Le moyen-âge

1. La chanson de Roland

La chanson de Roland est une chanson de geste¨ du onzième siècle. poème épique;
Notre seigneur, le grand roi Charlemagne,
Sept ans tout pleins¨ a été en Espagne, complets;
Jusqu’à la mer conquis¨ la terre hautaine pris;
Sauf¨ Saragosse, qui est sur la montagne; excepté, mais pas;
Le roi Marsile l'a, qui plein d'incroyance, ¨ sans religion;
Sert Mahomet, d'Apollon se réclame.¨ demande de l'aide;
Le Roi Marsile était en Saragosse
Là, il appelle tous les ducs et ses comtes¨ nobles;
"Voilà, Seigneurs, ce qui tant nous encombre¨ est notre problème;
L'empereur Charles, de douce France bonne,
En ce pays est venu nous confondre, ¨ rendre la vie difficile;
Je n'ai pas d'hommes suffisants¨ qui l'affrontent¨ en assez grand nombre; faire front;
Conseillez-moi comme des sages hommes
Sauvez-moi donc de la mort, de la honte."
Là, Blancandrin, un de ses païens¨ incroyants;
Dit à son roi: "ne soyez pas troublé;
Mandez¨ à Charles, l’orgueilleux¨ et le fier faites dire; qui se croit supérieur;
De le servir en fidèle amitié.
Faites donner des ours, des lions, des chiens.
Quatre cents mules d'or et d'argent chargées¨ qui portent de l'or etc.;
Dans ce pays il a assez lutté.¨ s'est assez battu;
En France, à Aix il doit bien retourner
Mandez de le suivre à la Saint-Michel¨ à la fête de Saint-Michel;
Pour les otages¨ , s'il en veut, envoyez prisonniers qui sont une garantie;
Dix ou vingt hommes, cela va le tromper¨ duper;
Nos propres fils, il faut les envoyer
S'il doit mourir, j'enverrai bien le mien
Les Francs iront tous en France, leur terre
Charles sera à Aix, à sa chapelle¨ petite église;
Le jour viendra, puis passera le terme¨ limite dans le temps;
Mais il n'aura jamais de vos nouvelles
Dix mules blanches fit amener¨ Marsile a fait venir;
Y montent ceux qui pour lui négocient¨ discutent les accords;
Et dans leurs mains ont des branches d'olive
Auprès de Charles, roi de France, ils arrivent.
Là, Blancandrin a tout d'abord parlé
Puis sous un pin¨ , le roi s'est allé sorte d'arbre;
Mandant¨ à ses pairs¨ pour y délibérer¨ faisant venir; barons; discuter;
Roland, le comte, se lève alors pour dire:
"Malheur à vous, si vous croyez Marsile..
Voila¨ sept ans que nous sommes ici depuis;
Le roi Marsile y fit bien des traîtrises¨ perfidies;
Deux de vos comtes¨ pour le païen¨ partirent nobles; incroyant, ici: Marsile;
Il prit leur têtes près du mont d'Haltoïde
Faites la guerre comme elle est entreprise.¨ " commencée;
Les Francs se taisent¨ excepté¨ Ganelon ne parlent pas; mais pas;
Il se relève et vient devant Charlon
Il dit au roi: "Croyez-vous un félon¨ homme sans honneur;
Qui ne veut pas faire de convention¨ accord;
Sans se soucier¨ comment donc nous mourrons?" se demander;
Après lui Naimes, le duc est venu
Il dit au roi: "Vous l'avez entendu,
Le roi Marsile, dans la guerre est vaincu¨ battu;
Quand il demande d'avoir pitié¨ de lui miséricorde, grâce;
C'est un péché¨ de lui demander plus." faute contre Dieu;
Les Français disent: "bien a parlé le duc."
"Chevaliers francs¨ , " a dit l'empereur Charles nobles;
Choisissez-moi un baron de ma marche¨ région;
qui porte au roi Marsile mon message¨ communication, annonce;
Là Roland dit: "Ganelon! Mon parâtre¨ " beau pere;
Les Français disent: "Il faut bien qu'il le fasse¨ !" il doit le faire;
Mais Ganelon, qui est en grande angoisse¨ peur;
Dit à Roland:"Fou¨ , pourquoi tu enrages¨ idiot; deviens furieux;
On sait bien que je suis ton parâtre
Et tu veux donc que chez Marsile j'aille!
Si Dieu me donne que de la j’échappe¨ je me tire, je me sauve;
Je te ferrai un si puissant¨ dommage¨ grand; perte, ravage;
Qu'il durera bien pendant tout ton age¨ " ici:vie;
L'empereur veut son gant droit lui remettre¨ donner;
Mais Ganelon voudrait ne pas y être
Avant qu'il prenne, le gant tombe à terre
Les Français disent: "Quel signe ce peut être!
De ce message¨ nous viendra grande perte!" ici: ambassade;
vêtement qui couvre la main
Mais Ganelon part avec Blancandrin.
L'un donne à l'autre méchamment¨ son crédit¨ cherchant à faire du mal; confiance;
Car ils voudraient faire Roland périr¨ mourir;
Ils chevauchèrent¨ tant par voies¨ , tant par chemins¨ allèrent à cheval; chemins; route;
Qu'à Saragosse descendent sous un if¨ sorte d'arbre;
Là fut le roi qui l'Espagne soumit.¨ mit sous sa domination;
Le Païen dit:"Je trouve merveilleux¨ étonnant;
Charlemagne est déjà chenu¨ et vieux blanc de vieillesse;
Ne va-t-il donc jamais quitter ces lieux¨ ?" ici: ce pays;
"Pas, " dit le comte, "tant¨ que vit son neveu." aussi longtemps que;
"Ganelon, Sire, " lui dit le roi Marsile,
"Comment pourrais-je donc Roland occire¨ ?" tuer;
Ganelon dit:"Je vais bien vous le dire:
Le roi sera aux plus grands ports¨ de Sizre; passages dans la montagne;
L’arrière-garde¨ va, de très loin, le suivre partie de l’armée qui ferme la marche;
Et là sera Roland, son neveu riche
Et Olivier, à qui tant il se fie¨ en qui il a confiance;
Vingt mille Francs sont de leur compagnie¨ avec eux;
De vos païens, envoyez-y cent mille.
De ce combat jamais il ne se tire
Vous n'aurez plus de guerre de la vie."
Marsile dit:"Que de plus j'en dirais¨ ? que dirais-je encore?;
Jurez-moi¨ donc de trahir¨ les Français." promettez-moi devant Dieu; livrer, donner entre les mains;
Ganelon dit:"Bon, si cela vous plaît."
De grand matin¨ l'empereur s'est levé très tôt;
Ganelon vint, le félon parjuré¨ perfide;
Perfidement, il commence à parler.
Il dit au roi: "Par dieu soyez sauvé.
De Saragosse je vous donne les clés
De tres grands biens¨ je viens vous ramener richesses;
Bien vous pouvez croire le roi païen.
Vous ne verrez ce dernier mois passé
Qu'il va vous suivre en France bien régnée.¨ " gouvernée;
Là le roi dit: "Que Dieu soit remercié.
De ce fait-là soyez récompensé¨ gratifié;
Puis dans l’armée il fait les cors¨ sonner instrument de musique;
Levant le camp¨ on charge les sommiers¨ repliant les tente; cheval de transport;
Vers douce France ils sont dirigés.¨ sont allés;
La nuit s’écoule¨ et l'aube¨ apparaît claire passe; lumière du soleil levant;
Tout fièrement notre empereur s'avance¨ vient en avant;
"Seigneurs barons" a dit l'empereur Charles
"Voyez les ports et les étroits¨ passages; peu larges;
Choisissez-moi ceux de l’arrière-garde"
Ganelon dit: "Mais, mon beau-fils le brave¨ courageux;
Aucun baron n'a de plus grand courage."
Étant choisi pour l’arrière-garde
Roland dit, furieux, a son parâtre¨ : beau père;
"Mauvais homme, lâche¨ de vile race, ¨ homme sans courage; mauvaise origine;
Penses-tu que le gant des mains m’échappe, ¨ tombe;
Comme cella t'arriva devant Charles"
L'empereur Charles a appelé Roland
"Seigneur neveu, or¨ sachez donc vraiment eh bien!;
Je vous donne la moitié¨ de mes gens." la deuxième partie;
Le comte dit: "Je n'en voudrais pas tant;
Je garderai¨ vingt mille Francs vaillants¨ me réserverai; courageux;
Vous passerez les ports très sûrement.¨ " sans danger;
Hauts sont les monts et les vals¨ ténébreux¨ vallées; sans lumière;
Et les Français vinrent avec douleurs¨ difficultés;
En Gascogne, terre de leur seigneurs.
Aucun soldat qui n'en verse des pleurs.¨ tous les soldats en pleurent;
Marsile mande¨ d'Espagne ses barons, fait venir;
Comtes, vicomtes, ducs et almanzors¨ titre de noblesse;
Quatre cent mille réunis en trois jours
Puis ils chevauchent avec grands efforts¨ énergie;
Par Cedagne, par les vals et les monts,
Lorsqu'ils ont vu les Francs les gonfalons, ¨ bannières, étendards;
L’arrière-garde des douze compagnons.
Les païens s'arment d'hauberts¨ maures de choix vêtement de protection;
Des cors ils sonnent pour causer de l'effroi¨ faire peur;
Le grand bruit¨ met les Français en émoi.¨ tumulte; agitation;
Olivier dit: "Les païens sont bien forts;
Ami Roland, sonnez de votre cor;
Charles l'entendra et reviendra alors."
Roland répond: "Je ne suis pas idiot!
En douce France, je perdrais mon renom.¨ " ma réputation;
Ailleurs¨ se trouve l’archevêque¨ Turpin à un autre place; prélat de l’église;
Qui sermonne¨ les Français et leur dit: commence a parler à;
"Charles, Seigneurs, nous a laissés ici.
Pour notre roi nous devons bien mourir.
La chrétienté¨ , il faut la soutenir.¨ monde chrétien; défendre;
Vous êtes sûr d'avoir bataille ici;
Confessez-vous¨ et priez Dieu merci; reconnaissez vos fautes;
J'absous¨ vos âmes¨ afin¨ de les guérir pardonne les péchés à; partie spirituelle de l'homme; pour;
Si vous mourez, vous serez des martyrs;¨ gens morts pour la religion;
Vous siégerez¨ au plus haut paradis." habiterez;
Tous les Français se dressent¨ sur les pieds. mettent;
Ils sont absous, quittes¨ de leurs péchés. libres;
Après, ils montent sur leurs destriers¨ légers. chevaux;
Au ports d'Espagne est donc passé Roland
Sur Veilantif, son bon cheval courant.¨ rapide;
Là, il regarde les Français doucement.¨ ici: avec sympathie;
Puis il leur dit un mot courtoisement¨ : aimablement;
"Seigneurs barons, battez vous bravement.¨ " avec courage;
Olivier dit:"À quoi bon¨ donc parler pourquoi;
Votre oliphant, ¨ il fallait¨ le sonner nom du cor de Roland; vous auriez dû;
Ceux qui sont là, ne sont pas a blâmer¨ critiquer;
Seigneurs barons, il faut que vous frappiez"
Le combat¨ est merveilleux¨ et pesant¨ rencontre des armées; remarquable, marquant; pénible, fort;
Très dur y frappent Olivier et Roland
Et les Français frappent très bravement
Les païens meurent à milliers et à cent
Et les Français perdent leurs meilleurs gens.
Quand Roland voit des siens¨ la grande perte, de ses gens;
Son compagnon Olivier, il l'appelle:
"Ami, de ça que peut-il vous paraître¨ ? que penses-vous de cela;
Vous voyez tant de bons vassaux¨ à terre; nobles;
Olivier, frère, que pourrons-nous donc faire?"
Olivier dit:"Où le roi peut-il être?
Mieux vaut¨ mourir que honte¨ nous soit faite.¨ " il serait mieux de; déshonneur; arrive;
"Je sonnerai, ", dit Roland, "L'oliphant.
Si Charlemagne l'entend aux ports passant, ¨ quand il passe;
Je vous jure¨ , il renverra¨ les Francs." assure; fera revenir;
Olivier dit:"L’opprobre¨ serait grand; déshonneur;
La honte aussi envers¨ tous vos parents.¨ " pour; votre famille;
Roland lui dit:"Très grande est la bataille.
Je sonnerai afin¨ d'avertir¨ Charles." pour; informer;
Olivier dit:"Ça ne serrait pas brave!
Quand je l'ai dit, alors vous refusâtes.¨ " avez dit: non;
Les morts ne doivent en avoir aucun blâme.¨ critique;
Si je revois ma sœur Aude¨ , la sage¨ la fiancée de Roland; sérieuse;
Je ferrai que jamais tu ne l'embrasses.¨ " la prenne dans tes bras;
Quand l’archevêque les entend quereller, ¨ discuter avec fureur;
Il vient à eux pour les réprimander¨ blâmer;
"Sire Roland et vous Sire Olivier,
Il ne faut pas, par Dieu, vous quereller.
Sonner du cor ne peut plus nous aider,
Mais que le roi vienne pour nous venger.¨ " réparer le déshonneur de notre mort;
prélat de l'église catholique
Roland le comte, par douleur et ahan, ¨ chagrin, déplaisir (ce sont synonymes);
Par grande peine sonne son oliphant
Puis de la bouche lui sort beaucoup de sang
Toute la tempe¨ , de la tête se fend¨ côté d la tête entre l’œil et l’oreille; se casse;
Charles l'entend au loin¨ aux ports passant. à grand distance;
Et le roi dit:"C'est le cor de Roland;
Il ne l'a jamais sonné qu'en battant.¨ " seulement quandil se battait;
Puis l'empereur a fait sonner les cors.
Sur leurs destriers¨ montent tous les barons. chevaux;
Piquant des deux¨ ils traversent¨ les ports (pour faire courir les chevaux); passent par;
Mais à quoi bon¨ ? Ils ont tardé par trop!¨ pourquoi; pris trop de temps;
Le roi fait prendre le comte Ganelon.
Et il commande aux gens de sa maison:
"Gardez-le¨ bien, comme un très grand félon, ¨ surveillez-le; criminel;
Qui de mes gens a fait la trahison.¨ " livré mes gens à l'ennemi;
Hauts sont les monts et ténébreux¨ et grands sombres, obscures;
Les vals profonds et les fleuves courants.¨ rivières rapides;
Là, l'empereur chevauche violemment, ¨ avec fureur;
Les Français sont curieux et très dolents, ¨ tristes;
Et prient¨ Dieu de protéger¨ Roland. demandent à; défendre, assister;
Mais à quoi bon¨ ? Ça ne sert nullement!¨ pourquoi; ce n'est plus utile;
Ils tardent trop, ¨ ne pouvant être à temps. prennent trop de temps;
Les païens voient tous les Français qui sont morts
L'un dit à l'autre:"L'empereur a bien tort.¨ " a fait une faute;
Un émir saute sur son cheval bien fort
Pique le bien de ses éperons¨ d'or¨ instrument qui sert à piquer un cheval; métal précieux;
Frappe Olivier arrière dans le dos.
Olivier sent qu'il est à mort battu.
Tient Hauteclaire, ¨ dont l'acier était brun, nom de son épée;
Frappe l’émir au heaume¨ à or aigu, ¨ armure qui protège la tête; pur;
Tranche¨ sa tête jusqu’à ses dents menues¨ coupe; petites;
Frappant son coup, à mort l'abattu.
Olivier sent qu'alors la mort le touche.¨ est tout près;
Il perd l’ouïe, ¨ et la vue se perd toute don des oreilles;
Puis il descend, sur la terre se couche,
De temps en temps vers Dieu son âme tourne
Il bénit ¨ Charles et la France douce. appelle l'aide de Dieu pour;
Le cœur lui manque¨ et le heaume se courbe¨ , ne bat plus; descend;
Et son corps sur la terre s’écroule¨ tombe;
Le comte est mort. Son âme à Dieu retourne.
Roland le pleure, des yeux les larmes coulent.
Jamais plus grande tristesse l'on trouve.
Roland le comte, résolument se bat.
Mais son corps est en sueur¨ et très las.¨ transpire; fatigué;
Sa tête est douloureuse et lui fait mal.
Il eut la tempe¨ rompue, ¨ quand il corna¨ côté de la tête entre l'oreille et l’œil; cassée; sonna le cor;
Voulant savoir si Charles reviendra
Il prit son cor, faiblement¨ le sonna. sans force;
Là, l'empereur s’arrêta, écouta
"Seigneurs, " dit il, "Quel malheur se fait là!
Car aujourd'hui Roland nous quittera.
J'entends au son de son cor qu'il mourra.
Sonnez les cors autant qu'il y en a!"
Soixante mille sonnent avec éclat.¨ intensité;
Quand ils l'entendent, les païens en ont mal.
L'un dit à l'autre:"Voila Charles déjà!"
Les païens disent":Quel malheur¨ d’être né¨ ! catastrophe; venu au monde;
Le pire¨ jour nous est donc arrivé plus mauvais;
Avec ses troupes, Charles va retourner.
Roland le comte a beaucoup de fierté.¨ supériorité;
Aucun mortel¨ ne le vaincra¨ jamais. pas un homme; ne triomphera de lui;
Attaquons-le¨ de loin ¨ pour le tuer!" frappons-le; à distance;
Ainsi ils firent; des dards, armes de jet, ¨ pour jeter;
Épées et lances, javelots empennés.
Ils ont troué ¨ l'écu¨ de Roland, et perforé; armure de protection;
Ils ont rompu son beau haubert doré, ¨ armure de couleur d'or;
Mais son beau corps, ils ne l'ont pas touché.¨ frappé;
Les païens fuient¨ furieux et courroucé¨ s'en vont en hâte; furieux;
Mais Roland n'a pas pu les pourchasser.
Il a perdu Vaillantif, son destrier.¨ cheval;
Puis Roland sent que la mort le surprend.¨ se présente à lui;
Sur l'herbe verte il s'est couché adent, ¨ la bouche contre la terre;
Sous lui il met l’épée et l'oliphant
Tournant la tête vers le pays païen.
Il fait cela parce qu'il veut vraiment
Que Charles dise, et avec lui ses gens:
"Le noble comte est mort en conquérant.¨ " en triomphant de l'ennemi;
Roland le comte se couche sous un pin.¨ sorte d'arbre;
De plusieurs choses lui vient le souvenir,
De ces pays si vaillamment¨ conquis, ¨ courageusement; pris à l'ennemi;
De Charlemagne, son roi qui l'a nourri.¨ lui a donné une éducation;
Il n'y peut rien, il en pleure ¨ et soupire; lamente;
Mais lui-même, il ne veut qu'il s'oublie.
"Mea culpa, ¨ " dit il, "Ah dieu, merci!" pardonne-moi;
Sur son bras droite chef¨ il l'a remis;¨ la tête; mis encore;
Les mains jointes¨ il est allé à sa fin.¨ mises ensemble; sa mort;
Dieu lui envoie son ange chérubin¨ être spirituel;
Et avec lui Saint-Michel du Péril¨ danger;
Puis avec eux Saint Gabriel y vint
Ils portent l'âme du comte au paradis.
Roland est mort. Dieu a son âme au ciel.
A Roncevaux, enfin, l'empereur vient.
Il n'y a pas de voie, ¨ ni de sentier¨ route; petit chemin;
Où il n'y a de Francs ou de païens.
Charles s'écrie:"Où est Roland, le fier,
Où l'archevêque, où le comte Olivier,
Les douze pairs, qu'ici j'avais laissés
Nul ¨ ne répond. À quoi bon¨ appeler? personne; pourquoi;
Il n'y a pas de chevalier¨ , de preux, noble;
Qui de pitié¨ très durement ne pleure. commisération, sympathie pour la misère;
Pleurant leurs fils, leurs frères, leurs neveux
Et leurs amis, et leurs liges ¨ seigneurs. légitimes;
Naimes, le duc, agit¨ en homme preux;¨ fait; comme un brave;
Tout premier, il dit à l'empereur:
"Regardez bien au loin à quelques lieues¨ 1 lieue=4km;
Vous pouvez voir les chemins poussiéreux, ¨ remplis de poussière;
Les païens sont, je crois, assez nombreux;¨ en grande quantité;
Chevauchez donc! Vengez¨ cette douleur!"¨ réparez; tristesse;
Le roi Marsile s'enfuit ¨ vers Saragosse. court en tout hâte;
Et la main droite, il l'a perdue en honte¨ déshonneur;
Devant sa femme, qui a nom Bramimonde
Il pleure et crie, au chagrin¨ s'abandonne.¨ tristesse; il se laisse dominer;
De Babylone, Baligant est mandé¨ on a fait venir B.;
Il est émir, depuis l'Antiquité
A Saragosse il va à son allié.
Les deux armées sont très grandes et belles.
Ils se rencontrent au milieu de la plaine.¨ terrain plat;
Les païens crient; "Précieuse", ils appellent.
Les Français disent: "Que la guerre, ils la perdent!"
Cirant "Monjoie", le cri qu'ils renouvellent.
Les deux armées, alors se rencontrèrent;
Et les païens frappent que c'est merveille.¨ un miracle;
Dieu! Tant de lances en deux parts brisèrent!
Vous auriez vu jonchée¨ toute la terre. couverte;
L'herbe du champ¨ qui était fine et verte terrain;
De tout le sang est devenue vermeille.¨ rouge;
Le jour passa, le soir est arrivé.
Francs et païens frappent de leurs épées.
Là, c'est "Précieuse" que l'émir a crié,
Charles: "Monjoie", son cri de guerre famé.¨ fameux;
Et au milieu ¨ ils se sont rencontrés. centre;
L'émir païen est de grande vertu.¨ ici: courage;
Il frappe Charles sur le heaume¨ tout brun, armure qui couvre la tête;
Jusqu'à la tête il l'a brisé, fendu.¨ mis en deux morceaux;
L'épée arrive jusqu'au cheveux menus, ¨ fins;
Ravit¨ la chair et laisse l'os ¨ à nu.¨ emporte; partie de la squelette; sans rien dessus;
Charles chancelle, ¨ manquant d'être abattu.¨ est près de tomber; battu;
Mais Dieu ne veut qu'il soit vraiment vaincu.
Saint Gabriel à Charles est venu.
Il lui demande:"Mais grand roi, que fais tu?"
Quand Charlemagne entend la voix de l'ange,
Il voit la mort déjà sans épouvante.¨ peur;
Il bat l'émir de son épée de France,
Lui fend le heaume dont les gemmes¨ reflambent, ¨ diamants; brillent;
Fait la tête le cervelle¨ répandre.¨ substance grise; sortir;
Il l'abat mort sans qu'il ait une chance.
Les païens fuient, les Français les confondent.¨ troublent;
La chasse dure, et jusqu'à Saragosse.
Là, dans sa tour, est montée Bramimonde
Elle, voyant des Arabes la honte, ¨ le déshonneur;
De haute voix s'écrie:"Quel opprobe!¨ déshonneur;
Eh! Gentil ¨ roi! Ils sont vaincus nos hommes!" noble;
À son chagrin Marsile s'abandonne, ¨ il se laisse dominer;
Pleure des yeux. Puis sa tête retombe.
Il meurt de deuil.¨ Par ses atroces, ¨ tristesse; fautes contre Dieu;
Il donne l'âme aux diables féroces.¨ terribles, cruels;
Notre empereur est revenu d'Espagne.
Il vient à Aix, capitale de France.
Monte au palais, arrive dans la salle.
Vient à lui Aude, une très belle dame.
Qui dit au roi:"Où est Roland, le brave,
Qui me voulut prendre comme sa femme?"
Pleurant des yeux, Charles tire sa barbe:
"Un homme mort, amie, tu me demandes.
Mais je te donne une excellente échange.¨ personne à sa place;
Voici Louis, le meilleur homme en France.
Il est mon fils, et il tiendra ma marche.¨ " il sera roi après ma mort;
Aude répond:"Ce mot-là m'est étrange.¨ incompréhensible;
Ne plaise à Dieu, à ses saints, à ses anges
Qu'après Roland je sois longtemps vivante!"
Là elle tombe aux pieds de Charlemagne
Et elle meurt. Que Dieu ait bien son âme!
Les barons francs en pleurent et la plaignent.¨ ont pitié d'elle;
Il est écrit dans l’ancienne geste:¨ chronique;
"Charles mandait¨ les hommes de ses terres." faisait venir;
Ils sont ensemble à Aix, à la chapelle¨ petite église;
Alors commencent les plaids¨ et les nouvelles procès;
De Ganelon, qui fit acte de traître.¨ avait livré Roland à l’ennemi;
L'empereur dit que cet homme on l'amène.
Les Bavarois viennent, les Allemands.
Les Poitevins, les Bretons, Les Normands.
Sur tous les autres ont conseillé les Francs
Que Ganelog meure par grand ahan.¨ terriblement;
Quatre destriers¨ sont menés en avant. chevaux;
Puis ils lui lient¨ les mains et les pieds blancs. fixent;
Les chevaux sont orgueilleux¨ et courants.¨ hautains; rapides;
Quatre servants les mènent en avant.
Ganelon meurt par terribles tourments.¨ torture, grave punition corporelle ;
Sur l'herbe verte le sang se répand
Quand l'empereur ainsi a fait justice,
La journée passe, la nuit s'est assombrie.¨ devenu sombre;
Le roi se couche dans sa chambre fleurie.
Saint Gabriel vient de Dieu pour lui dire:
"Charles appelle les gens de ton empire,
Puis allez vite dans la terre de Bire
Aider le roi Vivien qui vit en Imphe
"La cité¨ par les païens conquise.¨ ville; prise;
"Dieu!", dit le roi, "Quels malheurs dans ma vie!"
Pleurant des yeux, à sa barbe il se tire.
Ici, la geste de Turold se termine.¨ finit;

2. Le roman de Tristan et Iseut

(Extraits de la traduction et adaptation de Joseph Bédier, http://www.gutenberg.org/ebooks/42256, des fragments du texte de ±1165 par Béroul, des fragments du texte de ± 11745 par Thomas)
Vous plaît-il¨ d'entendre, Seigneurs, voulez-vous;
Un conte d'amour et de mort?
C'est de Tristan et d'Iseut la reine
Écoutez à grand joie, à grand deuil¨ tristesse;
Ils s'aimèrent, puis moururent'
Un même jour, lui par elle, elle par lui
Au temps anciens, le roi Marc régnait en Cornouailles.¨ Ayant appris¨ que ses ennemis le guerroyaient, Rivalen, roi de Loonnois, franchit¨ la mer pour lui porter son aide. Il le servit par l'épée et par le conseil, comme eût fait un vassal, si fidèlement que Marc lui donna en récompense¨ la belle Blanchefleur, sa sœur, que le roi Rivalen aimait d'un merveilleux amour. cornwall; entendu dire; traversa; pour le remercier;
Il la prit à femme au moutier¨ de Tintagel. Mais à peine l'eut-il épousée,¨ la nouvelle lui vint que son ancien ennemi, le duc Morgan, ruinait ses bourgs,¨ ses champs, ses villes. Rivalen partit pour soutenir¨ sa guerre. église; peu après le mariage; villages; faire;
Blanchefleur l'attendit longuement. Hélas! il ne devait pas revenir. Un jour, elle apprit¨ que le duc Morgan l'avait tué en trahison.¨ Elle ne le pleura point.¨ on lui dit; perfidement; pas;
Trois jours elle attendit de rejoindre¨ son cher seigneur. Au quatrième jour, elle mit au monde un fils, et, l'ayant pris entre ses bras: "Fils, lui dit-elle, j'ai longtemps désiré de te voir; et je vois la plus belle créature que femme ait jamais portée. Triste j'accouche,¨ triste est la première fête que je te fais, à cause¨ de toi j'ai tristesse à mourir. Et comme ainsi tu es venu sur terre par tristesse, tu auras nom Tristan." Quand elle eut dit ces mots, elle le baisa, et, sitôt qu'¨ elle l'eut baisé, elle mourut. aller à; met au monde un enfant; pour; immédiatement après qu';
Rohalt le Foi-Tenant¨ recueillit¨ l'orphelin et l'éleva parmi ses fils. Qui tient ses promesses; prit chez lui;
Après sept ans accomplis, lorsque le temps fut venu de le reprendre aux femmes, Rohalt confia¨ Tristan à un sage maître, le bon écuyer¨ Gorvenal. Gorvenal lui enseigna¨ en peu d'années les arts qui conviennent¨ aux barons. donna; page; apprit; sont bons pour;
Un jour, Tristan, emmenant avec lui le seul Gorvernal, appareillera¨ pour la terre du roi Marc. partit en bateau;
Quand Tristan y entra, Marc et toute sa baronnerie menaient grand deuil.¨ Car le roi d’Irlande avait équipé ¨ une flotte¨ pour ravager la Cornouailles, si Marc refusait encore, ainsi¨ qu'il faisait depuis 15 ans, d'acquitter¨ un tribut¨ jadis¨ payé par ces ancêtres.¨ Or, ¨ cette année, le roi avait envoyé un chevalier géant, ¨ le Morholt, que nul n'avait jamais pu vaincre¨ en bataille. tristesse; préparé; des bateaux; comme; payer; contribution forcée; au passé; pères; mais; très grand personne; triompher;
Au terme marqué,¨ quand les barons furent ensemble dans la salle voûtée¨ du palais le Morholt parla ainsi: moment fixé; qui a une coupole;
"Roi Marc, entends pour la dernière fois le mandement¨ du roi d'Irlande, mon seigneur. Il te sermont ¨ de payer enfin le tribut¨ que tu lui dois. Pourtant,¨ si quelqu'un de tes barons veut prouver¨ par bataille¨ que le roi d'Irlande lève¨ ce tribut contre le droit, j'accepte son gage.¨ Lequel d'enter vous, seigneurs Cornouailles, veut combattre pour la franchise¨ du pays? ordre; ordonne; contribution; mais; montrer; duel; impose; déclaration; liberté;
Les barons se regardaient entre eux à la dérobée,¨ puis baissaient¨ la tête. Alors Tristan s'agenouilla¨ aux pieds du roi Marc et dit: en secret; laissaient tomber; se mit à genoux;
"Seigneur roi, s'il vous plaît m'accorder¨ ce don, je ferai la bataille. donner;
En vain,¨ le roi Marc voulut l'en détourner. Il était si jeune chevalier; de quoi lui servirait sa hardiesse?¨ Mais Tristan donna son gage¨ au Morholt, et le Morholt le reçut. sans résultat; courage; promesse;
Nul¨ ne vit l'âpre¨ bataille. Enfin, vers l'heure de none,¨ on vit au loin la voile pourpre; la barque de l'Irlandais se détacha de¨ l'île, et une clameur¨ de détresse¨ retendit:¨ "Le Morholt! Le Morholt!" Mais, comme la barque grandissait, soudain, ¨ au sommet d'une vague,¨ elle montra un chevalier qui se dressait¨ à la proue;¨ c'était Tristan. Mais quand, parmi les chants d'allégresse,¨ Tristan parvint¨ au château, il s'affaissa¨ entre les bras du roi Marc; et le sang ruisselait¨ de ses blessures: un sang venimeux.¨ personne; dure; 15:00; quitta; cri; misère; se fit entendre; quand tout à coup; flot; s'élévait; partie avant; joie; arriva; tomba; sortait; plein de venin;
Les médecins connurent¨ que le Morholt avait enfoncé ¨ dans sa chair¨ un épieu¨ empoisonné,¨ et comme leurs boissons ne pouvaient le sauver, ils le remirent¨ à la garde¨ de Dieu. trouvèrent; mis; corps; lance; venimeux; laissèrent; protection;
Tristan songea:¨ "Il me faut mourir. Il est doux,¨ pourtant, de voir le soleil, et mon cœur est hardi¨ encore. Je veux tenter¨ la mer aventureuse ... Je veux qu'elle m'emporte au loin, seul. Il supplia ¨ tant que le roi consentit ¨ à son désir.¨ pensa; bon; courageux; chercher ma chance sur; demanda cette grâce; dit "oui"; ce qu'il voulait;
Sept jours et sept nuits la mer l’entraîna¨ doucement. Enfin, la mer, à son insu,¨ l'approcha¨ d'un rivage.¨ Des pécheurs l'accueillirent.¨ Hélas! ce port était Weisenfort et leur dame était Iseut la Blonde. Elle seule, habile aux philtres, ¨ pouvait sauver Tristan; mais , seule parmi les femmes, elle voulait sa mort. Quand Tristan, ranimé par son art, se reconnut,¨ il comprit qu'il fallait partir; il s'échappa¨ et après maints¨ dangers couru, un jour il reparut devant le roi Marc. emporta; sans qu'il le sache; le porta plus près de; bord; prirent chez eux; boissons magiques; vit où il était; se sauva; beaucoup de;
Il y avait à la cour du roi Marc quatre barons, les plus félons¨ des hommes, qui haïssaient¨ Tristan de male haine.¨ Connaissant¨ que leur roi méditait ¨ de vieillir sans enfants pour laisser sa terre à Tristan, leur envie¨ s'irrita et ils pressèrent le roi Marc de prendre à femme une fille de roi, qui lui donnerait des hoirs.¨ Marc leur dit:"Pour vous complaire,¨ seigneurs, je prendrai femme, si toutefois vous voulez quérir celle que j'ai choisie." perfides; contraire de: aimer; aversion; trouvant; avait l'intention; jalousie; enfant à qui laisser le trône; faire plaisir;
"Certes,¨ nous le voulons, beau seigneur. Qui est donc celle que vous avez choisie?" certainement;
"J'ai choisi celle à qui fut cheveux d'or et sachez que je n'en veux pas d'autre."
"Et de quelle part,¨ beau seigneur, vous vient ce cheveux d'or? Qui vous la porte? Et de quel pays?" d'où;
"Il me vient, seigneurs, de la Belle aux cheveux d'or; deux hirondelles¨ me l'ont porté; elles savent de quel pays." sorte d'oiseaux;
Les barons comprirent qu'ils étaient raillés¨ et déçus.¨ ridiculisés; désillusionnés;
Mais Tristan, ayant considéré¨ le cheveu d'or, se souvint¨ d'Iseut la Blonde. Il sourit et parla ainsi: regardé; rappela;
"Roi Marc, j'irai quérir¨ la Belle aux cheveux d'or." chercher;
Il équipa¨ une belle nef,¨ et gagna¨ la terre périlleuse.¨ prépara; bateau; arriva à; dangereuse;
Or, un matin, au point¨ du jour, il ouït¨ une voix si épouvantable¨ qu'on eût dit le cri d'un démon. début; entendit; terrible;
Il appela une femme qui passait sur le port:
"Dites-moi, " fait-il, "dame, d'où vient cette voix que j'ai ouïe¨ ?" entendu;
Elle vient d'une bête fière et la plus hideuse¨ qui soit au monde. Chaque jour, elle descend de sa caverne¨ et s'arrête à l'une des portes de la ville. Nul¨ n'en peut sortir, nul n'y peut entrer, qu'¨ on n'ait livré¨ au dragon une jeune fille; et, dès¨ qu'il la tient entre ses griffes, il la dévore.¨ d'aspect terrible; grotte; personne; avant qu'; donné; immédiatement quand; mange;
Vingt chevaliers éprouvés¨ ont déjà tenté l'aventure;¨ car le roi d'Irlande a proclamé qu'il donnerait sa fille Iseut la Blonde à qui tuerait le monstre; mais le monstre les a tous dévorés.¨ " Tristan quitte la femme et retourne vers sa nef.¨ Il s'arme en secret. Soudain, ¨ sur la route, cinq hommes fuyaient¨ vers la ville.Tristan saisit¨ au passage l'un d'entre eux et le maintint arrêté: "Dieu vous sauve, beau sire!" dit Tristan; "par quelle route vient le dragon?" Et quand le fuyard lui eut montré la route, Tristan le relâcha.¨ expérimenté; osé affronter; mangés; bateau; tout à coup; allaient à hâte; prit; lui rendit la liberté;
Le monstre approchait.¨ venait plus près;
Tristan lança contre lui son destrier d'une telle force que la lance vola en éclats.¨ Vainement:¨ il ne peut le blesser. Alors, le dragon vomit¨ par les naseaux¨ un double jet de flammes venimeuses:¨ le haubert ¨ de Tristan noircit son cheval s'abat et meurt. Mais, aussitôt ¨ relevé, Tristan enfonce ¨ sa bonne épée dans la gueule¨ du monstre: elle y pénètre¨ toute et lui fend¨ le cœur en deux parts. Le dragon pousse¨ une dernière fois son cri horrible et meurt. morceaux; sans résultat; rejeta; le nez; pleines de venin; armure; immédiatement; met; bouche; entre; coupe; fait entendre ;
Tristan lui coupa la langue et la mit dans sa chausse.¨ sac;
Arrivé devant le roi, il montra la langue du dragon et parla ainsi:
"Seigneurs, j'ai tué le Morholt. Afin¨ de racheter¨ le méfait,¨ j'ai mis mon corps en péril¨ de mort et je vous ai délivré¨ du monstre et voici que j'ai conquis¨ Iseut la Blonde, la belle. L'ayant conquise, je l'emporterai donc sur ma nef. Mais, afin ¨ que par les terres d'Irlande et de Cornouailles se répande ¨ non plus la haine, mais l'amour, sachez que le roi Marc l’épousera.¨ pour; réparer; crime; danger; sauvés; gagné; pour faire; s'étale; va se marier avec elle;
Quand le temps approcha de remettre Iseut aux chevaliers de Cornouailles, sa mère recueillit des herbes, des fleurs et des racines, les mêla dans du vin, et brassa¨ un breuvage¨ puissant.¨ L'ayant achevé¨ par science¨ et magie, elle le versa¨ dans un coutret¨ et dit secrètement à Brangien: Fille, tu dois suivre Iseut au pays du roi Marc . Prends donc ce coutret de vin et retiens¨ mes paroles.¨ Car telle est sa vertu:¨ ceux qui en boiront ensemble s'aimeront de tous leurs sens et de toute leur pensée, à toujours, dans la vie et dans la mort. Brangien promit à la reine qu'elle ferait selon sa volonté.¨ prépara; boisson; fort; fini; connaissances; mit; vase; n'oublie pas; ce que je te dis; les qualités; ce qu'elle voulait;
La nef,¨ tranchant les vagues profondes,¨ emportait Iseut. Mais, plus elle s'éloignait¨ de la terre d'Irlande, plus tristement la jeune fille se lamentait. Où ces étrangers l'entraînaient-¨ ils? Vers qui? Vers quelle destinée?¨ Quand Tristan s'approchait¨ d'elle et voulait l'apaiser¨ par de douces paroles, elle s'irritait, le repoussait, et la haine¨ gonflait¨ son cœur. bateau; traversant la mer; allait loin; emportaient; vie; venait près d'elle; calmer; (contraire d'amour); entrait dans;
Tristan vint vers la reine et tâchait¨ de calmer son cœur. Comme le soleil brûlait¨ et qu'ils avaient soif, ils demandèrent à boire. L'enfant chercha quelque breuvage, tant qu'elle découvrit le coutret¨ confié¨ à Brangien par la mère d'Iseut. "J'ai trouvé du vin!" leur cria-t-elle. Non, ce n'était pas du vin: c'était la passion, c'était l'âpre¨ joie et l'angoisse¨ sans fin, et la mort. L'enfant remplit un hanap et le présenta à sa maîtresse. Elle but à longs traits, puis le tendit à Tristan, qui le vida. faisait ce qu'il pouvait; était chaude; vase; donné secrètement; dure; terreur;
A cet instant,¨ Brangien entra et les vit qui se regardaient en silence,¨ comme égarés¨ et comme ravis.¨ Elle vit devant eux le vase presque vide et le hanap. Elle gémit:¨ "Malheureuse! maudit soit¨ le jour où je suis née et maudit le jour où je suis montée sur cette nef!" Et, quand le soir tomba, sur la nef qui bondissait¨ plus rapide vers la terre du roi Marc, liés¨ à jamais,¨ ils s'abandonnèrent ¨ à l'amour. moment; sans parler; fous; en extase; se lamentait; malheur au; courait; unis; pour toujours; se donnèrent;
Le roi Marc accueillit¨ Iseut la Blonde au rivage.¨ Tristan la prit par la main et la conduisit ¨ devant le roi; le roi se saisit d'elle¨ en la prenant à son tour par la main. À grand honneur il la mena¨ vers le château de Tintagel. reçut; bord de la mer; fit aller; l'accepta; fit aller.;
À dix-huit jours de là, ayant convoqué tous ses barons,¨ il prit à femme Iseut la Blonde. Mais, lorsque vint la nuit, Brangien, afin¨ de cacher le déshonneur de la reine et pour la sauver de la mort, prit la place d'Iseut dans le lit nuptial.¨ appelé; pour; de mariage;
Iseut est reine et semble vivre en joie. Elle a Tristan auprès d'elle, à loisir,¨ et le jour et la nuit; car, ainsi que¨ veut la coutume¨ chez les hauts seigneurs, il couche¨ dans la chambre royale,¨ parmi les privés et les fidèles. autant qu'elle veut; comme; tradition; passe la nuit; du roi;
(Ici suivent les fragments du texte de Béroul)
À la cour étaient trois barons
On ne vit pas de plus félons¨ mauvais;
Par serment¨ ils se sont liés¨ promesse devant Dieu; mis d'accord;
Que, si le roi de la contrée¨ du pays;
Ne faisait son neveu partir
Ils ne voudraient plus le servir.
Dans leurs châteaux ils rentreraient
Au roi Marc, la guerre feraient.
Ils ont tiré le roi à part:
"Sire, très mal l'affaire part.¨ les choses vont mal;
Ils s'aiment, Tristan et Iseut;
Peut le savoir celui qui veut.
Si vous ne faites pas partir
Votre neveu sans revenir,
vous ne nous verrez plus jamais;
Vous n'aurez jamais plus de paix.
Sire, mandez¨ le nain ¨ devin.¨ faites venir; homme de petite taille; magicien;
Certes, il sait bien le latin.
Ses conseils sont vrais, quoique¨ durs. malgré le fait qu'ils sont ;
Mandez le nain, vous serez sûr."
Écoutez quelle trahison¨ crime lâche;
Et quels mots de séduction¨ pour amener au crime;
A dit au roi le nain Frocin.
Malheur soit à tous ces devins¨ ! magiciens;
"Dis à ton neveu: qu'à Arthur
À Cordeuil, qui est près du mur,
Il doit aller de grand matin¨ très tôt le matin;
porter un bref¨ sur parchemin lettre officielle;
Tristan couche devant ton lit
Maintenant dans la même nuit
Je sais qu'il voudra lui parler¨ à Iseut;
Parce qu'il devra la quitter
Roi, sors de la chambre à minuit.
Je te jure¨ par Dieu l'Esprit, déclare;
Si Tristan l'aime follement¨ comme un fou;
Il va à elle sur le champ."¨ immédiatement;
Le roi repond:"Ce sera fait."
Tous partaient, chacun s'en allait
Le nain, de grande fourberie, ¨ fausseté de caractère;
fit une grande félonie, ¨ chose méchante;
Car il prit¨ chez le boulanger acheta;
De la fleur¨ pour quatre deniers.¨ farine; pièce de monnaie;
La nuit, quand le roi a mangé,
Dans la salle ils se sont couchés.
Du bref¨ Tristan entend parler. de la lettre;
Il dit qu'il veut bien la porter.
Le nain est là, tout à couvert.¨ caché;
Sachez comment la nuit le sert.¨ lui est utile;
Entre les deux lits il répand¨ met par terre;
La fleur¨ ; les pas vont paraissant¨ farine; se montreront;
Si la nuit, l'un à l'autre va
La fleur tient les formes des pas.
Tristan a vu le nain vaguer¨ travailler;
Et la farine éparpiller¨ mettre par terre;
ce qu'il faisait il le prévit;¨ comprit;
Il ne l'avait jamais servi.¨ été utile;
Au bois, à la jambe, Tristan
S'était blessé le jour avant.
Tristan, je crois, n'a pas dormi.
Le roi s'est levé à minuit;
Hors de la chambre il est sorti.
Le nain bossu¨ aussi partit. qui avait une déformation au dos;
Tristan se fut levé au pied.
Dieu! Pourquoi? Seigneurs, écoutez!
Il joint¨ les pieds et fait un saut, mets ensemble;
Sur le lit il tombe de haut.
Sa plaie¨ s'ouvre, et sortant, le sang blessure;
Souille¨ les draps, les colorant. rend sale;
La plaie saigne,¨ il ne le sent pas, le sang sort de la blessure;
Car il pense trop à sa joie.
En plusieurs lieux¨ le sang se mit.¨ places; tomba;
Grâce ਠsa magie, le nain vit par;
Dehors, qu'ils étaient ensemble,
Les deux amants. De joie il tremble.
Il dit au roi:"Tu peux les prendre,
Sinon, tu peux me faire pendre."¨ tuer par la corde;
Là se trouvaient les trois félons¨ mauvais hommes;
Par qui la lâche¨ trahison¨ sans courage; perfidie;
Fut méditée secrètement.¨ en cachette, clandestinement;
Le roi revient, Tristan l'entend.
Il se lève avec de frissons.¨ tremblements;
Tout de suite, il a fait un bond.¨ saut;
Au mouvement¨ que Tristan fait geste;
Le sang lui coule¨ de la plaie.¨ sort; blessure;
À sa chambre le roi revient.
Le nain, qui la chandelle tient,
Vient avec lui. Tristan faisait
Semblant de quelqu'un qui dormait.
Le roi a vu au lit le sang;
Vermeils¨ en furent les draps blancs. rouges;
Et sur la fleur¨ paraît¨ la trace¨ farine; est visible; ce qui reste;
Du saut. Le roi dit des menaces¨ montre sa fureur;
Les barons sont aussi dedans¨ dans la chambre;
Par fureur, ils prennent Tristan.
Le cri se lève en la cité¨ ville;
Qu'ensemble, ils ont été trouvés
Tristan avec la reine Iiseut;
Que c'est leur mort que le roi veut.
Le roi dit de chercher des ronces, ¨ branches;
Que dans la terre, on les enfonce.¨ met;
Puis il fait allumer le feu
Et dit d'amener son neveu.
Pour le brûler¨ premièrement. tuer par le feu;
Ils vont pour lui.¨ Le roi attend. ils vont le chercher;
Ils le prennent, lient¨ ses mains entourent d'une corde;
Par Dieu! Qu'ils sont donc vilains!¨ méchants;
Sur le chemin par où ils vont,
Une chapelle ¨ est sur un mont. petite église;
Les meneurs, ¨ Tristan les appelle: ceux qui l'amènent;
"Seigneurs, voyez cette chapelle;
Par Dieu, laissez-moi y entrer.
Ma vie va bientôt terminer.¨ finir;
Je prie Dieu d'avoir pitié
De moi; trop souvent j'ai péché."¨ fait des fautes contre Dieu;
L'un d'eux a dit à son confrère:¨ collègue, camarade;
"Nous pourrons bien le laisser faire."
Ils retirent les liens¨ ; Tristan cordes;
Entre, -n'allant pas lentement-.
Derrière l'autel¨ il alla, table du culte religieux;
Et la fenêtre, il la tira,
Sauta par la fenêtre dehors.
Il vaut mieux sauter que son corps
soit brûle devant le vulgaire.¨ peuple;
Seigneurs, une très large pierre
Était au milieu du rocher.
Tristan y vient d'un saut léger.
Dans ses habits¨ le vent le prend, vêtements;
L'empêche de tomber¨ crûment¨ fait qu'il ne tombe pas; durement;
La pierre, les Cornouaillans
L'appellent: le Saut de Tristan.
Ainsi Tristan s'est donc enfui;¨ échappé, sauvé;
Dieu avait pitié de lui
Écoutez comment Gorvernal
Son épée ceinte¨ et à cheval, autour de la taille;
De la cité¨ était sorti. ville;
Il sait que s'il était suivi,
Il mourrait bien pour son seigneur.
Il a pris le fuite¨ par peur. s'est échappé;
Son maître, Tristan, l'aperçut,
Le héla¨ qui¨ le reconnut, l'appela; et celui-ci;
Sans regarder et en courant.
Il eut grand'joie en le voyant.
Seigneurs, au roi vient la nouvelle
Que s'est enfui¨ par la chapelle¨ sauvé; petite église;
Son neveu qu'il voulait brûler.
De colère ¨ il s'est attristé¨ fureur; devenu triste ;
Triste, il ne peut se contenir, ¨ se maîtriser;
Et dit qu'on fasse Iseut venir.
Alors, la reine est amenée
Jusqu'au feu brûlant du bûcher¨ feu qui sert à brûler quelqu'un;
Il y eut un lépreux lancien¨ d'une certaine région;
Qui était appelé Yvain;
Affreusement¨ il fut défait.¨ terriblement; déformé;
Il accourut pour voir ce plaid, ¨ procès;
Et avec lui cent compagnons
Portant béquilles¨ et bâtons. moreaux de bois qui servent d'appui;
Chacun d'eux tenait sa crécelle.¨ instrument que les lépreux portaient pour s'annoncer;
Ils crient au roi et l'appellent:
"Sire, tu veux faire justice,
Brûler ta femme pour son vice;¨ mal qu'elle a fait;
C'est bien; mais tu sais, par le feu
Cette justice dure peu.
Il vaudrait mieux¨ que de mourir ce serait plus utile;
Qu'elle vive, mais sans plaisir.
Je te dirais brièvement¨ en quelques mots;
Comment: voici cent de mes gens;
Donne-nous Iseut en commun.¨ pour qu'elle vive avec nous;
Jamais dame n'eut pire fin."¨ un mort plus terrible;
Le roi la lui donne, il la prend.
Des malades, il y eut cent.
Ils se mettent tous autour d'elle.
L'un crie, l'autre l'appelle.
Ils l'emmènent, passant l'aguet¨ l'endroit caché;
Où Tristan attend en secret.
"Dieu, " dit Tristan, "Quelle aventure
Ahi! Iseut, belle figure!
Yvain, qui l'avez emmenée,
Laissez-la, pour cette épée
N'aille pas vous trancher¨ la tête." couper;
Yvain se défait¨ de sa veste. retire;
Tout haut il s'écrie:"Aux béquilles!¨ (comme on crie: aux armes!);
Qu'à moi les nôtres se rallient!"¨ s'unissent;
De sa béquille chacun tape;¨ frappe;
Et l'un menace, l'autre frappe.
Gorevenal vient aux cris lancés;
En sa main il tient une épée.
Il frappe Yvain qui tien Iseut.
Il tombe mort le malheureux.
Tristan s'en va avec la reine,
laissant le taillis ¨ et la plaine¨ terrain aux petits arbres; terrain plat;
En la forêt¨ Morrois ils vont, bois;
Et passent la nuit sur un mont.
Tristan se sent maintenant sûr, ¨ hors de danger;
Comme derrière un très grand mur.
Seigneurs, voilà au bois Tristan;
Il y vivait à grand ahan.¨ dans la misère;
En un lieu¨ il n'ose rester, place;
Changeant d'endroit pour se coucher,
Vivant de viande, sans plus rien.
Un couleur pâle leur vient.
Les ronces¨ rompent¨ leurs habits;¨ branches; cassent; vêtements;
Longtemps par Morrois ils ont fui.
Sachez, Seigneurs, quelle avanture
Leur devait être grave¨ et dure. sérieuse;
Par le bois passe un forestier¨ personne qui garde les forêts;
Qui trouve l'endroit ombragé
Où les amants étaient couchés.
Il les vit dormir, les connut.¨ reconnut;
Le sang lui fuit,¨ troublé il fut. il devint pâle;
Il s'enfuit; ce n'est pas merveille.¨ étonnant;
Il sort du bois, court à la merveille.¨ très vite;
Le roi Marc est dans son palais,
Tient avec ses barons ses plaids.¨ discussions;
La salle est pleine de barons.
Le forestier descend du mont.
Le roi le vit venir pressé;¨ en toute hâte;
Il appelle son forestier:
"Que¨ viens-tu? Qu'est-ce que tu sais?" pourquoi;
"Écoute-moi, Roi, s'il te plaît.
Par ce pays on a mandé¨ fait savoir;
Que celui qui aurait trouvé
Ton neveu , il devrait venir
Tout de suite pour le dire.
Je l'ai trouvé et avec lui
Ensemble, la reine endormie."
"En quel endroit¨ sont-ils, dis-moi." où;
"Dans une hutte du Morrois."
Le roi lui dit: "Sors donc d'ici.
Si tu aimes ton corps, ta vie,
Ne dis rien de ce que tu sais
Aux amis, ni aux étrangers.
C'est à la Croix Rouge, aux abords, ¨ près de la forêt;
Là où on enterre les morts,
Que tu t'arrêtes et m'attends.
Tu auras de l'or, de l'argent."
Le roi fait seller¨ son destrier¨ mettre une selle sur; cheval;
Et est sorti de la cité¨ ville;
Il vient là où l'autre l'attend,
Lui dit de partir sur le champ¨ immédiatement;
De le mener au but cherché.
Ils entrent au bois ombragé.
Liant¨ les rênes¨ du destrier, attachant; (avec les rênes on dirige un cheval);
À la branche d'un vert pommier,
Ils avancent, et puis ils virent
L'endroit pour lequel ils partirent.
Le roi délace¨ son manteau- retire;
Dont les nœuds sont en or très beau-
Entre, l'épée nue¨ dans la site tirée;
Le forestier entre à sa suite.¨ derrière lui;
Le roi a levé son épée,
Et furieux, il s'est oublié.
Déjà le coup tombe sur eux,
S'il les tue, c'était grand deuil, ¨ tristesse;
Quand il la voit dans sa chemise,
et l'épée nue qui les divise, ¨ sépare;
"Dieu, " dit le roi, "que dois-je faire?
Ou les tuer, ou me retraire?¨ me retirer;
J'avais le cœur¨ à les occire.¨ l'intention; tuer;
Sans les toucher je me retire.
Quand ils s’éveilleront pourtant,
Ils devront savoir sûrement
Qu'ils furent trouvés endormis,
Que j'eus pitié d'elle et de lui."
Au doigt d'Isseut, il voit l'anneau.¨ bijou qu'on met au doigt;
La retire doucement en haut.
Il prend l'épée qui est entre eux,
Puis il en met la sienne au lieu¨ remplace par son épée;
Hors de la hutte il est allé;
Il s'en va sur son destrier
La reine a rêvé qu'elle était
En une très grande forêt
Dans un très riche pavillon.
A elle venaient deux lions,
Qui voulaient bien la dévorer.¨ manger;
Elle voulait "grâce¨ " crier. pitié;
Par l'effroi¨ que ça lui donna, peur;
Criant elle se réveilla.
Tristan, de ce cri, s'éveille.
Elle avait la face¨ vermeille¨ visage; rouge;
Il vit alors l'épée du roi,
Et la reine vit à son doigt
L'anneau qu'il lui avait donné
Et de son doigt le sien ôté.¨ retiré et pris;
Elle cira:"Seigneur, merci, ¨ pitié;
Le roi nous a trouves ici."
Il lui répond:"C'est vrai, certain.
Il a mon épée; c'est le sien.
Dame, fuyons vite vers Galles.
Le sang me fuit.¨ Il devient pâle. quitte;
Traversant Morrois, ils s'en vont.
De grandes étapes ils font.
Le lendemain¨ de la Saint Jean¨ jour après; la fête de;
Furent accomplis¨ les trois ans finis;
Qu'à ce philtre furent donnés.
De son lit, Tristan s'est levé,
Dit à Isseut:"Reine, princesse,
Nous passons mal notre jeunesse.
Ma belle amie, si je pouvais,
Par un conseil qu'on me donnait,
Faire avec le roi un accord,
Afin qu'il calmât son transport, ¨ fureur, colère;
Et si c'était à son plaisir
de vous reprendre et me bannir, ¨ faire quitter le pays;
De se passer de¨ mon service, faire sans;
Je m'en irais au roi de Frise,
Ou je passerais en Bretagne,
Que¨ Governal seul m'accompagne.¨ je voudrais que; aille avec moi;
Isseut, franche,¨ gente ¨ façon¨ pure; gentille; femme;
Dites-moi ce que nous ferons."
"Seigneur Jésus soit remercié!
Vous voulez fuire ¨ le péché. défaire;
Ami, rappelez-vous l'hermite¨ religieux qui s'est retiré du monde;
Ogrin, qui de la loi écrite
Nous prêcha,¨ quand nous nous trouvions fit la leçon;
Dans sa si pauvre habitation.¨ demeure, maison;
Son conseil serait honorable, ¨ doit être respecté;
Et par cela, à joie durable
Nous pourrons encore venir."
Tristan l'entend, lâche un soupir.¨ soupire;
Puis, ils retournent au bocage.¨ bois;
Ils errent¨ tant qu'à l'hermitage¨ vagabondent; demeure d'une ermite;
Sont arrivés les deux amants,
Trouvant l’hermite Ogrin lisant.
Quand il les voit, il les appelle.
Ils s'asseyent dans la chapelle.
Tristan lui dit: "Or, écoutez:
Ceci fut notre destinée;¨ vie;
Voilà déjà plus de trois ans
Que nous manqua le tourment¨ que les difficultés nous poursuivent;
Si nous pouvons avoir la joie
De raccorder la reine au roi,
Je ne cherche plus le bonheur
D'être avec le roi, mon Seigneur.
Je m'en irrai avant un mois
En Bretagne ou en Loonois."
"Ce compliment je dois te faire,
En ceci tu n'as pas ton pair;¨ pareil, égal;
Tel sera donc mon bref¨ au roi." lettre;
Ogrin l'hermite se leva;
Plume, encre et parchemin il prit,
Toutes ces paroles y mit.
"Qui le portera?" dit 'hermite.
"Moi." - "Tristan, très bien vous le dites."
Avec son bref Tristan s'en va;
Il connaît bien ce pays-là.
Il descend, dans la ville il entre,
Voit la fenêtre de la chambre
Du roi, l'appelle faiblement,
Tâchant¨ de crier doucement. faisant tout pour;
Le roi s'éveille et dit alors:
"Qui me vient à cette heure encore?
Es-tu en peine¨ ? Dis-moi ton nom." malheur;
"Sire, Tristan m'appelle-t-on.
J'apporte un bref que je mets tôt¨ vite;
À la fenêtre de l'enclos."¨ mur;
Tristan partit; le roi fait un saut.
Il appelle trois fois très haut:
"Par Dieu, neveu, ton oncle attend."
Le bref, dans la main il le prend.
Puis il manda sin chapelain.¨ prêtre d'une capelle;
"Écris vite u bref de ta main,
et quand le bref sera scellé¨ fermé d'un cachet officiel;
À la Croix Rouge le pendez."
Tristan ne dormit pas la nuit.
Puis avant que vint minuit,
Blanche Lande il l'a traversée.
Là, il prend la charte scellée.¨ lettre cachetée;
La Cornouailles, il laconaût,
Il vient chez Ogrin, lui remet¨ donne;
La charte. L'hermite l'a prise,
Lit la lettre, voit la franchise¨ droiture, loyauté;
Du roi, qui pardonne à Iseut
Ses méfaits¨ ; et il lit qu'il veut le mal qu'elle a fait;
Le reprendre malgré ses torts;¨ fautes;
Il voit les termes de l'accord.
"Mon Dieu, " dit Tristan, "quel souci"
Pour celui qui perd son amie.
Il faut le faire pour l'effroi¨ peur;
Que vous avez eu tant pour moi."
"Tristan, écoutez-moi très bien.
Laissez-moi Husdent, votre chien."
Et il répond: "Ma chère amie,
Je donne Husdent par symathie."
"Seigneur, je veux vous remercier
Du chien que vous m'avez donné.
Prenez cet anneau en échange."
Elle l'ôte,¨ à son doigt le range.¨ retire de son doigt; met;
Tristan embrasse alors la reine,
Et elle lui. Dieu! quelle peine!¨ malheur;
Par Cornouailles on proclame:
Le roi s'accorde¨ avec sa femme. fait un accord;
Seigneurs, au jour du parlement,
Le roi fut avec tous ses gens.
Ils occupent¨ une prairie. se trouvent dans;
Tristan vient avec son amie.
Il dit à Iseut doucement:
"Dame vous garderez Husdent.
Je vous prie de le garder.
Aimez le bien, si vous m'aimiez.
Voyez le roi, notre seigneur,
Avec lui ses hommes d'honneur.
Si je vous demande une chose,
Faites ce que je vous propose."
"Ami Tristan, écoutez-moi:
Si cet anneau de votre doigt
Vous m'envoyez, je crois sur l'heure¨ immédiatement;
Tout ce que dira le porteur."
"Dame, " fait-il, "à Dieu soit grâce."¨ merci;
Il l'attire à lui et l'embrasse.
De la reine, congé il prend¨ il dit adieu;
Ils se regardent doucement.
Tristan part vers la mer. Iseut
l'accompagne longtemps des yeux.
Tant¨ qu'elle peut le voir de loin aussi longtemps;
De sa place, elle ne part point.¨ pas;
Or, il advint ¨ qu'un jour chevauchant avec le seul Gorvenal, il entra sur la terre de Bretagne. Pendant deux jours, Tristan et Gorvenal passèrent les champs et les bourgs ¨ sans voir un homme, un coq, un chien. Au troisième jour, à l'heure de none,¨ ils approchèrent ¨ d'une colline ¨ où se dressait ¨ une vieille chapelle, et, tout près, l'habitacle ¨ d'une ermite. Il souhaita la bienvenue ¨ aux arrivants et disposa le manger. Après le repas, comme la nuit était tombée, et qu'ils étaient assis autour du feu, Tristan demanda quelle était cette terre ruinée. arriva; villages; 15:00; arrivèrent à; hauteur; se trouvait; demeure; reçut bien les..;
"Beau seigneur, " dit l'ermite, "c'est la terre de Bretagne, que tient le duc Hoël. C'était naguère ¨ un beau pays. Mais le comte Riol de Nantes y a fait le dégât."¨ Tristan demanda:"Le duc Hoël, peut-il encore soutenir sa guerre?" au passé; ravage;
"À grand'peine ¨ seigneur. Pourtant, son dernier château, Carhaix, résiste ¨ encore, car les murailles en sont fortes, et fort est le cœur du fils du duc Hoël, Kaherdin!" difficilement; se défend;
Tristan demanda à quelle distance était le château. "Sire, à deux milles ¨ seulement. 2x1800 mètres;
Ils se séparent et dormirent.
Au matin, Tristan prit congé du ¨ prud'homme et chevaucha vers Carhaix. dit adieu au;
Quand il s'arrêta au pied des murailles closes,¨ il demanda le duc. Hoël se trouvait parmi ses hommes avec son fils Kaherdin. Il se fit connaître, et Tristan dit: "Je suis Tristan, roi de Loonnois, et Marc, le roi de Cornouailles, est mon oncle. J'ai su seigneur, que vos vassaux ¨ vous faisaient tort ¨ et je suis venu pour vous offrit mon service. Commandez qu'on m'ouvre cette porte." fermées; nobles qui dépendent d'un roi; mauvaise actions;
Kaherdin dit alors: "Recevez-le, mon père, afin qu'il prenne part de nos biens et nos maux.¨ " pl. de mal;
Un matin, un guetteur ¨ descendit en hâte de sa touret courut par les salles en criant: soldat de garde;
"Seigneurs, vous avez trop dormi! Levez-vous, Riol vient faire l'assaillie ¨ !" attaque, offensive;
Chevaliers et bourgeois s'armèrent et coururent aux murailles. Mais Tristan monte, éperonne ¨ son cheval jusque dans la plaine.¨ Le duc Riol s'élança. Quand ils se heurtèrent,¨ Tristan frappa Riol. le coup était si fortement assené,¨ que le baron tombe sur les genoux et sur les mains. Riol implora merci, ¨ et Tristan reçut son épée. Riol promit de se rendre en la prison du duc Hoël, de lui jurer ¨ de nouveaux hommage ¨ et foi,¨ de restaurer ¨ les bourgs et les villages brûlés. pique des éperons; terrain plat; se rencontrèrent; frappé; grâce, pitié; promettre; honneur; fidélité; réparer;
Quand les vainqueurs¨ f urent rentrés dans Carhaix, Kaherdin dit à son père: "Sire, mandez Tristan, et retenez-le; il n'est pas de meilleur chevalier, et votre pays a besoin d'un baron de telle prouesse.¨ " ceux qui avaient gagné; si grande courage;
Ayant pris conseil de ses hommes, le duc Hoël appela Tristan:
"Ami, je ne saurais trop vous aimer, car vous m'avez conservé cette terre. Je veux donc m'acquitter envers ¨ vous. Ma fille, Iseut aux Blanches Mains, est née de ducs, de rois et de reines. Prenez-la, je vous la donne." payer cette dette;
"Sire, je la prends, " dit Tristan.
Ah! seigneurs, dit il cette parole? Mais pour cette parole, il mourut..
Ici suivent des fragments du texte de Thomas
Tristan pense oublier Iseut,
Enlever ¨ l'amour s'il le peut, retirer;
en épousant ¨ une autre Iseut. en se mariant avec;
Se délivrer ¨ d'elle il le veut. libérer;
Au jour nommé, au terme ¨ mis,¨ date; fixé;
Vient Tristan avec ses amis,
Épouse ¨ Iseut aux blanches mains. se marie avec;
La messe dit le chapelain.
Le jour passe avec les déduits.¨ plaisirs;
Les lits sont prêts ¨ vers la minuit. préparés;
La pucelle ¨ va se coucher jeune fille;
Et Tristan se fait dépouiller¨ déshabiller;
Du 'blialt"¨ qu'il avait sur soi, tunique;
Qui était beau, au poing étroit
Quand le "blialt", ils l'ont ôté, ¨ retiré;
De son doigt l'anneau est tombé.
Au parc Iseut le lui donna,
l'ultime ¨ fois qu'il lui parla. dernière;
Tristan regarde, voit l'anneau,
Et pense à elle de nouveau,
Se rappelle la convention ¨ accord;
Qu'il fit à la séparation,
Dans le jardin et au départ,
Du fond ¨ du cœur son soupir part.¨ du plus profond; vient;
Il dit: "Comment puis-je le faire?
Cette chose qui m'est bien contraire.
Néanmoins¨ je dois me coucher pourtant;
Avec elle que j'épousai.
Peu j'ai pensé à mon amie,
Quand j'entrepris¨ cette folie.¨ " commençai; absurdité;
Donc Tristan dit: "Ma belle amie,
Ne prenez pas à la vilainie ¨ ne regardez pas comme une chose méchante;
La chose que je vous avoue.¨ dis en secret;
De ça, grâce, taisez-vous.¨ s.v.p. ne parlez pas;
Par ici, vers le droit côté,
Au corps, j'ai une infirmité ¨ endroit malade;
J'en fus malade très longtemps.
Nous en aurons encore assez,
Quand je voudrai et vous voudrez."
"Cela me pèse, ¨ ", Yseut répond, m'est difficile;
"Plus qu'aucun mal au monde, au fond.¨ " à vrai dire;
Mais ce que vous voulez dire,
Je le veux bien, je m'en retire.¨ " je n'en ferai pas;
Un jour, Tristan et Kaherdin,
Durent aller chez des voisins.
Ils voient venir un chevalier
Au galop sur un destrier.¨ cheval;
Il fut très richement armé;
Il eut un écu ¨ d'or paré ¨ arme de défense; orné;
Ils s'émerveillent ¨ qui ce soit. s'étonnent;
Il vient vers eux. Quand il les voit,
Il les salue doucement.
Son salut, Tristan le lui rend.
Et lui demande où il va.
Quelle affaire pressante il a.
"Sire, " dit donc le chevalier,
"Sauriez-vous bien me renseigner ¨ donner des informations;
Du bien¨ de Tristan, l'Amoureux?" propriété, château;
Tristan dit: "Dites-moi par Dieu,
À Tristan vous voulez parler?
Vous ne devez si loin aller,
Car je suis Tristan appelé.
Dites-moi ce que vous voulez."
Il dit: " Cette nouvelle j'aime.
Je me nomme Tristan le Naime.
Je suis du pays de Bretagne,
À droite de la mer d'Espagne.
J'y ai un château, une amie;
Je l'aime aussi bien que ma vie.
Mais par malheur je l'ai perdue:
L'avant-dernière nuit ce fut.
Estult l'Orgueilleux Castel Fer
L'a enlevée, cet homme fier.
Il la retient dans son château,
Fait d'elle ce qui lui est beau.¨ ce que lui plaît;
Vous êtes redouté et craint¨ dont on a peur;
Donc je vous demande merci ¨ pitié;
Aidez-moi donc. Et je vous prie
De bien vouloir m'accompagner¨ venir avec moi;
Pour mon amie, la délivrer."
Tristan dit: "Autant que je peux,
Je vous aidereai de mon mieux;¨ autant que possible;
Et très volontiers¨ j'y irai, avec plaisir;
Permettez-moi que je m'armerai."
Estult l'Orgueilleux Castel Fer,
Pour le tuer ils partent fiers.
Tant ils ont marché et erré
Que son château, ils l'ont trouvé.
Estult l'Orgueilleux était fier,
Et il avait six nobles frères,
Hardis et vaillants et très preux; ¨ synonymes de courageux;
Mais il était plus vaillant qu'eux.
Deux d'entre eux d'un tournoi rentrèrent.
Une embuscade ¨ ils leur dressèrent,¨ attaque par surprise; préparèrent;
Les défièrent¨ en criant, invitèrent à se battre;
Frappèrent sur eux durement.
Les deux frères furent tués.
Au pays on en a parlé.
Et ceux-ci ¨ montent au château Tristan et ses gens;
Où le seigneur¨ s'était enclos.¨ Estult; enfermé;
Et les deux Tristan assaillirent,¨ attaquèrent;
Courageusement l'¨ envahirent.¨ le château; entrèrent de force;
Ils furent tous bons chevaliers
À les voir ¨ leurs armes porter. quand on les voyaient;
Ils ne cessèrent ¨ de combattre¨ s’arrêtèrent; se battre;
Jusqu’à avoir tué les quatre.
Tristan le Naim y fut tué,
Et l'autre Tristan fut blessé,
Tout près de ses reins,¨ d'une épée, partie inférieure du dos;
De grand venin empoisonnée.
Ses plaies¨ il les a fait soigner, blessures;
Cherchant des mires¨ pour l'aider. médecins;
On en a fait assez venir,
Mais aucun n'a pu le guérir.
Sentant qu'il s'en va à sa fin ¨ qu'il va mourir;
Tristan appelle Kaherdin,
Lui dit:" Entendez, bel ami:
Je suis en étrange pays,
Je n'ai d'ami, ni de parent,
Bel ami, sauf¨ vous seulement. excepté;
Sans secours¨ il me faut mourir, aide;
Personne ne peut me guérir,
Sauf seulement la reine Iseut,
Elle le peut, si elle veut.
Allez-lui dire: je suis mort,
Si elle ne donne confort.¨ soulagement, aide;
C'est mon bateau que vous prendrez,
Double voile vous porterez,
Dont l'une est blanche et l'autre noire.
Si vous pouvez Iseut avoir,
Et qu'elle vienne me guérir¨ rendre la santé;
Du blanc¨ mettez au revenir.¨ la voile blanche; retour;
Mais si vous ne l'amenez pas,
Mettez la noire dans ce cas.
Courroux¨ de femme est bien à craindre¨ colère; on en doit avoir peur;
Beaucoup d'hommes peuvent s'en plaindre.¨ être mécontent;
Iseut écoute ce que dit
Tristan, et elle a tout compris.
Elle retient¨ tout cela bien, n'oublie pas;
Mais elle fait semblant de rien.¨ comme si elle ne savait rien;
Souvent Tristan se plaint,¨ soupire, se lamente;
Après¨ son Iseut qu'il désire. voulait avoir;
En cette angoisse,¨ en cet ennui¨ malaise; tristesse;
Sa femme Iseut vient devant lui.
Méditant une ruse ¨ bien chose pour tromper;
Elle lui dit:"Kaherdin vient.
Sur la mer j'ai vu son bateau
Cingler¨ à grand'peine¨ là-haut.¨ " naviguer; difficilement; sur la mer;
Tristan tressaute¨ à la nouvelle. tremble d'émotion;
Il dit à Iseut: "Amie belle,
C'est sa nef¨ donc? C'est bien certain? navire;
Quelle est la voile, dis-moi bien."
Iseut dit:"Vous pouvez me croire
Sachez bien que la voile est noire."
Bien plus que jamais, dans son cœur
Tristan en a grande douleur.
Il se tourne vers la paroi¨ mur;
Et dit: "Dieu! sauve Iseut et moi!"
"Amie Iseut" trois fois il dit,
A la quatrième, il rend l'esprit.¨ il meurt;
Alors pleurent par la maison
Les chevaliers, les compagnons.
Du navire Iseut est issue, ¨ sortie;
Entend les plaintes¨ dans la rue, lamentations;
Aussi les cloches des chapelles.
Elle demande des nouvelles.
Un vieillard, alors, lui a dit:
"Belle dame, à Dieu soit merci.¨ nous demandons pitié;
Nous avons beaucoup de douleur,
Bien plus que jamais, dans nos cœurs.
Tristan le preux,¨ le franc est mort, courageux;
À tous les gens de grand confort.¨ " aide;
Quand Iseut l'entend débiter¨ parler;
D'ennui¨ elle ne peut parler. tristesse;
De sa mort elle est affligée.¨ triste;
Mine défaite ¨ elle est allée visage décomposé;
Avant les autres au palais.
Et dans la salle où le corps est,
Elle se tourne vers l'orient,
Prie pour lui piteusement.
"Ami, Tristan, je vous vois mort.
Je veux subir le même sort.¨ que la même chose m'arrive;
Pour moi vous perdîtes la vie;
Je le ferai en vraie amie:
Je veux mourir également.
Elle l'embrasse, puis s’étend.¨ se couche;
Lui baise¨ la bouche et la face.¨ met un baiser; visage;
Étroitement¨ elle l'embrasse.¨ de très près; prend dans ses bras;
Bouche à bouche, corps contre corps,
Elle rend l'esprit.¨ C'est alors meurt;
Qu'elle meurt à côté de lui,
Pour la douleur de son amie.

3. Le Roman de Perceval ou le conte du Graal

Par Chrétien de Troyes
Chrétien sème¨ et il fait semence ¨ met des grains; met des grains;
D'un roman qu'ici il commence.
Il le fait pour le plus sage¨ homme, raisonable, serieux;
Qui soit dans l'empire de Rome:
Le Comte PHILIPPE DE FLANDRES,
Qui vaut¨ beaucoup mieux qu'Alexandre.¨ est préférable à; Alexandre le Grand de Macédoine;
Pour lui, ne perdra pas sa peine.
CHRÉTIEN qui entend¨ et qui peine ¨ a l'intention de; fait son mieux pour;
A mettre en vers le meilleur conte
Qui soit conté en Cour Royale:
C'est le conte du SAINT GRAAL.
Au temps ou les arbres fleurissent, ¨ se mettent en fleurs;
Les bocages¨ , les prés verdissent¨ , petits bois; deviennent vertes;
Toute chose de joie enflamme,
Un des fils d'une veuve ¨ dame qui avait perdu son mari;
Vit arriver cinq chevaliers,
De toutes armes équipés¨ , portant toutes leurs armes;
Il vit les hauberts¨ reluisants¨ , armures; brillants;
Et les heaumes¨ clairs et brillants, armure qui protège la tête;
Et les lances et les écus.¨ arme de défense;
Qu'avant, jamais il n'avait vus.
Il dit:"Ha! Seigneur Dieu, merci
Des¨ anges¨ que je vols ici"" pour les; être spirituel;
Et le maître des chevaliers
Dit à ses hommes:"Là!restez!"
Et au valet:"N'ayez pas peur!"
"Je n'ai pas peur, par le Sauveur¨ Jésus-Christ;
Qui êtes-vous?"-"Un chevalier."
"Jamais je n'en ai rencontré.
Qui vous habilla¨ donc ainsi?" a donné des vêtements;
"Valet¨ , je te dirai bien qui." ici: jeune homme;
"Dites-le donc."-"Très volontiers¨ ; avec plaisir;
Il n'y a pas cinq jours entiers"
Que tout ce harnais me donna
Le Roi Arthur qui m'adouba.¨ " fit chevalier;
Puis, vite, le chevalier part.
Alors le valet se prépare
A retourner à son manoir.¨ petit château;
Où sa mère, triste, le soir
L'attend.Elle aime son fils tant
Qu'elle court vers lui en criant:
"Mon fils, chagrine¨ , je le suis; triste;
Où as-tu été aujourd'hui?"
"Où Dame?je vous le dirai
Très bien, et je ne mentirai¨ , dirai la vérité;
Car une grande joie j'ai eue
Par une chose que j'ai vue:
Les plus belles choses qui sont,
Qui par la vaste¨ forêt¨ vont. grand; bois;
Ils sont plus beaux, comme je pense,
Que Dieu, plus beaux que tous ses anges.
La mère dans ses bras le prend,
Et dit:"Beau fils, à Dieu te rends¨ ; il te faut recommander à Dieu;
Car j'ai très grande peur pour toi.
Tu as vu, comme je le crois,
Les anges dont les gens se plaignent¨ sont mécontents;
Qui tuent tout ce qu'ils atteignent.¨ " peuvent prendre;
"Non, vraiment, ma mère, ce sont
Des chevaliers voilà leur nom.
"Hélas! que je suis mal servie¨ ! malheureuse;
Beau fils doux, de¨ chevalerie contre la chevalerie;
Je pensais si bien te garder
Qu'on ne dut jamais t'en parler.
Ton père, -tu l'as ignoré-¨ tu ne l'as pas connu;
Avait eu les jambes blessées.
Et toi, quand tu étais petit,
Avais deux frères très gentils;
En guerre ils sont morts tous les deux;
J'en ai eu grand chagrin¨ , grand deuil¨ ; tristesse;
Très peu le valet a compris
À ce que sa mère lui dit.
"Donnez-moi, " fait-il, "à manger!
Je ne sais de quoi vous parlez,
Mais j'irais, moi, très volontiers¨ avec beaucoup de plaisir;
Au roi, qui fait les chevaliers."
Là, elle l'embrasse en pleurant,
Et dit:"Que mon chagrin est grand,
Mon beau fils doux, quand je te vois
T'en aller à la cour du roi.
Tu seras chevaliers sous peu¨ dans peu de temps;
Et s'il plaît a Dieu, je le veux,
Si tu trouves tout près, au loin,
Dame qui d'appui¨ a besoin aide;
Ou fille de secours privée¨ , sans aide;
Que ton aide leur soit donnée.
Surtout je voudrais te prier
Que dans l’église et le moutier¨ chapelle;
Tu ailles prier le Seigneur
Pour qu'il te donne tout honneur."
Pas un moment, il ne demeure.¨ reste, attend;
Il prend congé¨ ; la mère pleure. dit adieu;
"Fils, "fait-elle, "que Dieu te mène¨ conduit;
Qu'il te donne très peu de peine.¨ tristesse;
Mais joie, où que tu puisses aller."
Quand le valet fut éloigné¨ à la distance;
Le jet d'une petite pierre,
Il se retourne et voit sa mère
Tomber sur le pont en arrière.
Elle se pâma¨ de manière perdit conscience;
A faire croire¨ : elle fut morte. de sorte qu'on croyait;
Mais il s'en va, d'allure¨ forte. à grande vitesse;
Et le valet tant chevauche,
Qu'en un chemin ou il entra,
Il vit sur¨ la mer un château, au bord de;
Fort bien séant¨ , solide et beau. agréable à voir;
Et il voit sortir par la porte
Un chevalier armé, qui porte
Une coupe d'or à la main.
De l'autre main il tient le frein¨ sert à arrêter un cheval;
Et ses armes bien lui séaient.
Bien vermeilles¨ elles étaient. rouges;
Le valet vit les armes belles,
Qui furent fraîches¨ et nouvelles, brillantes;
Qui lui plurent¨ ; Il dit:"Ma foi¨ , qu'il voulait avoir; vraiment;
Je les demanderai au roi."
Alors, vers le château il court;
Il se dépêche vers la cour,
Ou le roi et ses chevaliers
Étaient assis pour le dîner.
Cette salle était en aval¨ dans la partie la plus basse du château;
Et le valet entre à cheval.
Il fait:"Faites-moi chevalier,
Sire Roi, et je m'en irai."
"Ha!"fait le roi, "ami aimé,
Je le ferai bien volontiers."
Le valet dit:"Beau sire Roi,
Je ne le serai jamais, moi,
Que par un chevalier hardi.¨ courageux;
Donnez les armes de celui
Que je rencontrai à la porte
Qui votre coupe d'or emporte."
"Ami, vous êtes dans le droit.
Allez-lui donc prendre à l'endroit¨ là où il te faut;
Les armes; elles sont à vous.
Mais n'agissez¨ pas comme un fou." faites;
Il s'en retourne sans conseil
Après le chevalier vermeil,
Tant qu'il vint au chemin tout droit
Où le chevalier attendait,
Il lui cria:Il faut jeter
Les armes, sans plus les porter.
Le Roi Arthur vous le commande."
"Valet, "fait-il, "je te demande
Si quelqu'un vient de par le¨ roi au nom du;
Qui voudra se battre avec moi."
"Chevalier, ôtez¨ sur le champ¨ retirez; immédiatement;
Les armes;car je vous les prends,
Si vous me faites plus parler."
Le chevalier fut très fâché.¨ furieux;
Des deux mains sa lance il leva.
Il frappa tant qu'il le¨ blessa. Perceval;
Et le valet s'est courroucé¨ fâché;
Quand il sentit qu'il fut blessé.
Il fait partir¨ son javelot.¨ lance; sa lance;
Le frappe¨ par l’œil au cerveau¨ touche; dans la tête;
Répand¨ la cervelle et le sang. fait sortir;
Par la douleur le cœur lui manque ¨ perdit courage;
Il s'affaisse¨ ;tombe étendu¨ ne peut rester debour; de tout son long;
Et le valet est descendu.
Il met la lance d'une part¨ de côté;
Et l’écu du col lui séparé¨ à part;
Puis le valet, sans nul arrêt,
S'en va, courant par la forêt¨ , bois;
Tant qu'il vit, à gauche et en haut,
Paraître les tours d'un château.
Le valet, vers le pont chemine.¨ se dirige;
Vêtu¨ d'une robe d'hermine, habillé;
Un prud'homme, beau et charmant,
Là, au milieu du pont, l'attend.
Il dit:"Beau frère, d'où viens-tu?"
"D'où? de la cour du roi Arthur."
"Qu'y faisais-tu?"-"Le roi m'a fait
Chevalier; là, chacun le sait."
"Ces armes, qui te les donna?"
"Le Roi, "fait-il, "me les laissa."
"Comment?" Alors, il lui raconte
Ce que vous savez par ce conte.
"Mais quel besoin¨ vous amena¨ ?" nécessité; fit venir;
"Sire, ma mère m'enseigna¨ m'apprit;
D'aller toujours aux chevaliers,
Pour qu'ils puissent me conseiller."
Le prud'homme répond:"Beau frère,
Bénie¨ soit votre bonne mère, que Dieu donne grâce à;
Car elle vous conseilla bien.
Ne voulez-vous plus dire rien?"
"Oui."-"Et quoi?"-"Eh bien, je vous prie
De bien m’héberger cette nuit."
"Très volontiers, "fait le prud'homme,
"Gornemant de Goort je me nomme."
Ainsi jusqu’à l'hôtel ils viennent;
Par la main tous les deux se tiennent.
Le prud'homme, qui fut courtois,
Le pria de rester un mois.
Volontiers il le retiendrait¨ garderait chez lui;
Pendant ce temps il apprendrait
Telles choses qui lui plairaient,
Qui au besoin lui conviendraient¨ seraient utiles;
Mais le valet lui dit après:
"Sire, je ne sais pas si près
D'ici ma bonne mère habite.
Je voudrais la revoir très vite."
Ils se couchent sans plus d’arrêt,
car les lits étaient déjà faits.¨ préparés;
Le lendemain¨ le chevalier jour après;
Au lit de son hôte est allé.
Il lui chaussa¨ l'éperon droit. mit à la jambe;
Alors¨ , il y avait la loi¨ dans ce temps; règle;
Que celui qui anoblissait¨ faire noble;
Quelqu'un, l’éperon lui chaussait.
Alors¨ il commence à l'armer, après;
Et puis à lui ceindre¨ l’épée. mettre à la taille;
Il la lui ceint et l'a baisé¨ , embrassé;
Et lui dit qu'il lui a donné
Le plus haut ordre avec l’épée
Que Dieu ait fait et commandé:
C'est l'ordre de chevalerie,
Qui doit être sans vilenie¨ déshonneur;
Il dit:"Il faut vous rappeler:
S'il arrive¨ que vous devez le fait se produit;
Vous battre contre un chevalier,
Je veux vous dire et vous prier,
Si vous en¨ avez le dessus¨ , de lui; triomphe;
Et qu'envers¨ vous il ne peut plus contre;
Se défendre ni se tenir,
S'il se rend à votre merci¨ , pouvoir;
Ne le tuez en aucun cas.
Gardez-vous¨ bien de n'être pas faites attention à;
Trop bavard¨ ni trop discoureur¨ parlant trop; parlant trop;
Nul¨ ne peut être trop parleur; personne;
Si vous rencontrez homme ou femme,
Damoiselle ou bien une dame,
Qui est sans secours¨ et sans rien aide;
Conseillez-les, vous ferez bien.
Ceci n'est pas à dédaigner¨ négliger;
Allez volontiers au moutier¨ chapelle;
Prier Celui Qui a tout fait
De vous pardonner s'il Lui plaît."
Levant la main il le regarde,
Et dit:"Sire, que Dieu vous garde!"
Puis, le nouveau chevalier quitte
Son hôte, car il veut très vite
Chez sa mère pouvoir aller,
La trouver en bonne santé.
A un fleuve il est arrivé;
Par là, il n'ose pas passer.
Le long de la rive il partit,
Quand, en aval, ¨ sur l'eau, il vit du côté où coule la rivière;
Un bateau qui venait d'amont¨ du côté où vient la rivière;
Sur le bateau deux hommes sont.
Au milieu de l'eau arrêtés,
Ils mettent l'ancre pour pêcher.
Il salue pour demander:
"Voulez-vous, Seigneurs, raconter
Où je pourrais trouver logis?"
L'un d'eux répondit: "De ceci,
Bien besoin, je crois, vous aurez.
Cette nuit, je vous logerai.
Quand vous irez là, en amont,
Vous verrez là, au pied d'un mont,
Une maison qui est à moi,
Près de la rivière et du bois."
Maintenant il va en amont,
Tant qu'il vint au sommet¨ du mont. au point le plus haut;
Le haut d'une tour apparut;
L'on ne trouve jusqu’à Barut¨ (nom inconnu);
Si belle, ni si bien assise¨ , située;
Qui fut carrée, de roche bise.¨ gris-brun;
Alors, vers la porte il s'en va,
Et devant la porte il trouva
Un pont. Des valets tout en armes
Viennent vers lui et le désarment.
Jusqu'aux loges ils l'ont mené.
Là, dans une salle carrée,
Justement au milieu, il vit
Un prud'homme assis sur un lit.
Quand le seigneur le vit venir,
Il le salue avec plaisir,
Et dit:"Ami, ne m'en veux pas ¨ soyez pas fâché;
Si moi, je ne me lève pas."
A son coté il s'est assis,
Et le prud'homme dit:"Ami,
D'où veniez-vous donc aujourd'hui?"
"Seigneur, ce matin je partis
D'un lieu appelé Beaurepère."
Quand ainsi tous les deux parlèrent,
Un valet¨ d'une chambre vint, serviteur;
Une lance blanche en ses mains,
Et ceux qui sur le lit étaient,
Et tous ceux là-dedans, voyaient
La lance blanche et le fer blanc.
Une goutte de sang sortant
Du fer de la lance au sommet¨ bout;
Jusqu’à la main de ce valet
Coulait;une goutte vermeille.
Le valet¨ vit cette merveille.¨ Perceval; miracle;
Alors deux autres valets vinrent,
Des chandeliers en leurs mains tinrent,
Faits en or fin, à nielle¨ ouvrés.¨ émail noir; travaille;
Très beaux ces valets ont été,
Qui les chandeliers apportaient.
Sur chaque chandelier brûlait
Dix belles chandelles au moins.
Tenant un graal¨ en ses mains, coupe;
Une demoiselle marchait,
Qui avec les valets venait.
Belle svelte¨ et très bien parée¨ fine; habillée;
Quand dedans elle fut entrée
Avec le graal qu'elle le tint,
Telle grande clarté¨ en vint lumière claire;
Qu'ainsi perdirent les chandelles
Leur clarté, comme les étoiles
Sitôt que¨ se lève la lune. immédiatement quand;
Après elle, il en venait une, ¨ une jeune fille;
Tenant un beau plateau d'argent.
Le graal, qui allait devant,
Était tout d'or fin pur ouvré,
De pierres précieuses orné.¨ décoré;
Quand le valet¨ les vit passer, Perceval;
Il n'osa pas bien s'informer
Du graal, ni pour qui c’était,
Car toujours il se rappelait
La parole de l'homme sage,
Craignant d'en avoir du dommage¨ contraire de profit;
Il ne dit rien, rien ne demande.
Alors le seigneur, il commande:
"Dressez la table, donnez l'eau."
Le repas fut très bon et beau.
Ils se parlèrent et veillèrent
Et les valets appareillèrent¨ préparèrent;
Le lit.Couchant entre draps fins,
Il dormit jusqu'au grand matin.
Il se lève et arme ses membres¨ bras et jambes;
Et veut s'en aller par les chambres,
Mais il les trouve bien fermées.
Il appelle et il frappe assez,
Nul n'a ouvert, nul n'a parlé.
Quand il a assez appelé,
Trouvant la porte de la salle
Ouverte, aussitôt, il dévale¨ descend;
En descendant tous les degrés¨ marches de l'escalier;
Il trouve son cheval sellé ¨ avec selle;
Il monte et fait le tour dedans,
Retrouve là pas un sergent¨ valet, serviteur;
Il trouve le pont abaissé.
Sans tarder il l'a traversé.
Pour ce faire, il a eu du mal¨ difficultés;
Il sentit que de son cheval
Les pieds furent levés en haut,
Et le cheval fit un grand saut.
S'il n'avait pas si bien sauté,
Tous les deux, ils seraient blessés.
Cherchant ce que ça a été
Il vit que le pont fut levé.
Toute froide était la contrée.
Perceval, cette matinée,
Voulant chercher chevalerie
Vint tout droit dans une prairie,
Qui fut gelée et enneigée,
Où l’armée du roi fut logée.
Grande fut la joie que le roi
Fit de Perceval, le Gaulois;
La reine aussi et les barons
Toute la nuit grand'joie ils font.
Et le départ ils le remirent¨ renvoyèrent la date;
Jusqu'au troisième jour qu'ils virent
Une demoiselle qui vint
Sur une mule fauve¨ et tint sauvage;
En sa main droite une courroie¨ ; bande de cuir;
Ses cheveux, comme je le crois,
En deux tresses tordues et noires.
Et si on pouvait vraiment croire,
Ce que le livre nous fait lire,
Jamais chose plus laide et pire¨ plus mauvaise;
Ne fut même vue en enfer.
Jamais plus noir ne fut un fer
Que le noir du cou et des mains.
Et ceci était encore moins
Que l'autre laideur qu'elle avait,
Car tout clos¨ ses deux yeux étaient, fermés;
Pres-qu’aussi petits qu'yeux de rats.
Son nez fut de singe ou de chat;
Et ses lèvres d’âne ou de bœuf;
Ses dents semblaient du jaune d’œuf;
Et sur la.poitrine une bosse;¨ difformité;
Une échine¨ comme une crosse. colonne vertébrale;
La bosse au dos, tordues¨ les hanches, courbés;
Aussi bien que d’osier¨ les branches, plante grimpante;
Trop belles pour mener la danse. -
Devant les chevaliers s’élance
La demoiselle sur la mule.
Avant, jamais, a la cour nulle
Femme comme elle ne fut vue.
Elle va au roi, le salue,
Et les barons également,
Hormis¨ Perceval seulement. mais pas;
Elle dit, de sa mule fauve:
"Perceval, la Fortune est chauve¨ sans cheveux;
Derrière et devant chevelue.
Malheur à ceux qui te saluent,
Et qui te souhaitent du bien,
Car tu ne sus conserver point¨ pas;
Fortune, quand tu la trouvas. i
Chez le Roi-Pêcheur tu entras.
Là, tu vis la lance qui saigne;
Alors, tu eus si grande peine¨ difficulté;
D'ouvrir ta bouche pour parler,
Que tu ne pus pas demander
Pourquoi cette goutte de sang
Sort par la pointe du fer blanc.
Et du graal que tu as vu
Tu ne demandas rien;pas plus
Qu'à quel seigneur on l'a servi.
Très malheureux est celui qui
Voit du beau temps plus qu'il convienne¨ est agréable;
Mais attend que du plus beau vienne.
Malheur que tu n'aies pas parlé;
Car si tu l'eusses¨ demandé aurais;
Le riche roi, qui en souffrit¨ en avait mal;
De sa plaie fut¨ déjà guéri, serait;
Et eût tenu sa terre en paix.
Mais il ne l'aura plus jamais."
A part lui¨ Perceval s'est dit: en parlant à lui-même;
Qu'il ne passera pas deux nuit
Sous le même toit, de son âge¨ ; pendant toute sa vie;
Et si on parle d'un passage¨ quelque chose qui passe;
Étrange, il n'ira point¨ le voir; pas;
Et si on peut apercevoir¨ voir;
Un chevalier plus preux¨ que quatre, courageux;
Il n'ira pas pour le combattre,
Avant que du graal il sache
A qui on le sert, et qui cache
La lance-saignante trouvée;
Et que, de vérité prouvée, ¨ montrée avec certitude;
Il sache pourquoi elle saigne.
Pour ça, il n'y a rien qu'il craigne¨ dont il a peur;
Perceval-ainsi dit l'histoire-
A perdu toute la mémoire.,
Et Dieu, il l'a tout oublié.
Avril a bien cinq fois passé;
Ce sont donc cinq ans en entier¨ en total;
Sans qu'il entrât dans un moutier¨ , église;
Sans que de Dieu il se souvînt.
Au bout des¨ cinq ans il advint¨ après; l'événement se produisit;
Que par un désert il allait.
Comme d'usage¨ il cheminait¨ normalement; allait;
De toutes ses armes armé.
Trois chevaliers sont arrivés
Avec dix dames environ,
Leurs têtes dans des capuchons.
Et ils s'en allaient tous à pied,
Tout en haillons¨ et déchaussés¨ vêtements déchirés; sans chausures;
Ne celui qui était venu,
Qui tenait la lance et l’écu
S’émerveillent¨ tant les dames, s’étonnèrent;
Qui, pour le salut de leurs âmes,
Faisaient leur pénitence à pied
Pour leurs fautes et leurs péchés.
Et l'un de ces trois chevaliers
L’arrête et dit:"Ami aimé,
Ne croyez-vous en Jésus-Christ,
Qui la bonne loi écrivit?
Car il n'est pas juste ni bien
D'être armé, -et c'est un grand tort¨ injustice;
Le jour où Jésus-Christ fut mort"
Et lui qui n’était pas conscient¨ qui ne réalisait pas;
Du ¨ jour, de l'heure, ni du temps, quel jour c'était etc.;
Tant son cœur était en ennui, ¨ tristesse;
Répond:"Quel jour est-ce aujourd’hui?"
"Quel jour? vous ne le savez point?
C'est aujourd'hui Vendredi Saint."
"D'où venez-vous, dites-moi bien."
Fait Perceval.-"Sire, je viens
D'un homme sage, un saint hermite,
Qui dans cette forêt habite."
"Par Dieu, Seigneur, qu'y fîtes-vous?
Et que lui demandâtes-vous?"
"Quoi, Sire?"fait une des dames,
"De nos péchés nous demandâmes
Conseil, tout en nous confessant, ¨ disant nos fautes;
Faisant ce qui est important,
Ce que doit faire tout chrétien
Qui à Dieu veut se vouer¨ bien." donner sa vie;
Ce que Perceval apprenait,
Le fait pleurer.Ça lui plairait
Si au sage il pouvait parler.
Et il voudrait bien y aller.
Puis, Perceval se met en route,
En soupirant de l’âme toute,
Parce qu'en se sentant méfait¨ coupable;
Envers Dieu, il se repentait ¨ reconnaissait avoir fait des péchés;
Pleurant il va par les feuillages¨ ici: le bois;
Et quand il vient à l'hermitage,
Il descend et il se désarme,
Liant¨ son cheval à un charme¨ attachant; sorte d'arbre;
Après il entre chez l'hermite.
Dans une chapelle petite,
Avec un prêtre, il le trouva;
Un clerc jeune aussi était là.
Et ils commençaient le service
Le plus haut qui, en Sainte Église,
Puisse être fait, et le plus doux.
Perceval se met a genoux.
Des yeux les pleurs lui dégouttaient¨ tombaient;
Et Perceval, qui redoutait¨ avait peur;
D'avoir, envers Dieu, bien péché,
A pris l'hermite par les pieds.
Les mains jointes¨ , le chef¨ penché¨ ensembles; la tête; basse;
Il le prie de lui donner
Conseil, dont il a bien besoin.
Le bon homme lui prescrit¨ bien recomande;
De dire sa confession¨ reconnaître ses péchés;
Car il n'aura jamais pardon,
S'il n'est contrit¨ et repentant. ne reconnaît pas ses péchés;
"Sire, "fait-il, "voilà cinq ans,
Que je ne sais plus ou je fuis,
Sans aimer Dieu, ni croire en lui.
Et je fis du mal avec rage.¨ fureur;
"Hé, bel ami, " dit l'homme sage,
"Dis-moi donc, pourquoi l'as-tu fait?
Prie Dieu que pitié il ait
De ton âme, toi, grand pécheur.
"Sire, c'est chez le Roi Pêcheur
Que je fus;et j'y vis la lance
Dont le fer saigne d’évidence.¨ comme il est clair;
Rien de cette goutte de sang
Qu’à la pointe de ce fer blanc
Je vis, je ne lui demandai.
Puis jamais je ne m'amendai¨ me corrigai de mes fautes;
Ni ne sus¨ a qui on servit je savais non plus;
Le Saint Graal que la je vis."
"Hé! bel ami, " dit le sage homme,
Dis-moi donc comment tu te nommes."
Et il lui dit:"Perceval, Sire"
A ce mot le sage soupire.
Reconnaissant son nom a lui,
Il dit:"Frère, beaucoup t'a nui¨ fait du mal;
Un péché, dont tu n'as rien su:
Ce fut le deuil¨ que ta mère, eut tristesse;
De toi, quand tu t'en es allé.
Alors, elle est tombée pâmée"
Tout près du pont devant la porte;
Et de ce chagrin elle est morte.
Par le péché que tu en as
Il s'est fait que tu ne demandas
Rien de la lance et du graal.
Il t'est arrivé bien du mal.
À qui on le sert est mon frère.
Ma sœur et la sienne est ta mère.
Le Graal est chose si sainte,
Si spirituelle et sans feinte¨ pure;
Que rien n'est plus cher à la vie
Que du graal la sainte hostie.
Si vraiment donc tu te repens¨ regrettes tes péchés;
Tu dois aller en pénitent
A l’église, chaque matin,
Avant tout, c'est tout pour ton bien.
Crois en Dieu qu'il faut adorer¨ honorer;
Il faut les braves honorer.
Si pucelle¨ te requerra¨ jeune fille; demande ton aide;
Aide-la, car bien te fera¨ ce sera à ton profit;
Ou bien si orpheline¨ ou veuve¨ enfant sans parents; femme dont le mari est mort;
Veut de ta bonté une preuve¨ marque, signe;
Aide-les donc, tu feras bien,
Fais qu'il ne leur manque de rien."
Et puis l'hermite lui conseille
Une oraison¨ qu'à son oreille prière;
Il chuchota¨ tant qu'il¨ la sut. dit tout bas; perceval;
En cette oraison il y eut
Assez de titres¨ du Seigneur noms qu'on Lui donne;
Qui furent de tous les meilleurs.
Ici Perceval reconnut
Que Dieu, le Vendredi Saint, fut
Mort après être crucifié¨ mis sur la croix;
A Pâques, il a communié.

4. Le roman de la rose

ICI COMMENCE LE ROMAN DE LA ROSE
On dit qu'il n'y a dans les songes¨ rêves;
que des fables et des mensonges, ¨ contre-vérités;
mais parfois on peut bien songer¨ rever;
ce qui n'est pas si mensonger.
Quiconque¨ croit, quiconque dit tout celui qui;
que c'est vraiment de la folie¨ absurdité;
de croire qu'un songe est précieux, ¨ de valeur;
qu'il me tienne pour fou¨ s'il veut, sot;
mais pour moi il est établi¨ sur;
qu'un songe est une prophétie
et du bonheur et des ennuis;¨ malheurs;
car tant de gens songent la nuit
des choses formant¨ un secret: qui forment;
mais qu'on voit s'avérer¨ après. devenir réalité;
J'avais bien vingt ans de mon âge
a l'heure ou Amour prend¨ le page¨ ; domine;
des jeunes gens, je me couchai
un soir, comme à l'accoutume,¨ normalement;
Je m'endormis profondément,
et je vis un songe en dormant
qui fut très beau et qui me plut¨ fit plaisir;
Pourtant dans ce songe il n'y eut
rien qui ne se réalisa,
comme le songe l'annonça.
Je veux le¨ mettre tout en rime le songe;
pour que tous vos cœurs s'en animent
car c'est Amour qui le commande.
Et si un homme me demande
comment je veux que le roman
soit appelé, que j'entreprends¨ commence;
c'est bien le ROMAN DE LA ROSE,
ou l'Art d'Amour entier¨ s'expose¨ total; est raconté;
La matière en est benne et neuve.
Que Dieu donne que s'en émeuve¨ en soit touché;
celle pour qui je l'ai fini.
C'est elle qui tant de prix,
qui est si digne¨ d’être aimée en droit;
que:Rose, elle sera nommée.
Voile bien cinq ans, je songeai
que c'était au mois deux de mai,
au temps où toute chose est gaie;
car on ne voit buisson¨ , ni haie groupe de petits arbres;
qui au mois doux de mai ne veuille
se couvrir de nouvelles feuilles.
Joyeux¨ , gai et plein d'allégresse¨ de bonne humeur; plaisir;
Vers un beau ruisseau¨ je m'adresse.¨ petite rivière; je me rends;
Je vis un verger¨ large et grand lieu planté d'arbres;
tout clos¨ d'un haut mur crénelé fermé;
et peint dehors et tout gravés
de maintes¨ riches écritures. nombreuses;
Les images et les peintures
du mur volontiers¨ j'admirai; avec plaisir;
et moi, je vous raconterai
de ses images l'apparence¨ aspect;
ainsi que¨ j'en ai souvenance.¨ comme; souvenir;
Tout au milieu je vis la Haine
qui en tout courroux¨ , toute peine fureur;
sembla être une conseillère
coléreuse¨ et tracassière¨ furieuse; qui cherche à faire du mal;
elle était hideuse¨ et souillée¨ ; horrible à voir; sale;
Sa tête était entortillée¨ entourée;
hideusement d'une touaille.¨ bandeau;
Une image de même taille¨ hauteur;
à gauche d'elle a apparu,
et au-dessus d'elle se lut¨ on pouvait lire;
son nom qui était Félonie.¨ Infidélité;
Une image dont Vilainie¨ Méchanceté;
était le nom, a droite d'elle,
avait même face¨ que celle visage;
des deux autres, et même allure¨ aspect;
une mauvaise créature.
Puis était peinte Convoitise¨ désir excessif;
grâce à qui tant de gens s'avisent¨ essaient;
de prendre et de ne donner rien,
et de ramasser¨ de grands biens¨ réunir; possessions;
Une autre image était assise
tout à coté de Convoitise;
Avarice, elle était nommée,
Laide, sale et déguenillée¨ habillée de vêtements déchirés;
Après, elle était peinte Envie¨ Jalousie;
qui ne rit jamais de sa vie,
car sachez bien qu'elle s'irrite
quand a quelqu’un du bien profite.
Puis à coté d’Envie se dresse,
peinte en sa misère, Tristesse.
Il parait"¨ bien à sa couleur on peut voir;
qu'au cœur elle a grande douleur.
Puis Vieillesse était figurée¨ représentée;
qui était plus maigre d'un pied
que peu avant elle eut¨ été, aurait;
car a peine¨ elle pût¨ manger difficilement; pourrait;
tant elle était vieille et chenue;¨ blanche de vieillesse;
très laide elle était devenue.
Après, une autre était inscrite
qui sembla bien être hypocrite,
qui Papelardie¨ s'appelait; Hypocrisie;
c'est elle qui, tout en secret,
quand nul¨ ne peut le remarquer¨ , personne; voir;
n'a nulle honte¨ de pécher. n'hésite pas;
Ces images m'ont bien frappé¨ impressionné;
car elles, comme j'ai conté¨ raconté;
étaient en or et en azur,
peintes de toutes parts¨ au mur. partout;
Haut fut le mur et tout carré.
Par lui était bien enfermé
au lieu de haie, un grand verger
où jamais ne fut un berger¨ personne qui garde des moutons;
Quand j'y entendis des oiseaux,
Je me pris à chercher bientôt
par quel art et par quel moyen
je pourrais entrer au jardin.
Alors j'allai, à grande allure¨ très vite;
contourner toute la clôture¨ barrière;
et la cloison¨ du mur carré, séparation;
tant qu'une porte j'ai trouvée.
Là, je commençai à frapper,
car il n'y eut pas d'autre entrée.
Souvent j'ai frappé et tapé¨ syn. de frappé;
et maintes fois¨ j'ai écouté souvent;
si j'entendrais venir quelqu'un.
Ce huis¨ qui était peu commun¨ , porte; ordinaire;
fut ouvert par une pucelle¨ jeune fille;
qui était assez gente¨ et belle. gentille, aimable;
Quand la pucelle au corps joli
m'avait ouvert la porte ainsi,
je l'en remerciai beaucoup
et lui demandai d'un ton doux
son nom;et à cette prière¨ demande;
pour moi elle n’était pas fière¨ hautaine;
ni de répondre dédaigneuse¨ négative;
"Je m'appelle, fait-elle, Oiseuse¨ qui ne travaille pas;
Je suis lié et très ami
avec le doux et bon Déduit¨ plaisir;
et c'est à lui qu'est ce jardin.
Du pays des Alexandrina
il fit ces arbres ramener
qu'il mit par le verger entier."
Quand Oiseuse m'avait parlé,
et que je l'avais écouté,
j'entrai alors, sans dire un mot,
par le huis ouvert aussitôt,
au verger.Quand je fus dedans,
je fus heureux et tout content;
et sachez que je pensai être
vraiment au paradis terrestre.
Peu après je trouvai Déduit;
car maintenant en un réduit¨ endroit caché;
j'entrai ou Déduit se trouvait;
c'est ls que Déduit s'amusait,
et des gens si beaux, si jolis
que je ne sus, quand je les vis,
d'où donc de si beaux gens pouvaient
être venus, car tous semblaient
de race noble, des héros;
jamais on ne vit de plus beaux.
Ces gens, dont je parle en paroles,
s'étaient tous mis a la charole¨ ; sorte de danse;
et une Dame leur chantait;
Liesse¨ elle s'appelait. Joie;
Debout, je regardai, content,
la charole jusqu'au moment
qu'une dame, des plus jolies,
m'entrevit¨ :ce fut Courtoisie¨ aperçut; Amabilité;
Alors Courtoisie m'appela.
"Bel ami, que faites-vous la?
a fait Courtoisie, là; venez
pour qu'avec nous vous vous mettiez
à la charolle, s'il vous plait."
Et sans retard et sans arrêt,
à la danse j'ai bien dansé,
sans être trop embarrassé.¨ gêné, troublé;
De là je partis peu après
et m'en allai seul m'amuser.
En un très beau lieu j'arrivai
en un endroit ou je trouvai
une fontaine sous un pin.¨ sorte d'arbre;
C'est depuis Charles et Pepin
qu'un si beau pin ne fut pas vu:
si haut celui-ci avait cru¨ poussé, grandi;
que là c'était le plus haut arbre.
Et dans une pierre de marbre
une fontaine eut été mise¨ placée;
par Rature, à grande maîtrise.
sur la pierre furent inscrites,
an bord, des lettres très petites
qui disaient que là, sur ce bord,
le joli Narcisse ¨ était mort. personnage mythologique;
Et dans la fontaine, en aval ¨ côté vers lequel la rivière descend;
étaient II pierres de cristal.
C'est là le miroir périlleux¨ dangereux;
où Narcisse, cet orgueilleux¨ arrogant, hautain;
mira sa face¨ et ses yeux verts. visage;
Il en tomba mort à l'envers.
Ici aucun conseil n'est bon:
le fils de Vénus, Cupidon
sema¨ d'Amour ici la graine jeta;
qui couvre toute la fontaine.
Pour la graine qui fut semée
la fontaine fut appelée:
Fontaine d'Amour, a bon droit.
Plusieurs en ont, en maints¨ endroits, beaucoup d';
en romans et livres, parle,
mais jamais mieux vous n'entendrez
la vérité de la matière
quand j'aurai montré son mystère.
C'est que ce miroir m'a déçu¨ désillusioné;
et si, avant, j'avais connu¨ su;
quelle en était la qualité,
je ne m'y serais pas miré.
Au miroir, entre mille choses,
je vis des rosiers pleins de roses
qui étaient en un lieu secret,
et tout entourés d'une haie.
Vers les rosiers tantôt¨ j'allais. vite;
Et sachez, quand je fus tout près,
l'odeur des roses tant prisées
jusqu'aux entrailles¨ m'est entrée. bas du corps;
Parmi les autres j'ai choisi
une très belle, auprès¨ de qui à côté;
aucune autre ne valait rien.
C'est elle que j'avisai¨ bien, apreçus;
car une couleur l'enlumine¨ la colore;
qui est si vermeille et si fine
que Nature ne put mieux faire.
Et des feuilles bien quatre paires
par Nature, a grande maîtrise,
à tour de rôle¨ y furent mises. tour à tour;
Quand son odeur je l'ai sentie,
de partir je n'eus plus envie¨ désir;
mais je m'approchai¨ pour la prendre. vins plus près;
Mes mains allaient déjà se tendre¨ , avancer;
mais des chardons¨ aigus¨ piquants plante avec des piquants; pointus;
m'en ont fait bien rester distant.¨ éloigné;
Le dieu d'Amour, qui, l'arc tendu,
avait depuis longtemps voulu
me poursuivre pour m'épier,
s’arrêta sous un figuier¨ arbre fruitier;
et quand il avait aperçu
qu'ainsi j'avais alors élu¨ choisi;
ce bouton¨ qui plus me plaisait ici: fleur;
qu'aucun autre ne l'avait fait,
il prit sa flèche dans sa poche.
Quand la corde fut à l'encoche, ¨ à l'entaille de la flèche;
il a tendu jusqu’à l’oreille
l'arc, qui était fort a merveille¨ merveilleusement;
tirant sur moi, par tel génie?
que par l’œil au cœur il m'a mis
sa flèche par grande vigueur¨ force;
Alors m'a pris une froideur
qui fit, sous ma chaude pelisse, ¨ manteau de fourrure;
que maintes¨ frissons¨ je sentisse. beaucoup de; tremblements;
Alors, vite, Amour est venu
A moi, tantôt, a pas menus?
et en venant il me cria:
"Vassal¨ tu es pris¨ tu n'as pas homme dépendant; en mon pouvoir;
À t'enfuir, ni à te défendre.
Ne résiste pas¨ à te rendre.¨ ne fais pas d'opposition; livrer;
Plus volontiers tu te rendras,
plus tôt à merci tu viendras.¨ on aura pitié de toi;
Et moi, je veux bien t'enseigner¨ apprendre;
que tu ne peux rien y gagner
par félonie¨ ni par orgueil¨ infidélité; arrogance;
Mais rends-toi, puisque je le veux
en paix et débonnairement.¨ sans vouloir du mal;
Moi, je répondis maintenant:
"Oui, par Dieu, je veux bien me rendre,
Contre vous ne pas me défendre."
Amour répond:"Ne t'émeus¨ pas. te trouble;
Puisque¨ tu veux suivre mes pas, parce que;
je reçois ton service à gré¨ avec plaisir;
je te mets au premier degré¨ plan, place;
Si, en loyauté, tu te tiens,
je te donnerai tel moyen
qui de ta plaie¨ te guérira. blessure;
Mais, par ma tête, il paraîtra¨ je constaterai bien;
si de bon cœur tu serviras,
et comment tu accompliras¨ réaliseras;
nuit et jour les commandements
que je commande aux fins amants."
"Sire, fis-je, par Dieu, merci.
Avant que vous partiez d'ici,
Donnez-moi vos commandements;
je suis prêt à les faire à temps, "
Amour répond:"Tu parles bien;
Or, écoute-moi et retiens:
Sois toujours courtois¨ et aimable, galant;
doux en paroles, raisonnable.
Garde-toi¨ bien que tu n'emploies fais attention;
des mots sales ni grivois¨ obscène;
Sers toute femme, honore-les,
à les servir sois toujours prêt
Le premier bien qui réconforte¨ redonner du courage;
ceux que le lacs¨ d'Amour emporte¨ piège, trappe; prend;
est Doux penser, qui leur rappelle
ce qu’Espérance porte en elle.
Et l'autre bien est Doux parler,
qui donna a maints¨ bacheliers¨ beavoup de; jeune homme;
et à maintes dames secours.¨ aide;
car chacun qui de son amour
entend parler, s'en réjouit¨ en a du plaisir;
Il me souvient¨ que, pour ceci, je me rappelle;
une pucelle¨ qui aimait jeune fille;
a dit un jour un mot courtois¨ : galant;
"Je suis, dit-elle, bien ravie"
quand on parle de mon ami."
Le troisième bien à chercher
est Doux Regard, qui sait aider
ceux qui on un amour lointain.
Je t'engage¨ que tu te tiens conseille;
bien près de Doux Regard, sans honte,
pour que son aide te soit prompte,
car il est pour es amoureux
très délectable¨ et savoureux.¨ agréable; délicieux;
Sitôt¨ maintenant qu'Amour m'eut immédiatement quand;
dit son fait, je ne le vis plus,
car il s'était vite éclipsé.¨ s'en était allé;
Alors, j’étais bien étonné.
Or, lss rosiers de la haie furent
fermés autour, comme ils le durent,
Mais j'aurais bien voulu passer
par la cloison¨ pour m'emparer¨ séparation; prendre;
du bouton¨ à l'odeur légère, fleur;
si je ne pensais pas mal faire,
car il aurait bien pu sembler
que Je voulusse les voler.
Comme, ainsi, je réfléchissais
si par la haie je passerais,
Je vis venir vers moi, tout droit,
un jeune homme, beau, doux et droit,
en qui de mal il n'y eut rien;
Bel Accueil¨ , il s'appelait bien qui reçoit bien les invités;
Le fils de Courtoisie la large¨ généreuse;
Celui-ci m'ouvrit le passage
de la haie et très doucement;
Et il me dit aimablement1:
"Bel ami cher, ah!, s'il vous plaît,
passez la haie donc sans arrêt
pour l'odeur des roses sentir.
Je peux très bien vous garantir:
Vous n'aurez mal ni vilenie¨ chose ignoble;
Et si vous vous gardez¨ de folies¨ abstenez; sottises;
Très bien Bel Accueil me servit:
le bouton, de près je le vis.
Mais un vilain¨ , qu'il soit damné¨ infâme; envoyé aux diables;
tout près de là était caché;
C'était; Danger, il était bien
de tous les rosiers le gardien.
Le traître¨ fut en lieu¨ caché, infidèle; place, endroit;
tout couvert d'herbe et de feuillée
pour épier¨ et pour surprendre regarder en secret;
ceux qui voulaient les roses prendre.
Il ne fut pas seul, le félon, ¨ ignoble;
mais il avait pour compagnons
Male Bouche, la médisante¨ qui dit du mal;
Honte et Peur, ses amies mechantes.
Alors Bel Accueil s'est enfui,
et je restai, tout ébahi.¨ perplexe;
Ainsi, très longtemps j'ai été,
tant que me vit, ainsi mâté, ¨ dompté;
la dame de la haute garde,
qui de sa tour partout regarde.
C'est Raison qu'elle s'appelait.
De sa tour elle descendait,
tout droit à moi elle est venue.
Ni jeune, elle n'est ni chenue, ¨ blanche de vieillesse;
ni par trop haute, ni trop basse,
ni trop grêle¨ ni par trop grasse. maigre;
C'est ainsi que Raison commence:
"Bel ami, Folie¨ et enfance sotise;
t'ont mis en peine¨ et en regret.¨ difficultés; chagrin;
A tort¨ tu vis le mois de mai pour ton malheur;
par lequel ton cœur s'égayait.¨ devenait gai;
C'est a tort que tu es allé
an verger, dont Oideuse porte
la clef, dont elle ouvrit la porte.
Fou est celui qui à Oiseuse
se lie:elle est trop périlleuse.¨ dangereuse;
elle t'a trahi¨ et deçu¨ été infidèle; désillusioné;
Amour ne t'aurait jamais vu,
si Oiseuse ne l'eut conduit
an verger qui est à Déduit.
Tu dois bien te mettre en défense
contre tout ce que ton cœur pense.
Celui qui croit toujours son cœur,
ne peut prévenir le malheur."
Je restai seul, rageur¨ chagrin¨ : furieux; triste;
souvent je pleure et je me plains.
Moi, je ne savais plus que croire,
tant qu'il me vint à la mémoire
qu'Amour m'avait dit de chercher
un compagnon à qui conter¨ je pouvais raconter;
mes aventures, pleinement;¨ entièrement;
cela m'ôterait(chasserait mes tourments¨ peines};
Alors je trouvai que j'avais
un compagnon que je savais
tout loyal;Ami, il se nomme,
le meilleur compagnon des hommes.
J'allai à lui à grande allure, ¨ très vite;
lui dis la mauvaise aventure
dont je me sentais entouré,
comme Amour m'avait conseillé.
Quand Ami sut la vérité
il ne m'a pas épouvanté, ¨ fait peur;
mais il m'a dit: Ami, soyez
tranquille¨ , sans vous effrayer.¨ calme; avoir peur;
Il m'a un peu réconforté¨ , redonné du courage;
et il me sut persuader¨ faire décider;
d'aller hardiment¨ essayer avec courage;
d'apaiser¨ quelque peu Danger. calmer;
A Danger j'arrivai honteux, ¨ confus, penaud;
de faire la paix désireux.
Mais je ne passai pas la haie,
parce qu'il me le défendait.
Et quand j’étais en cette peine,
alors voilà que Dieu m’amène
Franchise¨ avec elle Pitié, Loyauté;
qui n'ont pas très longtemps tardé.¨ attendu;
À Danger elles sont venues,
car l'une et l'autre ont bien voulu,
si elles pouvaient, m'assister:
elles voient que c'est ordonné.¨ nécessaire;
Alors, la première à parlé,
Franchise, qu'elle soit louée¨ honorée, glorifiée;
Elle dit:"Ah!si Dieu m'entend,
vous faites tort¨ à cet amant, un action critiquable;
qui par vous est trop maltraité.
Sachez:vous vous avilissez¨ déshonorez;
car je n'ai pas encore appris¨ entendu dire;
qu'en rien il se soit mal conduit.
Par force¨ Amour le fait aimer, en le forçant;
devez-vous, pour ce¨ l'en blâmer¨ ?" cela; critiquer;
Pitié dit:"C'est la vérité
que douleur vainc¨ humilité¨ triomphe de; soumission;
et quand dure trop la douleur,
c'est félonie¨ et déshonneur. méchanceté;
C'est pour ce, Danger, que j’espère
que vous ne ferez plus la guerre
au chétif¨ qu'on voit languir¨ , misérable; soufrir;
qui jamais d' amour de frauda.
Souffrez¨ que Bel Accueil lui fasse tolérez;
maintenant déjà quelque grâce."
Danger de put plus fulminer,
Il lui faut bien se modérer¨ calmer;
"Dames, dit-il, vraiment, je n'ose
plus vous refuser cette chose:
ce serait grande vilenie.¨ méchanceté;
Je veux qu'il ait la compagnie
de Bel Accueil, si ça vous plaît;
Je n'y mettrai aucun arrêt."
Bel Accueil au commencement,
me salua très doucement.
Alors il n'a pris par la main
pour me mener dans le jardin.
Et la longtemps je suis resté;
car en Bel Accueil j'ai trouvé
la sympathie et l'amitié.
Voyant qu'il ne m'a refusé
ni son aide, ni son service,
une chose je l'ai requise¨ demandé;
digne de la lui rappeler:
"Sire, dis-Je, vraiment, sachez
que mol, je suis très désireux
d'avoir un baiser précieux
de la rose à l'odeur légère;
et s'il ne va pas vous déplaire,
je vous le demande en présent¨ cadeau;
Dites-moi, par Dieu tout-puisant,
S'il vous plaît bien, que je la baise
a moins que sa ne vous déplaise."
"Ami, fait-il, par Dieu, c'est vrai,
si Chasteté¨ ne m'en voulait¨ Décence, Pureté; n'était pas fâché contre moi;
Je te l'aurais bien accordé¨ permis;
Je n'ose pas pour¨ Chasteté." à cause de;
Quand j'entends ainsi sa réponse,
à en parler plus je renonce."
Mais Vénus, guerroyant¨ toujours qui fait la guerre;
Chasteté, me vint au secours¨ à l'aide;
En elle il n'y a point¨ d'orgueil. pas;
Vénus se rend¨ à Bel Accueil, va;
et a commencé à lui dire:
Pourquoi vous rendez-vous¨ beau sire, êtes-vous;
À cet amant si opposé
à ce qu'il ait un doux baiser?
Pourquoi vous le lui défendez?
Vous savez bien et vous voyez
qu'il sert et aime en loyauté;
mais il a assez de beauté ’
pour qu'il soit digne¨ d’être aimé. ait le droit;
Voyez comme il est distingué."
Bel Accueil, qui sentit l'ardeur¨ chaleur;
du brandon¨ sans plus de lenteur, feu de la passion;
me permit un baiser en don;
tant¨ fit Vénus et ses brandons. voilà que;
Puis, après, je n'ai plus tardé¨ attendu;
je pris à la rose un baiser
doux et exquis, et sans répit¨ immédiatement;
j'étais heureux, sans contredit,
car une odeur m'entra au corps
qui jeta la douleur dehors
et adoucit les maux d'amour
si amers¨ pendant tant de jours. qui étaient si pénibles;
Ici il est bon que le conte
comment je fus livré a Honte;
par qui je fus bien tourmenté¨ martyrisé;
et comment le mur fut dressé¨ élevé;
et le château, si riche et fort
que prit Amour par ses efforts.
Male Bouche, qui bien devine¨ sait par intuition;
ce que beaucoup d'amants ruminent¨ veulent faire;
qui fait tout le mal qu'elle sait,
s'aperçut du présent parfait
que Bel Accueil daignait¨ me faire. voulait;
Alors, elle ne put se taire¨ ne pas parler;
Là, Male Bouche commença
a m'accuser de ci de ça.
Alors, Danger s'est redressé,
prenant un air¨ tout courroucé¨ allure; furieux;
Il prend un bâton à la main
et cherche dans tout le jardin
s'il ne trouve sentier¨ ni trace petit chemin;
ni trou¨ a boucher¨ là, sur place. ouverture; fermer;
Il est bien temps que je recite¨ raconte;
de Jalousie l'âpre¨ conduite¨ pénible; manière de faire;
car elle eut de mauvaise soupçons¨ mauvaise opinions sur qqn;
Au pays ne reste maçon¨ ouvrier qui bâtit des maisons;
ni ouvrier qu' elle n'emploie¨ prend à son service;
faisant faire d'abord tout droits,
auteur des rosiers des fossés,
qui d'argent, coûtèrent assez
et qui sont larges et profonds.
Sur les fossés les maçons font
un mur de pierres bien taillées¨ coupées;
qui n'est pas sur sable basé
mais fondé sur roche très dure
Le fondement tout sur mesure,
Jusqu'au fond des fossés descend,
à très grande hauteur montant.
Et au milieu de ce jardin
ils ont fait une tour très bien
La tour fut faite toute ronde;
il n'y eut de plus riche au monde.
Jalousie a mis une garde
au grand château dont je vous parle.
Et je pense que Danger porte
la clef de la première porte,
celle qui ouvre sur l'orient¨ l'est;
Et elle a bien XXX sergents
qui travaillent tous à son compte¨ pour elle;
Et l'autre porte garde Honte:
et elle¨ ouvre sur le midi. la porte;
Elle¨ est rusée¨ et je vous dis, Honte; adroite, habile;
qu'elle a des gens en quantité
prêts à faire sa volonté¨ ce qu'elle veut;
Peur a de nombreux chevaliers;
elle fut choisi pour garder
l'autre porte, celle qu'on trouve
à gauche, et qui sur le nord s'ouvre.
Male Bouche, -que Dieu châtie"!
a des soldats de Normandie;
elle surveille le huis¨ droit; la porte;
et sachez bien qu'aux autres trois
elle va souvent qu'elle sait
Que la nuit elle fait le guet¨ la garde;
Jalousie, -que Dieu la confonde¨ ! trouble;
a bien équipé¨ la tour ronde; peuple de soldats;
et sachez bien qu'elle y a mis
des plus privés¨ de ses amis, intimes, fidèles;
c'est une grande garnison.
Et Bel Accueil est en prison,
là dans cette tour, enfermé;
la porte en est trop bien barrée.¨ fermée;
Aussitôt¨ donc que Jalousie immédiatement;
se fut de Bel Accueil saisie¨ avait arrêté B.A.;
et qu'elle l'eut fait emmurer, ¨ enfermer;
Son château, qu'elle vit si fort,
lui a donné du réconfort¨ courage;
Les rosiers sont bien enfermés.
Et en dormant et réveillée
elle peut en être très sûre.
Mais moi, qui suis hors de ces murs
je suis livre à deuil¨ , à peine tristesse;
Qui saurait quelle vie je mène
devrait avoir pitié de moi;
Amour me fait, de tout son poids¨ le plus possible;
payer les biens qu'il m'a prêtés;
que j'aurais voulu acheter.
Je crains avoir perdu aussi
mon espérance¨ et mon crédit¨ confiance dans l'avenir; respect des autres;
Hé! Bel Accueil, beau, doux ami,
si en prison vous êtes mis,
gardez-moi votre cœur sincère;¨ fidèle, loyal;
ne souffrez¨ d'aucune manière tolérez;
que Jalousie, cette sauvage¨ cruelle, brute;
vous mette tout en esclavage¨ dépendance totale;
mais je suis beaucoup angoissé¨ plein de peur;
que vous m'ayez presque oublié.
J'en ai grand deuil¨ et désespoir; tristesse;
jamais je n'aurai plus d'espoir,
si je perds votre bienveillance;¨ bonne volonté;
je n'ai pas d'autre confiance.

5. François Villon

5.1. Ballade des Dames du Temps Jadis

passé;
Dites-moi où, en quel pays
Est Flora¨ , la belle Romaine, déesse romaine des fleurs;
Archipiades¨ , et Thaïs¨ , probablement Alcibiade; Réputée à Athènes pour sa beauté;
Qui fut sa cousine germaine,
Écho¨ parlant quand bruit on mène¨ nymphe; fait du bruit;
Sur la rivière ou sur l’étang,
Qui eut la beauté plus qu'humaine
Mais où sent les neiges d'antan¨ ? du passé;

 
Où est la sage Héloïs¨ Héloise avait une correspondance d'amour platonique avec Abélard;
Pour qui fut châtré et puis moine¨ religieux;
Pierre Abélard¨ à Saint Denis? théologien chrétien;
Pour son amour ce fut la peine¨ punition;
Semblablement, ¨ où est la reine également;
Qui commanda que Buridan¨ philosophe; instigateur du scepticisme religieux;
Fit jeté en un sac en Seine?
Mais où sont les neiges d'antan?

 
La reine Blanche comme lis¨ fleur blanche;
Qui chantait à voix de sirène,
Berthe au grand pied,¨ Biétris¨ , Alis¨ , mère de Charlemagne; aimée de Dante; Aliénor d'Aquitaine;
Harenburgis¨ qui tint le Maine, ¨ Arembour, comtesse du Maine, morte en 1226; fut maîtresse du Maine;
Et Jeanne¨ la bonne Lorraine Jeanne d'Arc;
Qu'anglais brûlèrent à Rouen,
Où sont-elles, Vierge souveraine?¨ la vierge Marie;
Mais où sont les neiges d'antan?

 
Prince, ne cherchez cette semaine
Ou elles sont, ni de cet an,
Pour qu'à ce refrain vous vous tienne
Mais ou sent les neiges d'antan?

 

5.2. Le Testament

LXXV
Il me souvient¨ bien, Dieu merci, je me rappelle;
Que je fis alors en partant¨ en quittant Paris;
Certains lais¨ l'an cinquante-six¨ poésies; en 1456;
Qu'aucuns¨ sans mon consentement, ¨ certain gens; permission;
Voulurent nommer Testament;
Ce fut leur plaisir, non le mien.
Mais quoi? on dit communément¨ souvent;
Qu'aucun n'est maître de son bien.

 
LXXXV
D'abord, je donne ma pauvre âme
À la très Sainte Trinité¨ Dieu en trois personnes;
La recommande a Notre Dame,
Séjour de¨ la divinité¨ qui a porté; Dieu;
Priant touts la charité¨ amour;
Des dignes¨ neuf Ordres¨ des cieux respectueux; hiérarcie des anges;
Que par eux ce don soit porté
Devant le Trône précieux.¨ de Dieu;

 
Ici se clôt¨ le testament finit;
Et finit du pauvre Villon.
Venez a son enterrement,
En entendant le carillon,
Vêtus¨ de rouge vermillon, habillés;
Il mourut en amour martyr.

 
Prince, fier comme émerillon, ¨ oiseau de proie;
Sachez ce qu'il fit au partir:
Il but bien du vin morillon¨ rouge sombre;
Quand de ce monde il dut partir.

 

5.3. Ballade des Pendus

La Renaissance

Frères humains qui après nous¨ vivez, après notre mort;
N'ayez les cœurs contre nous endurcis¨ sans pitié;
Car, si pitié de nous pauvres avez
Dieu en aura plus tôt de vous merci¨ miséricorde;
Vous nous voyez attaches a cinq, six:
Quant à la chair¨ que trop avons nourrie, ¨ le corps; mangé;
Elle est déjà dévorée¨ et pourrie mangée;
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
Que personne de notre mal se rie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre¨ pardonner nos péchés;

 
Si nous vous nommons frères, n'en ayez
pas dédain¨ quoique¨ nous fussions occis¨ ne le rejetez pas; malgré le fait que; tués;
Par Justice. Toutefois¨ vous savez mais;
Que tout homme n'a pas bon sens¨ rassis¨ ? intéligence; sérieux;
Excusez-nous, -car nous sommes transis-,
Envers¨ le fils de la Vierge Marie, auprès de;
Que sa grâce ne soit pour nous tarie¨ mis à sec, fini;
Nous préservant¨ de l'infernale foudre.¨ conservant; feu de l'enfer;
Nous sommes morts, qu'aucun ne nous charrie¨ que personne se ne moque de nous;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre.

 
La pluie nous a lessivés¨ et lavés, nettoyés;
Et le soleil desséchés et noircis;
Pies, corbeaux, nous ont les yeux excavés¨ creusés;
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais, nul temps, nous ne sommes rassis;¨ calme;
Puis ça, puis là, comme le vent varie,
À son plaisir sans cesse il nous charrie, ¨ fait balancer;
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez pas de notre confrérie¨ compagnie;
Mais priez Dieu que tons nous veuille absoudre.

 
Prince Jésus, à qui tous est soumis,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie¨ fias que l'enfer ne nous domine pas;
À lui n'ayons que faire ni que soudre.
Hommes, il n'y a pas de moquerie
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre.

6. Francois Rabelais

6.1. Pantagruel

Ce sera chose inutile ni oiseuse,¨ vu que¨ nous sommes de loisir de vous rappeler la première source et origine dont nous est né le bon Pantagruel. Il vous convient¨ donc de noter qu'au commencement du monde, peu apres qu'Abel fut occis¨ par son frère Caïn, la terre imbue¨ du sang du juste fut certaine année si fertile¨ en tous fruits et singulièrement¨ en mêles. Les hommes et femmes de ce temps mangeaient avec grand plaisir de ce beau et gros fruit, mais des accidents divers leur en advinrent, ¨ car à tous il survint au corps une enflure¨ très horrible, mais non a tous en même lieu. Car d'aucuns¨ enflaient par le ventre; les autres enflaient par les épaules; d'autres croissaient¨ par les jambes; d'autres croissaient par les oreilles. Les autres croissaient le long du corps. Et de ceux-ci sont venue les géants, et par eux Pantagruel; inutile; parce-que; vous devez; tué; pénétrée; productif; spécialement; arrivèrent; agrandissement; certains; grandissaient;
Et le premier fut Chalbroth,
Qui engendra¨ Sarabroth, eut pour enfant;
Qui engendra Faribroth,
Qui engendra Hurtaly, qui fut beau mangeur de soupes et régna au temps du déluge¨ inondations du temps de Noé;
Qui engendra Nemrod,
Qui engendra Atlas, qui, avec ses épaules, garda le ciel de tomber,
Qui engendra . . .
. . . . . . . . . . . . Grandgousier,
Qui engendra Gargantua,
Qui engendra le noble Pantagruel, mon maître.
Gargantua, en son âge de quatre cent quatre vingt quarante et quatre ans, engendra son fils Pantagruel de sa femme Badebec, fille du roi des Amaurotes en Utopie, laquelle mourut de mal d'enfant.
Quand Pantagruel fut né, qui fut bien ébahi¨ et perplexe? Ce fut Gargantua, son père: car, voyant d'un côté sa femme Badebec morte, et de l'autre son fils Pantagruel né, si beau et si grand, il ne savait que dire ni que faire et le doute qui troublait son entendement¨ était de savoir s'il devait pleurer pour le deuil¨ de sa femme ou rire pour la joie de son fils. très étonné; raison; de tristesse d' avoir perdu;
Ainsi croissait¨ Pantagruel de jour en jour, et il profitait à vue d’œil, ce dont son père se réjouissait par affection¨ naturelle. Puis il l'envoya a l’école pour apprendre et passer son jeune âge. grandissait; amour;
Il vint à Paris avec ses gens; et, à son entrée, tout le monde sortit dehors pour le voir, comme vous savez bien que le peuple de Paris est sot Par nature.
Pantagruel étudiait fort¨ bien, comme vous l'entendez¨ assez et profitait de même. ¨ Et comme il était ainsi, demeurant là il reçut un jour une lettre do son père en la manière qui suit: très; comprenez; aussi;

 
Très cher fils,
Entre les dons, grâces et prérogatives¨ desquelles¨ le souverain créateur Dieu tout-puissant a doté et orné¨ l'humaine nature a son commencement, celle-là me semble singulière¨ et excellente par laquelle elle peut, en¨ état mortel, acquerir¨ une espèce¨ d’immortalité, et, en cours¨ de vie transitoire¨ perpetuer¨ son nom et sa semence. ¨ privilèges; dont; décore; spéciale; pendant; avoir; sorte; pendant; mortelle; faire durer; enfants;
C'est pourquoi, ainsi qu'¨ en toi demeure¨ l'image de mon corps, si pareillement¨ ne reluisaient¨ les mœurs¨ de l'âme, l'on ne te jugerait être garde et trésor de notre nom. comme; reste; de la même; brillaient; façon;
C'est pourquoi, mon fils, je t'admoneste¨ que tu emploies ta jeunesse à bien profiter en études et en vertus. ¨ Je veux que tu apprennes les langues parfaitement, premièrement la grecque, comme le veut Quintillien, secondement, la latine et puis l’hébraïque pour les Saintes Écritures. recommande; bonnes qualités;
Des arts libéraux, géométrie, arithmétique, et musique, je t'en donnai quelque goût¨ quand tu étais encore petit, à l'âge de cinq, six ans; poursuis¨ le reste, et d'astronomie, saches-en toutes les règles. appréciation; continue;
En somme¨ que je te voie un abîme de science¨ car avant en résumé; grand savant;
que tu deviennes homme et te fasses¨ grand, il te faudra sortir de cette tranquillité et de ce repos de l'etude et apprendre la chevalerie et les armes pour défendre ma maison. deviennes;
Mais parce que, selon le sage Salomon, sagesse n'entre point en âme malveillante¨ et que science¨ sans conscience n'est que ruine de l'âme, il te convient¨ de servir, aimer et craindre Dieu. de mauvaise volonté; compréhension; tu dois;
Mon fils, la paix et la grâce de Notre-Seigneur soient avec toi. Amen.
D'Utopie, ce dix-septième jour du mois de mars.
Ton père,
GARGARTUA

 
Cette lettre reçue et vue, Pantagruel prit un nouveau courage.
Un jour, Pantagruel, se promenant hors de la ville, rencontra un homme beau de stature et élégant, mais pitoyablement blessé, en divers lieux. Il lui demanda:
"Mon ami, je vous prie¨ qu'un peu veuillez arrêter ici et me répondre à ce que je vous demanderai, et vous ne vous en repentirez¨ point, car j'ai un désir très grand de vous donner aide en mon pouvoir dens la calamité¨ où je vous vois, car vous me faitez grand'pitié. Partant¨ mon ami, dites-moi: Qui êtes-vous? D'où venez-vous? Et quel est votre nom?" demande; le regrettez; misère; donc;
Le compagnon lui répondit en langue germanique:
"Junker, gott geb euch Gluck and Hail. . . . . .
A quoi répondit Pantagruel:
"Mon ami, je n'entends point ce baragouin¨ pourtant, si vous voulez qu'on vous entende, parlez un autre langage. langue incompréhensible;
Alors le compagnon repondit:
"Signor mio, voi videte . . . . . "
"Encore moins, "répondit Pantagruel.
Alors dit Panurge:
"Heer, ic en spreke anders gheen taele dan kersten ¨ taele; my dunkt nochtans, al en seg ik u niet een woordt, mynen noot verklaert genoegh wat ic begeere; geeft my uyt bermhertigheyt yets waar van ic gevoet magh zyn. " Christen;
"Vraiment, mon ami, dit Pantagruel, ne savez-vous parler français.
"Si fait, très bien, seigneur, répondit le compagnon. Dieu merci, c'est ma langue naturelle et maternelle, car je suis né et j'ai été nourri jeune an Jardin de la France: c'est la Touraine. "
"Donc, dit Pantagruel, racontez-nous quel est votre nom et d'où vous venez. "
"Seigneur, dit le compagnon, mon vrai et propre nom de du premier baptisme¨ est Panurge, et à présent¨ je viens de Turquie où je fus mené prisonnier lorsqu'on alla a Mételin en la male heure; et volontiers je vous raconterais mes fortunes¨ qui sont plus merveilleuses que celles d'Ulysse, mais puisqu'¨ il vous plaît de me retenir¨ avec vous, nous aurons, en un autre temps plus commode, assez loisir¨ d'en raconter, car pour cette heure, j'ai nécessité plus urgente de me repaître. ¨ " premièr sacrement; maintenant; aventures; parce qu'; garder; de tenps; manger;
Lors commanda Pantagruel qu'on le menât en son logis et qu'on lui apportât force¨ vivres. ¨ beaucoup de; nourriture;
Peu de temps après, Pantagruel apprit la nouvelle que son père Gargantua avait été transféré¨ au pays des Fées par Morgue; comme le furent jadis¨ Ogier et Artus; et aussi qu'à la nouvelle de son transfert les Dipsodes étaient sortie de leurs limites¨ et avaient dévasté un grand pays d'Utopie, et qu'ils tenaient pour lors assiégé ¨ la grande ville des Amaurotes. transporté; au passé; frontières; encerclé;
Alors il partit de Paris sans dire adieu à personne car l'affaire requérait¨ de la diligence¨ et il vint à Rouen, avec ses compagnons. demandait; rapidité;
Partant de Rouen, ils arrivèrent à Honfleur, ou se mirent sur mer Pantagruel, Panurge, Epistémon, Eusthène et Carpalim; finalement ils arrivèrent au port d'Utopie, distant de la ville des Amaurotes de trois lieues¨ et quelque peu davantage. ¨ 3x4 kilom. ; plus;
Quand ils furent à terre, quelque peu rafraîchis, Pantagruel dit:
"Enfants la ville n'est pas loin d'ici; avant de marcher plus loin, il serait bien de délibérer¨ de ce qu'il y a à faire. Êtes-vous déicides à vivre et à mourir avec moi?" discuter;
"Oui, seigneur, dirent-ils tous; tenez-vous pour assuré¨ de nous comme vos propres doigts. " soyez sûr;
"Eh bien, " dit il, "il n'y a qu'un point que mon esprit tienne pour suspendu ¨ et douteux; c'est que je ne sais en quel ordre ni en quel nombre sont les ennemis qui tiennent la ville assiégée. ¨ " peu sûr; encerclée;
Comme ils disaient cela, ils avisèrent¨ six cent soixante chevaliers. aperçurent;
Alors Pantagruel dit :
"Enfants, retirez-vous sur le navire. Voici de nos ennemis qui accourent, mais je vous les tuerai ici comme des bêtes. "
Alors Panurge répondit:
"Non, Seigneur, il n'y a pas de raison que vous agissiez¨ ainsi; mais, au contraire, retirez-vous sur le navire, vous et les autres, car moi tout seul, je les déconfirai¨ " fassiez; battrai;
Alors Panurge tira deux grandes cordes de la nef. ¨ Et incontinent¨ il entra dans le navire, prit un fagot de paille et un baril¨ de poudre, la répandit¨ par le cercle des cordes. navire; immédiatement; tonneau; met;
Soudain les chevaliers arrivèrent avec une grande force-les premiers chargèrent¨ jusqu’auprès du navire, et, parce que le rivage glissait, ils tombèrent, eux et leurs chevaux, jusqu'au nombre de quarante-quatre. Ce que voyant les autres approchèrent¨ pensant qu'on leur avait resisté¨ à l’arrivee. Mais Panurge, voyant que tous étaient dans le cercle des cordes, cria a Epistemon: attaquèren; vinrent plus près; fait opposition;
"Tire, tire!"
Alors Epistemon commence à tirer, et les deux cordes s’empêtrèrent¨ entre le chevaux et les renversaient¨ par terre bien aisément¨ avec leurs cavaliers; mais, eux, voyant cela, tirèrent l'épée et voulaient les défaire; alors Panurge mit le feu au poudre et les fit brûler tous là comme des âmes damnées¨ ; hommes et chevaux, nul n'en échappa, excepté un qui était monté sur un cheval turc; mais quand Carpalim l’aperçut, il courut après avec une telle hâte¨ "et légèreté¨ qu’il le rattrapa¨ moins de cent pas, et sautant sur la croupe¨ de son cheval, l'embrassa par derrière et l'amena au navire. se mirent; faisaient tomber; facilement; en enfer; vitesse; sou plesse; prit; derrière;
Pantagruel demanda à leur poissonnier:
"Mon ami, dis-nous ici la vérité et ne nous mens en rien si tu ne veux être écorché¨ tout vif, car c'est moi qui mange les petits enfants. Raconte-nous entièrement l'ordre, le nombre et la force de l’armée. " défait de ta peau;
À quoi répondit le prisonnier:
"Seigneur, sachez pour la vérité, qu'il y a en l'armée trois cents géants, tous armés de pierre de taille. ¨ " pour couper;
"Bien, mais, dit Panurge, le roi y est-il?"
"Oui, Sire, dit le prisonnier, il y est en personne et nous le nommons Anarche; roi des Dipsodes, ce qui équivaut¨ à dire "gens altérés¨ " car vous ne vites jamais gens tant altérés ni buvant plus volontiers; et il a sa tente sous la garde des géants. est la même chose que de; qui ont soif;
"C'est assez, dit Pantagruel, va-t'en à ton roi en son camp, et dis-lui des nouvelles de ce que tu as vu, et qu'il se décide a me festoyer¨ demain sur le midi, car aussitôt que mes galères seront venues, ce qui sera demain au plus tard, je lui prouverai¨ par dix-huit cent mille combattants¨ et sept mille géants, tous plus grands que tu me vois, qu'il a fait follement, et contra toute raison, d’assaillir¨ ainsi mon pays. " faire la fête; montrerai; soldats; attaquer;
En quoi Pantagruel feignait¨ d'avoir une armée sur mer. simulait;
Le prisonnier parti, Pantagruel dit à ses gens:
"Enfants, j'ai donné à entendre à ce prisonnier que nous avions une armée sur mer, et aussi que nous leur donnerions l'assaut demain sur le midi, à cette fin¨ que, redoutant¨ la grande venue de nos gens, ils s'occupent¨ cette nuit a se mettre en ordre et a se renforcer; mais cependant mon intention est que nous chargerions¨ sur eux environ à l'heure du premier sommeil. " intention; ayant peur de; travaillent; les attaquerons;
Laissons ici Pantagruel avec ses bons apôtres et parlons du roi Anarche et de son armée.
Quand donc le prisonnier fut arrivé, il se transporta¨ vers le roi et lui conta comment était venu un grand géant, nommé Pantagruel, qui avait déconfit¨ et fait rôtir¨ brûler cruellement tous les six cent cinquante-neuf chevaliers, et lui seul était sauvé pour en porter les nouvelles; de plus il avait la charge ¨ dudit géant de lui dire qu'il lui apprêtait¨ le lendemain vers midi à dîner, car il délibérait de l'envahir¨ alla; battu; ; mission; avait l'intention; attaquer}à la dite heure.;
Maintenant, retournons au bon Pantagruel, et racontons comment il se comporta¨ en cette affaire. ce qu'il fit;
Pantagruel dit à Carpalim:
"Allez à la ville, en montant comme un rat le long de la muraille, comme vous savez si bien faire, et mettez bien le feu en leurs poudres¨ " explosives;
À quoi obtempérant,¨ Carpalim partit soudain et fit comme cela avait été décrété par Pantagruel. obéissant;
Les ennemis, après s’être réveillés, voyant le feu en leur camp, ne savaient dire ni que penser. Les Géants emportèrent leur roi Anarche à leur cou, le mieux qu' ils purent, hors du tumulte. Quand Panurge les aperçut, il dit à Pantagruel:
"Seigneur, voilà les Géants qui sont sortis. Frappez dessus avec votre mat. "
Là-dessus, Pantagruel dit:
"Mais quoi? Hercule n'osa jamais entreprendre¨ contre deux. " se battre;
"C'est bien saletés en mon nez, dit Panurge. Vous comparer à Hercule? Vous avez, pardieu, plus de force aux dents et plus de sens¨ au cul¨ que n'eut jamais Hercule en tout son corps et toute son âme. Tant vaut l'homme qu'il estime. ¨ " intelligence; derrière; se croit fort;
Comme¨ ils disaient ces mots, voici qu'arrive Loup-Garou avec tous ses Géants, et, voyant Pantagruel seul, il fut pris de témérité¨ et d'outrecuidance¨ par l'espoir qu'il avait d'occire¨ le pauvre bonhomme, ce qui lui fit dire à ses gigantesques compagnons: quand; courage fou; arrogance; tuer;
"Paillards¨ de plat pays, par Mahomet! si l'un de vous entreprend¨ de combattre contra ceux-ci, je vous ferai mourir cruellement. Je veux que vous ne laisaiez combattre seul; cependant vous aurez tout votre passe-temps à nous regarder. " vulgaires; commence à;
Alors tous les géants se retirèrent avec leur roi près de l'endroit où étaient les bouteilles, et Panurge leur dit d'une voix enrouée¨ : voilée par l’émotion;
"Jarnibleu! compagnons, nous ne faisons point la guerre; donnez-nous à repaître¨ avec vous, pendant que nos maîtres s'entre-battent. " manger;
À quoi volontiers le roi et les géants consentirent¨ et ils les firent banqueter¨ avec eux. se mirent d'accord; manger;
Loup-Garou s'adressa à Pantagruel avec une massue¨ toute d'acier,¨ pesant neuf mille sept cents quintaux¨ deux quarterons d'acier de Chalybes, au bout de laquelle étaient treize pointes de diamant, dont la moindre était aussi grosse que la plus grande cloche de Notre-Dame de Paris. Ainsi donc, comme¨ il approchait¨ en grande fureur, Pantagruel, jetant les yeux au ciel, se recommanda à Dieu de bon cœur. Puis, Pantagruel, voyant que Loup-Garou approchait la gueule¨ ouverte, lui frappa du pied un si grand coup contre le ventre¨ qu'il le jeta en arrière, jambes en l'air. Et Loup-Garou s’écriait en rendant le sang par la gorge: gros bâton; métal; 100kilos; quand; venait plus près; bouche; bas du corps;
"Mahomet! Mahomet! Mahomet!"
A cette voix, tous les géants se levèrent pour le secourir. ¨ Lorsque Pantagruel les vit approcher, il prit Loup-Garou par les deux pieds et leva son corps en l'air comme une pique; et avec son corps armé d'enclumes¨ il frappait parmi les géants armés de pierres de taille, et les abattait¨ par terre. Faites votre compte qu'il n'en échappa pas un seul. Finalement, voyant que tous étaient morts, il jeta le corps de Loup-Garou tant qu'il put contra la ville, et celui-ci tomba comma une grenouille sur son ventre en la grand-place de ladite ville, et, en tombant, du coup il tua un chat brûlé, une chatte mouillée, une canepetière¨ et un oison bridé. ¨ aider; clous; faisait tomber; petit oie; aux yeux tirés;
Après cette victoire merveilleuse, Pantagruel envoya Carpalim en la ville des Amaurotes dire et annoncer comment le roi Anarche était pris et tous les ennemis défaits. ¨ En entendant cette nouvelle, tous les habitants de la ville sortirent au-devant de lui¨ en bon ordre et en grande pompe triomphale. battus; pour le rencontrer;
Quand Pantagruel avec toute sa bande entra dans les terres des Dipsodes, tout le monde en fut joyeux: incontinent¨ ils se rendirent¨ à lui, et, de leur libre volonté, lui apportèrent les clefs de toutes les villes ou il allait. immédiatement; livrèrent;
Or, Messieurs, vous avez entendu un commencement de l'histoire horrifique de mon maître et seigneur Pantagruel. Ici je mettrai fin au premier livre; la tête me fait un peu mal, et je sens que les registres de mon cerveau¨ sont quelque peu brouillés de cette purée de septembre. Vous aurez le reste de l'histoire à ces foires de Francfort venant prochainement. Bonsoir, messieurs. Pardonnez-moi, et ne pensez pas tant à mes fautes que vous ne pensez bien aux vôtres. tête;
FIN DES CHRONIQUES DE PANTAGRUEL

 

6.2. La vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel

Buveurs très illustres, il faut ouvrir le livre et soigneusement¨ peser¨ ce qui y est déduit.¨ Alors Vous connaîtrez que la drogue contenue dedans¨ est d'une bien autre valeur que ne promettait la boîte, c'est a dire que les matières ici traitée ne sont pas aussi folâtres¨ que le titre au-dessus le prétendait¨ Il vous convient ¨ d’être sages pour fleurer, ¨ sentir et estimer¨ ces beaux livres de haute graisse, légers au pourchas¨ et hardis¨ à la rencontre; puis, par curieuse lecture et méditation fréquente, rompre l'os et sucer la substantifique moelle. attentivement; méditer; conclu; qui est dans; frivoles; fait croire; vous devez; goûter; apprécier; lecture; osés;
Je vous remets¨ à la Grande Chronique Pantagruéline pour reconnaître la généalogie et l'antiquité dont nous est venu Gargantua.En celle-ci, vous entendrez plus au long comment les géants naquirent¨ en ce monde, et comment d'eux, par lignes directes, sortit Gargantua, père de Pantagruel. renvoie; sont nés;
Grandgousier était bon gaillard en son temps, aimant boire net autant qu'homme qui, pour lors¨ fut au monde, et il mangeait volontiers salé. En son age viril¨ il épousa Gargamelle, fille du roi des Parpaillots, belle, rouge et de bonne trogne¨ ;elle engrossa d'un beau fils, et le porta jusqu'au onzième mois. Sitôt¨ qu'il fut né, il ne cria pas comme les autres enfants: "Mies!mies!, " mais, a haute voix, il s'écriait:"À boire! À boire!" comme invitant tout le monde à boire. alors; d'homme; visage; immédiatement après;
Le bonhomme Grandgousier entendit le cri horrible que son fils avait fait en entrant en la lumière de ce monde, quand il bramait¨ demandant:"À boire! À boire! À boire! dont il dit:"Que grand tu as!(suppléez)le gosier. Ce qu'entendant, les assistants¨ dirent que vraiment il devait avoir pour cela le nom de Gargantua puisque¨ telle avait été la première parole de son père à sa naissance. criait; ceux qui étaient là; parce que;
Et lui furent ordonnées dix sept mille neuf cent treize vaches de Pontille et de Bréhémont pour l'allaiter.¨ lui donner du lait;
En cet état il passa jusqu'`a un an et dix mois; s'il advenait qu'il fut dépité¨ courroucé¨ fâché ou marri,¨ s'il trépignât,¨ s'il pleurait s'il criait on lui apportait à boire et soudain il demeurait¨ coi¨ et joyeux. déçu; furieux; triste; frappait des pieds; restait; calme;
Gargantua, depuis trois jusqu'à cinq ans, fut nourri et instruit en toute discipline convenable¨ par le commandement de son père, et il passa ce temps comme les petits enfants du pays; c'est à savoir: à boire, manger et dormir;à boire, manger et dormir;à boire, manger et dormir.Toujours il se vautrait¨ par les fanges,¨ se noircissait, le nez, se barbouillait¨ le visage, éculait¨ ses souliers et courait volontiers après les papillons. correcte; roulait; saletés; salissait; usait;
Sur la un de la cinquième année, le bonhomme Grandgousier dit à ses gouvernantes:
"Je le veux bailler¨ à quelque homme savent pour l'endoctriner selon sa capacité. Et je n'y veux rien épargner." donner;
De fait, l'on lui enseigna¨¨ et il y fut cinq ans et trois mois. Mais notez que, cependant, il lui apprenait a écrire gothiquement et écrivait tous ses livres, car l'art d'impression n’était pas encore en usage. Alors son père s’aperçut que vraiment il étudiait très bien et y mettait tout son temps, toutefois¨ qu'en rien il ne profitait, et qui pis¨ est, qu'il en devenait fou, niais,¨ tout rêveur et assoti.¨ donna comme maître un grand docteur en théologie, nommé maître Thubal Holopherne , qui lui apprit son A , B, C, si bien qu'il le disait par cœur à rebours; en sens contraire; mais; plus grave; bête; stupide;
De quoi se complaignant¨ à don Philippe de Marais, vice-roi de Papeligosse, il entendit que mieux lui vaudrait¨ rien n'apprendre qu'apprendre de tels livres, sous tels précepteurs¨ car leur savoir n'est que bêtise, et leur science que mufles¨ abâtardissement¨ les bons et nobles esprits et corrompant toute fleur de jeunesse. Puisqu'il en est ainsi, prenez, dit-il, quelqu'un de ces jeunes gens du temps présent qui ait seulement étudie deux ans. protestant; il serait mieux; maîtres; bêtises; dégénerants;
Ce qui à Grandgousier plut très bien, et il commanda qu'ainsi fût fait. Et au soir, en soupant, ledit des Marais introduit un sien jeune page de Villegongis, nommé Eudémon. Pour savoir quel précepteur¨ l'on pourrait lui donner, il fut avisé¨ qu'à cet office¨ serait mis Ponocrate, pédagogue d'Eudémon, et que tous ensemble iraient à Paris pour connaître¨ quelle était l'étude des jouvenceaux¨ de France pour ce temps-ci. maître; convenu; service; savoir; jeune gens;
En cette même saison, Fayoles, quatrième roi de Numidie, envoya du pays d'Afrique à Grandgousier une jument¨ la plus énorme et la plus grande qui fût jamais vue; comme vous le savez assez, l'Afrique apporte toujours quelque chose de nouveau.Lorsque Grandgousier la vit: "Voici bien le cas, dit-il, de porter mon fils à Paris. Or ça, par Dieu, tout ira bien. Il sera grand clerc¨ plus tard." femelle de cheval; savant;
Le lendemain, après avoir bu, comme vous l'entendez, prirent chemin Gargantua, son précepteur et ses gens, ainsi que¨ Eudémon, le jeune page. Finalement ils arrivèrent à Paris auquel lieu il se rafraîchit deux ou trois jours, faisant chère lie¨ avec ses gens, et s'enquérant¨ quels gens savants étaient pour lors en la ville et quels vin on y buvait. Il visita la ville, et fut vu de tout le monde en grande admiration. Et tant importunément¨ ils le poursuivaient qu'il fut contraint de se reposer sur les tours de l'église Notre-Dame. Cela fait, il considéra¨ les grosses cloches qui étaient auxdites tours et les fit sonner, bien harmonieusement.Ce que faisant, il lui vint en pensée qu'elles serviraient bien de clochettes au cou de sa jument. De fait il les emporta a son logis. et aussi; mangeant bien; s'informant; indiscrètement; regarda;
Toute la ville fut émue¨ en sédition.¨ Croyez que le lieu auquel se rassembla¨ le peuple, tout affolé¨ et ahuri¨ fut Nesle où alors était, -maintenant plus- l'oracle de Leucèce. Là fut proposé le cas, et remontré¨ l'inconvénient¨ des cloches transportées. Après avoir bien ergoté¨ pro et contra, i l fut conclu que l'on enverrait le plus vieux et le plus suffisant de la Faculté vers Gargantua, pour lui remontrer¨ l'horrible inconvénient de la perte de ces cloches. Et, nonobstant¨ la remontrance¨ de quelques-uns de l’université, qui alléguaient¨ que cette charge¨ convenait¨ mieux à un orateur qu'à un sophiste, fut pour cette affaire élu¨ notre maître Janotus de Bragnardo. Le théologien fut conduit en pleine ville et commença comme suit en toussant: troublé; révolte; réunit; perplexe; perplexe; discuté; conséquence pénible; chicané; dire; malgré; observation; argumentaient; misson; s'accordait; choisi;
"Ehen, hen, hen! Mna dies¨ monsieur, mna dies, et vobis¨ messieurs. Ce ne serait que bon que vous nous rendissiez nos cloches, car elles nous sont fort besoin.¨ Hen, hen, hasch! Nous en avions bien autrefois¨ refusé de bon argent de ceux de Londres en Cahors. Reddite quae sunt Caesaris Gaesari at quae sunt Dei Deo.¨ Par ma foi, Dominene, ¨ si vous voulez souper avec moi in camera¨ par le corps de Dieu! O, monsieur! Domine, clochi dona minor nobis:Ça, je vous prouve que vous me les devez donner. bona dies=bonjour; à vous; nécessaire; au passé; Donnez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu; Seigneur; dans la chambre;
Ego sic argumentor. Omnis clocha clochabilis in clocherio clochando clochans clochativo clochare facit clochabiliter clochantes. Parisius habet clochas. Ergo gluc. Ha, ha, ha, c'est parler, ça!
Le théologien n'eut pas sitôt¨ achevé que Ponocrate et Eudémon s'esclaffèrent¨ de rire tant profondément qu’ils en pensèrent rendre l'âme à"Dieu.¨ Ces rires une fois calmés, Gargantua consulta avec ses gens sur ce qu’il convenait de¨ faire.Là, Ponocrate fut d'avis qu'on fît reboire ce bel orateur. Le tout fut fait ainsi qu'il avait été délibéré. eut à peine; éclatèrent; mourir; on devait;
Les premiers jours ainsi passés et les cloches remises en leur lieu¨ les citoyens de Paris, par reconnaissance¨ de cette honnêteté,¨ s'offrirent de l'entretenir¨ et de le nourrir sagement¨ tant qu'il lui plairait-ce que Gargantua prit¨ bien à gré, ¨ et ils l’envoyèrent en la forêt de Bière. en place; pour remercier; bonté; nourrir; sérieusement; accepta; volontiers;
Il disposait donc de ¨ son temps de telle façon qu'il se réveillait soudainement entre huit heures et neuf heures, qu'il fut jour ou non: ainsi, l'avaient ordonné ses régents théologiques. Puis il déjeunait: belles tripes¨ frites, belles grillades, beaux jambons, belles carbonnades et force soupes de premier matin. Après avoir bien déjeuné, il allait a l’église. La, il entendait vingt-six ou trente messes. Au sortir de l’église, il étudiait quelque méchante demi-heure, les yeux fixés sur son livre, mais, comme dit le Comique, son âme était dans la cuisine. employait donc; viande;
En ce temps-là, qui était la saison des vendanges¨ au commencement de l'automne, les bergers de la contrée étaient à garder les vignes et empêcher¨ que les étourneaux¨ ne mangeassent les raisins. En même temps, les fouaciers¨ de Lerné passaient par le grand chemin, menant dix ou douze charges de fouaces¨ à la ville.Les-dits bergers leur demandèrent gentiment de leur en donner pour leur argent, au prix du marché. À leur requête¨ ne furent aucunement favorable lea fouaciers, mais ¨¨ est) les outrageaient¨ grandement, les appelant trop grande parleurs, brèche-dents, plaisants, rouquins,¨ débauchés,¨ chienlits, fainéants, ivrognes, berges de merde et autre telles épithètes¨ diffamatoires.¨ Auquel outrage, un d'entre eux, nommé Frogier, bien honnête homme de sa personne répondit doucement: "Depuis quand avez-vous pris des cornes¨ que vous êtes devenus si arrogants? Pourtant, vous aviez bien l'habitude de nous en donner volontiers, et maintenant vous vous y refusez!" récoltes des raisins pur le vin; prévenir; oiseaux; boulangers; petit pains; demande; qui pis; plus grave; offensaient; gens roux; immoraux; caractéristiques; offensantes; offense;
Alors Marquet, grand bâtonnier¨ de la Confrérie des fouaciers lui dit: représentant;
"Vraiment tu es très crétin¨ ce matin;tu mangeas hier soir trop de mais. Viens ça, viens ça, je te donnerai dema fouace." idiot;
Alors Frogier, en toute simplesse approcha, mais l'autre lui bailla¨ de son fouet¨ à travers les jambes si rudement que les nœuds y apparaissaient; puis il voulut prendre la fuite. Mais Frogier s'écria:"Au meurtre" et "à la force!" tant que les autres bergers et bergères entendant le cri de Frogier y vinrent avec leurs frondes¨ et bâtons et les suivirent à grands coups de pierres. Les fouaciers aidèrent à monter Marquet, qui était vilainement¨ blessé et retournèrent à Lerné. frappa; cravache; lance-pierres; mal;
Les fouaciers retournés à Lerné, soudain, avant de boire et de manger, se transportèrent au Capitole, et là, devant leur roi, nommé Picrochole, troisième de ce nom, exposèrent leur plainte¨ disant que le tout avait été fait par les bergers de Grandgousier. Lui, il entra incontinent¨ en un courroux¨ furieux, et sans demander quoi ni comment, fit crier par son pays" le ban et l’arrière-ban.¨ Alors, sans ordre ni mesure, ils prirent les champs.Ils firent tant, pillant ¨ et larronnant¨ qu'ils arrivèrent à Seullly, et détroussèrent¨ hommes et femmes, et prirent ce qu'ils purent: rien ne leur fut trop griefs; immédiatement; fureur; mobilisa le pays entièrement; volant; volant; volèrent des;
chaud ni trop pesant;¨ le bourg¨ ainsi pillé, ils se transportèrent en l'abbaye avec un horrible tumulte, mais ils la trouvèrent bien resserrée et fermée. lourd; vilage;
Dans l'abbaye il y avait alors un moine¨ cloîtré, nommé frère Jean des Entommeures, jeune galant, pimpant, ¨ alerte, bien adroit, hardi, ¨ aventureux, décide, haut, maigre, bien fendu en gueule,¨ bien avantagé en nez, beau dépêcheur d'heures, beau débrideur de messes, beau décrotteur de vigiles, pour tout dire sommairement¨ un vrai moine.Il mit bas son grand habit et se saisit du bâton de la croix et de son bâton de la croix il donna¨ si brusquement sur les ennemis sans crier gare, ¨ qu'ils les renversait¨ comme des porcs, frappant à tort et à travers, selon la vieille escrime.¨ religieux; gracieux; courageux; beau parleur; en résumé; frappa; attention; faisait tomber; exercice d'armes;
Pendant que le moine escarmouchait¨ comme nous avons dit, contre ceux qui étaient entrée dans le clos, Picrochole, avec une grande hàte, passa le gué¨ de Véde avec ses gens et assaillit¨ la Roche-Clermaud. Au matin il prit d'assaut les boulevards¨ et le château. se battait; passage d'une rivière; attaqua; bastions;
Or, laissons-les là, et retournons à notre bon Gargantua, qui est à Paris, et au vieux bonhomme Grandgousier, son père. Un des bergers qui gardaient les vignes, nommé Pillot, se transporta vers lui, a cette heure-là et raconta entièrement les excès et pillages¨ que faisait Picrochole, roi de Lerné, en ses terres et domaines, et comment il avait pillé, gâté, saccagé¨ tout le pays, excepté le clos¨ de Seuilly que frère Jean des Entommeures avait sauve en son honneur. ravages; ravagé; jardin;
"Hélas! hélas! dit Grandgousier. Qu'est ceci, bonnes gens? Songeai-je,¨ ou est-ce vrai ce qu'on me dit? est-ce que je rêve;
Il envoya donc sur l'heure¨ le Basque, son laquais, quérir en toute hâte Gargantua. directement;
Gargantua, qui était sorti de Paris aussitôt lues¨ les lettres de son père, venant sur sa grande jument, avait déjà passé le pont de la Nonnain, et, trouvant sur son chemin un haut et grand arbre, il dit: immédiatement après avoir lu;
Voici ce qu'il me fallait. Cet arbre me servira de bourdon¨ et de lance." bâton;
Et il l'arracha¨ facilement de la terre et en ôta¨ les branches, et le prépara pour son plaisir. Gargantua, venu à l'endroit du bois de Vède, fut avisé¨ par Eudémon qu'il y avait dans le château quelque reste des ennemis. tira; retira; informé;
Alors il choqua de son grand arbre contre le château, et abattit¨ à grands coups et tours et bastions, et ruina tout par terre. Par ce moyen ils furent tous rompus et ceux qui y étaient furent mis en pièces. ravagea;
Alors, Picrochole et ses gens, connaissant¨ que tout était désespéré, prirent la fuite en tous endroits.¨ comprenant; dans toutes les directions;
Après leur retraite, Gargantua premièrement recensa¨ les gens, et trouva que peu d'entre eux avaient péri¨ dans la bataille. Puis il les fit rafraîchir et commande à ses trésoriers¨ que ce repas leur fût payé. Puis ceux-là gui étaient morts, il les fit honorablement inhumer dans la vallée des Noirettes et au champ de Brûle-ville. Les blessées, il les fit panser¨ et traiter dans son grand hôpital. compta; étaient mort; hommes de finances; soigner;
Restait seulement le moine à pourvoir¨ et Gargantua voulait le faire abbé de Seuilly, mais il le refusa.Il voulut lui donner l'abbaye de Bourgueil, mais le moine lui fit une réponse péremptoire¨ qu'il ne voulait ni la charge, ni le gouvernement de moines: récompenser; décisive;
"Car comment, disait-il, pourrais-je gouverner autrui¨ moi qui ne saurais me gouverner moi-même? S'il vous semble que je vous aie rendu et que je puisse à l'avenir vous rendre un service agréable, permettez-moi de fonder¨ une abbaye selon mon plan." les autres; créer;
La demande plait à Gargantua, et il offrit tout son pays de Thélème, et il¨ requit¨ à Gargantua d'instituer sa règle religieuse au contraire de toutes les autres. frère Jean; demanda;
"Premièrement donc, dit Gargantua, il ne faudra plus bâtir de murailles d'enceinte¨ car toutes les autres abbayes son farouchement¨ murées." qui entourent l’abbaye; terriblement;
"C'est vrai, dit le moine, et non sans cause; où il y a un mur, devant ou derrière, il y a du murmure, envie¨ et conspirations¨ mutuelles" jalousie; intrigues;
De plus parce qu'aux couvents¨ de ce monde tout est compasse,¨ limité et réglé par heures, il fut décrété qu'il n'y aurait là ni horloge, ni cadran aucun. Mais, selon les occasions et opportunités¨ toutes les œuvres seraient dispensées.¨ Car, disait Gargantua, la plus vraie perte de temps qu'il sut était de compter les heures. abbayes; réglé; moments favorables; permises;
Quel bien en arrive-t-il? Et la plus grande rêverie du monde était de se gouverner au son d'une cloche, et non à la dictée du bon sens¨ et de l'entendement.¨ raison; intelligence;
Item, parce qu'en ce temps-la on ne mettait au couvent des femmes que celles qui étaient borgnes, ¨ boiteuses, ¨ bossues, ¨ laides, folles, mal formées, ni, les hommes, sinon catarrheux, mal nés, sots, il fut ordonnés que là ne seraient reçus que les belles, bien formées et de belle nature. aveugles; invalides; déformées;
Item, parce qu'aux_couvents des femmes n'entraient pas les hommes, sinon à la dérobée¨ et clandestinement, il fut décrété que jamais ne seraient là les femmes au cas où les hommes n'y seraient pas, ni les hommes au cas ou les femmes n'y seraient pas. en secret;
Item, parce tant¨ hommes que femmes, une fois reçus en religion, après l’année d’épreuve¨ étaient forcés et astreint d'y demeurer¨ perpétuellement¨ leur vie durant, il fut établi¨ que tant hommes que femmes reçus la sortiraient quand bon leur sembleraient¨ librement et entièrement. aussi bien; essai; rester; pour toujours; décrété; quand ils voulaient;
Item, parce qu'ordinairement les religieux faisaient trois vœux¨ à savoir de chasteté,¨ de pauvreté et d’obéissance, il fut constitué¨ que la on pourrait être honorablement marié, que chacun pourrait être riche et vivre en liberté. promesses; abstinence sexuelle; décrété;
Comment étaient règles les Thélémites¨ en leur manière de vivre? Toute leur vie était employée, non par des lois, statuts ou règles, mais selon leur vouloir et leur libre arbitre.¨ Ils se levaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur venait. Nul ne les veillait, nul ne les forçait ni à boire, ni à manger, ni à faire autre chose. Ainsi l'avait établi¨ Gargantua. habitants de l’abbaye de Thélème; volonté; décrété;
En leur regle n’était qu'une clause:
FAIS CE QUE TU VOUDRAS
parce que des gens libres, bien nés,¨ bien instruits, conversant en compagnies honnêtes¨ ont par nature un instinct et un aiguillon¨ qui les pousse¨ toujours à des actes vertueux¨ et les retire du vice¨ lequel instinct ils nommaient honneur. nobles; civilisés; stimulant; fait aller; de bonne morale; immoralités;

7. La pléiade

7.1. Joachim du Bellay

7.1.1. Défense et illustrations de la langue Française

Les langues ne sont pas nées d'elles-mêmes, mais toute leur vertu¨ est née de la volonté des mortels.¨ Cela est une grande raison pourquoi on ne doit pas ainsi louer¨ une langue et blâmer un autre, vu qu'elles viennent toutes d'une même origine. A ce propos¨ je ne peux pas assez blâmer la sotte arrogance et la témérité¨ de certains de notre nation qui méprisent¨ et rejettent toutes choses écrites en français; et je ne peux pas assez m’émerveiller¨ de l’étrange opinion de certains savants qui pensent que notre langue vulgaire soit incapable de toutes bonnes lettres¨ et érudition.¨ À ceux-ci je veux bien, s'il m'est possible, faire changer d'opinion par quelques raisons que brièvement¨ j'espère déduire.¨ principe; hommes; glorifier; pour cela; arrogance; ne respectent pas; étonner; littérature; grand savoir; en quelques mots; faire conclure;
Si notre langue n'est pas si riche que le grec ou le latin, cela ne doit pas être impute au défaut¨ d’elle-même, mais on doit l'attribuer à ¨ l'ignorance¨ de nos ancêtres. Mais qui voudrait dire que le grec et le latin eussent toujours été en l'excellence qu'on les a vus du temps d’Homère et de Démosthène, de Virgile et de Ciceron? critiquer; chercher la cause dans; manque des connaissances;
Si les Romains eussent étê négligents¨ à la culture de leur langue, elle ne serait pas devenue si grande. Mais eux ils l'ont restauré de rameaux¨ magistralement tirés de la langue grecque. inattentifs; branches;
Le temps viendra que notre langue, qui commence encore à jeter ses racines, sortira de la terre, et s’élèvera en telle hauteur et grosseur qu'elle pourra s’égaler au grec et au latin.
Celui qui voudra enrichir sa langue doit donc se mettre à l'imitation des meilleurs auteurs grecs et latins; car il n'y a pas de doute que la plus grande partie de l'art soit contenue en l'imitation.

7.1.2. Nostalgie

Heureux qui, comme Ulysse,¨ a fait un beau voyage, Odysseus;
Ou comme celui-lਠqui conquit la toison, Jason, qui conquis la toison d'or;
Et puis est retourné, plein d'usage¨ et raison, expérience;
Vivre entre ses parents le reste de son âge!

 
Quand reverrai-je, hélas! de mon petit village
Fumer la cheminée? Et en quelle saison
reverrai-je le clos¨ de ma pauvre maison, jardin;
Qui m'est une province et beaucoup davantage¨ ? plus;

 
Plus me plaît le séjour¨ qu'on bâti mes aîeux¨ maison; ancêtres;
Que des palais romains le front audacieux,¨ arrogant;
Plus que le marbre dur ne plaît l'ardoise¨ fine des toits;

 
Plus mon Loire gaulois que le Tibre¨ latin rivière à Rome;
Plus mon petit Liré que le mont Palatin
Et plus que l'air marin la douceur angevine.

7.2. Pierre de Ronsard

7.2.1. Ode à Cassandre

Mignonne¨ allons voir si la rose chérie, aimée;
Qui ce matin avait déclose¨ ouvert;
Sa robe de pourpre¨ au soleil rouge;
N'a point perdu, cette vêprée,¨ ce soir;
Les plis de sa robe pourprée
Et son teint au vôtre pareil¨ identique;

 
Las¨ ! voyez comme en peu d'espace¨ hélas; temps;
Mignonne, elle a dessus la place
Las! las! ses beautés laissé choir¨ tomber;
O vraiment marâtre¨ Nature, mauvaise mère;
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir!

 
Donc¨ si vous me croyez, mignonne, en concluant;
Tandisque¨ votre âge fleuronne¨ pendant que; est en fleurs;
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse:
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir¨ votre beauté. disparaître;

7.2.2. À une jeune morte

Comme on voit sur la branche, au mois de mai, la rose,
En sa belle jeunesse, en sa première fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l'aube¨ de ses pleurs, au point du jour l'arrose; commencement du jour;

 
La Grâce dans sa feuille et l'Amour se repose,
Embaumant¨ les jardins et les arbres d'odeur; remplissant;
Mais, battue¨ ou de¨ pluie ou d’excessive ardeur¨ frappé; par; chaleur;
Languissante¨ elle meurt, feuille à feuille déclose.¨ perdisant l'énergie; ouverte;

 
Ainsi, en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque t'a tuée, et cendre¨ tu reposes. comme poussière;

 
Pour obsèques¨ reçois mes larmes et mes pleurs, dernier honneur;
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin¨ que, vif et mort, ton corps ne soit que roses. pour faire que;
(Amours de Marie)

7.2.3. La Vieillesse (sonnets à Hélène)

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant¨ et filant¨ faisant des boules de fil; faisant du fil;
Direz, chantant mes vers, et vous émerveillant¨ vous étonnant;
"Ronsard me célébrait¨ du temps que j’étais belle." glorifiait;

 
Lors vous n'aurez servante oyant¨ telle nouvelle, entendant;
Déjà sous le labeur¨ à demi sommeillant,¨ travail; dormant;
Qui, au bruit de Ronsard, ne s'aille réveillant
Bénissant votre nom de louange¨ immortelle éloge;

 
Je serai sous la terre et, fantôme¨ sans os, esprit;
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos
Vous serez au foyer une vieille accroupie.

 
Regrettant mon amour et votre fier dédain¨ mepris;
Vivez, si vous m'en croyez, n'attendez a demain
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie

8. Michel de Montaigne

8.1. Les essais

8.1.1. Que philosopher c'est apprendre à mourir

Le but de notre carrière, c'est la mort; c'est l'objet nécessaire de notre visée¨ si elle nous effraie, ¨ comment est-il possible d'aller un pas en avant sans fièvre?¨ attention; fait peur; temperature;
Le remède¨ du vulgaire, ¨ c'est de n'y penser pas. Mais de quelle brutale¨ stupidité lui peut venir un si grossier aveuglement? Ce n'est pas merveille¨ s'il est si souvent pris au piège.¨ médicament; la masse; brute; étonnant; dupé;
On fait peur à nos gens¨ seulement en nommant la mort, et la plupart s'en signent¨ comme au nom du diable. aux hommes; font un signe de la croix;
Il n'y a justement que quinze jours que j'ai franchi¨ trente-neuf ans: il m'en faut, pour le moins, encore autant. Cependant s'empêcher de penser à une chose si éloignée, ce serait folie. Mais quoi?les jeunes et les vieux laissent¨ la vie de la même manière. passé 'âge de; quittent;
Pauvre fou que tu es, qui t'a établi¨ les termes de ta vie.Tu te fondes¨ sur les comptes des médecins; regarde plutôt l'effet¨ et l’expérience.¨ fixé; bases; résultat; pratique;
Il est plein de raison et de piété¨ de prendre l'exemple de l’humanité même de Jésus-Christ: or, il finit sa vie à trente-trois ans. Le plus grand homme, simplement¨ homme, Alexandre, mourut aussi à ce terme. Ces exemples nous passant devant les yeux, comment est-il possible qu'on puisse se défaire de la pensée de la mort, et qu'à chaque instant¨ il ne nous semble qu'elle nous tienne au collet?¨ religiosité; seulement; moment; surprenne;
Parmi les fêtes et la joie, ayons toujours ce refrain de la souvenance¨ de notre condition¨ et ne nous laissons pas si fort emporter au plaisir que parfois il ne nous repasse en la mémoire en combien de sortes notre allégresse¨ est en butte à la mort, et de combien de prises¨ elle la menace.¨ souvenir; situation; joie; dangers; lui fait risquer;
Il est incertain où la mort nous attend, attendons-la Partout.La préméditation de la mort est préméditation de la liberté: qui a appris à mourir, a désappris à servir¨ ; il n'y a rien de mal dans la vie pour celui qui a bien compris que la privation¨ de la vie n'est pas mal. Le savoir mourir nous affranchit¨ de toute sujétion¨ et contrainte.¨ être dépendant; perte; libère; soumission; dépendante;

8.1.2. Apologie de Raymond Sebond

Le Classicisme

Considérons¨ donc pour cette heure¨ l'homme seul, sans secours, ¨ étranger armé seulement de ses armes et dépourvu¨ de la grâce et de la connaissance divine¨ qui est tout son honneur, s a force et le fondement de son être. Est-il possible de rien imaginer si ridicule que cette misérable et chétive¨ créature, qui n'est pas seulement maîtresse de soi. étudions; maintenant; aide; sans; de Dieu; pauvre;
La présomption¨ est notre maladie naturelle et originelle. La plus calamiteuse¨ et frêle¨ de toutes les créatures, c'est l'homme, et en même temps la plus orgueilleuse.¨ Elle se sent et se voit logée ici, parmi la bourbe¨ et le fient¨ du monde et se va plantant¨ par imagination au-dessus du cercle de la Lune et, ramenant le ciel sous ses pieds. C'est par la vanité¨ de cette même imagination qu'il s’égale à Dieu, qu'il s'attribue¨ les conditions¨ divines.¨ arrogance; catastrophique; fragile; arrogante; ordures; saleté; se place; caractère prétentieux; donne; talents; de Dieu;
Nous ne sommes ni au-dessus, ni au-dessous du reste: tout ce qui est sous le Ciel, dit le sage, court une loi et une fortune pareille.
Ainsi me faut-il voir enfin s'il est en la puissance¨ de l'homme de trouver ce qu'il cherche; et si cette quête¨ qu'il y a employée depuis tant de siècles, l'a enrichi de quelque nouvelle force et de quelque vérité solide. Je crois qu'il me confessera s'il parle en conscience¨ que tout le profit qu'il a retiré d'une si longue poursuite¨ c'est d'avoir appris à reconnaître sa faiblesse. au pouvoir; recherche; sérieusement; étude;
Aussi ne fais-Je pas profession¨ de savoir la vérité et d'y atteindre, ¨ Le plus sage homme qui fut jamais¨ quand on lui demanda ce qu'il savait, répondit qu'il savait cela qu'il ne savait rien. prétention; arriver; Socrate;
Combien diversement jugeons-nous des choses? Combien de fois changeons-nous nos fantaisies? Ce que je tiens aujourd'hui et ce que je crois, je le tiens et le crois de toute ma croyance; mais ne m'est-il pas advenu¨ non une fois, mais cent, mais mille, et tous les jours, d'avoir embrassé¨ quel qu’autre chose que depuis j'aie jugée fausse? Au moins faut-il devenir sage a ses propres depens.¨ arrivé; accepté; coût;
Mais qu'est-ce donc qui est véritablement? Ce qui est éternel, c'est à dire ce qui n'a jamais eu de naissance, ni aura jamais de fin; à qui le temps n'apporte jamais aucune mutation.¨ Dieu seul est, non point selon aucune mesure du temps, mais selon une éternité immuable et immobile, non mesurée¨ par le temps, ni sujette ਠaucune déclinaison¨ changement; réglé; dépendant de; dégénération;
À cette conclusion si religieuse d'un homme païen¨ je veux joindre¨ seulement ce mot d'un témoin¨ de même condition; O la vile¨ chose, dit-il, et abjecte que l'homme, s'il ne s’élève au-dessus de l'humanité:"voilà un bon mot et un utile désir, mais pareillement¨ absurde. Car de faire la poignée plus grande que le poing et la brassée plus grande que le bras, et d’espérer enjamber plus que l’étendue¨ de nos jambes, cela est impossible et monstrueux.contre nature Ni que l'homme ne monte au-dessus de soi et de l'humanité: car il ne peut vois, que de ses yeux, ni saisir que de ses prises. Il s’élèvera si Dieu lui prête extraordinairement la main; il s’élèvera, abandonnant¨ et renonçant¨ a ses propres moyens, et se laissant et soulever par les moyens purement célestes.¨ ici: Platon; ajouter; personne qui prouve qqc; ici:Sénèque; basse; également; longueur; quittant; n’employant plus; du ciel};
C'est à notre foi chrétienne, non à sa vertu stoïque de prétendre¨ à cette divine et miraculeuse métamorphose. faire valoir ses droits;

9. René Descartes et le rationalisme

9.1. Discours de la méthode

POUR BIEN CONDUIRE¨ SA RAISON ET POUR CHERCHER LA VÉRITÊ DANS LES SCIENCES ¨ diriger; études;
Le bon sens¨ est la chose du monde la mieux partagée.¨ Ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement¨ égale en tous les hommes; et ainsi que¨ la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les par le fait que les uns sont plus raisonnables¨ que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons¨ nos pensées par diverses voies,¨ et ne considérons¨ pas les mêmes choses. raison; distribuée; parle nature; comme; intelligents; dirigeons; routes; observons;
Pour la raison, d'autant¨ qu'elle est la seule chose qui nous rend hommes et nous distingue¨ des bêtes, je veux croire qu'elle est tout entière¨ en chacun, et qu'il n'y a du plus ou du moins qu'entre les accidents ¨ et non point entre les formes ou natures des individus d'une même espèce¨ Parce que la r.; différencie; totale; changements de la fortune; genre;
Sitôt¨ que l'âge me permit de sortir de la sujétion¨ de mes précepteurs¨ je quittai entièrement l'étude des lettres;¨ et, me résolvant¨ de ne chercher plus d'autre science que celle qui pourrait se trouver en moi-même, ou bien dans le grand livre du monde,¨ j'employai le reste de ma jeunesse à voyager, et partout a faire réflexion¨ sur les choses qui se présentaient. Car il me semblait ¨ que je pourrais rencontrer plus de vérité dans les raisonnements que chacun fait touchant¨ les affaires qui lui importent¨ que dans ceux que fait un homme de lettres¨ dans son cabinet. immédiatement quand; tyrannie; professeurs; littérature; décidant; =la vie; réfléchir; je pensais; sur; importantes pour lui; savant;
Le plus grand profit que j'en retirais était que voyant plusieurs choses qui, bien qu'¨ elles nous semblent fort¨ extravagantes¨ et ridicules, ne laissent pas d’être¨ communément¨ reçues¨ et approuvées par d'autres peuples, j'apprenais à ne rien croire trop fermement de ce qui m avait été persuadé;¨ et ainsi je me délivrais¨ peu a peu de beaucoup d'erreurs.¨ malgré le fait que; très; anormales; sont pourtant; partout; acceptés; ici:appris; libérais; fautes;
Mais, après que j'eus employé quelques années a lire ainsi dans le livre du monde ¨ et a tacher¨ d’acquérir¨ quelque expérience, je pris un jour la résolution¨ d'étudier en moi-même. pratique de la vie; essayer; avoir; décision;
J’étais alors¨ en Allemagne. Le commencement de l'hiver m'arrêta en un quartier ou demeurais tout le jour enfermé dans un poêle¨ où j'avais tout le loisir ¨ de m'entretenir¨ de mes pensées, entre¨ lesquelles l'une des premiers fut que je m'avisai¨ de considérer¨ que souvent il n'y a pas tant de perfection dans les ouvrages composés¨ de plusieurs, et faits de¨ la main de divers maîtres, qu'en ceux auxquels un seul avait travaillé. Ainsi je pensai que, les sciences des livres, s’étant composés et grossies¨ peu à peu des opinions de plusieurs personnes, ne sont point si approchantes¨ de la vérité que les simples raisonnements que peut faire naturellement¨ un homme de bon sens touchant¨ les choses qui se présentent. à cette époque; chambre chaufé; temps libre; m'occuper; parmi; commençai; constater; faits; par; agrandies; près; par sa nature; sur;
J'avais un peu étudie, étant jeune, entre les parties¨ de la philosophie, à la logique, et, entre les mathématiques, à l'analyse des géomètres¨ et à l’algèbre. Mais en les examinant¨ je pris garde¨ que, pour la logique, ses syllogismes et la plupart de ses autres instructions servent plutôt¨ à expliquer à autrui¨ les choses qu'on sait qu'à les apprendre. Puis, pour¨ l'analyse des anciens et l'algèbre des modernes, la première est toujours si astreinte ਠla considération¨ des figures, qu'elle ne peut exercer¨ l'entendement¨ sans fatiguer beaucoup l'imagination et on s'est tellement assujetti¨ en la dernière, à certaines règles et à certains chiffres, qu'on en a fait un art confus¨ et obscur qui embarrasse¨ l'esprit au lieu¨ d'une science qui cultive¨ de qui fut cause que je pensai qu'il la fallait chercher quelque autre méthode qui fût exempte¨ de leurs défauts¨ Et au lieu de ce grand nombre de préceptes¨ dont la logique est composée, je crus que j'aurais assez des quatre suivants, pourvu¨ que je prisse une ferme et constante résolution¨ ne manquer pas une seule fois à les observer.¨ domaines; science des espaces; étudiant; constata; mieux; aux autres; parlant de; occupée de; études; développer; intelligence; laissé dominer; imprécis; trouble; en place; développe; libre; imperfections; règles; à condition; décision; y obéir;
Le premier était de ne recevoir¨ jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle; 'est à dire d’éviter¨ soigneusement la précipitation¨ et la prévention et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement¨ à mon esprit que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute. accepter; ne pas faire; hâte; clair;
Le second, de diviser¨ chacune des difficultés que j'examinais en autant de parcelles¨ qu'il se pourrait et qu'il serait requis¨ pour les mieux résoudre. couper; parties; nécessaire;
Le troisième, de conduire¨ par ordre de mes pensées, diriger en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés¨ à connaître, pour monter peu à peu, par degrés¨ jusqu’à la connaissance des plus composés.¨ décider; faciles; pas à pas; compliqués;
Et le dernier, de faire partout des dénombrements¨ si entiers¨ et des revues¨ si générales¨ que je fusse assuré de ne rien omettre.¨ contrôles; complets; inspections; totales; oublier;
Ce qui me contentait le plus de cette méthode était que, par elle, j’étais assuré d'user¨ en tout de ma raison, sinon parfaitement, au moins le mieux qu'il fût en mon pouvoir.¨ employer; capacités;
Remarquant¨ que cette vérité: je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes¨ suppositions¨ des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler,¨ je jugeai¨ que je pouvais la recevoir¨ sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais. constatant; bizarres; hypothèses; troubler; pensai; accepter;
Je pensai que je devais aussi savoir en quoi consiste¨ cette certitude.Et ayant remarqué qu'il n'y a rien en tout ceci, je pense donc je suis, qui m'assure que je dis la vérité, sinon¨ que je vois très clairement que, pour penser, il faut être, je jugeai¨ que je pouvais prendre pour règle générale que les choses que nous concevons¨ fort¨ clairement et fort distinctement,¨ sont toutes vraies, mais qu'il y a seulement quelque difficulté a bien remarquer quelles sont celles que nous concevons distinctement. de quoi se compose; excepté le fait; pensai; formons; très; nettement;
Je serais bien aisé¨ de poursuivre¨ et de faire voir ici toute la chaîne¨ des vérités que j'ai déduites¨ de ces premières; mais à cause¨ que, pour cet effet, il serait maintenant besoin¨ que je parlasse de plusieurs questions qui sont en controversions¨ entre les doctes¨ avec lesquels je ne désire¨ point me brouiller,¨ je crois qu'il sera mieux que je m'en abstienne. content; continuer; suite; conclues; pour; nécessaire; discussion; savants; veux; être en désaccord;
Je suis toujours demeuré¨ ferme en la résolution¨ de ne supposer¨ aucun principe autre que l'existence de Dieu et de l'âme. resté; décision; accepter;
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10. Pierre Corneille

10.1. Le Cid (1636)

Personnages:
DF DON FERNAND, premier roi de Castille.
DD DON DIEGUE, père de don Rodrigue.,
LC LE COMTE, père de Chimène, général de l’armée
DR DON RODRIGUE, amant de Chimène.
CH CHIMÈNE, fille du comte.
DS DON SANCHE, amoureux de Chimène.
DA DON ALONSE, gentilhomme de la Cour.

 
ACTE I
LC Enfin, vous l'emportez¨ et la faveur du Roi triomphez;
Vous élève¨ en un rang qui n’était dû qu'a moi: porte;
DD Il vous fait gouverneur du prince de Castille(1) Cette marque¨ d'honneur qu'il met dans ma famille signe;
Montre à tous qu'il est juste, et fait connaître assez
Qu'il sait récompenser¨ les services passés. gratifier;
LC Pour¨ grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes si;
Ils peuvent se tromper comme les autres hommes;
Et ce choix sert de preuve¨ à tous les courtisans¨ signe; gens de la cour;
Qu'ils savent mal payer les services présents.
DD Ne parlons plus d'un choix dont votre esprit s'irrite,
La faveur l'a pu faire autant que le métrite¨ capacités;
LC Parlons-en mieux, le Roi fait honneur à votre âge.
DD Le Roi, quand il en fait, le mesure¨ au courage. apprécie;
LC Et par là cet honneur n’était dû qu'à mon bras ma force
DD Qui n'a pu l'obtenir¨ ne le méritait pas.¨ avoir; n'en avait pas le droit;
LC Ne le méritait pas! Moi?
DD Ne le méritait pas! Moi? Vous!
LC Ne le méritait pas! Moi? Vous! Ton impudence¨ irrespect;
Téméraire¨ vieillard, aura sa récompense¨ imprudent; ici: punition;
(Il lui donne un soufflet)¨ le frappe au visage;
DD Achève¨ et prends ma vie après un tel affront fini;
Le premier dont ma race¨ ait vu rougir son front famille;
LC Et que penses-tu faire avec tant de faiblesse?
DD O Dieu! ma force en ce besoin¨ me laisse¨ ! nécessité; quitte;
DD Rodrigue, as-tu du cœur?¨ courage;
DR Rodrigue, as-tu du cœur?¨ Tout autre que mon père ¨ ressentirait;
L’éprouverait sur l'heure¨ immédiatement;
DD L’éprouverait sur l'heure¨ Agréable colère¨ fureur;
Ma jeunesse revit en cette ardeur¨ si prompte. énergie;
Viens, mon fils, viens, mon sang, viens réparer ma honte¨ déshonneur;
Viens me venger.
DR Viens me venger. De quoi?
DD Viens me venger. De quoi? D'un affront si cruel,
Qu'a l'honneur de tous deux il porte un coup mortel¨ fatal;
D'un soufflet. L'insolent¨ en eût¨ perdu la vie; ¨ ; aurait; homme irrespectueux;
Mais mon age a trompe ma généreuse envie¨ noble désir;
Et ce fer que mon bras ne peut plus soutenir
Je le remets au tien pour venger et punir.
Va contre un arrogant éprouver¨ ton courage; tester;
Ce n'est que dans le sang qu'on lave un tel outrage¨ offense;
Meurs ou tue. Au surplus¨ pour ne te point flatter au reste;
Je te donne à combattre un homme a redouter¨ craindre;
Plus que brave soldat, plus que grand capitaine, ;
C'est..
DR C'est.. De grâce¨ achevez¨ s'il vous plaît; dites tout;
QD C'est.. De grâce¨ achevez¨ Le père de Chimène.
DR Le...
DD Le... Ne réplique¨ point, je connais ton amour; réponds;
Mais qui peut vivre infâme¨ est indigne¨ du jour. sans honneur; n'a pas droit au;
Je ne te dis plus rien. Venge-moi, venge-toi;
Montre-toi digne fils d'un père tel que moi.
DR Percé¨ jusques au fond du cœur blessé;
DR À moi, Comte, deux mots.
LC D'une atteinte¨ imprévue aussi bien-que mortelle choc;
Misérable vengeur d'une juste querelle¨ conflit;
Et malheureux objet d'une injuste rigueur¨ fatalité;
Je demeure¨ immobile, et mon âme abattue reste;
Cède¨ au coup qui me tue. capitule;
Si près de voir mon feu¨ récompensé¨ amour; realisé;
O Dieu, l’étrange peine¨ ! malheur;
En cet affront¨ mon père est l’offensé, offense;
Et l'offenseur le père de Chimène
Il vaut mieux courir au trépas¨ à la mort;
Je dois à ma maîtresse aussi¨ bien"qu'a mon père: autant;
J'attire en me vengeant sa haine¨ et sa colère¨ horreur; fureur;
J'attire ses mépris¨ en ne me vengeant pas. (contr.de:respect);
A mon plus grand espoir l'un me rend infidèle,
Et l'autre indigne d'elle.
Mon mal augmente¨ à le vouloir guérir; grandit;
Tout redouble ma peine¨ malheur;
Allons, mon âme;et puisqu'¨ il faut mourir, parce qu';
Mourons du moins sans offenser Chimène.
Mourir sans tirer ma raison! ¨ me venger;
Rechercher un trépas¨ si mortel¨ à ma gloire! mort; fatal;
Endurer¨ que l'Espagne impute ¨ à ma mémoire accepter; accuse;
D'avoir mal soutenu l'honneur de ma maison!
Respecter un amour dont mon âme égarée
Voit la perte assurée!
N’écoutons plus ce penser suborneur¨ infâme;
Qui ne sert qu'ਠma peine agrandit;
Allons, mon bras, sauvons du moins l'honneur,
Puisqu'après tout il faut perdre Chimène.

 
ACTE II
DR À moi, Comte, deux mots
LC À moi, Comte, deux mots Parle.
DR À moi, Comte, deux mots Parle. Ôte-¨ moi d'un doute. délivre;
Connais-tu bien don Diègue?
LC Connais-tu bien don Diègue? Oui.
DR Connais-tu bien don Diègue? Oui. Parlons bas. Écoute.
Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu¨ courage;
La vaillance¨ et l'honneur de son temps? le sais-tu? courage;
LC Peut-être.
DR Peut-être. Cette ardeur¨ que dans les yeux je porte feu, énergie;
Sais-tu que c'est son sang? le sais-tu?
LU Sais-tu que c'est son sang? le sais-tu? Que m'importe?
DR À quatre pas d'ici je te le fais savoir.
LC Jeune présomptueux¨ arrogant;
DR Jeune présomptueux¨ Parle sans t’émouvoir¨ te fâcher;
Je suis jeune, il est vrai; mais aux âmes bien nées¨ nobles;
La valeur n'attend point le nombre des années¨ vient vite;
LC Te mesurer¨ à"moi, qui t'a rendu si vain¨ battre; arrogant;
Toi qu'on n'a jamais vu les armes à la main?¨ dans la guerre;
Sais-tu bien qui je suis?
DR Sais-tu bien qui je suis? Oui; tout autre que moi
Au seul bruit de ton nom pourrait trembler d'effroi¨ peur;
LC Viens, tu fais ton devoir, et le fils dégénère
Qui survit¨ un moment à l'honneur de son père. vit plus longtemps que;
DF Le Comte est donc si vain¨ et si peu raisonnable! arrogant;
Ose-t-il croire encore son crime pardonnable?
DA Je l'ai de votre part¨ longtemps entretenu¨ en votre nom; parlé;
J'ai fait mon pouvoir¨ Sire, et n'ai rien obtenu. ce que j'ai pu;
DF Justes cieux! ainsi donc un sujet téméraire¨ inférieur;
A si peu de respect et de soin de me plaire!
S'attaquer à mon choix, c'est se prendre¨ à moi-même critiquer;
Et faire un attentat¨ sur¨ le pouvoir¨ suprême. agression; contre; autorité;
N'en parlons plus. Au reste, on a vu dix vaisseaux¨ bateaux;
De nos vieux ennemis arborer¨ les drapeaux préparer;
Vers la bouche du fleuve ils ont osé paraître
Faites doubler la garde aux murs et sur le port.
C'est assez pour ce soir.
DS C'est assez pour ce soir. Sire, le Comte est mort!
Don Diègue, par son fils, à vengé son offense
DF Dès que¨ j'ai su l'affront;j'ai prévu la vengeance immédiatement;
Et j'ai voulu dès lors prévenir ce malheur.
Chimène à vos genoux apporte sa douleur;¨ chagrin;
Elle vient toute en pleurs vous demander justice.
DF Ce que le Comte a fait semble avoir mérité
Ce digne¨ châtiment¨ de sa témérité¨ juste; punition; arrogance;
Quelque juste pourtant que puisse être sa peine¨ chagrin;
Je ne puis sans regret perdre un tel capitaine.
CH Sire, Sire, justice!
DD Sire, Sire, justice! Ah!Sire, écoutez-nous.
CH Je me jette a vos pieds.
DD Je me jette a vos pieds. J'embrasse vos genoux
CH Je demande justice.
DD Je demande justice. Entendez ma défense.
CH D'un jeune audacieux¨ punissez l'insolence¨ arrogant; irrespect;
Il a de votre sceptre abattu le soutien¨ défenseur;
Il a tue mon père.
DD Il a tue mon père. Il a vengé le sien
DF L'affaire est d'importance, et, bien considérée¨ méditée;
Mérite en plein conseil d’être délibérée¨ discutée;
Don Sanche, remettez¨ Chimène en sa maison. reconduisez;
Don Diègue aura ma cour et sa foi¨ pour prison. parole d'honneur;
Qu'on me cherche son fils.Je vous ferai justice.
CH Il est juste, grand Roi, qu'un meurtrier¨ périsse¨ qq qui a tué; meure;
DF Prends du repos, ma fille, et calme tes douleurs¨ chagrin;
CH M'ordonner du repos, c'est croître¨ mes malheurs. agrandir;

 
ACTE III (Chimène et sa confidente Elvire)
EL Reposez-vous, Madame.
CH Reposez-vous, Madame. Ah! que mal à propos¨ à un mauvais moment;
Dans un malheur si grand tu parles de repos!
Par où¨ sera jamais ma douleur¨ apaisée¨ par quoi; chagrin; calmée;
Si je ne puis haïr¨ la main qui l'a causée? contr. de:aimer ;
EL Il vous prive¨ prends son père)d'un père, et vous l'aimez encore!;
CH C'est peu de dire aimer. Elvire:je l'adore.
Mon cœur prend son parti; mais malgré son¨ effort, (=du cœur);
Je sais ce que je suis, bet que mon père est mort.
EL Madame, croyez-moi, vous serez excusable
D'avoir moins de chaleur¨ contre un objet aimable¨ ici:fureur; QQ que vous aimez;
Ne vous obstinez¨ point en cette humeur étrange. restez;
CH Il y va de ma gloire¨ il faut que je me venge; ma g.est en question;
Et de quoi que nous flatte un désir amoureux,
Toute excuse est honteuse¨ aux esprits généreux¨ ; déshonorant; nobles;
EL Mais vous aimez Rodrigue, il ne vous peut déplaire.
CH Je l'avoue¨ reconnais;
EL Je l'avoue¨ Après tout, que pensez-vous donc faire?
CH Pour conserver ma gloire et finir mon ennui¨ chagrin;
Le poursuivre, le perdre¨ et mourir après lui. causer sa mort;
DR Eh bien, sans vous donner la peine de poursuivre¨ continuer;
Assurez-vous l'honneur de m'empêcher de vivre¨ me tuer;
Je t'ai fait une offense et j'ai dû m'y porter¨ le faire;
Pour effacer¨ ma honte¨ et pour te mériter. faire disparaître; déshonneur;
GH Ah! Rodrigue, il est vrai, quoique ton ennemie,
Je ne puis te blâmer¨ d'avoir fui l'infamie¨ critiquer; déshonneur;
Et de quelque façon qu’éclatent¨ mes douleurs se montrent;
Je ne t'accuse point, je pleure mes malheurs.¨ chagrin;
Je sais ce que l'honneur, après un tel outrage¨ offense;
Demandait a l'ardeur¨ d'un généreux¨ courage chaleur; noble;
Tu n'as fait le devoir que d'un homme de bien; `
Mais aussi, le faisant¨ tu m'as appris le mien. par cela;
DR Au nom d'un père mort, ou de notre amitié,
Punis~moi par vengeance, ou du moins par pitié.
Ton malheureux amant aura bien moins de peine¨ chagrin;
À mourir par ta main qu'à vivre avec ta haine¨ (contr.de:amour);
CH Va, je ne te hais point.
DR Va, je ne te hais point. Tu le dois.
CH Va, je ne te hais point. Tu le dois. Je ne puis.
DR Crains-tu¨ si peu le blâme,¨ et si peu les faux bruits? as-tu peur; critique;
CH Va-t'en, ne montre plus à ma douleur extrême¨ très grande;
Ce qu'il faut que ge perde, encore que¨ je l'aime. malgré que;
Rodrigue, qui l'eut cru?
DR Rodrigue, qui l'eut cru? Chimène qui l'eût dit?
CH Que notre heur¨ fût si proche et si tôt se perdit? bonheur;
Ah! mortelles douleurs!
DR Ah! mortelles douleurs! Ah! regrets¨ superflus¨ lamentations; inutiles;
CH Va-t'en, encore un coup¨ je ne t’écoute plus. une fois;
DR Adieu; je vais traîner¨ une mourante vie, mener;
Tant que, par ta poursuite, elle me soit ravie¨ prise;
DD Rodrigue, enfin le ciel permet que je te voie!
DR Hélas!
DD Hélas! Ne mêle point de soupirs¨ à ma joie. lamentations;
DR L'honneur vous en est dû, je ne pouvais pas moins.
Étant sorti de vous¨ et nourri¨ par vos soins votre fils; éduqué;
Ne me dites plus rien; pour vous j'ai tout perdu:
Ce que je vous devais, je vous l'ai bien rendu.
DD Porte, porte plus haut le fruit de ta victoire:
Je t'ai donne la vie, et tu me rends ma gloire;
Et d'autant que¨ l'honneur m'est plus cher que le jour, parce que;
D'autant plus maintenant je te dois de retour.
Mais d'un cœur magnanime¨ éloigne¨ ces faiblesses; noble; chasse;
Nous n'avons qu'un honneur, il est tant de maîtresses¨ ! femmes à aimer;
L'amour n'est qu'un plaisir, l'honneur est un devoir.
DR Ah! que me dites-vous?
DD Ah! que me dites-vous? Ce que tu dois savoir.
DR Mes liens¨ sont trop forts pour être ainsi rompus; relations;
Ma foi m'engage encore, si je n’espère plus.
Et ne pouvant quitter ni posséder Chimène
Le trepas¨ que je cherche est ma douce peine. mort;
DD Il n'est pas temps encor de chercher le trépas
Ton prince et ton pays ont besoin de ton bras¨ ; force;
La flotte¨ qu'on craignait, dans ce grand fleuve entrée, les bateaux(des Mores);
Croit surprendre la ville et piller¨ la contrée. ravager;
Les Mores vont descendre, et le flux¨ et la nuit courant;
Dans une heure à nos murs les amène sans bruit.
Dans ce malheur public mon bonheur a permis
Que j'ai trouvé chez moi cinq cents de mes amis.
Va marcher a leur tête ou l'honneur te demande:
C'est toi que veut pour chef leur généreuse¨ bande. noble;
Viens, suis-moi, va combattre, et montrer a ton roi
Que ce qu'il perd au Comte il le retrouve en toi.

 
ACTE IV
DF Généreux héritier¨ d'une illustre famille, enfant;
Qui fut toujours la gloire et l'appui¨ de Castille, défense;
Pour te récompenser¨ ma force est trop petite; payer de retour;
Et j'ai moins de pouvoir que tu n'as de mérite¨ capacités;
Le pays délivré d'un si rude ennemi,
Mon sceptre dans ma main par la tienne affermi¨ assuré;
Et les Mores défaits¨ avant qu'en ses alarmes battus;
J'eusse pu donner ordre à repousser¨ leurs armes, chasser;
Ne sont point des exploits¨ qui laissent à ton roi acte héroïque;
Le moyen ni l'espoir de s'acquitter¨ vers toi. payer de retour;
Mais deux rois, tes captifs¨ feront ta récompense. prisonniers;
Ils t'ont nommé tous deux leur Cid en ma présence.
Puisque¨ Cid en leur langue est autant que "seigneur", parce que;
Je ne t'envierai pas¨ ce beau titre d'honneur. suis pas jaloux;
Sois désormais¨ le Cid; qu'à ce grand nom tout cède;¨ à l'avenir; capitule;
Qu'il comble¨ d’épouvante¨ et Grenade et Tolède, remplit; peur;
Et qu'il marque¨ à tous ceux qui vivent sous mes lois fait savoir;
Et ce que tu vaux, et ce que je te dois.
Souffre¨ donc qu'on te loue¨ et de cette victoire; accepte; glorifie;
Apprends-moi plus au long la véritable histoire.
DR Sire, vous avez su qu'en ce danger pressant¨ urgent;
Qui jeta dans la ville un effroi¨ si puissant¨ terreur; grand;
Une troupe d'amis chez mon père assemblée¨ venu ensemble;
Sollicita¨ mon âme encor toute troublée...; demanda;
C'est de cette façon que, pour votre service ....
DA Sire, Chimène vient vous demander justice.
DF La fâcheuse¨ nouvelle et l’importun¨ devoir pénible; déplaisant;
Va, je ne la veux pas obliger¨ à te voir. mette dans la nécessité;
(Rodrigue se retire. À Chimène qui entre ...)
Ma fille, ces transports¨ ont trop de violence¨ fureur; intensité;
Quand on rend la justice, on met tout en balance:
On a tué ton père, il était l'agresseur;
Et la même équité¨ m'ordonne la douceur. justice;
CH Puisque vous refusez la justice a mes larmes,
Sire, permettez-moi de recourir¨ aux armes; employer;
C'est par la seulement qu'il a su m'outrager¨ offenser;
Et c'est aussi par là que je me dois venger.
A tous vos cavaliers¨ je demande sa tête: nobles;
Oui, qu'un d'eux me l'¨ apporte, et je suis sa conquête¨ =sa tête; pour lui;
Qu'ils le combattent, Sire, et le combat fini,
J’épouse¨ le vainqueur, si Rodrigue est puni. me marie avec;
DS_Accordez¨ cette grâce a l'ardeur¨ qui me presse, donnez; passion;
Madame, vous savez quelle est votre promesse.
DF Chimêne, remets-tu ta querelle¨ en sa main? conflit;
CH Sire, je l'ai promis.
DF Sire, je l'ai promis. Soyez prêt à demain.

 
ACTE V
CH Quoi! Rodrigue, en plein jour! d'où te vient cette audace¨ aplomb;
Va, tu me perds¨ d'honneur; retire-toi de grâce¨ fais perdre; s.v.p.;
DR Je vais mourir, Madame, et vous viens en ce lieu
Avant le coup mortel, dire un dernier adieu.
CH Tu vas mourir! Don Sanche est-il si redoutable¨ dangereux;
Qu'il donne l’épouvante¨ a ce cœur indomptable?¨ terreur; fier;
Qui t'a rendu si faible, ou qui le rend si fort?
Rodrigue va combattre, et se croit déjà mort!
DR J’ai toujours même cœur; mais je n'ai point de bras
Quand il faut conserver ce qui ne vous plaît pas.
Puisque, pour t’empêcher¨ de courir au trépas¨ retenir; mort;
Ta vie et ton honneur sont de faibles appas,¨ charmes;
Si jamais je t'aimai, cher Rodrigue, en revanche,¨ en compensation;
Défends-toi maintenant pour m’ôter a don Sanche;
Et si tu sens pour moi ton cœur encore épris¨ amoureux;
Sors vainqueur d'un combat dont Chimène est le prix.
CH Sire, il n'est plus besoin de vous dissimuler¨ cacher;
Ce que tous mes efforts ne vous ont pu celer¨ cacher;
J'aimais, vous l'avez su; mais pour venger mon père,
J'ai bien voulu proscrire¨ une tête si chère. chasser;
DF Ma fille, il ne faut point rougir d'un si beau feu¨ amour;
Ni chercher les moyens d'en faire un désaveu¨ négation;
Une louable¨ honte¨ en vain¨ t'en sollicite¨ juste; réserve; sans résultat; le veux de toi;
Ta gloire est dégagée¨ et ton devoir est quitte¨ ; libre; vengé;
Ton père est satisfait et c’était le venger
Que mettre tant de fois ton Rodrigue en danger.
Tu vois comme le ciel autrement en dispose¨ décide;
Ayant tant fait pour lui, fais pour toi quelque chose,
Et ne sois pas rebelle à mon commandement,
Qui te donne un époux¨ aimé si chèrement. mari;
CH Rodrigue a des vertus¨ que je ne puis haïr; qualités;
Et quand un roi commande, on lui doit obéir.
Mais a quoi que déjà vous m'ayez condamnée¨ obligée;
Pourrez-vous a vos yeux souffrir¨ cet hyménée?¨ tolérer; mariage;
DF Le temps assez souvent a rendu légitime
Ce qui semblait d'abord ne se pouvoir¨ sans crime semblait impossible;
Prends un an, si tu veux, pour essuyer tes larmes¨ porter le deuil;
Rodrigue, cependant il faut prendre les armes.
Et par tes grands exploits¨ fais-toi si bien priser¨ actes héroïques; glorifier;
Qu'il lui soit glorieux alors de t’épouser.

 

10.2. Quelques données sur Le Cid et son auteur

Quand Pierre Corneille publia, en l656, son Cid, les règles classiques étaient partout suivis:
unité de temps:
les événements de la pièce doivent se passer en vingt-quatre heures,
unité de lieu:
l’histoire doit se passer dans un seul endroit,
unité d'action:
toute scène et tout personnage doit être indispensable a l'intrigue.
Il est clair que Corneille s'est moqué¨ dans le Cid de toutes ces règles. Mais l’Académie française, fondée peu avant par le cardinal de Richelieu, avait écrit une critique officielle, sur l'ordre du même Richelieu, qui voulait mettre fin à la "querelle du Cid" entre les défenseurs et les adversaires¨ de la pièce. n'a pas pris au sérieux; les opposants;
Sentiments de l’Académie sur le Cid critiquent le manque d'observation¨ des règles classiques. obéissance;
Corneille a pris le sujet du Cid dans un "romancero"¨ espagnol du moyen-âge. Il écrivait la pièce pour les femmes des salons, flattant¨ leur goût¨ de l’héroïque. histoire épique; plaisant à; préférence;
Le héros cornélien fait toujours son devoir et il est "convaincu" que ce devoir, le principe qu'il est sûr suit, est juste. Et ce devoir contribue¨ à sa gloire. aide à agrandir;
Le héros cornélien ne peut aimer une femme que quand il peut avoir de l'estime¨ pour elle. Ainsi l'amour est base sur l'estime, c.a.d. sans respect, il n'y a pas d'amour possible. respect;

11. Molière

(Jean Baptiste POQUELIN)

11.1. Les précieuses ridicules (1659)

Personnages:
LG LA GRANGE, et
DC DU CROISY amants rebutés¨ refusés;
GO GORGIBUS, bon bourgeois
MA MADELON fille de Gorgibus, et
CA CATHOS, nièce de Gorgibus, précieuses ridicules
MA MAROTTE, servante des précieuses
AL ALMANZOR, laquais des précieuses
MS MASCARILLE, valet de La Grange
JO JODELET, valet de du Croisy

 
DC Seigneur La Grange.
LG Quoi?
DC Regardez-moi un peu sans rire.
LG Hé bien?
DC Que dites-vous de notre visite? En êtes-vous fort¨ satisfait¨ ? très; content;
LG À votre avis¨ avons-nous sujet¨ de l'être tous les deux? opinion; motif;
DC Pas tout à fait, à dire vrai.
LG Pour moi, je vous avoue¨ que j'en suis tout scandalisé.¨ A-t-on jamais vu, dites-moi, deux pecques¨ provinciales faire plus les renchéries¨ que celles-là, et deux hommes traités avec plus de mépris¨ que nous? reconnais; irrité; femme sotte; exagérées; irrespect;
DC Il me semble que vous prenez la chose fort¨ au cœur. très;
LG Sans doute, je l'y prends, et de telle façon, que je me veux venger de cette impertinence.¨ manque de respect;
DC Et comment?
LG J'ai un valet¨ nommé Mascarille, qui passe au nom de beaucoup de gens, ¨ pour une manière de bel esprit. serviteur; a la réputation;
DC Hé bien qu'en¨ prétendez~vous¨ faire? de lui; voulez-vous;
LG Ce que j'en prétends faire? Il faut... Mais sortons d'ici auparavant.¨ d'abord;

 
GO Hé bien! Vous avez vu ma nièce et ma fille? Les affaires iront-elles bien? Quel est le résultat de cette visite?
LG C'est une chose que vous pourrez mieux apprendre d'elles que de nous. Tout ce que nous pouvons vous dire c'est que nous vous rendons grâce¨ de la faveur¨ que vous nous avez faite, et demeurons vos très-humbles serviteurs. remercions; service;
DC Vos très-humbles serviteurs.
GO (seul) Ouais! il semble qu'ils sortent mal satisfaits¨ d'ici. D'où pourrait venir¨ leur mécontentement? Il faut savoir un peu ce que c'est. Holà! mécontents; quelle pourrait être la cause de;
MR (elle entre) Que désirez-vous, monsieur?
GO Ou sont vos maîtresses?
MR Dans leur cabinet.
GO Que font-elles?
MR De la pommade pour les lèvres.
GO C'est trop pommadé; dites-leur qu'elles descendent.
(seul)Ces pendardes¨ la, avec leur pommade, ont, je pense, envie¨ de me ruiner. méchantes; le besoin;
(aux filles, qui entrent) Il est bien nécessaire, vraiment de faire tant de dépense¨ pour vous graisser le museau¨ ! Dites-moi un peu ce tant d'argent; visage;
que vous avez fait à ces messieurs, que je les vois sortir avec tant de froideur?Vous avais-je pas commandé de les recevoir comme des personnes que je voulais vous donner pour maris?
MA Et quelle estime¨ mon père, voulez~vous que nous fassions du procédé¨ irrégulier¨ de ces gens-là? respect; manières; peu raisonnable;
CA Le moyen mon oncle, qu'une fille un peu normale pût s’accommoder de leur personne?
GO Et qu'y trouvez-vous à redire¨ ? critiquer;
MA La belle galanterie que la leur! Quoi! débuter¨ d'abord par le mariage? commencer;
GO Et par où¨ veux-tu qu'ils débutent? par le concubinage? N'est-ce pas un procédé¨ dont vous avez sujet¨ de vous louer¨ toutes deux aussi bien que moi? par quoi; manière de faire; raison; féliciter;
MA Ah! mon père, ce que vous dites là est du dernier¨ bourgeoisl! Cela me fait honte¨ de vous ouïr¨ parler de la sorte¨ et vous devriez un peu vous faire apprendre le bel air¨ des choses. très; choque; entendre; ainsi; aspect;
GO Je n'ai que faire¨ ni d'air, ni de chanson. Je te dis que le mariage est une chose sainte et sacrée, et que c'est faire en honnêtes gens, que de débuter par là. je ne m’intéresse pas;
MA Mon Dieu! que si tout le monde vous ressemblait, ¨ roman serait bientôt fini! La belle chose que ce serait, si d'abord Cyprus épousait Mandane, et qu'Aronce de plein pied¨ fut marié à Clélie!(2) était comme vous; immédiatement;
GO Que me vient conter celle-ci?
MA Mon père, voila ma cousine qui vous dira aussi bien que moi, que le mariage ne doit jamais arriver qu’après les autres aventures. Il faut qu'un amant, pour être agréable, sache débiter¨ les beaux sentiments, pousser¨ le doux, le tendre, et le passionné, et que sa recherche¨ soit dans les formes. exprimer, dire; produire; =r. de l'amour;
GO Quel diable de jargon¨ entends-je ici? Voici bien du haut style. langue spéciale;
CA GO En effet, mon oncle, ma cousine donne dans le vrai de la chose.¨ Le moyen de bien¨ recevoir des gens qui sont tout à fait incongrus¨ en galanterie!Je m'en vais gager qu'ils n'ont jamais vu la carte de Tendre, et que Billets-doux, Petits-soins, Billets-galants et Jolis-vers, sont des terres inconnues pour eux.(3) Je pense qu'elles sont folles toutes les deux, et je ne puis rien comprendre a ce baragouin¨ Cathos, et vous, Madelon... a raison; comment peut-on; ignorants; jargon;
MA Hé! de grâce¨ mon père, défaites vous de¨ ces noms étranges, et appelez-nous autrement. s.v.p.; n'employez plus;
GO Comment, ces noms étranges? Ne sont-ce pas vos noms de baptême?¨ premier sacrement;
MA Mon Dieu! que vous êtes vulgaire! Pour moi, un de mes étonnement, c'est que vous ayez pu faire une fille si spirituelle que moi. A-t-on jamais parlé dans le beau style de Cathos ni de Madelon, et ne m'avouerez¨ pas que ce serait assez d'un de ces noms pour décrier¨ le plus beau roman du monde? serez-vous pas d accord; rabaisser;
CA Il est vrai, mon oncle, qu'une oreille un peu délicate pâtit¨ furieusement à entendre prononcer ces mots là; et le nom de Polyxène que ma cousine a choisi, et Celui d'Aminte que je me suis donné, ont une grâce¨ dont il faut que vous demeuriez¨ d'accord. a beaucoup mal; charme; restiez;
GO Écoutez: il n'y a qu'un mot qui serve.¨ Je n'entends¨ point que vous ayez d'autres noms que ceux qui vous ont été donnés par vos parrains et marraines;¨ et pour ces messieurs dont il est question, je connais leurs familles et leurs biens, et je veux résolument que vous vous disposiez¨ à les recevoir pour maris. Et enfant, pour trancher¨ toutes sortes de discours, ou vous serez mariées toutes deux avant qu'il soit peu, ou, ma foi! vous serez religieuses; j'en fais un bon serment.¨ soit utile; veux; (ceux qui donnent le nom à un enfant; prépariez; mettre fin à; je le promets;
(Il sort)
CA Mon Dieu! ma chère, que ton père a la forme enfoncée dans la matière¨ ! que son intelligence est épaisse!¨ et qu'il fait sombre dans son âme! est matérialiste; peu;
MA Que veux-tu? j'en suis en confusion¨ pour lui. J'ai peine¨ à me persuader¨ que je puisse être véritablement¨ sa fille, et je crois que quelque aventure, un jour, viendra développer une naissance plus illustre.¨ troublée; des difficultés; me faire croire; vraiment; origine célèbre;
CA Je le croirais bien; oui, il y a toutes les apparences¨ et, pour moi, quand je me regarde ... air;
MR Voilà un laquais qui demande si vous êtes au logis¨ et dit que son maître veut venir vous voir.¨ à la maison; rendre visite;
MA Apprenez, sotte, à vous énoncer¨ moins vulgairement. Dites: Voilà un nécessaire qui demande si vous êtes en commodité¨ d'être visibles.¨ exprimer; état; recevoir;
MR Dame;¨ je n'entends point le latin, et je n'ai pas appris, comme vous, la filofie dans le grand Cyrus.¨ vraiment; (roman);
MA L'impertinente! Le moyen¨ de souffrir cela! Et qui est-il, le maître de ce laquais? comment peut on;
MR Il me l'a nommé le marquis de Mascarille.
MA Ah! ma chère! un marquis! Oui, allez dire qu'on nous peut voir. C'est sans doute un bel esprit qui aura ouï¨ parler de nous. entendu;
CA Assurément, ma chère.
MA Il faut le recevoir dans cette salle basse. Vite, venez nous tendre¨ ici dedans le conseiller des grâces. présenter;
MR Par ma foi!¨ je ne sais point quelle bête c'est là; il faut parler chrétien, si vous voulez que je vous entende. vraiment;
CA Apportez-nous le miroir, ignorante¨ que vous êtes, et gardez-vous bien d'¨ en salir la glace par la communication de votre image. stupide; faites tout pour ne pas;
MS (après avoir salue) Mesdames, vous serez surprises, sans doute, de l'audace¨ de ma visite, mais votre réputation vous attire cette méchante affaire, et le mérite a pour moi des charmes si puissant¨ que je valeur cours partout après lui. arrogance; forts;
MA Si vous poursuivez¨ le mérite, ce n'est pas sur nos terres que vous devez chasser. courez après;
CA Pour voir chez nous le mérite, il a fallu que vous l'y ayez amené.
MA Holà! Almanzor.
AL Madame.
MA Vite, voiturez-¨ nous les commodités¨ de la conversation. apportez; fauteuils;
MS Mais, au moins, y a-t-il sûreté ici pour moi?
CA Que craignez-vous?¨ de quoi avez-vous peur;
MS Quelque vol de mon cœur, quelque assassinat¨ de ma franchise.¨ Je vois ici des yeux qui ont la mine¨ d'être de fort¨ mauvais garçons, de faire insulte¨ aux libertés. meurtre; liberté; air; très; attaque;
MA Ma chère, c'est le caractère enjoué¨ gai, amusant;
CA Je vois bien que c'est un Amilcar.¨ (personnage de roman);
MA Ne craignez rien; nos yeux n'ont point de mauvais desseins¨ et votre cœur peut dormir en assurance sur leur prud'homie.¨ intentions; loyauté;
CA Mais de grâce, ¨ monsieur, ne soyez pas inexorable¨ à ce fauteuil qui vous tend¨ les bras il y a¨ un quart d'heure; contentez un peu l'envie¨ qu'il a de vous embrasser. s.v.p.; dur; présente; depuis; désir;
MS (après s'être peigné et avoir ajusté¨ ses canons¨ )-Hé bien! mesdames, que dites-vous de Paris? arrangé; ornements;
MA Hélas! qu'en pourrions-nous dire ?Il faudrait être l'antipode¨ de la raison, pour ne pas confesser¨ que Paris est le grand bureau des merveilles, le centre du bon goût, du bel esprit et de la galanterie. contraire; reconnaître;
MS Pour moi, je tiens¨ que hors Paris, il n'y a point de salut¨ pour les honnêtes gens. crois; bonheur;
CA C'est une vérité incontestable¨ certaine;
MS Vous recevez beaucoup de visites? Quel bel esprit est des vôtres¨ vient chez vous;
MA Hélas! nous ne sommes pas encore connues.
MS Ne vous mettez pas en peine.¨ Je veux établir¨ chez vous une académie de beaux esprits, et je vous promets qu'il ne se fera pas un bout de vers dans Paris, que vous ne sachiez par cœur avant tous les autres. Pour moi, tel que¨ vous me voyez, je m'en escrime¨ un peu quand je veux; et vous verrez courir¨ de ma façon¨ deux cents chansons, autant de sonnets, quatre cents épigrammes et plus de mille madrigaux, sans compter les énigmes et les portraits. ne vous faites pas de problèmes; installer; comme; pratique; circuler; main;
MA Je vous avoue¨ que je suis furieusement¨ pour les portraits; je ne vois rien de si galant que cela. reconnais; énormément;
MS Les portraits sont difficiles, et demandent un esprit profond; vous en verrez de ma manière¨ qui ne vous déplairont pas. Mais à propos, il faut que je vous dise un impromptu¨ que je fis hier chez une duchesse de mes amies que je fus¨ visiter; car je suis diablement fort sur les impromptus. main; poésie improvisée; étais allé;
CA L'impromptu est justement la pierre de touche¨ de l'esprit ce qui fait la valeur;
MS Écoutez donc
MA Nous y sommes de toutes nos oreilles.
MS Oh! Oh! je n'y prenais pas garde:¨ faisais pas attention;
Tandis que, sans songer¨ à mal, je vous regarde, penser;
Votre œil en tapinois¨ me dérobe mon cœur en cachette;
Au voleur! au voleur! au voleur! au voleur!
CA Ah! mon Dieu! voilà qui est poussé dans le dernier¨ galant. très;
MS Tous ce que je fais a l'air¨ cavalier;cela ne sent point le pédant. aspect;
MA Il en est éloigne¨ de plus de deux mille lieues à une distance;
MS Avez-vous remarqué¨ ce commencement? "Oh!oh!" voilà qui est extraordinaire; "oh! oh!" comme un homme qui s'avise¨ tout d'un coup, "oh!oh!", la surprise, "oh! oh!" signalé; comprend;
MA Oui, je trouve ce "oh! oh!" admirable.¨ excellent;
MS Il semble que cela ne soit rien.
CA Ah! mon Dieu! que dites-vous? Ce sont la de ces sortes de choses qui ne se peuvent payer.
MA Sans doute; et j'aimerais mieux avoir fait ce "oh! oh!" qu'un poème épique.
MS Tudieu! vous avez le goût bon.
MA Hé! je ne l'ai pas tout a fait mauvais.
MS Mais n'admirez-vous pas aussi "je n'y prenais pas garde"? "Je n'y prenais pas garde", j e ne m'apercevais¨ pas de cela; façon de parler naturelle, "je n'y prenais pas garde". "Tandis que, sans songer a mal", tandis qu'innocemment, sans malice¨ comme un pauvre mouton, "je vous regarde", c'est à dire, je m'amuse à vous considérer, je vous observe, je vous contemple; "votre œil en tapinois"... Que vous semble¨ de ce mot "tapinois"? N'est-il pas bien choisi? voyais; méchanceté; pensez-vous;
CA Tout à fait bien.
MS "Tapinois", en cachette; il semble que ce soit un chat qui vienne prendre une souris, "Tapinois".
MA Il ne se peut¨ rien de mieux. il n'y a;
MS "Me dérobe mon cœur", me l'emporte, me le ravit.
"Au voleur! au voleur! au voleur! au voleur" Ne diriez-vous pas que c'est un homme qui crie et court après un voleur pour le faire arrêter? "Au voleur! au voleur! au voleur! au voleur!"
MA Il faut avouer¨ que cela a un tour¨ spirituel et galant. reconnaître; aspect;
MS Tout ce que je fais me vient naturellement, ¨ c'est sans étude. par la nature;
MA La nature vous a traité en¨ vraie mère passionnée, et vous en êtes l'enfant gâté.¨ comme une; préféré;
MS A quoi donc passez-vous le temps?
CA A rien du tout.
MA Nous avons été jusqu'ici¨ dans un jeûne¨ effroyable¨ de divertissements?¨ maintenant; manque; très grand; amusements;
MS Je m'offre à vous mener l'un de ces jours à la comédie, si vos voulez; aussi bien¨ on en doit jouer une nouvelle que je serai bien aise¨ que nous voyions ensemble. Entre nous, j'en ai composé une que je veux faire représenter.¨ surtout parce que; content; jouer;
CA Héla! quels comédiens la donnerez-vous?
MS Belle demande! Aux grands comédiens; il n'y a qu'eux qui soient capables de faire valoir¨ les choses; les autres sont des ignorants qui récitent comme l'on parle; ils ne savent pas ronfler¨ les vers, et s'arrêter au bel endroit¨ et le moyen de¨ connaître où est le beau vers, si le comédien ne s'y arrête, et ne vous avertit¨ par la qu'il faut faire le brouhaha?¨ donner de la valeur; donner de la sonorité aux; place; comment; fait savoir; bruit;
CA En effet, il y a manière de faire sentir aux auditeurs les beautés d'un ouvrage; et les choses ne valent que ce qu'on les fait valoir.
MR Madame, on demande à vous voir
MA Qui?
MR Le vicomte de Jodelet.
MS Le vicomte de Jodelet?
MR Oui, monsieur.
CA Le connaissez-vous?
MS C'est mon meilleur ami.
MA Faites entrer vitement.
MS Il y a quelque temps que nous ne nous sommes vu, et je suis ravi¨ de cette aventure.¨ heureux; événement;
CA Le voici,
MS Ah! vicomte!
JO (s'embrassant l'un l'autre)-Ah! marquis!
MS Que je suis aise¨ de te rencontrer! heureux;
JO Que j'ai de joie¨ de te voir ici! plaisir;
MS Baise-¨ moi encore un peu, je te prie!¨ embrasse; s’il te plaît;
MA (à Cathos) Ma toute bonne, nous commençons d'être connues; voilà le beau monde qui prend le chemin de nous venir voir¨ rendre visite;
MS Mesdames, agréez¨ que je vous présente ce gentilhomme-ci:sur ma parole, il est digne¨ d’être connu de vous. Savez-vous, mesdames, que vous voyez dans le vicomte un des vaillants¨ hommes du siècle? C'est un brave à trois poils¨ permettez; assez noble; courageux; très courageux;
JO Vous ne m'en devez rien, ¨ marquis;et nous savons ce que vous savez faire aussi. vous êtes courageux aussi;
MS Il est vrai que nous nous sommes vus tous deux dans l'occasion.
JO Et dans des lieux¨ ou il faisait fort¨ chaud. places; très;
MS (regardant Cathos et Madélon)-Oui; mais non pas si chaud qu'ici. Ha, ha, ha!
JO Notre connaissance s'est faite à l’armée;et la première fois que nous nous vîmes, il commandait un régiment de cavalerie sur les galères de Malte.
MS Il est vrai;mais vous étiez pourtant dans l'emploi¨ avant que j'y fusse; et je me souviens que je n’étais que petit officier encore, que vous commandiez deux mille chevaux. Te souvient-il¨ vicomte de cette demi-lune¨ que nous emportâmes¨ sur les ennemis au siège¨ d'Arras? dans l’armée; rappelles-tu; ce fort; gagnâmes; attaque;
JO Que veux-tu dire avec ta demi-lune. C’était bien une lune tout entière.
MS Je pense que tu as raison.
JO Il m'en doit bien souvenir, ma foi¨ ! J'y fus blessé la la jambe d'un coup de grenade¨ dont je porte encore les marques!¨ Tâtez¨ un peu, de grâce¨ vous sentirez quel coup c’était là. vraiment; projectile; signes; mettez les doigt sur; s.v.p.;
CA (après avoir touché l'endroit)-Il est vrai que la cicatrice¨ est grande. marque d'une blessure;
MS Donnez-moi un peu votre main, et tâtez celui-ci; là justement derrière la tête. Y êtes-vous?
MA Oui, je sens quelque chose.
MS C'est un coup de mousquet¨ que je reçus la dernière campagne que j'ai faite. carabine;
JO (découvrant¨ sa poitrine)-Voici un autre coup qui me perça¨ de part en part"a l'attaque de Gravelines. déshabillant; perfora;
MS (mettant la main sur le bouton de son haut-de-chausses¨ )-Je vais vous montrer une furieuse plaie.¨ culotte; blessure;
MA Il n'est pas nécessaire; nous le croyons sans y regarder.
MS Ce sont des marques honorables qui font voir ce qu'on est.
CA Nous ne doutons pas de ce que vous êtes.
MS Vicomte, as-tu là ton carrosse?
JO Pourquoi?
MS Nous mènerions promener¨ ces dames hors des portes, ¨ et leur donnerions un cadeau¨ en excursion; (de Paris); ici: repas;
MA Nous ne saurions sortir aujourd'hui.
MS Ayons donc les violons pour danser.
JO Ma foi! c'est bien avisé¨ une bonne idée;
MA Pour cela, nous y consentons¨ mais il faut donc quel-que surcroît¨ de compagnie. sommes d'accord; supplément;
MS Holà! Champagne, Picard, Bourguignon, Sacsaret, Basque, La Verdure, Lorrain, Provençal, La Violette! Au diable soient tous les laquais! Je ne pense pas qu'il y ait gentilhomme plus mal servi que moi. Ces canailles me laissent toujours seul.
MA Almanzor, dites aux gens¨ de monsieur qu'ils aillent quérir¨ des violons, et nous faites venir ces messieurs et ces dames d'ici près¨ pour peupler¨ la solitude¨ de notre bal. (Almanzor sort) serviteurs; chercher; des voisins; remplir; manque de compagnie;
MS Vicomte, dis-moi un peu, y a-t-il longtemps que tu-n'as vu la comtesse?
JO Il y a plus de trois semaines que je ne lui ai rendu visite.
MS Sais-tu bien que le duc m'est venu voir ce matin et m'a voulu mener à la campagne courir¨ un cerf avec lui? faire la chasse d';
MA Voici nos amies qui viennent. Mon Dieu, mes chères, nous vous demandons pardon. Ces messieurs ont eu fantaisie de nous donner les âmes des pieds¨ et nous vous avons envoyé quérir¨ pour remplir les vides de notre assemblée¨ faire danser; chercher; réunion;
LU (Lucille, une des amies)Vous nous avez obligées¨ sans doute. fait plaisir;
MS Ce n'est ici qu'un bal à la hâte¨ mais l'un de ces jours nous vous en donnerons un dans les formes. organisé un peu vite;
Les violons sont-ils venus?
AL Oui, monsieur; ils sont ici.
CA Allons donc, mes chères, prenez place.
MS (dansant lui seul, comme par prélude)-La, la, la, la.
MA Il a tout à fait la taille élégante.
CA Et la mine de danser proprement.
MS (ayant pris Madélon pour danser)-Ma franchise¨ va danser la courante¨ aussi bien que mes pieds. En cadence, violons, en cadence. Oh! quels ignorants! Il n'y a pas moyen¨ de danser avec eux. Le diable vous emporte! ne sauriez-vous jouer en mesure¨ ? Là, la, la, la, la la la la la; ferme,¨ ô violons de village. liberté; (danse); il est impossible; cadence; finis;
JO Hola, ne pressez¨ pas si fort la cadence! je ne fais que sortir de maladie. rendez pas trop rapide;
LG (un bâton à la main)-Ah, ah! Coquins!¨ que faites-vous ici? Il y a trois heures que nous vous cherchons. méchants;
MS (se sentant battre)-Ahi!ahi! vous ne m'aviez pas dit que les coups en seraient aussi!¨ y seraient compris;
JO Ahi! ahi! ahi!
LG C'est bien à vous, infâme¨ que vous êtes, à vouloir faire¨ l'homme d'importance. méchant; jouer;
DC Voilà qui¨ vous apprendra à connaître.¨ ce qui; fera une leçon;
MA Que veut donc dire ceci? Quelle est donc cette audace¨ de venir nous troubler de la sorte¨ dans notre maison. arrogance; ainsi;
DC Comment! mesdames, nous endurerons¨ que nos laquais soient mieux reçus que nous; qu'ils viennent vous faire l'amour¨ à nos dépens¨ et vous donnent le bal? tolérerons; a cour; pour notre argent;
MA Vos laquais?
LG Oui, nos laquais; et cela n'est ni beau, ni honnête de nous les débaucher¨ comme vous faites. faire faire des excès;
MA O ciel! quelle insolence.¨ impertinence;
LG Mais ils n'auront pas l'avantage¨ de se servir de nos habits pour vous donner dans la vue;¨ et si vous les voulez aimer, ce sera, ma foi! pour leurs beaux yeux. (à ses serviteurs) Vite, qu'on les dépouille¨ sur le champ!¨ profit; plaire; déshabille; immédiatement;
JO Adieu notre braverie.¨ bravoure;
MS Voilà le marquisat et la vicomté à bas.¨ ruinés;
CA Ah!quelle confusion¨ ! gène, trouble;
MA Je crève¨ de dépit!¨ meurs; désillusion;
GO Ah! coquines¨ que vous êtes, vous nous mettez dans de beaux draps blancs¨ à ce que je vois; et je viens d'apprendre¨ de belles affaires, vraiment de ces messieurs qui sortent. méchantes; mauvaise situation; être informé;
MA Ah! mon père, c'est une pièce sanglante¨ qu'ils nous ont faite! choquante;
GO Oui, c'est une pièce sanglante, mais qui est un effet¨ de votre impertinence, infâmes! Ils se sont ressenti¨ du traitement que vous leur avez fait;et cependant, ¨ malheureux que je suis, il faut que je boive l'affront¨ résultat; ont été irrité; pendant cela; supporter;l' offense;
VIOLONISTE Monsieur, nous entendons¨ que vous nous contentiez¨ à leur défaut¨ pour ce que nous avons joué ici voulons; payiez; parce qu'ils ne le font pas;
GO (les battant)-Oui, oui, je vous vais contenter, et voici la monnaie¨ dont je vous veux payer. argent;
Et vous, pendardes¨ je ne sais qui me tient que je vous fasse autant;¨ nous allons servir de fable¨ et de risée de tout le monde; et voilà ce que vous vous êtes attiré par vos extravagances¨ Allez vous cacher, vilaines¨ allez vous cacher pour jamais!¨ méchantes; la même chose; être ridiculisés; absurdités; méchantes; toujours;
(Seul)
Et vous, qui êtes cause de leur folie,¨ sottes billevesées, ¨ pernicieux¨ amusements des esprits oisifs¨ romans, vers, chansons, sonnet et sonnettes, puissiez-vous être a tous les diables! sottise; non-sens; dangereux; inactifs;
Carte_du_tendre.png

11.2. L’école des femmes

Personnages:
AR ARNOLPHE, autrement M. DE LA SOUCHE,
AG AGNES, jeune fille innocente, élevée¨ par Arnolphe éduquée;
HO HORACE, amant d'Agnès
AL ALAIN, paysan, valet¨ d'Arnolphe serviteur;
GE GEORGETTE, paysanne, servante d'Arnolphe
CH CHRYSALDE, ami d'Arnolphe
EN ENRIQUE, beau-frère de Ghrysalde
OR ORONTE, père d'Horace, et grand ami d'Arnolphe

 
ACTE I
CH Voulez-vous qu'en ami je vous ouvre mon cœur?
Votre dessein¨ pour vous, me fait trembler de peur intention;
Et-de quelque façon que vous tourniez¨ l'affaire présentiez;
Prendre femme¨ est à vous un coup bien téméraire¨ vous marier; imprudent;
Et...
AR Mon Dieu! notre ami, ne vous tourmentez¨ point inquiétez;
Bien huppé¨ qui pourra m'attraper¨ sur ce point. habile; duper;
Je sais les tours rusés¨ et les subtiles trames¨ habiletés; intrigues;
Dont, pour nous en planter¨ savent user¨ les femmes duper; employer;
Et comme on est dupé par leurs dextérités.¨ habiletés;
Contre cet accident j'ai pris mes sûretés:
Et celle que j’épouse a toute innocence
Qui peut sauver mon front¨ de maligne¨ influence. ma personne; mauvaise;
Dans un petit couvent¨ loin de toute pratique pensionnat;
Je la fis élever selon ma politique;
C'est à dire, ordonnant quel soins¨ on emploîrait attention;
Pour la rendre¨ idiote autant qu'il se pourrait. faire;
Je l'ai donc après retirée; et, comme ma demeure¨ maison;
A cent sortes de monde¨ est ouverte à toute heure, gens;
Je l'ai mise à l'écart¨ comme il faut tout prévoir, loin du monde;
Dans cette autre maison où nul¨ ne me vient voir. personne;
Le résultat de tout est, qu'en ami fidèle,
Ce soir je vous invite a souper avec elle;
Je veux que vous puissiez un peu l'examiner¨ observer;
Et voir si ge mon choix on me doit condamner¨ critiquer;
CH J'y consens. ¨ suis d'accord;
AR J'y consens. ¨ Vous pourrez, dans cette conférence¨ conversation;
Juger¨ de sa personne et de son innocence. vous faire une idée de;
L'autre jour (pourrait-on se le persuader)¨ croire;
Elle était fort¨ en peine¨ et me vint demander, très; troublée;
Avec une innocence a nulle autre pareille¨ égale;
Si les enfants qu'on fait se faisaient par l'oreille.
CH Je me réjouis fort seigneur Arnolphe...
AR Je me réjouis fort seigneur Arnolphe... Bon!
Me voulez-vous toujours appeler de ce nom?
CH Ah! malgré que j'en aie,¨ il me vient à la bouche, mes efforts;
Et jamais je ne songe¨ à monsieur de La Souche. pense;
AR Adieu. Je frappe ici, pour donner¨ le bonjour, dire;
Et dire seulement que je suis de retour. (Il frappe)
(Chrysalde s'en va. Horace arrive)
AR Je me trompe! Nenni.¨ Si fait. Non, c'est lui-même, non;
Hor...
HO Hor... Seigneur Ar...
AR Hor... Seigneur Ar... Horace.
HO Hor... Seigneur Ar... Horace. Arnolphe.
AR Hor... Seigneur Ar... Horace. Arnolphe. Ah! Joie¨ extrême!¨ plaisir; très grand;
Et depuis quand ici?
HQ Et depuis quand ici? Depuis neuf jours.
AR Et depuis quand ici? Depuis neuf jours. Vraiment?
HO Je fus d'abord chez vous, mais inutilement.¨ sans résultat;
AR J’étais a la campagne.
HQ J’étais a la campagne. Oui, depuis dix journées.
AR Oh! comme les enfants croissent¨ en peu d’années! grandissent;
HO Vous voyez.
AR Vous voyez. Mais, de grâce,¨ Oronte, votre pere s.v.p.;
Mon bon et cher ami que j'estime et révère,¨ respecte;
Que fait-il? que dit-il? Est-il toujours gaillard?¨ joyeux;
HO Il est, seigneur Arnolphe, encore plus gai¨ que nous. joyeux;
Et j'avais de sa part une lettre pour vous.
AR (après avoir lu la lettre)
Sans qu'il prît le souci¨ de m'en écrire rien;¨ la peine; quelque chose;
Vous pouvez librement disposer de mon bien.
HO Je suis homme à saisir¨ les gens par leurs paroles, prendre;
Et j'ai présentement besoin de cent pistoles¨ (monnaie);
AR Ma foi, c'est m'obliger¨ que d'en¨ user¨ faire plaisir; ainsi; agir;
Et je me réjouis¨ de les avoir ici. suis heureux;
Gardez aussi la bourse.
HQ Gardez aussi la bourse. Il faut...
AR Gardez aussi la bourse. Il faut... Laissons ce style.
Hé bien, comment encore trouvez-vous cette ville?
HO A ne vous rien cacher de la vérité pure,
J'ai d'amour en ces lieu¨ eu certaine aventure. ici;
A Et c'est?
HO (lui montrant le logis d’Agnès devant lequel ils se trouvent)
Et c'est? Un jeune objet¨ qui loge en ce logis personne;
Dont vous voyez d'ici que les murs sont rougis;
C'est Agnès qu'on l'appelle.
AR C'est Agnès qu'on l'appelle. Ah!je crève¨ meurs;
HO C'est Agnès qu'on l'appelle. Ah!je crève¨ Pour l'homme,
C'est, je crois, de la Lousse, ou Source, qu'on le nomme;
Et l'on m'en a parlé comme d'un ridicule.
Le connaissez-vous point?
AR Le connaissez-vous point? La fâcheuse pilule!¨ chose désagréable;
HO Hé! vous ne dites mot?
AR Hé! vous ne dites mot? Hé oui, je le connais.
HO C'est-un fou, n'est-ce pas? Hé... Qu'en dites-vous? Quoi?
Vous me semblez chagrin! Serait-ce qu'en effet
Vous désapprouveriez¨ le dessein¨ que j'ai fait? ne seriez pas d'accord avec; plan;
AR Non, c'est que je songeais¨ pensais;
HO Non, c'est que je songeais¨ Cet entretien¨ vous lasse¨ conversation; fatigue;
Adieu. J'irai chez vous tantôt vous rendre grâce.¨ remercier;
AR (seul)Oh! oh! que j'ai souffert¨ durant cet entretien! eu mal;
Jamais trouble d'esprit ne fut égal au mien.
Mais, ayant souffert, je devais me contraindre¨ maîtriser;
Jusques à m’éclairer¨ de ce que je dois craindre, pour savoir;
A pousser¨ jusqu'au bout son caquet¨ indiscret, faire aller; conversation;
Et savoir pleinement leur commerce¨ secret, relation;

 
ACTE II
AR Venez Agnès
Venez Agnès Rentrez.¨ (à Alain et Georgette);
Venez Agnès Rentrez.¨ La-promenade est belle.¨ (à Agnès);
AG Fort¨ belle. très;
AR Fort¨ belle. Le beau jour.
AG Fort¨ belle. Le beau jour. Fort beau.
AR Fort¨ belle. Le beau jour. Fort beau. Quelle nouvelle?
AG Le petit chat est mort.
AR Le petit chat est mort. C'est dommage; mais quoi!
Nous sommes tous mortels et chacun est pour soi.
(après avoir un peu rêvé)¨ ici: médité;
Le monde, chère Agnès, est une étrange chose!
Voyez¨ la médisance¨ et comme chacun cause¨ prenez par exemple; accusations fausses; parle;
Quelques voisins m'ont dit qu'un jeune homme inconnu
Était en mon absence a la maison venu,
Que vous aviez souffert¨ sa vue et ses harangues;¨ toléré; conversations;
Mais je n'ai point pris foi sur¨ ces méchantes langues, cru à;
Et j'ai voulu gager que c’était faussement ...,
AG Mon Dieu! ne gagez pas, vous perdriez vraiment.
AR Quoi!c'est la vérité qu'un homme...?
AG Quoi!c'est la vérité qu'un homme...? Chose sûre.
Il n'a presque bougé de chez nous¨ je vous jure.¨ quitté la maison; assure;
AR (bas, à part)
Cet aveu¨ qu'elle fait avec sincérité déclaration;
Me marque pour le moins son ingénuité.¨ innocence;
(haut)
Mais il me semble, Agnès si ma mémoire est bonne,
Que J'avais défendu que vous vissiez personne.
AG Oui, mais, quand je l'ai vu, vous ignorez¨ pourquoi; ne savez pas;
Et vous auriez fait, sans doute, autant¨ que moi. la même chose;
AR Peut-être. Mais, enfin contez¨ moi cette histoire. racontez;
AG Elle est fort étonnante, et difficile à croire.
J’étais au balcon à travailler au frais¨ à l'air;
Lorsque je vis passer sous les arbres d’auprès¨ tout près;
Un Jeune homme, bien fait, qui rencontrant ma vue,¨ regard;
D'une humble¨ révérence aussitôt¨ me salue; respectueuse; immédiatement;
Moi, pour ne point manquer a la civilité,¨ respect;
Je fis la révérence aussi de mon côte.
AR Fort bien.
AG Fort bien. Le lendemain¨ étant sur notre porte jour après;
Une vieille m'aborde,¨ en parlant de la sorte:¨ s'adresse à moi; ainsi;
"Mon enfant, le bon Dieu puisse-t-il vous bénir¨ faire du bien;
"Et dans tous vos attraits¨ longtemps vous maintenir! beautés;
"Il ne vous a pas faite une belle personne
"Afin de¨ mal user¨ les choses qu'il vous donne; pour; employer;
"Et vous devez savoir que vous avez blessé
"Un cœur qui de s'en plaindre¨ est aujourd'hui forcé. en être mécontent;
AR (à Part)
Ah! Suppôt¨ de Satan! exécrable¨ damnée. complice; abominable;
AG "Moi, j'ai blesse quelqu'un!" fis-je tout étonnée.
"Oui, dit-elle, mais blessé tout de bon
"Et c'est l'homme qu'hier vous vîtes du balcon.
"En un mot, il languit¨ , le pauvre miserable; soufre;
"Et s'il faut, poursuivit la vieille charitable
"Que votre cruauté¨ lui refuse un secours¨ méchanceté; aide;
"C'est un homme à porter en terre dans deux jours
Voilà comme¨ il me vit, et reçut guérison. comment;
Vous-même, à votre avis¨ n'ai-je pas eu raison? opinion;
Et pouvais-je, après tout, avoir la conscience¨ responsabilité;
De le laisser mourir, faute¨ d'assistance? sans;
AR Chut.¨ De votre innocence, Agnès, c'est un effet silence;
Je ne vous en dis mot. Ce qui est fait est fait.
Mais enfin, apprenez qu'accepter des cassettes,¨ cadeaux;
Et des beaux blondins¨ écouter les sornettes,¨ garçon blond; paroles;
Que se laisser par eux, à force de langueur¨ par mélancolie;
Baiser ainsi les mains et chatouiller¨ le cœur, flatter;
Est un péché¨ mortel des plus gros qu'il se fasse. faute;
AG N'est-ce plus un péché lorsque l'on se marie?
AR Non.
AG Non. Mariez-moi donc promptement, je-vous prie.¨ s.v.p.;
AR Si vous le souhaitez,¨ je le souhaite aussi. désirez;
Et pour vous marier on me revoit ici.
AG Parlez-vous tout de bon?¨ sérieusement;
AR Parlez-vous tout de bon?¨ Oui, vous le pourrez voir.
AG Nous serons mariés?
AR Nous serons mariés? Oui.
AG Nous serons mariés? Oui. Mais quand?
AR Nous serons mariés? Oui. Mais quand? Dès¨ ce soir. déjà;
AG (riant)
Dès ce soir?
AR Dès ce soir? Dès ce soir. Cela vous fait donc rire?
AG Oui.
AR Oui. Vous voir bien contente est ce que je désire.
AG Hélas! que je vous ai grande obligation,
Et qu'avec lui j'aurai de satisfaction!
AR Avec qui?
AG Avec qui? Avec...Là...
AR Avec qui? Avec...Là... Là...Là n'est pas mon compte.¨ ce que je veux;
À choisir un mari vous êtes un peu prompte.
C'est un autre, en un mot, que je vous tiens tout prêt.¨ ai préparé;
Et quant au¨ monsieur-là, je prétends¨ s'il vous plaît, pour; veux;
Qu'avec lui désormais¨ vous rompiez¨ tout commerce.¨ à l'avenir; arrêtiez; Contact;

 
ACTE III
HO Je reviens de chez vous, et le destin¨ me montre Fortune;
Qu'il n'a pas résolu¨ que je vous y rencontre. décidé;
Mais j'irai tant de fois, qu'enfin quelque moment...
AR Hé! mon Dieu! n'entrons point dans de vains¨ compliments. inutiles;
C'est un maudit¨ usage¨ et la plupart des gens mauvais; tradition;
Y perdent sottement les deux tiers de leur temps.
Mettons donc sans façon¨ Hé bien!vos amourettes? compliments;
Puis-je, seigneur Horace apprendre où vous en êtes?
HO Ma foi, depuis qu'à vous s'est découvert mon cœur,
Il est a mon amour arrivé du malheur.
AR Oh!oh! comment cela?
HO Oh!oh! comment cela? La fortune cruelle
A ramené des champs¨ le patron de la belle. de la campagne;
AR Quel malheur!
HO Et de plus¨ à mon très grand regret,¨ deuxièmement; déplaisir;
Il a su de nous deux le commerce¨ secret¨ contacts; caché;
AR D'où, diantre,¨ a-t-il si tôt appris cette aventure? par le diable;
HO Je ne sais; mais enfin c'est une chose sûre.
Je pensais aller rendre, à mon heure à peu près,
Ma petite visite a ses jeunes attraits,¨ beautés;
Lorsque, changeant pour moi de ton et de visage,
Et servante et valet¨ m'ont bouché¨ le passage serviteur; fermé;
AR Ils n'ont donc point ouvert?
HO Ils n'ont donc point ouvert? Non, Et de la fenêtre
Agnès m'a confirmé¨ le retour de ce maître, assuré;
En me chassent de là d'un ton plein de fierté¨ arrogance;
Accompagné d'un grès¨ que sa main a jeté. pierre;
AR Comment d'un grès?
HO Comment d'un grès? D'un grès de taille¨ non petite dimension;
Dont on a, par sa main régalé¨ ma visite. rendue agréable (iron.);
Cette pierre ou ce grès dont vous vous étonniez
Avec un mot de lettre est tombée à mes pieds.
Trouvez-vous pas plaisant de voir quel personnage
A joué mon jaloux dans tout ce badinage?¨ jeu amusant;
Je puis, comme j'espère, à ce franc animal,
Ce traître, ce bourreau, ce faquin, ce brutal....
AR Adieu.
HO Adieu. Comment! si vite?
AR Adieu. Comment! si vite? Il m'est dans la pensée
Venu tout maintenant une affaire pressée.

 
ACTE IV
HO Je viens de l’échapper bien belle,¨ je vous jure. me tirer du danger;
Au sortir d'avec vous, sans prévoir l'aventure,
Seule dans son balcon j'ai vu paraître Agnès,
Qui des arbres prochains¨ prenait un peu le frais¨ tout près; air frais;
Après m'avoir fait signe, elle a su faire en sorte¨ s'arranger;
Descendant au jardin, de m'en ouvrir la porte.
Mais à peine¨ tous deux dans sa chambre étions-nous, pas une minute;
Qu'elle a, sur les degrés¨ entendu son jaloux. l'escalier;
Nous n'avons point voulu, de peur du personnage,
Risquer à nous tenir¨ ensemble d'avantage¨ rester; plus longtemps;
C’était trop hasarder¨ mais je dois, cette nuit, risquer;
Dans sa chambre un peu tard m'introduire sans bruit.
En toussant par trois fois je me ferai connaître;
Et je dois, au signal, voir ouvrir la fenêtre.
Comme à mon seul ami, je veux vous bien l'apprendre¨ le dire;
L’allégresse¨ du cœur s'augmente¨ la répandre¨ joie; grandit; communiquer;
Vous prendrez part, je pense, à l'heur¨ de mes affaires. bonheur;
Adieu. Je vais songer¨ aux choses nécessaires. penser;
AR Si son cœur m'est volé par ce blondin funeste,
J'empêcherai du moins qu'on s'empare¨ du reste. je ferai qu'on lui prenne pas;
Et cette nuit, qu'on prend pour ce galant exploit¨ acte héroïque;
Ne se passera pas si doucement qu'on croit..

 
ACTE V
HO Vous? vous, seigneur Arnolphe?
AR Vous? vous, seigneur Arnolphe? Oui. Mais vous?
HO Vous? vous, seigneur Arnolphe? Oui. Mais vous? C'est Horace
Je m'en allais chez vous vous prier d'une grâce.
Je viens vous avertir¨ que tout a réussi dire;
Et même beaucoup plus que je n'eusse osé dire,
Et par un incident qui devait tout détruire.¨ ruiner;
Je ne sais point par où l'on a pu soupçonner¨ avoir une idée;
Cette assignation¨ qu'on m'avait su donner. rendez-vous;
Mais, étant sur le point d'atteindre¨ la fenêtre, arriver à;
J'ai, contre mon espoir, vu quelques gens¨ paraître, serviteurs;
Qui, sur moi brusquement levant chacun le bras,
M'ont fait manquer le pied et tomber jusqu'en bas.
Ils ont cru tout de bon¨ qu'ils m'avaient assommé¨ sérieusement; tué;
Et chacun d'eux sien est aussitôt¨ alarmé. immédiatement;
Ils se sont retires avec beaucoup d'effroi;¨ peur;
Et comme je songeais¨ à me retirer, moi, voulais;
De cette feinte¨ mort la jeune Agnès émue;¨ simulée; émotionée;
Avec empressement¨ est devers¨ moi venue. énergie; vers;
Que vous dirai-je? Enfin cette aimable personne
A suivi les conseils que son amour lui donne,
N'a plus voulu songer¨ à retourner chez soi penser;
Et de tout son destin s'est commise¨ à ma foi.¨ abandonné; parole;
Ce que Je veux de vous, sous un secret fidèle
C'est que je puisse mettre en vos mains cette belle, _
Que dans votre maison, en faveur de¨ mes feux¨ au profit de; amour;
Vous lui donniez retraite au moins un jour ou deux,
AR Je suis, n'en doutez point, tout à votre service.
HO Vous voulez bien me rendre un si charmant office¨ ? service;
(à Agnès)
Ne soyez point en peine¨ où je vais vous mener; chagrin;
C'est un logement sûr que je vous fais donner.
Vous loger avec moi, ce serait tout détruire:¨ ruiner;
Entrez dans cette porte, et laissez-vous conduire.
(Arnolphe lui prend la main sans qu'elle le reconnaisse)
AG Pourquoi me quittez-vous?
HO Pourquoi me quittez-vous? Chère Agnès, il le faut.
AG Songez donc, je vous prie,¨ à revenir bientôt. S.v.p.;
Quand vous verrai-je donc?
HO Quand vous verrai-je donc? Bientôt, assurément.
AG Que je vais m'ennuyer¨ jusques à ce moment! être chagrine;
HO (s'en allant)
Grâce au ciel, mon bonheur n'est plus en concurrence.
Et je puis maintenant dormir en assurance.
AR (caché dans son manteau, et déguisant¨ sa voix) changeant;
Venez, ce n'est pas là que je vous logerai,
Et votre gîte¨ ailleurs¨ est par moi préparé. logis; à un autre place;
Je prétends en lieu sûr mettre votre personne. autre place
(Se faisant connaître)
Me connaissez-vous?
AG Me connaissez-vous? Hai!
AR Me connaissez-vous? Hai! Mon visage, friponne,¨ méchante;
Dans cette occasion rend vos sens effrayés¨ vous rend peureuse;
Et ce galant, la nuit, vous a donc enhardie?¨ encouragée;
Ah! coquine, en venir a cette perfidie!
Malgré tous mes bienfaits former un tel dessein!¨ plan;
Petit serpent que j'ai réchauffé dans mon sein¨ contre le cœur;
AG Pourquoi me criez-vous?
AR Pourquoi me criez-vous? J'ai grand tort, en effet!
AG Je n'entends point de mal¨ dans tout ce que j'ai fait je n'avais pas de mauvaises intentions;
AR Suivre un galant n'est pas une action infâme?
AG C'est un homme qui dit qu'il me veut pour sa femme;
J'ai suivi vos leçons, et vous m'avez prêche¨ appris;
Qu'il se faut marier pour ôter¨ le péché;¨ enlever; la faute;
AR Oui, mais pour femme, moi je prétendais¨ vous prendre; voulais;
Et je vous l'avais fait, me semble¨ assez entendre. je pense;
AG Mon Dieu! ce n'est pas moi que vous devez blâmer:¨ critiquer;
Que ne vous êtes-vous, comme lui, fait aimer?
AR Hé bien! faisons la paix, va, petite traîtresse¨ perfide;
Je te pardonne tout et te rends ma tendresse;¨ amour;
Considère¨ par là l'amour que j'ai pour toi, regarde;
Et, me voyant si bon, en revanche¨ aime-moi. de ton côté;
Je suis tout prêt, cruelle, à te prouver ma flamme.¨ amour;
AG Tenez, tous vos discours¨ ne me touchent point l’âme: paroles;
Horace avec deux mots en ferait plus que vous.
AR Ah! c'est trop me braver, trop pousser mon courroux¨ fureur;
Je suivrai mon dessein,¨ bête trop indocile,¨ intention; désobéissant;
Et vous dénicherez¨ à l'instant de la ville, quitterez;
(à Alain)
Trouvez une voiture. Enfermez-vous des mieux¨ très bien;
Et surtout gardez-vous¨ de la quitter des yeux. faites attention de ne pas;
(Seul)
Peut-être que son âme, étant dépaysée,¨ loin de tout;
Pourra de cet amour être désabusée.¨ guérie;
HO Ah! je viens vous trouver, accablé¨ de douleur¨ rempli; chagrin;
Le ciel, seigneur Arnolphe, a conclu¨ mon malheur décidé;
Pour arriver ici mon père a pris le frais;¨ dépensé l'argent;
J'ai trouvé qu'il mettait pied à terre ici près.
C'est qu'il m'a marié sans m'en écrire rien,
Et qu'il vient en ces lieux¨ célébrer ce lien.¨ ici; mariage;
Mon père ayant parlé de vous rendre visite,
L'esprit plein de frayeur¨ je l'ai devancê ¨ vite. peur; suis arrivé avant lui;
De grâce, gardez-vous de lui rien découvrir¨ ne lui parlez pas;
De mon engagement qui le pourrait aigrir.¨ irriter;
Et tâchez, comme en vous il prend grande créance¨ confiance;
De le dissuader¨ de cette autre alliance.¨ détourner; engagement;
AR Oui-da.
HO Oui-da. Conseillez-lui de différer¨ un peu. retarder;
Et rendez, en ami ce service a mon feu.¨ amour;
AR Oui, je vais vous servir de la bonne façon
HO Gardez encore un coup.¨ N'ayez aucun soupçon¨ un moment; méfiance;
(Arnolphe quitte Horace pour aller embrasser Oronte qui arrive)
OR Ah! que cette embrassade est pleine de tendresse¨ ! amitié;
AR Que je sens à vous voir une grande allégresse¨ joie;
OR Je suis ici venu..
AR Je suis ici venu.. Sans m'en faire le récit,¨ me le dire;
Je sais ce qui vous mène.¨ fait venir;
OR Je sais ce qui vous mène.¨ On vous l'a déjà dit?
AR Oui.
OR Oui. Tant mieux.
AR Oui. Tant mieux. Votre fils a cet hymen¨ résiste¨ mariage; est contraire;
Et son cœur prévenu¨ n'y voit rien que de triste. opposé;
l m a même prié¨ de vous en détourner; demandé;
Et moi, tout le conseil que je vous puis donner,
C'est de ne pas souffrir¨ que ce nœud¨ se diffère,¨ tolérer; mariage; soit retardé;
Et de faire valoir l’autorité de père.
Je vous ai conseillé, malgré tout son murmure¨ protestations;
D'achever l’hyménée.
OR D'achever l’hyménée. Oui. Mais pour le conclure¨ exécuter;
Si l'on vous a dit tout, ne vous a-t-on pas dit
Que vous avez chez vous celle dont il s'agit?¨ en question;
La fille qu'autrefois,¨ de l'aimable Angelique, au passé;
Sous des liens¨ secrets¨ eut le seigneur Enrique? mariage; caché;
AR Quoi!...
CH Quoi!... D'un hymen¨ secret ma sœur eut une fille, mariage;
Dont on cacha le sort¨ à toute la famille, existence;
Et qui, sous de feints¨ noms, pour ne rien découvrir, faux;
OR Par son époux,¨ aux champs¨ fut donnée à nourrir.¨ mari; à la campagne; éduquer;
CH Et dans ce temps, le sort,¨ lui déclarant la guerre, fatalité;
L obligea¨ força) de sortir de sa natale terre.;
OR Et de retour en France, il a cherché d'abord ça
Celle à qui de sa fille il confia le sort.¨ existence;
CH Et cette_paysanne a dit avec franchise¨ ouvertement;
Qu'en vos mains à quatre ans elle l'avait remise.¨ donnée;
OR Et vous allez, enfin, la voir venir ici,
Pour rendre aux yeux de tous ce mystère éclairci.
AR (s'en allant tout transporte,¨ et ne pouvant parler) furieux;
Ouff!
OR Ouff! D'où vient qu'il s'enfuit sans rien dire?
HO Ouff! D'où vient qu'il s'enfuit sans rien dire? Ah! mon père,
Vous saurez pleinement ce surprenant mystère.
J’étais, par des doux nœuds¨ d'une ardeur¨ mutuelle¨ engagement; amour; que l'un avait pour l'autre;
Engagé de parole avec que cette belle;
Et c'est elle, en un mot, que vous venez chercher,
Et pour qui mon refus a pensé vous fâcher
EN Je n'en ai point douté d'abord que je l'ai vue.
Et mon âme depuis n'a cessé¨ d’être émue. fini;
Ah! ma fille, je cède à des transports¨ si doux. émotions;
CH J'en ferais de bon cœur¨ mon frère, autant que vous. avec plaisir;

11.3. La critique de l'école des femmes

Personnages:
UR URANIE
EL ELISE
CL CLIMÈNE
LM LE MARQUIS
DO DORANTE ou LE CHEVALIER
LY LYSIDAS, poète
GA GALOPIN, laquais

 
CL Hé! de grâce¨ ma chère, faites-moi vite donne un siège.¨ s.v.p; chaise];
UR (à Galopin) Un fauteuil promptement.
CL Ah!mon Dieu!
UR Qu'est-ce donc?
CL Je n'en puis plus¨ je suis trop énervée;
UR Qu'avez-vous?
GL Le cœur me manque.
UR Sont-ce des vapeurs¨ qui vous ont prise? malaises;
CL Non.
UR Quel est donc votre mal, et depuis quand vous a-t-il pris.
CL Il y a plus de trois heures, et je l'ai rapporté du Palais-Royal.
UR Comment?
GL Je viens de voir, pour mes péchés, cette méchante rhapsodie de "l’École des Femmes". Je suis encore en défaillance¨ du mal de cœur que cela m'a donné et je pense que je n'en reviendrai plus¨ de quinze jours. malaise; serai plus guérie;
EL Voyez un peu comme les maladies arrivent sans qu'on y songe.¨ pense;
UR Je ne sais pas de quel tempérament nous sommes ma cousine et moi, mais nous fumes avant-hier à la même pièce, et nous en revînmes toutes deux saines¨ et gaillardes¨ en bonne santé; joyeuses;
GL Quoi! vous l'avez vue?
UR Oui et écoutée d'un bout à l'autre.
CL Ah! mon Dieu! que dites-vous là? Pour moi, je vous avoue¨ que je n'ai trouvé le moindre grain de sel¨ dans tout cela." Les enfants par l'oreille" m'ont paru d'un goût¨ détestable.¨ reconnais; ici: chose spirituel; style; blâmable;
UR Pour dire ma pensée, je tiens cette comédie pour une des plus plaisantes¨ que l'auteur ait produites. amusantes;
LM Votre petit laquais, madame, a du mépris¨ pour ma personne. (contraire de respect);
EL Il aurait tort¨ sans doute. n'aurait pas raison;
LM Sur quoi en étiez-vous¨ mesdames, lorsque je vous ai de quoi parliez vous;
interrompues?
UR Sur la comédie de "l’École des Femmes".
LM Je ne fais que¨ je viens)d'en sortir.;
GL Hé bien, monsieur, comment la trouves-vous, s.v.p.?
LM Tous à fait impertinente.
CL Ah! que j'en suis ravie¨ très contente;
LM Il ne s'est jamais fait, je pense, une si méchante comédie.
UR Ah! voici Dorante que nous attendions.
DO Ne bougez pas,¨ de grâce,¨ et n'interrompez point votre discours. Vous êtes là sur une matière qui, depuis quatre jours, fait presque l'entretien¨ de toutes les maisons de Paris, et jamais on n'a rien vu de si plaisant que la diversité des jugements¨ qui se font là dessus. Car enfin, j'ai ouï¨ condamner¨ cette comédie à certaines gens par les mêmes choses que j'ai vu d'autres estimer¨ le plus. restez assises; s.v.p; conversation; opinion; entendu; critiquer; apprécier;
UR Voila monsieur le marquis gui en dit force¨ mal. beaucoup de;
LM Il est vrai, je la trouve détestable¨ morbleu! détestable, du dernier¨ dêtestab1e, ce qu'on appelle détestable. abominable; très;
DO Et moi, mon cher marquis, je trouve le jugement¨ détestable. opinion;
LM Il ne faut que voir les continuels éclats de rire que le parterre¨ y fait. Je ne veux point d'autre chose pour témoigner¨ qu'elle ne vaut rien. (ou se trouve le peuple); montrer;
DO Tu es donc, marquis, de ces messieurs du bel air, qui ne veulent pas que le parterre ait du sens commun¨ et qui seraient fâchés d'avoir ri avec lui, fût-ce de la meilleure chose du monde? de l'intelligence;
LM Te voilà donc, chevalier, le défenseur du parterre? Parbleu! je m'en réjouis¨ et je ne manquerai pas de l'avertir¨ que tu es de ses amis. Hai, hai, hai, hai, hai. en suis content; lui dire;
DO Ris tant que tu voudras. Je suis pour le bon sens¨ et je ne saurais souffrir¨ les ébullitions de cerveau¨ de nos marquis de Mascarille. le raisonnable; tolérer; fantaisies;
LY Madame, je viens un peu tard; mais il m'a fallu¨ lire ma pièce chez madame la marquise dont je vous avais parlé; et les louanges¨ qui lui¨ ont été données, m'ont retenu une heure plus que je ne croyais. j'ai dû; compliments; (=à ma pièce);
EL C'est un grand charme que les louanges pour arrêter un auteur!
UR Mais sachons un peu les sentiments¨ de monsieur Lysidas. opinion;
LY Sur quoi, madame?
UR Sur le sujet de "l’École des Femmes".
LY Ah! ah!
DO Que vous en semble?¨ Qu'en pensez-vous;
LY Molière est bien heureux, monsieur, d'avoir un protecteur¨ aussi chaud que vous. Mais enfin, pour venir au fait, il est question¨ de savoir si la pièce est bonne, et je m'offre d'y montrer partout cent défauts. défenseur; important;
UR Mais de grâce, monsieur Lysidas, faites nous voir ces défauts, dont je ne me suis pas aperçue.¨ que je n'ai pas vu;
LY Ceux qui possèdent¨ Aristote et Horace, voient d'abord, madame, que cette comédie pèche¨ contre toutes les règles de l'art. ont étudié; fait des fautes;
DO Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles dont vous embarrassez¨ les ignorants,¨ et nous étourdissez¨ tous les jours. Il semble, à vous ouïr parler¨ que ces règles de l'art soient les plus grands mystères du monde; et"cependant¨ ce ne sont que quelques observations aisées¨ que le bon sens¨ a faites sur ce qui peut ôter¨ le plaisir que l'on prend a ces sortes pratiques de poèmes. troublez; peu intelligents; fatiguez; quand on vous entend; mais; faciles; raison; faire disparaître;
UR J'ai remarqué une chose de ces messieurs-là; c'est que ceux qui parlent le plus de règles, et qui les savent mieux que les autres, font des comédies que
personne ne trouve belles.
LY Est-il rien de si peu spirituel, ou, pour mieux dire, rien de si bas¨ que quelques mots ou tout le monde rit, et surtout celui des “enfants par l'oreille". plat;
CL Fort¨ bien. très;
LY Arnolphe ne donne-t-il pas trop librement son argent à Horace?Et puisque¨ c'est le personnage ridicule de la pièce, fallait-il lui¨ faire faire l'action d'un honnête homme? parce que; par lui;
LM Bon. La remarque est encore bonne.
DO Pour ce qui est des "enfants par l'oreille", ils ne sont plaisante que par réflexion¨ a Arnolphe; et l'auteur n'a pas mis cela pour être de soi un bon¨ mot, mais seulement une chose qui caractérise l’homme, et peint d'autant mieux son extravagance,¨ puisqu'il¨ rapporte une sottise triviale qu'a dite Agnès, comme la chose la plus belle du monde, et qui lui donne une joie inconcevable.¨ Quand à l'argent qu'il donne librement, outre¨ que la lettre de son meilleur ami lui est une cation¨ suffisante, il n'est pas incompatible¨ qu'une personne soit ridicule en de certaines choses et honnête homme en d'autres rapport; spirituel; excentricité; (=Arnolphe); incompréhensible; à coté; garanti; contradictoire;
LM Ma foi chevalier tu ferais mieux de te taire.¨ ne pas parler;
DO Fort bien. Mais enfin si nous nous regardions nous-mêmes, quand nous sommes bien amoureux...
LM Je ne veux pas t’écouter.
DO Écoutes-moi, si tu veux. Est-ce que dans la violence de la passion ...
LM La, la, la, la, (il chante)
UR Il se passe des choses assez plaisantes dans notre dispute. Je trouve qu'on pourrait bien faire une petite comédie, et que cela ne serait pas trop mal à la queue¨ de "L'École des Femmes". fin;
Do Vous avez raison.
UR Puisque Chacun en serait content, chevalier, faites Un mémoire de tout, et le donnez à Molière, que vous connaissez, pour le mettre en comédie.
DO Oui. Mais quel dénouement¨ pourrait-il trouver à ceci? fin;
GA Madame, on a servi sur table.
DO Ah! Voilà justement ce qu'il faut pour le dénouement!
UR La comédie ne peut pas finir mieux!

12. Blaise Pascal

12.1. Les provinciales(1657)

Lettres écrites à un provincial par un de ses amis sur le sujet des disputes présentes de la Sorbonne.

 
MONSIEUR,
Nous étions bien abusés.¨ Je ne suis détrompé¨ que hier; jusque-là, j'ai pensé que le sujet des disputes de Sorbonne était bien important, et d'une extrême¨ importance pour la religion. Tant d’assemblées¨ d'une compagnie aussi célèbre qu'est la Faculté¨ de Paris,où il s'est passé tant de choses si extraordinaires et si hors d'¨ exemple, en font concevoir¨ une si haute idée qu'on ne peut croire qu'il n'y en ait un sujet bien extraordinaire. dupés; tiré d'erreur; très grande; réunions; université; sans; former;
Cependant¨ vous serez bien surpris quand vous apprendrez¨ par ce récit¨ à quoi se termine¨ un si grand éclat;¨ et c'est ce que je vous dirai en peu de mots après m'en être parfaitement instruit.¨ mais; serez informé; rapport; finit; tumulte; informé;
On examine deux questions, l'une de fait, l'autre de droit.
Celle de fait consiste¨ à savoir si Monsieur Arnauld est téméraire¨ pour avoir dit dans sa seconde lettre "qu'il a lu exactement le livre de Jansénius,et qu'il n'y a point trouvé les propositions¨ condamnées¨ par le feu¨ pape; et néanmoins¨ que, comme il condamne ces propositions en quelque lieu¨ qu'elles se rencontrent, il les condamne dans Jansénius, si elles y sont." est; peu exact; thèses; défendues; qui est mort; cependant; où;
La question est de savoir s'il a pu sans témérité¨ témoigner¨ par là qu'il doute que ces propositions soient de Jansénius, après que ces messieurs les évêques ont déclaré qu'elles y sont. ici:tort; dire;
On propose l'affaire en Sorbonne, soixante et onze docteurs entreprennent sa défense,et soutiennent¨ qu'il n'a pu répondre autre chose. déclarent;
De l'autre part se sont trouvés quatre-vingts docteurs séculiers¨ et quelque quarante moines mendiants¨ qui ont condamné la proposition de Monsieur Arnauld sans vouloir examiner si ce qu'il avait dit était vrai ou faux, et ayant même déclaré qu'il ne s'agissait pas de la vérité,¨ mais seulement de la témérité¨ de sa proposition. prêtre; religieux; la vérité n’était pas en question; arrogance;
Pour la question de droit, elle semble bien plus considérable¨ en ce qu'elle touche¨ la foi.¨ Aussi¨ j'ai pris soin particulier¨ de m'en informer. Mais vous serez bien satisfait¨ de voir que c'est une chose aussi peu importante que la première. importante; a rapport à; religion; pour cela; attention spéciale; content;
Il s'agit¨ d'examiner ce que Monsieur Arnauld a dit dans la même lettre, "que la grâce, sans laquelle on ne peut rien,a manqué a Saint Pierre dans sa chute". Sur quoi nous pensions, vous et moi, qu'il était question d'examiner les plus grands principes de la grâce, comme si elle n'est pas donnée a tous les hommes, ou bien si elle est efficace; mais nous étions bien trompés.¨ Je suis devenu grand théologien en peu de temps, et vous en allez voir des marques. on doit; dupés;
Pour savoir la chose au vrai, je vis¨ Monsieur N., docteur de Navarre, qui demeure près de chez moi, qui est, comme vous le savez, des plus zélés¨ contre les Jansénistes; et, comme ma curiosité me rendait¨ presque aussi ardent¨ que lui, je lui demandai s'ils ne décideraient pas formellement que la grâce est donnée a tous les hommes afin¨ que on n’agitât¨ plus ce doute. Mais il me rebuta rudement et me dit que ce n’était pas la le point; qu'il y en avait de ceux de son côté qui tenaient que la grâce n'est pas donnée à tous; que les examinateurs mêmes avaient en pleine Sorbonne que cette opinion est problématique, et qu'il était lui-même dans ce sentiment¨ ce qu'il me confirma par ce passage, qu'il dit être célébré, de Saint Augustin: "Nous savons que la grâce n'est pas donnée a tous les hommes". j'ai rendu visite à; passionnés; faisait; passionné; pour faire; avançât; opinion;
Je lui fis excuse d'avoir mal pris son sentiment, et le priai de me dire s'ils¨ condamneraient donc pas au moins cette autre opinion des Jansénistes qui fait tant de bruit:¨ que la grâce est efficace, et qu'elle détermine¨ notre volonté a faire le bien". Mais je ne fus pas plus heureux en cette seconde question, "Vous n'y entendez¨ rien,me dit-il; ce n'est pas là une hérésie,¨ c'est une opinion orthodoxe; tous les Thomistes la tiennent¨ , et moi-même l'ai soutenue dans ma "Sorbonique". ces zélés; tumulte; décide; comprenez; fausse doctrine; défendent;
Je n'osai lui proposer mes doutes, et même je ne savais plus ou était la difficulté quand,pour m'en éclaircir¨ je le suppliai¨ de me dire en quoi consistait¨ l'hérésie de la proposition de Monsieur Arnauld. "C'est,ce me dit-il,en ce qu'il ne reconnaît¨ pas que les justes aient le pouvoir d'accomplir¨ les commandements de Dieu en la manière que nous l'entendons". informer; demandai; quelle était; accepte; réaliser;
Je le quittai après cette instruction,et, bien glorieux de savoir le nœud¨ de l'affaire, je fus¨ trouver Monsieur N., qui se porte de mieux en mieux,¨ et qui eut assez de santé pour me conduire chez son beau-frère, qui est Janséniste, et pourtant fort bon homme. Pour en être mieux reçu, je feignis¨ d'être fort des siens,¨ et lui dis: “Serait-il bien possible que la Sorbonne introduisît dans l’Église cette erreur, que tous les justes ont toujours le pouvoir d'accomplir les commandements? "Comment l'essentiel; j'allai; en bonne santé; simulai; d'accord;
parlez-vous? me dit mon docteur; appelez-vous erreur un sentiment si catholique, et que les seuls Luthériens et Calvinistes combattent? Et quoi! lui dis-je n'est-ce pas votre opinion? Non,me dit-il, nous anathématisons¨ comme hérétique et impie.¨ condamnons; anti-religieuse;
Il m'en parla si sérieusement que je ne pus en douter. Et, sur cette assurance, je retournai chez mon premier docteur, et lui dis, bien satisfait¨ que j’étais sûr que la paix serait bientôt en Sorbonne; que les Jansénistes étaient d’accord du pouvoir qu'ont les justes d'accomplir les préceptes¨ que j'en étais garant. "Tout beau" me dit-il, il faut être théologien pour en voir la fin. content; règles;
La différence est si subtile qu'à peine¨ pouvons-nous la marquer nous mêmes; vous auriez trop de difficulté à entendre. Contentez-vous donc de savoir que le Jansénistes vous diront bien que tous les justes ont toujours le pouvoir d'accomplir les commandements (Ce n'est pas de quoi nous disputons); mais ils ne vous diront pas que ce pouvoir soit prochain: c'est là le point. presque pas;
Ce mot me fut nouveau et inconnu. Jusque-là, j'avais entendu¨ les affaires, mais ce terme me jeta dans l'obscurité, et je crois qu'il n'a été invente que pour brouiller.¨ Je lui en demandai donc l’explication, mais il m'en fit un mystère, et me renvoya sans autre satisfaction¨ pour demander aux Jansénistes s'ils admettaient¨ ce pouvoir prochain. Je chargeai ma mémoire de ce terme; car mon intelligence n'y avait aucune part. compris; compliquer; explication; acceptaient;
Et de peur de l'oublier, je fus¨ promptement retrouver mon Janséniste, à qui je dis, immédiatement après les premières civilités¨ : "Dites-moi, je vous prie, si vous admettez le pouvoir prochain". Il se mit¨ à rire et me dit froidement: "Dites-moi vous-même en quel sens¨ vous l'entendez, et alors je vous dirai ce que j'en crois". j'allai; compliments; commença; signification;
Je le quittai, et fus d'abord chez un es disciples de Monsieur le Moine.
Je le suppliai¨ de me dire ce que c’était qu'avoir le pouvoir prochain de faire quelque chose. "Cela est aisé ¨ me dit-il; c'est avoir tout ce qui est nécessaire pour la faire, de telle sorte¨ qu'il ne manque rien pour agir. Et ainsi,lui dis-je, avoir le pouvoir prochain de la réaliser de passer une rivière, c'est avoir un bateau, des bateliers, des rames et le reste,en sorte que rien ne manque. Fort bien, me dit-il. Et, par conséquent¨ continuai-je, quand vous dites que tous les justes ont toujours le pouvoir prochain d'observer les commandements, vous endentez donc qu'ils ont toujours toute la grâce nécessaire pour les accomplir; en sorte qu'il ne leur manque rien pour prier Dieu? Attendez, me dit-il, ils ont toujours tout ce qui est nécessaire pour les observer, ou du moins pour prier Dieu lui dis-je; ils ont tout ce qui est nécessaire pour prier Dieu de les assister¨ sans qu'il soit nécessaire qu'ils aient aucune nouvelle grâce de Dieu pour prier Dieu. Vous l'entendez, me dit-il. Mais il n'est donc pas nécessaire qu'ils aient une grâce efficace pour prier Dieu? Non, me dit-il, suivant Monsieur le Moine". demandai; facile; maniéré; en conséquence de cela; aider;
Pour ne point perdre de temps, j'allai aux Jacobins, et demandai¨ ceux que je savais être les nouveaux Thomistes. Je les priai de me dire ce que c'est que pouvoir prochain. "N'est-ce pas celui,leur dis-je, auquel il ne manque rien pour agir? Non, me dirent-ils. Mais quoi! mon Père, s'il manque quelque chose à ce pouvoir,l 'appelez-vous prochain, et diriez-vous par exemple, qu'un homme ait, la nuit, et sans aucune lumière, le pouvoir prochain de voir? Oui-da, il l'aurait, selon nous, s'il n'est pas aveugle. Je le veux bien¨ leur dis-je; mais Monsieur le Moine l'entend d'une manière contraire. Il est vrai,me dirent-ils mais nous l'entendons ainsi. demandai à voir; suis d'accord;
J'y consens¨ leur dis-je, car je ne dispute jamais du nom, pourvu¨ qu'on m'avertisse¨ du sens¨ qu'on lui donne; mais je vois par la que, quand vous dites que les justes ont toujours le pouvoir prochain pour prier Dieu, vous entendez qu'ils ont besoin d'un autre secours¨ pour prier Dieu,sans quoi ils ne prieront jamais. suis d'accord; à condition; informe; signification; aide;
Voilà qui va bien, me répondirent mes Pères en m'embrassant, voilà qui va bien; car il leur faut de plus une grâce efficace, qui n'est pas donnée à tous, et qui détermine¨ leur volonté à prier. Et c'est une hérésie de nier¨ la nécessité de cette grâce efficace pour prier. décide; rejeter;
Voilà qui va bien, leur dis,je à mon tour, les Jansénistes sont catholiques, et monsieur le Moine hérétique: car les Jansénistes disent que les justes ont le pouvoir de prier, mais qu'il faut pourtant une grâce efficace, et c'est ce que vous approuvez¨ et Monsieur le Moine dit que les justes prient sans grâce efficace; et c'est ce que vous condamnez.-Oui, dirent-ils mais Monsieur le trouvez bon;
Moine appelle ce pouvoir pouvoir prochain.
Mais quoi! mes Pères, leur dis-je, c’est se jouer des paroles¨ de dire que vous êtes d'accord à cause des termes communs¨ dont vous usez¨ quand vous êtes contraires dans le sens". Mes Pères ne répondirent rien. mots; identiques; vous servez;

12.2. Les pensées

GRANDEUR ET MISÈRE DE L'HOMME
Disproportion de l'homme.
Que l'homme contemple¨ la nature entière¨ dans sa haute et pleine majesté; qu'il éloigne¨ sa vue des objets bas qui l'environnent.¨ Qu'il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle¨ pour éclairer l'univers; que la terre lui paraisse comme un point au prix du¨ vaste¨ tour que cet astre décrit"et qu'il s’étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'une pointe délicate à l’égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. examine; totale; détourne; Sont autour de lui; durable; comparé au; grand;
Que l'homme, étant revenu a soi, considère¨ ce qu'il est au prix de ce qui est; qu'il se regarde comme égaré¨ dans ce canton détourné de la nature; et que ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer¨ la terre, les royaumes, les villes et soi-même apprécier son juste prix. Qu'est-ce qu'un homme sans l'infini? examine; perdu; apprécier;
Qui se considérera de la sorte¨ s'effraiera¨ de soi-même, et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, il tremblera dans la vue de ces merveilles.¨ cette manière; aura peur; miracles;
Voila notre véritable état.¨ C'est ce qui nous rend¨ incapable de savoir certainement et d'ignorer¨ absolument. situation; fait; ne pas savoir;
Ne cherchons point, d'assurance¨ et de fermeté. Notre raison est toujours déçue¨ par l'inconstance des apparences¨ rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis qui l'enferment et qui le fuient. certitude; désillusionnée; choses vues;

 
Vanité de l'homme.
Nous ne nous contentons pas de la qualité de la vie que nous avons en nous et en notre propre être: nous voulons vivre dans l’idée des autres d'une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paraître. Nous travaillons incessamment¨ à embellir¨ et conserver notre être imaginaire et négligeons le véritable. toujours; rendre plus beau;
La vanité est si ancrée dans le cœur de l'homme,qu'un soldat, un cuisinier se vante et veut avoir des admirateurs; et les philosophes mêmes en veulent;et ceux qui écrivent contre, veulent avoir la gloire d'avoir bien écrit et ceux qui le lisent, veulent avoir la gloire de l'avoir lu; et moi, qui écris ceci, ai peut-être cette envie;et peut-être que ceux qui le liront ...

 
Faiblesse de l'homme.
Ce qui m’étonne le plus est de voir que tout le monde n'est pas étonne de sa faiblesse.
On agit¨ sérieusement, et chacun suit sa condition¨ non pas parce qu'il est bon en effet¨ de la suivre puisque la mode en est; mais comme si chacun savait certainement où est la raison et la justice. travaille; situation; en vérité;

 
Misère de l'homme.
On charge les hommes,dès¨ l'enfance, du soin¨ de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et encore du bien et de l'honneur de leurs amis. On les accable¨ d'affaires, de l'apprentissage des langues et d'exercices¨ et on leur fait entendre qu'ils ne sauraient être heureux sans que leur santé, leur honneur, leur fortune et celle de leurs amis soient en bon état, et qu'une seule chose qui manque leur rendrait malheureux. déjà pendant; devoir; surcharge; études pratiques;
A.P.R.¨ , les grandeurs et les misères de l'homme sont tellement visibles, qu'il faut nécessairement que la véritable religion nous enseigne¨ et qu'il y a quelque grand principe de grandeur en l'homme, et qu'il y a un grand principe de misère. Il faut donc qu'elle nous rende raison¨ de ces étonnantes contrariétés. à Port-Royal; apprenne; explique;
Il faut que, pour rendre l'homme heureux, elle lui montre qu'il y a un Dieu; qu'on est obligé¨ de l'aimer; que notre vraie félicité¨ est d’être en lui, et notre unique mal d'être séparé de lui. Qu'on examine sur cela¨ toutes les doit; bonheur; ce point;
religions du monde, et qu'on voie s'il y en a une autre que la chrétienne qui y satisfasse.¨ réalise ces conditions;

 
SECONDE PARTIE: QUE L'HOMME SANS LA FOI¨ NE PEUT CONNAITRE LE VRAI BIEN,NI LA JUSTICE. croyance religieuse;

 
Tous les hommes recherchent d'être heureux; cela est sans exception; quelque¨ différents moyens¨ qu'ils emploient, ils tendent¨ tous a ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre, et que les autres n'y vont pas, est ce même désir, qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues.¨ La volonté ne fait jamais la moindre démarche¨ que vers cet objet.¨ C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre. si; procédés; veulent arriver; manières de voir; pas; but;
Et cependant¨ ,depuis un si grand nombre d années, jamais personne,sans la foi, n'est arrivé à ce point ou tous visent¨ continuellement. Tous se plaignent¨ : princes, sujets; nobles, roturiers; vieux, jeunes; forts, faibles; savants, ignorants; sains, malades; de tous pays, de tous les temps, de tous âges et de toutes conditions.¨ malgré cela; veulent arrive; expriment leur mécontentement; classes sociales;
Une épreuve¨ si longue, si continuelle et si uniforme, devrait bien nous convaincre de¨ notre impuissance d'arriver au bien¨ par nos efforts; mais l'exemple nous instruit¨ peu. malheur; faire accepter; bonheur; apprend;
Sans ces divines¨ connaissances, qu'ont pu faire les hommes sinon, ou s’élever dans le sentiment intérieur qui leur reste de leur grandeur passée, ou s'abattre¨ dans la vue de leur faiblesse présente? Car,ne voyant pas la vérité entière, ils n'ont pu arriver à une parfaite vertu.¨ Les uns considérant¨ la nature comme incorrompue¨ ; les autres comme irréparable,¨ ils n'ont pu fuir,¨ ou l'orgueil,¨ ou la paresse,¨ qui sont les deux sources¨ de tous les vices.¨ de Dieu; se décourager; bonté; regardant; bonne; mauvaise; échapper à; sentiment de supériorité; préférence pour l'inaction; origines; mauvaises qualités;
La seule religion chrétienne a pu guérir ces deux vices, non pas en chassant l'un par l'autre, par la sagesse de la terre, mais en chassant l'un et l'autre par la simplicité de l’Évangile.
Qu'il est plus avantageux de croire que de ne pas croire
ce qu'enseigne la religion chrétienne
Qui blâmera¨ donc les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de¨ leur créance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison? Ils déclarent, en l'exposant¨ au monde que c'est une sottise, stultitiam; et puis,vous vous plaignez¨ de ce qu'ils ne la prouvent¨ pas! S'ils la prouvaient, ils ne tiendraient pas parole; c'est en manquant de preuves¨ qu'ils ne manquent pas de sens. critiquera; expliquer; décrivant; êtes mécontent; montrent; faits certains;
"Oui, mais encore¨ que cela excuse ceux qui l'offrent¨ telle, et que cela les ôte de blâme¨ de la produire sans raison, cela n'excuse pas ceux qui la reçoivent". malgré le fait; présentent; excuse;
Examinons donc ce point,et disons: "Dieu est, ou il n'est pas". Mais de"quel côté pencherons¨ nous? La raison n'y peut rien déterminer;¨ il y a un chaos infini qui nous sépare.Il se¨ joue un jeu,à l'extrémité¨ de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile.¨ Que gagerez-¨ vous? préférons; décider; on; bout; (les deux faces d'une monnaie); choisirez;
Par raison, vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre; par raison,vous ne pouvez défendre nul des deux. Ne blâmez¨ donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix; car vous n'en savez rien. critiquez;
"Non;mais je les blâmerai d'avoir fait, non ce choix,mais un choix; car encore¨ que celui qui prend croix et l'autre soient en pareille¨ faute, ils sont tous deux en faute; le juste est de ne malgré le fait; identique;
pas parier"
Oui; mais il faut parier. Cela n'est pas choisir volontaire; vous êtes embarqué.¨ Lequel prendrez-vous donc? Voyons. Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins.¨ Vous avez deux choses à perdre: le vrai et le bien, et deux choses à engager:¨ votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude,¨ et votre nature a deux choses à fuir: l'erreur et la misère. Votre raison n'est plus blessée en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé.¨ Mais votre béatitude? Pesons¨ le gain¨ et la perte, en prenant croix que Dieu est.Estimons¨ ces deux cas:¨ si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter.¨ "Cela est admirable. Oui, il faut gager; mais je gage peut-être trop" Voyons. Puis-qu'il y a pareil¨ hasard¨ de gain et de perte,si vous n'aviez qu'à gagner deux vies pour une, vous pourriez encore gager, mais s'il y en avait trois a gagner, il faudrait jouer (puisque vous êtes dans la nécessité de jouer), et, vous seriez imprudent, lorsque vous êtes forcé à jouer, de ne pas hasarder¨ votre vie pour en gagner trois àa un jeu ou il y a un pareil hasard de perte et de gain. Mais il y a une éternité¨ de vie et de bonheur. engagé; est de la plus petite importance; mettre en jeu; bonheur; décidé; évaluons; profit; examinons; possibilités; être indécis; identique; chance; risquer; durée infinie;

 
JESUS-CHRIST.
Preuve de Jésus-Christ par les prophéties.
La plus grande des preuves de Jésus Christ sont les prophéties. C'est aussi à quoi¨ Dieu a le plus pourvu,¨ car l’événement qui les a remplies¨ est un miracle subsistant¨ depuis la naissance de l’Église jusques a la fin. Aussi¨ Dieu a suscité¨ les prophètes durant seize cents ans; et, pendant quatre cents ans après,i1 a dispersé¨ toutes ces prophéties, avec tous les Juifs qui les portaient dans tous les lieux du monde. ce que; donné; réalisées; infini; c'est pourquoi; appelé; envoyé;
Après que bien des gens sont venus devant,¨ il est venu enfin Jésus-Christ dire:"Me voici, et voici le temps. Ce que les prophètes ont dit devoir avenir¨ dans la suite des temps,¨ je vous dis que mes apôtres le vont faire. Les Juifs vont être rebutés,¨ Jérusalem sera bientôt détruite,¨ et les païens vont entrer dans la connaissance de Dieu. avant lui; qu'il va arriver; histoire; rejetés; ravagée;
Alors Jésus-Christ vient dire aux hommes qu'ils n'ont point d'autres ennemis qu’eux-mêmes, que ce sont leurs passions qui les séparent de Dieu, qu'il vient pour les détruire, et pour leur donner sa grâce, afin¨ de faire d'eux tous une Église sainte. dans le but;

13. Jean Racine

13.1. Andromaque (1667)


 
Personnages:
AN ANDROMAQUE, veuve d'Hector,captive de Pyrrhus
PY PYRRHUS, fils d'Achille, roi d’Épire
OR ORESTE, fils d'Agamemnon
HE HERMIONE,fille d’Hélène, fiancée de Pyrrhus
PL PYLADE,ami d'Oreste
CL CLEONE, confidente d'Hermione
CE CÉPHISE, confidente d'Andromaque
PH PHOENIX, gouverneur d’Achille, puis de Pyrrhus.

 
ACTE PREMIER
OR Avant que tous les Grecs vous parlent par ma voix,
Souffrez¨ que j'ose ici me flatter¨ de de leur choix, permettez; être charmé;
Et qu'à vos yeux, seigneur, je montre quelque joie
De voir le fils d'Achille et le vainqueur¨ de Troie. triomphateur;
Oui, comme ses exploits,¨ nous admirons vos coups. acte héroïque;
Hector tomba sous lui, Troie expira¨ sous vous; mourut;
Et vous avez montré, par une heureuse audace,¨ courage;
Que le seul fils d'Achille a pu remplir sa place.
Mais ce qu'il n'eut¨ point fait, la Grèce, avec douleur,¨ aurait; tristesse;
Vous voit du sang Troyen relever¨ le malheur, réparer;
Ne vous souvient-il¨ plus seigneur, quel fut Hector? vous rappelez-vous;
Nos peuples affaiblis s'en souviennent encor.
Son nom seul fait frémir¨ nos veuves et nos filles, trembler;
Et dans toute la Grèce il n'est point¨ de familles il n'y a pas;
Qui ne demandent compte à ce malheureux fils
D'un père ou d'un époux¨ qu'Hector leur a ravis.¨ mari; tué;
Et qui ait ce qu'un jour ce ils peut entreprendre¨ ? faire;
Peut-être dans nos ports nous le verrons descendre.
Enfin de tous les Grecs satisfaites¨ l'envie¨ contentez; désir;
Assurez leur vengeance, assurez votre vie
Perdez¨ un ennemi d'autant plus dangereux tuez;
Qu'il essaiera sur vous à combattre contre eux.
PY La Grèce en ma faveur¨ est trop inquiété¨ pour moi; alarmée;
De soins¨ plus importants je l'ai crue agitée,¨ alarmes; troublée;
Seigneur; et, sur le nom de son ambassadeur,
J'avais dans ses projets conçu¨ plus de grandeur. cru;
Qui croirait, en effet, qu'une telle entreprise¨ affaire;
Du fils d'Agamemnon méritât¨ l'entremise;¨ dut avoir; intervention;
Qu'un peuple tout entier, tant de fois triomphant,
N'eût daigné¨ conspirer¨ que la mort d'un enfant? voulu; préparer;
Oui, seigneur, lorsqu'au pied des murs fumants de Troie,
Les vainqueurs tout sanglants partagèrent leur proie,
Le sort¨ dont les arrêtes¨ furent alors suivis, fortune; décisions;
Fit tomber en mes mains Andromaque et son fils.
Ah! si du fils d'Hector la perte¨ était jurée,¨ mort; décidée;
Pourquoi d'un an entier l'avons-nous différée¨ ? retardée;
Non, seigneur; que les Grecs cherchent quelque autre proie;
Qu'ils poursuivent ailleurs¨ ce qui reste de Troie. dans un autre lieu;
OR Ainsi la Grèce en vous trouve un enfant rebelle?
PY Et je n'ai donc vaincu¨ que pour dépendre d'elle? triomphé;
OR Hermione, seigneur arrêtera vos coups:¨ fantaisies;
Ses yeux s'opposeront entre son père et vous.
PY Hermione, seigneur, peut m'être toujours chère;
Je puis l'aimer, sans être esclave¨ de son père. dépendre;
Vous pouvez cependant voir la fille d’Hélène:
Du sang qui vous unit je sais l’étroite chaîne.¨ relation;
Après cela, seigneur, je ne vous retiens¨ plus fais rester;
Et vous pourrez aux Grecs annoncer mon refus.
(Oreste sort)
PH Ainsi vous l'envoyez aux pieds de sa maîtresse¨ ? femme qu'il aime;
PY On dit qu'il a longtemps brûlé pour¨ la princesse. aimé;
PH Seigneur...
PY Seigneur... Une autre fois je t'ouvrirai mon âme¨ ; cœur;
Andromaque paraît.¨ Me cherchiez-vous, madame? arrive;
Un espoir si charmant me serait-il permis?
AN Je passais¨ jusqu'aux lieux¨ où l'on garde mon fils. allais; à la place;
Puisqu'une fois le jour vous souffrez¨ que je voie permettez;
Le seul bien qui me reste et d'Hector et de Troie,
J'allais, seigneur, pleurer un moment avec lui:
Je ne l'ai point encore embrassé aujourd'hui!
PY Ah! madame, les Grecs, si j'en crois leurs alarmes¨ agitation;
Vous donneront bientôt d'autres sujets¨ de larmes¨ motifs; pleurs;
Leur haine¨ pour Hector n'est pas encore éteinte:¨ aversion; calmé;
Ils redoutent¨ son fils. ont peur de;
AN Ils redoutent¨ son fils. Digne¨ objet de leur crainte¨ ! juste; peur;
Un enfant malheureux, qui ne sait pas encore
Que Pyrrhus est son maître, et qu'il est fils d'Hector!
PY Madame, mes refus ont prévenu vos larmes.¨ pleurs;
Tous les Grecs m'ont déjà menacé¨ de leurs armes. cherché à m'intimider;
Mais, parmi ces périls¨ où je cours pour vous plaire, dangers;
Me refuserez-vous un regard moins sévère?¨ dur;
Je vous offre¨ mon bras. Puis-je espérer encore présente;
Que vous accepterez un cœur qui vous adore¨ ? aime;
AN Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grèce?
Faut-il qu'un si grand cœur montre tant de faiblesse?
Souffrez¨ que,loin des Grecs, et même loin de vous, permettez;
J'aille cacher mon fils et pleurer mon époux.¨ mari;
PY Hé bien, madame, hé bien, il faut vous obéir:
Il faut vous oublier, ou plutôt¨ vous haïr pour être plus précis;
Je n’épargnerai¨ rien dans ma juste colère:¨ ferai grâce à; fureur;
Le fils me répondra¨ des mépris¨ de la mère. paiera; irrespect;
La Grèce le demande; et je ne prétends¨ pas veux;
Mettre toujours ma gloire à sauver des ingrats.
AN Hélas! il mourra donc! Il n'a pour sa défense
Que les pleurs de sa mère et que son innocence;
Et peut-être après tout, en l’état¨ où je suis, situation;
Sa mort avancera¨ la fin de mes ennuis?¨ dépêchera; maux;
Je prolongeais pour lui ma vie et ma misère;;
Mais enfin sur ses pas¨ j'irai revoir son père. après lui;
Ainsi, tous trois, seigneur, par vos soins¨ réunis, actions;
Nous vous ...
PY Nous vous ... Allez, madame, allez voir votre fils.
Peut-être, en le voyant, votre amour plus timide
Ne prendre pas toujours sa colère¨ pour guide.¨ fureur; cons;
Pour savoir nos destins¨ j'irai vous retrouver: avenirs;
Madame, en l’embrassant, songez¨ à le sauver. pensez;

 
ACTE II
HE Le croirai-je seigneur, qu'un reste de tendresse¨ amour;
Vous fasse ici chercher une triste princesse?
Ou ne dois-je imputer¨ qu'à votre seul devoir chercher le motif dans;
L'heureux empressement¨ qui vous porte à me voir? enthousiasme;
OR Tel est de mon amour l'aveuglement funeste;
Vous le savez, madame, et le destin¨ d'Oreste fatalité;
Est de venir sans cesse¨ adorer¨ vos attraits,¨ toujours; admirer; beauté;
Et de jurer toujours qu'il n'y viendra jamais.
HE Quittez, seigneur, quittez ce funeste langage.
A des soins¨ plus pressants¨ la Grèce vous engage; affaires; urgents;
Que parlez-vous d'amour et mes cruautés!
Songez¨ à tous ces rois que vous représentez. pensez;
Dégagez¨ vous des soins¨ dont vous êtes chargé.¨ libérez; troubles; rempli;
Les refus de Pyrrhus m'ont assez dégagé,
Madame, il me renvoie; et quelque autre puissance¨ influence;
Lui fait du fils d'Hector embrasser¨ la défense. prendre;
HE L'infidèle!
OR L'infidèle! Ainsi donc, tout prêt à le quitter,
Sur mon propre destin¨ je viens vous consulter. avenir;
Déjà même je crois entendre la réponse
Qu'en secret contre moi votre haine prononce.
HE Hé quoi! toujours injuste en vos tristes discours,¨ conversations;
De mon inimitié vous plaindrez¨ vous toujours? lamentez;
Enfin, qui vous a dit que, malgré mon devoir,
Je n'ai,pas quelquefois souhaité¨ de vous voir? désiré;
OR Souhaité de me voir! Ah, divine princesse ...
Mais,de grâce¨ est-ce à moi que ce discours¨ s'adresse? s.v.p.; paroles;
Ouvrez vos yeux; songez qu'Oreste est devant vous,
Oreste, si longtemps l'objet de leur courroux.¨ fureur;
HE Il faut donc m'expliquer: vous agirez ensuite.
Vous savez qu'en ces lieux mon devoir m'a conduite;
Mon devoir m'y retient; et je n'en puis partir
Que mon père ou Pyrrhus ne m'en fasse sortir.
De la part¨ de mon père allez lui faire entendre au nom;
Que l'ennemi des Grecs ne peut être son gendre;¨ beau-fils;
Du¨ Troyen ou de moi faites-le décider; entre le;
Qu'il songe¨ qui des deux il veut rendre ou garder pense;
Enfin qu'il me renvoie,ou bien qu'il vous le livre.
Adieu. S'il y consent,¨ je suis prête à vous suivre. l'accepte;
OR (seul)Oui, oui, vous me suivrez, n'en doutez nullement¨ : pas du tout;
Je vous réponds¨ déjà de son consentement.¨ garantis; accord;

 
PY Je vous cherchais, seigneur;un peu de violence¨ brusquerie;
M'a fait de vos raisons¨ combattre la puissance, arguments;
Je l'avoue¨ et depuis que je vous ai quitté, confesse;
J'en ai senti la force et connu¨ l’équité¨ reconnu; justesse;
J'ai songé¨ comme vous, qu'à ]a Grèce,à mon père, pensé;
A moi-même, en un mot, je devenais contraire;
Que je relevais¨ Troie, et rendais imparfait¨ redressait; annulait;
Tout ce qu'a fait Achille et tout ce que j'ai fait.
Je ne condamne¨ plus un courroux¨ légitime, fureur; blâme;
Et l'on vous va, seigneur, livrer votre victime.
OR Seigneur,par ce conseil¨ prudent¨ et rigoureux;¨ décision; réfléchi; dur;
C'est acheter la paix du sang d'un malheureux.
PY Oui, mais je veux, seigneur, l'assurer davantage:¨ plus;
D'une éternelle paix Hermione est le gage;¨ garantie;
Je l’épouse.¨ Il semblait qu'un spectacle si doux me marie avec elle;
N'attendit en ces lieux qu'un témoin¨ tel que vous. assistant;
Voyez-la donc. Allez. Dites-lui que demain
J'attends, avec la paix, son cœur de votre main.

 
ACTE III
OR Hé bien, mes soins¨ vous ont rendu votre conquête?¨ actions; amant;
J'ai vu Pyrrhus, madame, et votre hymen¨ s'apprête.¨ mariage; se prepare;
HE On le dit; et de plus¨ on vient de m'assurer aussi;
Que vous ne me cherchiez que pour m'y préparer.
OR Et votre âme à ses vœux¨ ne sera point rebelle? désirs;
HE Qui l'eût cru que Pyrrhus ne fût point infidèle?
Que sa flamme¨ attendrait si tard pour éclater¨ ? amour; se montrer;
Qu'il reviendrait à moi, quand je l'allais quitter?
Je veux croire avec vous qu'il redoute"la Grèce, a peur de
Qu'il suit son intérêt¨ plutôt que sa tendresse? profit;
L'amour ne règle pas le sort¨ d'une princesse: vie;
La gloire d’obéir est tout ce qu'on nous laisse.
Cependant je partais,¨ et vous avez pu voir voulais partir;
Combien¨ je relâchais¨ pour vous de mon devoir. comment; abandonnais;
OR Tel est votre devoir: je l'avoue¨ et le mien confesse;
Est de vous épargner un si triste entretien¨ conversation;

 
HE Attendais-tu Cléone, un courroux¨ si modeste?¨ fureur; peu fort;
CL La douleur qui se tait¨ n'en est que plus funeste. ne parle pas;
HE Songe...
CL Songe... Dissimulez,¨ ,votre rivale en pleurs cachez-vous;
Vient a vos pieds, sans doute, apporter ses douleurs.
HE Dieux! ne puis-je à ma joie abandonner¨ mon âme? livrer;
Sortons; que lui dirais-je?
AN Sortons; que lui dirais-je? Où fuyez-vous,madame?
N'est-ce pas à vos yeux un spectacle assez doux
Que la veuve d'Hector pleurante à vos genoux?
Je ne viens point ici, par de jalouses larmes,
Vous envier¨ un cœur qui se rend a vos charmes. jalouser;
Mais il me reste un fils. Vous saurez quelque jour,
Madame, pour un fils jusqu’où va notre amour;
Que craint-on d'un enfant qui survit ਠsa perte?¨ vit plus longtemps que; ruine;
Laissez-moi le cacher en quelque île déserte.
HE Je conçois¨ vos douleurs;mais un devoir austère" comprends;
Quand mon père a parlé, m'ordonne de me taire.
C'est lui qui de Pyrrhus fait agir¨ le courroux¨ travailler; fureur;
S'il faut fléchir¨ Pyrrhus,qui le peut mieux que vous? changer d'opinion;
Vos yeux assez longtemps ont régné sur son âme.
Faites-le prononcer;¨ j'y souscrirai,¨ madame. dire ce qu'il veut; accepterai;
AN Quel mépris¨ la cruelle attache¨ à ses refus! arrogance; ajoute;
CE Je croirais ses conseils, et je verrais Pyrrhus,
Un regard¨ confondrait¨ Hermione et la Grèce ... (de vous); consternait;
Mais lui-même il vous cherche.

 
PY (à Phoenix) Où donc est la princesse?
Ne m'avais-tu pas dit qu'elle était en ces lieux?
PH Je le croyais.
AN Je le croyais. (à Céphise) Tu vois le pouvoir de mes yeux!
PY Quel orgueil!¨ arrogance;
AN Quel orgueil!¨ Je ne fais que l'irriter encor,
Sortons.
PY Sortons. Allons aux Grecs livrer le fils d'Hector.
AN Ah! seigneur, arrêtez! Que prétendez-¨ vous faire? voulez;
Si vous livrez le fils,livrez-leur donc la mère!;
Vos serments¨ m'ont tantôt¨ juré tant d’amitié promesses; tout à l'heure;
Dieux! ne pourrais-je au moins toucher¨ votre pitié? éveiller;
Sans espoir de pardon m'avez-vous condamnée?
PY Phoenix vous le dira,ma parole¨ est donnée. promesse;
AN Seigneur,voyez l’état¨ ou vous me réduisez.¨ situation; placez;
J'ai vu mon père mort et nos murs embrases;¨ en flammes;
J'ai vu trancher les jours ¨ de ma famille entière, tuer;
Et mon époux sanglant traîné¨ sur la poussière, tiré;
Son fils seul avec moi, réservé pour les fers.¨ la prison;
Mais que ne peut un fils? Je respire, je sers;¨ suis esclave;
J'ai fait plus: je me suis quelquefois consolée¨ tranquillisée;
Qu'ici, plutôt qu'ailleurs,le sort¨ m'eût exilée.¨ fatalité; envoyé;
PY Va m' attendre, Phoenix.Madame, demeurez
On peut vous rendre encor ce fils que vous pleurez.
Mais ce n'est plus, madame,une offre à dédaigner;¨ refuser;
Je vous le dis: il faut ou périr¨ où régner.¨ mourir; gouverner;
Mon cœur, désespéré d'un an d'ingratitude¨ manque de reconnaissance;
Ne peut plus de son sort souffrir l'incertitude.
Songez-y: je vous laisse, et je viendrai vous prendre
Pour vous mener au temple où ce fils doit m'attendre;
Et la vous me verrez,soumis¨ ou furieux, votre serviteur-;
Vous couronner, madame, ou le perdre¨ à vos yeux. tuer;
CE Je vous l'avais prédit, qu'en dépit de¨ la Grèce malgré;
De votre sort¨ encor vous seriez la maîtresse. avenir,vie;
AN Hélas! de quel effet¨ tes discours¨ sont suivis! résultat; paroles;
Il ne me restait plus qu'à condamner mon fils.
CE Madame, à votre époux c'est être assez fidèle:
Trop de vertu¨ pourrait vous rendre criminelle. loyauté;
Lui-même¨ il porterait votre âme à la douceur. (=Hector);
AN Quoi! je lui donnerais Pyrrhus pour successeur?¨ remplaçant;
Dois-je oublier Hector privé de¨ funérailles¨ sans; enterrement;
Et traîné sans honneur autour de nos murailles?
Songe, songe,Céphise, à cette nuit cruelle
Qui fut pour toute une peuple une nuit éternelle;
Peins-toi¨ dans ces horreurs Andromaque éperdue;¨ imagine; agitée;
Voila comment Pyrrhus vint s'offrir à ma vue;¨ mes yeux;
Voila par quels exploits¨ il sut se couronner; actions;
Enfin voilà l'époux que tu me veux donner.
CE Hé bien! allons donc voir expirer¨ votre fils. mourir;
On n'attend plus que vous..Vous frémissez,¨ madame tremblez;
AN Ah! de quel souvenir viens-tu frapper mon âme!
Quoi! Céphise,j'irai voir expirer¨ encor mourir;
Ce fils,ma seule joie et l'image d'Hector!
Mais cependant,mon fils,tu meurs si je n'arrête
Le fer¨ que le cruel tient levé sur ta tête. l’épée;
Allons.
CE Allons. Où donc,madame? et que résolvez-¨ vous? décidez;
AN Allons sur son tombeau consulter mon époux.

 
ACTE IV
CE Ah! je n'en doute point; c'est votre époux,madame
C'est Hector qui produit ce miracle en votre âme!
Mais tout s'apprête¨ au temple;et vous avez promis. se prépare;
AN Oui,je m'y trouverai.¨ Mais allons voir mon fils j'y serai;
CE Madame, qui vous presse?¨ Il suffit que sa vue¨ hâte; rencontre;
Désormais à vos yeux ne soit plus défendue.
AN Céphise, allons le voir pour la dernière fois.
CE Que dites-vous? ô dieux!
AN Que dites-vous? ô dieux! O, ma chère Céphise!
Ce n'est point avec toi que mon cœur se déguise?¨ cache;
Quoi donc? as-tu pensé qu'Andromaque infidèle
Pût trahir un époux qui croit revivre en elle?
Je vais donc, puisqu'il faut que je me sacrifie¨ abandonne;
Assurer¨ à Pyrrhus le reste de ma vie. donner;
Je vais, en recevant sa foi¨ sur les autels¨ promesse; table du culte;
L'engager¨ à mon fils par des liens immortels. unir;
Mais aussitôt¨ ma main, à moi seul funeste, immédiatement;
D'une infidèle vie abrégera¨ le reste. finira;
J'irai seule rejoindre Hector et mes aïeux;¨ pères;
Céphise, c'est à toi de me fermer les yeux.
CE Ah! ne prétendez¨ pas que je puisse survivre...¨ pensez; vivre plus long temps;
AN Non, non, je te défends, Céphise, de me suivre.
Je confie¨ à tes soins mon unique trésor:¨ donne; richesse;
Si tu vivais pour moi, vis pour le fils d'Hector.
Fais connaître à mon fils les héros de sa race:¨ famille;
Autant que tu pourras, conduis-le sur leur trace:¨ exemple;
Dis-lui par quels exploits¨ leur noms ont éclaté¨ actes héroïques; brillé;
Plutôt ce qu'ils ont fait que ce qu'ils ont été;
Parle-lui tous les jours des vertus¨ de son père bonnes qualités;
Et quelquefois aussi parle-lui de sa mère.
On vient. Cache tes pleurs, Céphise; et souviens-toi,
Que le sort¨ d'Andromaque est commis ਠta foi.¨ vie; dépend; fidélité;
C'est Hermione. Allons,f uyons sa violence.¨ fureur;
CL Non, je ne puis assez admirer ce silence.
Vous vous taisez,¨ madame;et ce cruel mépris¨ ne parlez pas; attitude négative(de Pyrrhus);
N'a pas du moindre trouble agité votre esprit?
Ah! que je crains, madame, un calme si funeste!
Et qu'il vaudrait bien mieux ...
HE Et qu'il vaudrait bien mieux ... Fais-tu venir Oreste?
CL Il vient, madame,il vient; et vous pouvez juger
Que bientôt à vos pieds il viendra se ranger.¨ mettre;
Mais il entre!
OR Mais il entre! Ah! madame, est-il vrai qu'une fois
Oreste en vous cherchant obéisse a vos lois?
Ne m'a-t-on point flatté d'une fausse espérance?
Avez vous en effet souhaité¨ ma présence; désiré;
Croirai-je que vos yeux,a la fin désarmes,
Veulent...
HE Veulent... Je veux savoir, seigneur, si vous m'aimez.
OR Si je vous aime? O dieux! mes serments,¨ mes_parjures;¨ promesse; promesse fausse;
Ma fuite, mon retour,mes respects, mes injures,¨ offenses;
Mon désespoir, mes yeux de pleurs toujours noyes,¨ remplis;
Quels témoins croirez-vous, si vous ne les croyez?
HE Vengez-moi, je crois tout.
OR Vengez-moi, je crois tout. Hé bien allons madame.
Mettons encore un coup toute la Grèce en flammes;
Prenons,en signalant¨ mon bras et votre nom, faisant connaître;
Vous, la place d’Hélène, et moi,d'Agamemnon.
Partons, je suis tout prêt.
HE Partons, je suis tout prêt. Non,seigneur,demeurons:¨ restons;
Je ne veux pas si loin porter de tels affronts¨ offenses;
Je veux qu'a mon départ toute l’Épire pleure.
Mais,si vous me vengez, vengez-moi dans une heure.
Tous vos retardements¨ sont pour moi des refus. retard;
Courez au temple.Il faut immoler...¨ tuer;
OR Courez au temple.Il faut immoler...¨ Qui?
HE Courez au temple.Il faut immoler...¨ Qui? Pyrrhus.
OR Pyrrhus,madame?
HE Hé quoi? votre haine¨ chancelle?¨ aversion; diminue;
Ah!courez, et craignez¨ que je ne vous rappelle. ayez peur;
Conduisez¨ ou suivez une fureur si belle; commandez;
Revenez tout couvert du sang de l’infidèle;
Allez: en cet état soyez sûr de mon cœur.
OR Mais,madame,songez...
HE Mais,madame,songez... Ah! c'en est trop, seigneur.
Tant de raisonnements offensant ma colère.¨ fureur;
J'ai voulu vous donner les moyens¨ de me plaire,¨ possibilité; faire plaisir;
Rendre Oreste content; mais enfin je vois bien
Qu'il veut toujours se plaindre¨ et ne mériter¨ rien lamenter; avoir droit;
Je m' en vais seule au temple,où leur hymen¨ s'apprête,¨ mariage; se prépare;
Où vous n'osez aller mériter ma conquête¨ (=moi);
Là, de mon ennemi je saurai m'approcher,¨ venir plus près;
Je percerai¨ le cœur que je n'ai pu toucher.¨ tuerai; émouvoir;
OR Non, je vous priverai de¨ ce plaisir funeste, prendrai;
Madame: il ne mourra que de la main d'Oreste.
Vos ennemis par moi vont vous être immolés.¨ sacrifiés;
Et vous reconnaîtrez mes soins,¨ si vous voulez. services;
HE Allez. De votre sort laissez-moi la conduite.¨ direction;
Et que tous vos vaisseaux¨ soient prêts pour notre fuite. bateaux;

 
ACTE V
HE Où suis-je? Qu'ai-je fait? Que dois-je faire encore?
Quel transport¨ me saisit¨ ? Que chagrin me dévore?¨ émotion; prend; trouble;
Errante et sans dessein,¨ je cours dans ce palais. but;
Ah! ne puis-je savoir si j'aime ou si je hais?
OR (entre) Madame, c'en est fait, et vous êtes servie!
Pyrrhus rend à l'autel¨ son infidèle vie. table du culte religieux;
HE Il est mort?
OR Il est mort? Il expire¨ et nos Grecs irrités meurt;
Ont lavé dans son sang ses infidélités,
Madame; et vous pouvez justement¨ vous flatter¨ avec raison; féliciter;
D'une mort que leurs bras n'ont fait qu’exécuter.¨ réaliser;
Vous seule avez poussé les coups ...
HE Vous seule avez poussé les coups ... Tais-toi,¨ perfide, ne parle pas;
Et n'impute¨ qu'à toi ton lâche parricide,¨ donne la faute; meurtre;
Va faire chez tes Grecs admirer ta fureur,
Va: je la désavoue¨ et tu me fais horreur. en refuse la responsabilité;
Barbare, qu'as-tu fait? Avec quelle furie
As-tu tranche¨ le cours¨ d'une si belle vie! coupé; durée;
Avez-vous pu, cruels, l'immoler¨ aujourd'hui, le tuer;
Sans que tout votre sang se soulevât¨ pour lui? protestât;
Mais parlez de son sort¨ qui t'a rendu l'arbitre?¨ vie; fait-juge;
Pourquoi l'assassiner?¨ Qu'a-t-il fait? À quel titre?¨ tuer; droit;
Qui te l'a dit?
OR Qui te l'a dit? O dieux! Quoi? ne m'avez-vous pas
Vous-même, ici, tantôt¨ , ordonné son trépas?¨ il y a peu; mort;
HE Ah! fallait-il en croire une amante insensée?¨ folle;
Ne devais-tu pas lire au fond de¨ ma pensée? dans;
Et ne voyais-tu pas dans mes emportements¨ fureurs;
Que mon cœur démentait¨ ma bouche à tous moments? contredisait;
Adieu. Tu peux partir. Je demeure¨ en Épire: reste;
Je renonce¨ à la Grèce, à Sparte, à son empire, abandonne;
À toute ma famille; et c'est assez pour moi,
Traître, qu'elle ait produit un monstre comme toi.
OR Que vois-je? est-ce Hermione? Et que viens-je d'entendre?
Pour qui coule¨ le sang que je viens de repandre?¨ est versé; faire couler;
Je suis, si je l'en crois, un traître¨ un assassin.¨ perfide; tueur;
Est-ce Pyrrhus qui meurt? et suis-je Oreste,enfin?
Et l'ingrate en fuyant me laisse pour salaire `
Tous les noms odieux¨ que j'ai pris pour lui plaire! horribles;
PL Il faut partir, seigneur. Sortons de ce palais,
Ou bien résolvons-nous¨ de n'en sortir jamais. décidons;
Nos Grecs pour un moment en défendent la porte.
Tout le peuple assemblé nous poursuit à main forte.¨ les armes à la main;
Aux ordres d'Andromaque ici tout est soumis:¨ obéit;
Ils la traitent en¨ reine, et nous comme ennemis. regardent comme;
Andromaque elle-même, à Pyrrhus si rebelle,
Lui rend tous les devoirs d'une veuve fidèle,
Commande qu'on le venge, et peut-être sur nous
Veut venger Troie encore et son premier époux.
Allons. N'attendons pas que l'on nous environne¨ entoure;
Nos Grecs nous rejoindront,¨ et tandis¨ qu'Hermione viendront à nous; pendant;
Tient encore le peuple autour d'elle arrêté,
Voilà notre chemin, sortons en sûreté.
OR Non, non, c'est Hermione, amis, que je veux suivre:
A son dernier arrêt¨ je ne puis plus survivre. jugement;
Partez: j'ai fait le crime, et je vais l'expier.¨ en être puni;
PL Hermione,seigneur? Il la faut oublier.
Et parce qu'elle meurt, faut-il que vous mouriez?
OR Elle meurt? Dieux! qu'entends-je?
PL Elle meurt? Dieux! qu'entends-je? Eh quoi! vous l'ignoriez?¨ ne le saviez pas;
En rentrant dans ces lieux nous l'avons rencontrée I
Qui courait vers le temple,inquiète¨ égarée.¨ alarmé; folle;
Elle a trouvé Pyrrhus porté sur des soldats
Que son sang excitait¨ à venger son trépas.¨ stimulait; mort;
Sans doute a cet objet¨ sa rage s'est emue.¨ en voyant cela; a grandi;
Mais du haut de la porte enfin nous l'avons vue;
Un poignard¨ à la main, sur Pyrrhus se courber¨ couteau; baisser;
Lever les yeux au ciel, se frapper et tomber.
OR Grâce aux dieux! Mon malheur passe mon espérance!
Oui, je te loue¨ ô ciel,de ta persévérance.¨ complimente; obstination;
Mais quelle épaisse nuit tout a coup m'environne?¨ entoure;
De quel côte sortir? D’où vient que je frissonne?¨ tremble;
PY Ah! seigneur.
OR Ah! seigneur. Quoi? Pyrrhus, je te rencontre encore?
Trouverai-je partout un rival que j'abhorre?¨ déteste;
Percé¨ de tant de coups, comment t'es-tu sauvé? blessé;
Tiens, tiens, voilà le coup que je t'ai réservé.
Mais que vois-je? À mes yeux Hermione l'embrasse?
Elle vient l'arracher¨ au coup qui le menace.¨ tirer; met en danger;
Dieux! quels affreux¨ regards elle jette sur moi! horribles;
Quels démons, quels serpents traîne-¨ t-elle après soi? tire;
Venez, à vos fureurs Oreste s'abandonne. o
Mais non,retirez-vous,laissez faire Hermione:
L'ingrate mieux que vous saura me déchirer
Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer.¨ manger;
(il tombe sans connaissance)
PL Il perd le sentiment. Amis, le temps nous presse;
Ménageons¨ les moments que ce transport¨ nous laisse. employons bien; fureur;
Sauvons-le. Nos efforts deviendraient impuissants;
S'il reprenait ici sa rage avec ses sens.

14. Jean de la Fontaine

14.1. La cigale et la fourmi

cigale_fourmi.png
La cigale ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort¨ dépourvue¨ très; pauvre;
Quand la bise¨ fut venue: vent d'hiver;
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau;
Elle alla crier famine¨ plaindre de sa faim;
Chez la fourmi, sa voisine,
La priant¨ de lui prêter lui demandant;
Quelque grain pour subsister¨ rester en vie;
Jusqu'à la saison nouvelle¨ printemps;
"Je vous paierai," lui dit-elle,
"Avant l'août, foi d'animal,¨ sur ma parole;
Intérêt et principal¨ capital;
La fourmi n'est pas prêteuse;¨ ne prête pas facilement;
C'est la son moindre¨ défaut¨ plus petite; faute;
"Que faisiez-vous au temps chaud?"¨ l’été;
Dit-elle à cette emprunteuse.¨ celle qui demande de l'argent;
"Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise."¨ avec votre permission;
"Vous chantiez? J'en suis fort aise.¨ content;
Hé bien, dansez maintenant!"

 

14.2. Le corbeau et le renard

corbeau.png
Maître corbeau,sur un arbre perché¨ assis,installé;
Tenait en son bec un fromage.
Maître renard,par l'odeur allèche¨ attiré;
Lui tint à peu près ce langage:¨ lui parla plus ou moins comme suit;
"Hé! bonjour,monsieur du corbeau!
Que vous êtes joli! que vous me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage¨ chant;
Se rapporte¨ à votre plumage,¨ est conforme; plumes;
Vous êtes le phénix¨ des hôtes¨ de ces bois. oiseau mythologique; habitants;
A ces mots,le corbeau ne se sent plus de joie.
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec,laisse tomber sa proie.
Le renard s'en saisit¨ et dit:"Mon bon monsieur, le prend;
Apprenez que tout flatteur¨ complimenteur;
Vit au dépens de celui qui l’écoute:
Cette leçon vaut bien un fromage,sans doute.
Le corbeau, honteux et confus,
Jura,¨ mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.¨ se promit; qu'on ne le duperait plus;

 

14.3. La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf.

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Une grenouille vit un bœuf
qui lui sembla de belle taille.¨ bien grande;
Elle, qui n’était pas grosse¨ en tout¨ comme un œuf, grande; total;
Envieuse,¨ s’étend, s'enfle¨ et se travaille;; jalouse; augmente son volume;
Pour égaler¨ l'animal en grosseur devenir égale à;
Disant: "Regardez bien, ma sœur,
Est-ce assez? dites-moi: n'y suis-je point encore?"
"Nenni"-"M'y voici donc?"-"Point du tout¨ "M'y voila?" non;
Vous n'en approchez point.¨ La chétive pécore¨ êtes loin; pauvre bête;
S'enfla si bien qu'elle creva.¨ se cassa;
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages.
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs;
Tout petit prince a des ambassadeurs;
Tout marquis veut avoir des pages.

 

14.4. Le loup et le chien.

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Un loup n'avait que les os et la peau,¨ était très maigre;
Tant les chiens faisaient bonne garde;
Ce loup rencontre un dogue aussi puissant¨ que beau, fort;
Gras, poli,¨ qui s’était fourvoyé¨ par mégarde.¨ brillant; avait perdu le chemin; inattention;
L'attaquer,le mettre en quartiers¨ chasser;
Sire Loup l'eût¨ fait volontiers; - aurait;
Mais il fallait livrer bataille
Et le mâtin¨ était de taille¨ chien; assez fort;
À se défendre hardiment¨ avec courage;
Le loup donc l'aborde¨ humblement¨ parle; timidement;
Entre en propos¨ et lui fait compliment conversation;
Sur son embonpoint¨ qu'il admire. santé;
"Il ne tiendra¨ qu'à vous, beau sire, cela dépendra;
D'être aussi gras que moi," repartit¨ le chien, répondit;
"Quittez les bois, vous ferez bien;
Vos pareils¨ y sont misérables, camarades;
Cancres,¨ hères¨ et pauvres diables; pauvres; miséreux;
Dont la condition¨ est de mourir de faim. vie;
Car, quoi rien d’assuré¨ ! point de franche lippée!¨ sûr; bon repas;
Tout à la pointe de l’épée!¨ rien sans bataille;
Suivez-moi,vous aurez un meilleur destin.¨ vie;
Le reprit:"Que me faudra-t-il faire?"-
"Presque rien," dit le chien; "donner la chasse aux gens¨ chasses les..;
Portant¨ bâtons et mendiants,¨ qui portent; qui demandent de l' argent;
Flatter ceux du logis,¨ à son maître complaire:¨ maison; faire plaisir;
Moyennant¨ quoi votre salaire pour;
Sera force¨ reliefs.¨ de toutes les façons, beaucoup de; morceaux;
Os de poulets, os de pigeons;
Sans parler de mainte¨ caresse." beaucoup de;
Le loup déjà se forge ¨ une félicité¨ se fait; paradis;
Qui le fait pleurer de tendresse.¨ sentiment doux;
Chemin faisant¨ il vit le cou du chien pelé.¨ en route; sans poil;
"Qu'est-ce la?" lui dit-il. "Rien." "Quoi rien?" "Peu de chose."
"Mais encore?"-"Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause."
"Attaché!" dit le loup; "Vous ne courez donc pas
Ou vous voulez?" "Pas toujours; mais qu'importe"?¨ qu'est-ce que ça fait?;
"Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte.¨ rien;
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor"¨ fortune;
Cela dit,¨ maître loup s'enfuit,¨ et court encore. après avoir dit cela; prit la fuite;

 

14.5. Le loup et l'agneau

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La raison¨ du plus fort est toujours la meilleure: le droit;
Nous l'allons montrer tout a l heure.¨ bien tôt;
Un agneau se désaltérait¨ buvait;
Dans le courant d'une onde¨ pure rivière;
Un loup survint,¨ à jeun,¨ qui cherchait aventure arriva; qui n'avait pas mangé;
Et que la faim en ces lieux attirait.
"Qui te rend¨ si hardi¨ de troubler mon breuvage?"¨ fait; arrogant; boisson;
Dit cet animal plein de rage:¨ fureur;
"Tu seras châtié¨ de ta témérité."¨ puni; arrogance;
"Sire," répond l'agneau,"que votre majesté
Ne se mette pas en colère;¨ fureur;
Mais plutôt qu'elle¨ considère¨ (=votre majesté); observe;
Que je me vais désaltérant¨ bois;
Dans le courant
Plus de vingt pas au-dessous d'elle,
Et que, par conséquent,¨ en aucune façon,¨ logiquement; manière;
Je ne puis troubler sa boisson."
"Tu la troubles!" reprit cette bête cruelle;
"Et je sais que de moi tu médis¨ l'an passe." as dit du mal;
"Comment l'aurais-je fait,si je n’étais pas ne?"
Reprit l'agneau; "Je tette¨ encore ma mère." bois le lait de ...;
"Si ce n'est toi, c'est donc ton frère."
"Je n'en ai point."-"C'est donc quelqu'un des tiens¨ de ta famille;
Car vous ne m’épargnez¨ guère;¨ respectez; presque pas;
Vous, vos bergers¨ et vos chiens. celui qui garde les moutons;
On me l'a dit; il faut que je me venge."
Là-dessus,¨ au fond des¨ forêts¨ après cela; dans les; bois;
Le loup l'emporte, et puis le mange
Sans autre forme de procès.

 

14.6. La mort et le bûcheron

Un pauvre bûcheron¨ ,tout couvert de ramêe,¨ celui qui coupe du bois; branches d'arbre;
Sous le faix¨ du fagot¨ aussi bien que des ans, charge; branches;
Gémissant¨ et courbé¨ marchait a pas pesants,¨ se lamentant; le dos plié; lourds;
Et tachait¨ de gagner¨ sa chaumine¨ enfumée. essayait; arriver à; hutte;
Enfin,n'en pouvant plus d'effort et de douleur;
Il met bas¨ son fagot, il songe¨ à son malheur. dépose; pense;
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde?¨ terre;
Point de pain quelquefois, et jamais de repos:
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,¨ fiscalités;
Le créancier¨ et la corvée celui à qui on doit payer de l'argent;
Lui font d'un malheureux la peinture¨ achevée.¨ image; parfaite;
Il appelle la Mort.Elle vient sans tarder,¨ attendre;
Lui demande ce qu'il faut faire.
"C'est," dit-il,"afin de¨ m'aider pour;
À recharger ce bois; tu ne tarderas guère."¨ tu feras vite;
Le trépas¨ vient tout guérir: la mort;
Mais ne bougeons¨ d’où nous sommes: ne nous déplaçons pas;
Plutôt souffrir¨ que mourir être malheureux;
C'est la devise de l'homme.

15. Nicolas Boileau

15.1. L'art poétique (1674)

Quelque sujet qu'on traite¨ , ou plaisant,ou sublime, présent;
Que toujours le bon sens¨ s'accorde avec la rime. raison;
Aimez donc la raison; que toujours vos écrits
Empruntent¨ d'elle seule et leur lustre¨ et leur prix. prennent; beauté;
Voulez-vous du,public mériter¨ les amours,¨ attirer; admiration;
Sans cesse en écrivant variez vos discours.¨ paroles;
Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse:¨ platitudes;
N'offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire.
Ayez pour la cadence une oreille sévère.¨ critique;
Durant¨ les premiers ans du Parnasse¨ français, pendant; poésie;
Le caprice¨ tout seul faisait toutes les lois, humeur;
Villon sut le premier dans ces siècles grossiers¨ peu délicats;
Débrouiller¨ l'art confus¨ de nos vieux romanciers. rendre clair; peu clair;
Marot bientôt après fit fleurir les ballades,
Tourna¨ des triolets,¨ rima des mascarades. fit; certains vers;
Ronsard, qui le suivit par une autre méthode,
Réglant tout brouilla tout, fit un art à sa mode
Et toutefois¨ longte,ps eut un heureux destin,¨ pourtant; fortune;
Mais sa muse, en français parlant grec et latin
Vit dans l'âge suivant sur un retour grotesque
Tomber de ses grands mots le faste¨ pédantesque. luxe;
Enfin Malherbe vint et le premier en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D'un mot mis en sa place enseigna¨ le pouvoir, fit apprendre;
Et réduisit¨ la muse aux règles du devoir. changea;
Il est¨ certains esprits dont les sombres pensées il y a;
Sont d'un nuage épais toujours embarrassés;¨ troublées;
Le jour¨ de la raison ne le saurait percer.¨ lumière; traverser;
Avant donc que d’écrire apprenez a penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,¨ peu claire;
l'oppression la suit,ou moins nette,ou plus pure.
De que l'on conçoit¨ bien s’énonce¨ clairement. imagine; s'exprime;
Et les mots pour le dire arrivent aisément.¨ facilement;
Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier¨ remettez votre ouvrage: table de travail;
Polissez-¨ le sans cesse et le repolissez; rendez brillant;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez;¨ gommez;
Vous donc,qui d'un beau feu¨ pour le théâtre épris?¨ amour; amoureux;
Venez, en vers pompeux, y disputer le prix,
Voulez-vous sur la scène étaler des ouvrages,
Où tout Paris en foule¨ apporte ses suffrages,¨ masse; applaudissements;
Et qui, toujours plus beaux, plus ils sont regardés,
Soient au bout de vingt ans encor redemandés?
Que dans tous vos discours¨ la passion émue¨ paroles; émotionnée;
Aille chercher le cœur,l’échauffe et le remue?¨ frappe;
Que dès les¨ premiers vers l'action préparée déjà aux ...;
Sans peine¨ du sujet aplanisse¨ l’entrée. difficulté; facilite;
Qu'en un lieu¨ qu'en un jour, un seul fait accompli¨ place; complet;
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli.
Jamais au spectateur n'offrez rien d'incroyable:
Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.¨ plausible;
Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit"nous l'expose¨ raconte;
Les yeux en le voyant saisiraient¨ mieux la chose, comprendraient;
Mais i est¨ des objets que l'art judicieux¨ il y a; juste;
Doit offrir à l’oreille et reculer¨ des yeux. tenir loin;
La tragédie, informe et grossière¨ en naissant peu fine;
N’était qu'un simple chœur ou chacun en dansant,
Et du dieu des raisins entonnant¨ les louanges¨ chantant; gloire;
S'efforçait¨ d'attirer de fertiles vendanges.¨ voulait; bonne production;
Eschyle dans le chœur jeta les personnages,
D'un masque plus honnête¨ habilla les visages. correct;
Sophocle enfin, donnant l'essor¨ a son génie, élan;
Accrut¨ encor la pompe, augmenta¨ l'harmonie, agrandit; agrandit;
Intéressa¨ le chœur dans toute l'action, fit entrer;
Des vers trop radoteux¨ polit¨ l'expression, dur; adoucit;
Lui donna chez les Grecs cette hauteur divine¨ glorieux;
Où jamais n'atteignit¨ la faiblesse latine. arriva;
Chez nos dévots aïeux¨ le théâtre abhorré¨ (au moyen-âge); rejeté;
Fut longtemps dans la France un plaisir ignoré.¨ inconnu;
De pèlerins, dit-on, une troupe grossière¨ peu civilisée;
En public à Paris y monta la première;
Et, sottement zélée¨ en sa simplicité, enthousiaste;
Joua les Saints, la Vierge et Dieu,par piété¨ dévotion;
Le savoir, à la fin dissipant¨ l'ignorance,¨ chassant; manque de savoir;
Fit voir de ce projet la dévote imprudence.
On chasse ces docteurs prèchants¨ sans mission: prédicateurs;
On vit renaître Hector, Andromaque, Ilion.¨ Troie;
Le théâtre, fertile en¨ censeurs¨ pointilleux,¨ plein de; critiques; précis;
Chez nous, pour se produire, est un champ périlleux.¨ dangereux;
Un auteur n'y fait pas de faciles conquêtes;¨ victoires;
Il trouve a le siffler¨ des bouches toujours prêtes. critiquer;
Il faut qu'en cent façons, pour plaire, il se replie;¨ s'adapte;
Que tantôt il s’élève, et tantôt s'humilie¨ s'abaisse;
Qu'en nobles sentiments il soit toujours fécond¨ riche;
Qu'il soit aisé¨ solide,agréable, profond; facile à comprendre;
Et que tout ce qu'il dit, facile a retenir,¨ se rappeler;
De son ouvrage en nous laisse un long souvenir.
Auteurs, prêtez l'oreille¨ à mes instructions. écoutez;
Voulez-vous faire aimer vos riches fictions?
Qu'en savantes leçons votre muse fertile¨ riche;
Partour joigne¨ au plaisant le solide et l'utile. unisse;

16. Madame de la Fayette

16.1. La princesse de Clèves (l678)

Le dix-huitième siècle (Siècle philosophique)

La magnificence et la galanterie n'ont jamais paru en France avec tant d’éclat¨ que dans les dernières années du règne de Henri second. Jamais cour n'a eu tant de belles personnes et d'hommes admirablement bien faits; et il semblait que la nature eût pris plaisir a placer ce qu'elle donne de plus beau,dans les plus grands princesses et dans les plus grands princes. Madame Élisabeth de France, qui fut depuis reine d'Espagne,commençait à faire paraître un esprit surprenant et cette incomparable¨ beauté qui lui a été si funeste. Marie Stuart, reine d’Écosse, qui venait d’épouser¨ M. le dauphin, et qu'on appelait la reine dauphine, était une personne parfaite pour l'esprit et pour le corps. Le roi de Navarre attirait le respect de tout le monde par la grandeur de son rang, et par celle qui paraissait en sa personne.Le duc de Nevers, dont la vie était glorieuse par la guerre et par les grands emplois¨ qu'il avait eus, quoique dans un âge avancé,¨ faisait les délices¨ de la cour. Le vidame de Chartres était également¨ distingué¨ dans la guerre et dans la galanterie. Il était beau, de bonne-mine,¨ vaillant,¨ libéral,¨ toutes ces bonnes qualités étaient vives et éclatantes; enfin,il était seul digne¨ d'être comparé au duc de Nemours; mais ce prince était un chef-d’œuvre de la nature; ce qu'il avait de moins admirable était d'être l'homme du monde le mieux fait et le plus beau. Ce qui le mettait au-dessus des autres, était une valeur incomparable,et un agrément¨ dans son esprit, dans son visage,e t dans ses actions, que l'on n'a jamais vu qu'en lui seul. lustre gloire; inégalable; s’était mariée avec; fonctions; vieux; plaisir; aussi; éminent; air; courageux; généreux; en droit; charme;
Le roi demeura¨ sur la frontière,quand il y reçut la nouvelle de la mort de Marie, reine d'Angleterre. Il envoya le comte de Randan à Élisabeth, pour la complimenter sur son avènement¨ à la couronne. Ce comte la trouva instruite¨ des intérêts¨ de la cour de France, mais surtout il la trouva si remplie de la réputation du duc de Nemours, elle lui parla tant de fois de ce prince, et avec tant d'empressement,¨ que,quand M. de Randan fut revenu, et qu'il rendit compte¨ au roi de son voyage,il lui dit qu'il n'y avait rien que M. de Nemours ne pût prétendre¨ auprès de cette princesse, et qu'il ne doutait point qu'elle ne fût capable de l’épouser.¨ Le roi en parla dès¨ le soir même; il lui fit conter par M. de Randan toutes ses conversations avec Élisabeth, et il lui conseilla de tenter cette fortune .Le roi lui promit risquer de ne parler qu'au connétable de ce dessein,¨ et il jugea¨ même le secret nécessaire pour le succès. M. de Randan conseillait d'aller en Angleterre sur le prétexte¨ de voyager. fut; arrivée; informée; affaires; vivacité; rapporta; aspirer; se marier avec lui; déjà; projet; crut; faux motif;
En attendant l’événement de ce voyage, il alla voir le duc de Savoie, qui était alors à Bruxelles avec le roi d'Espagne. La mort de Marie d'Angleterre apporta de grands obstacles à la paix.
Il parut¨ alors à la cour une beauté qui attira les yeux de tout le monde, et l'on doit croire que c'était une beauté parfaite puisqu'elle donna de l'admiration dans un lieu¨ où l'on était si accoutumé à voir¨ de belles personnes. Elle était de la même maison que le vidame de Chartres, et une des plus grandes héritières¨ de France. Son père était mort jeune, et l'avait laissée sous la conduite¨ de madame de Chartres, sa femme, dont le bien,¨ la vertu¨ et le mérite¨ étaient extraordinaires. Après avoir perdu son mari ,elle avait passe plusieurs années sans revenir a la cour. Pendant cette absence elle avait donne ses soins¨ à l’éducation de sa fille, mais elle ne travailla pas seulement a cultiver son esprit et sa beauté; elle songea aussi a lui donner de la vertu; elle faisait souvent a sa fille des peintures de l'amour; elle lui montrait ce qu'il y a d’agréable pour la persuader¨ plus aisément¨ ce qu'elle lui en apprenait de dangereux. arriva; place; on y voyait si souvent; femmes de bonne famille; direction; fortune; intégrité; valeur; attention; faire accepter; facilement;
Madame de Chartres, qui était extrêmement¨ glorieuse,ne trouvait rien qui fut digne de¨ sa fille; la voyant dans sa seizième année, elle voulut la mener a la cour. tres; bon pour(un mariage);
Le lendemain¨ qu'elle fut arrivée, elle alla pour assortir¨ des pierreries¨ chez un Italien.Comme¨ elle y était, le prince de Clèves y arriva. Il fut tellement surpris de sa beauté, qu'il ne put cacher sa surprise. M de Clèves la regardait avec admiration, et il ne pouvait comprendre qui était cette belle personne qu'il ne connaissait point. jour après; choisir; bijoux; quand;
Le prince de Clèves devint passionnément amoureux de mademoiselle de Chartres,et souhaitait¨ ardemment¨ de l’épouser;¨ mais il ne la voyait que chez les reines, ou aux assemblées;¨ il était difficile d'avoir une conversation particulière.¨ Il en trouva pourtant les moyens,¨ et il lui parla de son dessein¨ avec tout le respect imaginable. Comme mademoiselle de Chartres avait le cœur noble et très bien fait, elle fut véritablement¨ touchée¨ de reconnaissance du procédé¨ du prince de Clèves. Cette reconnaissance donna a ses réponses et à ses paroles un certain air¨ de douceur qui suffisait¨ pour donner de l’espérance à un homme aussi¨ éperdument¨ amoureux que l’était le prince. désirait; vivement; se marier avec elle; avec d'autres; privé; la possibilité; intention; vraiment; frappée; manière de faire; aspect; était assez; si; passionnément;
Elle rendit compte¨ à sa mère de cette conversation, et madame de Chartres lui dit qu'il y avait tant de grandeur dans M. de Clèves que, si elle sentait son inclination¨ portée a l’épouser,elle y consentirait¨ avec joie. Mademoiselle de Chartres répondit qu'elle lui remarquait¨ les mêmes bonnes qualités; qu'elle l’épouserait même avec moins de répugnance¨ qu'un autre; mais qu'elle n'avait aucune inclination¨ particulière¨ pour sa personne. rapporta; préférence; serait d'accord; voyait en lui; antipathie; amour; spécial;
Dès¨ le lendemain,¨ ce prince fit parler à madame de Chartres; elle reçut la proposition¨ qu'on lui faisait, et elle ne craignit¨ point de donner à sa fille un mari qu'elle ne pût¨ aimer, en lui donnant le prince de Clèves. déjà; jour après; demande; n'eut pas peur; pourrait;
Les articles furent conclus;¨ on parla au roi, et ce mariage fut su¨ de tout le monde. on annonça le mariage; connu;
La cérémonie s'en fit au Louvre; et le soir le roi et les reines vinrent souper chez Madame de Chartres, avec toute la cour, où ils furent reçus avec une magnificence admirable.
M. de Clèves ne trouva pas que mademoiselle de Chartres eût changé de sentiments en changeant de nom. Il conservait pour elle une passion violente¨ et inquiète¨ qui troublait sa joie: la jalousie n'avait pas de part à ce trouble: jamais mari n'a été si loin d'en¨ prendre, et jamais femme n'a été si loin d'en donner. intense; troublante; (=de la jalousie);
La duchesse de Lorraine, en travaillant à la paix, avait aussi travaillé pour le mariage du duc de Lorraine,son fils; il¨ avait été conclu¨ avec Madame Claude de France, seconde fille du roi. Les noces¨ en furent résolues pour le mois de février. (le mariage); réglé; fête du mariage;
Cependant le duc de Nemours était demeuré¨ à Bruxelles, entièrement rempli¨ et occupé de"ses desseins¨ pour l'Angleterre.Il en recevait, ou y envoyait continuellement¨ des courriers: ses espérances augmentaient chaque jour,et il n'y avait plus d'obstacles. resté; pensant uniquement; projets; constamment;
Il envoya en diligence à Paris donner tous les ordres nécessaires pour faire un équipage¨ magnifique, afin de¨ paraître en Angleterre avec un éclat¨ proportionne¨ au dessein¨ qui l'y conduisit,¨ et il se hâta lui-même de venir à la cour pour assister¨ au mariage de M. de Lorraine. escorte; pour; magnificence; conforme; projet; fit aller; être présent;
Il arriva à la veille¨ des fiançailles, et,des¨ le même soir qu'il fut arrivé, il alla rendre compte¨ au roi de l'état de son dessein. Il alla ensuite¨ chez les reines. le jour avant; deja; rapporter; après cela;
Madame de Clèves n'y était pas de sorte¨ qu'elle ne le vit point et ne sut pas même qu’il fût arrivé. Elle avait ouï¨ parler de ce prince ਠtout le monde, comme de ce qu'il y avait de mieux fait¨ et de plus agréable à la cour et c'est par cela; entendu; par; plus beau;
Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer,¨ pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisaient au Louvre. Lorsqu'elle arriva, l'on admira sa beauté et sa parure;¨ le bal commença; et, comme¨ elle dansait avec M. de Guise,il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu'un qui entrait, et à qui on faisait place. Madame de Clèves acheva¨ de danser, et, pendant qu'elle cherchait des yeux quelqu'un qu'elle avait dessein¨ de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait. faire beau; bijoux+vêtements; quand; finissait; l'intention;
Elle se tourna, et vit un homme qu'elle crut d'abord¨ ne pouvoir être que M. de Nemours. immédiatement;
M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté, que, lorsqu’il fut proche¨ d'elle, et qu'elle lui fit la révérence¨ il ne put s'empêcher de donner des marques son admiration. Quand il commencèrent à danser, il s’éleva un murmure¨ de louanges.¨ tout près; salut de la tête; bruit; admirations;
Madame de Clèves revint chez elle, l'esprit si rempli de tout ce qui s’était passé au bal, que,quoiqu'il fût fort¨ tard, elle alla dans la chambre de sa mère pour lui en rendre compte.¨ très; le raconter;
Le lendemain,¨ la cérémonie des noces¨ se fit;madame de Clèves y vit le duc de Nemours avec une mine¨ et une grâce admirables. jour après; mariage; visage;
Les Jours suivants,elle le vit chez la reine dauphine; elle le vit jouer a la paume avec le roi; elle l'entendit parler; mais elle le vit toujours surpasser¨ de si loin tous les autres,qu'il fit,en peu de temps,une grande impression¨ sur son cœur. dominer; effet;
Il est vrai aussi, comme M. de Nemours sentait pour elle une inclination¨ violente,¨ qu'elle lui ôta¨ le goût, et même le souvenir de toutes les personnes qu'il avait aimées. Son impatience¨ pour le voyage d'Angleterre commença même à se ralentir.¨ Il allait souvent chez la reine dauphine, parce que madame de Clèves y allait souvent. Il n'en parla pas même au vidame de Chartres, qui était son ami intime.Il prit¨ une conduite sage, et s'observa¨ avec tant de soin¨ que personne ne le soupçonna¨ d'être amoureux de madame de Clèves. amour; intense; retira; désir de; diminuer; adopta; se contrôla; attention; crut;
Elle ne se trouva pas la même disposition¨ à dire à sa mère ce qu'elle pensait des sentiments de ce prince; sans avoir un dessein¨ bien formé de le lui cacher, elle ne lui en parla point. Mais madame de Chartres ne le voyait que trop, aussi bien que le penchant¨ que sa fille avait pour lui. Elle jugeait¨ bien le péril¨ ou était cette jeune personne, d'être aimée d'un homme fait¨ comme M. de Nemours, pour qui elle avait de l'inclination.¨ Elle fut entièrement¨ confirmée¨ dans les soupçons¨ qu'elle avait de cette inclination¨ par une chose qui arriva peu de jours après. tendance; intention; préférence; voyait; danger; de la mentalité; amour; complètement; assurée; idée; amour;
Un jour, la reine dauphine fit apporter ses pierreries, afin d'¨ en choisir pour le bal du maréchal de Saint-André, et pour en donner à madame de Chartres, à qui elle en avait promis. Comme¨ elles étaient dans cette occupation,¨ le prince de Condé arriva. La reine dauphine lui dit qu'il venait sans doute de chez le roi, son mari, et lui demanda ce que l'on y faisait."L'on dispute contre M. de Nemours, madame", répondit-il, "et il défend avec tant de chaleur¨ la cause¨ qu'il soutient¨ qu'il faut que ce soit le sienne. Je crois qu'il a quelque maîtresse qui lui donne de l’inquiétude.¨ quand elle est au bal;tant il trouve que c'est une chose fâcheuse¨ pour un amant que d'y voir la personne qu'il aime." pour; quand; travail; enthousiasme; principe; défend; ici: jalousie; désagréable;
"Comment!" reprit Madame la Dauphine, "M. de Nemours ne veut pas que sa maîtresse aille au bal! J'avais bien cru que les maris pouvaient souhaiter¨ que leurs femmes n'y, allassent pas; mais,pour les¨ amants, je n'avais pas pensé qu'ils fussent de ce sentiment.¨ " vouloir, désirer; pour ce qui est des; idée;
Madame de Clèves ne faisait pas semblant d'entendre¨ ce que disait le prince de Condé; mais elle l’écoutait avec attention .Sitôt que¨ le prince de Condé avait commencé à conter¨ les sentiments de M. de Nemours sur le bal, madame de Clèves avait senti une grande envie¨ de ne point aller a celui du maréchal de Saint-André. Elle emporta néanmoins¨ la parure¨ que lui avait donnée le reine dauphine; mais le soir, lorsqu'elle la montra à sa mère, elle lui dit qu'elle n'avait pas dessein¨ de s'en servir. Madame de Chartres combattit¨ quelque temps l'opinion de sa fille; mais, voyant qu'elle s'y opiniâtrait,¨ elle s'y rendit,¨ et lui dit qu'il fallait donc qu'elle fît¨ la malade pour avoir un prétexte¨ de ne pas y aller. M. de Nemours revint le lendemain¨ du bal et sut¨ qu'elle ne s'y était pas trouvée;mais il était bien éloignée¨ de croire qu'il fût assez heureux pour l'avoir empêchée¨ d'y aller. simulait de ne pas entendre; immédiatement quand; raconter; désir,besoin; pourtant; bijou; l'intention; critiqua; ne changea pas; accepta; jouât; motif; jour après; fut informé; loin; retenue;
Madame de Chartres comprit pourquoi sa fille n'avait point voulu aller au bal. Elle se mit¨ un jour à lui en parler. L'on ne peut exprimer¨ la douleur¨ qu'elle sentit de connaître¨ par ce que lui venait de dire sa mère, l’intérêt qu'elle prenait à M. de Nemours: elle n'avait encore osé se l'avouer¨ a elle-même. Elle vit alors que sentiments qu'elle avait pour lui étaient ceux que M. de Clèves lui avait tant demandes; elle trouva¨ combien il était honteux¨ de les avoir pour un autre que pour un mari qui les méritait .Cette pensée la détermina à conter à madame de Chartres ce qu'elle ne lui avait point encore dit. Elle alla le lendemain dans sa chambre pour exécuter¨ ce qu'elle avait résolu;¨ mais elle trouva madame de Chartres avait un peu de fièvre, de sort qu'elle ne voulut pas lui parler. Ce mal paraissait néanmoins¨ si peu de chose que madame de Clèves ne laissa pas d'aller l’après-dîner chez madame la Dauphine. commença; dire; tristesse; savoir; reconnaître; découvrit; déshonorant; faire; décidé; pourtant;
Lorsqu'elle revint chez sa mère,elle sut¨ qu'elle était beaucoup plus mal qu'elle ne l'avait laissée. La fièvre avait redoublé, et,les jours suivants, elle augmente¨ telle sorte que l'on commença a désespérer de sa vie; elle reçut¨ ce que les médecins lui dirent du péril¨ où elle était avec un courage digne¨ de sa vertu¨ et de sa piété. Après qu'ils furent sortis, elle fit retirer tout le monde et appeler madame de Clèves. trouva; s’éleva; écouta; danger; conforme à; courage;
"Il faut nous quitter, ma fille", lui dit-elle en lui tendant la main; le péril¨ où je vous laisse et le besoin que vous avez de moi augmentent¨ le déplaisir que j'ai de vous quitter. Vous avez de l'inclination¨ pour M. de Nemours; je ne vous demande point de me l'avouer.¨ Ayez de la force et du courage, ma fille, retirez-vous de la cour, obligez¨ votre mari de vous emmener. danger; agrandissent; amour; confesser; forcez;
Elle se tourna de l'autre¨ côte en achevant¨ ces paroles et commanda sa fille d'appeler ses femmes. Elle vécut encore deux jours. vers; finissant;
Madame de Clèves était dans une affliction¨ extrême;¨ son mari ne la quittait point, et sitôt que¨ madame de Chartres fut expirée,¨ il l'emmena à la campagne. Elle se trouvait malheureuse d'être abandonnée¨ à elle-même dans un temps où elle était si peu maîtresse de ses sentiments. tristesse; très grande; immédiatement quand; morte; seule;
La manière dont M. de Clèves en usait¨ pour elle, lui faisait souhaiter¨ plus fortement que jamais, de ne manquer en rien à ce qu’elle lui devait. Elle lui témoignait¨ aussi plus d’amitié et plus de tendresse¨ qu'elle n'avait encore fait; elle ne voulait point qu'il la quittât, et il lui semblait qu’à force de s'attacher¨ à lui,il la défendait contre M. de Nemours. faisait tout; désirer; montrait; douceur; elle pensait quand se liait;
Ce prince vint voir¨ M. de Clèves a la campagne. Il fit ce qu'il put pour rendre aussi visite à madame de Clèves; mais elle ne voulut point le recevoir; et,sentant bien qu'elle ne pouvait s’empêcher¨ de le trouver aimable, elle avait pris une forte résolution de s’empêcher de le voir et d'en éviter¨ toutes les occasions qui dépendraient d'elle. visiter; se défendre; fuir;
M. de Clèves vint a Paris pour faire sa cour, et promit à sa femme de s'en retourner le lendemain;¨ il ne revint cependant que le jour après. "Je vous attendis hier", lui dit madame de Clèves, "mais j'étais si nécessaire à la consolation¨ d'un malheureux qu'il m’était impossible de le quitter.Il faut que je m'en retourne pour voir ce malheureux, et je crois qu'il faut que vous reveniez à Paris." jour après; aide mentale;
Madame de Clèves consentit¨ à son retour, et elle revint le lendemain. Les jours suivants, le roi et les reines allèrent voir madame de Clèves. M. de Nemours, qui avait attendu son retour avec une extrême¨ impatience ,et qui souhaitait¨ ardemment¨ de lui pouvoir parler sans témoins, attendit, pour aller chez elle, l'heure où tout le monde en sortirait. Il demeura¨ quelque temps sans pouvoir parler. Madame de Clèves n’était pas moins interdite,¨ de sorte qu'ils gardèrent assez longtemps le silence.¨ fut d'accord avec; très grande; désirait; intensément; resta; troublée; ne parlèrent pas;
Enfin M.de Nemours prit la parole¨ et lui fit des compliments sur son affliction;¨ madame de Clèves, étant bien aise¨ de continuer la conversation sur ce sujet,parla assez longtemps de la perte qu'elle avait faite.Le discours¨ de M. de Nemours lui plaisait et l'offensait ¨ également. Elle ne se flattait plus de¨ l’espérance de ne commença à parler; tristesse; heureux; les paroles; choquait; n'avait plus;
pas l'aimer; elle songea¨ seulement à ne lui en donner jamais aucune marque.¨ Le seul moyen¨ d'y réussir était d’éviter¨ la présence de ce prince, et, comme son deuil¨ lui donnait lieu¨ d'être plus retirée que de coutume,¨ elle se servit de ce prétexte¨ pour n'aller plus dans les lieux où il pouvait la voir. avait l'intention; signe; possibilité; fuir; (de la mort de sa mère); motifs; normalement; motif;
M. de Clèves ne prit pas garde¨ d'abord à la conduite¨ de sa femme; mais enfin,il s'aperçut(vit qu'elle ne voulut pas être dans sa chambre¨ lorsqu'il y avait du monde¨ Il lui en parla, et elle lui répondit qu'elle ne croyait pas que la bienséance¨ voulut qu'elle fût tous les jours avec ce qu'il y avait de plus jeune à la cour. M. de Clèves, qui avait naturellement¨ beaucoup de douceur¨ et de complaisance¨ fit pas attention; manières; salon; des gens; l’étiquette; par nature; bonté; clémence} pour sa femme, n'en eut pas à cette occasion, et il lui dit qu'il ne voulait absolument pas qu'elle changeât de conduite.;
Comme il y avait déjà assez longtemps de la mort de sa depuis mère,il fallait qu'elle commençât à paraître¨ dans le monde et à faire sa cour, comme elle était accoutumée:¨ elle voyait M. de Nemours chez madame la Dauphine; elle voyait chez M. de Clèves,où il venait souvent avec d'autres personnes de qualité de son âge. se montrer; faisait toujours;
Il y avait¨ longtemps que M. de Nemours souhaitait¨ voir le portrait de madame de Clèves. Lorsqu'il vit celui qui était à M. de Clèves il ne put résister¨ à l'envie¨ de le dérober¨ à un mari qu'il croyait tendrement¨ aimé. Madame de Clèves aperçut par un rideau qui n’était fermé qu'à demi, M. de Nemours, le dos contre la table, et elle vit que, sans tourner la tête, il prenait adroitement¨ quelque chose sur la table; elle n'eut pas de peine¨ à deviner¨ que c’était son portrait, et elle fut si troublée que madame le Dauphine remarqua¨ qu'elle ne l’écoutait pas et lui demanda ce qu'elle regardait. M. de Nemours se tourna à ces paroles, et il rencontra les yeux de madame de Clèves qui étaient encore attachés¨ sur lui, et il pensa qu'il n’était pas si impossible qu'elle eût vu ce qu'il venait de faire. Madame de Clèves n’était pas peu embarrassée;¨ la raison voulait qu'elle demandât son portrait; mais en le demandant publiquement, c’était apprendre¨ à tout le monde les sentiments que ce prince avait pour elle, et, en le lui demandant en particulier,¨ c’était quasi¨ l'engager¨ à lui parler de sa passion. Enfin, elle jugea¨ qu'il valait mieux le lui laisser, et elle fut bien aise¨ de lui accorder¨ une faveur¨ qu'elle pouvait lui faire,sans qu'il sût même qu'elle la lui faisait. depuis; désirait; s'opposer; désir; voler; bien; habilement; difficulté; comprendre; signala; fixés; troublée; faire savoir; en privé; presque; inviter; crut; heureuse; donner; grâce;
La paix entre la France et l'Espagne était signée; madame Élisabeth, après beaucoup de répugnance,¨ s’était résolue¨ à obéir au roi son père. Le duc d'Albe été nommé pour venir l’épouser¨ au nom du roi catholique, et il devait bientôt arriver. aversion; avait décidée; se marier avec elle;
Peu de jours avant l’arrivée du duc d'Albe, le roi fit une partie de jeu de paume avec M. de Nemours, le chevalier de Guise et le vidame de Chartres. Après que la partie fut finie, Châtelart s'approcha¨ de la reine Dauphine et lui dit que le hasard lui venait de mettre la fortune entre les mains une lettre de galanterie qui était tombée de la poche de M. de Nemours. Cette_reine, qui avait toujours de la curiosité¨ pour ce qui regardait¨ ce prince,dit à Châtelart de la lui donner; elle la prit et suivit la reine, sa belle-mère, qui s'en allait avec le roi, travailler a la lice.¨ Après que l'on y eut été quelque temps, le roi fit amener des chevaux qu'il avait fait venir depuis peu. Quoiqu'¨ ils ne fussent pas -encore dressés, il les voulut monter et en fit donner à tous ceux qui l'avaient suivi. Le roi et M. de Nemours se trouvèrent sur les plus fougueux;¨ ces chevaux voulurent se jeter l'un sur l'autre. M. de Nemours, par la crainte¨ de blesser le roi,recula¨ brusquement et porta¨ son cheval contre un pilier¨ du manège avec tant de violence¨ que la secousse¨ le fit chanceler.¨ On courut à lui et on le crut considérablement¨ blessé. Madame de Clèves le crut encore plus que les autres.Ce prince demeura¨ quelque temps la tête penchée¨ sur ceux qui le soutenaient.¨ Quand il la releva,il vit d'abord madame de Clèves; il connut¨ sur son visage la pitié qu'elle avait de lui et il la regarda de manière à lui faire juger¨ combien il était touché.¨ vint plus près; intérêt; concernait; tournoi; bien qu'; vifs; peur; se retira; fit aller; colonne; force; choc; presque tomber; sérieusement; resta; baissée; maintenaient; vit; comprendre; ému;
Madame de Clèves, en sortant de la lice,¨ alla chez la reine, l'esprit bien occupé¨ de ce qui s’était passé. La reine Dauphine, qui avait une extrême¨ impatience de savoir ce qu'il y avait dans la lettre que Châtelart lui avait donnée, s'approcha¨ de madame de Clèves:"Allez lire cette lettre," lui dit-elle, "elle s'adresse à M. de Nemours, et, selon les apparences,¨ elle est de cette maîtresse pour qui il a quitte toutes les autres; si vous ne pouvez pas la lire présentement,¨ gardez-la." Madame la Dauphine quitta madame de Clèves après ces paroles et la laissa si étonnée et dans un si grand saisissement¨ qu'elle_fut quelque temps sans pouvoir sortir de sa place. Sitôt¨ qu 'elle fut dans son cabinet, elle ouvrit cette lettre. Madame de Clèves relut la lettre plusieurs fois, sans savoir néanmoins¨ ce qu'elle avait lu; elle voyait seulement que M. de Nemours ne l'aimait pas comme elle avait pensé,et qu'il en aimait d'autres qu'il trompait¨ comme elle. tournoi; absorbé; très grande; vint plus près; vraisemblablement; maintenant; émotion; immédiatement quand; pourtant; dupait;
Madame de Clèves n’était pas la seule personne dont cette lettre troublait le repos.¨ Le vidame de Chartres qui l'avait perdue, et non pas M. de Nemours, en¨ était dans une grande inquiétude.¨ Il trouva qu il n y avait que M. de Nemours qui pût l'aider a sortir de l'embarras¨ où il était. Il s'en allait chez lui et entra dans sa chambre."Je viens vous confier¨ la plus importante affaire de ma vie," lui dit-il, "J'ai laisse tomber cette lettre; il m'est d'une conséquence¨ extrême¨ que ici: personne ne sache qu'elle s'adresse a moi. Je vous de mande en grâce de vouloir bien dire que c'est vous qui l'avez perdue; l'on a dit a la reine Dauphine que c’était de votre poche qu'elle était tombée." le calme; par là; trouble; difficultés; dire en confiance; importance; très grande;
M. de Nemours le promit au vidame de Chartres; néanmoins¨ il ne pouvait supporter¨ qu'une personne qu'il aimait si éperdument¨ eût lieu¨ de croire qu'il eut quelque attachement¨ pour une autre. mais; tolérer; follement; avait des raisons; amour;
Il alla chez elle a l'heure qu'il crut qu'elle pouvait être éveillée.¨ M. de Nemours lui conta tout ce qu'il venait d'apprendre¨ du vidame. Elle trouva une apparence¨ de vérité à ce que lui disait M. de Nemours. Cette idée la tira¨ de la froideur qu'elle avait eue jusqu'alors. Sitôt¨ qu'elle le crut innocent, elle entra avec un esprit ouvert et tranquille¨ dans les mêmes choses qu'elle semblait d'abord ne daigner¨ pas entendre.Ils convinrent¨ qu'il ne fallait point rendre la lettre a la reine Dauphine.Cet air¨ de mystère et de confiance n’était pas un médiocre¨ charme pour ce prince et même pour madame de Clèves. sortie du sommeil; entendre; aspect; fit sortir; immédiatement quand; calme; vouloir; accordèrent; atmosphère; petit;
Madame de Clèves demeura¨ seule; et sitôt qu'elle ne fut plus soutenue¨ par cette joie que donne la présence de ce que l'on aime, elle revint comme d'un songe,¨ et regarda avec étonnement la prodigieuse¨ différence de l’état¨ où elle était le soir d'avec celui ou elle se trouvait alors."e suis vaincue¨ et surmontée¨ par une inclination,¨ se disait-elle, "qui m'entraîne¨ malgré moi;¨ toutes mes résolutions sont inutiles.Il faut m'arracher¨ de la présence de M. de Nemours; il faut m'en aller à la campagne." resta; animée; rêve; miraculeuse; humeur; dominée; surpassé; amour; emporte; contre ma volonté; éloigner;
Quand M. de Clèves fut revenu, elle lui dit qu'elle voulait aller à la campagne,qu'elle se trouvait mal¨ et qu'elle avait besoin de prendre l'air.Elle le pria de trouver bon qu'elle allât à Coulommiers. M.de Clèves y consentit.¨ malade; fut d'accord;
M. de Nemours avait bien de la douleur¨ de n'avoir point revu madame de Clèves. Il avait une impatience¨ de la revoir qui ne lui donnait point de repos¨ de sorte qu'il résolut¨ d'aller chez sa sœur qui était à la campagne assez près de Coulommiers. Madame de Mercoeur,sa sœur, le reçut avec beaucoup de joie et ne pensa qu'à le divertir¨ et a lui donner tous les plaisirs de la campagne. tristesse; désir; calme; décida; amuser;
Comme¨ ils étaient à la chasse, M. de Nemours s’égara¨ dans la foret. Il se laissa conduire au hasard par des routes faites avec soin. Il trouva, au bout de ces routes un pavillon.Il entra dans le pavillon, lorsqu'il vit venir par la grande allée du parc M. et madame de Clèves. quand; perdit le chemin;
Son premier mouvement¨ le porta ਠse cacher. Voyant que madame de Clèves et son mari s’étaient assis sous le pavillon, il ne put se refuser le plaisir de voir cette princesse, ni résister¨ à la curiosité d’écouter sa conversation avec un mari qui lui donnait plus de jalousie qu'aucun de ses rivaux. impulsion; fit; s'opposer;
Il entendait que M. de Clèves disait à sa femme: "Mais pourquoi ne voulez-vous point revenir a Paris? Votre air et vos paroles me font voir que vous avez des raisons pour souhaiter¨ d'être seule et je ne les sais point; et je vous conjure¨ de me les dire." "Eh bien,monsieur," lui répondit-elle en se jetant à ses genoux¨ "je vais vous faire un aveu¨ que l'on n'a jamais fait a un mari; mais l'innocence de ma conduite¨ et de mes intentions m'en donne la force. Il est vrai que j'ai des raisons pour m’éloigner¨ de la cour, et que je veux éviter¨ les périls¨ où se trouvent quelquefois les personnes de mon âge." désirer; demande; devant lui; confession; actions; tenir loin; prévenir; dangers;
"Je n'ai jamais pu vous donner de l'amour,"dit-il,"et Je vois que vous craignez¨ d'en avoir pour un autre. Et qui est-il, madame, cet homme heureux qui vous donne cette crainte¨ ? Depuis quand vous plaît-il¨ ?""Je vous supplie¨ de ne me le point demander,“ répondit-elle; "Je suis résolue¨ de ne pas vous le dire, et je crois que la prudence ne veut pas que je vous le nomme; contentez-vous de l'assurance,que je vous donne encore,qu'aucune de mes actions n'a fait paraître¨ mes sentiments." avez peur; peur; l'aimez-vous; demande; décidée; montré;
"Ah!madame," reprit tout d'un coup M. de Clèves, "je ne vous saurais croire. Je me souviens de l'embarras¨ où vous fûtes le jour ou votre portrait se perdit.¨ Vous avez donné, madame, vous avez donné ce portrait qui m’était si cher." "Est-il possible," s’écria-t-elle, "que vous puissiez penser qu'il y a quelque déguisement¨ dans un aveu¨ comme le mien,qu'aucune raison ne m'obligeait¨ à vous faire! Fiez-vous¨ à mes paroles; croyez, je vous en conjure,¨ que je n'ai point donne mon portrait. Il est vrai que je le vis prendre; mais je ne voulus pas faire paraître que Je le voyais, de peur de m'exposer à ¨ me par faire dire des choses que l'on n'a pas encore osé me dire". "Vous avez raison,madame," reprit-il, "Je suis injuste."¨ trouble; disparut; simulation; confession; imposait; ayez confiance en; prie; risquer de; peu correct;
Dans ce moment, plusieurs de leurs gens¨ vinrent avertir¨ M. de Clèves qu'un gentilhomme venait le chercher de la part du¨ roi,pour lui ordonner de se trouver le soir à Paris. M. de Clèves fut contraint¨ de s'en aller. serviteurs; informer; au nom du; forcé;
Cependant M. de Nemours était sorti du lieu ou il avait avait entendu une conversation qui le touchait¨ si sensiblement¨ et s’était enfoncé¨ dans la forêt. concernait; d'une manière notable; était entré;
Il s'abandonna¨ d'abord à cette joie, mais elle ne fut pas longue, quand il fit réflexion¨ que la même chose qui lui venait d'apprendre ¨ qu'il avait touché¨ le cœur de madame de Clèves devait le persuader¨ aussi qu'il n'en recevrait jamais nulle marque.¨ se laissa dominer par; pensa; faire savoir; ému; assurer; signe;
Cependant M.,de Clèves était aller trouver¨ le roi, le cœur pénétré"d'une douleur¨ mortelle; ce qui l'occupait¨ le plus c’était l'envie¨ de deviner¨ celui qui avait su lui plaire. M. de Nemours lui¨ vint d'abord dans l'esprit, et le chevalier de Guise et le maréchal de Saint André. visiter; tristesse; obsédait; désir; trouver le nom de; (à sa M. de Clèves);
Il arriva au Louvre, et le roi le mena dans son cabinet pour lui dire qu'il l'avait choisi pour conduire Madame¨ enEspagne la Princesse;
Il écrivit à l'heure même à madame de Clèves pour lui apprendre¨ ce que le roi venait de lui dire,et lui manda¨ encore qu'il voulait absolument qu'elle revînt à Paris. Elle y revint comme il l'ordonnait. dire; fit savoir;
Un soir que M. et madame de Clèves étaient chez la reine, quelqu'un dit que le bruit courait¨ que le roi nommerait¨ encore un grand seigneur de la cour pour aller conduire¨ Madame en Espagne. M. de Clèves avait les yeux sur sa femme, dans le temps qu'on ajouta¨ que ce serait peut-être le chevalier de Guise ou le maréchal de Saint-André. Il remarqua¨ qu'elle n'avait point été émue¨ de ces deux noms. Voulant s’éclaircir¨ de ses soupçons,¨ il entra dans le cabinet de la reine où était le roi. on racontait; choisirait; accompagner; dit encore; constata; émotionnée; assurer; pensées non assurées;
Après y avoir demeuré¨ quelque temps,il revint auprès de sa femme et lui dit tout bas qu'il venait d'apprendre¨ que ce serait H. de Nemours qui irait avec eux en Espagne. Le nom de M. de Nemours donna un tel trouble à madame de Clèves qu'elle ne put le cacher. resté; entendre dire;
Les fiançailles de Madame se faisaient le lendemain et le mariage se faisait le jour après .Enfin le jour du tournoi arriva. Quoique¨ le roi fut le meilleur homme de cheval de son royaume, on ne savait à qui donner l'avantage.¨ Il manda¨ au comte de Montmorency ,qui était extrêmement¨ adroit,¨ qu'il se mît sur la lice.¨ Il courut;les lances se brisèrent¨ et un éclat¨ de celle du comte de Montmorency lui donna¨ dans l’œil et y demeura. Ce prince tomba du coup. On peut juger¨ quel trouble et quelle affliction¨ apporta un accident si funeste dans une journée destinée¨ à la joie. malgré que; supériorité; fit dire; très; habile; terrain du tournoi; se cassèrent; morceau; entra; s'imaginer; tristesse; faite pour;
Le mal du roi se trouva si considérable,¨ que le septième jour il fut condamne¨ par les médecins. Il mourut à la fleur de son âge, heureux, adoré¨ de ses peuples. sérieux; déclaré perdu; aimé;
Peu de jours après la mort du roi, on résolut¨ d'aller à Reims pour le sacre.¨ Madame de Clèves pria son mari de trouver bon qu'elle ne suivît point la cour et qu' elle s'en allât à Coulommiers, prendre l'air et songer¨ à sa santé. Il lui répondit qu'il ne voulait point pénétrer¨ si c’était la raison de sa santé qui l’obligeait¨ à ne pas faire le voyage, mais qu'il consentait¨ qu'elle ne le fit point. décida; couronnement du nouveau roi; faire attention; comprendre; imposait; êtait d'accord;
M. de Clèves résolut de s’éclaircir¨ de la conduite¨ de sa femme, et de ne pas demeurer dans une cruelle incertitude. Il résolut de se fier ਠun gentilhomme qui était à lui, dont il connaissait la fidélité et l'esprit. Il lui ordonna de partir sur les pas ¨ de M. de Nemours, de l'observer exactement, de voir s'il n'irait point à Coulommiers et s'il n'entrerait pas la nuit dans le jardin. assurer; manière de faire; mettre sa confiance en; après;
Le gentilhomme s'en acquitta¨ avec toute l’exactitude imaginable. Il suivit M. de Nemours jusqu'à un village à une demi-lieu ¨ de Coulommiers où ce prince s’arrêta. Il alla dans la forêt à l'endroit¨ où il jugeait¨ que M. de Nemours pouvait passer. Sitôt que¨ la nuit fut venue, il entendit marcher, et, quoiqu'il fît obscur¨ aisément¨ M. de Nemours. Il le vit faire le tour ¨ du jardin, pour choisir le lieu où il pourrait passer le plus aisément. M. de Nemours se rangea¨ derrière une des fenêtres pour voir ce que faisait madame de Clèves. Poussé ¨ par le désir de lui parler, il avança quelques pas, mais avec tant de trouble qu'il fit du bruit.¨ Madame de Clèves tourna la tête. Elle crut le reconnaître, et sans balancer¨ elle entra dans le lieu ou étaient ses femmes. le fit; ± 2 kilomètres; la place; pensait; immédiatement quand; nuit; facilement; marcher autour; plaça; pressé; tumulte; hésiter;
M. de Nemours était resté dans le jardin tant¨ qu'il avait vu de la lumière; mais voyant qu'on fermait les portes,il jugea¨ bien qu'il n'avait plus rien a espérer. tout le temps; conclut;
Il vint reprendre son cheval tout proche¨ du lieu¨ où attendait le gentilhomme de M. de Clèves. Ce gentilhomme le suivit jusqu'au village. M. de Nemours attendit la nuit avec impatience, et quand elle fut venue, il reprit le chemin de Coulommiers. Le gentilhomme de M. de Clèves le suivit jusqu'au lieu où il l'avait suivi le jour auparavant,¨ et le vit entrer dans le même jardin. près; place; avant;
Le gentilhomme revint à Paris. Son maître attendait son retour comme ce qui allait décider du malheur de toute sa vie. Sitôt qu'il le vit, il jugea¨ par son visage et par son silence qu'il n'avait que des choses fâcheuses¨ à lui apprendre.¨ "Allez," lui dit-il, "je vois ce que vous avez à me dire, mais je n'ai pas la force de l’écouter." conclut; pénibles; faire savoir;
"Je n'ai rien a vous apprendre," répondit le gentilhomme, "sur quoi on puisse se faire un jugement¨ assuré.¨ il est vrai que M. de Nemours est entré deux nuits dans le jardin de la forêt."-"C'est assez," répliqua¨ M. de Clèves, "c'est assez," en lui faisant encore signe de se retirer.¨ Le gentilhomme fut contraint¨ de laisser son maître à son désespoir. opinion; sûr; répondit; partir; forcé;
M. de Clèves ne put résister¨ à l'accablement¨ où il se trouva. La fièvre¨ le prit dès la nuit même, et avec de si grands accidents¨ que dès ce moment sa maladie parut dangereuse; on en donna avis¨ à madame de Clèves;elle vint en diligence.¨ Quand elle arriva,il était encore plus mal. Elle vint se mettre à genoux devant son lit, le visage tout couvert de larmes.¨ "Vous versez bien des vite pleurs,¨ madame," dit-il,"pour une mort que vous causez et qui ne peut vous donner la douleur¨ que vous faites paraître. Mais sachez que vous me rendrez la mort agréable, et, qu’après m'avoir ôté¨ l'estime¨ et la tendresse¨¨ Mais ma mort vous laissera en liberté," ajouta-t-il, "et vous pourrez rendre¨ M. de Nemours heureux,sans qu'il vous en coûte des crimes." "Moi, des crimes!" s’écria-t-elle, "la pensée même m'est inconnue." "Mais que pouvez-vous me dire? M. de Nemours n'a-t-il pas passé les deux nuits précédentes¨ avec vous dans le jardin de la forêt?" "Si c'est là mon crime," répliquait-¨ elle, "il m'est aisé¨ de me justifier,¨ et elle lui parla avec tant d'assurance¨ que M. de Clèves fut presque convaincu¨ de son innocence. s'opposer; décourage; température; complications; information; vite; pleurs; vous pleurez bien vite; tristesse; pris; respect; amour que j'avais pour vous, la vie me ferait horreur.; serait terrible; faire; passées; répondit; facile; défendre; fermeté; sûr;
"Je ne sais pas," lui dit-il,"si je dois me laisser aller a vous croire.Je me sens si proche¨ de la mort, que je ne veux rien voir de ce qui pourrait me faire regretter¨ la vie. Vous m'avez éclairci¨ trop tard; mais ce me sera toujours un soulagement¨ d'emporter la pensée que vous êtes digne de¨ l'estime¨ que j'ai eue pour vous." près; être triste de quitter..; informé; bonne pensée; avez droit à; le respect;
Il voulut continuer; mais une faiblesse lui ôta¨ la parole. Madame de Clèves fit venir les médecins; ils trouvèrent presque sans vie.Il languit¨ néanmoins¨ quelques jours, et mourut enfin avec une constance admirable. prit; fut malade; pourtant encore;
Madame de Clèves demeura dans une affliction¨ si violente¨ qu'elle perdit quasi l'usage de la raison.L'horreur¨ qu'elle eut pour elle-même et pour M. de Nemours ne peut se représenter.¨ Elle ne trouvait de consolation¨ qu'à penser qu'elle le regrettait autant qu'il méritait d’être regretté. Et qu'elle ne ferait dans le reste de sa vie que ce qu'il aurait été bien aise¨ qu'elle eut fait,s'il avait vecu. tristesse; intense; aversion; s'imaginer; aide morale; heureux;
Après que plusieurs mois fuyant passes, elle sortit de cette violente¨ affliction¨ où elle était et passa dans un état de tristesse et de langueur.¨ intense; tristesse; mélancolie;
Lasse¨ d'un état si malheureux et incertain, M. de Nemours résolut de tenter¨ quelque voie¨ d’éclaircir sa destinée.¨ fatigué; essayer; possibilité; avenir;
Il alla chez le vidame de Chartres, et lui fit un aveu¨ sincère¨ de tout. Le vidame reçut¨ tout ce qu’il lui dit avec beaucoup de joie, et lui proposa de le mener chez elle; mais M. de Nemours crut qu elle en serait choquée parce qu' elle ne voyait¨ encore personne. Ils trouvèrent que M. le vidame la priât de venir chez lui sur quel-que prétexte.¨ Cela s’exécuta¨ comme ils l avaient résolu; madame de Clèves vint; le vidame alla la recevoir, et la conduisit dans un grand cabinet; quelque temps après, M. de Nemours entra comme si¨ le hasard¨ l'eut conduit. Madame de Clèves fut extrêmement surprise de le voir. confession; ouvert; écouta; recevait; faux motif; fut réalisé; simulant que; coïncidence;
"Ne craignez rien,¨ madame", lui dit-il, "personne ne sait que je suis ici et aucun hasard es a craindre. n'ayez pas peur;
Écoutez-moi madame, écoutez-moi; si ce n'est pas par bonté, que ce soit du moins pour l'amour de vous-même."
"Puisque¨ vous voulez que je vous parle,et que je m'y résous¨ répondit madame de Clèves en s'asseyant, "je le ferai avec une sincérité¨ que vous trouverez malaisément¨ dans les personnes de mon sexe;je vous avoue que vous m'avez inspiré des sentiments qui m’étaient inconnus avant de vous avoir vu. Mais cet aveu n'aura pas de suites,¨ et je suivrai les règles sévères¨ que mon devoir m'impose: mon devoir me défend de penser jamais à personne, et moins qu'à vous qu'à qui que soit monde. Il n'est que trop véritable¨ que vous êtes cause de la mort de M. de Clèves: les soupçons¨ que lui a donnés votre conduite¨ inconsidérée¨ lui ont coûté la vie, comme si vous la lui aviez ôtée¨ de vos propres mains. parce-que; décide; cœur ouvert; difficilement; conséquences; strictes; vrai; méfiance; manière de faire; irréfléchie; pris;
Je sais que vous êtes libre,¨ que je le suis, et que les choses sont telles que le public n'aurait peut-être pas sujet¨ de vous blâmer,¨ ni moi non plus, quand nous nous engagerions¨ ensemble pour jamais;¨ mais les hommes conservent-ils de la passion dans ces engagements¨ éternels¨ Vous avez eu déjà plusieurs passions, vous en aurez encore; je ne ferais plus votre bonheur; je vous verrais pour¨ une autre, comme vous auriez été pour moi; j'en aurais une douleur¨ mortelle. Adieu," lui dit-elle, “voici une conversation qui me fait honte.¨ " Elle sortit en disant ces paroles,sans que M. de Nemours pût la retenir.¨ non-marié; des motifs; critiquer; unirons; toujours; unions; pour toujours; être à; tristesse; déshonneur; l'arrêter;
Madame de Clèves, dont l'esprit avait été si agité¨ tomba dans une maladie violente,¨ sitôt qu'elle fut arrivée chez elle. La nécessité de mourir, dont elle se voyait si proche,¨ l'accoutuma¨ se détacher de¨ toutes choses,et la longueur de sa maladie lui en fit une habitude.¨ Lorsqu'elle revint de cet état, elle trouva néanmoins¨ que M. de Nemours n'était pas effacé¨ de son cœur; mais elle appela à son secours,¨ pour se défendre contre lui toutes raisons qu'elle croyait avoir pour ne l’épouser jamais. Il se passa un assez grand combat en elle-même. troublé; grave; près; lui fit accepter; de ne plus aimer; chose normale; pourtant; chassé; aide;
Enfin, elle surmonta¨ les restes de cette passion qui était affaiblie par les sentiments que sa maladie lui avait donnés. La pensée de la mort lui avait rapproché¨ la mémoire de M. de Clèves. domina; fait penser plus à;
Elle se retira, sur le prétexte¨ de changer d'air dans une maison religieuse, sans faire paraître¨ un dessein¨ arrêté¨ de renoncer à la cour. Elle passait une partie de l'année dans cette maison religieuse, et l'autre chez elle; mais dans une retraite¨ et dans de occupations plus saintes que celles des couvents¨ les plus austères;¨ et sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables. motif; montrer; intention; décisif; isolement; maisons religieuses; durs;

17. Marivaux

17.1. Le jeu de l'amour et du hasard (1730)

MO Monsieur Orgon
LI Lisette,femme de chambre de Silvia
MA Mario,fils d'Orgon
SI Silvia,fille d'Orgon
AR Arlequin, valet de Dorante
DO Dorante, amant de Silvia

 
ACTE PREMIER, Scène I
MO Eh!bonjour, ma fille;la nouvelle que je viens t'annoncer te fera-t-elle plaisir? Ton prétendu¨ arrive aujourd'hui; son père me l'apprend¨ par cette lettre-ci. Tiens,¨ ma chère enfant, tu sais combien je t'aime. Dorante vient pour t’épouser;¨ Dans le dernier voyage futur mari; fait savoir; écoute; se marier avec toi;
que je fis en province,j’arrêtai¨ ce mariage-là avec son père, qui est mon intime et ancien ami;mais ce fut a condition que vous vous plairiez ਠtous deux. décidai; aimeriez;
SI Je suis pénétrée¨ de vos bontés, mon père. Mais si j'osais, je vous proposerais, sur une idée qui me vient, de m'accorder¨ une grâce¨ qui me tranquilliserait¨ tout a fait.¨ remplie; donner; faveur; rassurerait; complètement;
MO Explique-toi, ma fille.
SI Dorante arrive aujourd'hui; si je pouvais le voir, l'examiner¨ un peu sans qu'il me connût. Lisette a de l’esprit, monsieur; elle pourrait prendre ma place pour un peu de temps, et je prendrais la sienne.¨ observer; (=sa place);
MO Soit,¨ ma fille, je te permets le déguisement.¨ d'accord; mascarade;

 
Scène II. Mario entre
MA Ma sœur, je te félicite de la nouvelle que j'apprends;¨ nous allons voir ton amant, dit-on. qu'on me dit;
SI Oui, mon frère, mais je n'ai pas le temps de m'arrêter;¨ j'ai des affaires sérieuses, et mon père vous les dira; je vous quitte. (Elle sort) rester;
MO Ne l’arrêtez pas,Mario; venez, vous_saurez de quoi il s'agit.¨ il est question;
MA Qu'y a-t-il de nouveau, monsieur?
MO Nous verrons Dorante aujourd'hui; mais nous ne le verrons que déguise.¨ masqué;
MA Viendra-t-il en partie¨ démasquée? Lui donne-t-il le bal? fête;
MO Écoutez l'article¨ de la lettre du père:(Hum) .., alinéa;
"Je ne sais au reste¨ ce que vous penserez d'une imagination¨ qui est venue à mon fils; elle est bizarre, il en convient¨ lui-même; mais le motif est pardonnable et même dêlicat; c'est qu'il m'a prié de demandé lui permettre de n'arriver d'abord¨ chez vous que sous la figure de son valet,¨ qui,de son côté, fera pour le reste; fantaisie; est d'accord; pour la première fois; serviteur;
le personnage de son maître."
Mais ce n'est pas le tout. Voici ce qui arrive: C'est que votre sœur , inquiète de son côté sur le chapitre de Dorante, dont,elle ignore¨ le secret, m'a demandé de jouer ici la même comédie,et cela précisément pour observer Dorante, comme Dorante veut l'observer ne sait pas;
Qu'en dites-vous? Avertirai-¨ je votre sœur? informerai;
MA Ma foi,¨ monsieur,puisque¨ les choses prennent ce train-là,¨ je ne voudrais pas les déranger¨ et je respecterais l’idée qui leur est venue à l'un et à l'autre. Il faudra bien qu'ils se parlent souvent sous ce déguisement.¨ vraiment; parce que; marchent ainsi; troubler; identité cachée;

 
Scène III. Silvia entre.
SI Me voilà, monsieur; ai-je mauvaise grâce¨ en femme de chambre? Et vous, mon frère, vous savez de quoi il agit¨ , apparemment.¨ Comment me trouvez-vous? air peu correct; quel est le problème; évidemment;
MA Ma foi, ma sœur, tu pourrais bien escamoter¨ Dorante voler;
à ta maîtresse.
SI Franchement¨ je ne hairais pas¨ de lui plaire sous le à vrai dire; aimerais bien;
personnage que je joue.

 
Scène IV. Dorante entre en valet
DO Je cherche monsieur Orgon; n'est-ce pas à lui que j'ai l'honneur de faire la révérence?¨ saluer;
MO Qui,mon ami, c'est à lui-même.
DO Monsieur, vous avez sans doute, reçu de nos nouvelles; j'appartiens ਠmonsieur Dorante qui me suit, et qui suis m'envoie toujours devant¨ vous assurer de ses respects,en attendant¨ qu'il vous en assure lui-même. je suis le serviteur de; avant lui; jusqu’à ce;
MO Tu fais ta commission de fort bonne grâce.¨ Lisette, que dis-tu de ce garçon-la? correctement;
SI Moi, monsieur,je dis qu'il est le bienvenu,et qu'il promet.¨ (=d"être mieux);
DO Vous avez bien de la bonté; je fais du mieux¨ qu'il m'est possible. aussi bien;
MA Il n'est pas mal tourné,¨ au moins-ton cœur n'a qu'à se bien tenir,¨ Lisette. fait; faire attention;
MO Mon fils, retirons-¨ nous; Dorante va venir, allons-le dire à ma fille; et vous Lisette, montrez à ce garçon l'appartement de son maître. Adieu, Bourguignon. sortons;
DO Monsieur, vous me faites trop d'honneur.

 
Scène V. Silvia et Dorante.
DO Dis-moi, Lisette, ta maîtresse te vaut-elle?¨ Elle est bien hardie¨ d'oser avoir une femme de chambre comme toi. est-elle aussi belle que toi; courageuse;
SI Bourguignon, cette question-là m'annonce que, suivant la coutume,¨ tu arrives avec l'intention de me dire des douceurs,¨ n'est-il pas vrai? habitude; mots doux;
DO Ma foi¨ , je n’étais pas venu dans ce dessein¨ là, je te l'avoue.¨ Quelle espèce¨ de suivante es-tu donc, avec ton air de princesse? vraiment; intention; confesse; sorte;
SI (a part) Mais en vérité,voilà un garçon qui me surprend. (Haut):Dis-moi,qui es-tu, toi, qui me parles ainsi?
DO Le fils d’honnêtes gens qui n’étaient pas riches.
SI Va; je te souhaite¨ de bon cœur¨ une meilleure situation que la tienne, et je voudrais y contribuer;¨ la fortune a tort¨ avec toi. espère; avec plaisir; aider; malfait;

 
Scène VI Dorante, Silvia, Arlequin
AR_Ah! te voilà, Bourguignon! Mon porte-manteau¨ et toi avez-vous été bien reçus? valise;
DO Il n’était pas possible qu'on nous reçût mal monsieur.
AR Un domestique¨ là-bas m'a dit d'entrer ici, et qu'on allait avertir¨ mon beau-père qui était avec ma femme. serviteur; informer;
SI Vous voulez dire: monsieur Orgon et sa fille, sans doute,monsieur!
AR Eh! oui, mon beau-père et ma femme,autant vaut.¨ Je viens pour épouser, et ils m'attendent pour être mariés; cela est convenu;¨ il ne manque plus que la cérémonie qui est une bagatelle. ` c'est la même chose; décide;
SI C'est une bagatelle qui vaut bien la peine qu'on y
pense.¨ Je cours¨ informer votre beau-père de votre arrivée. à laquelle on doit bien penser; vais vite;

 
ACTE DEUX. Scène l. Lisette, monsieur Orgon.
MO Eh bien! que me veux-tu, Lisette?
LI J'ai à vous entretenir¨ un moment. je dois vous parler;
MO De quoi s'agit-il?¨ quel est le problème;
LI De vous dire l’état ou sont les choses, parce qu'il est important que vous en soyez éclairci,¨ afin¨ que vous n'ayez point à vous plaindre¨ de moi. informé; pour; être mécontent;
MO Ce ci est donc sérieux.
LI Oui, très sérieux. Il faut que je vous dise que,si vous ne mettez ordre à ce qui arrive, votre prétendu gendre¨ n'aura plus de cœur à donner à mademoiselle votre fille. Il est temps qu'elle se déclare;¨ cela se presse,¨ car, un jour plus tard, je n'en réponds¨ plus. futur beau-fils; dise qui elle est; hâte; le garantis;
MO Eh! que vous importe?¨ S'il vous aime tant, qu'il, qu'est-ce que ça peut faire;
vous épouse!
LI Quoi! Vous ne l'en empêcheriez¨ pas? préviendrez;
MO Non, foi¨ d'homme d'honneur, si tu le mènes¨ jusque là. Mais le valet, comment se gouverne-¨ t-il? ne se mêle-¨ t-il pas d'aimer ma fille? parole; décides; conduit; essaie;
LI C'est un original; j'ai remarqué qu'il fait¨ l'homme d’importance avec elle, parce qu'il est bien tourné;¨ il la regarde et soupire. joue; beau;
MO Et cela la fâche?
LI Mais ... elle rougit.
MO Bon,tu te trompes; les regards d'un valet ne l'embarrassaient¨ pas jusque là. troublaient;

 
Scène II. Lisette, Arlequin, Monsieur Orgon.
AR Ah! je vous trouve merveilleuse¨ dame; je vous demandais à tout le monde. Serviteur,¨ cher beau-père ou peu s'en faut¨ très belle; je suis votre serviteur; presque;
MO Serviteur. Adieu,mes enfants;je vous laisse ensemble; il est bon que vous vous aimiez un peu avant de vous marier.
AR Je ferais bien ces deux besognes¨ là à la fois,¨ monsieur. affaires; en même temps;
MO Point d'impatience; adieu! (il sort)
AR Madame, il dit que je ne m'impatiente pas; il en parle bien à son aise,¨ le bonhomme. sans comprendre le problème;
LI J'ai de la peine¨ à croire qu'il vous en coûte tant d'attendre, monsieur. des difficultés;
AR (en lui baisant la main).Cher joujou¨ de mon âme! Cela me réjouit¨ comme du vin délicieux. jouet; fait plaisir;
LI Allons, arrêtez-vous; vous êtes trop avide.¨ Ne faut-il pas avoir de la raison? désireux;
AR Avoir de la raison! hélas! je l'ai perdue; vos beaux yeux sont les filous¨ qui me l'on volée.¨ bandits; prise;
LI Mais est-il possible que vous m'aimiez tant? Je ne saurais me le persuader¨ le croire;
AR Je ne me soucie¨ pas de ce qui est possible, moi, mais je vous aime comme un perdu, et vous verrez bien dans votre miroir que cela est juste. m’intéresse;
LI Mais que me demandez-vous?
AR Dites-moi un petit brin¨ que tous m'aimez. Tenez,je vous aime, moi; faites l’écho, répétez, princesse. peu;
LI Quel insatiable!¨ Eh bien,monsieur,je vous aime. difficile à contenter;
AR Votre bonté m'éblouit¨ et je me prosterne¨ devant elle (Il se met à genoux); aveugle; mets à genoux;
LI Arrêtez-vous; je ne vous saurais souffrir¨ dans cette posture-¨ là; je serais ridicule de vous y laisser;levez-vous. Voilà encore quelqu'un. tolérer; attitude;

 
Scène III Silvia entre.
LI Que voulez-vous,Lisette?
SI J'aurais à vous parler, madame.
LI Ne pouvez-vous pas revenir dans un moment, Lisette?
SI Mais, madame . . .
LI Permettez donc que je m'en¨ défasse, monsieur. (=d'elle);
AR Puisque¨ le diable le veut, et elle aussi ... patience! ... Je me promènerai¨ en attendant¨ qu'elle ait fait.¨ Ah! les sottes gens que nos gens.¨ (il sort) parce que; sortirai; jusqu'à ce; fini; serviteurs;

 
Scène IV Silvia, Lisette
SI Je vous trouve admirable de ne pas le renvoyer tout d'un coup¨ et de me faire essuyer¨ les brutalités de cet animal-là. tout de suite; supporter;
LI Pardi! madame,je ne puis pas jouer deux rôles à la fois.¨ il faut que je paraisse ou la maîtresse ou la suivante;¨ que j’obéisse ou que j'ordonne. en même temps; servante;
SI Fort¨ bien, mais puisqu'il n'y est plus, écoutez-moi comme votre maîtresse. Vous voyez bien que cet homme là ne me convient¨ pas. très; plaît;
LI Mais, madame, le futur, qu'a-t-il donc de si désagréable, de si rebutant?¨ antipathique;
SI Il me déplaît, vous dis-je, et votre peu de zèle¨ aussi. enthousiasme;
LI Son valet, qui fait l'important, ne vous aurait-il pas gâté¨ l'esprit? troublé;
SI Hum! la sotte! son valet a bien affaire ici.¨ n'a rien à faire avec ceci;
LI C'est que je me défie¨ de lui, car il est raisonneur. n'ai pas confiance;
SI Finissez vos portraits; on n'en a que faire. J'ai soin¨ que ce valet me parle peu, et dans le peu qu'il m'a dit,il ne m'a jamais dit rien que de très sage.¨ rien à faire; intelligent;
LI Oh! madame, dès¨ que vous le défendez sur ce ton-là, et que cela va jusqu'à vous fâcher, je n'ai plus rien à dire. immédiatement quand;
SI Dès que je le défends sur ce ton-là! Qu'est-ce que c'est que le ton dont vous dites cela vous-même! Qu'entendez vous¨ par ce discours?¨ Que faut-il que je réponde à cela? Qu'est-ce que cela veut dire? À qui parlez-vous? Qui est-ce qui est à l'abri¨ de ce qui m'arrive? Ou en sommes-nous? voulez-vous dire; ce que vous dites; protégée;
LI Je n'en sais rien; mais je ne reviendrez¨ de longtemps de la surprise où vous me jetez. (Elle sort) sortira;

 
Scène V Silvia, seule.
SI Je frissonne¨ encore de ce que je lui ai entendu dire; avec quelle impudence¨ les domestiques ne nous traitent-¨ ils pas dans leur esprit! Voici Bourguignon, voilà cet objet¨ en question pour lequel je m'emporte;¨ mais ce n'est pas sa faute, le pauvre garçon! et tremble; irrespect; considèrent; (=personne); me fâche;
je ne dois pas m'en prendre à lui.¨ me fâcher contre lui;

 
Scène VI. Dorante, Silvia.
DO Lisette,quelque éloignement¨ que tu aies pour moi, je suis forcé de¨ te parler; mon malheur est inconcevable.¨ Tu m’ôtes¨ peut-être le repos de ma vie. antipathie; dois; incroyable; prends;
SI Quelle fantaisie il s'est allé mettre dans l'esprit! Il me fait de la peine.¨ Reviens a toi. Tu parles, je te réponds; c'est beaucoup;c'est trop même. chagrin;
DO Ah! ma chère Lisette, que je souffre.¨ suis malheureux;
SI Venons à ce que tu voulais me dire; de quoi était-il question?
DO De rien, d'une bagatelle; j'avais envie¨ de te voir, et je crois que je n'ai pris qu'un prétexte.¨ désirais; faux motif;
SI (à part) Que dire de cela? Quand je n'en fâcherais il n'en serait ni plus ni moins.¨ la situation serait la même;
DO Laisse-moi du moins le plaisir de te voir.
SI Le beau motif qu'il me fournit¨ là! J'amuserai¨ la donne; ferais plaisir à;
passion de Bourguignon! Le souvenir de tout ceci me fera bien rire un jour.
DO Tu me railles;¨ tu as raison; je ne sais ce que je dis, ni ce que je te demandes. Adieu. ridiculise;
SI Adieu; tu prends le bon parti¨ ... Mais à propos¨ de tes adieux, il me reste encore une chose a savoir. Vous partez, m'as-tu dit; cela est-il sérieux? décision; pour parler;
DO Pour moi, il faut que je parte ou que la tête me tourne.¨ je deviens fou;
SI Nous y voilà.¨ Je me défendrai bien de t'entendre, moi; adieu. (Elle se retourne) cela recommence;
DO Reste; ce n'est plus Bourguignon qui te parle.
SI Eh! qui es-tu donc!
DO Ah! Lisette! C'est ici que tu vas juger¨ des peines¨ donner ton opinion; misères;
qu'a dû ressentir mon cœur.
SI Ce n'est pas a ton cœur que je parle, c'est a toi.
DO Personne ne vient-il?
SI Non.
DO Sache¨ que celui qui est avec ta maîtresse n'est pas ce qu'on pense. tu dois savoir;
SI Qui est-il donc?
DO Un valet.
SI Après?¨ continue;
DO C'est moi qui suis Dorante.
SI (à part) Ah! je vois clair dans mon cœur. Cachons-lui qui je suis ... (haut).Votre situation est neuve assurément. Mais,monsieur, je vous fais d'abord mes excuses de tout ce que mes discours¨ ont pu avoir d’irrégulier¨ dans nos entretiens.¨ ce que j'ai dit; contre les règles; conversations;
DO Tais-toi,¨ Lisette; tes excuses me chagrinent;¨ elles ne dis pas ça; attristent;
me rappellent la distance qui nous sépare, et ne me la rendent ¨ que plus douloureuse.¨ font; pénible;
SI Votre penchant¨ pour moi est il sérieux? M'aimes-tu? amour;
DO Au point de¨ renoncer¨ à"tout engagement¨ puisqu'il ne m'est pas permis d'unir mon sort au tien; et dans cet état, la seule douceur que je pouvais goûter, c'etait de croire que tu ne me haïssais¨ pas. tellement que; abandonner; obligation; détestait;
SI Un cœur qui m'a choisi dans la condition¨ où je suis,est assurément digne¨ qu'on l'accepte, et je le payerais¨ volontiers du mien,¨ si je ne craignais¨ pas de le lui jeter dans un engagement¨ qui lui ferait tort. état; de valeur; donnerais; (=mon cœur); avais peur; liaison;
DO N'as-tu pas assez de charmes, Lisette? Y ajoutes-tu encore la noblesse avec laquelle tu me parles?
SI J'entends quelqu'un. Patientez¨ encore sur l'article de votre valet; les choses n'iront pas si vite. Nous nous reverrons, et nous chercherons les moyens¨ de vous tirer d'affaire.¨ ayez patience; possibilités; des problèmes;

 
ACTE TROIS, scène I. Lisette, Arlequin.
AR Enfin, ma reine, je vous vois et je ne vous quitte plus,car j'ai trop pâti¨ d'avoir manque de votre présence, et j'ai cru que vous esquiviez¨ la mienne. été malheureux; fuyiez;
LI Il faut¨ vous avouer,¨ monsieur,qu'il en était quelque je dois; reconnaître;
chose.¨ c'était vrai;
AR Comment donc, ma chère âme, élixir de mon cœur, avez-vous entrepris¨ la fin de ma vie? décidé;
LI Non, mon cher; la durée m'en¨ est trop précieuse.¨ (de votre vie); chère;
AR Ah! que ces paroles me fortifient.¨ font du bien;
LI Et vous ne devez point douter de ma tendresse.¨ amour;
AR (à part) Préparons un peu cette affaire-la ...(haut)
Madame,votre amour est-il d'une constitution¨ robuste? Soutiendrait-¨ il bien la fatigue que je vais lui donner? condition; supportera;
LI Ah! tirez-moi à l’inquiétude.¨ état d'alarme;
AR Je suis ... N'avez-vous jamais vu de fausse monnaie? Savez-vous ce que c'est qu'un louis d'or¨ faux? Eh bien,je ressemble assez à cela. pièce d'argent;
LI Achevez¨ donc. Quel est votre nom? finissez;
AR Mon nom?(à part) Lui dirai-je que je m'appelle Arlequin? Non,cela rime trop avec coquin.¨ mauvais sujet;
LI Eh bien?
AR Ah dame! Haïssez-vous¨ la qualité de soldat? avez-vous une aversion de;
LI Qu'appelez-vous un soldat?
AH Oui,par exemple, un soldat d'antichambre.
LI Un soldat d'antichambre! Ce n'est donc point à Dorante que je parle enfin.
AR C'est lui qui est mon capitaine. Je suis Arlequin.
LI Faquin!¨ méchant;
AR (à part) Je n'ai pu éviter¨ la rime. prévenir;
LI Mais voyez ce magot!¨ tenez! gorille;
AR La Jolie culbute¨ que je fais. action de tomber;
LI Il y a une heure que je lui demande grâce¨ et que je m’épuise ¨ en humilités ¨ pour cet animal-là. Touchez lਠArlequin. Je suis prise pour dupe. Le soldat d'anti-chambre vaut bien la coiffeuse de madame. excuse; me fatigue; compliments; vraiment;
AR La coiffeuse de madame!
LI Venons au fait. M'aimes-tu?
AR Pardi, oui. En changeant de nom tu n'as pas changé de visage, et tu sais bien que nous nous sommes promis fidélité en dépit de¨ toutes les fautes d’orthographe.¨ malgré; la manière d’écrire;
LI Va. le mal n'est pas grand, consolons-nous;il y a apparence¨ que ton maître est encore dans l'erreur à l’égard de ma maîtresse; ne l'avertis¨ de rien; laissons les choses comme elles sont.Je crois que le voici qui entre. Monsieur, je suis votre servante.(Elle sort) semble; informe;
AR Et moi votre valet, madame.(il rit)

 
Scène II. Dorante, Arlequin, puis Silvia.
AR (à Dorante) Votre soubrette arrive.
(à Silvia)Bonjour Lisette; je vous recommande Bourguignon; c'est un garcon qui a quelque mérite.¨ (il sort). valeur;
DO (à part) Qu'elle est digne¨ d'être aimée. de valeur à;
SI Où étiez-vous, monsieur? Je n'ai pu vous retrouver pour vous rendre compte¨ de ce que j'ai dit à M. Orgon. rapporter;
DO Je ne me suis pourtant pas éloigné.¨ Mais de quoi s' agit-il? n’étais pas loin;
SI (à part) Quelle froideur!(Haut) J'ai eu beau¨ décrier¨ votre valet; j'ai eu beau lui représenter¨ qu'on pouvait du moins reculer¨ le mariage, il ne m'a pas seulement écoutée. Je vous avertis¨ même qu'on parle d’envoyer chez le notaire¨ et qu'il est temps de vous déclarer. malgré que je; critiquer; expliquer; retarder; informe; (pour l'acte du mariage);
DO C'est mon intention. Je vais partir incognito, et je laisserai un billet qui instruira¨ M. Orgon de tout. informera;
SI Quoi! sérieusement? vous partez?
DO Nous avez bien peur que je ne change d'avis.¨ d'opinion;
SI Que vous êtes aimable d'être si bien au fait.¨ informé;
DO Cela est bien naïf.
SI (à part). S'il part, je ne l'aime plus, je ne l’épouserai jamais ... (Elle le regarde aller).Il s'arrête pourtant; il rêve¨ ... il regarde si je tourne la tête, et je ne saurais le rappeler,¨ moi ...il serait pourtant singulier¨ qu'il partît, après tout ce que j'ai fait. Ah! voilà qui est fini; il s'en va; je n'ai pas, tant de pouvoir¨ sur lui que je le croyais. médite; faire revenir; étonnant; influence;
Quel dénouement. Dorante reparaît pourtant; il me semble¨ qu'il revient.Je me dédis¨ donc;je l'aime encore ...Feignons¨ de sortir, afin qu'il m'arrête; il faut bien que notre réconciliation¨ lui coûte quelque chose. je crois; retire ce que j'ai dit; simulons; remise d'accord;
DO (l’arrêtant) Restez,je vous prie;j'ai encore quel-que chose à vous dire.
SI À moi,monsieur?
DO J'ai de la peine¨ à partir sans vous avoir convaincue¨ que je n'ai pas tort¨ à le faire. des difficultés; fait comprendre; j'ai raison;
SI Eh! monsieur,d e quelle conséquence¨ est-il de vous justifier¨ auprès de moi? Ce n'est pas la peine;¨ je ne suis qu'une servante et vous me le faites bien sentir. Vous m'aimez; mais votre amour n'est pas une chose bien sérieuse pour vous. La distance qu'il y a de vous à moi, mille objets¨ que vous allez trouver sur votre chemin, l'envie¨ qu'on aura de vous rendre sensible,¨ les amusements d'un homme de votre condition,¨ tout va vous ôter¨ cet amour dont vous m'entretenez¨ impitoyablement,¨ Vous en rirez peut-être au sortir d'ici, et vous aurez raison. Mais moi,monsieur,si je m'en ressouviens¨ comme j'en ai peur,s'il m'a frappée, quel secours¨ aurai-je contre l'impression qu'il n'aura faite? Qui est-ce qui me dédommagera¨ de"votre perte? importance; excuser; important; (ici:des femmes); désir; travailler sur vos sentiments; standing; éliminer; parlez; sans pitié; me le(à l'amour)rappelle; aide; réparera;
DO Ah! ma chère Lisette, que viens-je d'entendre? Tes paroles ont un feu qui me pénètre¨ Je t'adore,je te respecte. Il n'est¨ ni rang, ni fortune qui ne disparaisse devant une âme comme la tienne. J'aurais honte¨ que mon orgueil¨ tint¨ encore contre toi, et mon cœur et ma main t'appartiennent.¨ entre dans mon cœur; il n' y a; regretterais; arrogance; s'opposa; sont à toi;
SI Quoi! Vous m’épouserez malgré ce que vous êtes, malgré la colère¨ d'un père, malgré votre fortune? fureur;
DO Mon père me pardonnera des qu'il vous aura vue. Ma fortune nous suffit¨ à tous deux et le mérite vaut¨ bien la naissance. Ne disputons point,car Je ne changerai jamais. est assez; aussi important que;
SI Il ne changera jamais! Savez-vous bien que vous me charmez, Dorante.
DO Ne gênez¨ donc plus votre tendresse¨ et laissez-la répondre. cachez; amour;
SI Enfin, je suis venue à bout.¨ Vous ... vous ne change- je ne sais plus que dire;
rez jamais?
DO Non, ma chère Lisette.
SI Que d'amour!

 
Scène III. Dorante, Silvia, Orgon, Lisette, Arlequin,Mario.
SI Ah! mon père, vous avez voulu que je fusse à Dorante. Venez voir votre fille vous obéir avec plus de joie qu'on n'en eut jamais.
DO Qu'entends-je! Vous, son père, monsieur?_
SI Oui, Dorante; la même idée de nous connaître est venue a tous deux. Après cela je n'ai plus rien a vous dire; vous m'aimez, je n'en saurais plus douter, mais
à votre tour, jugez¨ de mes sentiments pour vous; jugez du cas¨ que j'ai fait de votre,cœur par la délicatesse avec la quelle j'ai tâché de l’acquérir.¨ faites votre opinion; valeur; gagner;
DO Je ne saurais vous exprimer mon bonheur, madame, mais ce qui m'enchante¨ le plus,ce sont les preuves¨ que je vous ai données de ma tendresse.¨ charme; signes; amour;
AR (à Lisette) De la joie, madame! Vous avez perdu votre rang, mais vous n'êtes point à plaindre, puisqu’Arlequin vous reste.
LI Belle consolation!¨ il n'y a que toi qui gagne à cela.¨ compensation; profite;
AR Je n'y perds pas. Avant notre connaissance votre dot¨ valait mieux que vous; à présent¨ vous valez mieux que votre dot. Allons, saute, marquis!; argent de mariage; maintenant;

18. L'Abbé Prevost

18.1. Manon Lescaut

18.1.1. Première partie

Je suis obligé¨ de faire remonter¨ mon Lecteur au temps de ma vie où je rencontrai pour la première fois le Chevalier des Grieux. Je revenais un jour de Rouen. Ayant repris mon chemin par Evreux, où je couchai la première nuit, j'arrivai le lendemain¨ pour dîner à Pacy. Je fus surpris en entrant dans ce bourg¨ d'y voir tous les habitants en alarme: il se précipitaient¨ de leurs maisons pour courir en foule¨ à la porte d'une mauvaise hôtellerie. Un archer¨ ayant paru a la porte, je lui fis signe de la main de venir à moi. Je le priai de m'apprendre¨ le sujet¨ de ce désordre. dois; revenir; jour après; village; couraient; masse; policier; dire; cause;
"Ce n'est rien, Monsieur," me dit-il, "c'est une douzaine de filles de joie que je conduis¨ avec mes compagnons, jusqu'au Havre-de-Gràce, où nous les ferons embarquer¨ pour l’Amérique." mène; entrer en bateau;
Parmi les douze filles qui étaient enchaînées¨ par le milieu du corps, il y en avait une dont l'air¨ et la figure¨ étaient si peu conformes à sa condition¨ qu'en tout autre état je l'eusse prise pour¨ une personne du premier rang. Je pris le chef en particulier¨ et je lui demandai quelques lumières¨ sur le sort¨ de cette belle fille. attachées; aspect; visage; situation; regardé comme; à part; informations; situation;
"Nous l'avons tirée de l'Hôpital,"¨ me dit-il, "par ordre de M.le Lieutenant Générale de Police. Voilà un jeune homme qui pourrait vous instruire¨ mieux que moi sur la cause de sa disgrâce;¨ il l'a suivie depuis Paris sans cesser¨ presque un moment de pleurer. II faut que ce soit un frère ou son amant." =prison; informer; malheur; finir;
Je me tournai vers le coin de la chambre ou ce jeune homme était assis; il paraissait enseveli¨ dans une rêverie¨ profonde. Je m'approchai¨ de lui. absorbé; réflexion; allai vers;
"Que je ne vous trouble point," lui dis-je en m'asseyant près de lui. "Voulez-vous bien satisfaire¨ la curiosité que j'ai de connaître cette belle personne, qui ne me parait point faite pour le triste état¨ où je la vois?" contenter; situation;
Il me répondit honnêtement¨ qu'il ne pouvait m'apprendre¨ qui elle était sans se faire connaître lui-même, et qu' il avait de fortes¨ raisons pour souhaiter¨ de demeurer¨ inconnu. correctement; dire; grandes; vouloir; rester;
"Je ne vous presse¨ pas," lui dis-je, "de me découvrir¨ le secret de vos affaires; mais si je puis vous être utile à quelque chose, j'en offre volontiers¨ à vous rendre service. Voici quelque argent que je vous prie d’accepter; je suis fâché¨ de ne pouvoir vous servir autrement." force; dire; avec plaisir; malheureux;
La bonne grâce et la vive reconnaissance avec laquelle ce jeune inconnu me remercia achevèrent de me persuader¨ qu'il, était né quelque chose¨ et qu'il méritait¨ ma libéralité.¨ me donnèrent tout à fait l’idée; de bonne famille; avait droit à; bonté;
Il se passa près de deux ans, jusqu’à ce que le hasard¨ me fit renaître¨ l'occasion d'en apprendre à fond les circonstances. coïncidence; rendit;
J'arrivais de Londres à Calais. En marchant l'après-midi dans les rues je crus apercevoir ce même jeune homme dont j'avais fait la rencontre à Pacy. Sa joie fut plus vive que toute expression, lorsqu'il m'eut remis¨ à son tour. reconnu;
"Ah! monsieur," s’écria -t-il en me baisant la main, "je puis donc encore une fois vous marquer¨ mon immortelle¨ reconnaissance." montrer; très grande;
Je lui demandai d’où il venait. Il me répondit qu'il arrivait par mer du Havre-de-Gràce, où il était revenu de l’Amérique peu auparavant.¨ avant;
"Monsieur," me dit-il, "vous en usez si noblement avec moi¨ que je veux vous apprendre¨ non seulement mes malheurs et mes peines,¨ mais encore mes désordres et mes plus honteuses¨ faiblesses. Je suis sûr qu'en me condamnant, vous ne pourrez pas vous empêcher¨ de me plaindre." êtes si noble pour moi; raconter; difficultés; déshonorantes; retenir;
Voici donc son récit¨ auquel je ne mêlerai¨ jusqu’à la fin, rien qui ne soit de lui. histoire; ajouterai;
J'avais dix-sept ans et j'achevais¨ mes études de philosophie à Amiens, où mes parents, qui sont l'une des meilleures maisons de P... m'avaient envoyé. Les vacances arrivant je me préparais à retourner chez mon, père, qui m'avait promis de m'envoyer bientôt a l’Académie. Mon seul regret¨ en quittant Amiens, était d'y laisser un ami avec lequel j'avais toujours été tendrement¨ uni. allais finir; déplaisir; avec beaucoup d'amitié;
Il avait mille bonnes qualités. Vous le connaîtrez par les meilleures dans la suite¨ de mon histoire. le reste;
J'avais marqué¨ le temps de mon départ d'Amiens. Hélas! que¨ ne le marquais-je un jour plus tôt! J'aurais porté chez mon père toute mon innocence. fixé; pourquoi;
La veille¨ même de celui que je devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s'appelait Tiberge, nous vîmes arriver le cocher¨ d'Arras, et nous suivîmes jusqu'à l’hôtellerie ou ces voitures descendent.¨ Nous n'avions pas d'autres motifs que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent¨ aussitôt,¨ mais il en resta une, fort¨ jeune, qui s'arrêta seule dans la cour. le jour avant; le diligence; s'arrêtent; (de la diligence); immédiatement; très;
Elle me parut si charmante, que moi, qui n'avais jamais pense a la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d'attention; moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue,¨ je me trouvai enflamme tout d'un coup jusqu'au transport.¨ J'avais le défaut¨ d'être excessivement timide et facile à déconcerter,¨ mais loin d'être arrêté alors par cette faiblesse, je m'avançai vers la maîtresse de mon cœur. réserve; extase; faute de caractère; troubler;
Quoiqu'elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses¨ sans paraître embarrassée.¨ Je lui demandai ce qui l'amenait¨ à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance; elle me répondit ingénument¨ qu'elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse. L'amour me rendait déjà si éclairé¨ depuis un moment qu'il était dans mon cœur, que je regardai ce dessein¨ comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d'une manière qui lui fit comprendre mes sentiments car elle était bien plus expérimentée¨ que moi. Mlle Manon Lescaut (c'est ainsi qu'elle me dit qu'on la nommait) parut fort¨ satisfaite¨ de cet effet de ses charmes. compliments; troublée; faisait; naïvement; instruit; projet; experte (en amour); très; contente;
Elle me confesse qu'elle me trouvait aimable et qu'elle serait ravie¨ de m'avoir obligation de sa liberté. Après quantité¨ de réflexions, nous ne trouvâmes point d'autre voie¨ que celle de fuite. Il fallait tromper¨ la vigilance¨ du conducteur, qui était un homme à ménager¨ quoiqu'il ne fût qu'un domestique. Nous réglâmes que je ferrais préparer pendant la nuit une chaise ¨ de poste, et que je reviendrais de grand matin¨ à l'auberge avant qu'il fût éveille. heureuse; beaucoup; possibilité; détourner; attention; de qui il fallait se garder; (chaise à porteurs); très tôt;
J’employai la nuit à mettre ordre à mes affaires et m'étant rendu¨ à l'hôtellerie de Mlle Manon vers la pointe¨ du jour je la trouvai qui m'attendait. La chaise était en état de partir; nous nous éloignâmes aussitot de la ville. étant allé; commencement;
Nous nous hâtâmes tellement d'avancer que nous arrivâmes à Saint Denis avant la nuit. Nos projets de mariage furent oubliés; nous fraudâmes¨ les droits de l'Église et nous nous trouvâmes époux ¨ sans y avoir fait réflexion. violâmes; comme femme et mari;
Nous prîmes un appartement meublé à Paris. Ce fut dans la rue V..., et, pour mon malheur, auprès de la maison de M. de B..., célèbre fermier général.¨ chef du fisc;
Je m’aperçus, peu après, que notre table était mieux servie, et qu'elle s'était donné quelques ajustements¨ d'une prix considérable.¨ Comme j'ignorais pas¨ qu'il devait nous rester à peine¨ douze ou quinze pistolets,¨ je lui marquai mon étonnement de cette augmentation¨ apparente¨ de notre opulence.¨ Elle me pria, en riant, d'être sans embarras.¨ toilettes; élevé; savais bien; pas plus de; monnaie; agrandissement; évidante; richesse; problèmes;
"Ne vous ai je pas promis," me dit elle,"que je trouverais des ressources."¨ moyens;
Je l’aimais avec trop de simplicité pour m'alarmer facilement; j'embrassai Manon avec ma tendresse ordinaire.
Dans le temps que j'étais ainsi tout occupé d'elle, j'entendis le bruit de plusieurs personnes qui montaient l'escalier. On frappa doucement à la porte. Manon me donna un baisser et, s'échappant de mes bras, elle entra rapidement dans le cabinet qu'elle ferma aussitôt sur¨ elle. derrière;
J'allai leur ouvrir moi-même. À peine¨ avais-je ouvert que je me vis saisir¨ par trois hommes, que je reconnus pour les laquais de mon père. Ils me dirent qu'ils agissaient par l'ordre de mon père et que mon frère aîné m'attendait en bas dans une carrosse. J'étais si troublé que je me était laissé conduire sans résister¨ et sans répondre. juste; pris; me défendre;
Nous arrivâmes, en un peu de temps, à Saint Denis. Mon frère, surpris de mon silence, s'imagina¨ que s'était un effet de ma crainte.¨ Il vit mon père avant moi, pour le prévenir¨ en ma faveur, en lui apprenant¨ avec quelle douceur je m'étais laissé conduire, de sorte que j'en fus reçu moins durement que je ne m'y étais attendu. Il se contenta de me faire quelques reproches¨ généraux sur la faute que j'avais que j'avais commise. Je lui promis de prendre une conduite¨ plus soumise¨ et plus réglée. pensa; peur; informer; racontant; réprimandes; vie; discipliné;
On se mit à table pour souper. On me railla¨ sur ma conquête d'Amiens. Mais quelques mots lâchés¨ par mon père me firent prêter l’oreille¨ avec la dernière¨ attention: il me parla de perfidie et de service intéressé, rendu par M. de B.... Je demeurai¨ interdit¨ en lui entendant prononcer¨ se nom, et je le priai humblement¨ de s'expliquer d'avantage.¨ se moqua de moi; dites; écouter; très grande; restai; perplexe; dire; timidement; plus;
"Tu ne sauras donc," reprit mon père, "puisque tu l'ignores,¨ que M. de B... a gagné la cœur de ta princesse. Il a su d'elle que tu es mon fils, et, pour se délivrer de tes importunités¨ il m'a écrit le lieu de ta demeure." ne le sais pas; gêne;
Je n'eus pas la force de soutenir¨ plus longtemps un discours¨ dont chaque mot m'avait percé¨ le cœur. Je me levai de table. Mon père, qui m'a toujours aimé tendrement, s'employa¨ avec toute son affection pour me consoler. Je l’écoutais, mais sans l'entendre. Je me jetai à ses genoux, je le conjurais¨ en joignant les mains, de me laisser retourner à Paris pour poignarder¨ B... Mon père vit bien que rien ne serait capable¨ de m’arrêter. Il me conduisit dans une chambre haute, où il laissa deux domestiques avec moi pour me garder à vue.¨ supporter; conversation; brisé; fit tout; priai; tuer; pourrait; surveiller;
J'y passai six mois entiers. On me donna des livres qui servirent ਠrendre un peu de tranquillité¨ à mon âme. eurent pour effet; calme;
Tiberge vint me voir un jour dans ma prison. Il me parla en conseiller sage plutôt qu'en ami d’école; enfin il m'exhorta¨ à profiter de cette erreur¨ de jeunesse pour ouvrir les yeux sur la vanité¨ des plaisirs. Il me flatta¨ si adroitement sur la bonté de mon caractère qu'il me fit naître, dès¨ cette première visite, une forte envie¨ de renoncer¨ comme lui à tous les plaisirs du siècle pour entrer dans l’état ecclésiastique.¨ Je goûtai"tellement cette idée que, lorsque je me trouvai seul, je ne m'occupai plus d'autre chose. conseilla; faute; inutilité; charma; deja à; désir; refuser; service de l'église;
Tiberge continuant de me rendre de fréquentes visites, dans le dessein¨ qu'il m'avait inspiré, je pris l’occasion d'en faire l'ouverture¨ à mon père. Il me déclara que son intention était de laisser ses enfants libres dans le choix de leur condition.¨ intention; confidence; état social;
Mon père, me croyant tout à fait¨ revenu de ma passion, fit aucune difficulté de me laisser partir. Nous arrivâmes à Paris. L'habit ecclésiastique¨ prit la place de la croix de Malte,¨ et le nom d’abbé Des Grieux celle de chevalier. Je m'attachai¨ à l'étude avec tant d'application¨ que je fis des progrès extraordinaires en peu de mois. complètement; de l’église; (titre noble); intéressai; concentration;
J'avais passe près d'un an à Paris, sans m'informer des affaires de Manon. Le temps arriva auquel je devais soutenir¨ un exercice¨ public dans l’École de Théologie. faire; test;
Je retournai à Saint Sulpice couvert de gloire et chargé de compliments.
Il était six heures du soir.On vint m'avertir,¨ un moment après mon retour, qu'une dame demandait a me voir; j'allai au parloir sur-le-champ.¨ Dieux! Quelle apparition¨ surprenante! J'y trouvai Manon. C’était elle, mais plus aimable et plus brillante que je ne l'avais vue. Elle était dans sa dix-huitième année; ses charmes surpassaient tout ce qu'on peut décrire. Je demeurai¨ interdit¨ à sa vue.¨ Son embarras fut pendant quelque temps égal au mien. Enfin je fis un effort pour m’écrier douloureusement: informer; immédiatement; vue; restai; perplexe; en la voyant;
"Perfide Manon! Ah! perfide! perfide..."
Elle me répéta, en pleurant à chaudes larmes, qu'elle ne prétendait¨ point justifier¨ sa perfidie. voulait; excuser;
"Que prétendez-vous donc?" m’écriai-je encore.
"Je prétends mourir, répondit-elle, si vous ne me rendez votre cœur, sans lequel il est impossible que je vive.
"Demande donc ma vie, infidèle!" repris-je en versant¨ moi-même des pleurs, que je m'efforçai¨ en vain¨ de retenir. Demande ma vie, qui est l'unique chose qui me reste à te sacrifier;¨ car mon cœur n'a jamais cessé¨ d'être a toi." pleurant; essayai; sans résultat; donner; arrêté;
À peine eus-je achevé¨ ces derniers mots, qu'elle se leva avec transport¨ pour venir m'embrasser. Elle m'accabla¨ de mille caresses passionnées; elle m'appela par tous les noms que l'Amour inventé pour exprimer ses plus vives tendresses.¨ Nous nous assîmes l'un près de l'autre. Je pris ses mains dans les miennes. j'avais juste dit; extase; donna; sentiments;
"Ah! Manon, lui dis-je en la regardant d'un œil triste, je ne m’étais pas attendu à la noire trahison dont vous avez payé mon amour."
Elle me répondit des choses si touchantes¨ par son repentir,¨ et elle s'engagea¨ à la fidélité par tant de protestations¨ et de serments¨ qu'elle m'attendrit a un degré inexprimable. Où trouver un barbare qu'un repentir si vif et si tendre n'eût pas touché? Pour moi, je sentis, dans ce moment, que j'aurais sacrifié¨ pour Manon tous les évéchés¨ du monde chrétien. Je lui demandai quel pleines d’émotion; regret; promit; assurances; promesses; donné; fonction d’évêque;
nouvel ordre elle jugeait¨ à propos de mettre dans nos affaires; elle me dit qu'il fallait sur-le-champ¨ sortir du Séminaire et remettre à nous arranger dans un lieu plus sûr. Je consentis¨ à toutes ses volontés sans réplique.¨ Elle entra dans son carrosse pour aller m'attendre au coin de la rue. Je m’échappai un moment après, sans être aperçu du portier. Je montai avec elle. croyait; immédiatement; fus d'accord; protestation;
Nous ne tardâmes point à gagner¨ Chaillot. Nous logeâmes la première nuit a l'auberge pour nous donner le temps de chercher une maison, ou du moins un appartement commode.¨ Nous en trouvâmes dès¨ le lendemain, un de notre goût. arrivâmes bien-tôt à; confortable; déjà;
L'hiver approchait;¨ tout le monde retournait à la ville, et la campagne devenait déserte.¨ Elle me proposa de reprendre une maison à Paris; je n'y consentis point.¨ Mais pour la satisfaire¨ en quelque chose, je lui dis que nous pouvions y louer un appartement meublé. arrivait; inhabitée; ne fus pas d'accord; contenter;
Nous étions demeurés¨ un jour à Paris, pour y coucher, comme il nous arrivait fort¨ souvent. Un servante, qui restait seule à Chaillot dans ces occasions, vint m'avertir¨ le matin que le feu avait pris pendant la nuit dans ma maison, et qu'on avait eu beaucoup de difficulté à l’éteindre. Je tremblai¨ pour notre argent, qui était enfermé dans une petite caisse. Je me rendis¨ promptement à Chaillot. Diligence¨ inutile; la caisse avait déjà disparu. Je compris tout d'un coup à quels nouveaux malheurs j'allais me trouver exposé;¨ l'indigence¨ était le moindre.¨ restés; très; informer; avais peur; allai; activité; soumis; pauvreté; plus petit (malheur);
Je connaissais Manon: elle aimait trop l'abondance¨ et les plaisirs pour me les sacrifier.¨ richesse; abandonner;
Je résolus d'abord d'aller consulter M.Lescaut, frère de Manon. Je découvris¨ ma peine¨ à M.Lescaut. Il me répéta que, si je voulais tenter¨ le hasard¨ du jeu, il ne désespérait point que je ne pusse être admis¨ à sa recommandation, dans la Ligue de l'Industrie. racontai; difficultés; essayer; chance, fortune; accepté;
M. Lescaut me présenta, le soir même, comme un de ses parents. Je profitai en peu de temps des leçons de mon maître; j'en acquis¨ surtout beaucoup d’habileté à faire volte-face. Cette adresse extraordinaire hâta¨ si fort le progrès de ma fortune, que je me trouvai en peu de semaines des sommes considerahles.¨ Je pensais a placer¨ une partie de mon argent. Mes domestiques n'ignoraient pas¨ mes succès, surtout mon valet de chambre et la suivante de Manon. eus; activa; très grandes; (à une banque); savaient bien;
M.Lescaut nous ayant un jour donné à souper, il était environ minuit lorsque nous retournâmes au logis. J'appelai mon valet, et Manon sa femme de chambre; ni l'un ni l'autre ne parurent.¨ La serrure¨ de mon cabinet avait été forcée, et mon argent enlevé¨ avec tous mes habits. se montrèrent; fermeture; volé;
Dans le temps que je réfléchissais seul sur cet accident, Manon vint, tout effrayée¨ m'apprendre¨ qu'on avait fait le même ravage dans son appartement. paniquée; raconter;
"Nous sommes perdus!" me dit-elle, les larmes aux yeux.
Je m'efforçai¨ en vain¨ de la consoler¨ par mes caresses. essayai; inutilement; calmer;
Il était près de quatre heures, lorsque je me mis au lit, et m'y étant encore occupé des moyens¨ de rétablir¨ ma fortune, je m'endormis si tard que je ne pus me réveiller que vers onze heures ou midi. Je me levai promptement pour aller m'informer de la santé de Manon; on me dit qu'elle était sortie, une heure auparavant¨ avec son son frère. Je me promenai à grands pas dans nos appartements. J'aperçus dans celui de Manon une lettre cachetée¨ qui était sur sa table. L'adresse était à moi, et l’écriture de sa main. Je l'ouvris avec un frisson¨ mortel. Elle était dans ces termes: "Je te jure,¨ mon cher Chevalier, que tu es l'idole de mon cœur, et qu'il n'y a que toi au monde que je puisse aimer de la façon dont je t'aime. Mais ne vois-tu pas, ma pauvre chère âme, que, dans l’état¨ où, nous sommes réduits,¨ c'est une sotte vertu¨ que la fidélité?Crois-tu qu'on puisse être bien tendre¨ lorsqu'on manque¨ de pain? réfléchi sur les possibilités; réparer; plus tôt; fermée; peur; assure; situation; tombés; principe; amoureux; n'a pas assez;
La faim me causerait quelque méprise¨ fatale; je t'adore, compte là-dessus, mais laisse-moi pour quelque temps le ménagement¨ de notre fortune. Malheur à qui va tomber dans mes filets! Je travaille pour rendre mon Chevalier riche et heureux. Mon frère t'apprendra¨ des nouvelles de ta Manon, et qu’elle a pleuré de la nécessité de te quitter. faute; préparation; dira;
Je demeurai¨ après cette lecture, dans un état qui me serait difficile à décrire. Mes plaintes¨ furent interrompues par une visite a laquelle je ne m'attendais pas. restai; lamentations;
Ce fut celle de Lescaut.
"Bourreau!"¨ lui dis-je en mettant l’épée a la main, où est Manon? qu'en¨ as-tu fait? Il faut défendre ta vie, ou me faire retrouver Manon." assassin; d'elle;
"Là! que vous êtes vif!" repartit¨ il, "c'est l'unique sujet qui m’amène. Je viens vous annoncer un bonheur auquel motif vous ne pensez pas." répondit;
Je voulus être éclairci¨ sur-le-champ.¨ Il me raconta que Manon, ne pouvant soutenir¨ la crainte¨ de la misère et surtout l’idée d'être obligée tout à coup à la réforme de notre équipage, l'avait prié de lui procurer¨ la connaissance de M.de G... M..., qui passait pour un homme généreux. informé; immédiatement; supporter; peur; faire;
"Je l'y ai menée ce matin," continua-t-il, "et cet homme a été si charmé de son mérite¨ qu'il l'a invitée d'abord a lui tenir compagnie à sa maison de campagne, où il est allé passer quelques jours." "Moi," ajouta Lescaut, "je lui ai dit que l'avenir amènerait a ma sœur de grands besoins qu'elle s’était chargée du soin d'un jeune frère, qui nous était reste sur les bras¨ après la mort de nos père et mère. Ce récit¨ n'a pas manqué de l'attendrir.¨ Il s'est engagé à louer une maison commode¨ pour vous et pour Manon; car c'est vous-même qui êtes ce pauvre petit frère orphelin. Vous reverrez alors Manon, qui m'a chargé¨ de vous assurer qu'elle vous aime plus que jamais." capacités; à notre charge; histoire; émotionner; confortable; ordonné;
Je m'assis en rêvant¨ à cette bizarre disposition¨ de mon sort.¨ Ce fut, dans ce moment, que l'honneur et la vertu¨ me firent sentir encore les pointes¨ du remords.¨ pensant; arrangement; vie; morale; douleurs; conscience des fautes;
Par quelle fatalité, disais-je, suis-je devenu si criminel! L'amour est une passion innocente; comment s'est-il changé pour moi en une source¨ de misères et de désordres. Quel est l’infâme personnage qu'on vient ici me proposer? Quoi! j'irai partager ... Mais y a-t-il à balancer,¨ si c'est Manon qui l'a réglé, et si je la perds sans cette complaisance?¨ cause; hésiter; acte pour lui plaire;
"Monsieur Lescaut, m’écriai-je en fermant les yeux, comme pour écarter¨ de si chagrinantes réflexions, si vous avez eu dessein¨ de me servir, je vous rends grâces.¨ Vous auriez pu prendre une voie¨ plus honnête;¨ mais c'est une chose finie,¨ n'est-ce pas? Ne pensons donc plus qu'a profiter de vos soins¨ et à remplir¨ votre projet." chasser; intention; remercie; moyen; correct; décidée; activités; réaliser;
Nous concertâmes¨ de quelle manière nous pourrions prévenir les défiances¨ de M.de G... M... discutâmes; méfiance;
Nous nous rendîmes tous deux chez elle. Je lui parus triste et languissant.¨ Elle me fit des reproches¨ de ma froideur;je ne pus m’empêcher¨ de laisser échapper les noms de perfide et d’infidèle. Elle m'interrompit: mélancolique; blâme; défendre;
"Tenez," dit-elle, "mon Chevalier, il est inutile de me tourmenter¨ par des reproches qui me percent¨ le cœur lors-qu'ils viennent de vous. Je vois ce qui vous blesse. J'avais espéré que vous consentiriez¨ au projet que j'avais fait pour rétablir un peu notre fortune; mais j'y renonce,¨ puisque vous ne l'approuvez¨ pas." troubler; font mal au; seriez d'accord avec; je l'abandonne; trouvez bon;
Elle ajouta qu'elle ne me demandait qu'un peu de complaisance¨ pour le reste du jour; qu'elle avait déjà reçu deux cents pistoles¨ de son vieil amant, et qu'il avait promis de lui apporter le soir un beau collier de perles avec d'autres bijoux. souplesse; (certaine monnaie);
"Laissez-moi seulement le temps," me dit-elle, "de recevoir ses présents."
L'heure du souper étant venue, M.de G... M... ne se fit pas attendre longtemps.Le vieil amant parut prendre plaisir a me voir. Il me donna deux ou trois petits coups sur la joue, en me disant que j’étais un joli garçon.
"Je lui trouve l'air¨ de Manon", reprit le vieillard, en me haussant le menton avec la main. visage;
Je répondis d'un air niais:¨ sot bête;
"Monsieur, c'est que nos chairs¨ se touchent de bien proche; aussi¨ j'aime ma sœur Manon comme un autre moi-même" corps; c'est pourquoi;
Toute notre conversation fut à peu près du même goût¨ pendant le souper. Enfin l'heure du sommeil étant arrivé, il parla d'amour et d'impatience. Nous nous retirâmes, Lescaut et moi; on le conduisit à sa chambre, et Manon, étant sortie sous prétexte¨ d'un besoin, nous vint joindre¨ à la porte. Nous nous éloignâmes en un instant du du quartier. M. de G... M... ne tarda pas¨ longtemps à s'apercevoir qu'il était dupé. Je ne sais s'il fit, dès le¨ soir, quelques démarches¨ pour nous découvrir.¨ style; faux motif; se réunir; ne fut pas...; le même; recherches; trouver;
Nous étions encore au lit, lorsqu'un exempt¨ de police entra dans notre chambre avec une demi-douzaine de gardes. Il se saisirent¨ d'abord de notre argent, ou plutôt de celui de M.de G... M...; et, nous ayant fait lever brusquement, il nous conduisirent a la porte, ou nous trouvâmes deux carrosses, dans l'un desquels la pauvre Manon fut enlevée¨ sans explication, et moi traîné dans l'autre à Saint-Lazare. J'avais de terribles idées de cette maison. Ma frayeur¨ augmenta¨ lorsqu'en entrant les gardes visitèrent une seconde fois mes poches , pour s'assurer qu'il ne me restait ni armes, ni moyens de défense. Le Supérieur parut à l'instant;¨ il était prévenu¨ de mon arrivée; il me salue avec beaucoup de douceur. Il me pria de monter dans une chambre haute; je le suivis sans résistance.¨ agent; prirent; emportée; peur; grandit; immédiatement; informé; m'opposer;
"Je suis donc votre prisonnier," lui dis-je. "Eh bien, mon père, que prétendez¨ vous faire de moi" voulez;
Il me dit qu'il était charmé de me voir prendre un ton raisonnable; que son devoir serait de travailler a m'inspirer le goût¨ de la vertu¨ et de la religion, et le mien de profiter de ses exhortations¨ et de ses conseils. désir; morale; encouragements;
Il crut devoir me traiter avec beaucoup de douceur et d'indulgence.¨ Il me visitait deux ou trois fois le jour; il me prenait souvent avec lui, pour faire un tour dans le jardin. Je lui témoignai¨ que dans la nécessité de demeurer;¨ c’était une douce consolation¨ pour moi d'avoir quelque part à son estime.¨ Je le priai de m'accorder¨ une grâce:¨ c’était de faire avertir¨ un de mes amis, un saint ecclésiastique¨ qui demeurait à Saint-Sulpice, que j'étais à Saint-Lazare, et de permettre que je reçusse quelquefois sa visite. Cette faveur me fut accordée sans délibérer.¨ C’était mon ami Tiberge dont il était question. Ce fidèle ne m'avait pas tellement perdu de vue qu'il ignorait¨ mon aventure. Il accourut aussitôt¨ à ma chambre. Notre entretien¨ fut plein d’amitié. clémence; fit comprendre; rester (dans la prison); pensée; respect; donner; faveur; informer; prêtre; discussion; ne savait pas; immédiatement; conversation;
Cette conversation servit du moins à renouveler la pitié de mon ami. Il comprit qu'il y avait plus de faiblesse que de malignité¨ dans mes désordres. Cependant je ne lui fis pas la moindre ouverture¨ du dessein¨ que j'avais de m’échapper de Saint-Lazare. Je le priai seulement de se charger de ma lettre. Il eut la fidélité de la porter exactement, et Lescaut reçut, avant la fin du jour, celle qui était pour lui. méchanceté; confidence; intention;
Il vint me voir le lendemain¨ et il passa heureusement sous le nom de mon frère. Ma joie fut extrême¨ en l'apercevant dans ma chambre. J'en fermai la porte avec soin. jour après; très grande;
"Ne perdons pas un moment," lui dis-je; "pourriez-vous m'apporter un pistolet?"
"Aisément,¨ " me dit Lescaut; "mais voulez-vous tuer quelqu'un?" facilement;
Je l'assurai que j'avais si peu dessein¨ de tuer, qu'il on'était pas même nécessaire que le pistolet fût chargé. intention;
"Apportez-le-moi demain," ajoutai-je, "et ne manquez pas de vous trouver le soir, à onze heures, vis-a-vis¨ de la porte de cette maison, avec deux ou trois de nos amis. J'espère que je pourrai vous y rejoindre.¨ en face; retrouver;
Je le priai d’abréger¨ sa visite, afin qu'il trouvât plus de facilité à me revoir le lendemain. Il fut admis¨ avec aussi peu de peine¨ que la première fois. finir; reçu; difficulté;
Lorsque je me trouvai muni¨ de l'instrument de ma liberté, je ne doutai presque plus du succès de mon projet. en possession;
Je frappai d'abord doucement a la porte du père, pour l'éveiller sans bruit. Il se leva pour m'ouvrir.
"Ha! c'est vous, mon cher fils, me dit-il, en ouvrant la porte; qu'est-ce qui vous amène¨ si tard? fait venir;
J'entrai dans sa chambre, et, l'ayant tiré à l'autre bout opposé à la porte, je lui déclarai qu'il m’était impossible de demeurer¨ plus longtemps a Saint-Lazare. rester;
J'aperçus les clefs qui étaient sur la table. Je les pris, et je le priai de me suivre, en faisant le moins de bruit qu'il pourrait. Enfin, nous arrivâmes à une espèce¨ de barrière , qui est avant la grande porte de la rue. Je sorte;
me croyais déjà libre, et j’étais derrière le père, avec ma chandelle dans une main et mon pistolet dans l'autre. Pendant qu'il s'empressait¨ d'ouvrir, un domestique, qui couchait dans une petite chambre voisine, se lève et met la tête à sa porte. C’était un puissant coquin,¨ qui s’élança sur moi sans balancer.¨ Je ne le marchandai¨ point;je lui lâchai le coup au milieu de la poitrine. se hâta; méchant; hésiter; courut;
"Voilà de quoi vous êtes cause, mon père," dis-je assez fièrement à mon guide. Mais que cela ne vous empêche¨ point d'achever¨ ajoutai-je en le poussant vers la dernière porte. retienne; finir;
Il n'osa refuser de l'ouvrir. Je sortis heureusement, et je trouvai, à quatre pas, Lescaut qui m'attendait avec deux amis, suivant sa promesse. Nous nous éloignâmes.
Nous allâmes passer la nuit chez un traiteur. J'employai une partie de ce temps à former des projets et des expédients¨ pour secourir¨ Manon. J’étais bien persuadé¨ que sa prison était encore plus impénétrable¨ que n'avait été la mienne. J'y vis si peu de jour¨ que je remis¨ à considérer¨ mieux les choses, lorsque j'aurais pris quelques informations sur l'arrangement intérieur de l'Hôpital. moyens; aider; sur; difficile à ouvrir; clarté; retarda; méditer;
Aussitôt¨ que la nuit m'eut rendu la liberté, je priai Lescaut de m'accompagner. Nous liâmes¨ conversation avec après que un des portiers, qui nous parut homme de bon sens.¨ Je feignis¨ d'être étranger, qui avait entendu parler avec admiration de l'Hôpital Général, et de l'ordre qui s'y observe.¨ Je l'interrogeai¨ sur les plus minces¨ détails et de circonstances en circonstances, nous tombâmes sur les administrateurs.¨ Je lui demandai si ces messieurs avaient des enfants. Il me dit qu'il ne pouvait pas m'en rendre un compte¨ certain, mais que pour M.de T..., qui était un des principaux,¨ il lui connaissait un fils en age d'être marié. Je rompis¨ presque aussitôt l’entretien,¨ et je fis part¨ à Lescaut, en retournant chez lui du dessein¨ que j'avais conçu.¨ immédiatement; entrâmes en; intelligent; simulai; fait régner; posai des questions; petits; dirigeants; informer; plus importants; finis; conversation; parlai; projet; formé;
"Je m'imagine,¨ " lui dis-je, que M.de T..., le fils qui est riche et de bonne famille, ne saurait être ennemi des femmes, ni ridicule au point de¨ refuser ses services pour une affaire d'amour.J'ai formé le dessein¨ de l’intéresser a la liberté de Manon." pense; si ridicule qu'il va; projet;
Le matin étant venu, je me fis conduire dans un fiacre¨ à la maison de H.de T... Il fut surpris de recevoir la visite d'un inconnu. Je m'expliquai naturellement avec lui; et, pour le gagner¨ de plus en plus, je lui racontai le détail de tout ce qui était arrivé à Manon et à moi. voiture; intéresser;
Il parut fort¨ sensible à cette marque d'ouverture.¨ Il ne promit pas de me rendre Manon, mais il m'offrit de me procurer¨ le plaisir de la voir, et de faire tout ce qui serait en sa puissance¨ pour la remettre entre mes bras. Nous ne nous séparâmes qu’après être convenus¨ du très; confiance; donner; pouvoir; avoir réglé;
temps et du lieu où nous devions nous retrouver. Je l'attendis dans un café, où il vint me rejoindre¨ vers les quatre heures, et nous prîmes ensemble le chemin de l’Hôpital. retrouver;
M.de T... parla à quelques concierges de la maison, qui s’empressèrent¨ de lui offrir tout ce qui dépendait d'eux pour sa satisfaction.¨ Il se fit montrer le quartier où Manon avait sa chambre, et l'on nous y conduisit. Nous approchâmes de¨ sa porte. Mon cœur battait violemment¨ J'entrai, lorsqu'elle accourait avec précipitation;¨ nous embrassâmes avec cette effusion¨ de tendresse¨ qu'une absence de trois mois fait trouver si charmante à de parfaits amants. Nous pleurâmes amèrement¨ en nous entretenant¨ de l’état où elle était et de celui d’où je ne faisais que¨ sortir. M.de T... nous consola¨ par de nouvelles promesses de s'employer ardemment¨ pour finir nos misères. Il nous conseilla de ne pas rendre cette ma première entrevue¨ trop longue, pour lui donner plus de tout facilité à nous en procurer¨ d'autres. M.de T... promit de la venir voir souvent avec moi. firent tout; ce qu'il voulait; arrivâmes à; fort; vitesse; manifestation; sentiments; tristement; parlant; venais de; calma; faire tout; rencontre; donner;
Je fis, en sortant, quelques libéralités¨ au valet qui la servait, pour l'engager à lui rendre ses soins avec zèle.¨ Il me prit à l’Écart¨ en descendant dans les cours. dons d'argent; enthousiasme; à part;
"Monsieur," me dit-il, "si vous voulez me prendre à votre service, je crois qu'il me sera facile de délivrer Mlle Manon."
Je voulus savoir quels moyens il avait dessein¨ d'employer. l'intention;
"Nul autre, me dit-il, que de lui ouvrir le soir la porte de sa chambre, et de vous la conduire jusqu'à celle de la rue, ou il faudra que vous soyez pret à la recevoir.
J'appelai M.de T... pour lui communiquer¨ ce projet. Nous convînmes¨ donc, avec le valet, de ne pas remettre¨ son entreprise¨ plus loin qu'au jour suivant; et pour la rendre aussi certaine qu'il était en notre pouvoir, nous résolûmes d'apporter des habits d'homme, dans la vue¨ de faciliter notre sortie. faire savoir; réglâmes; retarder; projet; l'intention;
Le reste du jour me parut d'une longueur insupportable.
Enfin, la nuit étant venue, nous nous rendîmes¨ un peu en dessous¨ de la porte de l’Hôpital, dans un carrosse. Nous n'y fûmes pas longtemps sans voir paraître Manon avec son conducteur.¨ Notre portière étant ouverte, ils montèrent tous deux à"l'instant.¨ Je reçus ma chère maîtresse dans mes bras. Elle tremblait comme une feuille. Le cocher¨ me demanda où il fallait toucher,¨ et lorsque je lui dis le nom de la rue ou nous voulions être conduits, il me répondit qu'il craignait¨ que je ne l'engageasse¨ dans une mauvaise affaire. allâmes; à distance; celui qui l'accompagna; immédiatement; postillon; aller; avait peur; mêlasse;
"Tais-¨ toi," lui dis-je, "il y a un louis d'or à gagner pour toi." ne dis rien;
Nous gagnâmes¨ la maison où demeurait Lescaut. Lorsqu'il fallut descendre, j'eus avec le cocher un nouveau démêle¨ dont les suites¨ furent funestes.Je me repentis¨ de lui avoir promis un louis, non seulement parce que le présent était excessif, mais par une autre raison bien plus forte, qui était l'impuissance¨ de le payer.Je fis appeler Lescaut; il descendit de sa chambre pour venir a la porte. Je lui dis à l'oreille dans quel embarras¨ je me trouvais.Il me répondit que je me moquais.¨ allâmes à; discussion; conséquences; regrettai; impossibilité; difficulté; n’étais pas sérieux;
"Un louis d'or!" ajouta-t-il. Vingt coups de canne¨ à ce coquin-¨ là bâton; méchant;
Il m'arracha¨ ma canne, avec l'air d'en vouloir maltraiter¨ le cocher .Celui-ci s'enfuit de peur, avec son carrosse, en criant que je l'avais trompé,¨ mais que j'aurais de ses nouvelles.¨ prit de force; molester; dupé; (=menace);
Je lui répétai inutilement d’arrêter. Sa fuite me causa une extrême¨ inquiétude.¨ Je ne doutai point qu'il n'avertît¨ très grande; peur; informât} le commissaire.;
"Vous me perdez," dis-je à Lescaut. Je ne serais pas en sûreté chez vous; il faut nous éloigner¨ dans le moment."¨ partir; immédiatement;
Je prêtai le bras à Manon pour marcher et Lescaut nous tint compagnie. À peine¨ avions-nous marché cinq ou six minutes, qu'un homme, dont je ne découvris¨ point le visage, reconnut Lescaut. tout juste; reconnus;
"C'est Lescaut," dit-il, en lui lâchant¨ un coup de pistolet; "il ira souper ce soir avec les anges". tirant;
Il se déroba¨ aussitôt;¨ Lescaut tomba, sans le moindre mouvement de vie. Je pressai Manon de fuir. Enfin j'aperçus un fiacre au bout de la rue. Nous y montâmes. "Mène- nous à Chaillot," dis-je au cocher. disparut; immédiatement;
Nous fûmes reçus à l'auberge comme des personnes de connaissance.
Je me hâtai le lendemain d'aller à Paris. J'avais besoin d'un secours¨ présent, pour un nombre infini de nécessités présentes. Je continuai mon chemin, résolu d'aller d'abord chez Tiberge, et de la chez M.de T... aide;
Tiberge me demanda si cent pistoles me suffiraient,¨ et, sans m'opposer un seul mot de difficulté, il me les alla chercher dans le moment.¨ Lorsqu'il eut achevé¨ de me compter mon argent et que je me préparais a le quitter, il me pria de faire avec lui un tour d’allée. Il me dit qu'étant allé pour me visiter à Saint-Lazare, le lendemain de mon évasion,¨ il avait été frappé au-delਠde toute expression en apprenant la manière dont j'en étais sorti; qu'il avait eu là-dessus un entretien¨ avec le Supérieur; que ce bon Père n’était pas encore remis¨ de son effroi,¨ qu'il avait eu néanmoins¨ la générosité¨ de déguiser¨ à M. le Lieutenant Général de Police les circonstances de mon départ, et qu'il avait empêche¨ que la mort du portier ne fut connue au dehors; que je n'avais donc, de ce côte-la nul sujet¨ d'alarme, mais que, s'il me restait le moindre sentiment de sagesse,¨ je profiterais de cet heureux tour que le Ciel donnait à mes affaires; que je devais commencer par écrire à mon père et me remettre bien avec lui. seraient assez; immédiatement; fini; fuite; plus; conversation; rétabli; peur; malgré tout; bonté; cacher; prévenu; raison, motif; raison;
J’écoutai son discours¨ jusqu'à la fin. Il y avait là bien des choses satisfaisantes.¨ Je promis à Tiberge de faire partir, le jour même, une lettre pour mon père. histoire; agréables;
Après avoir quitté Tiberge, je me fis un plaisir de marcher fièrement à pied, en allant chez H.de T... Cependant¨ il me revint tout d'un coup à l'esprit que j'avais l'affaire de l'Hôpital sur les bras, sans compter la mort de Lescaut dans laquelle j’étais mêlé, du moins comme témoin.¨ Ce souvenir m'effraya¨ si vivement, que je me retirai dans la première allée, d'où je fis appeler un carrosse J'allais droit chez H.de T... que Je fis rire de ma frayeur.¨ mais; quelqu'un qui a vue; fit peur; peur;
Elle me parut risible¨ à moi-même, lorsqu'il m'eut appris que je n'avais rien à craindre du côté de l'Hôpital, ni avoir peur de celui de Lescaut. Il me dit que, dans la pensée qu'on pourrait le¨ soupçonner¨ d'avoir eu part¨ à l'enlèvement¨ de Manon, il était allé le matin a l'Hôpital, et qu'il avait demandé à la voir en feignant¨ d'ignorer¨ ce qui était arrivé. On s’était empressé¨ de lui apprendre¨ cette aventure comme une étrange nouvelle, et qu'on admirait¨ qu'une fille aussi jolie que Manon eût pris le parti¨ de fuir avec un valet. Il continua de me raconter qu'il était allé de là chez Lescaut; que l'hôte¨ de la maison n'avait pas refusé d'expliquer ce qu'il savait de cause et des circonstances de cette mort. ridicule; (=M.de T..); supposer; coopération; libération; simulant; pas savoir; hâté; raconter; était étonné; la décision; propriétaire;
Environ deux heures auparavant,¨ un garde du corps, des amis de Lescaut, l’était venu voir et lui avait proposé de jouer. Lescaut avait gagné si rapidement que l'autre avait juré,¨ en le quittant, de lui casser la tête¨ : ce qu'il avait exécuté¨ le soir même. avant; assuré; le tuer; réalisé;
M.de T... me pria de trouver bon qu'il allât souper avec nous.Nous prîmes ensemble le chemin de Chaillot, où j'arrivai avec moins d’inquiétude¨ que je n'en étais parti. trouble;

18.1.2. Seconde partie

La présence et les politesses¨ de M.de T... dissipèrent¨ tout ce qui pouvait rester de chagrin à Manon. bonnes manieres; chassèrent;
Ainsi, pendant les premières semaines, je ne pensais qu'à jouir¨ de ma situation. trouver mon plaisir dans;
Le seul valet qui composait¨ notre domestique, me prit un jour à l'écart¨ pour me dire qu'un seigneur étranger semblait avoir pris beaucoup d'amour pour Mlle Manon. formait; à part;
Le trouble de mon sang me fit sentir dans toutes mes veines. Je ne sais à quoi les tourments¨ de mon cœur m'auraient porté si Manon, qui m'avait entendu rentrer, ne fût venue au-devant de moi¨ avec un air d'impatience et des plaintes de ma lenteur. Elle n'attendit point ma réponse pour m'accabler¨ de caresses. Elle marqua¨ peu d'attention pour mon chagrin. Elle voulait que mes cheveux fussent accommodés¨ de ses propres mains. Je les avais fort¨ beaux. C'était un amusement qu'elle s'était donné plusieurs fois. Elle se mit à rajuster¨ mes cheveux, lors-qu'on vint l'avertir¨ que le Prince de ... demandait à la voir. troubles; à ma rencontre; donner beaucoup; donna; arrangés; très; arranger; informer;
"Quoi donc?" m’écriai-je en la repoussant, "Qui? Quel prince?"
Elle ne répondit point a mes questions.
"Faites-le monter", dit-elle froidement au valet.
Et, se tournant vers moi: "Cher ami, toi que j'adore, "reprit-elle d'un ton enchanteur,¨ "je te demande un moment de complaisance¨ un moment, un seul moment. Je t'en aimerai mille fois plus. Je t'en saurai gré¨ toute ma vie". charmant; clémence; remercierai;
L'indignation¨ et la surprise me lièrent¨ la langue.Je vis un homme fort bien mis,¨ mais d'assez mauvaise mine.¨ Manon ne lui donna pas le temps d'ouvrir la bouche; elle lui présenta son miroir: irritation; immobilisèrent; habillé; aspect;
"Voyez, Monsieur," lui dit-elle, "regardez-vous bien, et rendez-moi justice. Vous me demandez de l'amour. Voici l'homme que j'aime, et que j'ai juré¨ d'aimer toute ma vie: promis;
Si vous croyez lui pouvoir disputer mon cœur, apprenez-¨ moi donc sur quel fondement;¨ car je vous déclare qu'aux yeux de votre servante très humble, tous les princes d'Italie ne valent pas un des cheveux que je tiens." dites; base, motif;
"Mademoiselle, Mademoiselle," lui dit-il avec un sourire forcé, "j'ouvre en effet les yeux, et je vous trouve bien moins novice¨ que je ne me l’étais figuré¨ naïf; cru;
Il se retira aussitôt sans jeter les yeux sur elle.
Je ne dissimulai¨ pas que je fus touché jusqu'au fond du cœur, d'un sacrifice¨ que je ne pouvais attribuer¨ qu'à l'amour. Cependant la plaisanterie me parut excessive. cachai; abandon; mettre sur le compte de;
Un jour que nous avions M.de T... a souper, nous entendîmes le bruit d'un carrosse qui s'arrêtait a la porte de l'hôtellerie. La curiosité nous fit désirer qui pouvait arriver à cette heure. On nous dit que c’était le jeune ... M..., c'est à dire le fils de notre plus cruel ennemi. Son nom me fit monter la rougeur au visage.
"C'est le ciel qui me l'amène,¨ dis-je à M. de T...; pour le punir de la lâcheté de son père. Il ne m’échappera pas, que¨ nous n'ayons mesuré nos épées."¨ fait venir; avant que; nous nous soyons battus;
M.de T..., qui le connaissait et qui était même de ses meilleurs amis, s'efforça¨ de me faire prendre d'autres sentiments pour lui. essaya;
Il entra d'un air qui nous prévint¨ effectivement en sa faveur. Il baissa les yeux pour nous parler de l'excès où son père s’était porté contre nous; il nous fit les excuses les plus soumises. influença;
Il ne nous quitta qu’après s'être félicite de notre connaissance et nous avoir demandé la permission de venir nous renouveler quelquefois l'offre de ses servi-
ces. Il partit le matin avec M.de T..., qui se mit avec lui dans son carrosse.
M.de T... revint nous voir avant la fin de la semaine.
M'ayant tiré aussitôt en particulier:¨ à part;
"Je suis," me dit-il, "dans le dernier¨ embarras¨ depuis que je ne vous ai vu; et la visite que je vous fais aujourd'hui en est une suite.¨ G... M... aime votre maîtresse; il m'en a fait confidence¨ et c'est ce qui m'a porté à venir si matin¨ pour vous informer de ses vues.¨ Il peut arriver a tout moment". très grand; trouble; conséquence; confession; tôt le matin; intentions;
Un avis¨ si pressant¨ me fit regarder cette affaire d'un; information; urgent;
œil plus sérieux; et, m’étant retiré à l’écart¨ avec Manon, je lui déclarai naturellement tout ce que je venais d'apprendre. Elle reprit, après avoir un peu rêvé:¨ à part; réfléchi;
"Il me vient un dessein¨ admirable," s’écria-t-elle, "et je suis toute glorieuse de l'invention. G... M... est le fils de notre plus cruel ennemi; il faut nous venger du père, non pas sur le fils, mais sur sa bourse. Je veux l’écouter, accepter ses présents, et se moquer de lui." projet;
Nous vîmes paraître son carrosse vers les onze heures.
Nous nous mimes a table avec un air de confiance et d'amitié. G... M... trouva aisément¨ l'occasion de déclarer ses sentiments à Manon. facilement;
Aussitôt¨ qu'il fut monté en carrosse avec M. de T..., Manon accourut à moi, les bras ouverts, et m'embrassa en éclatant de rire. Elle me répéta ses discours¨ et ses propositions, sans y changer un mot. Ils se réduisent¨ à ce-ci: il l'adorait. Il voulait partager avec elle quarante mille livres de rente dont il jouissait¨ déjà, sans compter ce qu'il attendait après la mort de son père.Il s'engageait¨ à lui compter dix mille francs, en prenant possession de l'hôtel, et il lui marquait¨ le nom de la rue et de l'hôtel, où il lui promettait de l'attendre l'après-midi du second jour, si elle pouvait se dérober¨ de mes mains. immédiatement après; paroles; résument; avait; obligeait; indiquait; s’échapper;
Nous délibérâmes sur la conduite¨ que Manon avait à tenir. Je fis encore des efforts pour lui ôter¨ cette entreprise¨ de la tête, et je lui représentai tous les dangers. attitude; chasser; projet;
Rien ne fut capable d’ébranler¨ sa résolution. Il lui semblait que je ne pouvais me venger plus agréablement de mon rival, qu'en mangeant son souper et en couchant, cette nuit même, dans le lit qu'il espérait occuper avec ma maîtresse; cela lui paraissait assez facile, si je pouvais m'assurer de trois ou quatre hommes qui eussent assez de résolution¨ fermeté pour l’arrêter dans la rue et de fidélité pour le garder à vue¨ jusqu'au lendemain. changer; ; surveiller;
Je cédai¨ à ses instances¨ malgré les mouvements secrets de mon cœur, qui semblaient me présager¨ une catastrophe malheureuse. Je sortis , dans le dessein¨ de prier deux ou trois gardes de corps, avec lesquels Lescaut m'avait mis en liaison,¨ de se charger du soin d'arrêter G... M... Je n'en trouvai qu'un au logis; mais c’était un homme entreprenant.¨ me rendis; demande; prophétiser; intention; relation; courageux;
Je retournai aussitôt chez Manon, et, pour ôter tout soupçon¨ aux domestiques, je leur dis, en entrant, qu'il ne fallait pas attendre M.de G... M... pour souper; qu'il lui était survenu des affaires qui le retenaient malgré lui, et qu'il m'avait prie de venir lui en faire ses excuses. méfiance;
Pendant ce temps-là, notre mauvais génie travaillait à nous perdre. G... M... était suivi d'un laquais lorsqu'il avait été arrête par le garde de corps. Ce garçon, effrayé¨ de l'aventure de son maître, retourna en fuyant sur ses pas; et la première démarche¨ qu'il fit pour le secourir¨ fut d'aller avertir¨ le vieux G... M... de ce qui venait d'arriver. Il découvrit¨ tout ce qu'il savait de son amour pour Manon. C'en fut assez pour faire soupçonner¨ au vieillard que l'affaire de son fils était une querelle¨ d'amour. paniqué; activité; aider; informer; raconta; supposer; conflit;
J'allais me mettre au lorsqu'il arriva; il entra suivi de deux archers.¨ Il s’écria en s'adressant à moi: policiers;
"Ah! malheureux! je suis sûr que tu as tué mon fils!"
"Vieux scélérat!¨ " lui répondis-je avec fierté, "si j'avais eu à tuer quelqu'un de te famille, c'est par toi que j'aurais commencé." criminel;
"Conduisez-le au Petit-Châtelet, " dit-il aux archers¨ et prenez garde¨ que le Chevalier ne vous échappe. C'est un rusé¨ qui s'est déjà sauvé de Saint-Lazare." policiers; faites attention à; adroit;
Les archers avaient un carrosse à la porte. Nous partîmes dans le même carrosse. Nous arrivâmes à la prison. On nous mit chacun dans un lieu séparé.¨ isolé;
Mon argent eut un fort¨ bon effet. On me mit dans une chambre proprement meublé et l'on m'assura que Manon en avait une pareille.¨ Je m'occupai, aussitôt, des moyens de hâter ma liberté. Je résolus d’écrire promptement à mon père pour le prier de venir en personne à Paris. Il arriva le lendemain de mon emprisonnement. très; identique;
Avant de recevoir sa visite, je reçus celle de M.le Lieutenant Général de Police, ou, pour expliquer les choses par leur nom; je subis l'interrogatoire.¨ Il me fit quelques reproches;¨ mais ils n’étaient ni durs, ni désobligeants.¨ Je m'expliquai avec lui d'une manière si respectueuse et si modérée,¨ qu'il parut extrêmement satisfait¨ de mes réponses. fus questionné; réprimandes; désagréables; douce; très content;
J’étais à réfléchir sur la conversation que j'avais eue avec M. le Lieutenant Général de Police, lorsque j'entendis ouvrir la porte de ma chambre: c’était mon père.
J'allais l'embrasser, avec toutes les marques d'une extrême¨ confusion. Il s'assit sans que ni lui, ni moi, eussions encore ouvert la bouche. Comme je demeurai(restai} debout, les yeux baisés et le tête couverte: très grande;
"Asseyez-vous, Monsieur, " me dit-il gravement,¨ "asseyez-vous. sérieusement;
Grâce au scandale de votre libertinage,¨ j'ai découvert le lieu de votre demeure. On se console¨ d'un malheur de fortune; mais quel remède contre un mal, tel que¨ les désordres d'un fils vicieux,¨ qui a perdu tous sentiments d'honneur?" vie immorale; remet; comme; immoral;
"Je vous assure, Monsieur, " lui dis-je, "je ne mérite pas des noms si durs. C'est l'Amour, vous le savez, qui a causé toutes mes fautes. Mon cher père, un peu de pitié pour un fils qui a toujours été plein de respect et d'affection¨ pour vous." amour;
"Viens, mon pauvre Chevalier, " me dit-il, "viens m'embrasser; tu me fais pitié".
Je l'embrassai; il me serra d'une manière qui me fit juger¨ de ce qui se passait dans son cœur. donna une idée;
"Mais quel moyen prendrons-nous donc, " reprit-il, "pour te tirer d'ici? Explique-moi toutes tes affaires sans déguisement."¨ mascarade;
Je lui appris¨ les sentiments que le Lieutenant Général de Police avait pour moi. racontai;
"Si vous trouvez quelques difficultés, lui dis-je, elles ne peuvent venir que de la part¨ des G... M...: ainsi, je crois qu'il serait à propos¨ que vous prissiez la peine¨ de les voir."¨ du côté; opportun; effort; rendre visite;
En me quittant, mon père alla faire une visite à M.de G... M... Il le trouva avec son fils. Je n'ai jamais les particularités¨ de leur conversation; mais ils allèrent ensemble chez M.le Lieutenant Général de Police, auquel ils demandèrent deux grâces: l'une, de me faire sortir sur-le-champ¨ du Châtelet; l'autre d'enfermer Manon pour le reste de ses jours, ou de l'envoyer en Amérique. On commençait, dans le même temps, à embarquer¨ quantité¨ de gens sans aveu¨ pour le Mississippi. M. le Lieutenant Général de Police leur donna sa parole de faire partir Manon par le premier vaisseau. ¨ M.de G... M... et mon père vinrent aussitôt m'apporter ensemble la nouvelle de ma liberté. M.de G... M... me fit in compliment civil¨ sur le passé, et, m'ayant félicité sur l'honneur que j'avais d'avoir un tel père, il m'exhorta¨ à profiter désormais¨ de ses leçons et de ses exemples :Nous sortîmes ensemble, sans avoir dit un mot de ma maîtresse. Cette fille infortunée fut conduite, une heure après, à l'Hôpital, pour y être associée¨ à quelques malheureuses qui étaient condamnées à subir¨ le même sort.¨ La malheureuse bande où elle devrait entrer était destinée à partir le surlendemain¨ du jour où nous étions. détails; immédiatement; transporter en bateau; beaucoup; ignobles, sans foi ni loi; bateau; courtois; encouragea; à l'avenir; réunie; supporter; avenir; 2 jours après;
Le seul moyen dont il semblait que je pusse espérer du changement dans le sort¨ de Manon, c’était de choisir quelques braves, qui eussent¨ le courage d'attaquer les gardes de Manon, lorsqu'ils seraient sortis de Paris avec elle. Le premier qui s'offrit a mon esprit, fut le même garde de corps que j'avais employé pour arrêter G... M...; il m'offrit affectueusement¨ ses services. situation; auraient; aimablement;
Nous employâmes une partie de la nuit à raisonner sur mon dessein¨ Il me parla de trois soldats aux gardes dont il s’était servi dans la dernière occasion. projet;
Le jour de l’exécution¨ étant venu, j'en envoyai un de grand matin¨ à l’Hôpital, pour s'instruire¨ par ses propres yeux, du moment auquel les archers¨ partiraient avec leur proie. Je fus informé par le rapport du soldat aux gardes que cette déplorable troupe prenait le chemin de Normandie, et que c'était du Havre-de-Grâce qu'elle devait partir pour l’Amérique. réalisation; très tôt; informer; policiers;
Nous nous réunîmes au bout du faubourg. Nous ne"tardâmes point à découvrir¨ les six gardes; je fus le premier a piquer mon cheval; mais la Fortune avait rejeté impitoyablement¨ mes vœux.¨ Les archers, voyant cinq chevaliers accourir vers eux, ne doutèrent point que ce ne fût pour les attaquer. Ils se mirent en défense, en préparant leurs baïonnettes et leurs fusils, d'un air résolu. Cette vue, qui ne fit que nous animer, le garde de corps et moi, ôta¨ tout d'un coup le courage a nos trois lâches¨ compagnons. Ils s’arrêtèrent, comme de concert,¨ tournèrent la tête de leurs chevaux pour reprendre le chemin de Paris. bientôt nous découvrîmes; sans pitié; désirs; chassa; peu courageux; ayant fait un accord;
"Dieux! me dit le garde du corps, qui paraissait aussi éperdu¨ que moi de cette infâme désertion; qu'allons-nous faire? Nous ne sommes que deux." perplexe;
Ne voyant de tous côtes que des sujets¨ de désespoir, je pris une résolution¨ véritablement désespérée. Ce fut de remercier mon compagnon de ses services; et, loin d'attaquer les archers, je résolus d'aller avec soumission, les prier de me recevoir dans leur troupe. motifs; décision;
"Rassurez-vous, Messieurs, " leur dis-je en les abordant,¨ je ne vous apporte point la guerre, je viens vous demander des grâces". leur adressant la parole;
Le chef de la bande me répondit que les ordres qu'ils avaient de veiller sur¨ leurs captives¨ étaient d'une extrême rigueur,¨ que je lui paraissais néanmoins¨ si joli homme, que lui et ses compagnons se relâcheraient¨ un peu de leur devoir; mais que je devais comprendre qu'il fallait m'en coûtât quelque chose. garder; prisonnières; très stricte; malgré tout; deviendraient moins stricte;
Vous dirai-je quel fut le déplorable sujet de mes entretiens¨ avec Manon, pendant, cette route? Figurez-¨ vous ma pauvre maîtresse enchaînée par le milieu du corps, assise sur quelques poignées¨ de paille. Elle était si languissante¨ et si affaiblie, qu'elle fut longtemps sans pouvoir se servir de sa langue, ni remuer¨ ses mains. Je les mouillai pendant ce temps-là de mes pleurs. conversations; imaginez; petites quantités; malade; faire des mouvements avec;
Lorsque nous arrivâmes au Hâvre, je vendis mon cheval. L'argent que, j'en tirai, joint ਠce qui me restait encore de vos libéralités¨ me composa la petite somme de dix-sept pistoles. J'en employai sept a l'achat de quelques tes soulagements¨ nécessaires à Manon. Je n'eus point de peine¨ à me faire recevoir dans le vaisseau,¨ On cherchait alors des jeunes gens qui fussent disposes ਠse joindre¨ à la colonie. Le passage et la nourriture me furent accordés¨ gratis. La poste de Paris devant partir le lendemain, j'y laissai une lettre pour Tiberge. avec; bontés; confort; difficulté; bateau; voudraient; aller; donnés;
Nous mîmes a la voile.¨ J'obtins du capitaine un lieu à part pour Manon et moi. Il eut la bonté de nous regarder d'un autre œil que le commun¨ de nos misérables associés.¨ le bateau partit; la majorité; compagnons;
Après une navigation de deux mois, nous abordâmes¨ enfin au rivage¨ désiré. Nous primes le chemin de la ville; mais nous fûmes surpris de découvrir que ce qu'on avait vanté¨ jusqu'alors comme une bonne ville, n’était qu'un assemblage¨ de quelques pauvres cabanes.¨ La maison du Gouverneur nous parut un peu distinguée¨ par sa hauteur et sa situation. arrivâmes; côte; recommandé; réunion; baraques; différent;
Nous fûmes d'abord présentés a lui. Il s'entretint¨ longtemps en secret avec le capitaine; et, lorsqu'il eut ordonné aux autres de se retirer, il nous fit demeurer,¨ elle et moi. parla; rester;
"J'apprends du capitaine, " nous dit il, "que vous êtes mariés, et qu'il vous à reconnus sur la route¨ pour deux personnes d'esprit et de mérite.¨ Je n'entre point dans les raisons qui ont causé votre malheur; mais s'il est vrai que vous ayez autant de savoir-vivre que votre figure¨ me le promet, je n’épargnerai rien¨ pour adoucir¨ votre sort.¨ pendant le voyage; respectables; air, visage; ferai tout; tempérer; malheur;
Le soir, il nous fit conduire au logement qu'on nous avait préparé. Nous trouvâmes une misérable cabane. Manon parut effrayée¨ et elle se mit à pleurer amèrement. J'entrepris¨ d'abord de la consoler,¨ mais lorsqu'elle m'eut fait entendre¨ que c’était moi seul qu'elle plaignait,¨ j'affectai¨ de montrer assez¨ de courage et même assez de joie pour lui en inspirer. paniqué; commençai; calmer; comprendre; dont elle pleurait le sort; simulai; beaucoup;
"De quoi me plaindrai-¨ je?lui dis-je.Je possède tout ce que je désire. Vous m'aimez, n'est-ce pas? Quel autre bonheur me suis-je jamais proposé? Laissons au Ciel le soin de notre fortune." lamenterai;
"Vous serez donc la plus riche personne de l'univers, " me répondit-elle, "car, s'il n'y eut jamais d'amour tel que le vôtre, il est impossible aussi d’être aime plus tendrement que vous l'êtes.J'ai été légère¨ et volage,¨ mais vous ne sauriez croire combien je suis changea." frivole; inconstante;
Ces charmantes idées changeront ma cabane en un palais digne du¨ premier roi du monde. L’Amérique me parut un lieu de délices¨ après cela. qui avait le droit de recevoir; bonheur;
"C'est au Nouvelle-Orléans qu'il faut venir, " disais-je à Manon, "quand on veut goûter les vraies douceurs de l'amour .C'est ici qu'on s'aime, sans intérêt,¨ sans jalousie, sans inconstance." égoïsme;
Nous cultivâmes soigneusement¨ l’amitié du Gouverneur. Il eut la bonté, quelques semaines après notre arrivée, de me donner un petit emploi. scrupuleusement;
L'innocence de nos occupations¨ et la tranquillité¨ où nous étions continuellement¨ servirent à nous faire rappeler insensiblement¨ des idées de religion. Manon n'avait jamais été une fille impie.¨ Je lui fis comprendre qu'il manquait une chose a notre bonheur; c'est de le activités; calme; toujours; peu à peu; irréligieuse;
faire approuver¨ du Ciel.Pour moi, je ne vous offre rien de nouveau en vous offrant mon cœur et ma main; mais je suis prêt à vous en renouveler le don au pied de l'autel". sanctionner;
Il me parut que ce discours¨ la pénétrait¨ de joie. ces paroles; remplissait;
"Croiriez-vous, " me répondit-elle, "que j'y ai pense mille fois, depuis que nous sommes en Amérique?"
J'allai chez le Gouverneur, comme j'en étais convenu¨ avec Manon, pour le prier de consentir¨ à la cérémonie de notre mariage. Le Gouverneur avait un neveu, nommé Synnelet, qui lui était extrêmement¨ cher. La beauté de Manon l'avait touché¨ dès le jour de notre arrivée. Cependant, comme il était persuadé,¨ avec son oncle et toute la ville, que j’étais réellement marie, il s’était rendu maître¨ de son amour. Je le trouvai avec son oncle, lorsque j'arrivai au fort. Je n'avais nulle raison qui m'obligeait de lui faire un secret de mon dessein,¨ de sorte que je ne fis point de difficulté de m'expliquer en sa présence. Le Gouverneur m'écouta avec sa bonté ordinaire; je lui racontai une partie de mon histoire, qu'il entendit avec plaisir, et, lorsque je le priai d'assister¨ à la cérémonie que je méditais, il eut la générosité¨ de s'engager¨ à faire toute la dépense de la fête. Je me retirai fort¨ content. avais réglé; être d’accord avec; très; impressionné; croyait; avait dominé; projet; être présent; bonté; prendre sur lui; très;
Une heure après, je vis entrer l’aumônier¨ chez moi. Je m'imaginai¨ qu'il venait me donner quelques instructions sur mon mariage; mais, après m'avoir salué froidement, il me déclara, en deux mots, que M.le Gouverneur me défendait d'y penser, et qu'il avait d'autres vues¨ sur Manon. prêtre; pensai; intentions;
"D'autres vues sur Manon!" lui dis-je avec un mortel saisissement¨ au cœur, "et quelles vues donc, Monsieur l’aumônier?" trouble;
Il me répondit que je n'ignorais pas¨ que H.le Gouverneur était le maître; que Manon ayant été envoyée de France pour la colonie, c'était à lui de disposer d'elle; qu'il ne l'avait pas fait jusqu'alors, parce qu'il la croyait mariée; mais qu'ayant appris¨ moi-même qu'elle ne l’était point, il jugeait¨ à propos¨ de la donner à M. Synnelet, qui en était amoureux. savais bien; raconté; pensait; juste;
J’étais dans une agitation que je ne saurais comparer à rien. Après une infinité de réflexions, je m’arrêtai à la résolution d'aller trouver le Gouverneur. Le sort,¨ qui voulait hâter ma ruine, me fit rencontrer Synnelet. Il lut dans mes yeux une partie de mes pensées; j'ai dit qu'il était brave; il vint à moi. fatalité;
"Ne me cherchez-vous pas?" me dit-il. Je connais¨ que mes desseins¨ vous offensent, et j'ai bien prévu qu'il faudrait se couper la gorge¨ avec vous. Allons voir qui sera le plus heureux". sais; intentions; se battre;
Nous écartâmes d'une centaine de pas hors de la ville.
Nos épées se croisèrent; l'amour conduisit mon épée, et je lui fournis¨ un coup si vigoureux¨ qu'il tomba à mes pieds, sans mouvement. Je réfléchis aussitôt sur les conséquences de cette mort. Il n y avait pour moi ni grâce, ni délai¨ de supplice¨ à espérer. Je repris le chemin de la ville. J'entrai chez moi; J'y trouvai Manon a demi morte de frayeur¨ et d’inquiétude.¨ Je ne pouvais lui déguiser¨ le terrible accident qui venait de m'arriver. donnai; fort; retard; punition; peur; alarme; cacher;
"Fuyons ensemble, " me dit-elle, "ne perdons pas un instant. Le corps de Synnelet peut avoir été trouvé par hasard, et nous n'aurions pas le temps de nous éloigner."¨ aller loin;
Nous nous éloignâmes de la ville. J'avais acquis¨ asses de connaissance du pays, depuis près de dix mois que j'étais en Amérique, pour ne pas ignorer¨ de quelle manière on apprivoisait¨ les sauvages. J'avais même appris quelques mots de leur langue. Avec cette triste ressource,¨ j'en avais une autre du côté des Anglais, qui ont, comme nous des établissements¨ dans cette partie du nouveau monde; mais nous avions à traverser, jusqu'à leurs colonies, de stériles campagnes de plusieurs journées de largeur. Nous marchâmes aussi longtemps que le courage de Manon put la soutenir. Il était déjà nuit. Nous nous assîmes au milieu d'une vaste¨ plaine.¨ appris; bien savoir; domptait; moyen; colonies; grand; terrain;
Nous avions passé tranquillement une partie de la nuit.
Je croyais ma chère maîtresse endormie. Je m'aperçus dès le point¨ du jour, en touchant ses mains, qu'elle les avait froides et tremblantes. Elle me dit d'une voix faible, qu'elle se croyait à sa dernière heure. Ses soupirs fréquents me firent connaître que la fin de ses malheurs approchait. commencement;
N'exigez¨ point de moi que je décrive mes sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières expressions. Je la perdis; je reçus d'elle des marques d'amour, au moment même qu'elle expirait.¨ demandez; mourait;
Je demeurai¨ plus de vingt~quatre heures, la bouche attachée¨ sur le visage et les mains de ma chère Manon. Enfin je formai la résolution de l'enterrer. J'ouvris une large fosse. J'y plaçai l'idole de mon cœur. J’ensevelis¨ pour toujours, dans le sein¨ de la terre, ce qu'elle avait porté de plus parfait et de plus aimable. Je me couchai ensuite sur la fosse, le visage tourné vers le sable; et, fermant les yeux, avec le dessein¨ de ne les ouvrir jamais, j'invoquais¨ le secours¨ du Ciel et attendis la mort avec impatience. restai; collée; enterrai; fond; intention; appelais; aide;
Après ce que vous venez d'entendre, la conclusion de mon histoire est de si peu d'importance, qu'elle ne mérite¨ pas la peine¨ que vous voulez bien prendre à l’écouter. vaut; effort;
Le corps de Synnelet ayant été rapporté à la ville et ses plaies¨ visitées¨ avec soin, il se trouva, non seulement qu'il n'était pas mort, mais qu'il n'avait pas même reçu de blessure dangereuse. Il apprit à son oncle de quelle manière les choses s’étaient passées entre nous. blessures; examinées;
On me fit chercher. On me trouva, sans apparence de vie, sur la fosse de Manon. Synnelet eut la générosité¨ de solliciter¨ ma grâce; il l'obtint. J’étais si faible, qu'on fut obligé de me transporter dans mon lit, où je fus retenu pendant trois mois par une violente maladie. bonté; demander;
Ce fut environ six semaines après mon rétablissement que, me promenant seul un jour sur le rivage¨ je vis arriver un vaisseau.¨ Je fus frappé d'une surprise extrême¨ en reconnaissant Tiberge. Il m'apprit que l'unique motif de son voyage avait été le désir de me voir et de m'engager¨ à retourner en France. Je ne pouvais marquer trop de reconnaissance pour un ami si généreux¨ et si constant. Je le conduisis chez moi.Je lui appris¨ tout. côte; bateau; três grande; conseiller; bon; racontai;
Nous avons passé deux mois ensemble au Nouvel-Orléans, pour attendre l'arrivée des vaisseaux¨ de France; et, nous étant mis en mer, nous primes terre, il y a quinze jours, au Havre-de-Grâce. bateaux;

19. Voltaire

19.1. Histoire de Charles XII (1731)

DISCOURS ¨ introduction;
La fureur d’écrire est venue au point qu'à peine¨ un souverain cesse de vivre,¨ que le public est inondé de¨ volumes¨ sous le nom de mémoires, d'histoires de sa vie, d'anecdotes de sa cour. Cette saintongeaise¨ de transmettre¨ à la postérité¨ des détails inutiles, et d'arrêter les yeux des siècles à venir sur des événements communs¨ vient d'une faiblesse, très ordinaire à ceux qui ont vécu dans quelque cour, et qui ont eu le malheur d'avoir quelque part¨ aux affaires publiques. Ils regardent la cour où ils ont vécu comme la plus belle qui ait jamais été, le roi qu'ils ont vu comme le plus grand monarque, les affaires dont ils se sont mêlés¨ comme ce qui a jamais été de plus important dans le monde: ils s'imaginent¨ que la postérité¨ verra tout cela avec les mêmes yeux. tout juste; meurt; fatigué; livres; désir; faire passer; avenir; ordinaires; coopération; occupés; pensent; gens après eux;
Qu'arrive-t-il? Ce prince meurt: on prend après lui des mesures toutes différentes; on oublie et les intrigues de sa cour, et ses maîtresses, et ministres, et ses généraux, et ses guerres, et lui-même.
On se serait donc bien donné de garde¨ d'ajouter cette histoire particulière¨ de Charles XIII, roi de Suède, à la multitude¨ des livres dont le public est accablé;¨ mais on n'a pas été déterminé¨ seulement à donner cette vie pour la petite satisfaction¨ d’écrire des faits extra-ordinaires; on a¨ pensé que cette lecture pourrait être utile à quelques princes. je me serais défendu; spéciale; masse; fatigué; décidé; contentement; j'ai;
On a¨ composé cette histoire sur des récits¨ de personnes connues, qui ont passé plusieurs années auprès de Charles XII et de Pierre le Grand, empereur de Moscovie, et qui, s’étant retirées dans un pays libre, longtemps après la mort de ces princes, n'avaient aucun intérêt a déguiser¨ la vérité. j'ai; histoires; masquer;
On n'a pas avancé un seul fait sur lequel on n'ait consulté des témoins oculaires¨ et irréprochables;¨ c'est pourquoi on trouvera cette histoire fort¨ différente des gazettes¨ qui ont paru jusqu'ici sous le nom de la vie de Charles XII. gens qui ont vu; intègres; très; revues;
On est obligé¨ d'avertir¨ que plusieurs choses qui étaient vraies lorsqu'on¨ écrivit cette histoire,(en l728),cessent¨ déjà de l'être aujourd'hui(en l73l). Il faut toujours, lorsqu'on lit une histoire, songer¨ au temps où l'auteur a écrit. Un homme qui ne lirait que le cardinal de Retz prendrait les Français pour des forcenés¨ qui ne respirent¨ que la guerre civile, la faction¨ et la folie. Celui qui ne lirait que l'histoire des belles années de Louis XIV dirait: les Français sont nés pour obéir, pour vaincre¨ et pour cultiver les arts. Un autre qui verrait les mémoires des premières années de Louis XV ne remarquerait dans notre nations que mollesse,¨ une avidité¨ extrême de s'enrichir,et trop d’indifférence pour tout le reste. je dois; informer; je; ne le sont plus; penser; furieux; sont obsédés par; agitation politique; triompher; faiblesse; désir;
Il faudrait dire, en parlant d'une nation: Elle paraissait telle¨ sous un tel gouvernement et en telle année. comme ça;

19.2. Lettres Anglaises (l754)

Vous voulez que je vous donne une idée générale du peuple avec lequel je vis.
C'est ici le pays des Sectes. Un Anglais, comme homme libre, va au ciel par le chemin qui lui plaît. Cependant, quoique¨ chacun puisse ici servir Dieu a sa mode, leur véritable religion, celle où l'on fait fortune, est la Secte des Épiscopaux, appelée l’église Anglicane, ou l’Église par excellence. On ne peut avoir d'emploi ni en Angleterre, ni en Irlande, sans être du nombre des fidèles¨ Anglicans; cette raison, qui est une excellente preuve,¨ a converti¨ tant de non-conformistes, qu'aujourd'hui, il n'y a pas la vingtième partie de la Nation qui soit hors du giron¨ de l’Église dominante. malgré que; un des croyants; ici:raison; fait changer de religion; groupe;
La Religion Anglicane ne s’étend¨ qu'en Angleterre et en Irlande. Le Presbytérianisme est la Religion dominante en Écosse. Ce Presbytérianisme n'est autre chose que le Calvinisme pur, tel¨ qu'il avait été établi¨ en France et qu'il subsiste¨ à Genève. se trouve; comme; fondé; existe encore;
Quoique la Secte Épiscopale et la Presbytérienne soient les deux dominantes dans la Grande Bretagne, toutes les autres y sont bienvenues¨ et vivent toutes assez bien ensemble, pendant que la plupart de leurs prédicants se détestent¨ réciproquement¨ avec presque autant de cordialité qu'un Janséniste damne¨ un Jésuite. acceptées; haïssent; l'un l'autre; envoie aux diables;
S'il n'y avait en Angleterre qu'une Religion, le despotisme serait à craindre; s'il y en avait deux, elles se couperaient la gorge; mais il y en a trente, et elles vivent en paix heureuse.
La Nation Anglaise est la seule de la terre, qui soit parvenue¨ à régler le pouvoir des Rois en leur résistant,¨ et qui, d'efforts en efforts, ait enfin établi¨ ce Gouvernement sage, où le Prince tout puissant pour faire du bien, a les mains liées pour¨ faire le mal, où les Seigneurs sont grands sans insolence¨ et sans vassaux¨ et où le peuple partage¨ le gouvernement sans confusion.¨ La Chambre des Pairs et celle des Communs sont les arbitres de la Nation, le Roi est le Sur-Arbitre. ait réussi; s'opposant à eux; installé; ne peut pas; manque de respect; dépendants; prend part au; difficulté;
Il en a coûté¨ sans doute pour établir la liberté en Angleterre; c'est dans des mers de sang qu'on a noyé¨ l'Idole du pouvoir despotique; mais les Anglais ne croient point avoir acheté trop cher de bonnes lois. a été difficile; tué;
Les autres Nations n'ont pas eu moins de troubles, n'ont pas versé moins de sang; mais ce sang qu'elles ont répandu pour la cause de leur liberté n'a fait que cimenter¨ leur servitude. consolider;

19.3. Candide ou l'optimisme (l759)