout partit pour le rendez-vous de la chasse. C'était à une ferme nommée l'Ormage que le Roi l'avait fixé, et toute la cour se répandit dans les allées du parc. passé; arriva;
Cependant Fontrailles se rapprocha et dit tout bas au grand écuyer:
"Monsieur, voila un gaillard¨ entreprenant,¨ je vous conseille de l'employer; il ne faut rien négliger." homme courageux; ambitieux;
"Écoutez-moi," reprit Jacques de Laubardemont, "et parlons vite. Je ne suis pas un faiseur de phrases comme mon père, moi. Je me souviens que vous m'avez rendu quelques bons services. Si vous voulez, je puis vous rendre un important service; je commande quelques braves."
"Quels services?" dit Cinq-Mars; "nous verrons."
"Je commence par un avis.¨ Ce matin, pendant que vous descendiez de chez le Roi par un côté de l'escalier, le père Joseph y montait par l'autre." information;
"O ciel! voila donc le secret de son changement subit¨ et inexplicable! Se peut-il?¨ Un Roi de France! et il nous a laissés lui confier¨ tous nos projets! et ils se plaignent quand un sujet les trahit! Eh bien la guerre, la guerre! Guerres civiles, guerres étrangères, que vos inattendu; est-il possible; dire en confiance;
fureurs s'allument! puisque je tiens la flamme, je vais l'attacher aux mines!¨ Périsse¨ l'état, périssent vingt royaumes s'il le faut! il ne doit pas arriver des malheurs ordinaires lorsque le Roi trahit le sujet. Écoutez-moi." explosifs; que meure...;
Et il emmena Fontrailles à quelques pas.
"Je ne vous avais chargé¨ que de préparer notre retraite et nos secours¨ en cas d'abandon de la part du Roi. Partez, et partez sur-le-champ! J'ajoute aux lettres immédiatement que je vous ai données le traité que voici; il est le pacte signé de MONSIEUR, du duc de Bouillon et de moi. Partez; dans un mois je vous attends à Perpignan et je ferai ouvrir Sedan aux dix-sept mille Espagnols sortis de Flandre." ordonné; de nous aider;
Puis, marchant vers l'aventurier qui l'attendait:
"Pour vous, mon brave, je vous charge d'escorter ce gentilhomme jusqu'à Madrid; vous en serez récompensé largement."

La chambre semblait l'asile des plus voluptueux¨ rendez-vous. Une foule¨ d'hommes se pressaient¨ à l'entrée de cette Chambre. Leurs visages tournés du côte de Cinq-Mars annonçaient qu'ils venaient de lui adresser leur serment.¨ délicieux; grande masse; s'attroupaient; engagement;
Dès que Cinq-Mars aperçut son ami, il se précipita vers la porte.
"Que faites-vous ici?" lui dit-il d'une voix étouffée; "vous êtes perdu si vous entrez."
"Il n'est plus temps,¨ on m'a déjà vu; que dirait-on si je me retirais? Je les découragerais; vous serez perdu." est trop tard;
Cinq-Mars vint reprendre sa place et continua un discours que l'entrée de son ami avait interrompu:
"Soyez donc des nôtres, messieurs; M.de Bouillon est parti pour se mettre à la tête de son armée d'Italie; dans deux jours, et avant le Roi, je quitte Paris pour Perpignan; venez-y tous, les Royalistes de l'armée nous y attendent."
"Vive le Roi! vive l'Union! la nouvelle Union, la sainte Ligue!" décrièrent tous les jeunes gens de l'assemblée.
Tout à coup un mouvement de silence subit¨ se fit dans l'assemblée: un papier roulé avait frappé le plafond et était venu tomber aux pieds de Cinq-Mars. Il le ramassa et le dépliai¨ après avoir regardé vivement autour de lui; on chercha en vain¨ d'où il pouvait être venu. inattendu; ouvrit; sans résultat;
"Il y a un traître¨ parmi nous, messieurs," ajouta-t-il en jetant ce papier. Mais que nous importe! Nous ne sommes pas gens a nous effrayer de ces mots. Du reste, messieurs, je ne veux forcer personne à me suivre. Si quelqu'un veut s'assurer une retraite,¨ qu'il parle; nous lui donnerons les moyens de se mettre dès à présent en sûreté." judas; se retirer;
Nul ne voulut entendre parler de cette proposition, et le mouvement qu'elle occasionna¨ fit renouveler les serments¨ de haine contre le Cardinal-duc. causa; promesses;

La vieille paroisse¨ de Saint-Eustache était obscure; dans l'une de ses chapelles, et la plus sombre était ce confessionnal.¨ Là s'agenouillèrent, de chaque coté, Cinq-Mars et Marie de Mantoue; ils ne se voyaient qu'à peine et trouvèrent que, selon l'usage, l'abbé Quillet, les avait attendus depuis longtemps. église; petit local où le prêtre entend la confession des pénitents;
"Dieu! que j'ai peur, Henri!" dit-elle. "Racontez-moi ce que le Roi vous disait a Chambord."
"Il m'a trahi! vous dis-je," répondit Cinq-Mars "et qui l'aurait pu croire, lorsque vous l'avez vu nous serrant la main, passant de son frère à moi et au duc de Bouillon, qu'il se faisait instruire des moindres détails de la conjuration¨ et cependant Joseph, cet impur espion, sortait du cabinet des Lys! O Marie! vous l'avouerai-je? Je voyais s'écrouler¨ tout notre edifice.¨ Un moyen me restait; je l'ai employé." complot; tomber; entreprise;
"Lequel?" dit Marie.
"Le traité d'Espagne était dans ma main, je l'ai signé."
"O ciel! déchirez-le."
"Il est parti."
"Qui le porte?"
"Fontrailles."
"Rappelez-le."
"Il doit avoir déjà dépassé les défilés¨ d'Oloron," dit Cinq-Mars, se levant debout. "Tout est prêt à Madrid, tout à Sedan; des armées m'attendent, Marie; des armées! et Richelieu est au milieu d'elles! Il chancelle;¨ il ne faut plus qu'un seul coup pour le renverser¨ et vous êtes à moi, pour toujours, à Cinq-Mars triomphant!" pas des montagnes; est près de tomber; faire tomber;
"À Cinq-Mars rebelle," dit-elle en gémissant.¨ plaintivement;
"Eh bien, oui, rebelle; c'est pourquoi j'hésite à me croire encore digne¨ de vous. Abandonnez-moi, Marie, reprenez cet anneau."¨ fait pour; bague;
"Je ne le puis," dit-elle, "car je suis votre femme, quel que vous soyez."
"Vous l'entendez, mon père," dit Cinq-Mars, transporté¨ de bonheur; bénissez cette union, c'est celle du dévouement,¨ plus belle encore que celle de l'amour." en extase; fidélité;
Sans répondre, l'abbé ouvrit la porte du confessionnal, sortit brusquement, et fut hors de l'église avant que Cinq-Mars eût le temps de se lever pour le suivre.
Troublé, d'Effiat fit le tour de l'église, il appela et écouta,
"A mon secours!aidez-moi¨ Henri, mon cher enfant!" répondit la voix de l'abbé Quillet. Ils m'ont arrêté, dépouillé¨ les scélérats,¨ les assassins, ils m'ont empêché d'appeler, ils m'ont serré les lèvres avec un mouchoir." ; volé; criminels;
"Vous n'étiez donc pas avec nous dans le confessionnal?" poursuivit Cinq-Mars avec anxiété.¨ alarmé;
"Eh quoi," dit l'abbé; "n'avez-vous pas vu le scélérat à qui ils ont donné ma clef?"
"Non! qui?" dirent-ils tous à la fois.¨ en même temps;
"Le père Joseph!" répondit le bon prêtre.
"Fuyez! vous êtes perdu!" s'écria Marie.

Au milieu de cette longue et superbe chaîne¨ des Pyrénées s'ouvre un étroit défilé;¨ il circule parmi les rocs, tourne a droite, quitte la France et descend en Espagne. série de montagnes; pas;
Ce fut dans cet étroit sentier,¨ sur le versant¨ de France, qu'environ deux mois après les scènes que nous avons vues se passer à Paris, deux voyageurs venant d'Espagne s'arrêtèrent à minuit, fatigués et pleins d'épouvante.¨ On entendait des coups de fusil dans la montagne. chemin; côté; peur;
"Les coquins!¨ comme ils nous ont poursuivis!" dit l'un d'eux;"je n'en puis plus;¨ sans vous j'étais pris." méchants; supporte;
"Et vous le serez encore, ainsi que¨ ce damné¨ papier, si vous perdez votre temps en paroles. Donnez-moi votre diable de parchemin; je porte l'habit des contrebandiers et je me ferai passer pour tel¨ en cherchant asile chez eux; mais vous n'auriez pas de ressources¨ avec votre habit galonné."¨ comme; misérable; cela; possibilités; d'officier;
"Vous avez raison," dit son compagnon en s'arrêtant sur une pointe de roc. Et restant suspendu au milieu de la pente, il lui donna un rouleau. Un coup de fusil partit.
"Averti¨ " dit le premier. "Roulez en bas; si vous n'êtes pas mort, vous suivrez la route et vous êtes sur le chemin de Pau et sauvé. Allons, roulez!" on nous a vus;
En parlant, il poussa son camarade, se mit à suivre horizontalement le flanc du mont, et bientôt se trouva sur un tertre¨ solide, devant une case¨ de planches à travers lesquelles on voyait une lumière. L'aventurier poussa la porte chancelante; il trouva l'homme qu'il avait vu par les fentes de la cabane. Il souleva la tête sans se déranger. hauteur; hutte;
"Ah! ah! c'est toi Jacques?" dit-il. "Quoiqu'il y ait quatre ans que je ne t'ai vu, je te reconnais, brigand;¨ mets-toi là et buvons un coup. Et qu'apportes-tu?" bandit;
"Une marchandise inconnue; tu le sauras plus tard."
"Tiens, bois donc, les amis vont venir."
"Quels amis?" dit Jacques laissant retomber l'outre.¨ nappe;
Mais la porte s'ouvrit, une figure apparut, livide¨ et surprise, celle d'un homme de grande taille: c'était Laubardemont, suivi d'hommes armés; ils se regardèrent. Le capitaine prit la parole: pâle;
"N'êtes-vous pas celui que nous poursuivons tout à l'heure?"
"C'est lui," dirent les gens de sa suite tout d'une voix; "l'autre est échappe."
Pendant cet instant, Jacques s'élança avec violence¨ contre les faibles planches qui formaient le mur, d'un coup de talon en jeta deux dehors, et passa par l'espace qu'elles avaient laissé. Tous s'approchèrent, arrachèrent¨ les planches qui restaient, et se penchèrent sur l'abîme.¨ Ils contemplèrent¨ un spectacle étrange: les neiges s'écoulaient¨ comme une lave éblouissante¨ ; dans leur amas¨ mouvant se débattait¨ un homme. Cependant on aurait pu le sauver encore. force; retirèrent; ravin; regardèrent; tombaient; brillante; masse; luttait;
"J'enfonce!" s'écria-t-il; "tends-moi quelque chose, et tu auras le traité"¨ pacte;
"Donne-le-moi, et je te tendrai ce mousquet,¨ " dit le juge. fusil;
"Le voilà," dit le spadassin¨ puisque le diable est pour Richelieu." batailleur;
Et, lâchant d'une main son glissant appui, il jeta un rouleau de bois dans la cabane. Laubardemont y entra, se précipitant¨ sur le traite comme un loup sur sa proie. jetant;
Jacques avait en vain¨ étendu¨ son bras; on le vit glisser lentement avec le bloc énorme et dégelé qui croulait¨ sur lui, et s'enfoncer sans bruit dans les neiges. sans résultat; avancé; tombait;
"Ah! misérable! tu m'as trompé!" s'écria-t-il; "mais on ne m'a pas pris le traité...je te l'ai donné... entends-tu... mon père!"
Il disparut sous la couche épaisse et blanche de la neige.

À Narbonne, le Cardinal, assis dans sa chaise longue, tenait sur ses genoux trois jeunes chats. Joseph, assis près de lui, renouvelait le récit¨ de tout ce qu'il avait entendu dans le confessionnal. Le Cardinal dit: l'histoire;
"Voilà donc tout ce qu'ils ont pu faire contre moi pendant deux années! à présent¨ tirons¨ le filet."; maintenant; fermons;
"Il en est temps, monseigneur," dit Joseph.
"Il te tarde¨ d'en venir a M.le Grand," dit le Cardinal; "eh bien, pour te faire plaisir, passons-y. Tu crois donc que je n'ai pas mes raisons pour être tranquille? Voici de petits papiers qui te rassureraient¨ si tu les connaissais. D'abord, dans ce rouleau de bois creux est le traité avec l'Espagne. Je suis très satisfait¨ de Laubardemont; c'est un habile homme!" tu désires; calmeraient; content;
Joseph, joyeux, reprit:
"Son Éminence parle de juger des hommes encore armés et à cheval?"¨ =les conspirateurs;
"Ils n'y sont pas tous. Lis cette lettre de MONSIEUR à Chavigny; il demande grâce, il en a assez. Quant au magnifique et puissant duc de Bouillon, il vient d'être saisi¨ par ses officiers au milieu ce ses soldats. arrêté;
Il reste donc encore seulement mes deux jeunes voisins. S'ils donnent le signal à onze heures et demie, ils seront arrêtés; sinon le Roi me les livrera ce soir."
Joseph se tut; et sa surprise redoubla lorsque Chavigny entra précipitamment¨ et s'écria d'un air fort¨ troublé: vite; très;
"Monseigneur, le Roi vient."
On ouvrit les deux battants, et le Roi parut.Il marchait en s'appuyant sur une canne. Il tomba dans un grand fauteuil, fit un geste pour éloigner¨ tout le monde, et, seul avec Richelieu, lui parla d'une voix languissante:¨ faire partir; triste;
"J'ai besoin de vous parler à cœur ouvert; j'ai entendu parler de conjuration,¨ et je voulais vous en dire quelque chose." complot;
"Quels avis¨ daignez-vous¨ me donner?" conseils; voulez-vous;
"Je ... voulais vous dire franchement, entre nous, que vous feriez bien de prendre garde à MONSIEUR..."
"Ah! Sire, je ne puis le croire à présent, car voici une lettre qu'il vient de m'envoyer."
Le Roi, étonné, lut:
"MONSEIGNEUR, Je suis au désespoir d'avoir manqué à la fidélité que je dois à votre Majesté; je la supplie¨ très humblement d'agréer¨ que je lui en demande un million de pardons. Votre très humble sujet, GASTON." prie; accepter;
"Qu'est-ce que cela veut dire?" s'écria Louis; "osaient-ils s'armer contre moi-même aussi?"
"Oui, Sire; c'est-ce que me ferait croire, jusqu'à un certain point, ce petit rouleau de papier."
Et il tirait, en parlant, un parchemin roule d'un morceau de bois, et le déployait sous les yeux du Roi.
"C'est tout simplement un traité avec l'Espagne, auquel je ne crois pas que Votre Majesté ait souscrit."
"Les traîtres!" s'écria Louis, "il faut les faire saisir!¨ mon frère renonce¨ se retire et se repent,¨ mais faites arrêter le duc de Bouillon..." arrêter; ; reconnaît sa faute;
"Oui, Sire; je réponds de¨ son arrestation sur ma tête; mais ne reste-t-il pas un autre nom?" garantis;
"Lequel?..quoi?..Cinq-Mars?" dit le Roi en balbutiant.
"Précisément, Sire," dit le Cardinal.
"Je le vois bien...mais...je crois que l'on pourrait.."
"Écoutez-moi," dit tout à coup Richelieu d'une voix tonnante, "il faut que tout finisse aujourd'hui."
"Eh! que voulez-vous donc?" dit le Roi.
"Sa tête et celle de son confident."
"Jamais...c'est impossible!" reprit le Roi avec horreur.
Le Cardinal, inexorable,¨ croisa les bras et poursuivit: impitoyable;
"En vérité, je ne sais à quoi il tient que je vous laisse faire."
Louis leva la tête et sembla un instant avoir repris une résolution par crainte¨ d'en prendre une autre. peur;
"Eh bien, monsieur, je veux régner par moi seul."
"À la bonne heure,"¨ dit Richelieu; mais je dois vous prévenir¨ que les affaires du moment sont difficiles. très bien; informer;
Voici l'heure où l'on m'apporte mon travail ordinaire."
"Je m'en charge," reprit Louis; "j'ouvrirai les portefeuilles, je donnerai mes ordres."
"Essayez donc," dit Richelieu; "je me retire et, si quelque chose vous arrête, vous m'appellerez."
Le Roi resta seul. Il voulut sur-le-champ¨ se mettre à l'ouvrage politique. Il vit autant de portefeuilles que l'on comptait alors d'empires, de royaumes. Il en ouvrit un: tout était en ordre, mais dans un ordre effrayant pour lui. Ce fut alors que Louis XIII se vit tout entier et s'effraya du néant¨ qu'il trouvait en lui-même. Sa tête malade fut saisi d'un vertige.¨ immédiatement; misère; troublé;
"Richelieu!" cria-t-il d'une voix étouffée en agitant une sonnette; qu'on appelle le Cardinal!"
Et il tomba évanoui¨ dans un fauteuil. sans connaissance;
Lorsque le Roi rouvrit les yeux, il se retrouva seul avec le Cardinal)
"Vous m'avez rappelé," dit-il; "que me voulez-vous?"
"Régnez," dit-il d'une voix faible,
"Mais... me livrez-vous Cinq-Mars et de Thou?" poursuivit l'implacable¨ ministre. impitoyable;
"Régnez," répéta le Roi en détournant la tête.
"Signez donc," reprit Richelieu; "ce papier porte: Ceci est ma volonté, de les prendre morts ou vifs."
Louis laissa tomber sa main sur le papier fatal et signa.
La porte s'ouvrit brusquement et l'on vit entrer Cinq-Mars. Ce fut cette fois le Cardinal qui trembla.
"Que voulez-vous, monsieur? dit-il.
Le grand écuyer, sans daigner¨ répondre à Richelieu, s'avança d'un air calme vers Louis XIII. trouvant indigne de;
"Vous devez trouver, Sire, quelque difficulté à me faire arrêter, car j'ai vingt mille hommes à moi," dit Henri.
"Hélas! Cinq-Mars," dit Louis douloureusement, "est-ce toi qui as fait de telles choses?"
"Oui, Sire, et c'est moi aussi qui vous apporte mon épée, car vous venez sans doute, de me livrer."¨ dit-il en la détachant¨ et en la posant aux pieds du Roi, qui baissa les yeux sans répondre. trahir; défaisant;
Cinq-Mars sourit avec tristesse et sans amertume¨ parce qu'il n'appartenait déjà plus à la terre. Ensuite, regardant Richelieu avec mépris: ressentiment;
"Je me rends parce que je veux mourir," dit-il; "mais je ne suis pas vaincu."

Tandis que Richelieu ballottait¨ ainsi dans ses mains puissantes les plus grandes et les moindres choses de l'Europe, on avertissait¨ la Reine que l'heure était venue de se rendre chez le Cardinal. Anne d'Autriche n'avait pu refuser la fête du premier ministre. Elle était debout près d'une grande glace avec Marie de Mantoue. tenait; informait;
Lorsqu'elle considérait¨ cet être charmant qu'un vieillard sur un trône ne dédommagerait pas de¨ la perte qu'elle avait faite pour toujours, elle plaignait Marie: on regardait Marie comme accordée¨ au roi Ladislas de Pologne. regardait; aiderait à porter; promise;
"Vous êtes fraîche comme les roses de ce bouquet," dit la Reine; "allons, ma chère enfant, êtes-vous prête?"
Et elles partirent.
Lorsque les deux princesses entrèrent dans les longues galeries du Palais-Cardinal, elles furent reçues et saluées froidement par le Roi et le ministre.
En cet instant une horloge sonna minuit. Le Roi leva, la tête:
"Ah!ah!" fit-il froidement; "ce matin, à la même heure, M.le Grand, notre cher ami, a passé un mauvais moment."
Un cri perçant partit¨ auprès de lui;il frémit¨ et se jeta de l'autre côté. Marie de Mantoue, sans connaissance, était dans les bras de la Reine. Sitôt qu'elle rouvrit les yeux: se fit entendre; trembla;
"Hélas! oui, mon enfant," lui dit Anne d'Autriche; "ma pauvre enfant, vous êtes reine de Pologne."

27.3. Chatterton

PERSONNAGES:
CH Chatterton
LB Lord Beckford
LQ Le Quaker
LT Lord Talbot
KB Kitty Bell
UO Un ouvrier
JB John Bell
RA Rachel

 
ACTE PREMIER, scène première: Quaker, Kitty Bell, Rachel
KB Il me semble que j'entends parler monsieur; ne faites pas de bruit, enfants... Mon Dieu! votre père est en colère!¨ Ne jouez pas, je vous en prie, Rachel... Mais qui vous a donné ce livre-là? C'est une Bible. Qui vous l'a donné, s'il vous plaît? Je suis sûre que c'est le jeune monsieur qui demeure ici depuis trois mois. fureur;
RA Oui, maman.
KB Pourquoi êtes-vous entres chez lui, mes enfants? C'est bien mal! Je suis certaine qu'il écrivait encore.
RA Oui, et il pleurait.
KB Il pleurait! Allons, taisez-vous! ne parlez de cela à personne. Vous irez rendre ce livre à monsieur Tom. Allez!.. allez embrasser le bon quaker.
LQ Venez sur mes genoux tous deux, et écoutez bien: Vous allez dire à votre bonne petite mère que son cœur est simple, pur et véritablement chrétien, mais que
rendre à un malheureux le cadeau qu'il a fait, c'est l'humilier.
KB Oh! il a raison! il a mille fois raison! Donnez, donnez-moi ce livre, Rachel. Il faut le garder, ma fille! le garder toute ta vie. Ta mère s'est trompée. (Elle sort)

 
Scène II. Le Quaker, John Bell.
LQ Le voilà en fureur... Voilà l'homme riche, le spéculateur heureux; voilà l'égoïste par excellence, le juste selon la loi.
JB (Aux ouvriers qui le suivent)-Non, non, non, non! Vous travaillerez d'avantage,¨ voilà tout. plus;
UO (à ses camarades)-Et vous gagnerez moins, voilà tout.
JB Si je savais qui a répondu cela, je le chasserais sur-le-champ¨ comme l'autre. Et à présent¨ qu'on ne me parle plus de Tobie; il est chassé pour toujours. Retirez-vous sans rien dire, parce que le premier qui parlera sera chasse, comme lui, de la fabrique, et n'aura ni pain, ni logement, ni travail dans le village. (Ils sortent) immédiatement; maintenant;
LQ Courage, ami! je n'ai jamais entendu au parlement un raisonnement plus sain¨ que le tien. valide;
JB Et vous, ne profitez pas de ce que vous êtes quaker pour troubler tout, partout où vous êtes. La secte de vos quakers est déjà une exception dans la chrétienté et vous êtes vous-même une exception parmi les quakers. Vous avez partagé tous vos biens entre vos neveux. Cela vous convient, je le veux,¨ mais ce que je ne veux pas, c'est que, dans ma maison, vous veniez, en public, autoriser mes inférieurs à l'insolence.¨ suis d'accord; irrespect;
LQ Je me pendrais moi-même plutôt que de parler autrement, car j'ai pour toi une amitié véritable.
JB S'il n'était vrai, docteur, que vous êtes mon ami depuis vingt ans, et que vous avez sauvé un de mes enfants, je ne vous reverrais jamais.
LQ Tant pi,¨ car je ne te sauverais plus toi-même...Je désire que tu ne chasses pas ce malheureux ouvrier. dommage;
JB Ce qui est fait est fait. Que¨ n'agissent-ils pas tous comme moi? Que tout travaille et serve dans leur famille. Ne fais-je pas travailler ma femme, moi? Tobie a laissé sa femme et ses filles dans la paresse;¨ c'est un malheur très grand pour lui; je n'en suis pas responsable. Pourquoi; inactivité;
LQ Il s'est rompu¨ le bras dans une de tes machines. cassé;
JB Oui, et même il a rompu la machine.
LQ Et je suis sûr que dans ton cœur tu regrettes¨ plus le ressort¨ de fer que le ressort de chair et de sang:¨ va, ton cœur est d'acier comme tes mécaniques. La société deviendra comme ton cœur. Mais ce n'est pas ta faute. Seulement, si tu ne veux pas me laisser parler, laisse-moi lire. es malheureux; partie d'une machine; du corps;
JB (ouvrant la porte de sa femme) Mistress Bell! venez ici.
KB Me voici.
JB Les comptes de la journée d'hier, s'il vous plaît.
KB (Elle va prendre un registre)Voici mes comptes du jour avec ceux des derniers mois.
JB (Il compte)Catherine! vous n'êtes plus aussi exacte. Il manque là cinq ou six guinées, à la première vue, j'en suis sûr.
KB Voulez-vous m'expliquer comment?
JB Passez dans votre chambre, s'il vous plaît, vous serez moins distraite.¨ (ils sortent) inattentive;

 
Scène III. Le Quaker, Rachel, puis Chatterton.;
RA J'ai peur!
LQ Viens sur mon genou. Là! Tu pleures! Regarde, regarde, voilà ton ami qui descend.
CH Bonjour, mon sévère ami.
LQ Pas assez comme ami et pas assez comme médecin. Ton âme te ronge¨ le corps.Tes mains sont brûlantes,¨ et ton visage est pâle. Combien de temps espères-tu vivre ainsi? ruine; chaudes;
CH Le moins possible. Mistress Bell n'est-elle pas ici?
LQ Ta vie n'est-elle donc utile à personne?
CH Au contraire, ma vie est de trop à tout le monde.
LQ Quel âge as-tu donc?
CH J'aurai demain dix-huit ans.
LQ Pauvre enfant!
CH Pauvre? Oui.Enfant? non, .. J'ai vécu mille ans!... On me trahit de tout côté, je le vois, et me laisse tromper par dédain¨ de moi-même, par ennui¨ de prendre ma défense. Et cependant n'ai-je pas quelque droit à l'amour de mes frères, moi qui travaille pour eux nuit et jour? Je me suis appris le parler enfantin du vieux temps; j'ai écrit, comme le roi Harold au duc irrespect; indifférence;
Guillaume, en vers à demi saxons et francs. Ils¨ l'ont adorée comme l'œuvre d'un moine qui n'a jamais existé, et que j'ai nommé Rowley. Cependant on a su que ce livre était fait par moi. On ne pouvait plus le détruire. On l'a laissé vivre; mais il ne m'a donné qu'un peu de bruit¨ et je ne puis faire d'autre métier que celui d'écrire. =le public; réputation;
JB (dans les coulisses) Je ne le veux pas. Cela ne se peut pas ainsi. Non, non, madame.
LQ Tu as les yeux rouges, il faut prendre l'air. Viens!
CH (regardant venir Kitty Bell) Certainement cette jeune femme est fort malheureuse.
LQ Cela ne regarde personne. Sortons.
CH Ah! comme elle pleure! vous avez raison... je ne pourrais pas voir cela... Sortons.

 
scène IV. Kitty Bell, suivie de John Bell.
KB Je vous le demande mille fois, n'exigez¨ pas que je vous dise pourquoi ce peu d'argent vous manque; six guinées, est-ce quelque chose pour vous? demandez;
JB Depuis que le ministre¨ a mis votre main dans la mienne, vous ne m'avez pas résisté de cette manière. pasteur;
KB Il faut donc que le motif soit sacré.
JB Ou coupable, madame.
KB Vous êtes un juge impitoyable.¨ dur;
JB Impitoyable! vous me rendrez compte de cet argent.
KB Eh bien, je vous demande jusqu'à demain pour cela.
JB Soit; jusqu'à demain je n'en parlerai plus.
KB Ah! je vous retrouve. Vous êtes bon. Soyez-le toujours

 
ACTE II. Scène première. Le Quaker, Chatterton.
CH (agité) Croyez-vous qu'il m'ait vu?
LQ Mais pourquoi l'éviter, ce jeune hommœ?
CH C'est que vous savez bien qu'il est de mes amis.C'est lord Talbot.
LQ Eh bien, qu'importe?
CH Il ne pouvait rien m'arriver de pire¨ que de le voir. Mon asile était violé, ma paix troublée, mon nom était connu ici. plus mal;
LQ Le grand malheur!
CH O, mon Dieu, pourquoi suis-je sorti avec vous?Je suis certain qu'il m'a vu.(Cris) Tenez, voilà comme on dépiste¨ le sanglier solitaire!; trouve;

 
Scène II. Les mêmes personnages et John Bell, Kitty Bell.
JB (à sa femme) vous avez mal fait, Kitty, de ne pas me dire que c'était un personnage de considération?¨ haut rang;
KB En est-il ainsi?¨ En vérité je ne le savais pas. est-ce vrai;
JB De très grande considération. Lord Talbot m'a fait dire que c'était son ami, et un homme distingué qui ne veut pas être connu.

 
Scène III. Les mêmes, Lord Talbot avec des amis.
LT (un peu ivre)Où est-il? Le voilà, mon camarade! mon ami! Que diable fais-tu ici? Tu nous a quittés? Tu ne veux plus de nous?-Messieurs voilà mon bon ami...
CH (voulant l'interrompre) Milord...
LT Mon ami Chatterton.
CH George, George! toujours indiscret!
LT Est-ce que cela te fait de la peine?¨ L'auteur des poèmes qui font tant de bruit!¨ le voilà! messieurs, j'ai été à l'université avec lui.-Mais tu es en deuil! Ah! diable! chagrin; sensation;
CH (avec tristesse) Oui, de mon père
LT Ah! il était bien vieux aussi .Que veux-tu! te voilà héritier.
CH (amèrement¨ )Oui; de tout ce qui lui restait. tristement;
LT Eh bien, je deviens comme toi à présent¨ en vérité. J'ai le spleen, mais ce n'est que pour une heure ou deux.-Ah! mistress Bell, vous êtes une puritaine. Touchez là, vous ne m'avez pas donné la main aujourd'hui. maintenant;
LQ Jeune homme, depuis cinq minutes que tu es ici, tu n'as pas dit un mot qui ne fût de trop.
LT Qu'est-ce que c'est que ça? Quel est cet animal sauvage?
JB Pardon, milord, c'est un quaker.(Rires joyeux)
LT C'est vrai. Oh! quel bonheur, un quaker!(Le lorgnant¨ ); regardant;
Mes amis, c'est un gibier¨ que nous n'avions pas fait lever¨ encore.(Éclats de rire des lords) animal sauvage; chassé;
CH (va vite à lord Talbot)George, tout cela est bien léger.¨ J'aurai à te parler à ton retour de chasse. frivole;
LT (consterné) Est-ce que je t'ai affligé?¨ Ma foi, nous avons bu un peu sec de matin. Qu'est-ce que j'ai donc dit, moi? J'ai voulu te mettre bien avec eux tous. Tu viens ici pour la petite femme, hein? attristé;
CH Ciel et terre! Milord, pas un mot de plus.
KB (à part) Mon Dieu, comme il parle effrontément.¨ sans respect;
LT (frappant sur l'épaulé de John Bell) Mon bon John Bell, il n'y a de bons vins de France, et d'Espagne que dans la maison de votre petite dévote femme. Nous voulons les boire en rentrant. À ce soir tous.
(Ils sortent) `
JB Monsieur Chatterton, je suis vraiment heureux de faire connaissance avec vous. Toute ma maison est à votre service.(À Kitty) Mais, Catherine, causez¨ donc un peu avec ce jeune homme. Il faut lui louer un appartement plus beau et plus cher. (Il sort) parlez;
KB Monsieur a des amis bien gais et sans doute aussi très bons.
CH La présence d'un ennemi mortel ne m'eût pas fait tant de mal; croyez-le bien, madame.
KB Monsieur Bell m'a chargée d'offrir à monsieur Chatterton une chambre plus convenable.¨ acceptable;
CH Je vous rendrai votre chambre; j'en veux une encore plus petite. Pourtant je voulais encore attendre le succès¨ d'une certaine lettre. Mais n'en parlons plus; résultat;
LQ Tais-toi,¨ ami, tais-toi, arrête. Calme, calme ta tête brûlante. ne parle pas;
CH Je ne voulais qu'un peu de repos dans cette maison, le temps d'achever¨ de coudre¨ l'une à l'autre quelques pages que je dois. Je n'ai pas besoin d'un plus grand atelier que le mien, et monsieur Bell est trop attendri¨ de l'amitié de lord Talbot pour moi. Mais tout cela est fini. Adieu, madame; adieu, monsieur, ha, ha! Je perds bien du temps! À l'ouvrage!à l'ouvrage! (Il monte à grands pas l'escalier) finir; relier; impressionné;
LQ Tu es remplie d'épouvante,¨ Kitty? terreur;
KB C'est vrai. Vous aussi?-Mon Dieu, il a l'air bien malheureux,
LQ Mon amie, ménageons¨ le.Il est atteint¨ d'une maladie toute morale et presque incurable.¨ Ce mal, c'est la haine¨ de la vie et l'amour de la mort;c'est l'obstiné Suicide. protégeons; attaqué; sans remède; aversion;
KB Oh! que le Seigneur lui pardonne! serait-ce vrai?
LQ Je dis obstiné , parce qu'il est rare que ces malheureux renoncent¨ à leur projet quand il est arrêté¨ en eux-mêmes. quittent; décidé;
KB En est-il là?¨ En êtes-vous sûr? Dites-moi vrai! Dites-moi tout: je ne veux pas qu'il meure! Un homme si jeune! Non, cela ne sera pas; il ne se tuera pas. Que lui faut-il? Est-ce de l'argent? Eh bien, j'en aurai. Tenez, tenez, voilà des bijoux, prenez-les, vendez tout. est-il si malheureux;
LQ Garde tes bijoux: c'est un homme à mourir vingt fois devant un or qu'il n'aurait pas gagné ou tenu de sa famille. J'essayerais bien inutilement de lutter contre sa faute unique: l'orgueil¨ de la pauvreté. I arrogance;
KB Mais n'a-t-il pas parlé d'une lettre qu'il aurait écrite à quelqu'un dont il attendrait du secours?¨ de l'aide;
LQ Ah! c'est vrai! Oui, voila une ancre de miséricorde.¨ Je m'y appuierai¨ avec lui. d'aide; espérerai;

 
ACTE III. Scène première. Chatterton.
CH Il est certain qu'elle ne m'aime pas. Et moi, je n'y veux plus penser. Mes mains sont glacées;¨ ma tête est brûlante. Me voila seul en face de¨ mon travail. Si demain ce livre n'est pas achevé,¨ je suis perdu! oui, perdu!sans espoir! Arrêté, jugé, condamné! jeté en prison, O dégradation, O honteux travail.(il écrit) Ah! misérable! Mais...c'est de la satire! Tu deviens méchant. (Il s'arrête.Il prend une tabatière sur sa table) Le voilà, mon père! Vous voilà!Bon vieux marin! franc capitaine de haut-bord, vous dormiez la nuit, vous; et, le jour, vous vous battiez; vous n'étiez pas un paria intelligent comme l'est devenu votre pauvre enfant. Voyez-vous, voyez vous ce papier blanc? S'il n'est pas rempli demain, j'irai en prison, mon père, et je n'ai pas dans la tête un mot pour noircir se papier, parce que j'ai faim. J'ai cru être poète. C'est ma faute; mais je vous assure que mon nom n'ira pas, en prison! Je vous le jure, mon vieux père. Tenez, tenez, voilà de l'opium! Si j'ai par trop faim, je ne mangerai pas, je boirai... Quelqu'un monte lourdement mon escalier. Cachons ce trésor. (Cachant l'opium) Et pourquoi? Ne suis-je donc pas libre? plus libre que jamais? (Il pose l'opium au milieu de sa table) froide; devant; fini;

 
Scène II Chatteron, Le Quaker
LQ (jetant les yeux sur la fiole¨ )Ah! flacon;
CH Eh bien?
LQ Je connais cette liqueur.Il y a là au moins soixante grains d'opium.-Tu es resté bien longtemps seul, Chatterton.
CH Et si je veux rester seul pour toujours, n'en ai-je pas le droit?
LQ Tu as bien raison; mais seulement c'est un peu poltron.¨ S'aller cacher sous une grosse pierre, dans un grand trou, c'est de la lâcheté. lâche;
CH Connaissez-vous beaucoup de lâches qui se soient tués?
LQ Je ne te contredis nullement. Tu fais bien de suivre ton projet, parce que cela va faire la joie de tes rivaux.
CH Vous me donnez plus d'importance que je n'en ai. Qui sait mon nom?
LQ On sait d'autant mieux ton nom que tu l'as voulu cacher.
CH Vraiment? Je suis bien aise¨ de savoir cela. Eh bien, on le prononcera plus librement après moi. content;
LQ (à part) Toutes les routes le ramènent à son idée fixe. (Haut) Mais il me semble, ce matin, que tu espérais quelque chose d'une lettre?
CH Oui, j'avais écrit au lord-maire, monsieur Beckford qui a connu mon père assez intimement.
LQ Tu as bien fait. Pourquoi y as-tu renoncé¨ depuis? abandonné;
CH Il m'a suffi depuis de la vue d'un homme.¨ depuis cela, la vue d'un homme a été assez pour moi;
LQ Essaye de la vue d'un sage après celle d'un fou. Que t'importe?
CH Eh! pourquoi ces retards? Je veux sortir¨ raisonnablement. J'y suis forcé. mourir;
LQ Que le Seigneur me pardonne ce que je vais faire. Écoute, Chatterton! Je vais te dire, au nom de Dieu, une chose vraie et, en la disant, je vais, pour te sauver, jeter une tache¨ sur mes cheveux blancs. saleté;
Chatterton! Chatterton! tu peux perdre ton âme, mais tu n'as pas le droit d'en perdre deux. Or, il y en a une qui s'est attachée¨ à la tienne. Si tu t'en vas, elle s'en ira. Jeune homme, je te demande grâce pour elle, à genoux, parce qu'elle est pour moi sur la terre comme mon enfant. intéressée;
CH Mon Dieu! mon ami, mon père, que voulez-vous dire?... Serait~ce donc,...
LQ Oui, la femme de mon vieil ami, de ton hôte... la mère des beaux enfants.
CH Kitty Bell!
LQ Elle t'aime, jeune homme. Veux-tu te tuer encore?
CH Hélas! je ne puis donc plus vivre ni mourir?
LQ Il faut vivre, te taire, et prier Dieu!

 
Scène III. Chez John Bell.
LT Monsieur Bell, j'ai à vous parler. Vous ne m'aviez pas dit les chagrins et la pauvreté de mon ami, Chatterton.
JB Mais, milord, ses chagrins, je ne les vois pas; et quant à sa pauvreté, je sais qu'il ne doit rien ici.¨ n'a rien à payer ici;
LT O Ciel, comment fait-il? Oh! si vous saviez ce que l'on vient de m'apprendre!¨ D'abord ses beaux poèmes ne lui ont pas donné un morceau de pain. Ensuite, une espèce¨ d'érudit,¨ un misérable inconnu, vient de publier une atroce¨ calomnie!¨ Il a prétendu prouver qu'"Harold" et tous ses poèmes n'étaient pas de lui. Mais moi, j'attesterai¨ le contraire, moi qui l'ai vu les inventer à mes côtés, là, encore enfant; je l'attesterai, je l'imprimerai¨ et je signerai Talbot. dire; sorte; savant; cruel; insinuation; déclarerai; publierai;
LQ C'est bien, jeune homme.
LT Mais ce n'est pas tout. N'avez-vous pas vu rôder¨ chez vous un nommé Skirner? vagabonder;
JB Oui, oui, je sais.Il est venu hier.
LT Eh bien, il le cherche pour le faire arrêter pour quelque pauvre loyer¨ qu'il lui doit. Et Chatterton a promis par écrit et signé que tel jour (et ce jour approche)il payerait sa dette, et que, s'il mourait dans l'intervalle, il vendait à l'École de chirurgie son corps pour le payer; et le millionnaire a reçu l'écrit! prix de location;
JB Milord, voici votre ami, vous saurez de lui-même ses sentiments.

 
Scène IV. Les mêmes, Chatterton.
LT Tom, je reviens pour vous rendre un service; me le permettez-vous?
CH (ne cessant de regarder Kitty Bell) Je suis,¨ George, résigné à tout ce que l'on voudra, à presque tout. j'accepte;
LT Vous avez donc une mauvaise affaire avec ce fripon¨ de Skirner? Il veut vous faire arrêter demain. vaurien;
CH Je ne le savais pas, mais il a raison.
LT A-t-il raison? ,
CH Il a raison selon la loi. C'était hier que je devais le payer; ce devait être le prix d'un manuscrit inachevé; j'avais signe cette promesse.
LT Est-il vrai que vous comptiez sur monsieur Beckford, sur mon vieux cousin? Je suis surpris que vous n'ayez pas compté sur moi plutôt.
CH Le lord-maire est à mes yeux le gouvernement, et le gouvernement est l'Angleterre; c'est sur l'Angleterre que je compte.
LT Malgré cela, je lui dirai ce que vous voudrez.
KB Il me semble que j'entends une voiture.

 
Scène V. Les mêmes, le lord-maire.
KB Il vient lui-même, le lord-maire, pour monsieur Chatterton.
MB Ah!ah! voici, je crois, tous ceux que je cherchais réunis. John Bell, n'avez-vous pas chez vous un jeune homme nommé Chatterton, pour qui j'ai voulu venir
moi-même?
CH C'est moi, milord, qui vous ai écrit.
MB Ah! c'est vous, mon cher, c'est vous qui êtes Thomas Chatterton? Vous vous êtes amusé à faire des vers mon petit ami; c'est bon pour une fois, mais il ne faut pas continuer. Votre histoire est celle de mille jeunes gens; vous n'avez rien pu faire que vos maudits¨ vers, et à quoi sont-ils bons, je vous prie? Je vous parle en¨ père, moi...à quoi sont-ils bons? Un bon Anglais doit être utile au pays. méchants; comme un;
CH (à part) Pour elle, pour elle, je boirai le calice jusqu'à la lie¨ (Haut) Je crois comprendre, milord. L'Angleterre est un vaisseau.¨ Notre île en a la forme; nous sommes tous de l'équipage,¨ et nul n'est inutile dans la manœuvre¨ de notre glorieux navire. j'accepterai tout; bateau; personnel; activités;
MB Pas mal, pas mal! quoiqu'il fasse encore de la poésie; mais en admettant¨ votre idée, vous voyez que j'ai encore raison. Que diable peut faire le Poète dans la manœuvre? acceptant;
CH Il lit dans les astres¨ la route que nous montre le doigt du Seigneur. étoiles;
LB Imagination ou folie, c'est la même chose;vous n'êtes bon à rien.
LT Milord, c'est un de mes amis, et vous m'obligerez en le traitant bien.
LB Oh! vous vous y intéressez, George? Eh bien vous serez content; j'ai fait quelque chose pour votre protégé malgré les recherches de Bale... Chatterton ne sait pas qu'on a découvert ses petites ruses¨ de manuscrit, mais elles sont bien innocentes, et je les lui pardonne de bon cœur. Le "Magisterial" est un bien bon écrit; je vous l'apporte pour vous convertir¨ avec une lettre où vous trouverez mes propositions; il s'agit de cent livres sterling par an. C'est un commencement; vous ne me quitterez pas et je vous surveillerai de près. (Kitty Bell supplie Chatterton par un regard, de ne pas refuser) duperies; faire changer d'opinion;
CH (hésite un moment; puis, après avoir regardé Kitty) Je consens ਠtout, milord. (au quaker) N'ai-je pas fait tout ce que vous vouliez? (Tout haut à M. Beckfort) Milord, je suis à vous tout à l'heure, j'ai quelques papiers à brûler. suis d'accord avec;
LB Bien, bien! Il se corrige ce la poésie, c'est bien.
(Tous sortent)

 
Scène VI. Chatterton, seul, se promenant.
CH Allez, mes bons, amis. Il est bien étonnant que ma destinée¨ change tout à coup. J'ai peine à m'y fier,¨ pourtant les apparences y sont. Je tiens là ma fortune... Allons... arrêtez-vous, idées noires, ne revenez pas... Lisons ceci... Il lit le journal "Chatterton n'est pas l'auteur de ses œuvres... Voilà qui est bien prouvé... Ces poèmes admirables sont réellement d'un moine¨ du dixième siècle, nomme Turgot... Signé... "Bale"... Bale? fortune; m'est difficile de le croire; religieux;
Qu'est-ce que cela? Quoi! mon nom est étouffé!¨ ma gloire éteinte!¨ mon honneur perdu! Voilà le juge!... le bienfaiteur! perdu; ruiné;
Voyons, qu'offre-t-il? (il décachette¨ la lettre, lit et s'écrie avec indignation: Une place de premier valet de chambre dans sa maison!... Ah! pays damné!¨ terre du dédain!¨ sois maudite¨ à jamais!¨ (Prenant la fiole¨ d'opium)O mon âme, je t'avais vendu, je te rachète avec ceci. (Il boit l'opium) Skirner sera payé. Libre de tous! égal à tous, à présent! ouvre; haïssable; mépris; haï; pour toujours; flacon;
Adieu maintenant humiliations, haines, sarcasmes, travaux dégradants, incertitudes, angoisses, misères, tortures du cœur, terreurs; adieu! Oh! quel bonheur, je vous dis adieu! Si l'on savait! si l'on savait ce bonheur que j'ai,..O Mort, ange de délivrance, que ta paix est douce! Regarde-moi, ange sévère,¨ leur ôter¨ à tous la trace¨ de mes pas sur la terre. (Il jette au feu ses papiers) Allez, nobles pensées écrites pour tous ces ingrats; dédaigneux, purifiez-vous dans la flamme et remontez au ciel avec moi. impitoyable; prendre; reste;

 
Scène VII. Chatterton, Kitty Bell
KB (à part)Que fait-il donc?(A Chatterton)N'allez-vous pas rejoindre¨ milord? retrouver;
CH Déjà!...Ah! c'est vous! Ah! madame! à genoux! par pitié, oubliez-moi! `
KB Eh! mon Dieu! pourquoi cela? qu'avez-vous fait?
CH Je vais partir. Adieu!
KB Avez-vous de mauvais desseins,¨ grand Dieu? intentions;
CH Ne vous en ai-je pas dit assez? Comment êtes-vous là?
KB Eh! comment n'y serais-je plus?
CH Parce que je vous aime, Kitty.
KB Ah! monsieur, si vous me le dites, c'est que vous voulez mourir.
CH J'en ai le droit, de mourir.
KB Et moi, je vous jure que c'est un crime: ne le commettez¨ pas. faites;
CH Il le faut, Kitty, je suis condamné.
KB Attendez seulement un jour pour penser à votre âme.
CH Je vous ai avertie; il n'est plus temps.
KB Et si je vous aime, moi!
CH C'est pour cela que Dieu peut me pardonner.
KB Qu'avez-vous donc fait?
CH Il n'est plus temps, Kitty; c'est un mort qui vous parle.
KB (à genoux, les mains au ciel) Puissances du ciel! grâce pour lui!
CH Eh bien donc! prie pour moi sur la terre et dans le ciel.(Il la baise au front et remonte l'escalier; il ouvre sa porte et tombe dans sa chambre)
KB Ah! Grand Dieu! (Elle trouve la fiole) Qu'est-ce que cela? Mon Dieu! pardonne-lui.

 
scène VII. Kitty Bell, le Quaker.
LQ (accourant)Vous êtes perdue... Que faites-vous ici?
KB Montez vite! montez, monsieur, il va mourir; sauvez-le... s'il est temps. (Le Quaker s'achemine¨ vers l'escalier; Kitty Bell suit le quaker avec terreur) va;
LQ Reste, reste, mon enfant, ne me suis pas. (Il entre chez Chatterton et s'enferme avec lui. Kitty Bell monte; elle fait un effort pour tirer à elle la porte, qui résiste et s'ouvre enfin. On voit Chatterton mourant et tombé sur le bras du quaker. Elle crie, glisse à demi morte sur la rampe¨ de l'escalier, et tombe sur la dernière marche. On entend John Bell appeler de la salle voisine). balustrade;
JB Mistress Bell. (Entrant violemment, et montant deux marches de l'escalier) Que fait-elle ici? Où est ce jeune homme? Ma volonté est qu'on l'emmène!
LQ Dites qu'on l'emporte, il est mort.
JB Mort? Mais...
LQ Arrêtez, monsieur, c'est assez d'effroi¨ pour une femme. (Il regarde Kitty et la voit mourante) Monsieur, emmenez ses enfants! Vite, qu'ils ne la voient terreur;
pas. (Il arrache¨ les enfants des pieds de Kitty Bell, les passe à John Bell, et prend leur mère dans ses bras. John Bell les prend à part, et reste stupéfait.¨ Kitty Bell meurt dans les bras du quaker) tire; perplexe;
JB (avec épouvante) Eh bien! eh bien! Kitty, Kitty! qu'avez-vous?(Il s'arrête en voyant le quaker s'agenouiller)
LQ (à genoux)Oh!dans ton sein,¨ dans ton sein, seigneur, reçois ses deux martyrs! cœur;

27.4. Servitude et grandeurs militaires

L'armée est une nation dans la Nation; c est un vice¨ de nos temps. Dans l'antiquité il en était autrement:¨ tout citoyen était guerrier, et tout guerrier était citoyen. défaut; la situation était autre;
Dans le moyen âge et au delਠjusqu'à la fin du règne de Louis XIV, l'armée tenait ਠla Nation, sinon par tous ses soldats, du moins par tous leurs chefs, parce que le soldat était l'homme du Noble, levé¨ par lui sur sa terre; or, son seigneur était propriétaire, et il ne fit autre chose que de se dévouer¨ corps et bien au pays souvent en lutte¨ contre la couronne.¨ Cette indépendance de l'armée dura en France jusqu'à M.de Louvois, qui, le premier, la soumit¨ aux bureaux et la remit dans la main du Pouvoir souverain. La centralisation l'a faite ce qu'elle est. C'est un corps séparé du grand corps de la Nation. L'armée moderne, sitôt qu'¨ elle cesse¨ d'être en guerre, devient une sorte de gendarmerie; elle se demande sans cesse si elle est esclave ou reine d'État: ce corps cherche partout son âme et ne la trouve pas. après; faisait partie de; recruté; donner; conflit; le roi; fit obéir; immédiatement quand; finit;
L'homme soldé,¨ le Soldat, est un pauvre glorieux, victime¨ et bourreau,¨ bouc émissaire ¨ journellement sacrifie à son peuple et pour son peuple qui se joue de lui. engagé au service militaire; dupe; exécuteur; responsable;
La Servitude militaire est lourde. Aussi, au seul aspect d'un corps d'armée, on s'aperçoit, que l'ennui¨ et le mécontentement sont les traits¨ généraux du visage militaire. Cependant une idée commune¨ à tous a souvent à cette réunion d'hommes sérieux un grand caractère de majesté, et cette idée est l'Abnégation.¨ désagrément; caractéristiques; collective; oubli de soi-même;
J'en parlerai d'abord, parce qu'elle me fournit¨ le premier exemple des nécessités cruelles de l'Armée. Quand je remonte à mes plus lointains souvenirs, je trouve dans mon enfance militaire une anecdote qui m'est présente à la mémoire, et telle¨ qu'elle me fut racontée, je la redirai. donne; comme;

LAURETTE OU LE CACHET ROUGE.
La grande route d'Artois et de Flandre est longue et triste. Elle s'étend¨ en ligne droite, sans arbres, sans fosses, dans les campagnes unies¨ et pleines d'une boue jaune en tout temps. Au mois de mars l8l5, je passai sur cette route, et je fis une rencontre que je n'ai point oubliée depuis. s'étale; plates;
J'étais seul, j'étais à cheval. Mes camarades étaient en avant sur la route, à la suite du roi Louis XVIII. Un fer perdu avait retardé mon cheval.
Regardant l'heure à ma montre, et voyant le chemin s'allonger toujours en ligne droite, sans un arbre et sans une maison, et couper la plaine jusqu'à l'horizon, comme une grande raie¨ jaune sur une toile grise, je me voyais au milieu d'une mer bourbeuse.¨ ligne; sale;
En examinant avec attention cette raie jaune de la route, j'y remarquai, à un quart de lieu environ,¨ un petit point noir qui marchait. Je hâtai le pas et je gagnai du terrain sur cet objet. ±un kilomètre;
À une centaine de pas, je vins à distinguer clairement une petite charrette de bois blanc; un petit mulet qui la tirait était péniblement conduit par un homme à pied qui tenait la bride. Je m'approchai de lui et le considérai¨ attentivement. regardai;
C'était un homme d'environ cinquante ans, à moustaches blanches, fort et grand, le dos voûté¨ à la manière des vieux officiers d'infanterie qui ont porté le sac. Il avait un visage endurci, mais bon, comme à l'armée il y en a tant. Il me regarda de côté sous ses gros sourcils noirs en disant: rond;
"Voulez-vous boire la goutte?"¨ boisson;
"Volontiers".,"¨ dis-je en m'approchant, il y a vingt-quatre heures que je n'ai bu." avec plaisir;
Il avait à son cou une noix de coco, il me le passa et j'y bus un peu de mauvais vin blanc avec beaucoup de plaisir; je lui rendis le coco.
"À la santé du roi," dit-il en buvant; "il m'a fait officier de la Légion d'honneur; il est juste que je le suive jusqu'à la frontière; je reprendrai mon bataillon après, c'est mon devoir."
En parlant ainsi comme à lui-même, il remit en marche son petit mulet, en disant que nous n'avions pas de temps à perdre et, comme j'étais de son avis,¨ je me remis en chemin à deux pas de lui.; d'accord avec lui;
Nous allâmes sans rien dire durant un quart de lieue¨ environ. Comme il s'arrêtait alors pour faire reposer son pauvre petit mulet, je m'arrêtai aussi et je tâchai d'exprimer¨ l'eau qui remplissait mes bottes. un kilomètre; faire sortir;
"Vos bottes commencent à vous tenir aux pieds, dit-il.
"Il y a quatre nuits que je ne les ai quittes," lui dis-je.
"Bah! dans huit jours vous n'y penserez plus," reprit-il avec sa voix enrouée. "Savez-vous ce que j'ai la-dedans?"
"Non," lui dis-je.
"C'est une femme."
Je dis:"Ah!" sans trop d'étonnement et je me remis en marche tranquillement.
"Vous n'êtes pas curieux, par exemple; cela devrait vous étonner, ce que je dis la."
"Je m'étonne bien peu," dis-je.
"Oh! Cependant si je vous contais comment j'ai quitté la mer, nous verrions."
"Eh bien," repris-je, "pourquoi n'essayez-vous pas? Cela vous réchauffera et cela me fera oublier que la pluie m'entre dans le dos et ne s'arrête qu'à mes talons."
Le bon chef de bataillon s'apprêta¨ solennellement à parler avec un plaisir d'enfant. se prêpara;
"Vous saurez d'abord, mon enfant, que je suis né à Brest. Quand vint la Révolution, j'avais fait du chemin¨ et j'étais devenu capitaine d'un petit bâtiment¨ assez propre. Comme l'ex-marine royale se trouva tout à coup dépeuplé d'officiers, on prit des capitaines dans la marine marchande. On me donna le commandement d'un brick de guerre nommé "Le Marat". une carrière; bateau;
Le 28 fructidor l797, je reçus l'ordre d'appareiller¨ pour Cayenne; je devais y conduire soixante soldats et un "déporté". J'avais ordre de traiter cet individu avec ménagement,¨ et la première lettre du Directoire en refermait une seconde, scellée¨ de trois cachets rouges, au, milieu desquels il y en avait un démesuré.¨ J'avais défense d'ouvrir cette lettre avant le premier degré latitude nord, du vingt-sept au vingt-huitième longitude, c'est-à-dire près de passer la ligne.¨ lever l'ancre; attentions; fermée; très grand; l'équateur;
Je ne suis pas superstitieux,¨ mais elle me fit peur, cette lettre. Je la mis dans ma chambre sous le verre d'une mauvaise petite pendule anglaise. sensible aux forces magiques;
J'étais occupé à mettre cette lettre sous le verre, quand mon "déporté" entra dans ma chambre; il tenait par la main une belle petite de six-sept ans environ.
Lui me dit qu'il en avait dix-neuf; un beau garçon, quoique un peu pale, et trop blanc pour un homme. Il tenait sa petite femme sous le bras; elle était fraîche et gaie comme un enfant. Ils avaient l'air de deux tourtereaux. Ça me faisait plaisir à voir, moi. Je leur dis:
"Eh bien, mes enfants, vous venez faire visite au vieux capitaine; c'est gentil à vous. Je vous emmène un peu loin, mais tant mieux, nous aurons le temps de nous connaître."
Nous fûmes tout de suite de bons amis. Ce fut une jolie traversée.¨ Je faisais venir à ma table, tous les jours, mes deux petits amoureux. Cela m'égayait.¨ Ils couchaient dans un hamac. Ils étaient alertes et contents. Je faisais comme vous, je ne questionnais pas. Qu'avais-je besoin de savoir leur nom et leurs affaires, moi, passeur d'eau! Je les portais de l'autre côté de la mer, comme j'aurais porté deux oiseaux de paradis. voyage; faisait plaisir;
J'avais fini, après un mois, par les regarder comme mes enfants. Tout le jour, quand je les appelais, ils venaient s'asseoir auprès de moi.Le jeune homme écrivait sur ma table, et, quand je voulais, il m'aidait à faire mon point;¨ il le sut bientôt faire aussi bien que moi; j'en étais quelquefois tout interdit.¨ position; perplexe;
Un jour qu'ils étaient posés comme cela, je leur dis: "Savez-vous, mes petits amis, que nous faisons un tableau de famille, comme nous voilà? Je ne veux pas vous interroger¨ mais probablement vous n'avez pas plus d'argent qu'il ne vous en faut et vous êtes joliment délicats tous deux pour bêcher¨ et piocher comme font les déportés de Cayenne. Si vous aviez comme il me semble, tant soit peu ¨ d'amitié pour moi, je quitterais assez volontiers mon vieux brick, et je m'établirais¨ là avec vous, si cela vous convient.¨ Moi, je n'ai pas plus de famille qu'un chien, cela m'ennuie;¨ vous me feriez une petite société. questionner; travailler; un peu; installerais; est agréable; est désagréable;
Ils restèrent tout ébahis à se regarder, ayant l'air perplexe de croire que je ne disais pas vrai.
"Eh bien, ça vous va-t-il?" leur dis-je enfin.
"Mais... mais, capitaine, vous êtes bien bon," dit le mari; "mais c'est que,.. vous ne pouvez pas vivre avec des déportés, et..." Il baisse les yeux.
"Moi, dis-je, je ne sais ce que vous avez fait pour être déporté, mais vous me direz ça un jour, ou pas du tout, si vous voulez. Vous ne m'avez pas l'air à avoir la conscience bien lourde."
"C'est que," reprit-il en secouant tristement sa tête brune "c'est que je crois qu'il serait dangereux Pour vous, capitaine, d'avoir l'air de nous connaître. Nous rions parce que nous sommes jeunes; nous avons l'air heureux parce que nous nous aimons; mais j'ai de vilains¨ moments quand je pense à l'avenir, et je ne sais pas ce que deviendra¨ ma pauvre Laure." mauvais; ce qui arrivera à;
Je pris ma pipe et me levai, parce que je commençais à me sentir les yeux un peu mouillés, et que ça ne me va pas, à moi.
"Allons, allons!" dis-je; "ça s'éclaircira¨ par la suite!¨ Si le tabac incommode madame, son absence est nécessaire. se verra; plus tard;
Elle se leva, le visage tout en feu et tout humide de larmes, comme une enfant qu on a grondée.¨ réprimandée;
"D'ailleurs," me dit-elle en regardant ma pendule, "vous n'y pensez pas, vous-autres; et la lettre!"
Je sentis quelque chose qui me fit de l'effet.
"Pardieu, je n'y pensais plus, moi," dis-je. "Ah! par exemple, voila une belle affaire! Si nous avions passé le premier degré de latitude nord, il ne me resterait plus qu'à me jeter à l'eau." .
Je regardai vite ma carte de marine et, quand le vis que nous en avions encore pour¨ une semaine au moins j'eus la tête soulagée,¨ mais pas le cœur, sans savoir pourquoi. Nous restâmes tous trois le nez en l'air à regarder cette lettre, comme si elle allait nous parler. le temps d'; calme;
Nous ne pensâmes plus du tout à la regarder pendant quelques jours; mais, quand nous approchâmes du premier degré de latitude, nous commençâmes à ne plus parler.
Un beau matin, je m'éveillai assez étonne de ne sentir aucun mouvement dans la bâtiment.¨ Nous étions tombés dans un calme plat, et c'était sous le premier degré de latitude nord, au 27 de longitude. Je dis tout de suite: "J'aurai le temps de te lire, va!" en regardant de côté de la lettre. J'attendis jusqu'au soir, au coucher du soleil. bateau;
Cependant, il fallait bien en venir¨ là; j'ouvris la pendule, et j en tirai vivement l'ordre cacheté.¨ Je brisai les trois cachets d'un coup de pouce; et le grand cachet rouge, je le broyai¨ en poussière. prendre une décision; fermé; pulvérisai;
Après avoir lu, je me frottai les yeux, croyant m'être trompé. Je relus la lettre tout entière; je la relus encore; je recommençai en la prenant par la dernière ligne en remontant à la première. Je n'y croyais pas.
Mes jambes flageolaient¨ un peu sous moi, je m'assis, mais ce fut l' affaire d'un moment; je montai prendre l'air. tremblaient;
Laurette était ce jour-là si jolie que je ne voulus pas m approcher de elle; elle avait une petite robe blanche toute simple. Elle s'amusait à tremper¨ dans la mer son autre robe au bout d'une corde, et son ami s'appuyait sur elle. Je fis signe à ce jeune homme de venir me parler; je lui pris le bras; j'étouffais. plonger;
"Ah ça!" lui dis-je enfin, "contez-moi donc, mon petit ami, contez-moi un peu votre histoire. Que diable avez-vous donc fait à ces chiens d'avocats qui sont là comme cinq morceaux de roi? Il paraît qu'ils vous en veulent¨ fièrement. C'est drôle!" sont fâchés contre vous beaucoup;
Il haussa les épaules en penchant la tête (avec un air si doux, le pauvre garçon!), et me dit:
"O mon Dieu! capitaine, pas grand chose, allez:trois couplets de vaudeville sur le Directoire, voilà tout."
"Pas possible!" dis je.
"O mon Dieu, si! Les couplets n'étaient même pas trop bons. J'ai été arrêté le l5 fructidor et conduit à la Force, jugé le l6, et condamné à mort d'abord, et puis à la déportation par bienveillance."¨ bonté;
"C'est drôle!" dis-je. "Les Directeurs sont des camarades bien susceptibles,¨ car cette lettre que vous savez me donne ordre de vous fusiller." vite irrités;
Il ne répondit pas, et sourit en faisant une assez bonne contenance¨ pour un jeune homme de dix-neuf ans. Je repris: attitude;
"Il parait que ces citoyens-là n'ont pas voulu faire votre affaire sur la terre, ils ont pense qu'ici ça ne paraîtrait¨ pas tant. Mais pour moi c'est fort¨ triste; car vous avez beau être¨ un bon enfant, je ne peux pas m'en dispenser;¨ l'arrêt de mort est là en règle, et l'ordre d'exécution signé, paraphé, scellé, il n'y manque rien" se verrait; très; malgré que vous soyez; décharger;
Il me salua très poliment en rougissant.
"Je ne demande rien, capitaine," dit-il avec une voix aussi douce que de coutume¨ "Je serais désolé¨ de vous faire manquer à vos devoirs. Je voudrais seulement parler un peu à Laure, et vous prier de la protéger dans le cas où elle me survivrait, ce que je ne crois pas." normalement; triste;
"Oh! pour pour cela, c'est juste," jui dis je, "mon garçon; si cela ne vous déplaît pas, je la conduirai à sa famille à mon retour en France, et je ne la quitterai que quand elle ne voudra plus me voir."
Il me prit les deux mains, les serra et me dit:
"Mon brave capitaine, vous souffrez plus que moi de ce qui vous reste à faire, je le sens bien; mais qu'y pouvons-nous? Je compte sur vous pour lui conserver le peu qui m'appartient."¨ est à moi;
"Enfin, suffit!" lui dis-je, "entre braves gens on s'entend¨ de reste. Allez lui parler, et dépêchons-nous." se comprend;
Je lui serrai la main en ami; et, comme il ne quittait pas la mienne et me regardait avec un air singulier¨ bizarre;
"Ah ça! si j'ai un conseil à vous donner," ajoutai-je, "c'est de ne pas lui parler de ça. Nous arrangerons la chose sans qu'elle s'y attende, ni vous non plus, soyez tranquille; ça me regarde."¨ je sais bien faire cela;
"Ah! c'est différent," dit-il; "je ne savais pas ... cela vaut mieux en effet. D'ailleurs, les adieux! les adieux! cela affaiblit."
"Oui, oui," lui dis-je, "ne soyez pas enfant, ça vaut mieux. Ne l'embrassez pas si vous pouvez, ou vous êtes perdu."
Je lui donnai encore une poignée de main, et je le laissai aller. Oh!c'était dur pour moi, tout cela.
Il me parut qu'il gardait, ma foi, le secret car ils se promenèrent bras dessus, bras dessous, pendant un quart d'heure.
La nuit vint tout à coup. C'était le moment que j'avais résolu de prendre.J 'appelai les officier et je dis l'un d'eux: "Allons, un canot à la mer... puisque¨ à présent¨ nous sommes des bourreaux¨ tueurs!Vous y mettrez cette femme, et vous l'emmènerez au large¨ jusqu'à ce que vous; entendiez des coups de fusil. Alors vous reviendrez." parce que; maintenant; ; sur la mer;
Qu'il y a des gens maladroits dans le monde! L'officier fut assez sot pour conduire le canot en avant du brick.
Moi, je comptais sur la nuit pour cacher l'affaire et je ne pensais pas à la lumière des douze fusils faisant feu à la fois.¨ Et, ma foi! du canot elle vit son mari tomber à la mer, fusillé. Au moment du feu, elle porta la main à sa tête comme si une balle l'avait frappée au front, et s'assit dans le canot sans s'évanouir,¨ sans crier, sans parler, et revint au brick quand on voulut et comme on voulut. J'allai à elle, je lui parlai longuement et le mieux que je pus. Elle avait l'air de m'écouter et me regardait en face en se frottant le front. Elle ne comprenait pas. Ça lui est resté. Elle est encore de même, la pauvre petite idiote ou comme imbécile, ou folle, comme vous voudrez.Jamais on n'en a tiré une parole, si ce n'est¨ quand elle dit qu'on lui ôte¨ ce qu'elle a dans la tête. en même temps; perdre connaissance; excepté; retire;
De ce moment-là je devins aussi triste qu'elle, et je sentis quelque chose en moi qui me disait: Reste devant¨ elle jusqu'à la fin de tes jours, et garde-la; je l'ai fait. Quand je revins en France, je demandai à passer avec mon grade dans les troupes de terre, ayant pris la mer en haine¨ parce que j'y avais jeté du sang innocent. Je cherchai la famille de Laure. Sa mère était morte. Ses sœurs, à qui je la conduisais folle, n'en voulurent pas, et m'offrirent de la mettre à Charenton.¨ Je leur tournai le dos, et je la gardai avec moi. avec; aversion; hôpital psychiatrique;
En l'écoutant avec tristesse, je me mis à calculer que, de l797 à l8l5, où nous étions, dix-huit années s'étaient ainsi passées pour cet homme. Je demeurai¨ longtemps en silence à côté lui, cherchant à me rendre compte de¨ ce caractère et de cette destinée.¨ Ensuite, à propos de¨ rien, je lui donnai une poignée de main pleine d'enthousiasme. Il en fut étonné. restai; comprendre; vie; pour;
"Vous êtes un digne¨ homme," lui dis-je. Il me répondit: honnête;
"Eh! pourquoi donc? Est-ce à cause de cette pauvre femme? Vous sentez bien, mon enfant, que c'était un devoir.
Il y a longtemps que j'ai fait abnégation."¨ abandonné tout avantage personnel;
J'ignorai¨ longtemps ce qu'était devenu ce pauvre chef de bataillon. Un jour, cependant, au café, en l825, je crois, un vieux capitaine d'infanterie de ligne, à qui je le décrivis en attendant la parade, me dit: savais pas;
"En! pardieu, mon cher, je l'ai connu, le pauvre diable! C'était un brave homme; il a été descendu¨ par un boulet¨ à Waterloo. Il avait, en effet, laissé aux bagages une espèce¨ de fille folle que nous menâmes à l'hôpital d'Amiens, et qui y mourut, furieuse, au bout de trois jours. tué; projectile; sorte;
"Je le crois bien," lui dis-je; "elle n'avait plus son père nourricier."¨ adoptif;
"Ah bah! père! qu'est-ce que vous dites donc?" ajouta-t-il d'un air qu'il voulait rendre fin et licencieux.¨ obscène;
"Je dis qu'on bat le rappel," repris-je en sortant.
Et moi aussi, j'ai fait abnégation.

27.5. La mort du loup

Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l'incendie¨ on voit fuir la fumée, le feu;
Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon.
Nous marchions, sans parler, dans l'humide gazon.
Rien ne bruissait¨ donc, lorsque, baissant la tête, faisait du bruit;
Le plus vieux des chasseurs qui y étaient mis en quête¨ à chercher;
À regardé le sable en s'y couchant; bientôt,
Lui, que jamais ici l'on ne vit en défaut
A déclaré tout bas que ces marques récentes
Annonçaient la démarche et les griffes puissantes
De deux grands loups cerviers et de deux louveteaux,¨ petits loups;
Nous avons tous alors préparé nos couteaux;
Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient,
J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient.
Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées,¨ droites;
Par leurs ongles crochus¨ dans le sable enfoncées;¨ courbés; plantées;
Il s'est juge perdu, puisqu'il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris;
Alors il a saisi, dans sa gueule¨ brûlante, bouche;
Du chien le plus hardi¨ la gorge pantelante.¨ courageux; haletante;
Et n'a pas desserré¨ ses mâchoires de fer, ouvert;
Malgré nos coups de feu, qui traversaient sa chair,
Et nos couteaux aigus¨ qui, comme des tenailles, coupants;
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles.¨ bas-corps;
Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,¨ étouffé;
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde.
Il nous regarde encore, et suite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
Et, sans daigner¨ savoir comment il a péri,¨ vouloir; est mort;
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.
J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant¨ à penser, et n'ai pu me résoudre commençant;
A poursuivre sa Louve et ses fils, qui, tous trois,
Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois,
Sans ses deux louveteaux, la belle et sombre veuve
Ne l'eût pas paisse seul subir¨ la grande épreuve.¨ souffrir; = la mort;
Mais son devoir était de les sauver, afin¨ pour;
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim.
Hélas! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,
Que j'ai honte de nous, débiles¨ que nous sommes! faibles;
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez, sublimes animaux!
À voir¨ ce que l'on fut¨ sur terre et ce qu'on laisse, quand on voit; a été;
Seul le silence est grand; tout le reste est faiblesse.
Ah! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au cœur!
Il disait: "Si tu peux, fais que ton âme arrive,
À force de rester¨ studieuse et pensive, en restant;
Jusqu'à ce haut degré¨ de stoïque fierté; niveau;
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir,¨ pleurer, prier, est également lâche. lamenter;
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie¨ où le sort¨ a voulu t'appeler; chemin; fatalité;
Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler.

27.6. La bouteille à la mer

Autres livrets

Courage, ô faible enfant de ma solitude
Reçoit ces chants plaintifs,¨ sans nom, que vous jetez tristes;
Sous mes yeux ombragés¨ du camail¨ de l'étude. obscurcis; couverture;
Oubliez les enfants par la mort arrêtés;
Oubliez Chatterton, Gilbert et Malfilâtre;¨ (poètes morts jeunes);
De l’œuvre d'avenir saintement idolâtre,
Enfin, oubliez l'homme en vous-même. Écoutez:

Quand un grave¨ marin¨ voit que le vent l'emporte sérieux; navigateur;
Et que les mâts brisés pendent tous sur le pont,
Que dans son grand duel la mer est la plus forte
Et que, par des calculs, l'esprit en vain¨ répond;¨ sans résultat; chrche une réponse;
Que le courant l'écrase¨ et le roule en sa course brise;
Qu'il est sans gouvernail et, partant¨ sans ressource,¨ donc; moyens;
Il se croise les bras dans un calme profond.

Son sacrifice est fait; mais il faut que la terre
Recueille¨ du travail le pieux¨ monument.¨ reçoive; saint; preuve;
C'est le journal savant, le calcul solitaire,
Plus rare¨ que la perle et que le diamant; exceptionnel;
C'est la carte des flots faite dans la tempête,
La carte de l'écueil¨ qui va briser sa tête: rocher sous mer;
Au voyageurs futurs sublime testament.

Il écrit: "Aujourd’hui, le courant nous entraîne,¨ emporte;
Désemparés,¨ perdus sur la Terre-de-Feu. sans moyens;
Le courant porte à l'est. Notre mort est certaine:
Il faut cingler¨ au nord pour bien passer ce lieu. naviguer;
Ci-joint est mon journal, portant quelques études
Des constellations¨ des hautes latitudes. étoiles;
Qu'il aborde,¨ si c'est la volonté de Dieu!" arrive quelque part;

Puis, immobile et froid, comme le cap des brumes
Qui sert de sentinelle¨ au détroit de Magellan¨ garde; (au sud de l'Amérique du sud);
Sombre comme ces rocs au front chargé d'écumes,
Ces pics noirs dont chacun porte un deuil castillan,¨ (d'un bateau brisé);
Il ouvre une bouteille, et la choisit très forte,
Tandis¨ que son vaisseau¨ que le courant emporte pendant; bateau;
Tourne en un cercle étroit comme un vol de milan.¨ (oiseau);
Le capitaine encor jette un regard au pôle
Dont il vient d'explorer¨ les détroits¨ inconnus. étudier; étroits;
L'eau monte à ses genoux et frappe son épaule;
Il peut lever au ciel l'un de ses bras nus.
Son navire est coulé,¨ sa vie est révolue:¨ allé vers le fond de la mer; finie;
Il lance sa Bouteille à la mer, et salue
Les jours de l'avenir qui pour lui sont venus.

Il sourit en songeant¨ que ce fragile verre pensant;
Portera sa pensée et son nom jusqu'au port;
Que d'une île inconnue il agrandit la terre;
Qu'il marque un nouvel astre¨ et le confie¨ au sort.¨ étoile; donne; fatalité;
Que Dieu peut bien permettre à des eaux insenées;
Et qu'avec un flacon il a vaincu la mort.

Tout est dit. À présent, que Dieu lui soit en aide!
Sur le brick englouti¨ l'onde¨ a pris son niveau. disparu; l'eau;
Au¨ large flot de l'est le flot de l'ouest succède,¨ après le; suit;
Et la Bouteille y roule en son vaste¨ berceau¨ grand; lit;
Seule dans l’Océan, la frêle¨ passagère fragile;
N'a pas pour se guider une brise¨ légère; vent;
Mais elle vient de l'arche¨ et porte le rameau.¨ (comme celle de Noé); branche;
Un soir enfin, les vents qui soufflent des Florides
L'entraînent¨ vers la France et ses bords pluvieux. emportent;
Un pêcheur accroupi sous des rochers arides¨ stériles;
Tire dans ses filets le flacon précieux.
Il court, cherche un savant et lui montre la prise,¨ ce qu'il a trouvé;
Et, sans l'oser ouvrir, demande qu'on lui dise
Quel est cet élixir noir et mystérieux.

Quel est cet élixir? Pêcheur, c'est la science,
C'est l’élixir que boivent les esprits,
Trésor¨ de la pensée et de l’expérience; richesse;
Et si tes lourds filets, ô pêcheur, avaient pris
L'or qui toujours serpente aux veines du Mexique,
Les diamants de l'Inde et les perles d'Afrique,
Ton labeur¨ de ce jour aurait eu moins de prix. travail;

Le vrai Dieu, le Dieu fort, est le Dieu des Idées.
Sur nos fronts où le germe¨ est jeté par le sort? origine;
Répandons¨ le Savoir en fécondes¨ ondées;¨ mettons; productives; pluies;
Puis, recueillant¨ le fruit tel que¨ de l'âme il sort, ramassant; comme;
Tout empreint¨ du parfum des saintes solitudes, comme;
Jetons l’œuvre à la mer, la mer des multitudes:¨ masses;
Dieu la prendra du doigt pour la conduire au port.

28. Stendhal

28.1. Le rouge et le noir

La petite ville de Verriéres est abritée¨ du côté du nord par une des branches du Jura. Un torrent¨ qui se précipite¨ de la montagne, traverse¨ Verriéres avant de se jeter dans le Doubs et donne le mouvement¨ à un grand nombre de scies¨ à bois; c'est une industrie fort¨ simple et qui procures¨ un certain bien-être¨ à la majeure¨ partie des habitants. Ce ne sont cependant¨ pas les scies à bois qui ont enrichi cette petite ville. C'est à la fabrique des toiles¨ peintes¨ que l'on doit l'aisance¨ générale. Cette belle fabrique est à M. le maire, M. de Rênal. protégée; rivière de montagne; jette; passe par; activité; machine à couper; très; donne; richesse; plus grande; poutant; textile; colorées; richesse;
C'était par un beau jour d'automne que M. de Rênal se promenait sur le Cours de la Fidélité, donnant le bras sa femme. Tout en écoutant son mari gui parlait d'un air grave, ¨ l'oeil de Mme de Rênal suivait avec inquiétude¨ les mouvements de trois petits garçons. sérieux; alarme;
"Je veux absolument prendre chez moi Sorel, le fils du scieur de planches, dit M. de Rênal; il surveillera les enfants qui commencent a devenir trop diables¨ pour nous. C'est un jeune prêtre, ou autant vaut, ¨ bon latiniste, et qui fera faire des progrés aux enfants. J'avais quelques doutes¨ sur sa moralité, car il était le Benjamin de ce vieux chirurgien. Ce libéral montrait¨ le latin au fils Sorel et lui a laissé quantité de livres qu'il avait apportés avec lui. Mais le curé m'a dit que ce Sorel étudie la théologie depuis trois ans, avec le projet¨ d'entrer au séminaire. " difficiles; presque; incertitudes; apprenait; intention;
Cette résolution¨ subite¨ laissa Mme de Rênal toute pensive. C'était une âme naïve, qui jamais ne s'était élevée méme jusqu'à juger¨ son mari, et à s'avouer¨ qu'il l'ennuyait. ¨ décision; inattendue; critiquer; reconaître; irritait;
Le lendemain le pére Sorel fut trés surpris et encore plus content de la singulière¨ proposition que M. de Rênal lui faisait pour son fils Julien. Il était fort¨ mécontent de Julien et c'était pour lui que M. de Rênal lui offrait le gage¨ inespéré de 300 francs par an, avec la nourriture¨ et même l'habillement. En approchant¨ de son usine, ¨ le pére Sorel appela Julien de sa voix de stentor; personne ne répondit. Il ne vit que ses fils aînés, espèces¨ de géants qui équarrissaient¨ les troncs de Sapins. Ils n'entendirent pas la voix de leur pére. Celui-si se dirigea vers¨ le hangar; en y entrant, il chercha vainement¨ Julien à la place qu'il aurait dû occuper, à côté de la scie. Il l'aperçut à cing ou six pieds plus haut. Au lieu de surveiller attentivement l'action de tout le mécanisme, Julien lisait. Rien n'était plus antipathique au vieux Sorel, extraordinaire; très; salaire; le manger; arrivant à; fabrique; sortes; rendaient carrés; alla au; sans succès;
"Eh bien, paresseux!¨ tu liras donc toujours tes maudits méchants livres, pendant que tu es de garde à la scie? Descends, animal, que je te parle!" À peine Julien fut-il à terre, qu'il se sentit l'épaule arrêtée par la puissante main de son père; il tremblait, s'attendant à quelques coups. fainéant;
"Réponds-moi sans mentir, ¨ lui cria aux oreilles la voix dure du vieux paysan; d'ou connais-tu Mme de Rênal; quand lui as-tu parlé?" cahcher la vérité;
"Je ne lui ai jamais parlé, répondit Julien; je n'ai jamais vu cette dame qu'à l'église. Vous savez qu'à l'église je ne vois que Dieu, ajouta Julien avec un petit air hypocrite.
"Il y a pourtant quelque chose là-dessous, ¨ répliqua le paysan; mais je ne saurai rien de toi, maudit¨ hypocrite. Au fait, je vais être délivré¨ de toi, et ma scie n'en ira que mieux. Tu as gagné¨ M. le curé ou tout autre, qui t'a procuré¨ une belle place chez M. de Rênal, où tu seras le précepteur¨ des enfants. Prends tes guenilles, ¨ et va-t'en chez M. le maire. " de mystérieux; méchant; libéré; eu la faveur de; fait donner; gouverneur; vêtements;
Julien, étonné de n'être pas battu, se hâta de partir. Mais à peine hors de la vue de son terrible pere, il ralentit le pas. Il jugea¨ qu'il serait utile¨ à son hypocrisie d'aller faire une station¨ à l'église. pensa; profitable; stop;
Dès sa première enfance, la vue de certains dragons¨ du 6, aux longs manteaux blancs, qui revenaient d'Italie, le rendit fou¨ de l'état militaire. Plus tard, il écoutait avec transport¨ les récits¨ des batailles que lui faisait le vieux chirurgien-major. Mais lorsque Julien avait quatorze ans, on commença à bâtir à Verrières une église, que l'on peut appeler magnifique pour une aussi petite ville. Il y avait surtout quatre colonnes de marbre dont la vue frappa Julien; elles devinrent célèbres dans le pays par la haine¨ mortelle qu'elles susciterent entre le juge de paix et le jeune vicaires le juge de paix fut sur le point de perdre sa place, soldats; très enthousiaste; extase; histoires; grande antipathie;
Tout à coup Julien cessa¨ de parler de Napoléon, il annonça le projet de se faire prêtre, et on le vit constamment occupe à apprendre par coeur une bible latine que le curé lui avait prêtée. Julien ne faisait paraître devant lui que des sentiments pieux. ¨ Qui eût pu deviner que cette figure¨ de jeune fille, si pâle et si douce, cachait la résolution inébranlable¨ de s'exposer¨ à mille morts plutôt que de ne pas faire fortune. Pour Julien, faire fortune, c'était d'abord sortir de Verrières il abhorrait¨ sa patrie. s'arrêta; religieux; visage; ferme; risquer; détestait;
Une idée qui lui vint le rendit comme fou pendant quelques semaines: "Quand Bonaparte fit parler de lui, la France avait peur d'être envahie¨ le mérite¨ militaire était nécessaire et à la mode. Aujourd'hui, on voit des prêtres de quarante ans avoir cent mille francs d'appointements¨ c'est à dire trois fois autant que les fameux généraux de division de Napoléon. Voilà ce juge de paix qui se déshonore par crainte¨ de déplaire à un jeune vicaire de trente ans. Il faut être prêtre. " attaquée et occupée; capacité; salaire; peur;
Voilà le jeune homme de dix-neuf ans, qui, portant un petit paquet sous le bras, entrait dans la magnifique église de Verriéres.
En sortant, Julien eut honte. ¨ se sentit déshonoré;
"Serais-je un lâche!¨ se dit-il; aux armes!" qq qui manque de courage;
Et il marcha rapidement vers la maison de M. de Rênal. Malgré ses belles résolutions, dès¨ qu'il l'aperçut à vingt pas de lui, il fut saisi¨ d'une invincible¨ timidite. quand; pris; forte;
Julien n'était pas la seule personne dont le coeur fût troublé par son arrivée dans cette maison. L'extrème¨ timidité de Mme de Rênal était déconcertée¨ par l'idée de cet étranger, qui allait constamment se trouver entre elle et ses enfants. très grande; désorientée;
Quand Mme de Rênal sortait par la porte-fenêtre du salon elle aperçut près de la porte d'entrée la figure d'un jeune paysan presque encore enfant, extrêmement¨ pâle et qui venait de pleurer. Il était en chemise bien blanche et avait sous le bras une veste fort¨ propre très; très;
Elle eut pitié de cette pauvre créature, arrêtée à la porte d'entrée, et qui évidemment n'osait pas lever la main jusqu'à la sonnette. Mme de Rênal s'approcha. Julien, tourné vers la porte, ne la voyait pas s'avancer Il tressaillit¨ quand une voix douce dit tout près de son oreille: trambla;
"Que voulez-vous ici, mon enfant?"
Julien se tourna vivement, et, frappé du regard si rempli de grâce de Mme de Rênal, il oublia une partie de sa timidité.
"Je viens pour être précepteur, madame, lui dit-il.
Mme de Rênal resta interdite. ¨ Quoi! c'était là ce précepteur qu'elle s'était figuré comme un prêtre sale et mal vêtu, qui viendrait gronder¨ et fouetter¨ ses enfants. preplexe; réprimander; battre;
"Quoi, monsieur, lui dit-elle enfin, vous savez le latin?"
"Oui, madame, " dit-il timidement.
Mme de Rênal était si heureuse qu'elle osa dire: "Vous ne gronderez¨ pas trop ces pauvres enfants?" réprimanderez;
"Moi, les gronder, dit Julien étonné; et pourquoi?"
"N'est-ce pas, monsieur, ajouta-t-elle après un petit silence; vous serez bon pour eux, vous me le promettez?"
S'entendre appeler de nouveau monsieur, bien sérieusement, et par une dame si bien vêtue, était au-dessus de toutes les prévisions de Julien. Mme de Rênal de son côté, était complètement trompée par la beauté du teint, les grands yeux noirs de Julien et ses jolis cheveux. Elle fut étonnée de se trouver ainsi à la porte de sa maison avec ce jeune homme presque en chemise et si près de lui.
"Entrons monsieur, " lui dit-elle d'un air assez embarrassé. ¨ A peine entrée sous le vestibule, elle se retourna vers Julien qui la suivait timidement. gêné;
"Mais est-il vrai, monsieur, lui dit-elle; vous savez le latin?"
Ces mots choquèrent l'orgueil¨ de Julien. amour propre;
"Oui, madame", lui dit-il en cherchant à prendre un air froid; je sais le latin aussi bien que M. le Cureé, et même quelque fois il a la bonté de dire mieux que lui. "
Mme de Rênal s'approcha de lui et lui dit à mi-voix:
"N'est-ce pas, les premiers jours, vous ne donnerez pas le fouet à mes enfants, même quand ils ne sauraient pas leurs leçons!"
Ce ton si doux et presque suppliant d'une si belle dame fit tout à coup oublier à Julien ce qu'il devait à sa réputation de latiniste. La figure de Mme de Rênal était près de la sienne, il sentit le parfum des vêtemments d'été d'une femme, chose si étonnante pour un pauvre paysan. Julien rougit extrêmement¨ et dit: beacoup;
"Ne craignez rien, madame, je vous obéirai en tout. "
Ce fut en ce moment seulement que Mme de Rênal fût frappée de l'extrême beauté de Julien. .
Quel âge avez-vous, monsieur? dit-elle à Julien.
"Bientôt dix-neuf ans. "
"Mon fils aînée a onze ans, reprit Mme de Rênal tout à fait¨ rassurée¨ ce sera presque un camarade pour vous. Quel est votre nom, monsieur?" complètement; calmée;
"On m'appelle Julien Sorel, madame; je tremble en entrant pour le première fois de ma vie dans une maison étrangère; j'ai besoin de votre protection et que vous me pardonniez bien des choses les premiers jours. "
Julien eut sur-le-champ¨ l'idée hardie¨ de lui baiser la main. Elle fut étonnée de ce geste. immédiatement; osée;
M. de Rênal, qui avait entendu parler, sortit de son cabinet. Il dit à Julien:
"Il est essentiel que je vous parle avant que les enfants ne vous voient. M. le curé m'a dit que vous étiez un bon sujet; tout le monde ici vous traitera avec honneur. Maintenant, monsieur, il n'est pas convenable¨ que les enfants vous voient en veste. Les domestiques l'ont-ils vu?" dit M. de Rènal à sa femme. décent;
"Non, mon ami répondit-elle d'un air pensif.
"Tant mieux. ¨ Mettez ceci, dit-il au jeune homme surpris, en lui donnant une redingote¨ à lui. "Allons maintenant chez M. Durand, le marchand de drap. " heureusement; manteau;
Plus d'une heure après, quand M. de Rénal rentra avec le nouveau précepteur tout habillé de noir, il retrouva sa femme assise à la même place. Elle se sentit tranquillisée¨ par la présence de Julien. calmée;
"De la gravite, monsieur, lui dit M. de Rénal, si vous voulez être respecté de mes enfants et de mes gens, "¨ serviteurs;
"Monsieur, répondit Julien; je suis gêné dans ces nou- veaux habits; moi, pauvre paysan, je n'ai jamais porté que des vestes; j'irai, si vous le permettez, me renfermer dans ma chambre. "
L'heure que Julien passa dans sa chambre parut un instant¨ à Mme de Rênal. Les enfants, auxquels l'on avait annoncé le nouveau précepteur, accablaient¨ leur mêre de questions. Enfin, Julien parut. C'était un autre homme c'était la gravité incarnée. Il fut présenté aux enfants et leur parla d'un air qui étonna M. de Rênal lui-même: moment; surchargeaient;
"Je suis ici, messieurs, leur dit-il en finissant son allocution, ¨ pour vous apprendre le latin. Vous savez ce que c'est que de réciter une leçon. Voici la sainte Bible. Je vous ferai souvent réciter des leçons, faites- moi réciter la mienne. " speech;
Adolphe, l'aîné des enfants, avait pris le livre.
Ouvrez-le au hasard, ¨ continua Julien; et dites-moi le premier mot d'un alinéa. Je réciterai par coeur le livre sacré, " n'importe où;
Adolphe ouvrit le livre, lut un mot, et Julien récita toute la page avec la même facilité que s'il eût parlé français. M. de Rênal regardait sa femme d'un air de triomphe.
"Il faut, dit-il au plus jeune des enfants, que monsier Stanislas-Xavier m'indique aussi un passage du livre saint. "
Le petit Stanislas, tout fier, lut tant bien que mal le premier mot d'un alinéa, et Julien dit toute la page. Pour que rien ne manquât au triomphe de M. de Rênal, comme¨ Julien récitait, entrèrent M. Valenod, le possesseur des beaux chevaux normands, et M. Charcot de Maugiron, sous-préfet de l'arrondissement. Cette scène valut¨ à Julien le titre de monsieur; les domestiques¨ eux-mêmes n'osèrent pas le lui refuser. quand; fit avoir; serviteurs;
Julien sut si bien faire que, moins d'un mois après son arrivée dans la maison, M. de Rênal lui-même le respectait. Les enfants l'adoraient, lui ne les aimait pas sa pensée était ailleurs.
Quelques jours avant la Saint-Louis, Julien, se promenant seul et disant son bréviaire dans un petit bois, avait cherché en vain¨ à éviter¨ ses deux frères qu'il voyait venir de loin. La jalousie de ces ouvriers grossiers¨ avait été tellement provoquée¨ par le bel habit noir, par l'air extrêmement propre de leur frère, qu' ils l'avaient battu au point de le laisser évanoui¨ et tout sanglant. Mme de Rênal, se promenant avec M. Valenod et le sous-préfet, arriva par hasard¨ dans le petit bois; elle vit Julien étendu¨ sur la terre et le crut mort. Son saisissement¨ fut tel, qu'il donna de la jalousie à M. Valenod. sans succès; ne pas rencontrer; brutes; irritée; sans conscience; coïncidence; couché; émotion;
Il prenait l'alarme trop tôt. Julien trouvait Mme de
Rênal fort belle, mais il la haïssait¨ à cause de sa beauté. Il lui parlait le moins possible, afin de faire oublier le transport qui, le premier jour, l'avait porté à lui baiser la main. détestait;
Élisa, la femme de chambre de Mme de Rênal, n'avait-elle pas manqué de devenir amoureuse du jeune précepteur elle en parlait souvent à sa maitresse. Mme de Rênal apprit que Julien avait si peu de linge qu'il était obligé¨ de le faire laver fort souvent hors de la maison et c'est pour ces petits soins¨ qu'Elisa lui était utile. ¨ Cette extrême pauvreté toucha¨ Mme de Rênal. Peu à peu, elle eut pitié de tout ce qui manquait à Julien. Souvent, en songeant¨ à la pauvreté du jeune précepteeur, Mme de Rénal était attendrie¨ jusqu'aux larmes. Julien la surprit un jour pleurant tout àfait. ¨ forcé; attentions; de profit; émotiona; pensant; emue; vraiment;
"Eh! madame, vous serait-il arrivé quelque malheur?"
"Non, mon ami, lui répondit-elle; appelez les enfants, allons nous promener, "
Elle prit son bras et s'appuya d'une façon qui parut singulière¨ à Julien. C'était la première fois qu'elle l'avait appelé mon ami. extraordinaire;
Elle osa aller jusque chez Le libraire de Verrières, malgré son affreuse réputation de libéraliste. Là, elle choisit pour dix louis de livres qu'elle donna à ses fils, Mais ces livres étaient ceux qu'elle savait que Julien les désirait.
L'angélique douceur que Mme de Rênal devait à son caractère et à son bonheur actuel n'était un peu altérée¨ que quand elle venait à songer à sa femme de chambre Elisa. Cette fille fit un héritage, alla se confesser au curé Chélan et lui avoua¨ le projet d'épouser¨ Julien. Le curé eut une véritable joie du bonheur de son ami; mais sa surprise fut extrême, ¨ quand Julien lui dit d'un air resolu quel'offre de Mlle Elisa ne pouvait lui convenir. ¨ Mme de Rênal fut étonné que cette nouvelle fortune de sa femme de chambre ne rendit pas cette fille plus heureuse; elle la voyait aller sans cesse chez le curé, et en revenir les larmes aux yeux. Enfin Elisa dit que si sa maîtresse le lui permettait, elle lui raconterait tout son malheur. changée; dit; se marier avec; très grande; plaire;
"Dites, " répondit Mme de Rênal.
"Eh bien, madame, il me refuse; des méchants lui auront dit du mal de moi; il les croit. "
"Qui vous refuse?" dit Mme de Rênal respirant à peine.
"Eh qui, madame, si ce n'est M. Julien?" répliqua la femme de chambre en sanglotant. ¨ M. le Curé n'a pu vaincre¨ sa résistance. pleurant; triompher sur;
Mme de Rénal n'écoutait plus. L'excès du bonheur lui avait presque ôté¨ l'usage de la raison. pris;
"Je veux tenter un dernier effort, " dit-elle à sa femme de chambre; je parlerai à M. Julien.
Le lendemain après le déjeuner, Mme de Rênal se donna la délicieuse¨ "volupté"¨ de plaider la cause de sa rivale, et de voir la main et la fortune d'Elisa refusées constamment pendant une heure. Elle ne put résister¨ au torrent¨ de bonheur, qui inondait¨ son âme. Elle était profondément étonnée. heureuse; plaisir; faire obstacle; flot; entrait dans;
"Aurais-je de l'amour pour Julien?" se dit-elle enfin. Cette découverte, qui, dans tout autre moment, l'aurait plongée dans les remords¨ et dans une agitation profonde, ne fut pour elle qu'un spectacle singulier. ¨ conscience du male; extraordinaire;
La cloche du dîner sonna; Mme de Rênal rougit beaucoup quand elle entendit la voix de Julien, qui amenait les enfants. Un peu adroite¨ depuis qu'elle aimait, pour expliquer sa rougeur, elle se plaignit d'un affreux mal de tête. ingénieuse;
Dès les premiers beaux jours de printemps, M. de Rênal s'établit a Vergy; là M. de Rênal possède un vieux château avec quatre tours. La vue de la campagne sembla nouvelle à Mme de Rênal; son admiration allait jusqu aux transports. ¨ Mme de Rénal passait ses journées à courir avec ses enfants dans le verger. Sa seule course à Verrières fut causée par l'envie d'acheter de nouvelles robes. Elle ramena à Vergy une jeune femme de ses parentes, ¨ Mme Derville. extase; de sa famille;
Julien, de son côté, avait vécu en¨ véritable enfant depuis son séjour à la Campagne; pour la première fois de sa vie, il ne voyait point d'ennemi. Quand M. de Rênal était à la ville, ce qui arrivait souvent, il osait lire. comme un;
Les grandes chaleurs arrivèrent. On prit l'habitude de passer les soirées sous un immense tilleul¨ à quelques pas de la maison. L'obseurité y était profonde. Un soir, Julien parlait avec action¨ en gesticulant, il toucha la main de Mme de Rênal. Cette malin se retira bien vite: mais Julien pensa qu'il était de son "devoir" d'obte- nir que l'on ne retirôt pas cette main quand il la touchait. arbre; enthousiasme;
Le lendemain il abrégea¨ beaucoup les leçons des enfants, et ensuite, quand la présence de Mme de Rénal vint Le rappeler tout à fait aux soins¨ de sa "gLoire", il décida qu'il fallait absolument qu'elle permit ce soir-là que sa main resta dans la sienne. écourta; à la réalisation;
Le soleil en baissant, et rapprochant le moment décisif, fit battre le coeur de Julien d'une façcon singuliere. On s'assit enfin, Mme de Rénal a côté de Julien, et Mme Derville prés de son amie. Preoccupé¨ de ce qu'il allait tenter, ¨ Julien ne trouvait rien a dire. La conversation languissait. Enfin, il etendit¨ la main et prit celle de Mme de Rênal, qui la retira aussitot. Julien, sans trop savoir ce qu'il faisait, la saisit de nouveau avec une force convulsive¨ on¨ fit un dernier effort pour la lui ôter, mais enfin cette main lui resta. absorbé; essayer; avança; contractée; elle;
Son ame fut inondée¨ de bonheur, non qu'il aimât Mme de Rénal, mais un affreux¨ supplice¨ venait de cesser. ¨ Pour que Mme Derville ne s'aperçut de rien, il se crut obligé de parler; sa voix alors était éclatante et forte. Celle de Mme de Rénal, au contraire, trahissait¨ tant d' émotion que son amie la crut malade et lui proposa de rentrer. Julien serra fortement la main qu'on¨ lui abandonna. ¨ Mme de Rénal, qui se levait déja, se rassit, en disant d'une voix mourante: remplie; terrible; calvaire; s'arréter; montrait; elle; laissa. ;
"Je me sens, à la verité, un peu malade, mais le grand air¨ me fait du bien. " atmosphère;
Ces mots confirmèrent¨ le bonheur de Julien, qui, dans ce moment, était extréme: il parla, il oublia de feindre, ¨ il parut l'homme le plus aimable aux deux amies. assurèrent; simuler;
Minuit était sonneé depuis longtemps; il fallut enfin quitter le jardin: on se sépara. Mme de Rénal, transportée¨ du bonheur d'aimer, etait tellement ignorante¨ qu' elle ne se faisait presque aucun reproche. ¨ Le bonheur lui ôtait le sommeil. Un sommeil de plomb s'empara¨ de Julien, mortellement fatigue des combats. en extase; peu instruite; mot de critique; prit;
Le lendemain on le réveilla à cing heures; et, ce qui eût¨ été si cruel pour Mme de Rênal si elle l'eût su, à peine lui donna-t-il une pensée. Il avait fait "son devoir, et un devoir heroique. " Rempli de bonheur par ce sentiment, il s'enferma à clef dans sa chambre. aurait;
Quand la cloche du dejeuner se fit entendre, il se dit, d'un ton leger, en descendant au salon: Il faut dire à cette femme que je l'aime.
Au lieu de ces regards chargés¨ de volupté¨ qu'il s'attendait a rencontrer, il trouva la figure¨ sevère¨ de M. de Rénal, qui, arrivé depuis deux heures de Verriéres, ne cachait point son mécontentement de ce que Julien passait toute la matinée sans s'occuper des enfants. Chaque mot aigre¨ de son mari perçait¨ le coeur de Mme de Renal. Julien dit enfin, assez brusquement: pleins; désir; visage; dure; désagréable; faisait mal;
"J'etais malade." Le mécontentement de M. de Rénal éclata par une suite de mots grossiers¨ qui, peu à peu, irritérent Julien. Mme de Rénal etait sur le point de fondre en larmes. ¨ A peine le dejeuner fut-il fini qu'elle demanda à Julien de lui donner le bras pour la promenade; elle s'appuyait sur lui avec amitié. peu civilisés; pleurer;
Pour la premiere fois de sa vie, Mme de Rénal sentit une sorte de desir de vengeance contre son mari. A force de parler¨ pour parler, et de chercher à maintenir¨ la conversation vivante, il arriva a Mme de Rénal de dire que son mari était venu de Verriéres parce qu'il avait marché avec un de ses fermiers. en parlant; faire durer;
"Mon mari ne nous rejoindra¨ pas, ajouta Mme de Rênal; avec le jardinier et son valet de chambre, il va s'occuper d'achever¨ le renouvellement des paillasses¨ de la maison. Ce matin, il a mis de la paille dans tous les du lits du premier étage; maintenant, il est au second. " Julien changea de couleur; il regarda Mme de Rênal d'un air singulier, ¨ et bientôt la prit à part. "Sauvez-moi la vie, " dit Julien à Mme de Reénal; vous seule le pouvez; car je dois vous avouer, ¨ madame, que j'ai un portrait; je l'ai cache dans la paillasse demon lit. " A ce mot, Mme de Rênal devint pâle à son tour. "Vous seule, madame, pouvez dans ce moment entrer dans ma chambre; fouillez, ¨ sans qu'il y paraisse, dans l'angle¨ de la paillasse qui est le plus rapproche de la fenêtre, vous y trouverez une petite boîte de carton noir. " viendra trouver; finir; matelas à paille; étrange; reconnaître; cherchez; coin;
"Elle renferme un portrait!"dit Mme de Rénal, pouvant à peine se tenir debout. Son air de découragement fut aperçu de Julien, qui aussitôt en profita.
J'ai une seconde grâce à vous demander, madame, je vous supplie¨ de ne pas regarder ce portrait, c'est mon secret. " Mme de Renal monta au second étage du château. "Il faut que j'aie cette boîte", se dit-elle en doublant le pas. Elle souleva le matelas et plongea la main dans la paillasse; elle sentit la boite de carton; elle la saisit¨ et disparut. A peine fut-elle délivrée de la crainte¨ d'être surpris par son mari que l'horreur¨ que lui causait¨ cette boîte fut sur le point de la faire décidément se trouver mal. ¨ Julien est donc amoureux, et je tiens là le portrait de la femme qu'il aime! Assise sur une chaise dans l'antichambre de cet appartement, Mme de Rênal était en proie à toutes les horreurs de la jalousie. Julien parut, saisit la boîte, sans remercier, sans rien dire, et courut dans sa chambre où il fit du feu, et la brûla à l'instant¨ Le portrait de Napoléon, se disait-il en hochant la tête, trouvé caché chez un homme qui fait profession d'une telle haine¨ pour l'usurpateur!¨ Toute ma réputation tombée, anéantie¨ en un moment! Une heure après, la fatigue et la pitié qu'il sentait pour lui-même le disposaient¨ à l'attendrissement. ¨ Il rencontra Mme de Rênal et prit sa main qu'il baisa avec plus de sincérité¨ qu'il ne l'avait jamais fait. Elle rougit de bonheur. Julien courut à la chambre des enfants. demande; prit; peurs; aversion; faisait; malade; immédiatement; antipathie; tiran; détruite; préparaient; émotion; sérieux;
M. de Rènal, qui suivait toutes les chambres du château, revint dans celle des enfants avec les domestiques qui rapportaient les paillasses. L'entrée soudaine¨ de cet homme fut pour Julien la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Il s'elança vers lui. M. de Rêènal s'arrêta et regarda ses domestiques. inattendue;
"Monsieur, lui dit Julien; croyez-vous qu'avec tout autre précepteur, vos enfants eussent¨ fait les mêmes progres qu'avec moi? Si vous répondez que non, continua Julien sans laisser à M. de Rênal le temps de parler; comment osez-vous m'adresser le reproche que je les néglige? Je puis vivre sans monsieur. Songez¨ à l'infamie¨ des paroles que vous m'avez adressées, et devant des femmes! Je sais où aller, monsieur, en sortant de chez vous. " auraient; pensez; déshonneur;
À ce mot, M. de Rênal vit¨ Julien installé chez M. Valenod. "Eh bien, monsieur, lui dit-il enfin avec un soupir; j'accède¨ à votre demande. À compter d'après-demain, qui est le premier du mois, je vous donne cinquante francs par mois. " Julien eut envie¨ de rire et resta stupéfait:¨ toute sa colère avait disparu; "J'ai gagné une bataille" , se dit-il. Ce mot lui peignait¨ en beau toute sa position, et rendit à son âme quelque tranquillité. ¨ (en imagination); suis d'accord avec; le désir; perplexe; décrivait; calme;
Le lendemain, dès cinq heures, Julien avait obtenu un congé de trois jours. Il étonna bien son ami Fouqgué, occupeé à écrire ses comptes.
"T'es-tu donc brouillé avec ton M. de Rênal, que tu m'arrives ainsi à l'improviste?"
Julien lui raconta les événements de la veille¨ jour avant;
"Reste avec moi, lui dit Fouqué; tu sais l'arithmétique mieux que moi, tu tiendras mes comptes. Je gagne gros dans mon commerce. Sois mon associe. "
Julien répondit au bon Fouqué que sa vocation pour le saint ministère des autels¨ ne lui permettait pas d'accepter. Fouqué n'en revenait pas¨ "Mais songes-tu, lui répétait-il; que je t'associe, ou, si tu l'aimes mieux, que je te donne quatre mille francs par an? Et tu veux retourner chez ton M, de Rênal qui te méprise?"¨ carriere de prêtre; etait très étonné; te trouve inférieur;
Rien ne put vaincre¨ la vocation de Julien. Fouqué finit par le croire un peu fou. Pendant son absence, la vie n'avait été pour Mme de Rênal qu'une suite 'de supplices¨ Après des combats affreux Mme de Rênal osa enfin lui dire, d'une voix tremblante, et où se peignait¨ toute sa passion: triompher; douleurs; montrait;
"Quitteriez-vous vos élèves pour vous placer ailleurs?"
Julien fut frappé de la voix incertaine et du regard de Mme de Renal. Cette femme m'aime, se dit-il,
Julien répondit en soupirant:
"Il faut bien que je parte, car Je vous aime avec passion, c'est une faute. . . et quelle faute pour un jeune prêtre. "
Mme de Rênal s'appuya sur son bras, et avec tant d'abandon¨ que sa joue sentit la chaleur de celle de Julien. confiance;
Le lendemain Julien fut assez maussade¨ sur le soir, une idée ridicule lui vint. de mauvaise humeurt;
À peine fut-on assis au jardin que, sans attendre l'obscurite, suffisante, Julien approcha sa bouche de l'oreille de Mme de Renal, et au risque de la compromettre horriblement, il lui dit:
"Madame, cette nuit, à deux heures, j'irai dans votre chambre, je dois vous dire quelque chose, "
Julien tremblait que sa demande ne fut accordée¨ Mme de Rénal répondit avec une indignation réelle à l'annonce sentiment d'impertinente¨ que Julien osait lui faire, Julien était extrêmement déconcerté désorienté: de l'état presque désespéré òu il avait mis ses affaires. Lorsqu'on se sépara¨ à minuit, son pessimisme lui fit croire qu'il jouissait du¨ mépris de Mme de Rênal. De fort mauvaise humeur et très humilié¨ Julien ne dormit point. il se fatigua le cerveau¨ à inventer des manoeuvres¨ savantes, quand deux heures sonnèrent à l'horloge du château. permise; être scandaliisée; quitta; avait le; ; confus; téte; intrigues;
"Je lui ai dit que j'irais chez elle à deux heures, se dit-il en se levant; je ne serai pas faible. "
En ouvrant sa porte, il était tellement tremblant que ses genoux se dérobaient¨ sous lui, et il fut force de s'appuyer contre le mur. En le voyant entrer, Mme de Rênal se jeta vivement hors de son lit. Julien ne répondit à ses reproches¨ qu'en se jetant à ses pieds. Comme elle lui parlait avec une extrême dureté, il fondit en larmes. ¨ Quelques heures après, quand Julien sortit de la chambre de Mme de Rênal, on eût¨ pu dire qu'il n'avait plus rien à désirer. Mais, dans les moments les plus doux, l'idée du "devoir" ne cessa¨ jamais d'être présente à ses yeux. Et, lorsqu'il revit Mme de Rênal à déjeuner, sa conduite fut un chef d'oeuvre de prudence. Pour elle, elle¨ ne pouvait le regarder sans rougir, et ne pouvait vivre un instant sans le regarder. Julien ne leva qu'une seule fois les yeux sur elle. Bientôt elle fut alarmee: Est-ce qu'il ne l'aimerait plus, se dit-elle; helas! je suis bien vieille pour lui; j'ai dix ans de plus que lui. En passant de la salle à manger au jardin, elle serra la main de Julien. Dans la surprise que lui causa une marque d'amour si extraordinaire, il la regarda avec passion. Ce regard consola¨ Mme de Rènal; il ne lui ôta¨ pas toutes ses inquiétudes.¨ Elle avait tant grondé¨ Julien de l'imprudence qu'il avait faite en venant chez elle la nuit précédente, ¨ qu'elle tremblait qu'il ne vint pas celle-ci. Mais Julien était trop fidèle à ce qu'il appelait le devoir, pour manquer à executer¨ de point en point ce qu'il s'était prescrit. manquaient; mots de critique; commença à pleurer; ; aurait; s'arrèta; ses manieres; calmas; fit perdre; alarmes; réprimandé; avant; realiser;
Comme une heure sonnait, il parut chez Mme de Rênal. Ce jour-là, il trouva plus de bonheur auprès, de son amie, car il songea¨ moins constamment au rôle à jouer. pensa;
En peu de jours, Julien fut éperdument¨ amoureux. Il avait perdu presque tout à fait¨ l'idée du rôle à jouer. Dans un moment d'abandon, il lui avoua'même toutes ses inquiétudes. Cette confidence porta à son comble¨ la passion qu'il inspirait. Je n'ai donc point eu de rivale heureuse! se disait Mme de Rêènal avec délices.¨ Elle osa l'interroger¨ sur le portrait auquel il mettait tant d'intérêt; ¨ Julien lui jura que c'était celui d'un homme. follement; complètement; maximum; bonheur; lui poser des questions; importance;
Mme de Rênal ne revenait pas de son étonnement qu'un tel bonheur existait, Julien était fort éloigné ¨ de ces pensées. Son amour était encore de l'ambition; c'était la joie de posséder, lui, pauvre être malheureux et si méprisé, ¨ une femme aussi noble et belle. trés loin; regardé comme inférieur; ;
Peu après, Stanislas-Xavier, le plus jeune des enfants, prit la fievre; tout à coup, Mme de Rênal tomba dans des remords¨ affreux. Pour la première fois, elle se reprocha sentiment d'être coupa-;
son amour; elle sembla comprendre dans quelle faute énorme elle s'était laissée entraîner.
La maladie prit bientot un caractère grave, ¨ alors le remords continu ôta¨ à Mme de Rênal jusquà la faculté¨ de dormir; elle s'était mis dans la tête que, pour apaiser¨ la colère¨ du Dieu jaloux, il fallait haïr Julien, ou voir mourir son fils. C'etait parce qu'elle sentait qu'elle ne pouvait haïr son amant qu'elle était si malheureuse, "Fuyez-moi, dit-elle un jour à Julien; au nom de Dieu, quittez cette maison:c'est votre présence ici qui tue mon fils.Dieu me punit." alarmant; fit perdre; capacité; calmer; fureur;
Une nuit, l'enfant était au plus mal. Vers les deux heures du matin. M. de Rênal vint le voir. Tout à coup Mme de Rênal se jeta aux pieds de son mari; Julien vit qu'elle allait tout dire et se perdre à jamais.¨ Par bonheur, ce mouvement singulier¨ importuna¨ M.de Rênal. pour toujours; extraordinaire; gèna;
"Adieu! adieu! dit-il en s'en allant. Et il retourna se coucher. Mme de Rênal tomba à genoux, à demi évanouie; ¨ en repoussant avec un mouvement convulsif Julien qui voulait la secourir. sans conscience;
Va-t'en, lui dit Mme de Rênal.
"Je partirai, oui, mon amour. Mais si je te quitte, si je cesse¨ de veiller¨ sur toi, de me trouver sans cesse ¨ entre toi et ton mari, tu lui dis tout, tu te perds. Songe¨ qu'il te chassera de sa maison. Laisse-moi me punir. Moi aussi je suis coupable. Ah! ciel! que ne puis-je prendre pour moi la maladie de Stanislas..." m'arrête; surveiller; toujours; pense;
"Ah! tu l'aimes, toi, dit Mme de Rênal, en se jetant dans ses bras; ô mon uni que ami! Ô pourquoi n'es-tu pas le père de Stanislas! Alors ce ne serait pas un horrible péché¨ de t'aimer mieux que mon fils." faute;
Enfin le ciel eut pitié de cette mère malheureuse. Peu à peu Stanislas ne fut plus en danger. Mais la glace était brisée: sa raison avait connu l'étendue¨ de son peche. importance;
Cette grande crise morale changea la nature¨ du sentiment qui unissait Julien à sa maîitresse: ils ne retrouvèrent plus la sérénité¨ délicieuse des premières époques de leurs amours. caractère; le calme;
Au milieu de ces alternatives d'amour, Mlle Elisa alla suivre un petit procès qu'elle avait à Verrières. Elle trouva M.Valenod fort piqué¨ contre Julien. Elle haïssait¨ le precepteur, et lui en parlait souvent. très irrité; avait une antipathie pour;
"Vous me perdriez, ¨ monsieur, si je disais la vérité, disait-elle un jour à M, Valenod; il apprit des choses les plus mortifiantes¨ pour son amour-propre: cette femme, la plus distinguée du pays venait de prendre pour amant un petit ouvrier déguisé en¨ précepteur, ruineriez; blessantes; jouant le rôle de;
Dès le même soir, M.de Rênal reçut de la ville une longue lettre anonyme, qui lui apprenait¨ dans le plus grand detail ce qui se passait chez lui, Julien le vit pâlir en lisant cette lettre. De toute la soirée, le maire ne se remit point de son trouble. faisait savoir;
Comme on quittait le salon sur le minuit, Julien eut le temps de dire à son amie:
"Ne nous voyons pas ce soir, votre mari a des soupçons¨ je jurerais¨ que cette grande lettre qu'il lisait en soupirant est une lettre anonyme." de la méfiance; suis sûr;
Le lendemain de fort bonne heure, ¨ Julien trouva la lettre suivante écrite à la hâte: très tôt;
N'en doute pas cher ami, s'il y a une lettre anonyme; elle vient de cet être odieux¨ qui, pendant six ans, m'a poursuivie de sa grosse voix. Moi aussi je dirai à mon mari que j'ai reçu une lettre anonyme, et qu'il faut à l'instant¨ te renvoyer à tes parents. Hélas! cher ami, nous allons être séparés quinze jours, un mois peut-ètre! Tout le but¨ de ma conduite, c'est de faire penser à mon mari que la lettre vient de M.Valenod: je ne doute pas qu'il en soit l'auteur. C'est toi qui vas me fournir¨ la lettre anonyme: coupe dans un livre les mots que tu vas voir; colle-les ensuite sur la feuille de papier que je t'envoie; elle me vient de M.Valenod. J'irai dans le village et je reviendrai avec un visage troublé: je le serai en effet. Enfin je donnerai à mon mari cette lettre qu'un inconnu m'aura remise, ¨ toi, va te promener sur le chemin des grands bois avec les enfants, et ne reviens qu' à l'heure du dîner. Je ne puis songer qu'à toi en ce moment." méchant; immédiatent; intention; faire avoir; donnée;
Ce fut avec un plaisir d'enfant que, pendant une heure, Julien assembla des mots. Comme il sortait de sa chambre, il rencontra ses élèves et leur mère; elle prit la lettre avec une simplicité et un courage dont le calme l'effraya.
"Si ceci tourne¨ mal, ajouta-t-elle avec le même sang-froid; son m'ôtera¨ tout, Enterrez ce dépôt¨ dans quelque endroit de la montagne; ce sera peut-être un jour ma seule ressource."¨ finit; prendra; boîte; fortune;
Elle lui remit¨ un étui à verre, en maroquin rouge, rempli d'or et de diamants. donna;
"Partez maintenant, " lui dit-elle.
Elle embrassa les enfants, et deux fois le plus jeune, Julien restait immobile. Elle le quitta d'un pas rapiede et sans le regarder,
Depuis l'instant qu'il avait ouvert La lettre anonyme, l'existence de M.de Rênal avait été affreuse. ll alla chercher un peu d'air frais au jardin, lorsque, au détour d'une allée, il rencontra cette femme qu'il eût voulu voir morte. Elle revenait du village. Elle lui remit¨ une lettre décachetée.¨ Lui, sans l'ouvrir, regardait sa femme avec des yeux fous. donna; ouverte;
"Voici une abomination, lui dit-elle; qu'un homme de mauvaise mine qui prétend vous connaître m'a remise comme je passais derrière le jardin du notaire. J'exige¨ une chose de vous, c' est que vous renvoyiez à ses parents, et sans délai¨ ce M.Julien. Je parle comme une femme outragée¨ dans son honneur. Ce petit paysan, que nous avons comblé¨ de prévenances¨ et même de cadeaux, peut être innocent, mais il n'en est pas moins l'occasion du premier affront¨ que je reçois...Monsieur! quand j'ai lu ce papier abominable, je me suis promis que lui ou moi sortirions de votre maison. Pour moi, je n'en ai jamais eu bonne idée depuis qu'il a refusé d'épouser¨ Elisa; c'était une fortune assurée; et cela sous prétexte¨ que quelquefois, en secret, elle fait des visites à M.Valenod. demande absolument; immédiatement; offensée; rempli; bontés; offense; se marier avec; faux motif;
"Ah! dit M.de Rénal; il y à eu quelque chose entre Elisa et Valenod?"
"Eh! c'est de l'histoire ancienne, mon cher ami, dit Mme de Rènal en riant; et peut-être il ne s'est point passé de mal. C'était dans le temps que votre bon ami Valenod n'aurait pas été fâché que l'on pensât dans Verrieres qu'il s'établissait¨ entre lui et moi un petit amour tout platonique." se faisait;
"J'ai eu cette idee une fois, s'écria M.de Rênal; il vous aurait écrit?" "Il écrit beaucoup." "Je veux ces lettres à l'instant; où sont-elles." "Dans un tiroir de mon secrétaire." Il brisa avec un pal de fer, un precieux secrétaire d'acajou. "Ah! s'écria M.de Rênal; la lettre anonyme imprimee et les lettres du Valenod sont écrites sur le même papier." "Enfin!" pensa Mme de Rênal. Elle se montra atterree¨ de cette découverte, et alla s'asseoir au loin sur le divan La bataille était désormais¨ gagnée; elle eut beaucoup à faire pour empêcher¨ M.de Rênal d'aller parler à l'auteur supposé de la lettre anonyme. "Comment ne sentez-vous¨ pas que faire une scène, sans preuves suffisantes, à M.Valenod est la plus insigne¨ des maladresses? Vous êtes envié, ¨ monsieur; à qui la faute? À vos talents. Parler à M.Valenod de sa lettre anonyme, c'est proclamer dans tout Verriêres, que dis-je, dans Besançon, dans toute la province, que ce petit bourgeois, à admis¨ imprudemment peut-être à l'intimité d'un Rênal, a trouvé moyen de l'offenser." perplexe; pour le reste; retenir; comprenez-vous; grande; jalouse; accepté;
Ce mot décida M.de Rênal. Il fixa la ligne de conduite qu'il allait suivre envers M.Valenod, Julien et même Elisa.
Un peu avant la cloche du dîner, Julien rentra avec les enfants. Au dessert, quand les domestiques se furent retirés, Mme de Rênal lui dit fort séchement: "Vous m'avez témoigné¨ le désir d'aller passer une quinzaine de jours à Verriéres. M.de Rênal veut bien vous accorder¨ un délai¨ Vous pouvez partir quand bon vous semblera." ¨ montré; permettre; congé; vous voudrez;
"Certainement, ajouta M.de Rênal; je ne vous accorderai¨ pas plus d'une semaine." Julien trouva sur sa physionomie¨ l'inquiétude d'un homme profondément tourmenté.¨ "Ii ne s'est pas encore arrêté à un parti, ¨ dit-il à son amie pendant un instant de solitude qu'ils eurent au salon. Mme de Rênal lui conta rapidement tout ce qu'elle avait fait depuis le matin. Mais toute la ville, sans qu'elle s'en douta¨ n'était occupée que du scandale de ses amours. Elisa avait eu l'excellente idée d'aller se confesser à l'ancien curé de Chélan et en même temps du nouveau, afin de¨ leur raconter à tous les deux le détail des amours de Julien. Le lendemain l'abbé Chélan fit appeler Julien. "Je ne vous demande rien, lui dit-il; j'exige que, sous¨ trois jours, vous partiez pour le séminaire de Besançon, J'ai tout prévu, tout arrangé, mais il faut partir et ne pas revenir d'un an à Verrières." Julien courut prévenir¨ Mme de Rênal, qu'il trouva au désespoir. Son mari venait de lui parler avec une certaine franchise.¨ Il venait de lui avouer¨ dans lequel il trouvait l'opinion publique de Verrières, Elle eut bientôt la douleur de se prouver¨ à elle-même, tout en écoutant son mari, qu'une séparation était devenue indispensable¨ Julien fut frappé d'une chose: en apprenant la terrible nouvelle du départ à Mme de Rênal, il ne trouva aucune objection¨ égoïste. Elle faisait évidemment des efforts pour ne pas pleurer. donnerai; visage; troublé; décidé; eût l'idée; pour; dans; informer; ouverture; dire l'étrange état; démontrer; nécessaire; argument opposé;
"Nous avons besoin de fermete, mon ami. Je ne sais pas ce que je ferai, mais si je meurs, promets-moi de ne jamais oublier mes enfants. De loin ou de pres, tâche d'en faire d'honnêtes gens. Donne-moi la main. Adieu, mon ami! Ce sont ici les derniers moments. Ce grand sacrifice fait, j'espère qu'en public j'aurai le courage de penser à ma reputation, "
Julien s'attendait à du désespoir. La simplicite de ces adieux le toucha.¨ émotionna;
Enfin, Julien quitta Verrières. Il était fort ému. Mais à une lieue¨ de Verrières, où il laissait tant d'amour, il ne songea¨ plus qu'au bonheur de voir une grande ville comme Besançon, ±4 km; pensa;
Enfin, il aperçut, sur une montagne lointaine, des murs noirs; c'était la citadelle de Besançon. Il passa les ponts-levis et il vit de loin la croix de fer doré sur la porte: il approcha lentement. Enfin il se décida à sonner. Au bout de¨ dix minutes, un homme pâle, vêtu¨ de noir vint lui ouvrir. Julien expliqua qu'il desirait parler à M.Pirard, le directeur du séminaire. Sans dire une parole, l'homme lui fit signe de le suivre. Il entra dans une pièce fort mal éclairée. À l'autre extremité¨ de la chambre, il aperçut un homme assis devant une table. L'homme leva la tête. après; habillé; bout;
"Voulez-vous vous approcher?"dit cet homme.
Julien s'avança d'un pas mal assuré.
"Votre nom?"
"Julien Sorel."
"Vous m'êtes recommandé par M.Chélan, mon ami depuis trente ans. Loquerisne linguam latinam? (Parlez vous latin)
"Ita, pater optime." (Oui, mon excellent père) répondit Julien. L'entretien¨ continua en latin. L'expression des yeux de l'abbe s'adoucissaits; Julien reprenait quelque sang-froid, ¨ conversation; calme;
L'abbé Pirard examina Julien sur la théologie.Il fut surpris de son savoir. Cette pénible séance avait duré trois heures. L'abbe Pirard appela le portier.
"Allez installer Julien Sorel dans la cellule 103, " dit l'abbé à cet homme.
Julien travaillait beaucoup et réussissait rapidement à apprendre des choses très utiles à un prêtre, très fausses à ses yeux et auxquelles il ne mettait aucun intérêt.Il croyait n'avoir rien autre chose à faire. "Suis-je oublié de toute la terre?" pensait-il. Il ne savait pas que M.Pirard avait reçu et jeté au feu quelques lettres timbrées de Dijon.
La mélancolie de Julien commençait à influer sur sa santé, lorsqu'un matin Fouqué parut tout à coup dans sa chambre,
"Enfin, j'ai pu entrer.Je suis venu cinq fois à Besançon pour te voir.
La conversation fut infinie entre les deux amis. Julien changea de couleur, lorsque Fouqué lui dit:
"A propos, sais-tu? La mère de tes élèves est tombée dans la plus haute dévotion.On dit qu'elle fait des pèlerinages. Elle va se confesser à Dijon ou à Besançon."
"Elle vient à Besançon, dit Julien, le front couvert de rougeur.
"Assez souvent, " répondit Fouqué d'un ar interrogatif, "As-tu des Constitutionnel¨ sur toi?" "Quoi! même au séminaire, des libéraux!" s'écria Fouqué. "pauvre France" (journal libéral);
Depuis qu'il était au séminaire, la conduite de Julien n'avait été qu'une suite¨ de fausses démarches¨ À la vérité, il réussissait peu dans ses essais d' hypocrisie de gestes; il tomba dans des moments de dégoût et même de découragement complet.Il avait beau se faire petit et sot, il ne pouvait plaire; il était trop différent. Un matin le sévère abbé Pirard le fit appeler. série; activités;
"Voilà. Je suis assez content de l'ensemble de votre conduite. Après quinze ans de travaux, je suis sur le point de sortir de cette maison. Avant de partir je veux faire quelque chose pour vous: je vous fais repetiteur pour le Nouveau et l'Ancien Testament."
Julien était fou de joie; cet avancement¨ etait le premier qu'il obtenait; les avantages¨ étaient immenses. promotion; profits;
À son grand étonnement, Julien s'aperçut qu'on le haïssait moins. La haine¨ diminua sensiblement, ¨ surtout parmi les plus jeunes de ses camarades, devenus ses élèves, et qu'il traitait avec beaucoup de politesse.¨ Peu à peu il eut même des partisans.¨ antipathie:; visiblement; respect; alliés:;
Le temps des examens arriva. Julien répondit d'une façon brillante. Le premier jour, les examinateurs nommés par le fameux grand vicaire de Frilair furent très contrariés¨ de devoir toujours porter le premier ce Julien Sorel, qui leur était signalé comme le benjamin de l'abbé Pirard. Mais à la fin d'une séance, où il avait été question des Pères de l'Eglise, un examinateur adroit vint à parler d' Horace, de Virgile et des autres auteurs profanes, Julien, entraïiné¨ par le succès, oublia le lieu où il était, et récita et paraphrasa avec feu plusieurs odes d'Horace. Après l'avoir laissé s'enferrer¨ pendant vingt minutes, tout à coup l'examinateur changea de visage et lui reprocha¨ avec aigreur¨ le temps qu 'il avait perdu à ces études profanes, et les idées inutiles ou criminelles qu 'il s 'était mises dans la tête. Cette ruse fut trouvée sale, même au séminaire, ce qui n'empêcha 'pas M. l'abbé de Frilair de placer, de sa main puissante, le numéro 198 à côté du nom de Julien. ll avait de la joie à mortifier¨ ainsi soi ennemi, le janséniste Pirard. mecontents; emporté; se mettre le dans des problèmes; fit la critique; dureté; humilier;
Douze années auparavant, M. l'abbé de Frilair était arrivé à Besançon avec un portemanteau, lequel contenait toute sa fortune. Il se trouvait maintenant l'un des plus riches propriétaires du département. Dans le cours de ses propérités, ¨ il avait acheté la moitié d'une terre, dont l'autre partie échut¨ par héritage à M. Môle. De là un grand procès entre ces personnages. M.de la Môle demanda des conseils à l'abbé Chélan, qui le mit en relation avec M.Pirard. progrès de la richesses; revint;
Sans cesse en correspondance avec l'abbé Pirard, pour une affaire qu ils suivaient tous les deux avec passion, le marquis finit par goûter¨ le genre d'esprit de l'abbé. Peu à peu, malgré l'immense distance des positions sociales, leur correspondance prit le ton de amitié. L'abbé Pirard disait au marquis qu'on voulait l'obliger, ¨ á foce d'avanies, ¨ à donner sa demission. Un jour, il reçut un billet de M.de La Mole. apprécier; forcer; par des humiliations;
"Débarrassez-vous, mon cher monsieur, de toutes les tracasseries¨ de province; venez respirer un air tranquille à Paris. ll ne faut qu'un oui de votre part, monsieur, pour accepter, une des meilleures cures des environs de Paris. Le plus riche de vos paroissiens vous est devoué¨ plus que vous pouvez croire; c'est le Marquis de La Mole. Sans se'n douter, ¨ le sévère abbé Pirard amait ce séminaire auquel il consacrait¨ toutes ses pensées. La lettre de M.de La Mole fut pour lui comme l'apparition du chirurgien chargé de faire une opération cruelle et necessaire. Sa destitution¨ était certaine. Enfin, il ecrivit à M.de La Mole et composa pour monseigneur l'evêque une lettre. Il fit réveiller Julien. ennuis; attaché; en avoir l'idée; donnait; démission;
"Vous savez où est l'évêché?" lui dit-il; portez cette lettre à Monseigneur. Je ne vous dissimulerai¨ point que je vous envoie au milieu des loups. La lettre que vous portez est ma demission." cacherai;
Julien resta immobile; il aimait l'abbe Pirard. "Eh bien! mon ami, ne partez-vous pas? Allez à l'evêché; ii se fait tard." La hasard voulut que, ce soir-là, M.l'abbe de Frilair fût de service dans le salon de l'évêché; Monseigneur dinait à la préfecture. Ce fut donc à M.de Frilair lui-même que Julien remit la lettre. Julien regardait en silence l'abbé qui relisait la démission, lorsque tout à coup la porte s'ouvrit avec fracas.¨ Julien aperçut un petit vieillard portant une croix pectorale.¨ Il se prosterna; ¨ l'évêque lui adressa un sourire de bonté et passa. Le bel abbé le suivit, et Julien resta seul. bruit; sur la poitrine; agenouilla;
"Quel est ce séminariste au regard fin?" dit l'évêque; "Ne doivent-ils pas, suivant mon règlement, être couchés à 'l'heure qu'il est?"¨ maintenant;
"Celui-ci est fort éveillé, je vous le jure, Monseigneur, et il apporte une grande nouvelle: c'est la démission du seul janséniste qui restât dans votre diocèse, Ce terrible abbe Pirard comprend enfin ce que parler veut dire."
"Eh bien!" dit l'évêque en riant; "je vous défie de le remplacer par un homme qui le vaille¨ Et pour vous montrer tout le prix de cet homme, je l'invite à dîner pour demain. Faites-moi venir ce séminariste." Julien fut appelé. ait la même valeur que lui;
Ce prélat, avant d'en venir à M.Pirard crut devoir interroger Juilen sur ses etudes. Il parla un peu de dogme et fut etonné. Bientôt, il en vint aux humanités¨ à Virgile, à Horace, à Ciceron. Ces noms-là, pensa Julien, m'ont valu mon numéro 198. Je n'ai rien à perdre, essayons de briller. Il réussit: le prélat, excellent humaniste lui-meme, fut enchanté.¨ On parla longtemps de Virgile, de Cicéron. Enfin le prélat ne put s'empêcher de faire un compliment au jeune séminariste. étude de l'Antiquité; charmé;
Le lendemain matin, l'abbé Pirard partit pour Paris.
Le marquis de La Mole reçut l'abbé sans aucune de ces petites façons de grand seigneur.
"Mon cher abbé, lui dit le marquis, je vous estime.¨ Voulez-vous être mon sécrétaire, avec huit mille francs d'appointements, ¨ ou bien avec le double?" respecte; de salaire;
L'abbé refusa; mais vers la fin de la conversation, le véritable embarras¨ où il voyait le marquis lui suggera une idée: trouble;
"J'ai laissé au fond de mon séminaire un jeune homme; il n'est pas impossible qu'un jour il déploie¨ de grands talents. C'est Julien Sorel; vous pourriez essayer d'en faire votre secrétaire; il a de l'énergie, de la raisons; en un mot, c'est un essai à tenter." montre;
"Pourquoi pas?" dit le marquis.
Quelque temps après, Julien reçut une lettre d'une écriture inconnue et portant l'avis de se rendre à Paris sans délais.¨ Julien allait enfin paraître sur le théâtre des grandes choses! Le bonheur d'aller a Paris éclipsait tout à ses yeux. immédiatement;
Le lendemain vers midi, il arriva dans Verrières le plus heureux des hommes: il comptait revoir Mme de Rênal. Il entra chez un paysan, qui consentit¨ à lui vendre une échelle. Vers une heure du matin, Julien, chargé de son échelle, entra dans les jardins de M.de Rênal. Il lui fut facile d'arriver jusque sous la fenêtre de la chambre à coucher de Mme de Rênal. Il appuya¨ son échelle à côté de la fenêtre et frappa contre le volet, d'abord doucement, puis plus fort en répétant à voix basse "C'est un ami. Daignez¨ m'ouvrir, il faut que je vous parle, je suis trop malheureux!" voulut bien; mit; Veuillez;
Un petit bruit sec se fit entendre; l'espagnolette de la fenêtre cédait; ¨ il poussa la croisée¨ et sauta légèment dans la chambre. Toutes ses idées de courage s'évanouirent.¨ si c'est elle, que va-t-elle dire? Il comprit à un petit cri que c'était Mme de Rénal. Il la serra dans ses bras; elle tremblait et avait à peine la force de le repousser. s'ouvrait; fenêtre; tombèrent;
"Malheureux! que faites-vous?"
"Je viens vous voir après 14 mois de cruelle séparation."
Sortez, quittez-moi à l'instant.¨ Ah! Monsieur Chélan, pourquoi m'avoir empèchée de lui écrire? J'aurais prévenu cette horreur. Je me repens de mon crime; le ciel a daigné¨ méclairer. Sortez! Fuyez!" immédiatement; voulu;
"Après quatorze mois de malheur, je ne vous quitterai certainement pas sans vous avoir parlé. Je veux savoir tout ce que vous avez fait. Ah! je vous ai assez aimé."
"Sans doute, répondit Mme de Rênal d'une voix dure, et dont l'accent avait quelque chose de sec et de reprochant pour Julien; mes égarements¨ etaient connus dans la ville, lors de¨ votre départ. Il y avait eu tant d'imprudence dans vos démarches¨ Quelque temps après, alors que j'étais au désespoir, le respectable M.Chélan vint me voir. Quel moment de honte¨ J'avouai¨ tout. Cet homme si bon daigna¨ ne point m'accabler¨ du poids¨ de son indignation.¨ Il s' affligea avec moi.Il me fit comprendre qu'en épousant M.de Rênal je lui avais engagé toutes mes affections, désordres; au moment de; actes; déshonneur; confessai; voulut; écraser; charge; fureur;
Julien comprit qu'il fallait tenter la dernière ressource; il arriva brusquement à la lettre qu'il venait de recevoir de Paris,
"J'ai pris congé de Monseigneur l'évêque."
"Quoi! vous ne retournez pas à Besançon. Vous nous quittez pour toujours?"
"Oui, " répondit Julien d'un ton résolu; "oui, j'abandonne un pays où je suis oublié même de ce que j'ai le plus aimé en ma vie, et je le quitte pour ne jamais le revoir.Je vais à Paris..." .
"Tu vas à Paris!" s'écria assez haut Mme de Rênal. "Oui, madame, je vous quitte pour toujours; soyez heureuse; adieu!"
Il fit quelque pas vers la fenêtre; déjà il l'ouvrait. Mme de Rênal s'élança¨ vers lui et se précipita¨ dans ss bras. Ainsi Julien obtint¨ ce qu'il avait désiré avec tant ta de passion. ll vit son amie oublier rapidement le danger que la présence de son mari lui faisait courir, lorsque la porte de la chambre fut tout à coup secouée¨ avec force. C'était M.de Rênal. courut; jeta; reçut; agitée;
"Ouvre-moi bien vite, il y a des voleurs dans la maison, " disait-il; "Saint-Jean a trouvé leur échelle."
“Voici la fin de tout!" s'écria Mme de Rênal, en se je- tant dans les bras de Julien.
"Sauve la mère de Stanislas, " lui dit-il avec le regard du commandement; "je vais sauter dans la cour par la fenêtre du cabinet et m sauver dans le jardin."
Elle alla avec lui à la fenêtre de son cabinet. Elle ouvrit enfin à son mari, bouillant de colère. ll regarda dans la chambre, dans le cabinet, sans mot dire, et disparut. Les habits de Julien lui furent jetés; il les saisit et courut rapidement vers le bas du jardin. Comme il courait, il entendit siffler une balle et aussitôt le bruit d'un coup de fusil.
Une heure après, il était à une lieue de Verrières.
Le soir, Julien hésita beaucoup avant de se présenter à l'abbé Pirard. Cet abbé lui expliqua le genre de vie qui l'attendait chez M.de La Mole.
"Vous allez loger chez le marquis, l'un des plus grands seigneurs de France. J'exige¨ que trois fois la semaine, vous suiviez vos études en théologie dans un séminaire, ou je vous ferai presenter. Chaque jour, à midi, vous vous etablirez¨ dans la bibliotheque du marquis, qui comte¨ vous employer à faire des lettres pour des procès et d'autres affaires. A votre place, moi je parlerais très peu, et surtout je ne parlerais jamais de ce que j'ignore.¨ Ah!j'oubliais la famille de M.de La Mole. Il a deux enfants, une fille et un fils de dix-neuf ans Je ne vous Cacherais pas que le jeune comte de La Mole doit vous mépriser¨ d'abord, parce que vous n'êtes qu'un petit bourgeois. Vous verrez encore Mme la marquise de La Mole. C'est une grande femme blonde, dévote, hautaine, parfaitement polie, et encore plus insignifiante. Vous verrez dans son salon plusieurs grands seigneurs parler de nos princes avec un ton de légèreté singulier.¨ Cependant, nous sommes prêtres, car elle vous prendra pour tel; ¨ à ce titre, ¨ elle nous considère comme des valets de chambre nécessaires à son salut.¨ veux absolument; installerez; a l'intention de; ne sais pas; considérre comme inférieur; extraordinaire; croira cela; pour cela; bonheur;
"Monsieur, " dit Julien; "il me semble que je ne serai pas longtemps à Paris."
"A la bonne heure. Si nous continuons à trouver du plaisir à nous voir, et que la maison du marquis de La Mole ne vous convienne pas, je vous offre la place de mon vicaire et je partagerai par moitié avec vous ce que rend cette cure.¨ place de curé;
A sa grande honte, Julien se sentit les larmes aux yeux. Il ne put s'empêcher de lui dire:
"J'ai été haï de mon père depuis le berceau; ¨ c'etait un de mes grands malheurs; mais je ne me plaindrai plus du hasard, ¨ j'ai retrouve un pere en vous, monsieur." lit de bébé; mauvaise fortune;
"C'est bon, c'est bon, " dit l'abbe embarrassé.¨ gêné;
Le fiacre s'arrêta; le cocher souleva le marteau de bronze d'une porte immense: c'était L'HÔTEL DE LA MOLE. Les salons que ces messieurs traversérent, avant d'arriver au cabinet du marquis redoublèrent l'enchantement¨ de Julien.Enfin ces messieurs arrivèrent à la plus laide des pieces de ce superbe appartement; là se trouva un petit homme maigre à l'oeil vif et en perruque blonde. L'abbe se retourna vers Julien et le présenta. C'était le marquis. Julien ne fut point du tout intimidé, mais il remarqua bien-tôt que le marquis avait une politesse agreéable. Le marquis alla lui-même installer notre héros dans une jolie mansarde¨ qui donnait sur l'immense jardin de l'hôtel. Il lui demanda combien il avait pris de chemises. "Deux, " répondit Jdulien, intimidé de voir un si grand seigneur descendre à ces détails. joie; chambre du grenier;
"Fort bien, " reprit le marquis d'un air sérieux, prenez encore vingt-deux chemises. Voici le premier quartier de vos appointements."¨ salaire;
En descendant de la mansarde M.de La Mole faisait passer Julien dans un salon resplendissant¨ de dorures. Il le présenta à une femme de haute taille. C'était la marquise. Julien lui trouva l'air impertinent. La marquise daigna¨ à peine¨ le regarder. Les hommes réunis dans ce salon semblèrent à Julien avoir quelque chose de triste et de contraint.¨ Un joli jeune homme, avec des moustaches, très pâle et très élanceé, ¨ entra vers les six heures et demie. Julien comprit que c'était le comte de La Mole. ll le trouva charmant des le premier abord.¨ On se mit à table. Presque en même temps, il aperçut une jeune personne, extrêèmement blonde et fort bien faite, qui vint s'asseoir vis-à-vis¨ de lui. Elle ne lui plut point; cependant, en la regardant attentivement, il pensa qu'il n'avait jamais vu des yeux aussi beaux; mais ils annonçaient une grande froideur d'âme. Du reste, elle ressemblait cruellement à sa mère qui lui déplaisait de plus en plus, et il cessa de la regarder. Julien trouva que le marquis avait l'air de s'ennuyer. Vers le second service, il dit à son fils: brillant; voulut; presque pas; forcé, peu naturel; un peu maigre; contact; en face;
"Norbert, je te demande tes bontés pour M.Julien Sorel, que je viens de prendre à mon état-major"¨ service personnel;
Il fallait que le marquis eût parlé du genre d'éducation que Julien avait reçue, car un des convives¨ l'attaquait sur Horace. à partir de cet instant, ¨ il fut maître de lui. Il fut trouvé agréable. L'adversaire de Julien était un academien des Inscriptions, qui, par hasard, savait le latin; il trouva en Julien un trés bon humaniste. Dans la chaleur du combat¨ Julien oublia enfin l'ameublement magnifique de la salle à manger, il en vint à exposer sur les poètes latins des idées l'interlocuteur¨ n'avait lues nulle part. En honnète homme, il en fit honneur au jeune secrétaire. Lorsqu'on fut las¨ de parier des poetes, la marquise, qui se faisait une loi¨ d'admirer tout ce qui amusait son mari daigna¨ regarder Julien. invités; moment; discussion; l'homme à qui il parlait; eut assez; obligation; voulut bien;
Le lendemain, de fort bonne heure, Julien faisait des copies de lettres, lorsque le comte Norbert parut dans la bibliothèque; il fut bien aise¨ de rencontrer Julien, dont il avait oublié l'existence .Il fut parfait pour lui; il lui offrit de monter à cheval. content;
"Mon père nous donne congé jusqu'au diner."
Julien comprit ce "nous" et le trouva charmant.
Il croyait monter à cheval supérieurement. Mais, en revenant du bois de Boulogne, au beau milieu de la rue du Bac, il tomba, en voulant éviter¨ brusquement un cabriolet, et se couvrit de boue. Au diner, le marquis, lui demanda des nouvelles de sa promenade; Norbert se hâta de répondre en termes généraux. prevenir le contact avec;
"Monsieur le comte est plein de bontés pour moi, " reprit Julien, "je l'en remercie, et j'en sens tout le prix. Il a daigné eu la bonté de me faire donner le cheval le plus doux et le plus joli mais enfin il ne pouvait pas m'y attacher, et, faute de cete précaution, ¨ je suis tombt au beau milieu de cette rue si longue, près du pont." mesure prévention;
Mlle Mathiide essaya en vain¨ de dissimuler¨ un éclat de rire, ensuite son indiscrétion, demanda des détails. Julien s'en tira avec beaucoup de sinmplicité il eut de la grâce sans le savoir. Et il mit tellement les auditeurs à leur aise sur son infortune qu'à la fin du diner, Mlle Mathilde faisait des questions à son frère sur les détails de l'évenement malheureux. Julien osa répondre directement, quoiqu'il ne fût pas interrogé, et tous trois finirent par rire, comme auraient pu faire trois jeunes habitants d'un village au fond d'un bois. sans succès; cacher;
Depuis six semaines, le marquis était retenu chez lui par une attaque de goutte.¨ Mille de la Mole et sa mère étaient à Hyères auprès de la mère de la marquise. Le comte Norbert ne voyait son père que des instants.¨ Ils étaient fort bien l'un pour l'autre, mais ils n'avaient rien à se dire. M. de La Mole, réduit ਠJulien, fut étonné de lui trouver des idées. Il se faissit lire les journaux. Bientôt le jeune secrétaire fut en état¨ de choisir les passages intéressants. M.de La Mole s'inttressa à ce caractère singulier. Une fois que le marquis eut compris le caractère ferme de son protégé, il le chargeait de quelque nouvelle affaire. rhumatisme; rarement; seui avec; capable;
Un iour Julien revenait de la charmante terre de Vililequier, sur les bords de la Seine. ll trouva à l'hôtel la marouise et sa fille, qui arrivaient d'Hyères. Mlle de la Mole le trouva grandi et pali. On voyait qu'il était homme à soutenir son dire.
Il manque de légèreté, mais non pas d'esprit", dit Mile de la Mole à son père. On annonça M.le duc de Retz. Mathilde se sentit saisie¨ d'un baillement irrésistible.¨ Ses yeux si beaux où respirait l'ennui le plus profond et, pis encore, le désespoir de trouver le plaisir, s'arrétèrent Sur Julien Du moins, il n'était pas exactement comme un autre. prise; très fort;
"Monsieur Sorel, " dit-elle, "venez-vous ce soir au bal de M. de Retz?"
Mademoiselle, je n'ai pas eu l'honneur d'être présenté à M. le duc."-"Il a chargé mon frère de vous amener chez lui."
Julien ne répondait pas.
"Venez au bal avec mon frère, " ajouta-t-elle d'un ton fort sec. Julien salua avec respect. Que cette grande fille me dépiaît pensa-t-il en regardant marcher Mlle de la Mole, que sa mère avait appelée.
Le soir, en arrivant au bal, il fut frappé de la magnificence de l'hôtel de Retz. ll arriva, presque timide, dans le premier des salons.
Mlle.de la Mole le cherchait presque des yeux. Chose étonnante, il semblait avoir perdu ce ton de froideur impassible¨ qui lui était si naturel. Il cause¨ avec le comte Altamira, se dit Mathilde. Julien se rapprochait de la place où elle était, toujours causant avec Altamira; elle le regardait fixement Comme il passait près d'elle: "Oui, " disait-il au conte Altamira, Danton était un homme."-"Vous êtes bien jeune!" répondait Altanira. ll n'y a plus de passions véritables au XIX siècle: c'est pour cela que l'on s'ennuie tant en France. On fait les plus grandes cruautés, mais sans cruautté!" calme; parie; ;
"Tant pis!" dit Julien; "du moins quand on fait des crimes, faut-il les faire avec plaisir."
"Vous avez raison, " disait Altamira, "on fait tout sans plaisir et sans s’en souvenir, mème les crimes. Vous et moi, à ce diner nous serons les seuls purs de sang, mais je serai méprise¨ et presque haï, comme un monstre sanguinaire¨ et jacobin, et vous, méprisé come homme du peuple, intrus dans la bonne compagnie!" regardé comme inférieur; cruel;
"Rien de plus vrai, " dit Mlle de la Mole. Altamira la regarda étonné; Julien ne daigna¨ pas la regarder. Elle en fut profondément choquée, mais il ne fut plus en son pouvoir d'oublier Julien. voulut;
Le lendemain, en arrivant dans la salle à manger, Julien fut distrait¨ de son humeur par le grand deuil de Mile de La Mole qui le frappa d'autant plus qu'aucune autre personne de la famille n'était en noir. Par bonheur, l'acadétmicien qui savait le latin était à ce dîner. Voilà l'homme qui se moquera le moins de moi, se dit Julien, si, comme je le présume, ¨ ma question sur le deuil de Mlle de la Mole est une gaucherie.¨ Il flatta i'académicien de toutes les façons. Après quoi, de l'air le plus indifftérent: "Je suppose, " lui dit-il, "que Mlle de la Mole a hérité de quelque oncle dont elle porte le deuil." détourné; suppose; maladresse;
"Quoi! vous êtes de la maison, " dit l'académicien, "et vous ne Savez pas sa folie?¨ C'est aujourd'hui le 30 avril!" Et l'académicien, ravi¨ de trouver une oreille vierge, ¨ raconta longuement à Julien comme quoi, le 30 avril 1574, le plus joli garçon de son siècle, Boniface de la Mole, et Annibal de Coconasso, gentilhonme piémontais, son ani, avaient eu la tête tranchée¨ en place de Grève. La Mole était l'amant adoré de la reine Marguerite de Navarre: et remarquez, ajouta l'académicien, que Mlle de la Mole s ‘appelle Mathilde-Marguerite. La Hole était, en mêne temps, le favori du duc d' Alençon et l'intime ami du roi de Navarre. Le jour du mardi gras¨ de cette année 1574, la cour se trouvait à Saint-Germain avec le pauvre roi Charles IX qui s'en allait mourant. La Mole voulut enlever¨ les princes, ses amis, que la reine Cathtrine de Médicis retenait prisonniers à la cour. Il fit avancer deux cents chevaux sous les murs de Saint-Germain; le duc d'Alençon eut peur et la Mole fut jeté au bourreau.¨ Mais ce qui touche Mlle Mathiide c'est que la reine Marguerite de Navarre, cachée dans une maison de la Place de Grève, osa demander au bourreau la tête de son amant. Et, la nuit suivante, à minuit, elle prit cette tête dans sa voiture et alla l'enterrer elle-même dans une chapelle situte au pied de la colline de Montmartre.” manie; heureux; peu informée; coupée; du carnaval; faire échapper; exécuté;
"Est-ce possible?" s'cria Julien touché.
Il commençait à ne plus prendre pour de la sécheresse de coeur le genre de beauté qui tient à la noblesse du maintien. Il eut de longues conversations avec Mlle de la Mole, qui, quelquefois après dîner, se promenait avec lui dans le jardin. Un jour, elle lui raconta, avec ces yeux brillants de plaisir qui prouvent ¨ la sincérité¨ de l'admiration, ce trait d'une jeune ferme du règne de Henri II, qu'eile venait de lire dans les Mémoires de l'Etoile: trouvant son mari infidèle elle le poignarda.¨ montrent; sérieux; tua;
L'amour-propre de Julien était flatté. Une personne environnée de tant de respects, et qui, au dire de l'académicien, menait toute la maison, daignait lui parler d'un air qui pouvait presque ressembler à de l'amitié.
Peu à peu ses conversations avec cette jeune fille devinrent plus intéressantes. Il oubliait son triste rôle de plébéien¨ révolté.¨ Il la trouvait savante, et même raisonnable. homme du peuple; rebelle;
Voilà l'immense avantage¨ qu'ils ont sur nous, se dit Julien. Ma vie n'est qu'une suite¨ d'hypocrisies, parce que je n'ai pas mille francs de rente pour acheter du pain. supériorité; série;
A quoi rêvez-vous¨ là, monsieur? lui dit Mathilde pensez-vous;
Julien était las de¨ se mépriser¨ Par orgueil, ¨ il dit franchement sa pensée. Il rougit beaucoup en parlant de sa pauvreté à une personne aussi riche. Jamais il n'avait semblé aussi joli à Mathilde. avait assez; croire inférieur; fierté;
À moins d'un mois de là, Julien se promenait, pensif, dans le jardin de l'hôtel¨ de La Mole. Il venait de reconduire jusqu'à la porte du salon Mlle de La Mole, qui prétendait¨ s'être fait mal au pied en courant avec son frère. Elle s'est appuyée sur mon bras d'une façon singulière!¨ se disait Julien. Suis-je un fat, ou serait-il vrai qu'elle a du goût¨ pour moi? Mais non: ou je suis fou, ou elle me fait la cour; plus je me montre froid et respectueux avec elle, plus elle me recherche. Ceci pourrait être un parti-pris, ¨ une affectation, ¨ mais je vois ses yeux s'animer quand je parais à l'improviste.¨ Mon Dieu qu'elle est belle! Je l'aurai, je m'en irai ensuite, et malheur à qui me troublera dans ma fuite! palais; disait; étonnante; un faible; préjugé; comédie, pose; de manière imprévue;
Cette idée devint l'unique affaire de Julien; il ne pouvait plus penser à rien autre chose.
Mathilde de son côté commença à trouver du plaisir à se promener avec Julien. Elle fut étonnée de son orgueil; ¨ elle admira l'adresse de ce petit bourgeois. Il saura se faire évèque, se dit-elle. Une idée l'illumina tout à coup: J'ai le bonheur d'aimer, se dit-elle, avec un transport¨ de joie incroyable. J'aime, j'aime, c'est clair! J'ai beau faire, ¨ je n'aurai jamais d'amour pour Croisenois, Caylus, et tutti quanti; ¨ ils sont parfaits, trop parfaits peut-étre; enfin ils m'ennuient. Mon petit Julien, au contraire, n'aime agir que seul. Jamais, dans cet être privilégié, la moindre idée de chercher de l'appui et du secours¨ dans les autres! il méprise les autres, c'est pour cela que je ne le méprise pas. fierté; extase; quoi que je fasse; tous ces autres; de l'aide;
Du moment qu'elle eut décidé qu'elle aimait Julien, elle ne s'ennuya plus. Tous les jours, elle se félicitait du parti¨ qu'elle avait pris de se donner une grande passion. Cet amusement a bien des dangers, pensait-elle. Tant mieux! mille fois tant mieux. de la décision;
C'était pendant que ces grandes incertitudes agitaient¨ Mathilde que Julien ne comprenait pas ses longs regards qui s'arrétaient sur lui. Quelque résolu qu'il fût à ne pas être dupe des marques d'intérèt de Mathilde, elles étaient si évidentes de certains jours, et Julien, dont les yeux conmençaient à se dessiller, ¨ la trouvait si jolie qu'il en tait quelquefois embarrassé, ¨ troublaient; s'ouvrir; troublé;
L'adresse et la longanimité¨ de ces jeunes du grand monde finiraient par triompher de mon peu d'expêrience, se dit-il; il faut partir et mettre un terme¨ à tout ceci. Le marquis venait de lui confier¨ l'administration d'une quantité de petites terres et de maisons qu'il possédait dans le bas Languedoc. Un voyage tait nécessaire: M. de la Mole y consentit.avec¨ peine.¨ la patience; une fin; laisser; était d'accord avec cela; difcilement;
Il avait fait de son départ un secret, mais Mathilde savait mieux que lui qu'il aliait quitter Paris ie lendemain, et pour longtemps. Elle eut recours ਠun mal de tête fou, qu'augmentait l'air étouffé du salon. Elle se promena beaucoup dans le jardin et poursuivit¨ tellement de ses plaisanteries mordantes¨ Norbert, le marquis de Croisenois, Caylus, de Luz, et quelques autres jeunes gens qui avaient dîné à l'hôtel de La Mole, qu'elle les força de partir. Elle regardait Julien d'une façon étrange. lls étaient restés seuls; la conversation languissait¨ videmment. Non! Julien ne sent rien pour moi, se disait Mathilde, vraiment malheureuse. employait; pressa; sarcastiques; mourait;
Comme il prenait congé d'elle, elle lui serra le bras avec force: Vous recevrez ce soir une lettre de moi, lui dit elle d'une voix tellement altérée, ¨ que le son n'en était pas reconnaissable. Cette circonstance toucha¨ sur-le-champ¨ Julien. changée; émut; immédiatement;
Mon père, continua-t-elle, a une juste estime¨ pour les services que vous lui rendez. Il faut ne pas partir demain; trouvez un prétexte.¨ Et elle s'éloigna en courant. un juste respect; motif imaginaïre;
Une heure après, un laquais remit une lettre à Julien; c'était tout simplement une déclaration d'amour.
Enfin moi, s'écria-t-il tout à coup, la passion étant trop forte pour ètre contenue, moi, pauvre paysan, j'ai donc une déclaration d'amour d'une grande dame!
Julien eut un instant délicieux. Il errait à l'aventure¨ dans le jardin, fou de bonheur. marchait sans but;
Plus tard, il monta à son bureau et se fit annoncer chez chez le Marquis de La Mole qui, heureusement, n'était pas sorti. ll lui prouva¨ facilement, en lui montrant quelques papiers marqués arrivés de Normandie, que le soin¨ des procès normands l'obligeait à différer¨ son départ pour le Languedoc. -Je suis bien aise¨ que vous ne partiez pas, lui dit le marquis quand ils eurent fini de parler d'affaires, j'aime à vous voir. Julien sortit; ce mot le gènait. Et moi, je vais séduire¨ Et moi je vais séduire sa fille! rendre impossible peut-être ce mariage avec le marquis de Croisenois. Julien eut l'idée de partir pour le Languedoc, malgré la lettre de Mathilde, malgré l'explication donnée au marquis.Cet éclair de vertu¨ disparut bien vite. Que je suis bon, se dit-il, moi, plébéien, avoir pitié d'une famille de ce rang. Moi, que le duc de Chaulnes appelle un domestique! Ma foi pas si bête; chacun pour soi, dans ce désert d'êgoïsme qu'on appelle la vie. Le plaisir de triompher du marquis de Croisenois vint achever¨ la déroute de ce souvenir de vertu. dêmontra; intérêt; remettre à plus tard ; heureux; faire perdre son innocence à; idée d'un moment bonté morale; mettre fin à;
Quoi! mademoiselle, écrivait-il à Mathilde, c'est mademoiselle de La Mole, qui, par les mains d'Arsène, laquais de son père, fait remettre une lettre trop séduisante à un pauvre charpentier du Jura, sans doute pour se jouer¨ de sa simplicité ..." Le soir, fort tard, Julien eut la malice¨ de faire descendre une malle¨ chez le portier. Cette manoeuvre peut n'avoir aucun résultat, se dit-il, mais si elle réussit, elle me croit parti. Il s'endormit fort gai sur cette plaisanterie, Mathilde ne ferma pas l'oeil. se moquer; méchanceté; coffre;
Le lendemain, de fort grand matin, Julien sortit de l'hôtel sans ètre aperçu, mais il rentra avant huit heures. À peine était-il dans la bibliothèque que Mlle de La Mole parut sur la porte. ll lui remit sa réponse. Il pensait qu'il était de son devoir de lui parler, mais Mlle de La Mole ne voulut pas l'écouter et disparut. Vers les neuf heures, Mlle de La Mole parut sur le seuil de la porte de la bibliothèque, lui jeta une lettre et s'enfuit. Il parait que ceci va être le roman par lettres, dit-il en relevant¨ celle-ci. L'ennemi fait un faux¨ mouvement; moi, je vais faire donner la froideur et la vertu. ramassanr; fait pour tromper;
On¨ lui demandait une réponse décisive, avec une hauteur¨ qui augmenta¨ sa gaîté intérieure et ce fut encore par une plaisanterie qu'il annonça son départ pour le lendemain matin. Cette lettre terminée, Julien remonta chez lui en courant, et rencontra par hasard, dans le grand escalier, la belle Mathilde, qui saisit¨ sa lettre avec une aisance un naturel parfaite et des yeux riants. la letre; orgueil; fit grandir; prit;
A cinq heures, Julien reçut une troisième lettre; elle lui fut lancêe de la porte de la bibliothéque. Mlle de La Mole s'enfuit encore. Quelle manie d'écrire! se dit-il en riant; mais il palit en lisant. ll n'y avait que huit lignes:
"J'ai besoin de vous parler; il faut que je vous parle ce soir; au moment où une heure après minuit sonnera, trouvez-vous dans le jardin. Prenez la grande échelle du jardinier auprès du puits; placez-la contre ma fenêtre et montez chez moi. Il fait clair de lune; n'importe."
Ceci devient sérieux, pensa Julien. C'est clair, on veut me perdre¨ ou se moquer de moi, tout au moins! Julien monta chez lui et se mit ਠfaire sa malle¨ en sifflant. Il était résolu à partir et à ne pas même répondre. Mais cette sage résolution ne lui donnait pas la paix du coeur.¨ Si, par hasard, se dit-il tout à coup, sa malle fermée Mathilde était de bonne foi! Alors, moi, je joue, à ses yeux, le rôle d'un lâche parfait. Si je refuse, je me méprise moi mème dans la suite! rendre ridicule; commença; coffre; le calme;
La cloche sonna; elle fit battre son coeur. Julien avait réellement peur lorsqu'il entra dans la salle à manger. Il regardait tous les domestiques en grande livrée. Il étudiait leur physionomie. Quels sont ceux qu'on a choisis pour l'expédition de cette nuit? se disait-il. Il regarda Mlle de La Mole pour lire dans ses yeux les projets de sa famille; elle était pâle et avait tout à fait une physionomie du moyem-âge. Jamais il ne lui avait trouvé l'air si grand; elle était vraiment belle et imposante. Il en devint presque amoureux. Cette soirée fut affreuse.
Vers les onze heures, la lune se leva; à minuit et demi, elle éclairait en plein la façade de l'hôtel donnant sur le jardin Elle est folle, se disait Julien; comme une heure sonna, il y avait encore de la lumière aux fenêtres du comte Norbert. De sa vie Julien n'avait eu autant peur.
Il alla prendre l'immense échelle, attendit cinq minutes pour laisser le temps à un contre-ordre, et à une heure cinq minutes posa l'échelle contre la fenêtre de Mathilde. Il monta doucement, le pistolet à la main, étonné de ne pas être attaqué. Comme il approchait de la fenêtre, elle s'ouvrit sans bruit:
"Vous voilà, monsieur," lui dit Mathilde avec beaucoup d'êmotion; "Je suis vos mouvements depuis une heure." Julien tait fort embarrassé; il ne savait comment se conduire il n'avait pas d'amour du tout.
"Il faut retirer l'échelle," dit Mathilde; "vous pourriez abaisser¨ l'échelle au moyen d'une corde qu'on attacherait¨ au dernier échelon.¨ J'ai toujours une provision de cordes chez moi." faire descendre; fixerait; barre;
Julien avait attaché la corde au dernier échelon de l'échelle; il la descendait doucement. L'échelle toucha la terre.
"Et comment m'en aller?" dit Julien.
"Vous vous en allez par la porte," dit Mathilde, ravie¨ de cette idée. très contente;
Ah! comme cet homme est digne de tout mon amour! pensa-t-elle.
Julien venait de laisser tomber la corde dans le jardin; Mathilde lui serrait le bras. Il crut ètre saisi par un ennemi et se retourna vivement en tirant¨ un poignard.¨ Elle avait cru entendre ouvrir une fenètre. Ils restèrent immobiles et sans respirer. La lune les éclairait en plein. Le bruit ne se renouvelant pas, il n'y eut plus d'inquiétude¨ Alors, l'embarras¨ recommença; il tait grand des deux parts. sortant; couteau; alarme; gêne;
Mathilde avait horreur¨ de sa position. aversion;
"Qu' avez-vous fait de mes lettres?" dit-elle enfin.
A propos de quoi¨ est-ce que je mentirais? pense Julien, et il lui avoua tous ses soupçcons.¨ pourquoi; idées de trahison;
"Voilà donc la cause de la froideur de tes lettres!" s'écria Mathilde, avec l'accent de la folie¨ plus que de la tendresse.¨ délire; amour;
Julien ne remarqua pas cette nuance. Ce tutoiement lui fit perdre la tête. Mathilde finit par être pour lui une maîtresse aimable.
À la vérité ces transports étaient un peu voulus. L'amour passionné êtait encore plutôt un modèle qu'on imitait qu' une réalité.
Aucun regret, aucun reproche¨ ne vinrent gâter¨ cette nuit qui sembla singulière¨ plutôt qu'heureuse à Julien. S'il n'y avait rien de tendre¨ dans son âme, c'est que, quelque étrange que ce mot puisse paraître, Mathilde, dans toute sa conduite¨ avec lui, avait accompli¨ un devoir, mot de critique; rendre désagréable; extraordinaire; amour; attitude; fait;
Me serais-je trompée, n'aurais-je pas d'amour pour lui? se dit-elle.
Elle ne parut pas au dîner. Le soir, elle vint un instant¨ au salon, mais ne regarda pas Julien. Le lendemain, le surlendemain, mème froideur de sa part; elle ne le regardait pas, elle ne s'apercevait pas de son existence. moment;
Le troisième jour, comme Mlle de La Mole s'obstinait¨ à ne ne pas le regarder, Julien la suivit après le dîner, et évidemment malgré elle, dans la salle de billard. Rien ne fut plaisant comme le dialogue de ces deux amants. Ils en furent bientôt à se déclarer nettement qu'ils se brouil- laient à jamais.¨ continuait sans se laisser influencer; pour toujours;
"Je vous jure un secret éternel, dit Julien; j'ajouterai même que jamais je ne vous adresserai la parole, si votre réputation ne pouvait souffrir de ce changement trop marqué. Il salua avec respect et partit.
Il accomplissait¨ sans trop de peine¨ ce qu'il croyait être un devoir; il était bien loin de se croire fort amoureux de Mlle de La Mole. Sans doute, il ne l'aimait pas, trois jours auparavant. Mais tout changea rapidement dans son âme du moment qu'il se vit à jamais brouillé avec elle. Dans la nuit même qui suivit la déclaration de brouille éternelle¨ Julien failli devenir¨ fou en étant obligé de s'avouer¨ qu'il aimait Mlle de La Mole. faisait; effort; durable; devint presque; avouer;
Il se décida à partir pour le Languedoc.
M. de La Mole était sorti. Plus mort que vif, Julien alla l'attendre dans la bibliothèque. Que dévint-il en y trouvant Mile de La Mole ?
Emporté par son malheur Julien eut la faiblesse de lui dire: -Ainsi, vous ne m'aimez plus?
J'ai horreur de m'être livrée¨ au premier venu, dit Mathide, en pleurant de rage contre elle-même. donnée;
Au premier venu, s'écria Julien, et il s'elança¨ sur une vieille épée du moyen âge qui était conservée dans la bibliothèque comme une curiosité. Au moment où il venait de tirer l'épée, avec quelque peine¨ de son fourreau¨ antique, Mathilde, heureuse d'une sensation nouvelle, s'avança fièrement vers lui; ses larmes étaient taries.¨ se jeta; effort; étui; séchées;
L'idée du marquis de La Mole, son bienfaiteur, se présenta Vivement à Julien. Je tuerais sa fille! se dit-il, quelle horreur! Il fit un mouvement pour jeter l'épée; certainement pensa-t-il, elle va éclater de rire à la vue de ce mouvement de mélodrame. Il dut ਠcette idée le retour de tout son sang-froid. Il regarda la lame¨ de la vieille épée curieusement, puis il la remit dans le fourreau, et, avec la plus grande tranquillité, la replaça au clou de bronze. Tout ce mouvement, fort lent sur la fin, dura bien une minute; Mlle de La Mole le regardait, étonnée. c'est grâce à; le fer;
J'ai donc été sur le point d'être tuée par mon amant! se disait-elle. Cette idée la transportait dans les plus temps du siècle de Charles IX et de Henri III.
Je vais retomber dans quelque faiblesse pour lui, pensa Mathilde; et elle s'enfuit. Mon Dieu! qu'elle est belle! dit Julien en la voyant courir. Et cependant je suis fou, je le sens; je suis fou!
Mlle de la Mole, ravie,¨ ne songeait¨ qu'au bonheur d'avoir été sur le point d'être tuée. Elle allait jusqu'à se dire: Il est digne¨ d'être mon maître, puisqu'il a êté sur le point de me tuer. treès heureuse; pensait; de valeur à;
Après le diner, Mlle de La Mole, loin de fuir Julien, lui parla et l'engagea¨ en quelque sorte¨ à la suivre au jardin; il obéit. Cette épreuve lui manquait. Mathilde cédait¨ sans trop s'en’douter à l'amour qu'elle reprenait pour lui. Elle trouvait un plaisir extrème à se promener à ses côtés; c'était avec curiosité qu'elle regardait ces mains qui, le matin, avaient saisi l'épêe pour la tuer. Peu à peu, Mathilde se mit à lui parler avec confiance; elle en vint à lui raconter les mouvements d'enthousiasme passagers¨ qu'elle avait eprouvés pour M. de Croisenois, pour M. de Caylus.... "Quoi! pour M. de Caylus aussi!" s'écria Julien;et toute l'amère¨ jalousie d'un amant délaissé éclatait dans ce mot. Mathilde en jugea ainsi, et n'en fut point offensée.¨ Julien était trop malheureux et s'enferma chez lui. Il vit Mathilde se promener longtemps au jardin; quand enfin elle l'eut quitté, il y descendit; il s'approcha d'un rosier où elle a vait pris une fleur, invita; plus ou moins; capitulait; peu durable; douloureuse; blessée;
Plusieurs l'idée du suicide s'offrit à lui. Tombé dans ce dernier abîme¨ de malheur, il regardait la fenètre de la chambre de Mathilde, il vit à travers les persiennes¨ qu'elle éteignait sa lumière; il se figurait¨ cette chambre charmante qu'il avait vue, hélas! une fois en sa vie. Son imagination n'allait pas plus loin. Une heure sonna. Entendre la cloche et se dire: Je vais monter avec l'échelle, ne fut qu'un instant. Ce fut l'éclair du génie. Il courut à l'échelle et la plaça contre la fenêtre de Mathilde. profondeur; volets; imaginait;
Elle va se fâcher, m'accabler de mépris,¨ qu'importe? Je lui donne un baiser, un dernier baiser, je monte chez moi et je me tue. me faire sentir toute son arrogance;
Il frappe à la persienne; après quelques instants Mathilde l'entend, elle veut ouvrir la persienne, l'échelle s'y oppose;¨ Julien donne une violente¨ secousse¨ à l'échelle, et la déplace un peu. Mathilde peut ouvrir la persienne. Il se jette dans la chambre plus mort que vif: ne le permet pas; très forte; choc;
-C'est donc toi, dit-elle en se précipitant¨ dans ses bras ... jetant;
Qui pourra décrire l'excès du bonheur de Julien? Celui de Mathilde fut presque égal.
Elle lui parlait contre elle-même, elle se dénonçait¨ à lui. -Punis-moi de mon orgueil¨ atroce,¨ lui disait-elle, en le serrant dans ses bras de façon à l'étouffer;¨ tu es mon maître, je suis ton esclave, il faut que je te demande pardon à genoux d'avoir voulu me révolter.¨ Elle quittait ses bras pour tomber à ses pieds. Oui, tu es mon maître, lui disait-elle, encore ivre de bonheur et d'amour; règne à jamais¨ sur moi, punis sévêrement ton esclave quand elle voudra se révolter. s'accusait; arrogance; abominable; gênant la respiration; rebeller; pou toujours;
La vertu¨ de Julien fut êgale à son bonheur. ll faut que je descende par l'êchelle, dit-il à Mathilde, quand il vit l'aube¨ du jour paraître. Il la serra encore une fois dans ses bras, se jeta sur l'échelle et se laissa glisser plutôt qu'il ne descendit; en un moment il fut à terre. Il n'oublia point d'effacer¨ l'empreinte¨ que l'échelle avait laissée dans la plate-bande de fleurs exotiques sous la fenêtre de Mathilde. Comme, dans l'obscurité, il promenait¨ sa main sur la terre molle, il sentit tomber quelque chose sur ses mains: c'était tout un côté des cheveux de Mathilde, qu'elle avait coupé et qu'elle lui jetait. Elle était à sa fenêtre, courage; le debut; faire disparaître; marque; lassait aller;
-Voilà ce que t'envoie ta servante, lui dit-elle assez haut, c'est le signe d'une obéissance éternelle. Je renonce ਠl'exercice¨ de ma raison, sois mon maître. j'abandonne; usage;
Rentrer du jardin dans l'hôtel n'était pas chose facile. Il rêussit à forcer la porte d'une cave; parvenu dans la maison il fut obligé d'enfoncer le plus silencieusement possible la porte de sa chambre. Comme le soleil se levait, il tomba dans un profond sommeil.
La cloche du déjeuner eut grand'peine à l'éveiller. Il parut à la salle à manger. Bientôt Mathilde y entra. L'orgueil de Julien eut un moment bien heureux en voyant l'amour qu'éclatait¨ dans les yeux de cette personne si belle et environnée de tant d'hommages.¨ Sous prétexte¨ du peu de temps qu'elle avait eu pour soigner sa coiffure Mathilde avait arrangé ses cheveux de façon à ce que Julien pût apercevoir du premier coup d'oeil toute l'étendue¨ du sacrifice¨ qu'elle avait fait pour lui en les coupant la nuit précédente. se montrait si clairement; respect; motif; importance; abandon;
Vers la fin du repas, il arriva à Mathilde, qui parlait à Julien, de l'appeler: mon maître. Il rougit jusqu'au blanc de ses yeux.
Cette journêe passa comme un éclair. Julien était au comble¨ du bonheur. Dès sept heures du matin, le lendemain, il était installé dans la bibliothèque; il espérait que Mlle de La Mole daignerait¨ y paraître. maximum; aurait la bonté de;
Il ne la vit que bien des heures après, au déjeuner. Elle était ce jour-là coiffée avec le plus grand soin; un art merveilleux s'était chargé de cacher la place des cheveux coupés. Elle regarda une ou deux fois Julien, mais avec des yeux polis et calmes; il n'était plus question de l'appeler: mon maître. L'étonnement de Julien l'empêchait de respirer... Mathilde se reprochait presque tout ce qu'elle avait fait pour lui.
Julien ne comprenait nullement le caractère de la personne singulière¨ que le hasard venait de rendre maîtresse absolue de tout son bonheur. extraordinaire;
Il s'en tint, la journée suivante, à tuer de fatigue lui et son cheval. Il n'essaya plus de s'approcher, le soir, du canapé bleu, auquel Mathilde était fidèle. Il lui semblait qu'une chose apporterait à sa douleur un soulagement¨ infini: ce serait de parler à Mathilde. Mais cependant qu'oserait-il lui dire? C'est à quoi, un matin à sept heures il rêvait profondément, lorsque tout coup il la vit entrer dans la bibliothêque. adoucissement;
Je sais, monsieur, que vous désirez me parier.
-Grand Dieu! qui vous l'a dit?
-Je le sais, que vous importe? Si vous manquez d'honneur vous pouvez me perdre¨ ou du moins le tenter;¨ mais ce danger, que je ne crois pas réel, ne m'empèchera certainement pas d'être sincère. Je ne vous aime plus, monsieur; mon imagination folle m'a trompée. faire perdre ma réputation; essayer;
En un instant, Mlle de La Mole arriva au point de l'accabler des marques de mépris les plus excessives. Elle trouvait un plaisir d'orgueil délicieux à punir ainsi elle et lui de l'adoration¨ qu'elle avait sentie quelques jours auparavant. Lorsque Julien put sortir de la bibliothèque, il était tellement étonné qu'il en sentait moins son malheur. Eh bien! elle ne m'aime plus, se répétait-il, en se pariant tout haut, comme pour s'apprendre sa position. Il paraît qu'elle m'a aimé huit ou dix jours, et moi je l'aimerai toute la vie. Est-il possible, elle n'était rien, rien pour mon coeur, il y a si peu de jours! passion;
Les jouissances¨ d'orgueil inondaient¨ le coeur de Mathilde; elle avait donc pu rompre à tout jamais!¨ Triompher si complètement d'un penchant¨ si puissant¨ la rendrait parfaiterent heureuse. plaisirs; remplissaient; pour toujours; passion; forte;
Ce jour-ià, après le déjeuner, le marquis chiffonnait¨ avec humeur "La Quotidienne!; son oeii était brillant. en faisait une boule et jeta;
-Parlons un peu de votre mêmoire, dit-il à Julien; on dit qu'elle est prodigieuse¨ Pourriez-vous apprendre par coeur quatre pages et aller les réciter à Londres? Mais sans changer un mot!.. miraculeuse;
-Ce nunéro de "La Quotidienne" n'est peut-être pas fort amusant; mais, si monsieur le marquis le permet, demain matin j'aurai l'honneur de le lui réciter tout entier.
-Quoi!rmème les annonces?
-Fort exactement, et sans qu'il y manque un mot.
-M'en donez-vous votre parole? reprit le marquis avec une gravité soudaine
-Oui, monsieur; la crainte d'y manquer pourrait seule troubler ma mémoire.
-C'est que j'ai oublié de vous faire cette question hier; je ne vous demande pas votre serment¨ de ne jamais répéter ce que vous aliez entendre; je vous connais trop pour vous faire cette injure.¨ J'ai répondu de¨ vous, je vais vous mener dans un salon où se réuniront douze personnes; vous tiendrez note de ce que chacun dira. Vous reviendrez ici avec moi, nous rêéduirons¨ ces vingt pages à quatre, ce sont ces quatre pages que vous me réêciterez demain matin, au lieu de tout le numéro de "La Quotidienne". Vous partirez aussitôt après: il faudra courir la poste¨ comme un jeune homme qui voyage pour ses plaisirs. Votre but sera de n'être remarqué de personne. Vous arriverez auprès d'un grand personnage. Là, il vous faudra plus d'adresse.¨ Il s'agit de¨ tromper tout ce qui l'entoure; car, parmi ses secrétaires, parmi ses donestiques, il y a des gens vendus à nos ennemis et qui guettent¨ nos agents au passage pour les intercepter. Vous aurez une lettre de recommandation insignifiante.¨ Au moment où son Excellence vous regardera, vous tirerez ma montre que voici et que je vous prête pour le voyage. Ce qui vous empèchera de vous ennuyer le long du voyage, c'est qu'entre Paris et la résidence du ministre, il y a des gens qui ne demanderaient pas mieux que de tirer un coup de fusil à M. l'abbé Sorel. Courez sur-le-champ¨ acheter un habiliement complet, reprit le marquis. Mettez-vous à la mode d'il y a deux ans. Il faut ce soir que vous ayez l'air peu soigné. promesse absolue; offense; je me suis porté garant; résumerons; voyager vite; finesse; il faut; espionnent; peu importante; immédiatement;
Une heure après, Julien était dans antichambre du marquis avec une tournure¨ de subalterne.¨ -Montons en voiture, dit le marquis. Ils arrivèrent dans un grand salon d'assez triste apparence. Le maître de la maison était un homme énorme, dont le nom ne fut point prononcé. Sur un signe du marquis, Julien était resté au bas bout de la table. Il compta de l'oeil sept interlocuteurs,¨ mais Julien ne les apercevait que par le dos. Un laquais entra précipitamment en disant: M. le duc de ... apparence; domestique; personnes en la conversation;
-Taisez-vous, vous n'êtes qu'un sot, dit le duc en entrant.
Ce duc était un homme de cinquante ans. Son arrivée détermina l'ouverture de la séance. Julien fut vivement interrompu dans ses observations par la voix de M. de La Mole.
-Je vous présente l'abbé Sorel, disait le marquis; il est doué d'une mémoire étonnante. Ce ne fut qu'a trois heures du matin que Julien sortit avec M. de La Mole.
La note secrète que le marquis rédigea d'après le grand procès-verbal de vingt-six pages, écrit par Julien, ne fut prête qu'à quatre heures trois quarts. Le lendemain le marquis conduisit Julien à un château isolé assez éloigné de Paris. On lui remit¨ un passeport qui portait un nom supposé¨ mais indiquait enfin le véritable but du voyage. Il monta seul dans une calèche.¨ Le voyage fut rapide et fort triste. Dans un village à quel-ques lieues au-dela de¨ Metz, le maître de poste vint lui dire qu'il n'y avait pas de chevaux. Il était dix heures du soir; Julien fort contrarié demanda à souper. Il se promena fâché; devant la porte, et insensiblement, sans qu'il y parut, passa dans la cour des écuries.¨ Il n'y vit pas de chevaux. l'air de cet homme était pourtant singulier,¨ se disait Julien; son oeil grossier m'examinait. donna; imaginaire; voiture à cheval; après; bâtiment pour les chevaux; étrange;
Il fallut souper et se coucher. Julien était encore dans le premier sommeil, quand il fut réveillé en-sursaut¨ par la voix de deux personnes qui parlaient dans sa chambre sans trop se gêner. Il reconnut le maître de poste, armé d'une lanterne. La lumière était dirigé vers le coffre de la calèche que Julien avait fait monter dans sa chambre. tout à coup;
À côté du maître de poste était un homme qui fouillait tranquillement dans le coffre ouvert. Julien ne distinguait que les manches de son habit, qui étaient noirs.
-Ne craignez pas qu'il se réveille, monsieur le curé, disait le maître de poste. Le vin était de celui que vous avez préparé vous-meme.
-Je ne trouve aucune trace de papiers, répondait le curé. Beaucoup de linge, d' essences, de pommades, de futilités; c'est un jeune du siècle, occupé de ses plaisirs.
Le curé et son acolyte sortirent. Un quart d'heure après Julien partit et arriva sans autre incident auprès du grand personnage. Il perdit toute une matinée à solliciter¨ en vain¨ une audience. Par bonheur, vers les quatre heures, le duc voulait prendre l'air.¨ Julien le vit sortir à pied, il n'hésita pas à l'approcher-et à lui demander 'laumone.¨ Arrivé à deux pas du grand personnage, il tira la montre du marquis de la Mole et la montra avec affectation.¨ demander; sans succes; se promener; de l'argent; avec une certaine pose;
-Suivez-moi de loin, lui dit-on sans le regarder. À un quart de lieue de là, le duc entra brusquement dans un petit Café-hauss. Ce fut dans une chambre de cette auberge que Julien eut l'honneur de réciter au duc ses quatre pages. Le prince prit des notes.
-Gagnez¨ à pied la poste voisine. Abandonnez¨ ici vos effets¨ et votre calèche. Allez à Strasbourg comme vous pourrez, et le vingt-deux du mois trouvez-vous à midi et demi dans ce même café-hauss. N'en sortez que dans une demi-heure. Silence! allez; laissez; affaires;
Telles furent les seules paroles que Julien entendit. Elles suffirent¨ pourle pénétrer¨ de la plus haute admiration. Forcé de passer huit jours à Strasbourg, Julien cherchait à se distraire. Etait-il donc amoureux? Il n'en savait riene; il trouvait seulement dans son âme bourrelée¨ Mathilde maitresse absolue de son bonheur comme de son imagination. Mathilde avait tout absorbé; il la trouvait partout dans l'avenir. La solitude absolue augmentait¨ l'empire¨ de cette noire imagination. furent assez; remplir; troublée; rendait plus grand; pouvoir;
Mais son devoir le rappelait auprès du grand personnage. Il reçut la réponse à la note secrète qu'il avait apportée et courut vers Paris. À peine de retour à Paris, et au sortir du cabinet du marquis de La Mole, qui parut fort déconcerté¨ des dépêches¨ qu'on lui présentait, notre héros s'habilla avec beaucoup de soin. On se mit à table. Enfin parut Mlle de La Mole, toujours fidèle à son habitude de se faire attendre. Elle rougit beaucoup en voyant Julien; on ne lui avait pas dit son arrivée. Julien se disait à chaque instant: Je ne dois pas trop regarder Mlle de la Mole, mais mes regards non plus ne doivent point la fuir. Il faut paraître ce que j'étais réellement huit jours avant mon malheur... troublé; message;
Sur les huit heures, on annonça Mme la maréchale de Fervaques. Julien s'établit auprès de la maréchale. Suivant toutes les règles de l'art, Mme de Fervaques fut pour lui l' objet de l'admiration la plus ébahié. Il se força à ne presque pas penser à Mlle de La Mole. Mathilde l'avait presque oublié pendant son voyage. Toutes les idées de Mlle de La Mole changèrent en voyant Julien.
Au vrai, c'est là mon mari, se dit-elle.
Elle s'attendait à des airs de malheur de la part de Julien; elle préparait ses réponses; car, sans doute, au sortir du dîner, il essayerait de lui adresser quelques mots. Loin de là, il resta ferme au salon, ses regards ne se tournèrent même pas vers le jardin. Dieu sait avec quelle peine!¨ quel effort;
Il vaut mieux avoir tout de suite cette explication, pensa Mlle de La Mole; elle alla seule au jardin, Julien n'y parut pas. Mathilde vint se promener près des portes-fenêtres du salon; elle le vit fort occupé à décrire à Mme de Fervaques les vieux châteaux des bords du Rhin.
L'effort qu'il s'imposait pour paraître guéri aux yeux de Mathilde absorbait toutes les forces de son âme. Mais au total, sa vie était moins affreuse que lorsque ses journées se passaient dans l'inaction. Pourtant ce n'était qu'à force-de-caractère¨ et de raisonnement qu'il parvenait¨ à se maintenir un peu au-dessus du désespoir. Chaque jour il réussissait; voyait Mathilde au déjeuner et à diner. D'après les lettres que lui dictait M. de la Mole, il la savait à la veille¨ d'épouser M. de Croisenois. Un matin, le portier lui apportait dans la bibliothèque une lettre de la maréchale; Mathilde rencontra cet homme, vit la lettre. Elle entra dans la bibliothèque comme le portier en sortait; la lettre était encore sur le bord de la table. par la volonté; réussissait; peu de jours avant;
-Voilà ce que je ne puis souffrir,¨ s'écria Mathilde en s'ermparant de¨ la lettre; vous m'oubliez tout à fait, moi qui suis votre épouse. Votre conduite est affreuse, monsieur¨ supporter; prenant; manière de faire;
À ces mots, son orgueil, étonné de l'effroyable inconvenance de sa démarche,¨ la suffoqua;¨ elle fondit¨ en larmes, et bientôt parut à Julien hors'd'état¨ de respirer. Surpris, Julien ne distinguait¨ pas bien tout ce que cette scène avait d'admirable et d'heureux pour lui. Il aida Mathilde à s' asseoir; elle s abandonnait presque dans ses bras. Je ne dois pas même me permettre de presser contre mon coeur ce corps soupler et charmant, il ou elle me méprise et me maltraite. Quel affreux¨ caractère! manière de faire; lui coupa le souffle; éclate; incapable; voyait; abominable;
Et, en maudissant le caractère de Mathilde, il l'en aimait cent fois plus; il lui semblait avoir dans ses bras une reine.
L'impassible¨ froideur de Julien redoubla le malheur d'orgueil qui déchirait l'âme de Mlle de La Mole. -Ah! pardon, mon ami, dit-elle en se jetant à ses genoux, méprise-moi si tu veux, mais aime-moi, je ne puis plus vivre privée de¨ ton amour. Et elle tomba tout à fait évanouie.¨ insensible; sans; sans connaissance;
La voilà donc, cette orgueilleuse, à mes pieds! se dit Julien.
Au milieu de tous ces grands mouvements, Julien était plus étonné qu'heureux. Il releva Mathilde, et sans mot dire la replaça sur le divan.
-Répondez-moi, du moins, dit enfin Mathilde du ton de voix le plus suppliant¨ Mme de Fervaquès m'a donc enlevé¨ votre coeur... soumis; pris;
-A défaut de tout autre sentiment, la reconnaissance¨ suffirait pour m'attacher¨ à la maréchale, elle m'a montré de l'indulgences¨ elle m'a consolé¨ quand on me méprisait... Je puis ne pas avoir une foi¨ illimitée en de certaines apparences extrémement flatteuses sans doute, mais peut-être aussi bien peu durables. sentiment d'être obligé; lier; bontés; aid; confiance;
-Ah! grand Dieu! s'écria Mathilde.
-Eh bien! quelle garantie me donnerez-vous? reprit Julien.
-L'excès de mon amour et de mon malheur si vous ne m'aimez plus, lui dit-elle en lui prenant les mains en se tournant vers lui.
Il allait céder.¨ Un mot imprudent, se dit-il, et je fais recommencer cette longue suite de journées passées dans le désespoir. Il retira ses mains que Mathilde pressait dans les siennes et, avec un respect marqué s'éloigna un peu d' elle. Il ajouta: -Mademoiselle de La Mole daignera¨ me permettre de réfléchir sur tout ceci. était sur le point de se rendre; voudra bien;
Il s' éloigna rapidement et quitta la bibliothèque; elle l'entendit refermer successivement toutes les portes.
Le monstre n' est point troublé, se dit-elle...
Mais que dis-je, Monstre! Il est sage, prudent, bon; c'est moi qui ai eu plus de torts¨ qul on n'en pourrait imaginer. est plus à critiquer;
Cette maniere de voir dura. Mathilde fut presque heureuse ce jour-là, car elle fut toute à l'amour.
Julien savait bien que le lendemain, dès huit heures du matin, Mathilde serait a la bibliothèque; il n'y parut qu'à neuf heures, brûlant d'amour, mais sa tete dominant son coeur. Il la trouva pâle, calme assise sur le divan, mais hors d'état¨ apparemment de faire un seul mouvement. Elle lui tendit la main: -Ami, je t'ai offensé,¨ il est vrai; tu peux être fâché contre moi... incapable; blessé dans son orgueil;
Julien ne s'attendait pas à ce ton si simple. Il fut sur le point de se trahir.¨ montrer ses sentiments;
-Vous voulez des garanties mon ami, ajouta-t-elle, après un silence qu'elle avait espéré voir rompre; il est juste. Enlevez-moi, partons pour Londres... Je serai perdue, à jamais déshonorée... Elle eut le courage de retirer sa main à Julien pour s'en couvrir les yeux.
-Eh bien! déshonorez-moi, dit-elle enfin avec un soupir, c' est une garantie.
Julien l'embrassa, mais à l'instant la main de fer du devoir saisit son coeur. Si elle voit combien je l'adore, je la perds. Ce jour-là et les suivants, il sut cacher l' excès de sa félicité.
Julien ne-s'abandonnait à l'excès de son bonheur que dans les instants où Mathilde ne pouvait en lire le expression dans ses yeux. Il s'acquittait avec exactitude du devoir de lui dire de temps à autre quelque mot dur. Quand la douceur de Mathilde, qu'il observait avec étonnement et l'excès de son dévouement¨ étaient sur le point de lui ôter¨ tout empire¨ sur lui-méme, il avait le courage de la quitter brusquement. fidèle amour; enlever; contrôle;
Pour la première fois Mathilde aima.
Elle se trouva enceinte¨ et l'apprit¨ aller avoir un enfant; dit avec joie à Julien.;
-Maintenant douterez-vous de moi? N'est-ce pas une garantie? Je suis votre épouse¨ à jamais. femme;
Cette annonce frappa Julien d'un étonnement profond. Il fut sur le point d'oublier le principe de sa conduite.
-Je veux écrire à mon père, lui dit un jour Mathilde; c'est plus qu'un père pour moi; c'est un ami.
-Grand Dieu! qu' allez-vous faire? dit Julien effrayé.
-Mon devoir, répondit-elle avec des yeux brillants de joi. Elle se trouvait plus magnanime¨ que son amant. généreuse, noble;
-Mais il me chassera avec ignominie.¨ déshonneur;
-C' est son droit, il faut le respecter .
Je vous donnerai le bras et nous sortirons par la port cochère¨ en plein midi. (en générela pour les serviteurs);
A minuit, en rentrant, le marquis trouva une lettre. Il l'ouvrit lui-même:
MON PÈRE,
Tous les liens sociaux sont rompus entre nous, il ne reste plus que ceux de la nature. Après mon mari, vous êtes et vous serez toujours l'être qui me sera le plus cher . Si votre amitié peut m'accorder¨ une petite pension, j'irai m'établir¨ où vous voudrez, en Suisse, par exemple, avec mon mari. Son nom est tellement obscur que personne ne reconnaîtra votre fille dans Mme Sorel. Je redoute¨ pour Julien votre colère, si juste en apparence. Je ne serai pas duchesse, mon père; mais je le savais en l'aimant: car c'est moi qui l'ai aimé la première, c'est moi qui l'a séduit. Ma faute est irréparable. Si vous l' exigez,¨ vous ne le verrez point, mais j'irai le rejoindre¨ où il voudra. C'est son droit, c'est mon devoir; il est le père de mon enfant... donner; installer; j'ai peur; voulez absolument; retrouver;
Que faire? se disait Julien pendant que M. de La Mole lisait la lettre, ce que je lui dois est immense.
Julien fut brusquement interrompu par le vieux valet de chambre de M. de La Mole.
Le marquis vous demande à l'instant, vétu ou non vétu.
Julien trouva le marquis furieux: pour la première fois de sa vie, peut-être ce seigneur fut de mauvais ton; il accabla¨ Julien de toutes les injures¨ qui lui vinrent à la bouche. bombarda; offenses;
-Monstre! s'écria le marquis. le jour où vous l'avez trouvé aimable, vous deviez fuir. -Je l'ai tenté;¨ alors, je vous demandai de partir pour le Languedoc essayé;
-Il fallait fuir, monsieur.
Votre devoir était de fuir. Vous êtes le dernier des hommes...
Julien s'approcha de la table et écrivit: "Depuis longtemps la vie m' est insupportable, j'y mets un terme:¨ Je prie monsieur le marquis d' agréer¨ mes excuses de l' embarras que ma mort dans son hôtel peut causer. fin; accepter;
-Que monsieur le marquis daigne¨ parcourir¨ ce papier. Tuez-moi, dit Julien, ou faites-moi tuer par votre valet de chambre. Il est une heure du matin, je vais me promener au jardin, vers¨ le mur du fond. veut bien; lire; dans la direction de;
-Allez à tous les diables, lui cria le marquis comme il s' en allait.
Mathilde avait vu son père vers les sept heures. Il lui avait montré la lettre de Julien; elle tremblait¨ qu'il n'eut trouve noble de mettre fin à sa vie. (à l'idée) ;
-S'il est mort, je mourrai, dit-elle à son père. C'est vous qui serez la cause de ma mort ... Vous vous en réjouirez¨ peut être... Mais je le jure à ses mânes¨ d'abord je prendrai le deuil, et serai publiquement "madame veuve Sorel". y trouverez du plaisir; sa mémoire;
Son amour allait jusqu'a la folie. A son tour, M. de La Mole fut interdit.¨ Il commença à voir les événements avec quelque raison. Au déjeuner, Mathilde ne parut point. Le marquis fut délivré d'un poids¨ immense, et surtout flatté, quand il s'aperçut qu'elle n'avait rien dit à sa mère. Quand Julien descendit de cheval, Mathilde le fit appeler et se jeta dans ses bras presque à la vue de sa femme de chambre. Julien de fut pas très reconnaissant de ce transport;¨ Mathilde, les larmes aux yeux, lui apprit qu'elle avait vu sa lettre de suicide. perplexe; charge pénible; élan;
-Mon père peut se raviser;¨ faites-moi le plaisir de partir à l'instant¨ pour Villequier-Adieu! fuis! changer d'opinion; immédiatement;
Julien obéit.
Mathilde résista avec fermeté à tous les projets "prudents" de son pére. Elle ne voulut jamais établir la négociation¨ sur d'autres bases que celles-ci: Elle serait madame Sorel, et vivrait pauvrement avec son mari en Suisse, ou chez son père à Paris. Elle repoussait¨ bien loin la proposition d'un accouchement¨ clandestin. baser les discussions; rejetait; mise au monde d'un enfant;
--Alors commencerait pour moi la possibilité de la calomnie¨ et du déshonneur. Deux mois après le mariage, j'irai voyager avec mon mari, il nous sera facile de supposer que mon fils est né à une époque convenable.¨ D'abord accueillie¨ par des transports¨ de colère, cette fermeté finit par donner des doutes au marquis. Dans un mouvement d'attendrissement -Tiens! dit-il à sa fille, voilà une inscription¨ de dix mille livres¨ de rentes; envoie-la à ton Julien, et qu'il me mette bien vite dans l'impossibilité de la reprendre. misance; décente; reçcue; mouvements; papier de valeur; (monaie);
Pour obéir à Mathilde dont il connaissait l'amour pour le commandement, Julien avait fait quarante lieues inutiles: il était à Villiquier, réglant les comptes des fermiers. Il était ivre d'ambition. Il ne pensait qu'à la gloire et à son fils.
Ce fut au milieu des transports de l'ambition la plus effrénée¨ qu'il fut surpris par un jeune valet de pied de l'hôtel de la Mole, qui arrivait en courrier. excessive;
"Tout est perdu, lui écrivait Mathilde; accourez¨ le plus vi-te possible. À peine arrivé, attendez-mq dans un fiacre;¨ près de la petite porte du jardin, au numero ... de la rue ... J'irai vous parler; peut-être pourrai-je vous introduire dans le jardin. Tout est perdu, et, je le crains, sans ressource;¨ comptez sur moi, vous me trouverez dévouée¨ et ferme dans l'adversité; Je vous aime." venez; voiture à cheval; réparation; fièle;
Julien se jeta dans une chaise de poste,¨ et ce fut avec une rapiditt presque incroyable qu'il arriva au lieu indiqué. La porte s'ouvrit et à l'instant Mathilde oubliant tout respect humain, se prtcipita"dans ses bras. diligence;
-Tout est perdu; mon père, craignant mes larmes, est parti dans la nuit de jeudi. Pour où? Personne ne le sait. Voici sa lettre; lisez. Et elle monta dans le fiacre avec Julien.
"Je pouvais tout pardonner, excepté¨ le projet de vous séduire parce que vous êtes riche. Voilà, malheureuse fille, l'affreuse vérité. Lisez la lettre que je reçois en réponse aux renseignements que j'avais demands. L'impudent¨ m'avait engagé¨ lui-même à écrire à Mme de Rénal." mais pas; le cynique; conseillé;
-Où est la lettre de Mme de Rénal? dit froidement Julien.
-La voici. Je n'ai voulu te la montrer qu'après que tu aurais été préparé.
LETTRE
"Ce que je dois à la cause sacrée de la religion et de la morale m'oblige, monsieur, à la démarche¨ pénible que je viens d'accomplir¨ auprés de vous. La douleur¨ que j'éprouve¨ doit être surmontée par le sentiment du devoir. Il n'est que trop vrai, monsieur, la conduite de la personne au sujet de laquelle¨ vous me demandez toute la vérité a pu sembler inexplicable ou même honnéte. Mais cette conduite, que vous désirez connaitre, a été dans le fait extrêmement condamnable¨ et plus que je ne puis le dire. Pauvre et avide¨ c'est à l'aide de l'hycocrisie la plus consommée¨ et par la aime séduction d'une femme faible et malheureuse que cet homme a cherché à se faire un état¨ et à devenir quelque chose. Il laisse après lui le malheur et des regrets éternels." etc.
action; faire; tristesse; j'ai; sur qui; à rejeter; qui aime l'argent; parfaite; une carrière;
Cette lettre était bien de la main de Mme de Rénal.
-Je ne puis blâmer M. de La Mole, dit Julien aprés l'avoir finie; il est juste et prudent. Quel père voudrait donner sa fille à un tel homme! Adieu! Julien sauta au bas du fiacre et courut à sa chaise de poste arrêtée au bout de la rue. Mathilde, qu'il semblait avoir oublite, fit quelques pas pour le suivre; mais les regards des marchands qui s'avançaient sur la porte de leurs boutiques, et desquels elle était connue, la forcèrent à rentrer précipitamment au jardin.
Julien était parti pour Verrières. Il arriva un dimanche matin. Il entra chez l'armurier¨ du pays. Il voulait une paire de pistolets. L'armurier, sur sa demande, chargea les pistolets. marchand d' armes;
Les "trois coups" sonnaient; c'est un signal bien connu dans les villages de France, et qui annonce le commencement immédiat de la messe.
Julien entra dans l'église neuve de Verrières et se trouva à quelques pas derrière le banc de Mme de Rénal. Il lui semblait qu'elle priait avec ferveur.¨ La vue de cette femme qui l'avait tant aimé fit trembler le bras de Julien. Il tira sur elle un coup de pistolet et la manqua; il tira un second, elle tomba. élan, feu;
Julien resta immobile, il ne voyait plus. Quand il revint un peu à lui, il aperçut les fidéles,¨ qui s'enfuyaient de l' église; le prêtre avait ouitté l'autel. Julien se mit ਠsuivre d'un pas assez lent quelques femmes qui s'en allaient en criant. Une femme qui voulait fuir plus vite que les autres le poussa rudement, il tomba. Ses pieds s'étaient embarrassés¨ dans une chaise renversée par la foule; en se relevant, il se sentit le cou serré; c'était un gendarme en grande tenue qui l'arrétait. Machinalement Julien voulut avoir recours ਠses petits pistolets, mais un second gendarme s'emparait de¨ ses bras. Il fut conduit à la prison. croyants; commençca; pris; prendre; prenait;
Mme de Rénal n' était pas blessée mortellement. La première balle avait perçé¨ son chapeau; comme elle se retournait, le second coup était parti. La balle l'avait frappée à l' épaule et, chose étonnante, avait été renvoyée par l'os de l'épaule, que pourtant elle cassa, contre un pilier gothique, dont elle détacha un énorme éclat¨ de pierre. Quand, après un pansement grave et douloureux, le chirurgien dit à Mme de Rénal: Je réponds de¨ votre vie comme de la mienne, elle fut profondément affligée.¨ Depuis longtemps, elle désirait sincérement¨ la mort. La lettre qui lui avait été imposée par son confesseur actuel et qu'elle avait écrite à M. de La Mole avait donné le dernier coup a cet être affaibli par un malheur trop constant. Ce malheur était l'absence de Julien; elle l'appelait, elle, le "remords".¨ fait un trou dans; moreau; garantis; attristée; sérieusement; la honte d'avoir fait des fautes;
Mourir ainsi, mais non de ma main, ce n'est point un péché.¨ pensait Mme de Rênal. Dieu me pardonnera peut-être de me réjouir de ma mort. Elle n'osait ajouter: Et mourir de la main de Julien, c'est le comble¨ des félicités.¨ faute; maximum; bonheur;
Un juge parut dans la prison.
-J'ai donné la mort¨ avec pré-méditation, lui dit Julien; j'ai acheté et fait charger les pistolets, chez un tel, l'armurier. L'articie 1342 du Code pénal est clair, je mérite la mort, et je l'attends. Epargne-moi¨ votre présence. Il me reste un ennuyeux devoir à remplir, pensa Julien, il faut écrire à Mlle de La Mole. tué; dispensez-moi de;
"Je me suis vengé, lui disait-il. Je mourrai dans deux mois. La vengeance a été atroce¨ comme la douleur d'être séparé de vous. De ce moment, je m'interdis d'écrire et de prononcer votre nom. Ne parlez jamais de moi, même à mon fils. Un an après ma mort, épousez¨ Monsieur de Croisenois: je vous l'ordonne comme votre époux.¨ Ne m'écrivez point, je ne répondrai pas. monstuese; mariez vous avec; mari;
J.S."
Ce fut après avoir fait partir cette lettre que, pour la première fois, Julien fut très malheureux. Chacune des espérances de l'ambition dut être arrachée¨ successivement de son coeur par ce mot: Je mourrai. La mort, en elle-même, n'était pas "horrible" à ses yeux. Quoi donc! se disait-il, si dans soixante jours je devais me battre en duel avec un homme très fort sur les armes, est-ce que j'aurais la faiblesse d'y penser sans cesse, et la terreur dans l'âme? Après ce raisonnement, qui au bout d'une minute lui sembla évident:Je n'ai plus rien à faire sur la terre, se dit Julien, et il s'endormit profondément. Vers les neuf heures du soir, le geôlier¨ le réveilla en lui apportant à sôuper. tirée; gardien;
-Que dit-on dans Verrières?
-Monsieur Julien sera bien content si je lui apprends que Mme de Rénal va mieux.
-Quoi!elle n'est pas mortes'écria Julien hors de lui.
-Quoi !vous ne saviez rien! dit le geôlier d'un air stupide.
À mesure que le récit¨ de cet homme prouvait¨ à Julien que la blessure de Mme de Rénal n'était pas mortelle, il se sentait gagné¨ par les larmes. Seulement alors, Julien commença à se repentir¨ du crime commis.¨ histoire; dmontrait; pris; sentir coupable; fait;
Ainsi elle vivra! se disait-il. Elle vivra pour me pardonner et pour m'aimer ... Le lendemain Fouqué arriva; cet homme simple et bon était éperdu¨ de douleur. Son unique idée, s'il en avait, était de vendre tout son bien pour séduire¨ le geôlier et faire sauver Julien. Il lui parla longuement de l'évasion.¨ Cette vue du "sublime" rendit a Julien toute la force. tr troublé; acheter; la fuite;
Les portes du donjon¨ s'ouvrirent de fort bonne heure le lendemain, Julien fut réveillé en sursaut. Ah! bon Dieu! pensa-t-il, voilà mon père. Quelle scène désagréable! Au même instant, une femme vêtue en paysanne se précipita¨ dans ses bras, il eut peine à la reconnaître. C'était Mlle de La Mole. tour de la prison; jeta;
-Méchant, je n'ai su que par ta lettre où tu étais. Ce que tu appelles ton crime, et qui n'est qu'une noble vengeance qui me montre toute la hauteur du coeur qui bat dans cette poitrine, je ne l'ai su qu'à Verrières.
Après ces premiers transports¨ et lorsqu'elle se fut rassasiée du bonheur de voir Julien, une curiosité vive s'empara¨ tout à coup de son àme. Elle examinait son amant, qu'elle trouva bien au-dessus de ce qu'elle s'était imaginé.¨ Boniface de La Mole lui semblait ressuscité¨ mais plus héroique. Mathilde vit les premiers avocats du pays. Elle arriva rapidement â cette idée qu'en fait de choses douteuses et d'une haute portée¨ tout dépendait â Besançon de M. l'abbé de Frilair. Après huit jours de sollicitations¨ elle obtint une audience. Il ne fallut que quelques instants à M. de Frilair pour amener Mathilde à lui avouer¨ qu'elle était la fille de son puissant adversaire,¨ le marquis de La Mole. Quel parti¨ puis-je tirer de ces étranges confidences? se disait-il. Me voici tout d'un coup en relation intime avec une amie de la célébre maréchale de Fervaques, nièce toute-puissante de Mgr. l' évêque de ..., par qui l'on est¨ évêque de France. Ce que je regardais comme reculé¨ dans l'avenir se présente à l'improviste! ceci peut me conduire au but de tous mes voeux.¨ extases; entre dans; avait pensé; vivant de nouveau; importance; demandes; confesser; rival; profit; (peut devenir); éloigné; désirs;
Mlle de La Mole le vit presque à ses pieds, ambitieux et vif. Tout s'éclaircit, pensa-t-elle, rien ne sera impossible ici. L'abbé de Frilair fit entendre à Mathilde qu'il pouvait disposer à son gré¨ du ministère public chargé de soutenir l'accusation de Julien. sa volonté;
Après que le sort aurait désigné les trente-six jurés de la session, il ferait une démarche¨ directe et personnelle envers trente jurés au moins. intervention;
Julien se trouvait peu digne de tant de dévouement;¨ à vrai dire, il était fatigué d'héroisme. Il est singulier¨ se disait Julien, un jour que Mathilde sortait de sa prison, qu'une passion vive et dont je suis l'objet me laisse tellement insensible! Et je l'adorais il y a deux mois! J'avais bien lu que l'approche de la mort désintéresse de tout; mais il est affreux¨ de se sentir ingrat et de ne pouvoir se changer. Je suis donc un égoiste? Il se faisait à ce sujet les reproches les plus humiliants. L'ambition était morte en son coeur, une autre passion y était sortie de ses cendres, il l'appelait le remords¨ d'avoir assassiné Mme de Rénal. Dans le fait, il en était éperdument¨ amoureux. loyalisme; curieux; abominable; regrets; follement;
Pendant que l'âme de Julien était presque toujours tout entière dans le pays des idées, Mathilde, occupée des choses réelles, avait su avancer à un tel point l'intimité de la correspondance directe entre Mme de Fervaques et M. de Frilair que dtjà le grand mot "évêché" avait été prononcé. Ce fut avec plaisir que, le lendemain, parmi les noms sortis de l'urne, M.deFrilair trouva les cinq congréganistes de Besançon, et parmi les étrangers à la ville, les noms de MM. Valenod, de Moirod, de Cholin.
-Je réponds¨ d'abord de ces huit jurés-ci, dit-il à Mathilde. Enfin parut le jour tellement redouté¨ de Mme de Rénal et de Mathilde. Toute la province était accourue à Besançon pour voir juger cette cause romanesque. A neuf heures, quand Julien descendit de sa prison pour aller dans la grande salle du Palais de Justice, ce fut avec beaucoup de peine que les gendarmes parvinrent¨ à écarter¨ la foule immense entassée dans la cour. Julien avait bien dormi, il était fort calme et n'éprouvait¨ d'autre sentiment qu'une pitié philosophique pour cette foule d'envieux¨ qui, sans cruauté allaient applaudir à son arrêt de mort. En entrant dans la salle du jugement, il fut frappé de l'élégance de l'architecture. Mais bientôt toute son attention fut absorbée par douze ou quinze jolies femmes qui remplisaient les trois balcons au-dessus des juges et des jurés. me porte garant; craint; réussirent; tenir à distance; avait; gens désireux de voir;
Quand tous les yeux qui cherchaient Julien s'aperçurent de sa présence, en le voyant occuper la place un peu élevée réservée à l'accusé, il fut accueilli par un murmure d'étonnement et de tendre intérêt. Les témoins furent vite entendus. L'avocat général faisait du pathos en mauvais français sur la barbarie du crime commise.¨ Quand le président des assises¨ lui demanda s'il avait quelque chose à ajouter, il se leva. fait; de la cour;
"Messieurs les jurés, je n'ai point l'honneur d'appartenir à votre classe; vous voyez en moi un paysan qui s'est révolté¨ contre la bassesse de sa fortune. Je ne vous demande aucune grâce. Je ne me fais point illusion; la mort m'attend elle sera juste. J' ai pu attenter aux jours de essayé de tuer la femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages. Mme de Rénal avait été pour moi comme une mére. Mon crime est atroce,¨ et il fut "prémédité". J'ai donc mérité la mort." Malgré le tour un peu abstrait que Julien avait donné à la discussion, toutes les femmes fondaient en larmes. Une heure sonnait comme les jurés se retiraient dans leur chambre. Ce moment était solennel; les lumières jetaient moins d'éclat. Comme deux heures venaient de sonner, un grand mouvement sue fit entendre. La petite porte de la chambre des jurés s' ouvrit. M. le baron de Valenod s'avança d'un pas grave et théâtral, il était suivi de tous les jurés. Il toussa, puis déclara qu'en son âme et conscience la déclaration unanime du jury était que Julien était coupable de meurtre, et de meurtre avec préméditation: cette déclaration entrainait¨ la peine¨ de mort; elle fut prononcée un instant après. Julien regarda sa montre: il était deux heures et un quart. C'est aujourd'hui vendredi, pensa-t-il. rebell; abominable; avait pour conséquence; punition;
Oui, mais ce jour est heureux pour le Valenod. Quelle joie pour le Valenod de se venger de notre ancienne rivalité auprès de Mme de Rénal... Je ne la verrai donc plus! En ramenant Julien en prison, on l'avait introduit dans une chambre destinée aux condamnes au mort. En se mettant au lit il trouva des draps d'une toile grossière. Il s'endormit.
Quelqu'un le réveilla le matin en le serrant fortement.
-Quoi! déjà! dit Julien en ouvrant un oeil hagarde.¨ effaré;
Il se croyait entre les mains du bourreau.¨ C 'était Mathilde; elle n'était pas reconnaissable. exécuteur;
-Cet infâme Frilair m'a trahie, lui disait-elle en se tordant les mains; la fureur empechait de pleurer.
-N'étais-je pas beau hier quand j'ai pris la parole? répondit Julien. J'improvisais et pour la première fois de ma vie. Il est vrai qu'il est à craindre que ce ne soit aussi la dernière!
Mathilde lui répétait d'une voix éteinte¨ mourante;
-Il est là dans la pièce voisine. Enfin il fit attention à ses paroles. Sa voix est faible, pensa-t-il, mais tout ce caractère impétueux¨ est encore dans son accent. Elle baisse la voix pour ne pas se fâcher. violent;
-Et qui est là? lui dit-il d'un air doux.
- L'avocat, pour vous faire signer votre appel.
-Je n'appellerai pas.
-Comment? vous n'appellerez pas, dit-elle en se levant et les yeux éticelants¨ de colère, et pourquoi, s'il vous plaît? brillants;
-Parce que, en ce moment, je me sens le courage de mourir.
Mlle de la Mole, ne pouvant rien obtenir de Julien, fit entrer l'avocat. Pour la forme il combattit la résolution du condamné. Et lorsque Mathilde sortit enfin avec l'avocat il se sentait beaucoup plus d'amitié pour l'avocat que pour elle.
Une heure après, comme il dormait profondément, il fut éveillé par des larmes qu'il sentait couler sur sa main. Ah! c'est encore Mathilde, pensa-t-il à demi éveillé. Il entendit un soupir singulier; il ouvrit les yeux, cittait Mme de Rénal.
-Ah! je te revois avant de mourir, est-ce une illusion? s'écria-t-il, en se jetant a ses pieds. Mais pardon, madame, je ne suis qu'un assassin à vos yeux, dit-il el'instant¨ en revenant à lui. tout de suite;
-Monsieur... je viens vous conjurer¨ d'appeler, je sais que vous ne le voulez pas. Ses sanglots l'étouffaient;¨ elle ne pouvait parler. suplier; lui coupaient la respiration;
-Daignez¨ me pardonner. veuillez;
-Si tu veux que je te pardonne, lui dit-elle en se levant et se jetant dans ses bras, appelle tout de suite de ta sentence de mort. Julien la couvrait de baisers.
-Viendras-tu me voir tous les jours pendant ces deux mois?
-Je te le jure. Tous les jours, à moins que mon mari ne me le défende.
-Je signe! s'écria Julien. Quoi! tu me pardonnes! Est-il possible?... Sache que je t'ai toujours aimée, que je n'ai aimé que toi.
-Est-il bien possible étcria Mme de Rénal, et longtemps ils pleurèrent en silence. À aucune époque de sa vie Julien n' avait trouvé un moment pareil.
Quelque âme charitable informa, sans doute, M. de:Rênal des longues visites que sa femme faisait à la prison de Julien; car au bout de trois jours il envoya sa voiture avec l'ordre exprès de revenir sur-le-champ ¨ à Verrières. immédiatement;
Un évènement désagréable l'attendait pour le lendemain; ce jour-là, avant le réveil de Julien, le vieux charpentier en cheveux blancs parut dans le cachot. Julien se sentit faible. Les reproches¨ sévères¨ du vieillard commencèrent qu'ils furent sans témoin. Julien ne put retenir ses larmes. Quel indigne faiblesse! se dit-il avec rage. Son esprit parcourait rapidement toutes les possiblités. mots de critique; durs;
-J'ai fait des économies! s'écria-t-il tout à coup.
Ce mot de génie changea la physionomie du vieillard et la position de Julien. Le vieux charpentier brûlait du désir de ne pas laisser échapper cet argent. Il parla longtemps et avec feu. Julien fut goguenard.¨ ironique;
Voilà donc l'amour de pere! se répétait Julien, l'âme navrte¨ lorsque enfin il fut seul. attristée;;
Il n'en fut que plus heureux au retour de Mme de Pénal.
-Mon premier devoir est envers toi, lui dit-elle, en brassant; je me suis sauvée de Verrières...
A force d'or, Mme de Rénal obtint de le voir deux fois par jour.
A cette nouvelle, la jalousie de Mathilde s'exalta¨ jusqu'à l'égarement.¨ Au milieu de tous ces tourments,¨ elle ne l'en aimait que plus et, presque chaque jour, lui faisait une scène horrible. Julien voulait à toute force être honnête homme jusqu'à la fin envers cette pauvre jeune fille; mais, à chaque instant l'amour effétné¨ qu'il avait pour Mme de Rénal l'emportaits.¨ Il employa plusieurs journtes à lui prouver qu'elle devait accepter la main de M. de Luz. s'anima; filie; doulers; fou; triomphait;
-C'est un homme timide, il ne fera aucune difficulté d'épouser la veuve de Julien Sorel.
-Et une veuve qui méprise les grandes passions, répliqua froidement Mathilde; car elle a assez vécu pour voir, après six mois, son amant lui préférer une autre femme, et une femme, origine de tous leurs malheurs.
Pour Julien, excepté dans les moments usurpés¨ par la présence de Mathilde, il vivait d'amour et sans presque songer¨ à l'avenir. Le mauvais air du cachot devenait insupportable à Julien. Par bonheur, le jour où on lui annonça qu'il fallait mourir, un beau soleil réjouissait¨ la nature, et Julien était en veine de courage. d'humeur courageuse Allons, tout va bien, se dit-il, je ne manque pas de courage. pris; penser; rendait agréable;
Jamais cette tête n'avait été aussi poétique qu'au moment où elle allait tomber.
Tout se passa simplement, convenablement;¨ et de sa part sans de façon affectation.¨ digne; pose;
L'avant-veille¨ il avait dit à Fouqé: deux jours avant;
-Pour de l'émotion, je ne puis en répondre,¨ mais de la peur, non, on ne me verra pas pâlir. assurer;
Il avait pris ses arrangements à l'avance pour que, le matain du dernier jour, Fouqué enlevât¨ Mathilde et Mme de Rênal. Fouqué réussit dans cette triste négociation.¨ Il passait la nuit seul dans sa chambre, auprès du corps de son ami lorsque à sa grande surprise, il vit entrer Mathilde. Peu d' heures auparavant il l'avait laissée à dix lieues de Besançon. Elle avait le regard et les yeux égarés.¨ emmenât; entreprise; fous;
-Je veux le voir, lui dit-elle.
Fouqué n' eut pas le courage de parler ni de se lever. Il lui montra du doigt un grand manteau bleu sur le plancher; là était enveloppé ce qui restait de Julien. Elle se jeta à genoux. Le souvenir de Boniface de La Mole et de Marguerite de Navarre lui donna sans doute un courage surhumain. Ses mains tremblantes ouvrirent le manteau. Fouqué détourna les yeux. Il entendit Mathilde marcher avec précipitation¨ dans la chambre. Elle allumait plusieurs bougies. Lorsque Fouqué eut la force de regarder, elle avait placé sur une petite table de marbre, devant elle, la tête de Julien et la baisait au front ... Mathilde suivit son amant jusqu'au tombeau qu'il s'était choisi.Un grand nombre de prêtres escortaient la biére,¨ et, à l'insu de tous, seule dans sa voiture drapée elle porta sur ses genoux la tête de l'homme qu' elle avait tant aimé. rapidement; caiseoù on enferme un mort;
Restée seule avec Fououé, elle voulut ensevelir¨ de ses propres mains la tête de son amant. Fouqué faillit en devenir fou¨ de douleur enterrer; en devenait presque fou;
Par les soins de Mathilde, cette grotte sauvage fut ornée de marbres sculptés à grands frais en Italie. Mme de Rênal fut fidèle à sa promesse. Elle ne chercha en aucune manière à attenter à sa vie;¨ mais trois jours après elle mourut en embrassant ses enfants. FIN se suicider;

29. Victor Hugo

29.1. Notre-Dame de Paris

Ce n'est pas un jour dont l'histoire ait gardé souvenir que le 6 janvier 1482; ce qui mettait en émotion tout le populaire de Paris, c'etait la double solennité¨ réunie depuis an temps immémorial, du jour des Rois; et de la Fête des Fous. Ce jour-là, il devait y avoir feu de joie à la Grève, plantation de mai à la chapelle de Braque et mystére¨ au Palais de Justice. fête; jeu de théatre;
La foule¨ des bourgeois et des bourgeoises s'acheminait¨ donc de toutes parts¨ dès le matin, maisons et boutiques fermées, vers l'un des endroits désignés.¨ Il faut dire que la plus grande partie de cette foule se dirigeait¨ vers le mystère, qui devait être représenté¨ dans la grand'salle du Palais. masse; allait; côtés; indiqués; allait; joué;
Ce n'était qu'au douzième coup de midi sonnant à la grande horloge du Palais que la pièce devait commencer. La foule s'épaississait¨ à tout moment. La gêne, l'impatience, l'ennui, la liberté d'un jour de cynisme et de folie, la fatigue d'une longue attente donnaient déjà, bien avant l'heure, un accent aigre¨ et amer à la clameur¨ de ce peuple enfermé. agrandissait; désagréable; tumulte;
En ce moment midi sonna.
"Ha!" dit la foule d'une seule voix.
Une musique de hauts et bas instruments se fit entendre; la tapisserie se souleva; quatre personnages se rangèrent devant le public, qu'ils saluèrent profondément; alors la symphonie se tut.¨ C'était le mystère qui commençait. s'arrêta;
Les quatre personnages entamèrent¨ un prologue. Dans cette foule il n'y avait pas une oreille plus attentive que le coeur de l'auteur, du poète, de ce brave Pierre Gringoire. Les bienveillants applaudissements qui avaient accueilli¨ le début de son prologue retentissaient¨ encore dans ses entrailles¨ Mais cette première extase fut bien vite troublée. commencèrent; reçu; résonnaient; son coeur;
Un mendiant déguenillé¨ qui ne pouvait faire recette, perdu qu'il était au milieu de la foule, s'e mit à dire d'un air dolent¨ en fermant ses yeux à demi: "La charité, ¨ s'il vous plait!" en vêtements déchirés; malheureux; un peu d'argent;
Gringoire était fort¨ mécontent. Revenu de sa première stupefaction, ¨ il s'évertuait¨ à crier aux quatre personnages en scène: "Continuez! que diable, continuez!" Les acteurs avaient obéi à son injonction, ¨ et le public, voyant qu'ils se remettaient¨ à parler, s'était remis a écouter. très; perplexité; s'efforçait; ordre; recommencaient;
Tout à coup la porte de l'estrade¨ réservée s'ouvrit plus mal à propos¨ encore; et la voix retentissante¨ de l'huissier¨ annonça brusquement: "Son Eminence, monseigneur le cardinal de Bourbon." podium; a un moment moins favorable; sonore; annonceur;
Pauvre Gringoire! L'entrée de son éminence bouleversa¨ l'auditoire. Toutes les têtes se tournèrent vers l'estrade. Gringire voyait s'écrouler¨ pièce a pièce tout son echafaudage¨ de gloire et de poesie! Pourtant les acteurs continuaient bravement. Mais ne voilà-t-il pas que maitre Coppenole, le chaussetier, se lève tout à coup, et que Gringoire lui entend prononcer, au milieu de l'attention universelle, cette abominable harangue: ¨ troubla; tomber; position; discours;
"Messieurs les bourgeois et hobereaux¨ de Paris, je ne sais, croix-Dieu, pas ce que nous faisons ici. On m'avait promis une fête de fous, avec élection¨ du pape.¨ Nous avons aussi notre pape des fous a Gand.¨ Mais voici comme nous faisons: on se rassemble en cohue¨ comme ici; puis chacun va à son tour passer sa tête par un trou et fait une grimace aux autres; celui qui fait la plus laide à l'acclamation de tous, est elu¨ pape. Voilà. Qu'en dites-vous, messieurs les bourgeois?" nobles; nomination; chef; ville en Belgique; masse; choisi;
La motion du chaussetier populaire fut accueillie¨ avec un tel enthousiasme que toute résistance¨ était inutile. Il n'y-avait-qu'à ¨ se laisser aller au torrent.¨ Gringoire cacha son visage de ses deux mains. En un clin-d'oeil¨ tout fut prêt pour exécuter¨ l'idée de Coppenole. Bourgeois, écoliers et basochiens¨ s'étaient mis à l'oeuvre. reçue; opposition; la seule chose à; courant; moment; realiser; étudiants;
Les grimaces commencèrent. La première figure¨ qui apparut à la lucarne¨ fit éclater un rire tellement inextinguible¨ qu'Homère eût pris tous ces manants¨ pour des dieux. Une seconde, une troisième grimace succédèrent.¨ L'orgie devenait de plus en plus flamande. Le tout criait et hurlait. Et de toute cette foule effervescente¨ s'échappa une rumeur aigre: "Noël! Noël!" Le pape des fous était élu.¨ visage; ouverture; impossible à arrêter; gens; suivirent; agitée; choisi, nommé;
"Noêl! Noël! Noël!"criait le peuple de toutes parts. C'était une merveilleuse¨ grimace, en effet, que celle que qui rayonnait en ce moment au trou. L'acclamation fut unanime. On se-précipita¨ vers la chapelle. On en fit sortir en triomphe le bienheureux pape des fous. Mais c'est alors que la surprise et l'admiration furent à leur comble¨ La grimace était son visage. Ou plutôt toute sa personne etait une grimace. Une grosse tête hérissée de¨ cheveux roux; entre les deux épaules une bossé énorme; de larges pieds, des mains monstrueuses; tel était le pape que les fous venaient de se donner. Quand cette espece de cyclope parut sur le seuil de¨ la chapelle, la populace le reconnut sur-le-champ¨ et s'écria d'une voix: "C'est Quasimodo, le sonneur de cloches! C'est Quasimodo, le bossu de Notre Dame! Noêl!" Cependant tous les mendiants, tous les laquais, tous les coupe-bourses, réunis aux écoliers, avaient été chercher la tiare de carton et la simarre¨ dérisoire¨ s'en laissa revêtir¨ sans sourciller.¨ Puis on le fit asseoir sur un brancard bariole.¨ Douze officiers de la confrérie¨ des fous l'enlevèrent¨ sur leurs épaules; puis la procession se mit en marche pour faire, selon l'usage¨ la tournée intérieure des galeries du Palais. fantastique; courut; plus haut point; d'où sortaient; à la porte; immédiatement; tunique; ridicule du pape des fous. Quasimodo; habiller; montrer de l'émotion; multi-colore; club; soulevèrent; tradition;
Quand Gringoire sortit du palais, il lui tardait¨ d'aborder¨ quelque ruelle¨ obscure et déserte-pour y méditer à son aise¨ et pour que le philosophe¨ posât le premier appareil sur la blessure du poète. il aviat besoin; arriver à; petite rue; sans être gêné; (le philosophe en lui);
Lorsque Pierre Gringoire arriva sur la place de Grève, il était transi.¨ Il lui semblait en outre¨ que la chute¨ de sa pièce le rendait plus frileux¨ encore. Aussi se hâta-t-il de s'approcher du feu de joie qui brûlait magnifiquement au milieu de la place. Mais une foule¨ considerable¨ faisait cercle à l'entour. glacé; aussi; l'échec; glacé; masse; très grande;
En examinant de plus pres, il s'aperçut que le cercle était beaucoup plus grand qu'il ne fallait pour se chauffer au feu. Dans un vaste¨ espace laissé libre entre la foule et le feu, une jeune fille dansait. Elle n'était pas grande, mais elle le semblait, tant sa taille fine s'élançait hardiment.¨ Elle dansait, elle tournait, d'une façon elle tourbillonnait¨ et ses grands yeux noirs vous jetaient un éclair.¨ Autour d'elle tous les regards étaient fixes, toutes les bouches ouvertes. La jeune fille s'arrêta enfin, et le peuple l'applaudit avec amour. "Djali," dit la bohémienne. large; d'une façon osée; pirouettait; regard vif;
Alors Gringoire vit arriver une jolie petite chèvre blanche.
"Djali, dit la danseuse; à quel mois sommes-nous de l'an-née?"
La chèvre leva son pied de devant et frappa un coup sur le tambour.On était en effet au premier du mois.La fou-le applaudit.
"Djali, reprit la jeune fille, à quel jour du mois sommes-nous?" Djali leva son petit pied d'or et frappa six coups sur le tambour. "Il y a de la sorcellerie¨ là-dessous" dit une voix sinistre dans la foule. La jeune fille se retourna effrayée;¨ c'était une voix de femme. Du reste, ce cri mit en joie une troupe d'enfants. magie noire; paniquée;
"C'est la recluse¨ de la Tour-Roland," s'écrièrent-ils avec des rires désordonnés. "Est-ce qu'elle n'a pas soupé? portons-lui quelque reste du buffet de ville!" Gringoire avait profité du trouble de la danseuse pour s'éclipser.¨ La clameur-des enfants lui rappela que lui aussi n'avait pas soupé. femme qui vit retirée; disparaître;
C'est une chose importune¨ de se coucher sans souper; c'est une chose moins riante encore de ne pas souper et de ne savoir où coucher. Gringoire en était là; il se voyait pressé¨ de toutes parts¨ par la nécessité.¨ désagréable; attaqué; côtés; besoin;
Cette melancolique rêverie l'absorbait de plus en plus, lorsqu'un chant bizarre, quoique plein de douceur, vint brusquement l'en arracher.¨ C'etait la jeune égyptienne. Il en était de sa voix comme de sa danse, comme de sa beauté. C'était indéfinissable et charmant; quelque chose de pur, de sonore. Gringoire se sentait venir les larmes aux yeux. Le moment fut court. La même voix de femme qui avait interrompu la danse de la bohémienne vint interrompre son chant. le trirer de;
"Te tairas-tu,¨ cigale de l'enfer?" cria-t-elle. arrête de chanter;
La pauvre "cigale" s'arrêta court. Cependant les spectateurs murmuraient: "au diable la sachette!" disait plus d'un.Et la vieille trouble-fête eût pu avoir à se repentir¨ de ses agressions contre la bohémienne, s'ils-n' eussent été distraits en ce moment même par la procession du pape des fous qui débouchait¨ dans la place de Grève, avec toutes ses torches et toute sa rumeur. L'on vit tout a coup, au moment où Quasimodo passait triomphalement devant la Maisons-aux-Piliers, un homme s'élancer de la foule et lui arracher des mains, avec un geste de colère¨ sa crosse de bois doré, insigne de sa folle papauté. regretter; arrivait; fureur;
Cet homme, ce téméraire¨ c'était dom Claude Frollo, l'archidiacre. imprudent;
Un cri de douleur s'éleva. Le formidable Quasimodo s'était précipité¨ à bas du brancard, et les femmes détournaient les yeux pour ne pas le voir déchirer l'archidiacre. Il fit un bond jusqu'au prètre, le regarda, et tomba à genoux. Le prêtre lui arracha sa tiare, lui brisa sa crosse. Enfin l'archidiacre lui fit signe de se lever et de le suivre. jeté;
Quasimodo se leva et suivit l'archidiacre. "Voilà qui est merveilleux," dit Gringoire; "mais ou, diable trouverai-je à souper?"
Gringoire, à-tout-hasard¨ s'était-mis-à suivre la bohémienne. Il lui avait vu prendre, avec sa chèvre, la rue vait commen-de la Coutellerie.Il marchait tout pensif derrière la ce; jeune fille qui hâtait le pas et faisait trotter¨ sa jolie chèvre. sans but; marcher;
Les rues cependant devenaient à tout moment plus noires et plus désertes. Au tournant d'une rue qui venait de la lui faire perdre de vue, il l'entendit pousser un cri perçant. Il hâta le pas. La rue était pleine de ténèbres.¨ Pourtant une étoupe¨ imbibée d'huile¨ permit à Gringoire de distinguer¨ la bohémienne se débattant¨ dans les bras de deux hommes qui s'efforçaient¨ d'étouffer¨ ses cris. Gringoire s'avança bravement. L'un des hommes qui tenaient la jeune fille se tourna vers lui. C'était la formidable figure de Quasimodo. Gringoire ne prit pas la fuite, mais Quasimodo le jeta à quatre pas sur le pavé et s'enfonça¨ rapidement dans l'ombre¨ emportant la jeune fille. Son compagnon le suivait. nuit; fil; mis dans l'huile; voir; défendant; essayant; retenir; disparut; nuit;
"Au meurtre! au meurtre!" criait la malheureuse bohémienne.
"Halte-là, misérables, et lâchez-moi cette ribaude!"¨ dit tout a coup d'une voix de tonnerre un cavalier qui déboucha¨ brusquement d'un carrefour voisin. C'était un capitaine des archers.¨ Il arracha la bohémienne des bras de Quasimodo stupéfait,¨ la mit en travers sur sa selle. Seize archers qui suivaient de près leur capitaine parurent. Quasimodo fut enveloppé,¨ saisi, garrotté.¨ Son compagnon avait disparu dans la lutte. La bohémienne se dressa gracieusement sur la selle de l'officier et dit: jeune fille; arriva; police; perplexe; entouré; lié;
"Comment vous appelez-vous, monsieur le gendarme?"
"Le capitaine Phoebus de Châteaupers, pour vous servir, ma belle!" répondit l'officier en se redressant.
"Merci, "dit-elle; et elle se laissa glisser à bas du cheval et s'enfuit.
Gringoire tout étourdi¨ de sa chute, était resté sur le pave. Peu à peu, il reprit ses sens.¨ Il fit un effort surnaturel, se leva debout, et s'enfuit. knock-out; connaissance;
Après avoir couru pendant quelque temps, notre poète s'arrêta tout à coup. La longue ruelle¨ n'était pas déserte. Ça et là rampaient¨ je ne sais quelles masses vagues et informes. rue étroite; marchaient à pas de loup;
Gringoire continua de s'avancer, et eut bientôt rejoint¨ celle de ces larves qui se traînait¨ le plus paresseusement¨ à la suite des autres.¨ En s'approchant il vit que ce n'etait rien autre chose qu'un miserable culde-jatte.¨ Au moment ou il passa pres de cette espece¨ d'araignée à face humaine, elle éleva vers lui une voix lamentable: fut près de; marchait; lentement; derrière les autres; sans jambes; sorte;
"La buona mancia, signor! la buona mancia!"
"Que le diable t'emporte, dit Gringoire, et il passa outre.¨ Il rejoignit¨ une autre de ces masses ambulantes, et l'examina. C'etait un perclus,¨ à la fois¨ boiteux¨ et manchot,¨ qui le salua au passage, en lui criant aux oreilles: "Senor caballero, para comprar un pedaso de pan!" plus loin; arriva à; invalide; en même temps; à jambe invalide; qui a perdu un bras;
Gringoire voulut doubler le pas; mais pour la troisième fois quelque chose lui barra le chemin. Ce quelque chose, ou plutôt ce quelqu'un, c'était un aveugle qui lui nasilla¨ avec un accent hongrois: "Facitote caritatem!" parla du nez;
"A-la-bonne-heure,"¨ dit Gringoire; "mon ami, j'ai vendu la semaine passée ma dernière chemise." eh bien;
Cela dit, il tourna le dos à l'aveugle, et poursuivit son chemin; mais l'aveugle se mit à allonger¨ le pas en même temps que lui, et voilà que le perclus, voilà que le cul-de-jatte surviennent de leur coté avec grande hâte. Gringoire se mit à courir. L'aveugle courut. Le boiteux courut. Le cul-de-jatte courut. Enfin il atteignit¨ l'extrémité¨ de la rue. Elle débouchait¨ sur une place immense, où mille lumières éparses¨ vacillaient¨ dans le brouillard confus¨ de la nuit. hâter; arriva à; bout; manait à; différents; tremblaient; peu clair;
"Ondè vas, hombre!" cria le perclus.Et le cul- de-jatte, debout sur ses pieds, coiffait¨ Gringoire de sa lourde mit sur la jatte¨ ferrée, et l'aveugle le regardait en face avec des yeux flamboyants.¨ mit sur la tête; jambe; enflammés;
"Où suis-je?" dit le poète terrifié. "Dans la Cour des Miracles," répondit un quatrième spectre¨ qui les avait accostés.¨ fantôme; leur avait parlé;
Le pauvre poète jeta les yeux autour de lui. Il était en effet dans cette cour redoutable,¨ où jamais honnête homme n'avait pénétré¨ à pareille heure. En ce moment, un cri distinct¨ s'éleva dans la cohue¨ bourdonnante qui l'enveloppait: "Menons-le au roi! menons-le au roi!" dangereuse; était entré; clair; masse;
On l'entraîna.¨ emmena;
Le spectacle qui s'offrit à ses yeux, quand son escorte le deposa enfin au terme¨ de sa course,¨ n'était pas propre ਠle ramener à la poésie. Autour d'un grand feu, quelques tables vermoulues étaient dressées ça et là. Un tonneau était près du feu, et un mendiant sur le tonneau. C' était le roi sur son trône. Les trois qui avaient Gringoire, l'amenèrent devant ce tonneau.Le roi, du haut de sa futaille,¨ lui adressa la parole: "Qu'est-ce que c'est que ce maraud-là?"¨ fin; marche; fait pour; tonneau; canaille;
Gringoire tressaillit.¨ Cette voix lui rappela une autre voix, qui le matin même avait porté le premier coup à son mystère en nasillant¨ au milieu de l'auditoire: "La du charité, s'il vous plait!" Il leva la tête. C'était en effet Clopin Trouillefou. trembla; parlant du nez;
Gringoire avait repris quelque espoir en reconnaissant dans le roi de la Cour des Miracles son maudit mendiant de la grand'salle.
"Maître," balbutia-t-il¨ "Monseigneur...Sire...Comment dois-je vous appeler?" dit-il difficilement;
"Monseigneur, sa majesté, ou camarade, appelle-moi comme tu voudras. Mais dépêche.¨ Qu'as-tu à dire pour ta défense. Tu es entré dans le royaume d'argot¨ sans être argotier; Tu as violé¨ les privilèges de notre ville.Tu dois être puni; tu vas être pendu. Comme vous traitez les nôtres chez vous, nous traitons les vôtres chez nous." fais vite; du Milieu; agi contre;
Les argotiers le firent monter sur l'escabeau.¨ Clopin vint à lui, lui passa la corde au cou. "Maintenant," reprit Clopin Trouillefou, "dès que je frapperai des mains, Andry le Rouge, tu jetteras l'escabelle a terre d'un coup de genou." tabouret;
Gringoire frissonna.¨ trembla;
"Y etes-vous?" dit Clopin Trolillefou aux trois argotiers prêts à se précipiter¨ sur Gringoire. Mais il s'arrêta, comme averti¨ par une idée subite. jeter; illuminé;
"Un instant!" dit-il; "j'oubliais!...Il est d'usage¨ que nous ne pendons pas un homme sans demander s'il y a une femme qui en veut." Puis se levant debout sur son tonneau: "Personne n'en veut?" cria-t-il. En ce moment un cri s'éleva parmi les argotiers: "La Esmeralda! la Esmeralda!" tradition;
Gringoire tressaillit¨ et se tourna du coté d'où venait la clameur.¨ La foule¨ s'ouvrit, et donna passage à une pure et éblouissante¨ figure.C'était la bohémienne. trembla; cri; masse; fascinante;
"La Esmeralda!" dit Gringoire, stupéfait.¨ Elle s'approcha. perplexe;
"Vous allez pendre cet homme?" dit-elle gravement à Clopin.
"Oui, soeur, répondit le roi de Thunes; à moins que¨ tu ne le prennes pour mari." sauf si;
"Je le prends," dit-elle.
On détacha le noeud coulant,¨ on fit descendre le poète de l'escabeau. Le duc d'Egypte, sans prononcer une parole, apporta une cruche¨ d'argile. La bohémienne la présenta à Gringoire: "jetez-la à terre," lui dit-elle. (de la corde); vase;
La cruche se brisa en quatre morceaux. "Frère, dit alors le duc d'Egypte;elle est ta femme; soeur, il est ton mari. Pour quatre ans. Allez."
Au bout de quelques instants, notre poète se trouva dans une petite chambre, et tête à tête avec une jolie fille, qui ne paraissait faire aucune attention à lui. Gringoire s'approcha de la jeune fille d'une façon si galante qu'elle recula.¨ fit un pas en arriere;
"Que me voulez-vous donc?" dit-elle.
"Pouvez-vous me le demander, adorable Esmeralda?" répondit Gringoire; ne suis-je pas à toi, douce amie? n'es-tu pas à moi?"
"Il faut que tu sois un drôle bien hardi!"¨ osé;
"Pardon mademoiselle," dit Gringoire en souriant; "mais pourquoi donc m'avez-vous pris pour mari?"
"Fallait-il te laisser pendre?"
Gringoire hasarda une question délicate: "Vous ne voulez donc pas de moi pour votre mari:"
La jeune fille le regarda fixement, et dit: "Non."
Gringoire n'en-poursuivit pas moins.¨ continua malgré tout;
"Comment faut-il donc être pour vous plaire?"
"Il faut être homme. Je ne pourrai aimer qu'un homme qui pourra me protéger."

Il y avait seize ans à l'époque où se passe cette histoire que, par un beau matin de dimanche de la Quasimodo,¨ une creature vivante avait éte déposée après la messe dans l'église de Notre-Dame. C'était une peite masse fort¨ anguleuse¨ et fort remuante, emprisonnee dans un sac de toile avec une tête qui sortait. Cette tête était une chose assez difforme. On n'y voyait qu'une forêt de cheveux roux, un oeil, une bouche et des dents. L' oeil pleurait, la bouche criait, et les dents ne paraissaient qu'à mordre. Le tout se débattait dans le sac, au grand ébahissement¨ de la foule qui grossissaient et se renouvelait sans cesse à l'entour. dimanche après Pâques; très; active; étonnement;
Un jeune prêtre écarta silencieusement la foule, examina le petit, et étendit la main sur lui. "J'adopte cet enfant," dit le prêtre. Il le prit dans sa soutane¨ et l'emporta. toge, robe;
Or, en 1482, Quasimodo avait grandi. Il était devenu, de-puis plusieurs années, sonneur de cloches de Notre-Dame, grâce à son père adoptif Claude Frollo. Aussi la reconnaissance de Quasimodo était-elle sans borne.¨ L'archidiacre avait en Quasimodo l'esclave le plus soumis, le valet le plus docile.¨ limite; obéissant;
Maitre Florian, l'auditeur, feuilleta avec attention le dossier de la plainte¨ dressée contre Quasimodo.Il renversa sa tète en arrière et ferma les yeux à demi. C'est dans cette magistrale attitude qu'il commença l'interrogatoire: "Votre nom?" accusation;
Quasimodo, que rien n'avertissait¨ de la question à lui adressée, continua de regarder le juge fixement et ne répondit pas. Le juge, sourd et que rien n'avertissait de la surdite de l'accusé, crut qu'il avait répondu. préparait à;
"Vous êtes accusé, par-devant nous: primo, de trouble nocturne;¨ secundo, de voie de fait¨ déshonnête sur la personne d'une femme; tertio, de rébellion et déloyauté envers¨ les archers¨ de l'ordonnance du roi notre sire." pendant la nuit; violence; à l'égard de; policiers;
En quelques minutes, le jugement fut dressé. Tout était clair, expéditif¨ explicite.¨ On cheminait¨ droit au but: la roue, le gibet ou le pilori.¨ Pilorié¨ sur cette même place où la veille¨ il avait été salué et acclamé, pape et prince des fous, Quasimodo, impassible,¨ ne sourcillait pas. On le mit â genoux sur la planche circulaire, il s'y laissa mettre. On le dépouilla¨ de chemise et de pourpoint¨ jusqu'à la ceinture, il se laissa faire. Ce fut un fou rire quand on vit à nu la bosse¨ de Quasimodo, sa poitrine de chameau, ses épaules calleuses¨ et velues.¨ rapide; net; allait; (punitions); attaché au poteau; jour avant; calme; retira; le veston long; difformité; dures; poilues;
Mille injures¨ pleuvaient, et les huées¨ et les imprécations,¨ et les rires, et les pierres ça et là. mots blessanr; cris; malédictions;
Quasimodo était sourd, mais il voyait clair, et la fumeur publique n'était pas moins énergiquement peinte¨ sur les visages que dans les paroles. visible;
Tout à coup il s'agita dans ses chaines, et cria avec une voix rauque¨ et furieuse: "A boire!" rude;
Cette exclamation¨ de détresse¨ fut un surcroit¨ d'amusement au bon populaire parisien. cri; misère; extra;
"A boire!" répeta Quasimodo pantelant.¨ haletant;
En ce moment, il vit s'écarter¨ la populace. Une jeune s'ouvrir; fille bizarrement vêtue¨ sortit de la foule. L'oeil de Quasimodo étincela.¨ C'était la bohémienne qu'il avait essayé d'enlever¨ la nuit précédente.¨ Il ne douta pas qu'elle ne vint se venger aussi, et lui donner son coup comme tous les autres. Il la vit en effet monter rapidement l'échelle. Elle s'approcha, sans dire une parole, du patient qui se tordait¨ vainement¨ pour lui échapper, et, détachant une gourde¨ de sa ceinture, elle la porta doucement aux lèvres arides¨ du misérable.Alors, sans cet oeil jusque-là si sec et si brûlé, on vit rouler une grosse larme qui tomba lentement le long de visage difforme et longtemps contracté¨ par le desespoir. C'e-tait la première peut-être qu l'infortuné eût jamais versée. s'ouvrir; habillée; brilla; kidnapper; avant; pliait; inutilement; flacon; sèches; marqué;
Tous les jours, une heure avantle coucher du soleil, l' archidiacre montait l'escalier de la tour, et s'enfermait dans cette cellule, où il passait quelquefois des nuits entières. Ce jour-la, au moment ou il mettait dans la serrure¨ la petite clef qu'il portait toujours sur lui, un bruit de tambourin et de castagnettes etait arrivé à son oreille. Ce bruit venait dela place du Parvis. Claude Frollo avait repris précipitamment¨ la clef et, un instant¨ après, il était sur le sommet¨ de la tour. Il était là, grave, absorbé dans un regard et dans une pensée. Tout Paris était sous ses pieds. Mais dans toute cette ville, l'archidiacre ne regardait qu'un point du pavé: la place du Parvis; dans toute cette foule qu'une figure: la bohémienne. C'était un regard fixe, et pourtant plein de trouble et de tumulte.¨ trou dans la porte pour la clé; vite; moment; haut; agitation;
La bohémienne dansait. Elle faisait tourner son tambourin à la pointe de son doigt, et le jetant en l'air en dansant des sarabandes proveneales. De temps en temps un homme faisait faire le cercle, puis revenait s'asseoir sur une chaise à quelques pas dela danseuse. Claude Frollo, du point élevé¨ où il était placé, ne pouvait distinguer¨ ses traits.¨ haut; voir; lignes du visage;
"Qu'est-ce que c'est que cet homme?" dit-il entre ses dents; je l'avais toujours vue seule."
Alors il redescendit.En passant devant la porte de la sonnerie qui etait entr'ouverte, il vit Quasimodo qui regardait lui aussi, dans la place. "Voilà qui est étrange!" murmura Claude."Est-ce que c'est que l'Egyptienne qu'il regardait ainsi?" Il continua de descendre. Au bout de quelques minutes, le soucieux¨ archidiacre sortit dans la place par la porte qui est au bas de la tour. inquiet;
A la place de l'Egyptienne, l'archidiacre ne vit plus que l'homme.
"Notre Dame!" s'écria l'archidiacre; "que fait là maître Pierre Gringoire?"
"Messire," dit piteusement¨ Gringoire "c'est en effet un prodigieux¨ accoutrement.¨ Mais que voulez-vous?" misérablement; extraordinaire; habillement;
"Vous faites là un beau métier!" reprit l'archidiacre; "mais d'où vient que vous êtes maintenant en compagnie de cette danseuse d'Egypte?"
"Ma foi!" dit Gringoire; "c'est qu'elle est ma femme." Et Gringoire se hâta de lui conter son aventure de la Cour des Miracles et son mariage au pot cassé. "C'est un déboire,"¨ dit-il en terminant "mais cela tient à ce que j'ai eu le malheur d'épouser une vierge." Ma femme est un enfant trouvé. Elle porte au cou une amulette qui, assure-t-on, lui fera un jour rencontrer ses parents, mais qui perdrait sa vertu si la jeune fille perdait la sienne. Il suit¨ de là que nous demeurons tous deux très vertueux." déplaisir; resulte;
L'archidiacre serra Gringoire de questions.
La Esmeralda était, au jugement de¨ Gringoire, une créat ture inoffensive et charmante. Après-tout le philosophe supportait très patiemment cette espece¨ de mariage platonique. Et puis, en son âme et conscience, le philosophe n'etait pas très sûr d'être éperdument¨ amoureux de la bohémienne. Il aimait presque autant la chèvre. Les sorcelleries¨ de la chèvre aux pattes dorées étaient de bien innocentes malices.¨ Gringoire les expliqua à l'archidiacre: elle avait été dressée par la bohémienne, qui avait à ces finesses un talent si rare¨ qu'il lui avait suffi de deux mois pour enseigner¨ à la chèvre a écrire avec des lettres mobiles le mot: Phoebus. à l'opinion de; genre; follement; tours magiques; tours; spéciale; apprendre;
"Phoebus," dit le prêtre; "pourquoi Phoebus?"
"Je ne sais," répondit Gringoire; "c'est peut-être un mot qu'elle croit doué¨ de quelque vertu¨ magique et secrète. Elle le répète souvent à demi-voix quand elle se croit seule." pourvu; force;
L'archidiacre posa son menton sur sa main, et parut un moment rêveur.¨ Tout à coup il se retourna brusquement vers Gringoire. absorbé dans ses pensées;
"Et tu me jures que tu ne lui as pas touché?"
"Mais, mon révérend maître, qu'est-ce que cela vous fait?"
La pâle figure¨ de l'archidiacre devint rouge comme la joue d'une jeune fille. Il resta un moment sana répondre, puis: visage;
"Va-t-en au diable!" cria le prêtre avec un regard terrible, et, poussant par les épaules Gringoire émerveillé¨ il s'enfonça¨ à grands pas sous les plus sombres arcades de la cathédrale. étonné; disparut;

L'écolier¨ Jehan Frollo du Moulin s'aperçut en s'habillant que ses grègues¨ qui contenaient sa bourse ne rendaient aucun son métallique. Une pensée lui était venue tout en ficelant ses bottines: "Je vais aller chez mon frère. J'attraperai un sermon mais j'attraperai un écu!¨ Il sortit, descendit la rue de la Harpe vers la Cité.Le Petit-Pont traversé, la rue Neuve-Sainte-Geneviève enjambée,¨ Jehan de Molendino se trouva devant Notre-Dame. Il fit quelques pas, et aperçut dom Claude en contemplation¨ devant une sculpture du portail. En ce moment il entendit une voix forte et sonore articuler derrière lui une série formidable de jurons. étudiant; (poches de) sa culotte; pièce d'argent; parcourue; admiration;
"Sur mon âme," s'écria Jehan; "ce ne peut être que mon ami le capitaine Phoebus!"
Ce nom de Phoebus arriva aux oreilles de l'archidiacre. Dom Claude tressaillit,¨ et vit son frère Jehan qui abordait¨ un grand officier à la porte du logis Gondelaurien dresser la trembla; addressait la parole à;
"Ma foi, capitaine Phoebus," dit Jehan en lui prenant la main, "vous sacrez¨ avec une verve admirable." jurez;
Dom Claude entendit l'officier qui disait à l'écolier: "Tonnerre:doublons le pas."
"Pourquoi, Phoebus?"
"J'ai peur que la bohémienne ne me voie.Je ne veux pas que cette fille m'accoste¨ dans la rue." s'adresee à moi;
"Est-ce que vous la connaissez, Phoebus?"
Ici, l'archidiacre vit Phoebus ricaner, se pencher à l' oreille de Jehan, etlud dire quelque mots tout bas.
"En vérité?" dit Jehan.
"Sur mon âme!" dit Phoebus.
"Ce soir?"
"Ce soir."
"Etes-vous sûr qu'elle viendra?"
"Mais êtes-vous fou, Jehan? Est-ce qu'on doute de ces choses-là?"
"Capitaine Phoebus, vous êtes un heureux , gendarme!"
L'archidiacre entendit toute cette conversation. Ses dents claquèrent. Un frisson¨ parcourut tout bud corps. tremblement;

En débouchant¨ dans la rue Saint-André-des-Arcs, le capitaine Phoebus s'aperçut¨ que quelqu'un le suivait. Il vit une espèce¨ d'ombre¨ qui rampait¨ derrière lui le long des murs. Cela ne l'inquiéta¨ que fort médiocrement¨ "Ah bah!" se dit-il en lui-même; je n'ai pas le sou." En même temps l'ombre parla: "Capitaine Phoebus, vous avez un rendez-vous ce soir." arrivant; constata; sorte; silhouette; glissait; alarma; très peu;
Oui, répondit Phoebus stupéfait.¨ surpris;
"Avec une femme qui s'appelle..."
"La Smeralda," dit Phoebus allègrement.¨ Ici Phoebus se gratta l'oreille.-"Ah!corne-Dieu! j'oubliais! je n'ai pas un sou pour acquitter¨ le truage du galetas¨ et la vieille voudra être payée d'avance." en riant; payer; logemanr;
"Voici de quoi¨ payer." de l'argent pour;
Phoebus sentit la main froide de l'inconnu glisser dans la sienne une large pièce de monnaie. Il ne put s'empêcher¨ de prendre cet argent et de serrer cette main. se défendre;
"Vrai Dieu!" s'écria-t-il; "vous êtes un bon enfant!"
"Une condition," dit l'homme; "cachez-moi dans quelque coin d'où je puisse voir si cette femme est vraiment celle dont vous avez dit le nom."
"Oh!" répondit Phoebus; "cela m'est bien égal."
Ils se remirent¨ à marcher rapidement. Au bout de quelques minutes, le bruit de la rivière leur annonça qu' ils étaient sur le Pont Saint-Michel, alors chargé de maisons. Phoébus s'arrêta devant une porte basse et heurta¨ rudement. Une lumière parut aux fentes de la porte. "Qui est là?" cria une voix.-"Corps-Dieu! tête-Dieu! ventre-Dieu!" répondit le capitaine. La porte s'ouvrit sur-le-champ, et laissa voir une vieille femme. Le capitaine, tout en jurant comme un sarrasin, se hâta de "faire dans un écu reluire¨ le soleil", comme dit notre admirable Régnier.-"La chambre à Sainte-Marthe," dit-il. La vieille le traita¨ de monseigneur, et serra l'écu dans un tiroir. Elle fit signe aux deux gentils-hommes, comme elle les nommait, de la suivre, et monta l'échelle devant eux. Parvenue¨ à l'étage supérieur, elle posa sa lampe sur un coffre, et Phoebus, en habitué de la maison, ouvrit une porte qui donnait sur un bouge¨ obscur.-"Entrez là, mon cher," dit-il à son compagnon. L'homme au manteau obéit sans répondre une parole. La porte retomba sur lui. recommencèrent; frappa; briller; l'appela; arrivée; pièce;
Claude Frollo tâtonna quelques instants dans le réduit¨ ténébreux.¨ Tout à coup il entendit craquer l'escalier de bois. Quelqu'un montait. Il pouvait voir tout ce qui se passait dans la chambre voisine. La vieille sortit d'abord de la trappe, puis cette belle et gracieuse figure, la Esmeralda. Dom Claude ne parvint¨ pas sans peine¨ à entendre ce qu'ils se disaient. pièce; sombre; réussit; effort;
"Oh!" disait la jeune fille; "ne me méprisez¨ pas, monseigneur Phoebus. Je sens que ce je fais est mal." trouver mal;
"Vous mepriser, belle enfant!" repondait l'officier; "du diable si je vous comprends!"
La Esmeralda resta un moment silencieuse,¨ puis une larme sortit de ses yeux, un soupir de ses levres, et elle dit: "Oh!monseigneur, je vous aime." sans parler;
Phoebus vint se rasseoir près d'elle: "Ecoutez, me chère.." L'Egyptienne lui donna quelques petits coups de sa jolie main sur la bouche.-"Non, non, je ne vous écouterai pas. M'aimez-vous? Je veux que vous me disiez si vous m' aimez."
"Si je t'aime, ange de ma vie!" s'écria le capitaine en s'agenouillant à demi. Mon corps, mon sang, mon ame, tout, est à toi, tout est pour toi. Je t'aime, et n'ai jamais aime que toi."
"Oh!" murmura-t-elle, "voilà le moment où l'on devait mourir!" En parlant ainsi, elle jetait ses bras autour du cou de l'officier. Tout à coup, au-dessus de la tête de Phoebus, elle vit une autre tete, une figure¨ livide,¨ verte, convulsive.¨ Près de cette figure il y avait une main qui tenait un poignar.¨ La jeune fille resta immobile, glacée, muette.¨ Elle ne put même pousser un cri. Elle vit le poignard s'abaisser sur Phoebus et se relever fumant.-"Malédiction!" dit le capitaine, et il tomba. Elle s'évanouit.¨ visage; pâle; nerveuse; couteau; sans parler; perdit conscience;
Quand elle reprit ses sens, elle était entourée de soldats du guet,¨ on emportait le capitaine baigné dans son sang. Elle entendit dire autour d'elle:"C'est une sorcière¨ qui a poignardé¨ le capitaine." garde; magicienne; tué;

La salle était vaste¨ et sombre; à droite et à gauche il y avait des hommes de robe¨ à des tables; au fond sur une de la estrade,¨ force¨ juges. Le président élevât solennellement¨ la voix: grande; de la justice; podium; beacoup de; céremonieusement;
"Fille, vous êtes de race bohémienne, adonnée aux maléfices.¨ Vous avez, dans la nuit du 29 mars dernier, meurtri et poignardé, de concert¨ avec les puissances des ténèbres¨ à l'aide de charmes¨ et pratiques, un capitaine des archers de l'ordonnance du roi, Phoebus de Châteaupers. Persistez¨ vous à nier?"¨ actes magiques; en accord; l'enfer; actes magiques; continuez; dire non;
"Si je le nie!" dit-elle d'un accent terrible.
Le président continua carrément:¨ "Alors comment expliquez-vous les faits à votre charge?"¨ d'une manière décidée; accusation;
Elle répondit d'une voix entrecoupée: "Je l'ai déjà dit. Je ne sais pas. C'est un prêtre. Un prêtre que je ne connais pas. Un prêtre infernal qui me poursuit."
Maitre Jacques Charmolue prit la parole avec douceur:
"Attendu¨ l'obstination douloureuse de l'accusée, je requiers¨ l'application-de la question." étant donné; demande;
"Accordé;" dit le président.
La malheureuse frémit¨ de tout son corps. Elle se leva pourtant à l'ordre des pertuisaniers¨ et marcha d'un pas assez ferme vers une porte qui s'ouvrit subitement¨ et se referma sur¨ elle. trembla; policiers; tout à coup; derriere;
Elle fut poussée par les sergents du palais dans une chambre sinistre. A la lumière la prisonnière vit tout autour des instruments effroyables¨ dont elle ne comprenait pas l'usage. Ce tartare¨ s'appelait simplement:la chambre de la question. Sur le lit était nonchalamment assis Pierrat Torterue, le tourmenteur juré.¨ Maitre Jacques Charmolue s'approcha de l'Egyptienne avec un sourire très doux. terribles; chambre; celui qui fait soufrir;
"Ma chère enfant," dit-il; "vous persistez donc à nier?"
"Oui," répondit-elle d'une voix déjà éteinte.¨ mourante;
"En ce cas," reprit Charmolue; "veuillez prendre la peine de vous asseoir sur ce lit."
A un signe de Charmolue, les deux valets la prirent et la posèrent assise sur le lit, Deux grosses mains assujettirent¨ à sa fine ceinture la courroie¨ qui pendait de la voûte: de; "Faites, " dit Charmolue à Pierrat. Pierrat tourna la poignée du cric, et la malheureuse poussa une de ces horribles cris qui n'ont pas d'orthographe dans aucune langue humaine. fixèrent; bande;
"Arrêtez," dit Charmolue à Pierrat; "avouez-vous?"¨ dit-il à l'Egyptienne. reconnaissez-vous (être coupable);
"Tout!" cria la misérable fille; "j'avoue, j'avoue, grâce!" "L'humanité m'oblige à vous dire," observa le procureur du roi; "qu'en avouant c'est la mort que vous devez at-tendre."
"Je l'espère bien," dit-elle. Et elle retomba sur le lit de cuir, mourante. Jacques Charmolue éleva la voix.
"Greffier, écrivez:-Jeune fille bohème, vous avouez et confessez avoir, à l'aide du démon, meurtri et assassiné¨ un capitaine nommé Phoebus de Châteaupers?" tué;
Elle répondit comme machinalement: "Oui." Il était évi-dent que tout était brisé en elle. "Ecrivez, greffier," dit Charmolue.
Et s'adressant aux tortionnaires: "Qu'on détache la prisonnière, et qu'on la ramène à l'audience."
Quand elle rentra, pâle, dans la salle d'audience, un murmure général de plaisir l'accueillit.¨ Elle était traînée a sa place. Quand Charmolue fut installé magistralement à la sienne, il s'assit, puis se releva, et dit, sans laisser percer¨ trop de vanité¨ de son succès: "L'accusée a tout avoué." la reçut; voir; fierté;
"Fille bohème," reprit le président, "vous avez avoué tous vos faits de magie, de prostitution et d'assassinat sur Phoebus de Châteaupers?"
Son coeur se serra.On l'entendit sangloter¨ dans l'ombre.¨ "Tout ce que vous voudrez," répondit-elle faiblement; mais tuez-moi vite!" pleurer; obscurité;
Alors la malheureuse entendit une voix glaciale qui disait: "Fille bohème, vous serez menée dans un tombereau¨ en chemise, pieds nus, la corde au cou, devant le grand portail de Notre Dame, où vous serez pendue et au gibet de la ville." voiture;
"Oh!c'est un rêve!" murmura-t-elle, et elle sentit de rudes mains qui l'emportaient.
C'est dans l' "in-pace" de la Tournelle, qu'on avait, de peur d'évasion¨ sans doute, déposé la Esmeralda condamnée au gibet.¨ Depuis combien de temps y était-elle, elle ne le savait. Un jour enfin ou une nuit, elle entendit au-dessus d'elle un bruit. Elle leva la tête. En même temps la lourde ferrure les fers de la porte cria, et elle vit une lanterne. Elle regarda fixement quelques minutes cette espèce de spectre.¨ Enfin la prisonnière rompit le silence "Qui êtes-vous?" de fuite; à être pendue; esprit;
"Un prêtre. Savez-vous pourquoi vous êtes ici?"
"Je crois que je l'ai su", dit-elle; mais je ne le sais plus. Je voudrais sortir d'ici; j'ai froid, j'ai peur, et il y a des bêtes qui me montent le long du corps."
"Eh bien, suivez-moi."
En parlant ainsi, le prêtre lui prit le bras.
"Oh!" murmura-t-elle; "qui êtes-vous donc?" Le prêtre releva son capuchon. Elle regarda;c'était ce visage sinistre qui lui était apparue au-dessus de la tête adorée¨ de son Phoebus, cet oeil qu'elle avait vu pour la dernière fois briller près d'un poignard.¨ aimée; couteau;
"Hah!" cria-t-elle, les mains sur ses yeux et avec un tremblement convulsif;¨ c'est le prêtre!" spasmodique;
Puis elle laissa tomber ses bras découragés.Le prêtre la regardait. "Je vous fais donc horreur." dit-il enfin.
"Oui," dit-elle. Et levant les yeux sur le prêtre:
"Oh! misérable! qui êtes-vous? que vous ai-je fait? vous me haîssez donc bien? Hélas! qu'avez-vous contre moi?"
"Je t'aime," cria le prêtre.
"Quel amour!" dit la malheureuse en frémissant.¨ tremblant;
Il reprit:"L'amour d'un damné..."
Elle attacha-sur lui son oeil fixe.
"Qu'est devenu mon Phoebus?"
"Il est mort," cria le prêtre.
La jeune fille se jeta sur lui comme une tigresse furieuse.-"Va-t'en, monstre! va-t'en, assassin!"
Le prêtre avait trébuché¨ à l'escalier. Il reprit sa marché en lanterne, et sortit. marché en manquant de tomber;

La place du parvis Notre-Dame présentait un spectacle sinistre et singulier.¨ Une foule¨ immense encombrait¨ la place proprement dite. Un tombereau¨ trainé¨ d'un fort limonier¨ normand venait de déboucher¨ sur la place par la rue Saint-Pierre-aux-Boeufs. Les sergents du guet¨ lui frayaient¨ passage dans le peuple. Dans la fatale voiture, une jeune fille était assise, les bras liés derrière le dos. extraordinaire; masse; remplissait; char; tiré; cheval; arriver; surveillance; ouvraient;
Le tomberea était entré dans le Parvis. Devant le portail central, il s'arrêta. Au moment où la grande porte s'ouvrit, il s'échappa de l'église un chant grave, éclatant et monotone. La malheureuse, effarée¨ semblait perdre sa vue et sa pensée dans les obscures entrailles¨ de l'église. On la fit descendre, et on la fit marcher pieds nus sur le pavé dur jusqu'au bas des marches du portail. La condamnee demeurait¨ immobile à sa place, attendant qu'on disposât¨ d'elle. Elle leva ses yeux secs vers le ciel, vers le soleil, vers les nuages. Tout coup, elle poussa un cri terrible, un cri de joie. A ce balcon, là-bas, à l'angle¨ de la place, elle venait de l'apercevoir, lui, son ami, son seigneur, Phoebus, l'autre apparition¨ de sa vie! Le juge avait menti! le prêtre avait menti: c'était bien lui, elle ne pouvait en douter, "Phoebus!" cria-t-elle; "mon Phoebus!" terrifié; intérieur; restait; décidât; au coin; vision;
Et elle voulut tendre¨ vers lui ses bras tremblants d'amour et de ravissement¨ mais ils étaient attachés.¨ Alors elle vit le capitaine froncer le sourcil, une belle jeune fille qui s'appuyait sur lui le regarder avec une lèvre dédaigneuse¨ et des yeux irrités, puis Phoebus prononça quelques mots, et tous deux s'éclipsèrent¨ précipitamment¨ derrière le vitrail du balcon. avancer; extase; liée; arrogante; disparurent; vite;
"Phoebus;" s'écria-t-elle éperdue¨ "est-ce que tu le crois?" agitée;
Une pensee monstrueuse venait de lui apparaitre. Elle se souvenait qu'elle avait été condamnée pour meurtre sur la personne de Phoebus de Châteaupers. Elle avait tout supporté jusque-là. Mais ce dernier coup était trop rude. Elle tomba sans mouvement sur le pavé.
"Allons," dit Charmolue; "portez-la dans le tombereau, et finissons!"
Personne n'avait encore remarqué dans la galerie des statues des rois un spectateur étrange qui avait tout examiné jusqu'alors avec impassibilité.¨ Tout à coup il enjamba la balustrade de la galerie, puis on le vit courir vers les deux bourreaux¨ avec la vitesse d'un chat tombé d'un toit, les terrasser¨ sous deux poings énormes, enlever l'Egyptienne d'une main, comme un enfant sa poupée, et d'un seul élan¨ rebondir¨ jusque dans l'église, en élevant la jeune fille au-dessus de sa tête, et en criait d'une voix formidable: "Asile!" froidement; exécuteurs; abattre; mouvement; courir;
Charmolue resta stupéfait¨ et les bourreaux, et toute l'escorte. En effet, dans l'enceinte¨ de Notre-Dame, la condamnée était inviolable: La cathédrale était un lieu de refuge: Toute justice humaine expirait¨ sur le seuil.¨ Quasimodo s'était arrêté sous le grand portail. Après quelques minutes de triomphe, Quasimodo s'était brusquement enfoncé¨ dans l'église avec son fardeau.¨ Tout à coup on le vit reparaître sur le sommet¨ de la tour du bourdon;¨ de là il sembla montrer avec orgueil¨ à toute la ville celle qu'il avait sauvée, et sa voix tonnante,¨ cette voix qu'on entendait si rarement et qu'il n'entendait jamais, répéta trois fois avec frénesie¨ jusque dans les nuages: "Asile! asile! asile!" perplexe; espace; finissait; à la porte; était entré; charge; haut; grosse cloche; fierte; formidable; fureur;
"Noël! Noël!" criait le peuple de son côté.
Toute ville au moyen-âge avait ses lieux d'asile. Tout criminel qui y abordait¨ était sauvé, mais il fallait qu'il se gardat d'en sortir.Les églises avaient d'ordinaire une logette préparee pour recevoir les suppliants.¨ A Notre-Dameic'était une cellule établie¨ sur les combles¨ des bas-cotes. C'est là qu'après sa course effrénée¨ et triomphale sur les tours et les galeries, Quasimodo avait déposé la Esmeralda. Tant¨ que cette course avait duré, la jeune fille n'avait pu reprendre ses sens. Mais quand le sonneur l'eut dépose dans la cellule du refuge, quand elle sentit ses grosses mains détacher doucement la corde qui lui meurtrissait¨ les bras, ses pensées lui revinrent une à une. Elle vit qu' elle était dans Notre-Dame, elle se souvint d'avoir été arraché¨ des mains du bourreau, que Phoebus était vivant, que Phoebus ne l'aimait plus. Elle se tourna vers Quasimodo, qui lui faisait peur. Elle lui dit: "Pourquoi m'avez-vous sauvée?" arrivait; réfugiés; construite; sous le toit; diabolique; le temps; blessait; tiré;
Alors il lui jeta un coup d'oeil¨ profondément triste, et s'enfuit. Elle resta étonnée. Quelques moments après il revint. Il portait un panier sous un bras et un matelas sous l'autre. Il y avait dans le panier une bouteille, du pain, et quelques provisions. Il posa le panier à terre, et dit: "Mangez."-Il étendit¨ le matelas sur la dalle¨ et dit:"Dormez."-C'était son propre repas, c'était son propre lit que le sonneur de cloches avait été chercher. L'Egyptienne leva les yeux sur lui pour le remercier; mais elle ne put articuler un mot. Le pauvre diable était vraiment horrible. Elle baissa la tête avec un tressaillement¨ d'effroi.¨ Alors il lui dit: "Je vous fais peur. Je suis bien laid, n'est-ce pas? Ne me regardez point. Ecoutez-moi seulement. Le jour, vous resterez ici; la nuit, vous pouvez vous promener par toute l'église. Mais ne sortez de l'église ni jour, ni nuit. Vous seriez perdue. On vous tuerait et je mourrais." Emue¨ elle leva la tête pour lui répondre. Il avait disparu. regard; mit; la terre; tremblement; de peur; pleine d'émotion;
Le lendemain matin, elle s'aperçut en s'éveillant qu'elle avait dormi. Cette chose singulière¨ l'étonna.Il y avait si longtemps qu'elle était déshabituée¨ du sommeil. Un joyeux rayon du soleil levant entrait par sa lucarne¨ et lui venait frapper le visage. En même temps que le soleil, elle vit à cette lucarne un objet qui l' effraya, la malheureuse figure¨ de Quasimodo. Involontairement elle referma les yeux. Alors elle entendit une rude voix qui disait très doucement: "N'ayez pas peur. Je suis votre ami. J'étais venu vous voir dormir.Maintenant je vais m'en aller. Vous pouvez rouvrir les yeux." étrange; avait perdu l'habitude; fenêtre; visage;
L'Egyptienne touchée¨ ouvrit les yeux. Il n'était plus en effet à la lucarne. Alors elle se jeta hors de sa cellule, courut à lui, et lui prit le bras. Quasimodo releva son oeil suppliant, et, voyant qu'elle le ramenait près d'elle, toute sa face rayonna de joie et de tendresse. Il rompit le premier ce silence: "Vous me disiez donc de revenir?" émue;
Elle fit un signe de tête affirmatif, en disant: "Oui." Il comprit le signe de tête. "Hélas!" dit-il comme hésitant a achever; "c'est que ... je suis sourd."
"Pauvre homme!" s'écria la bohemienne avec une expres-sion de bienveillante pitie.
Alors il se mit à rire. "Oui, je suis sourd. Mais vous me parlerez par gestes, par signes. J'ai un maître qui cause¨ avec moi de cette façon." parle;
"Eh bien," reprit-elle en souriant; "dites-moi pourquoi vous m'avez sauvée."
Il la regarda attentivement tandis¨ qu'elle parlait. pendant;
"J'ai compris," répondit-il. "Vous me demandez pourquoi je vous ai sauvée. Vous avez oublié un misérable qui a tenté¨ de vous enlever¨ une nuit, un misérable à qui le lendemain même vous avez porté secours¨ sur leur infâme pilori. Une goutte d'eau et un peu de pitié, voilà plus que je n'en paierai avec ma vie. Vous avez oublie ce miserable; lui, il s'est souvenu." essayé; kidnapper; aide;
Il tira de sa poche un petit sifflet de métal. "Tenez," dit-il; "quand vous aurez besoin de moi, vous sifflerez avec ceci.J'entends ce bruit-là." Il déposa le sifflet à terre et s'enfuit.
Cependant, la voix publique avait fait connaître à l'archidiacre de quelle manière miraculeuse l'Egyptienne avait été sauvee. Il savait où trouver la clef de la Porte-Rouge, et il avait toujours sur lui une clef de l'escalier des tours.
Cette nuit-là, la Esmeralda n'était endormie dans sa logette, pleine d'oubli, d'espérance et de douces pensées. Elle dormait, lorsqu'il lui sembla entendre du bruit au-tour d'elle.Elle ouvrit les yeux. La nuit était très noire. Cependant elle vit à sa lucarne une figure qui la regardait.
"Oh!" dit-elle d'une voix éteinte; "le prêtre!"
Un moment après, elle sentit le long de son corps un contact qui la fit frémir.¨ Elle voulut crier, et ne put. trembler;
"Va-tien, monstre! va-t'en, assassin!" dit-elle d'une voix tremblante.
"Grâce! grâce!" murmura le prêtre; "si tu savais ce que c' est mon amour pour toi."
"Lâche-moi," lui dit-elle; "va-t'n, démon!"
"Aime-moi! aime-moi! pitié!" criait le pauvre prêtre en se roulant sur elle.
Elle fit un dernier effort, et, en se débattant¨ la main de l'Egyptienne rencontra quelque chose de froid et de métallique. C'était le sifflet de Quasimodo. Elle le saisit avec une convulsion¨ d'espérance, le porta à ses lèvres, et y siffla de tout ce qui lui restait de force. défendant; contraction des muscles;
"Qu'est-ce que cela?" dit le prêtre. Presque au même instant¨ il se sentit enlever par un bras vigoureux.¨ En un clin d'oeil¨ le prêtre fut terrassé.¨ Il sentit la grosse main qui le traînait par le pied hors de la cellule. C' battu; est la qu'il devait mourir. Heureusement pour lui, la lune venait de se lever depuis quelques instants. Quasimodo le regarda en face, un tremblement le prit, il lâcha le prêtre et recula. Le prêtre se replongea en frémissant¨ de rage¨ sous la voute de l'escalier. moment; fort; seconde; abattu; tremblant; fureur;
Rentré dans sa cellule, Dom Claude répéta d'un air pensif sa fatale parole: "Personne ne l'aura."

Pierre Gringoire s'était arrêté près de Saint-Germain-l'Auxerrois. Tout à coup, il sent une main se poser gravement sur son épaule. Il se retourne. C'était l'archidiacre. Dom Claude garda quelques instants un silence pendant lequel Gringoire eut le loisir¨ de l'observer. Ce fut le prêtre qui rompit enfin le silence en disant d'un ton tranquille mais glacial:¨ "Comment vous-portez¨ vous; maître Pierre?" temps; froid; allez-vous;
"Ma santé? répondit Gringoire; "hé! hé! on en peut dire ceci et cela. Toutefois¨ l'ensemble est bon." mais;
"Vous n'avez donc aucun souci,¨ maitre Pierre?" reprit l'archidiacre en regardant fixement Gringoire. problème;
"Ma foi, non."
"Pierre Gringoire", dit l'archidiacre; "qu'avez-vous fait de cette petite danseuse égyptienne?"
"La Esmeralda? Vous changez bien brusquement de conversation."
"N'était-elle pas votre femme, et ne vous avait-elle pas sauvé la vie?"
"C'est pardieu vrai."
"Je vais vous en apprendre¨ d'avantage,"¨ cria Dom Claude; "elle est réfugiée dans Notre Dame. Mais dans trois jours la justice l'y reprendra, et elle sera pendue en Greve. Il y a arrêt¨ du parlement." raconter; plus; décision;
"Voilà qui est facheux."¨ dit Gringoire. désagréable;
"Est-ce que vous ne voulez rien faire pour elle?"
"Je ne demande pas mieux, dom Claude."
"Maitre Pierre, j'y ai bien réfléchi: il n'y a qu'un moyen de salut¨ pour elle. L'église est guettée¨ jour et nuit. On n'en laisse sortir que ceux qu'on y a vus entrer. Vous pourrez donc entrer. Vous viendrez. Je vous introduirai près d'elle. Vous changerez d'habits avec elle. Et puis, elle sortira avec vos habits." sûreté; surveillée;
Gringoire se gratta l'oreille avec un air très sérieux.
"Tiens!" dit-il; "voilà une idée qui ne me serait jamais venue toute seule."
"Eh bien, Gringoire, que dites-voue du moyen?"
"Je dis qu'on me pendra indubitablement.¨ Mais si j'avais une idée expédiente¨ pour la tirer du mauvais pas¨ sans compromettre mon cou?" sûrement; efficace; situation;
"Le moyen! parle," dit le prêtre.
Gringoire se pencha à l'oreille de l'archidiacre et lui parla très bas. Quand il eut fini, dom Claude lui prit la main et lui dit froidement: "C'est bon. A demain."
"A demain," répéta Gringoire.
Cette nuit, Quasimodo ne dormait pas. Il venait de faire sa dernière ronde dans l'église, et il était monté jusque sur le sommet¨ de la tour, et là, il s'était mis¨ regarder Paris. Depuis plusieurs il était sur ses gardes.¨ Tout à coup il vit une tète de colonne déboucher¨ dans la place, une foule dont dont on ne pouvait rien distinguer¨ dans les ténèbres¨ sinon que c'était une foule. Alors ses craintes¨ lui revinrent, l'idée d'une tentative¨ contre l'égyptienne se représenta à son esprit. haut; avait commencé; son qui-vive; arriver; voir; nuit; peurs; attaque;
Quand les ordres de Clopin furent exécutés, le digne chef de la bande monta sur le parapet¨ du Parvis et éleva sa voix, se tenant tourné vers Notre-Dame. balustrade;
"A toi, Louis de Beaumont, évêque de Paris, moi Clopin Trouillefou, prince de l'argot, je dis: Notre soeur, faussement condamnee pour magie, s'est réfugiée dans ton église; tu lui dois asile et sauvegarde; or, la cour de parlement l'y veut reprendre, et tu y consenes¨ si bien qu'on la prendrait demain en Grève, si Dieu et les truands n'étaient pas là. C'est pourquoi nous te sommons de nous rendre la fille si tu veux sauver ton église, ou que nous reprendrons la fille et que nous pillerons¨ l'église." es d'accord; ravagerons;
Un truand présenta sa bannière à Clopin, qui la planta solennellement entre deux pavés. Cela fait, le roi de Thunes se retourna. Après une pause d'un instant:
"En avant, fils!" cria-t-il; "à la besogne, les hutins:" Trente hommes robustes se dirigèrent vers la principale porte de l'église. Une foule de truands les suivit pour les aider. Cependant la porte tenait bon."Courage, camarades!" reprenait Clopin; "tenez:je crois que la serrure se détraque!"¨ casse;
Clopin fut interrompu par un fracas¨ effroyable qui retentit¨ en ce moment derrière lui. Il se retourna.Une énorme poutre¨ venait de tomber du ciel; elle avait écrasé une douzaine de truands sur le degré¨ de l'église. Les bandits restèrent quelques minutes les yeux fixés en l'air. Le roi de Thunes, le premier étonnement passé, trouva enfin une explication qui sembla plausible à ses compagnons.-"Gueule-Dieu! est-ce que les chanoines¨ se défendent? Alors à-sac! à sac!"¨ bruit; se fit entendre; pièce de bois; marche; prêtres; ravagez tout;
"A sac!" répéta la cohue¨ avec un hourra furieux. masse;
"A l'oeuvre¨ donc, les hutins!" cria Trouillefou; "qu'on force la porte." au travail;
Un vieux hutin lui adressa la parole.
"Capitaine, la porte est toute cousue¨ de barres de fer." renforcée;
"Que faudrait-il donc pour l'enfoncer?"¨ demanda Clopin. la forcer;
"Ah! il nous faudrait un bélier:"¨ Le roi de Thunes courut bravement au formidable madrier¨ et mit le pied dessus.-"En voilà un," cria-t-il. Bientôt la lourde poutre enlevé comme une plume par deux cents bras vigoureux,¨ vint se jeter avec furie sur la grande porte. (machine de guerre); piece de bois; forts;
Tout à coup, au moment ou ils se groupaient pour un dernier effort autour du bélier, un hurlement,¨ plus épouvantable-encore que celui qui avait éclate et expiré était mort sous le madrier, s'éleva au milieu d'eux. Ceux qui ne criaient pas, ceux qui vivaient encore, regardèrent. cri;
Deux jets de plomb fondu tombaient du haut de l'édifice.¨ La clameur¨ fut déchirante. Ils s'enfuirent pêle-mêle. Quand Quasimodo vit cette déroute,¨ il tomba à deux genoux, et leva les mains au ciel; puis, ivre de joie, il courut, il monta avec la vitesse d'un oiseau a cette cellule dont il avait si intrépidement¨ défendu les approches. Lorsqu'il entra dans la cellule, il la trouva vide. bâtiment; tumulte; fuite; courageusement;

Au moment où les truands avaient assailli¨ l'église, la Esmeralda avait songé¨ à la possibilité d'une mutinerie¨ populaire pour l'arracher¨ de son asile. Elle était tombee a genoux, pleine d'anxiété.¨ attaqué; pnsé; revolte; tirer; peur;
Voilà qu'au milieu de cette angoisse elle entend marcher prés d'elle. Elle se détourne. Deux hommes, dont un portait une lanterne, venaient d'entrer dans sa cellule. Elle poussa un faible cri.
"Ne craignez rien," dit une voix qui ne lui était pas inconnu; "c'est moi."
"Qui? vous?" demanda-t-elle.
"Pierre Gringoire. Nous venons vous sauver. Suivez-nous."
Gringoire la prit par la main, son compagnon marcha devant. La peur etourdissait¨ la jeune fille. Elle se laissa emmener. Ils descendirent rapidement l'escalier des tours, traversèrent l'église, et sortirent dans la cour du cloître par la Porte-Rouge. Ils se dirigèrent vers la porte qui donnait de cette cour sur le Terrain. L'homme noir l'ouvrit avec une clef qu'il avait. La rumeur de l'assaut¨ leur arrivait plus brouillée et moins criarde. L'homme à la lanterne marcha droit à la pointe du Terrain. Là, une petite barque était cachée. L'homme fit signe à Gringoire et à sa compagne d'y entrer. L'homme y descendit le dernier. Puis il coupa l'amarre¨ du bateau, l'éloigna de terre. Le bateau voguait¨ vers la rive¨ droite. Une secousse¨ les avertit enfin que le bateau abordait.¨ L'inconnu se leva, vint à l'Égyptienne, et voulut lui prendre le bras pour l'aider à descendre. Elle le repoussa et sauta seule à bas du bateau. rendait perplexe; attaque; câble pour retenir le bateau; avançait; bord; choc; arrivait;
Elle était si troublée qu'elle ne savait ce qu'elle faisait. Quand elle revint un peu à elle, elle était seule sur le port avec l'inconnu. Gringoire avait profité de l'instant du débarquement pour s'esquiver.¨ La pauvre Egyptienne frissonna¨ de se voir avec cet trembla homme, qui se tourna vers elle, et leva sa carapoule.¨ s'en aller; trembla; cape;
"Oh!" begaya-t-elle pétrifiée;¨ je savais bien que c'était encore lui!" glacé;
C'était le prêtre.
"Ecoute," lui dit-il. "Il y a un arrêt¨ du parlement qui te rend à l'échafaud.¨ Je viens de te tirer de leurs mains. Mais les voilà qui te poursuivent." décision; exécution;
Et l'on voyait des soldats courir sur le quai opposé, avec des torches¨ et ces cris: "L'Egyptienne! où est l'Egyptienne? Mort! mort!" flambeaux;
"Tu vois bien qu'ils te poursuivent. Moi, je t'aime.Je puis te sauver tout à fait.¨ C'est à toi de vouloir. Une dernière fois, veux-tu être à moi?" complètement;
Elle répondit avec force: "Non."
Alors il cria d'une voix haute:"Gudule! Gudule! voici l' Egyptienne! venge-toi!"
La jeune fille se sentit saisir¨ brusquement au coude.¨ prendre; bras;
"Tiens bien!" dit le prêtre; "c'est l'Egyptienne échappée. Ne la lâche pas. Je vais chercher les sergents."
La jeune fille avait reconnu la méchante recluse, qui lui disait tout bas: "Hah! hah! hah! tu vas être pendue!"
Elle se tourna."Que vous ai-je fait?" dit-elle presque inanimée.¨ -"Ce que tu m'as fait? dis-tu?Ah! ce que tu m'as fait, Egyptienne! Eh bien, écoute. J'avais un enfant, moi! Une jolie petite fille. On m'a pris mon enfant, on m'a vole mon enfant.Voilà ce que tu m'as fait." sans vie;
La jeune fille répondit comme l'agneau¨ "Hélas:je n'étais peut-être pas née alors:" (de la fable de La Fontaine);
"Oh! si!" repartit¨ la recluse;tu devais être nee. Tu en étais.¨ Elle serait de ton âge! Je te dis que ce sont des Egyptiennes qui me l'ont volée, entends-tu cela?" répondit; avec eux;
Cette fois encore, la jeune fille retomba.-"Hélas! bégaya-t-elle; vous cherchez votre enfant. Moi, je cherche mes parents."
"Rends-moi ma petite Agnès!" poursuivit Gudule; "sais-tu où elle est ma petite fille? Tiens, que je te montre. Voi-là son soulier, tout ce qui m'en reste. Sais-tu où est le pareil?"¨ identique;
En parlant ainsi, elle montrait à l'Egyptienne le petit soulier brodé.
"Montrez-moi ce soulier," dit l'Egyptienne en tressaillant.¨ "Dieu! Dieu!" Et en même temps, de la main qu'elle avait libre, elle ouvrait vivement le petit sachet qu'elle portait au cou. "Va! va! grommelait Gudule; fouille ton amulette du démon." tremblant;
Tout à coup elle s'interrompit, trembla de tout Son corps, et cria avec une voix qui venait du plus profond des entrailles:¨ "Ma fille!" coeur;
L'Egyptienne venait de tirer du sachet un petit soulier absolument pareil¨ à l'autre. La recluse saisit¨ sa fille par le milieu du corps et la tira dans sa cellule, la posa doucement à terre. identique; prit;
"Ma fille! ma fille!" disait-elle; "j'ai ma fille! la voilà: Le bon Dieu me l'a rendue."
"O ma mère!" dit la jeune fille, trouvant enfin la force de parler dans son emotion.
La sachette serra de nouveau sa fille dans ses bras. Et puis, elle se mit à battre des mains et à rire et à crier: "Nous allons être heureuses!"
En ce moment la logette retentit¨ d'un cliquetis d'armes et d'un galop de chevaux. L'Egyptienne se jeta avec angoisse¨ dans les bras de la cachette. résonna; peur;
"Sauvez-moi! sauvez-moi, ma mère! Les voilà qui viennent!"
La recluse devint pâle.
"O ciel! que dis-tu là? J'avais oublié! on te pousuit! Qu'as-tu donc fait?"
"Je ne sais pas," répondit la malheureuse enfant; "mais je suis condamnee a mourir."
La recluse resta quelques instants immobile. Tout à coup elle dit: "Ils approchent. Je vais leur parler. Cache-toi dans ce coin."
Elle se leva bien vite et s'alla poster devant sa lucarne¨ pour la boucher.¨ Elle vit une grande troupe d'hommes armés. Celui qui les commandait mit pied à terre et vint vers elle. "La vieille," dit cet homme qui avait une figure¨ atroce;¨ "nous cherchons une sorcière pour la pendre: on nous a dit que tu l'avais." fenêtre; barrer; visage; cruelle;
La pauvre mère prit l'air le plus indifférent qu'elle put, et répondit: "Je ne sais pas trop ce que vous voulez dire."
"Or ça, la vieille folle," repartit¨ le commandant; "ne mens pas. On t'a donné une sorcière à garder. Qu'en as-tu fait?" continua;
La recluse répondit: "Si vous parlez d'une grande jeune fille qu'on m'a accrochée aux¨ mains tout à l'heure, je vous dirai qu'elle m'a mordu et que je l'ai lâchée.¨ Voilà. Laissez-moi en repos." mises entre les; laissée partir ;
Le commandant fit une grimace désappointée¨ "Ne vas me mentir, vieux spectre," reprit-il; "je m'appelle Tristan l'Hermite; et je suis le compère¨ du roi." La pauvre enfant etait restée tout ce temps dans son coin. En ce moment, elle entendit une voix; c'était celle de Phoebus de Châteaupers. Elle se leva, et, avant que sa mère eût pu l'en empêcher¨ elle s'était jetée à la lucarne¨ en criant: "Phoebus! a moi, mon Phoebus!" désillusionnée; camarade; retenir; fenêtre;
Phoebus n'y était plus. Il venait de tourner au galop l'angle¨ de la rue de la Coutellerie. Mais Tristan n'était pas encore parti. coin;
"Hé! he!" s'écria-t-il avec un rire qui déchaussait¨ toutes ses dents; deux souris dans la souricière:" montrait;
"Je m'en-doutais!"¨ dit le soldat. l'avais cru;

Quand Quasimodo vit que la cellule était vide, il se mit¨ à courir par toute l'église, cherchant sa bohémienne. Alors cherchant au fond de sa rêverie¨ désolée¨ quel pouvait etre le ravisseur¨ inattendu de l'Egyptienne, songea¨ à l'archidiacre. Il se souvint que dom Claude avait seul une clef de l'escalier qui menait à la cellule, il se rappela ses tentatives¨ nocturnes¨ sur la jeune fille. commença; pensé; attristée; kidnappeur; pensa; attaques; pendant la nuit;
Au moment où sa pensée se fixait ainsi sur le prêtre, il vit à l'étage supérieur de Notre Dame une figure qui marchait. C'était l'archidiacre. Il se dirigeait vers la tour septentrionale.¨ Quasimodo, s'avançant à pas loup derrière lui, brûlait de¨ lui demander ce qu'il fait de l'Egyptienne. Mais l'archidiacre semblait en ce moment hors du monde. Les yeux invariablement fixée sur un certain lieu, il demeurait¨ immobile et silencieux. Le sonneur suivit son regard.Il vit ainsi ce que le prêtre regardait. L'échelle était dressée près du gibet permanent. Un homme se mit à monter l'échelle. du côté nord; aurait voulut; restait;
Il portait une femme sur son épaule, une jeune fille vêtue de blanc. Cette jeune fille avait un noeud au cou. Quasimodo la reconnut. C'était elle. L'homme parvint¨ ainsi au haut de l'échelle.Là, il arrangea le noeud. Tout à coup l'homme repoussa brusquement l'échelle du talon, et Quasimodo vit se balancer au bout de la corde la malheureuse enfant. La corde fit plusieurs tours sur elle-même, et Quasimodo vit courir d' horribles convulsions¨ le long du corps de l'Egyptienne. Au moment où c'était le plus effroyable, un rire de démon éclata sur le visage livide¨ du prêtre. Quasimodo n' entendit pas ce rire, mais il le vit. Le sonneur recula de quelques pas derrière l'archidiacre, et, tout à coup, se ruant¨ sur lui avec fureur, de ses deux grosses mains il le poussa par le dos dans l'abime;¨ le prêtre cria: "Damnation!" et tomba. L'infortuné alla rebondir sur le pavé. Là, il ne remua¨ plus. arriva; mouvements de crampe; pâle; jetant; à bas; bougea;
Quasimodo alors releva son oeil sur l'Eprptienne dont il voyait le corps, suspendu au gibet, fremir¨ au loin sous sa robe blanche des derniers tressaillements¨ de l'agonie,¨ et il dit avec un sanglot qui souleva sa pro-fonde poitrine: "Oh! tout ce que j'ai aimé!" trembler; tremblements; attaque de la mort;

Nous venons de dire que Quasimodo avait disparu de Notre-Dame le jour de la mort de l'Egyptienne et de l'archidiacre. On ne le revit plus en effet; on ne sut ce qu'il était devenu.
Dans la nuit qui suivit le supplice de la Esmeralda, les gens des basses œuvres¨ avaient détaché son corps du gibet et l’avaient porté, selon l’usage, dans la cave de Montfaucon. (gens qui disposaient des corps);
Deux ans après les événements qui terminent¨ cette histoire, quand on vint chercher dans la cave de Montfaucon le cadavre d'Olivier le Daim, qui avait été pendu deux jours auparavant,¨ et à qui Charles VIII accordait¨ la grace¨ d'être enterré à Saint-Laurent en meilleure compagnie, on trouva parmi toutes ces carcasses hideuses¨ deux squelettes dont l'un tenait l'autre singulièrement¨ embrassé. L'un de ces deux squelettes, qui etait celui d'une femme, avait encore quelques lambeaux¨ de robe d'une étoffe qui avait été blanche. L'autre, qui tenait celui-ci étroitement embrassé, était un squelette d'homme. On remarqua qu'il avait la colonne vertébrale déviée, déformée la tête dans les omoplates.¨ et une jambe plus courte que l'autre. Il n'avait d'ailleurs¨ aucune rupture de vertèbre à la nuque, et il était évident qu' il n'avait pas été pendu. L'homme auquel il avait appartenu¨ était donc venu là, et il y etait mort. Quand on voulut le détacher du squelette qu'il embrassait, il tomba en poussière. finissent; avant; donnait; faveur; horribles; étrangement; fragments; épaules; pour le reste; été;

29.2. Ruy Blas

PERSONNAGES
RB Ruy Blas, valet de DS
GU Gudiel
DS Don Salluste de Bazan
LR La Reine d'Espagne
DC Don César de Bazan
DA La Duchesse d'Albuquerque
DG Don Guritan
CA Casilda
CC Le Comte de Camporéal
DU Une Duàgne(=gouvernante)
MB Le Marquis del 'Basto
AL Un Alcade(=officier)
DM Don Mariel Arias
HU Un Huissier
CO Covadenga

 
ACTE PREMIER: DON SALLUSTE. Scène première.
DS Ruy Blas, fermez la porte, -ouvrez cette fenêtre.
Ils dorment encor tous ici; -le jour va naître.¨ commencer;
Ah! c'est un coup de foudre! Oui, mon règne est passé,
Gudiel! -renvoyé, disgracié, chassé! -
Ah! tout perdre en un jour! -L'aventure est secrète
Encor. N'en parle pas. -Oui, pour une amourette,
(Chose, à mon âge, sotte et folle, j'en conviens.)¨ suis d'accord;
Avec une suivante,¨ une fille de rien! servante;
GU Nul¨ ne le sait encor, monseigneur. personne;
DS Nul¨ ne le sait encor, monseigneur. Mais demain!
Demain on le saurai! -Nous serons en chemin.¨ en route;
Je ne veux pas tomber;¨ non, je veux disparaître! perdre ma place;
(Il déboutonne violemment son pourpoint)¨ veste;
Tu m'agrafes,¨ toujours comme on agrafe un prêtre! fermes ma veste;
Tu serres mon pourpoint, et j'étauffe, mon cher!
Oh! mais je vais construire, -et sans-en-avoir-l'air¨ sans qu'on le voie;
Une sape¨ profonde, obscure et souterraine...- Chassé! - destruction de la base du pouvoir;
GU D' oit vient le coup, monseigneur?
DS D' oit vient le coup, monseigneur? De la reine.
Oh! je me vengerai, Gudiel? tu m'entends!
Toi, dont je suis l'élève, et qui depuis vingt ans
M'as aidé, m'as servi dans les choses passées,
Tu sais bien jusqu'ou vont dans l'ombre¨ mes pensées; la nuit;
Va faire nos apprêts;¨ et hâte-toi.-Silence! préparations de voyage;
Tu pars avec moi. Va.-Ruy Blas!
RB Tu pars avec moi. Va.-Ruy Blas! Votre excellence?
DS Comme je ne dois plus coucher dans le palais,
Il faut laisser les clefs et clore¨ les volets. fermer;

 
Scène II. Les mêmes. Don César de Bazan.
DS Ah! vous voilà, bandit!
DC Ah! vous voilà, bandit! Oui, cousin, me voilà.
DS C'est grand plaisir de voir un gueux¨ comme celai bandit;
DC Je suis charmé ...
DS Je suis charmé ... Monsieur, on sait de vos histoires.
DC Qui sont de votre goût?¨ plaisirs;
DS Qui sont de votre goût?¨ Oui, des plus méritoires.¨ très amusantes;
Don Charles de Mira, l'autre nuit, fut volé.
On lui prit son épée à fourreau¨ ciselé;¨ étui; travaillé;
Vous en-étiez!¨ y avez prit part;
DC Vous en-étiez!¨ Eh bien, -oui! s'il faut que je parle,
J'étais là. Je n'ai pas touché¨ votre don Charles. blessé;
J'étais là. Rien de plus.
DS J'étais là. Rien de plus. Ce n'est pas tout.
DC J'étais là. Rien de plus. Ce n'est pas tout. Voyons!
DS En France on vous accuse, entre autres actions,
Avec vos compagnons à toute loi rebelles,
D'avoir ouvert sans clefs la caisse des gabelles¨ impôts;
DC Est-ce tout?
DS Est-ce tout? Don César, la sueur¨ de la honte;¨ transpiration; déshonneur;
Lorsque je pense à vous, à la face me monte.
DC Bon.Laissez-la monter.
DS Bon.Laissez-la monter. Notre famille...
DC Bon.Laissez-la monter. Notre famille... Non.
Car vous seul à Madrid connaissez mon vrai nom.
Ainsi ne parlons pas famille.
DS Ainsi ne parlons pas famille. Une marquise
Me disait l'autre jour¨ en sortant de l'église! il y a peu;
"Quel est donc ce brigand¨ qui, là-bas, nez au vent, bandit;
Se carre.¨ l'oeil au guet¨ et la hanche en avant?" parade; observant;
DC Vous avez répondu! "C'est ce cher Zafar!"
DS Non. J'ai rougi, monsieur.
DC Non. J'ai rougi, monsieur. Eh bien, la dame a ri.
DS Enfin! Matalobos, ce voleur de Galice
Qui désole¨ Madrid malgré notre police, attriste;
Il est de vos amis!
DC Il est de vos amis! Raisonnons, s'il vous plaît.
Sans lui j'irais tout nu, ce qui serait fort¨ laid. très;
DS Don César!
DC Don César! Mon cousin, tenez, trêve aux¨ reproches; finis les;
Je suis un grand seigneur, c'est vrai L'un de vos proches¨ votre famille;
Ma foi, j'ai pris la fuite et changede nom.
A-present;je ne suis qu'un joyeux compagnon.
DS Ecoutez-moi...
DC Ecoutez-moi... Voyons à présent votre style.
DS Je vous ai fait venir; c'est pour vous être utile.
César, sans enfants, riche, et de plus votre aîné,
Je vous vois à regret vers l'abîme¨ entraîné;¨ ruine; emporté;
Je veux vous en tirer. Bravache¨ que vous êtes, homme de bravoure;
Vous êtes malheureux. Je veux payer vos dettes,
Et je vous vais donner cinq cents ducats...
DC Et je vous vais donner cinq cents ducats... Marquis!
DS Dès aujourd'hui.
DC Dès aujourd'hui. Pardieu, je vous-suis tout acquis.¨ je suis votre homme;
DS Ecoute. J'ai besoin, pour un résultat sombre,¨ secret;
De quelqu'un qui travaille à mon côté dans l'ombre.¨ obscurité;
Il faut, par quelque plan terrible et merveilleux,¨ ingénieux;
(Tu n'es pas, que je pense, un homme scrupuleux,)
Me venger!
DC Me venger! Vous venger?
DS Me venger! Vous venger? Oui.
DC Me venger! Vous venger? Oui. De qui?
DS Me venger! Vous venger? Oui. De qui? D'une femme.
DC Ne m'en dites pas plus. Halte-là! Sur mon âme!
DS César! ...
DC César! ... N'ajoutez pas un mot, c'est outrageant.¨ offensant;
Gardez votre secret, et gardez votre argent.
DS Un instant;..
DC Un instant;.. Tenez, maître, abrégeons¨ la visite. finissons;
Si c'est pour m'envoyer en prison, faites vite.
DS Allons, je vous croyais, César, plus endurci.
L'épreuve¨ vous est bonne, et vous a réussi. test;
Je suis content de vous. -"Votre main, je vous prie.
DC Comment?
DS Comment? Je n'ai parlé que par plaisanterie.
Tout ce que j'ai dit là, c'est pour vous éprouver.¨ tester;
Rien de plus.
DC Rien de plus. Ça;debout vous me faites rêver.
La femme, le complot, cette vengeance...
DS La femme, le complot, cette vengeance... Leurre!¨ duperie;
Imagination! chimére!¨ illision;
DC Imagination! chimére!¨ A la bonne heure!¨ tant mieux;
Et l'offre de payer mes dettes? vision?
Et les cent ducats? imaginations?
DS Je vais vous les chercher. Je reviens.

 
Scène III. Don César, Ruy Blas.
DC Don César, Ruy Blas. Sur ma foi,
Je ne me trompais. C'est toi, Ruy Blas!
RB Je ne me trompais. C'est toi, Ruy Blas! C'est toi,
Zafari! Que fais-tu dans ce palais?
DC Zafari! Que fais-tu dans ce palais? J'y passe.
Mais je m'en vais. Je suis oiseau, l'aime l'espace
Mais toi? cette livrée? est-ce un deguisement?¨ mascarade;
RB Non, je suis déguisé quand je suis autrement.
Tu sais, tu m'as connu. Je jetais mes pensées
Et mes voeux¨¨ désirs vers le ciel en strophes insensées.; folles;
Je croyais, pauvre esprit, qu'au monde je manquais..'
Ami, le résultat, tu le vois. -Un laquais!
Frére, je ne sens pas cette livrée infâme;¨ dégradante;
Car j'ai dans ma poitrine une hydre¨ aux dents de flamme. polype;
Zafari! dans le gouffre¨ où mon destin m'entraîne¨ ruine; emporte;
Plonge les yeux!¨ je suis amoureux de la reine! regarde;
DC (Entre don Salluste) Ruy Blas!
DS Ruy Blas! Voici l'argent.
DC Ruy Blas! Voici l'argent. Don Salluste, merci.
(Il ouvre la bourse; pendant qu' il compte les ducats, DS Ouvre la petite porte. A un signe qu'il fait trois alguazils¨ entrent) policiers;
DS (bas aux alguazils) Vous allez suivre, alors qu'il¨ sortira d'ici, quand il;
L'homme qui compte là de l'argent. -En silence
Vous vous emparerez de lui¨ Sans violence. l'arrêterez;
Vous l'irez embarquer, par le plus court chemin,
A Denia. -Voici l'ordre écrit de ma main.
Enfin, sans écouter sa plainte¨ chimérique,¨ protestation; imaginaire;
Vous le vendrez en mer aux corsaires-d'Afrique.
(Les alguazils. sortent. DC range ses. ducats)
DC (à DS) Adieu. (à RB) Ta main
(DC sort)

 
Scène IV. Ruy Blas, Don Salluste.
DS Ruy Blas!
RB Ruy Blas! Monseigneur?
DS Ruy Blas! Monseigneur? Ce matin,
Quand vous êtes venu, je ne suis pas certain
S'il faisait jour déjà?
RB S'il faisait jour déjà? Pas encore, excellence,
J'ai remis¨ au portier votre passe en silence,¨ donné; sans parler;
Et puis, je suis monté.
DS Et puis, je suis monté. Vous étiez en manteau?
RB Oui, monseigneur.
DS Oui, monseigneur. Personne, en ce cas, au château,
Ne vous a vu porter cette livrée encore?
RB Ni personne à Madrid.
DS Ni personne à Madrid. C'est fort¨ bien. Allez clore¨ très; fermer;
Cette porte. Quittez cet habit. -Vous avez
Une belle écriture, i1 me semble. -Ecrivez.
Vous m'allez aujourd'hui servir de secrétaire.
D'abord un billet doux,¨ -(je ne veux rien vous taire¨ ) lettre d'amour; cacher;
Pour ma reine d'amour, pour doña Praxedis,
Ce démon que je crois venu du paradis.
Là, je dicte: "Un danger terrible est sur ma tête.
"Ma reine seule peut conjurer¨ la tempête.¨ prévenir; malheur;
En venant me trouver ce soir dans ma maison.
Sinon, je suis perdu. Ma vie et ma raison
Et mon coeur, je mets tout à ses pieds que je baise."
Un danger! la tournure,¨ au fait, n'est pas mauvaise le mot;
Pour l'attirer chez moi. C'est que,-j'y suis expert-
Les femmes aiment fort¨ sauver qui les perd.¨ beaucoup; ruine;
-Ajoutez! "Par la porte au bas de l'avenue,
Vous entrerez la nuit sans être reconnue.
Quelqu'un de dévoué¨ vous ouvrira. D'honneur.¨ fidèle; vraiement;
C'est parfait. - Ah! signez.
RB C'est parfait. - Ah! signez. Votre nom, monseigneur?
DS Non pas. Signez: César. C'est non nom d'aventure.
RB La dame ne pourra connaître l'écriture?
DS Bah! le cachet suffit.¨ J'écris souvent ainsi. est assez;
Ruy Blas, je pars ce soir, et je vous laisse ici.
RB Monseigneur.
DS Monseigneur. Je vous veux faire un destin¨ plus large. carrière;
RB Où faut-il adresser la lettre?
DS Où faut-il adresser la lettre? Je m'en-charge.¨ Le ferai;;
-Je veux, votre bonheur. Ecrivez: "Moi, Ruy Blas,
Laquais de monseigneur le marquis de Finlas,
En toute occasion, ou secrête ou publique,
M'engage¨ à le servir comme un bon domestique.¨ promet; serviteur;
Signez de votre nom. La date. Bien. Donnez.
-On vient de m'apporter une épée. Ah! Tenez!
-On vient...oui. C'est bientôt l'heure où la reine
-Le marquis del Basto!-

 
Scène V. Les mêmes. Le marquis del Basto. Courtisans.
DS Souffrez¨ qu'à votre grâce' acceptez;
Je presente, marquis, mon cousin don César,
Comte de Garofa, près de Velalcazar.
RB (à part) Ciel!
DS (bas à RB) Taisez-vous¨ ne dites rien;
MB Monsieur...charmée...
DS (bas à RB) Laissez-vous faire.
Saluez!
MB Saluez! J'aimais fort-madame votre mère.
(Bas à DS) Bien changé! Je l'aurais à peine reconnu.
DS (à MB) Dix ans d'absence!
MB (bas à DS) Au fait¨ c'est vrai;
DS HU (haut) Le voilà revenu! Vous souvient-ils,¨ marquis?... La reine approche. vous vous rappelez;
Prenez vos rangs, messieurs.
(RB est sur le point de s'enfuir)
DS (bas à RB) Est-ce que, sans reproche,
Quand votre sort¨ grandit, votre esprit s'amoindrit? fortune;
Réveillez-vous, Ruy Blas. Je vais quitter Madrid.
Faites ma volonte, je fais votre fortune.
Montez, ne craignez rien, car l'heure est opportune.¨ favorable;
HU La reine!
RB (à part) La reine! oh!
DS La reine! oh! Quel vertige¨ vous gagne?¨ trouble; prend;
Couvrez-vous¨ donc, César. Vous êtes Grand d'Espagne. (la tête);
RB (bas à DS) Et que m'ordonnez-vous, seigneur, présentement?¨ maintenant;
DS De plaire à cette femme et d'être son amant.

 
ACTE DEUXIÈME. LA REINE D'ESPAGN. Scène première.
LR Pauvre esprit sans flambeau dans un chemin obscur!
Oh! cette main sanglante empreinte¨ sur le mur! marquée;
Il s'est donc blessé? Dieu! Mais aussi c'est sa faute.
Pourquoi vouloir franchir¨ la muraille si haute? passer sur;
Pour m'apporter les fleurs qu'on me refuse ici;
Pour cela, pour si peu, s'aventurer ainsi!¨ risquer tant;
C'est aux pointes de fer qu'il s'est blesse sans doute
Un morceau de dentelle y pendait. Une goutte
De ce sang répandu pour moi vaut¨ tous mes pleurs. compense;
Chaque fois qu'à ce banc je vais chercher les fleurs,
Je promets à mon Dieu, dont l'appui¨ me délaisse, l'aide;
De n'y plus retourner. J'y retourne sans cesse.
-Mais lui: voilà trois jours qu'il n'est pas revenu.
-Blessé! -Qui que tu sois, ô jeune homme inconnus
Viens à moi, sans compter les périls¨ où tu cours; dangers. dangers.;
Toi qui verses ton sang, toi qui risques tes jours;¨ ta vie;
Pour donner une fleur a la reine d'Espagne;
Qui que tu sois, ami, dont l'ombre¨ m'accompagne, silhouette;
Puisque¨ mon coeur subit¨ une inflexible¨¨ parce que; est soumis à; dure loi;; (le maiage);
Sois aimé par ta mère et sois béni par moi:
-Oh! sa lettre me brulle. -Oui! je vais la relire
Une dernière fois:Après, je la déchire!
-Hélas:depuis un mois je dis toujours cela.
(Elle lit)
"Madame, sous vos pieds, dans l'ombre,¨ un homme est là, la nuit;
Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile;¨ cache;
Qui souffre,¨ ver de terre amoureux d'une étoile; est malheureux;
Qui pour vous domnera son âme s'il le faut;
Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut."
-Mais enfin il faut bien que j'aime quelqu'un, moi!
Oh! s'il avait voulu, j'aurais aimé le roi.
Mais il me laisse ainsi, seule, d'amour privée.¨ sans amour;
HU Une lettre du roi!
LR Une lettre du roi! Du roi! je suis sauvée!

 
Scène II. La Reine. Ruy Blas, Casilda, La Duchesse d'Albuquerque.
RB Où suis-je?-Qu'elle est belle:-Oh:pour qui suis-je ici?
LR (à part) C'est un secours¨ du ciel! aide;
(haut) Donnez vite! Merci,
Monseigneur! D'où me vient cette lettre?
DA Monseigneur! D'où me vient cette lettre? Madame,
D'Aranjuez, où le roi chasse. Du fond de l'âme Je lui rends grâce.¨ dis merci;
Il a compris qu'en mon ennui.¨ déplaisir;
J'avais besoin d'un mot d'anour qui vint de lui:
-Mais donnez donc:
DA -Mais donnez donc: L'usage,¨ il faut que je le dise, la tradition;
Veut qua ce soit d'abord moi qui l'ouvre et la lise.
LR Encore! -Eh bien, lisez!
CA (à part) Voyons le billet doux. d'amour;
DA (lisant) "Madame, il fait grand vent et j'ai tué six loups
Signé, CARLOS."
LR Signé, CARLOS." Hélas:
CA Signé, CARLOS." Hélas: C'est bien tout?
DA Signé, CARLOS." Hélas: C'est bien tout? Oui, sans doute.
Que faut-il donc de plus? Notre roi chasse; en route
Il écrit ce qu'il tue avec le temps qu'il fait.
C'est fort bien. Il écrit;-non, il
LR (Lui prend la lettre) En effet,
Ce n'est pas de sa main. Rien que sa signature.-
-Est-ce une illusion? c'est la même écriture
Que celle de la lettre. Oh! qu'est-ce que cela?
où donc est le porteur du message?
DA (montrant Ruy Blas) Il est la.
LE Ce jeune homme?
DA Ce jeune homme? C'est lui qui l'apporte en personne.
Un nouvel écuyer¨ que sa majesté donne page;
A la reine. Un seigneur que, de la part¨ du roi, au nom;
Monsieur de Santa-Cruz me recommande, à moi.
LR Son nom?
DA Son nom? C'est le seigneur César de Bazan, comte
De Garofa. S'il faut croire ce qu'on raconte,
C'est le plus accompli¨ gentilhomme qui soit. parfait;
LR Bien. Je veux lui parler.-Monsieur...
RB Bien. Je veux lui parler.-Monsieur... Elle me voit!
Elle me parle! Dieu!
CA Elle me parle! Dieu! Madame, ce jeune homme
Se trouve mal!
RB Se trouve mal! Moi? non! mais c'est singulier¨ comme... bizarre;
CA Il est blessé!
LR Il est blessé! Blessé!
CA Il est blessé! Blessé! Mais il perd connaissance!
Mais, vite, faisons-lui respirer quelque essence!¨ parfum;
LR Un flacon que j'ai là contient une liqueur...
(son regard tombe sur la manchette de Ruy Blas)
C'est la même dentelle!
(au même moment elle a tiré le flacon de sa poitrine et, dans son trouble, elle a pris en même temps le morceau de dentelle quiyétait caché. Ruy Blas voit)
RB Oh!
LR (leurs regards se rencontrent) C'est lui!
RB C'est lui! Sur son coeur!
CA Vous êtes-vous blessé?
LR Vous êtes-vous blessé? Oh!Tais-toi!
CA Vous êtes-vous blessé? Oh!Tais-toi! Votre grâce
Se trouve-t-elle mieux?
RB Se trouve-t-elle mieux? Je renais!
LR (à ses femmes) L'heure passe,
Rentrons. -Qu'en son logis le comte soit conduit.
Vous savez que le roi ne vient pas cette nuit.
Il passe la saison tout entière a la chasse.
(Elle rentre avec sa suite dans ses appartements)
CA La reine a dans l'esprit quelque chose.
(Elle sort)
RB (Resté seul) O Dieu grâce!
Ne me rendez pas fou!-C'était bien sur son coeur!

 
Scène III. Ruy Blas, Don Guritan; qui tire son épée
DG J'en apporterai deux de pareille¨ longueur. même;
RB Mais...je ne comprends pas.
DG Mais...je ne comprends pas. Vous comprenez fort bien.
Nous sommes tous les deux épris¨ du même bien. amoureux;
Il faut que je vous tue.
RB Il faut que je vous tue. Eh bien essayez.
(entretemps Casilda entrepécoute et sort)
DG Comte De Garofa, demain, à l'heure où le jour monte,
A l'endroit indiqué, sans témoin,¨ ni valet,¨ assistant; serviteur;
Nous nous égorgerons¨ galamment, s'il vous plaît. tuerons;
RB Pas un mot de ceci, n'est-ce pas?-A demain. (Il sort)
DG (seul) Non, je n'ai pas du tout senti trembler sa main.
Etre sûr de mourir et faire de la sorte;
C'est d'un brave jeune homme. -On ouvre cette porte?

 
Scène IV. Don Guritan, La Reine.
LR C'est vous que je cherchais!
DG C'est vous que je cherchais! Qui¨ me vaut-ce bonheur? qu'est-ce qui;
LR Oh Dieu!rien, ou, du moins, peu de chose, seigneur.
Tout à l'heure, on disait parmi-d'adtres-paroles,¨ entre autre;
Casilda, -(vous savez que les femmes son folles)
Casilda soutenait¨ que vous feriez pour moi assurait;
Tout ce que je voudrais.
DG Tout ce que je voudrais. Elle a raison!
LR Tout ce que je voudrais. Elle a raison! Ma-foi¨ en vérit;
J'ai soutenu que non.
DG J'ai soutenu que non. Vous avez-tort,¨ madame! vous vous trompez;
LR Elle a dit que pour moi vous donneriez votre âme,
Votre sang...
DG Votre sang... Casilda parlait fort bien ainsi.
LR Et moi, j'ai dit que non.
DG Et moi, j'ai dit que non. Et moi, je dis que si!
Je le jure!Ordonnez;j'obéis, ou je meure!
LR Bien. Vous allez partir de Madrid tout à l'heure
Pour porter cette boîte en bois de calamhour
A mon père monsieur l'électeur de Neubourg.
DG (à part) Je suis pris!¨ A Neubourg? dans une mauvaise situation;
LR Je suis pris!¨ A Neubourg? A Neubourg.
DG Je suis pris!¨ A Neubourg? A Neubourg. Quand partir?
LR Sur-le-champ;
DG Sur-le-champ; Ah!demain!
LR Sur-le-champ; Ah!demain! Je ne puis consentir,¨ je ne peux pas permettre;
DG (à part) Je reviendrai! (haut) Je vais contenter de ce pas¨ immédiatement;
Votre Majesté.
LR Votre Majesté. Bien. (I1 sort) Il ne le tuera pas.

 
ACTE TROISIÈME. RUY BLAS. Scène première.
DM Cette fortune-là cache quelque mystère.
CC Il a la toison d'or.¨ Le voila secrétaire ordre de chevalerie;
Universel, ministre, et puis duc d'Olmedo!
DM En six mois!
CC En six mois! On le sert derrière le rideau.
DM La reine!
CC La reine! Au-fait;le roi, malade et fou dans l'âme,
Vit avec le tombeau de sa première femme.
Il abdique¨ enfermé dans son Escurial,¨ abandonne tout; palais;
Et la reine fait tout!
DM Et la reine fait tout! Mon cher Camporeal,
Elle règne sur nous, et don César sur elle!
CC Il vit d'une façon qui n'est pas naturelle
UB Je le crois homme probe.¨ intègre;
CC Je le crois homme probe.¨ Oh! candide¨ Ubilla! naïf;
Qui se laisse éblouir¨ à ces probités là!¨ tromper; par naïvetés;
CO Messieurs les conseillers de Castille, il importe,
Afin-qu'aucun de nous de sa sphère¨ ne sorte situation;
De bien régler nos droits et de faire nos parts.¨ profits;
Le revenu¨ d'Espagne en cent mains est épars.¨ argent; distribué;
C'est un malheur public; il faut y mettre un-terme.¨ Les uns n'ont pas assez,les autres trop. La ferme¨ fin; exploitation;
Du tabac est à vous, Ubilla.L'indigo
Et le musc sont à vous, marquis de Priego.
(à DM) Vous avez à vous seul, grâce à votre manège.¨ par intrigue;
L'impôt sur l'arsenic et le droit sur la neige,
La dîme¨ de la mer,le plomb,le bois de rose'... impôt;
Moi, jen'ai rien, messieurs. Rendez-moi quelque chose!
CC Le vieux diable!
MP Le vieux diable! Il a les nègres!
MO Le vieux diable! Il a les nègres! Je devrais
Me plaindre bien plutôt. Il me faut les forets!
CO Donnez-moi l'arsenic,je vous cède¨ les nègres! donne;

 
Scène II. Les mêmes, Ruy Blas.
RB Bon appétit, msssieurs! -O ministres intègres!
Conseillers vertueux!¨ voilà votre façon moralement moralement bon;
De servir, serviteurs qui pillez¨ la maison! volez;
Donc vous n'avez ici pas d'autres intérêts
Que remplir votre poche et vous enfuir après!
Soyez flétris¨ devant votre pays qui tombe! déshonorés;
(Les conseillers se taisent consternes.Seuls MP et tombe en CC regardent Ruy Blas avec colère.¨ Puis CC, après après avoir parle à MP, écrit quelques mots sur un papier, les signe et les fait signer au marquis) furieux;
CC Monsieur le duc,-au nom, de tous les deux,-voici
Notre démission de notre emploi!.
RB Notre démission de notre emploi!. Merci.
Vous vous retirez, avec votre famille,
(à MP) Vous, en Andalousie, (à CC) Et vous, comte, en Castille.
Chacun dans vos états. Soyez partis demain.
(Ils sortent.RB se tourne vers les autres conseillers)
Quiconque¨ ne veut pas marcher dans mon Chemin celui qui;
Peut suivre ces messieurs.
UB (à CO) Peut suivre ces messieurs. Fils, nous avons un maître.
Cet homme sera grand.
CO Cet homme sera grand. Oui, s'il a le temps d'être.
(Après avoir parcouru¨ une lettre). lu;
Un complot! qu'est ceci? Messieurs, que vous disais-je? (Lisant)
"Duc d'Olmedo, veillez.¨ I1 se prépare un piège¨ attention; complot;
Pour enlever¨ quelqu'un de très grand de Madrid." kidnapper;
On ne nomme pas qui. Je veillerai.-L'écrit
(Entre un huissier de cour)
Est anonyme. Allons! qu'est-ce?
.HU Est anonyme. Allons! qu'est-ce? A votre excellence
J'annonce monseigneur l'ambassadeur de France.
RB Ah! d'Harcourt! Je ne puis à présent!¨ Impossible! maintenant;
Mon page! Je ne suis pour personne visible.
(Aux conseillers) Dans deux heures,messieurs,revenez.
(Tous sortent en saluant profondément Ruy Blas)

 
Scène III. Ruy Blas, La Reine.
LR Oh! merci!
RB Ciel;
LR Ciel; Vous avez bien fait de leur parler ainsi.
Je n'y puis résister,¨ duc, i1 faut que je serre je dois le faire;
Cette loyale main si ferme et si sincère!
RB (à part) La fuir depuis six mois et la voir tout a coup!
(haut) Vous étiez là,madame?
LR Vous étiez là,madame? Oui,duc,j'entendais tout.
Je soulevais le bord de la tapisserie.
Je vous voyais. Votre oeil, irrité, sans furie,
Les foudroyait¨ d'éclairs, et vous leur disiez tout. frappait;
Vous me sembliez seul être resté debout!
Pourquoi donc étiez-vous, comme eût été Dieu même,
Si terrible et si grand?
RB Si terrible et si grand? Parce que je vous aime!
Parce que je sens bien, moi qu'ils. haïssent tous,
Que ce qu'ils font crouler, tomber 'écroulera sur vous!
Je vous aime:-O mon Dieu, j'ose le dire en face
à votre majesté. Que faut-il que je fasse?
Si vous me disiez: meurs! je mourrais. J'ai l'effroi¨ la peur;
Dans le coeur. Pardonnez!
LR Dans le coeur. Pardonnez! Oh! parle! ravis moi!¨ rends-moi heureuse;
Jamais on ne m'a dit ces choses-là. J'écoute!
Ton âme en me parlant me bouleverse¨ toute. trouble;
RB Oh! madame, achevez!¨ dis-moi tout;
LR (levant les yeux au ciel) Oui,je vais tout lui dire.
Est-ce un crime? Tant pis! Quand le coeur se déchire,
Il faut bien laisser voir tout ce qu'on y cachait.
(à RB) Tu fuis la reine? Eh bien, la reine te cherchait.
RB Madame...
LR Madame... Don César, je vous donne mon âme.
Reine pour tous, pour vous je ne suis qu'une femme.
Par l'amour, par le coeur, duc, je vous appartiens!¨ suis à vous;
J'ai foi¨ dans votre honneur pour respecter le mien. confiance;
Quand vous m'appellerez, je viendrai. Je suis ptête.
O César: un esprit sublime est dans ta tête.
Sois fier, car le génie est ta couronne, à toi!
Adieu.
(Elle soulève la tapisserie et disparaît)
RB Devant mes yeux c'est le ciel que je vois!
Le dévouement¨ se cache au fond de mon amour fidélité;
Pur et loyal! Allez ne craignez rien!...

 
Scène IV. Ruy Blas, Don Salluste.
DS Bonjour.
RB (à part) Grand Dieu:je suis perdu! le marquis!
DS Grand Dieu:je suis perdu! le marquis! Je parie
Que vous ne pensiez pas à moi.
RB Que vous ne pensiez pas à moi. Sa seigneurie,
En effet,me surprend.
DS En effet,me surprend. Vous êtes étonnant.-
Occupons-nous d'objets sérieux maintenant.
-Vous m'attendrez demain toute la matinée,
Chez vous, dans la maison que je vous ai donnée.
Ayez dans le jardin, caché sous le feuillage,
Un carosse attelé, tout prêt pour un voyage.
RB Monsieur, j'obéirai. Je consens¨ à tout faire. accepte;
Mais jurez-moi d'abord qu'en toute cette affaire
La reine n'est pour rien.¨ n'est pas mêlé ;
DS La reine n'est pour rien.¨ De quoi vous mêlez-vous?
RB Oh! vous êtes un homme effrayant!¨ Mes genoux terrible;
Tremblent... Vous m'entrainez vers un gouffre invisible
Oh! je sens que je suis dans une main terrible!
Il faut que je vous dise,-hélas! jugez vous-même!
Vous ne le saviez pas; cette femme, je l'aime!
DS Mais si! je le savais.
RB Mais si! je le savais. Q mon Dieu! Dieu clément!
Dieu juste! de quel crime est-ce le châtiment?¨ punition;
-Mais il est temps encore:-Oh:monseigneur,vraiment
L'horrible roue¨ éncor n'est pas en mouvement! machinerie;
-Ayez pitié de moi! Voyez! je me soumets!
Grâce!
DS Grâce! Cet homme-là ne comprendra jamais.
C'est impatientent!
RB C'est impatientent! Ho! c'est trop! A présent¨ maintenant;
Je suis duc d'Olmedo, ministre tout-puissant!
Je vous fais arrêter.
DS Je vous fais arrêter. Je dirai qui vous êtes.
RB Mais...
DS Mais... Vous m'accuserez? J'ai risqué nos deux têtes.
-C'est prévu. Vour prenez trop tôt l'air triomphant,
RB Je nierai¨ tout! rejetterai la vérité;
DS Je nierai¨ tout! Allons:vous êtes un enfant.
RB Vous n'avez, pas de preuve!
DS RB Vous n'avez, pas de preuve! Et vous pas de mémoire.
Je fais ce que je dis, et vous pouvez m'en croire.
Vous n'êtes, quele gant, et moi,je suis la main.
Si tu n'obéis tu n'es pas demain
Chez toi, pour préparerce qu'il faut que je fasse,
Si tu dis un seul mot de tout ce qui se passe,
Sites yeux, si ton geste en laissent rien percer,
quelque chose voir;
Celle pour qui tu crains, d'abord,pour commencer,
Par ta folle aventure, en cent lieux répandue,¨ racontée;
Sera publiquement diffamée side discréditée et perdue.
Puis elle recevra,(ceci n'a rien d'obscur),s¨ secret;
Sous cachet, un papier, que je garde en lieu sûr.
Ecrit, te souvient-il¨ avec quelle signature? tu te rappelles;
Signé,-tu dois savoir de quelle signature?
Voici. Voici ce que ses yeux y liront: "Mol, Ruy Blas
Laquais de monseigneur le marquis de Finlas,
En toute occasion, ou secrète ou publique,
M'engage¨ àle servir comme un bon domestique." promets;
RB Il suffit.¨ -Je ferai, monsieur, ce qu'il vous plaît. C'est assez;
DS On vient, -Monsieur le duc, je suis votre valet.¨ serviteur;

 
ACTE QUATRIISE. DON CÉSAR. Scène I
(On entend un grand bruit dans la cheminée, par la-quelle on voit tomber tout à coup un homme)
DC J'entre un peu brusquement,messieurs,j'en"suis fâché
-Personne?i -sur le toit tout à l'heure perché¨ assis;
J'ai cru pourtant ouir¨ entendre un bruit de voix.-Personne!;
Fort bien. Recueillons¨ nous. La solitude est bonne, méditons;
(Il se lève et ouvre les tiroirs d'un coffre)
Ce manteau me parait plus décent que le mien;
C'est égal! me voila revenu. Tout va bien.

 
Scène II. Don César, un laquais.
DC (à part) Voilà du merveilleux!
LA Voilà du merveilleux! Vous êtes le seigneur
Don César de Bazan?
DC Don César de Bazan? Pardieu! j'ai cet honneur.
César! le vrai César! le seul César! le comte
De Garo...
LA De Garo... Daignez¨ voir si c'est là votre compte.¨ veuillez; argent;
DC (à part) De l'argent! c'est trop fort! -Mon cher...
LA De l'argent! c'est trop fort! -Mon cher... Daignez compter.
C'est la somme que j'ai ordre de vous porter.
DC De quelle part?
LA De quelle part? Monsieur le sait bien.
DC De quelle part? Monsieur le sait bien. Sans nul¨ doute. aucun aucun;
Mais...
LA Mais... Cet argent, (voilà ce qu'il faut que j'ajoute)
Vient de qui vous savez pour ce que vous savez.
DC Ah!
LA Ah! Nous devons, tous deux, être fort réservés.¨ (11 sort) discrets;

 
Scène III. Don César, une duègne.¨ gouvernante;
DU Don César de Bazan? -Dieu vous maintienne en joie!
Avez-vous à quelqu'un, qui jusqu'à vous m'envoie,
Donné pour cette nuit un rendez-vous secret?
DC Mais j'en suis fort capable.
DU Mais j'en suis fort capable. Ainsi, mon beau discret,
C'est bien vous qui venez, et pour cette nuit même,
D'adresser ce message à quelqu'un qui vous aime
Et que vous savez bien?
DC Et que vous savez bien? Ce doit être moi.
DU Et que vous savez bien? Ce doit être moi. Bon.
La dame, mariée à quelque vieux barbon,
A des ménagements¨ sans doute est obligée. prudences;
Et de me renseigner¨ céans¨ on m'a chargée. m'informer; ici;
Vous la verrez ce soir. Toujours à droite assise
Au troisième pilier¨ -en entrant dans l'élise. colonne;
Vous la verrez ce soir! Monsieur, pensez a moi Dans vos prières, (elle sort)
DC Ah!-Je me résous,¨ ma-foi; dois me décider;
A ne plus m'étonner. J'habite dans la lune.
Me voici maintenant une bonne fortune.
Et je vais contenter mon coeur après ma faim.
Tout cela me parait bien beau.-Gare¨ la fin! attention à;

 
Scène IV. Don César, don Guritan.
DG Don César de Bazan? (il croit qu'il se trompe)
DC Veuillez prendre la peine
D'entrer, de vous asseoir, comme chez vous, sans gêne.
Enchanté¨ de vous voir ça, causons¨ un moment. heureux; parlons;
Que fait-on à Madrid? Ah! quel séjour-charmant!
DG On m'a joué¨ monsieur! trompé;
DC On m'a joué¨ monsieur! Et moi, l'on m'a vendu!
DG L'on m'a presque exilé-¨ chassé du pays;
DC L'on m'a presque exilé-¨ L'on m'a presque pendu!
DG On m'envoie à Neubourg, d'une manière adroite,
Porter ces quatre mots écrits dans une boîte:
"Gardez le plus longtemps possible ce vieux fou."
DC Parfait! qui donc cela?
DG Parfait! qui donc cela? Mais je tordrai le cou
A César de Bazan!-Où donc est-il?
DC A César de Bazan!-Où donc est-il? C'est moi.
DG Vous! Raillez-vous,¨ monsieur? vous n'êtes pas serieux;
DC Vous! Raillez-vous,¨ monsieur? Je suis don César.
DG Vous! Raillez-vous,¨ monsieur? Je suis don César. Quoi!
Savez-vous bien, monsieur,que vous m'exaspérez?¨ irritez;
DC Bah!
DG Bah! Que c'est trop fort!
DC Bah! Que c'est trop fort! Vrai?
DG Bah! Que c'est trop fort! Vrai? Que vous me le paierez!
Vous n'êtes pas César,la chose me regarde;¨ est importane pour moi;
Mais je vais commencer par vous.
DC Mais je vais commencer par vous. Bon.Prenez garde¨ attention de ne pas;
De finir¨ par moi. mourir;
DG De finir¨ par moi. Fat! Sur-le-champ!¨ immédiatement;
DC De finir¨ par moi. Fat! Sur-le-champ!¨ De ce pas!¨ immédiatement;
Quand je tiens un bon duel, je ne le lâche pas!
DG Où?
DC Où? Derrière le mur. Cette rue est déserte
DG Pour¨ César, je le tue ensuite!¨ quant à; après;
DC Pour¨ César, je le tue ensuite!¨ Vraiment?
DG Pour¨ César, je le tue ensuite!¨ Vraiment? Certes!
(Ils sortent)

 
Scène V. Don Salluste.
DS Que veut dire ceci? -Quel est donc ce tapage?¨ tumulte;
-Gudiel, ce matin, a vu sortir le page,
Et l'a suivi.-Le page allait chez Guritan.-
Je ne vois pas Ruy Blas.-Et ce page...-Satan!
Scène VI. Don Salluste,don César
DC Ah! j'en étais bien sûr! vous voilà donc,vieux diable!
DS Don César!
DC Don César! Vous tramez-quelque histoire effroyable!
DS (à part) Tout est perdu!
DC Tout est perdu! D'ailleurs,dans ce palais-prison
Je sens quelqu'un en proie à votre trahison.¨ mauvais coup;
Mais je prétends¨ sauver ceux qu'ici vous perdez.¨ veux; ruinez;
Je vais crier mon nom sur les toits.-Attendez!
Juste des alguazils¨ passent sous la fenêtre.- Holà!: policiers;
DS (à part) Tout est perdu s'il se fait reconnaître!
(Entrent des alguazils avec un alcade")
Scène VII.
DC (à l'alcade) Vous allez consigner¨ noter dans vos procès-verbaux;
DS Que voici le fameux voleur Matalobos:
DC Comment!
DS (à part) Je gagne tout en gagnant vingt-quatre heures
(à l'alcade) Cet homme ose en plein jour entrer dans les demeures¨ maison;
Saisissez¨ ce voleur! arrêtez;
(Les alguazils saisissent don César)
DC Je suis votre valet,
Vous mentez hardiment!
AL Vous mentez hardiment! Qui donc nous appelait?
DS C'est moi.
DC C'est moi. Pardieu:c'est fort!
AL C'est moi. Pardieu:c'est fort! Paix! je crois qu'il raisonne.
DC Mais je suis don César de Bazan en personne!
DS Don Cesar?-Regardez son manteau,s'il vous plaît.
Vous. trouverez SALLUSTE écrit sur le collet.
C'est un manteau qu'il vient de me voler.
AL C'est un manteau qu'il vient de me voler. C'est juste.
DS Et le pourpoint¨ qu'il porte... veste;
DC Et le pourpoint¨ qu'il porte... Oh! le damné Salluste!
DS Il est au comte d'Albe, auquel il fut volé.
Donc voici le blason!
DC Donc voici le blason! Il est ensorcelé!¨ influencé par des forces magique;
AL Oui, les deux châteaux d'or,- (à DC) Allons,marche avec eux!
DC Bonsoir, Matalobos!
DC Bonsoir, Matalobos! Vous êtes un fier gueux!¨ bandit;

 
ACTE CINQUIÈME. LE TIGRE ET LE LION.
Scène I. Ruy Blas, la Reine.
LR César...
RB César... Qui vous a dit de venir ici?
LR César... Qui vous a dit de venir ici? Toi
LR Moi?-Comment?
LR Moi?-Comment? J'ai reçu une lettre.
RB Moi?-Comment? J'ai reçu une lettre. De moi?
LR Lisez donc.
RB Lisez donc. "Un danger terrible est sur ma tête.
Ma reine seule peut conjurer¨ la tempête¨ prévenir; malheur;
LR "En venant me trouver ce soir dans ma maison."
"Sinon,je suis perdu."
RB "Sinon,je suis perdu." Ho! quelle trahison!
Ce billet:
LR Ce billet: " "Par la porte au bas de l'avenue,"
"Vous entrerez la nuit sans être reconnue."
"Quelqu'un de dévoué vous ouvrira."
RB "Quelqu'un de dévoué vous ouvrira." Va-t'en!
Mais,j‘'y songe,¨ on a dû t'ouvrir? pense;
LR Mais,j‘'y songe,¨ on a dû t'ouvrir? Mais oui.
RB (à part) Mais,j‘'y songe,¨ on a dû t'ouvrir? Mais oui. Satan! (haut) Qui?
LR Satan! Qui? Quelqu'un de masqué, caché par la muraille.
RB Masqué? Qu'a dit cet homme? est-il de -haute-taille?¨ grand;
Cet homme, quel est-il? Mais parle donc j'attends!
Scène II. Les mêmes,don Salluste.
DS C'est moi! (Il jette son masque)
RB C'est moi! Grand Dieu! fuyez,madame!
.DS C'est moi! Grand Dieu! fuyez,madame! Il n'est plus temps¨ il est trop tard;
Madame de Neubourg n'est plus reine d'Espagne.
LR Don Salluste!
DS Don Salluste! A jamais¨ vous êtes la compagne pour toujours;
De cet homme.
LR De cet homme. Grand Dieu! c'est un piège,¨ en effet! complot;
Et don César...
RB Et don César... Madame, hélas:qu'avez-vous fait?
DS Je vous tiens. -Mais je vais parler, sans lui déplaire
À votre majesté, car je suis sans colère.¨ fureur;
Je vous trouve-(écoutez,ne faisons pas de bruit)
Seule avec don César, dans sa chambre, à minuit.
Ce fait, pour une reine, étant public,en somme¨ résumé;
Suffit¨ est assez pour annuler le mariage à Rome.;
RB (tire l'épée) Je crois que vous venez d'insulter¨ votre reine! offenser;
(DS se precipite¨ vers la porte; RB la lui barre) court;
Oh! n'allez point par là, ce n'est pas la peine.
LR Grâce pour lui!
RB Grâce pour lui! Madame,ici chacun se venge.
Le démon ne peut plus être sauvé par l'ange:
LR Grâce:
DS Grâce: Au meurtre!¨ Au-secours!¨ On me tue!; aidez-moi;
RB Grâce: Au meurtre!¨ Au-secours!¨ As-tu bientôt fini?
DS Je meurs assassiné! Démon!
RB (le poussant dans le cabinet) Tu meurs puni:
LR Ciel!
(Un moment de silence; RB rentre.)
RB Maintenant, madame, il faut que je vous dise.
Je n'approcherai pas.-Je parle avec franchise.
Je ne suis point coupable autant que vous croyez.
Je sens, ma trahison,comme vous la voyez,
Doit vous paraître horrible. Oh! ce n'est pas facile
A raconter. Pourtant je n'ai pas l'âme vile.¨ méchante;
Je suis honnête au fond.-Cet amour m'a perdu.-
Je ne me défends pas; je sais bien, j'aurais dû
trouver quelque moyen. La faute est consommée! ,side faite
C'est égal, voyez-vous, je vous ai bien aimée.
LR Que voulez-vous?
RB Que voulez-vous? Que vous me pardonniez,madame!
LR Jamais.
RB Jamais. Jamais!
(Il se lève et marche vers la table)
Bien sûr?
LR Bien sûr? Non, jamais!
RB (Il prend la fiole-posée sur la table et la vide) Triste flamme;
Eteins-toi!.
LR Eteins-toi!. Que fait-il?
RB Eteins-toi!. Que fait-il? Rien.Mes maux sont finis.
Rien. Vous me maudissez, et moi, je vous bénis.
Voilà tout.
LR Voilà tout. Don César!
RB Voilà tout. Don César! Quand je pense, pauvre ange,
Que vous m'avez aimé!
LR Que vous m'avez aimé! Quel est ce philtre¨ étrange? boisson;
Qu'avez-vous fait? Dis-moi, réponds-moi, parle-moi,
César! je te pardonne et t'aime, et je te crois!
RB Je m'appelle Ruy Blas.
LR Je m'appelle Ruy Blas. Ruy Blas,je vous pardonne!
Mais qu'avez-vous fait là? Parle,je te l'ordonne!
Ce n'est pas du poison, cette affreuse liqueur?
Dis!
RB Dis! Si, c'est du poison. Mais j'ai la joie au coeur.
Permettez, ô mon Dieu, justice souveraine,
Que ce pauvre laquais bénisse cette reine,
Car elle a consolé¨ mon coeur crucifié,¨ réconforté; torturé;
Vivant, par son amour, mourant, par sa pitié!
LR Du poison! Dieu! c'est moi qui l'ai tué!-Je t'aime!
Si j'avais pardonné?...
RB Si j'avais pardonné?... J'aurais agi-de-même.
Je ne pouvais plus vivre. Adieu!-Fuyez d'ici!
Tout restera secret.-Je meurs. (Il tombe)
LR (se jetant sur son corps) Ruy Blas!
RB Ruy Blas! Merci!

30. Charles Perrault

30.1. La belle au bois dormant

Il était une fois un roi et une reine qui étaient si tristes, si tristes de ne pas avoir d'enfants, si tristes qu'on ne saurait pas le dire. Ils allèrent à toutes les eaux du monde, pèlerinages, dévotions, tout fut fait, mais sans résultats. Enfin la reine devint grosse, et eut une fille. On fit un beau baptème;¨ on donna pour marraines¨ à la petite princesse toutes les fées qu'on put trouver dans le pays (il s'en trouva sept). Chaque fée lui faisait un don, comme c'était la tradition des fées en ce temps-là, et la princesse eut, par cela,toutes les perfections. Après les cérémonies du baptême, toute la compagnie revint au palais du roi, où il y avait un grand festin pour les fées. On avait mis devant chaque fée un couvert magnifique, avec un étui d'or massif où il y avait une cuiller, une fourchette et un couteau de fin or, garnis de diamants. Mais quand chaque fée eut pris place à table, on vit entrer une vieille fée, qu'on n'avait pas invitée, parce qu'il y avait plus de cinquante ans qu'elle n'était sortie d'une tour, et qu'on la croyait morte. cérémonie du premier sacrément; femme qui porte l'enfant au baptême;
Le roi fit donner un couvert, mais il était impossible de lui donner un étui d'or massif, comme aux autres, par-ce qu'on en avait fait faire sept, pour les sept fées. La vieille croyait qu'on ne voulut pas d'elle et disait des choses méchantes entre ses dents. Une des jeunes fées qui se trouvait auprès d'elle, l'entendait, et, croyant qu'elle pourrait donner quelque mauvais don à la petite princesse, alla, après qu'on était sorti de table, se cacher derrière la tapisserie, pour parler la dernière, et pour pouvoir réparer, si possible, le mal que la vieille aurait fait. Alors les fées commencèrent à faire leurs dons à la princesse. La plus jeune lui donna pour don quelle serait la plus belle personne du monde; celle d'après,qu' elle aurait de l'esprit comme un ange; la troisième, qu' elle aurait une belle grâce à tout ce qu'elle ferait; la quatrième, qu'elle danserait parfaitement bien; la cinquième, qu'elle jouerait de toutes sortes d'instruments à perfection; et la sixième, qu'elle chanterait comme un rossignol. Le rang de la vieille fée était venu; elle dit que la princesse se piquerait la main d'un fuseau¨ et qu'elle en mourrait. instrument pour faire du fil ;
Ce terrible don fit trembler toute la compagnie, et il n'y avait personne qui n'en pleurât. Dans ce moment, la jeune fée sortit de derrière la, tapisserie, et dit: "N'ayez pas peur, roi et reine, votre fille ne mourra pas; il est vrai que je n'ai pas assez de force pour réparer complètement ce que mon ancienne a fait; la princesse se piquera la main d'un fuseau, mais elle n'en mourra pas; elle tombera seulement dans un profond sommeil, qui durera cent ans, jusqu'au moment où le fils d'un roi viendra la réveiller."
Le roi, pour prévenir le malheur annoncé par la vieille fée, faisait publier immédiatement un décret par lequel il défendait à toutes personnes de filer au fuseau, ni d'avoir des fuseaux à la maison sur sanction de mort. Quinze ou seize ans après, il arriva que la jeune princesse, courant un jour dans le château, alla jusqu'au haut d'une tour, dans une petite chambre où une bonne vieille était seule à filer au fuseau. Cette bonne n'avait pas entendu parler des défenses que le roi avait faites de filer au fuseau. "Que faites-vous là, ma bonne femme?" dit la princesse.-"Je file, ma belle enfant," lui répondit la vieille, qui ne la connaissait pas. -"Ah!que cela est joli!" reprit la princesse; c"omment faites-vous? Donnez-moi que je voie si je pourrai faire la même cho-se." Elle prit le fuseau, mais comme elle était très vive, elle s'en piqua la main et tomba sans connaissance. La bonne vieille crie au secours; on vient de tous côtés; on jette de l'eau au visage de la princesse; on lui frappe les mains, mais rien ne la faisait revenir. Alors le roi, qui était monté au tumulte, se rappela la prophétie des fées. Il fit mettre la princesse dans un bel appartement du palais, sur un lit de broderie d'or et d'argent. On aurait dit un ange, tant elle était belle; ses joues étaient d'un rouge clair et ses lèvres comme du corail; elle avait seulement les yeux fermés, mais on l'entendait respirer doucement; ce qui faisait voir qu'elle n'était pas morte.
Le roi ordonna qu'on la laissât dormir jusqu'au moment où son heure de se réveiller serait venue. La bonne fée qui lui avait sauvé la vie,était dans le royaume de Mataquin, à douze mille lieues¨ de là; mais elle fut informée, très vite, par un petit nain¨ qui avait des bottes de sept lieues (c'étaient des bottes avec lesquelles on faisait sept lieues d'un seul pas). une lieue égale 4 kilomètres; très petite personne;
La fée partit immédiatement, et on la vit, une heure après, arriver dans une voiture tirée par des dragons. Le roi alla lui présenter la main pour descendre. Elle fut d'accord avec tout ce qu'il avait fait; mais, comme elle était grandement prévoyante, elle pensa que, quand la princesse viendrait à se réveiller, elle serait bien malheureuse toute seule dans ce vieux château; voici ce qu'elle fit:
Elle frappa de sa baguette¨ tout ce qui était dans ce château (mais non pas le roi et la reine): gouvernantes, filles d'honneur, femmes de chambre, gentilshommes, officiers, cuisiniers, gardes, pages; elle frappa aussi tous les chevaux, et la petite Pouffe, petite chienne de la princesse, qui était auprès d'elle sur son lit. Immédiatement après qu'elle les eut touché, ils s'endormirent. Alors le roi et la reine, après avoir donné un baiser à leur chère enfant, sortirent du château, et firent publier des défenses à tout le monde d'y aller. Ces défenses n'étaient pas nécessaires, car dans un quart d'heure, tout autour du château, une si grande quantité de grands arbes et de petits, de ronces et de plantes sortirent de la terre que bête ni homme n'y aurait pu passer; et on ne voyait plus que le haut des tours du château, et seulement de très loin. bâton magique;
Cent ans apès,le fils du roi qui était alors le maître du pays, et qui, était d'une autre famille que la princesse endormie, était allé à la chasse de ce côté-là. Alors il demanda ce que c'était que des tours qu'il voyait au-dessus d'un grand bois. Tout le monde lui répondait comme il en avait entendu parler: les uns disaient que c'était un vieux château où il y avait des, démons; lès autres qu'un géant y demeurait, et qu'il emportait là tous les enfants qu'il pouvait prendre, pour pouvoir les manger plus facilement.
Le prince ne savait pas ce qu'il devait penser de tout cela, lorsqu'un vieux paysan lui dit: "Mon prince, il y a plus de cinquante ans que j'ai entendu dire à mon père qu'il y avait dans ce château une princesse, la plus belle du monde; qu'elle devait y dormir cent ans; et qu' elle serait réveillée par le fils d'un roi, à qui elle était réservée."
Le jeune prince, à ces mots, se sentit tout de feu; il crut, sans balancer, qu'il mettrait fin à une si belle aventure, et poussé par l'amour et la gloire, il décida de voir immédiatement ce qui en était. Il marcha vers le château, qu'il voyait au bout d'une grande avenue où il entra, et ce qui fut pour lui une grande surprise, il vit que personne de ses gens n'avait pu le suivre, parce que les arbres s'étaient refermés immédiatement après qu'il était passé. Il continua son chemin; un prince jeune et amoureux est toujours courageux.Il entra dans une grande cour; c'était un silence terrible; une scène de mort se présentait: il 'y avait des corps d'hommeS et d'animaux qui étaient comme morts. Mais il comprenait au nez rouge des serviteurs qu'ils étaient endormis, et leurs verres, e1 il y avait encore un peu de vin, montraient qu'ils s'étaient endormis en buvant.
Il passe une grande cour de marbre; il monte l'escalier, il entre dans la salle des soldats qui, la carabine sur l'épaule, dormaient. Il entre dans une chambre et il voit sur un lit le plus beau spectacle qu'il eût jamais vu: une princesse qui devait avoir quinze ou seize ans. Il marcha vers elle, et se mit à genoux devant le lit.
Alors, comme la fin de la force magique était venue, la princesse ouvrit les yeux, et, le regardait; "Est-ce vous mcn prince?" lui dit-elle; vous vous êtes fait aittendre bien longtemps."
Le prince, charmé de cela,dit qu'il l'aimait plus que lui- même. Enfin il y avait quatre heures qu'ils, se parlaient. Pendant cette scène, tout le palais s'était réveillé avec la princesse, et recommença son travail. Le prince aida la princesse à se lever; elle était tout habillée et très magnifiquement. Ils passèrent dans un grand salon et y soupèrent, servis par les officiers de la princesse. Les violons jouèrent de belle musique; et après souper, sans perdre de temps le prêtre les maria dans la chapelle du château.

30.2. Le petit Chaperon Rouge

Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu'on eût su voir; sa mère en était folle, et sa grand-mère plus folle encoré. Cette bonne lui avait fait un petit chaperon. rôuge qui lui allait si bien qu'on l'appelait le petit Chaperon rouge. Un jouresa mère, qui avait fait des galettes lui dit: "Va voir comment va ta grand-mère, car on m'a dit qu'e elle était malade. Porte-lui une galette et ce petit pot de beurre."
Le petit Chaperon rouge partit immédiatement pour aller chez sa grand-mère,qui demeurait dans un autre village. En passant dans un bois elle rencontra le Loup, qui aurait bien voulu la manger mais il n'en avait pas le courage à cause de quelques travailleurs qui étaient dans le bois. Il lui demanda où elle allait. La pauvre enfant qui ne savait pas qu'il était dangereux de s'a arrêter à écouter un loup, lui dit: "Je vais voir ma grand-mère et lui porter une galette, avec un petit pot de beurre, que ma mère lui envcie."
"Demeure-t-elle bien loin?" lui dit le Loup.
"Oh!oui, dit le petit Chaperon rouge; "c'est derrière le moulin que vous voyez là-bas, à la première maison du village."
"Eh bien, dit le Loup; je veux aller la voir aussi; et j'y vais par ce chemin-ci et toi par ce chemin-là; et nous verrons qui y sera le plus tôt."
Le Loup commença à courir de toute sa force par le chemin qui était le plus court, et la petite fille s'en alla par le chemin le plus long, s'amusant à courir près des papillons, et à faire des bouquets des petites fleurs qu'elle rencontrait.
Le Loup ne fut pas longtemps à arriver à la maison de la grand-mère; i1 frappe: toc, toc.
"Qui est là?"-"C-est votre fille,le petit Chaperon rouge," dit le Loup en imitant sa voix; "qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre, que ma mère vous envoie."
La bonne grand-mère, qui était dans son lit, parce qu'elle était un peu malade, lui cria: "Entre, la porte est ouverte."
Le Loup entra; il se jeta sur la bonne femme et la mangea en moins de rien, car il y avait plus de trois jours qu'il n'avait mangé. Après, il ferma la porte, et alla se coucher dans le lit de la grand-mère, en attendant le petit Chaperon rouge, qui, quelque temps après, vint frapper à la porte: toc, toc.
"Qui est là?"-Le petit Chaperon rouge répondit: "C'est votre petite-file le petit Chaperon rouge, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre, que ma mère vous envoie."
Le Loup lui cria: "Entre,la porte est ouverte."
Et le petit Chaperon rouge entra.
Le Loup, la voyant entrer, lui dit en se cachant dans le lit: "Mets la galette et le petit pot sur la table."
Le petit Chaperon rouge lui dit: "Ma grand-mère, que vous avez de grands bras!" - "C'est pour mieux t'embrasser ma fille!" - "Ma grand-mère, que vous avez de grandes jambes!" - "C'est pour mieux courir, mon enfant!" - "Ma grand-mère, que vous avez de grandes oreilles!" - "C'est pour mieux écouter, mon enfant!" - "Ma grand-mère, que vous avez de grands yeux!" - "C'est pour mieux te voir, mon enfant!" - "Ma grand-mère, que vous avez de granès dents!"- "C'est pour te manger!" Et en disant ces mots, ce méchant Loup se jeta sur le petit Chaperon rouge, et la mangea.

30.3. La Barbe-Bleue

Il était une fois un homme qui avait de belles maisons à la ville et à la campagne, de la vaisselle d'or et d' argent, des meubles en broderies, et des carosses tout dorés. Mais, par malheur, cet homme avait la barbe bleue: cela le rendait si laid et si terrible, qu'il n'y avait ni femme, ni fille qui ne s'enfuit de devant lui.
Une de ses voisines, dame de qualité, avait deux filles parfaitement belles. Il lui en demanda une en mariage, et lui laissa le choix de celle qu'elle voidrait lui donner. Elles n'en voulaient pas toutes deuxene pouvant se décider à prendre un homme qui avait la barbe bleue. Ce qui leur déplaisait encore, c'est qu'il avait déjà eu plusieurs femmes, et qu'on ne savait pas ce que ces femmes étaient devenues.
La Barbe-Bleue, pour faire connaissance, les mena, avec leur mère, et trois ou quatre de leurs meilleures amies, à une de ses maisons de campagne, où on demeura huit jours. Ce n'étaient que promenades, que parties de chasse, que danses et festins. Enfin, tout alla si bien que la plus jeune commença à trouver que le maître de la maison n'avait plus la barbe si bleue, et que c'était un très honnete homme. Et quand on fut de retour à la ville, le mariage se fit.
Au bout d'un mois, la Barbe-Bleue dit à sa femme qu'il devait faire un voyage en province, de six semaines, pour une affaire importante; qu'il lui demandait de s'amuser bien pendant son absence.
"Voilà," dit-il, "les clefs des deux grands garde-meubles; voilà celles de la vaisselle d'or et d'argent; voilà celle de mes coffres-forts où est mon or et mon argent. Pour cette petite clef-ci, c'est la clef du cabinet au bout de la grande galerie de l'appartement bas: ouvrez tout, allez partout; mais, pource petit cabinet, je vous défends d'y entrer; s'il vous arrive d'y entrer, vous allez voir ma fureur."
Elle promit de faire exactement tout ce qu'il lui avait ordonné, et lui après l'avoir embrassée, il monte dans son carosse, et part pour son voyage.
Les voisines et les bonnes amies n'attendirent pas qu' on les envoyât chercher pour aller chez la jeune mariée, tant elles avaient d'impatience de voir toutes les richezzes de sa maison, n'ayant pas eu le courage d'y venir pendant que le mari y était, à cause de sa barbe bleue, qui leur faisait peur. Mais leur amie ne s'amusait pas à voir toutes ces richesses à cause de l'impatience qu'elle avait d'aller ouvrir le cabinet de l' appartement bas.
Elle était si dominée de sa curiosité, que,sans penser à ce qu'il était peu correct de quitter sa compagnie, elle y descendit par un petit escalier secret. Arrivée à la porte du cabinet, elle s'y arrêta quelque temps, pensant à la défense que son mari lui avait faite, et à l'idée qu'il pourrait lui arriver malheur d'avoir été désobéissante; mais la tentation était si forte qu'elle ne put la dominer; elle prit donc la petite clef, et ouvrit en tremblant la porte du cabinet.
D'abord elle ne vit rien, parce que les fenêtres étaient fermées. Après quelques moments, elle commença à voir que le plancher était couvert de sang séché, et que, dans ce sang, se reflétaient les corps de plusieurs femmes mortes: c'étaient toutes les femmes que la Barbe-Bleue avait épousées, et qu'il avait tuées l'une après l'autre. Elle pensa mourir de peur, et la clef du cabinet, qu'elle avait retirée de la serrure, lui tomba de la main. Après avoir un peu retrouvé son courage, elle ramassa la clef, referma la porte, et monta à sa chambre. Ayant constaté que la clef du cabinet était couverte de sang, elle l'essuya deux ou trois fois; mais le sang ne s'en allait pas, car la clef était fée, et il était impossible de la nettoyer.
La Barbe-Bleue revint de son voyage le soir même, et dit qu'il avait reçu des lettres, qui lui avaient dit que l' affaire pour laquelle il était parti, était devenue un succès. Sa femme fit tout ce qu'elle put pour lui montrer qu'elle était heureuse de son prompt retour.
Le jour aprèspil lui redemanda les clefs; et elle les lui donna,mais d'une main si tremblante, qu'il comprit immédiatement tout ce qui s'était passé. "Comment est-ce possible," lui dit-il, "que la clef du cabinet n'est pas avec les autres??"-"Il faut," dit-elle, "que je l'aie laissée là-haut sur ma table."-"N'oubliez pas,dit la Barbe-Bleue;de la donner cet après-midi."
Après plusieurs excuses, elle dut apporter la clef. Après l'avoir regardé, la Barbe-Bleue dit à sa femme: "Pourquoi y a-t-il du sang sur cette clef?"-'"Je n'en sais rien,repondit la pauvre femme, plus pâle que la mort. -"Vous n' en savez rien!" reprit la Barbe-Bleue; "je le sais bien, moi. Vous avez voulu entrer dans le cabinet! Eh bien, madame, vous y entrerez et irez prendre votre place auprès des dames que vous avez vues."
Elle se jeta aux pieds de son mari en pleurant, et en lui demandant pardon de n'avoir pas été obéissante. Elle aurait émotionné un rocher, mais la Barbe-Bleue avait le coeur plus dur qu'un rocher. "Il faut mourir, madame," lui dit-il; "et immédiatement."-"S'il faut mourir," répondit-elle, "donnez-moi un peu de temps pour prier Dieu."-"Je vous donne un demi-quart d'heure," reprit Barbe-Bleue; "mais pas un moment de plus."
Quand elle fut seule, elle appela sa soeur, et lui dit: "Ma soeur Anne, monte, s'il te plait, sur le haut de la tour pour voir si mes frères ne viennent pas; ils m'ont promis qu'ils viendraient me voir aujourd'hui; et si tu les vois, fais leur signe de faire vite."
La soeur Anne monta sur le haut de la tour; et la pauvre malheureuse lui criait de temps en temps: "Anne,ma soeur Anne,ne vois-tu rien venir?" Et la soeur Anne répondait: "Je ne vois rien que le soleil et l'herbe verte. "Descends donc vite," criait la Barbe-Bleue; "ou je monterai là-haut." - "Je viens," répondait la femme;et puis elle criait: "Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir?" - "Je Vois," répondit la soeur Anne, "une grosse poussière qui vient de ce côté-ci..." - "Sont-ce mes frères?" - "Hélas, non, ma soeur: c'est un troupeau de moutons..."
"Ne veux-tu-pas descendre?" criait la Barbe-Bleue.-"En-core un moment," répondait sa femme; et puis elle criait: "Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir?"-"Je vois," repondit-elle, "deux cavaliers qui viennent de ce c6td-ci, mais ils sont bien loin encore."-"Dieu merci!" s'écria-t-elle; ce sont mes frères"
La Barbe-Bleue commença crier si fort que toute la maison en trembla. La pauvre femme descendit, et alla se jeter à ses pieds en pleurant. "C'est inutile," dit la Barbe-Bleue; il faut mourir." Puis, la prenant d'une main par les cheveux, et de l'autre levant le couteau en haut pour frapper. La pauvre femme, le regardant avec des yeux mourants, lui demanda de lui donner un petit moment pour prier. "Non, non," dit-il; "recommande-toi bien à Dieu," et, levant son bras... Dans ce moment, on frappa si fort à la porte que la Barbe-Bleue s'arrêta. On ouvrit, et immédiatement on vit entrer deux cavaliers, qui, l'épée à la main, coururent droit à la Barbe-Bleue. Il vit que c'étaient les frères de sa femme et il s'enfuit immédiatement pour se sauver; mais les deux frères coururent après lui si vite qu'ils le prirent avant qu' il pût arriver au perron. Ils lui'passèrent leur épée à travers le corps, et le laissèrent mort. La pauvre femme était presque aussi morte que son mari, et n'avait pas la force de se lever pour embrasser ses frères.
La Barbe-Bleue n'avait pas d'enfants et ainsi sa femme resta metresse de tous ses biens. Elle en employa une partie à marier sa soeur Anne avec un jeune gentilhomme dont elle était aimée depuis longtemps; une autre partie à acheter des fonctions de capitaines à ses deux frères, et le reste à se marier elle-même à un très honnête homme, qui lui fit oublier le mauvais temps qu'elle avait passé avec la Barbe-Bleue.

(1) Le Prince de Castille est le dauphin. Le gouverneur du dauphin avait, par sa fonction, une grande influence sur le futur roi et les affaires d’état. (2) Noms de héros et héroïnes de romans précieuses (3) Carte de Tendre: plan des routes que l'amant devait suivre pour être agréable à la femme qu'il aime. Billets-Doux, Petits-Soins etc, sont des villages sur ce plan que l'amant doit traverser. Tout cela dans le roman précieux: Clélie. (4) Madame Julie Charles.