15. Nicolas Boileau

15.1. L'art poétique (1674)

Quelque sujet qu'on traite¨ , ou plaisant,ou sublime, présent;
Que toujours le bon sens¨ s'accorde avec la rime. raison;
Aimez donc la raison; que toujours vos écrits
Empruntent¨ d'elle seule et leur lustre¨ et leur prix. prennent; beauté;
Voulez-vous du,public mériter¨ les amours,¨ attirer; admiration;
Sans cesse en écrivant variez vos discours.¨ paroles;
Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse:¨ platitudes;
N'offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire.
Ayez pour la cadence une oreille sévère.¨ critique;
Durant¨ les premiers ans du Parnasse¨ français, pendant; poésie;
Le caprice¨ tout seul faisait toutes les lois, humeur;
Villon sut le premier dans ces siècles grossiers¨ peu délicats;
Débrouiller¨ l'art confus¨ de nos vieux romanciers. rendre clair; peu clair;
Marot bientôt après fit fleurir les ballades,
Tourna¨ des triolets,¨ rima des mascarades. fit; certains vers;
Ronsard, qui le suivit par une autre méthode,
Réglant tout brouilla tout, fit un art à sa mode
Et toutefois¨ longte,ps eut un heureux destin,¨ pourtant; fortune;
Mais sa muse, en français parlant grec et latin
Vit dans l'âge suivant sur un retour grotesque
Tomber de ses grands mots le faste¨ pédantesque. luxe;
Enfin Malherbe vint et le premier en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D'un mot mis en sa place enseigna¨ le pouvoir, fit apprendre;
Et réduisit¨ la muse aux règles du devoir. changea;
Il est¨ certains esprits dont les sombres pensées il y a;
Sont d'un nuage épais toujours embarrassés;¨ troublées;
Le jour¨ de la raison ne le saurait percer.¨ lumière; traverser;
Avant donc que d’écrire apprenez a penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,¨ peu claire;
l'oppression la suit,ou moins nette,ou plus pure.
De que l'on conçoit¨ bien s’énonce¨ clairement. imagine; s'exprime;
Et les mots pour le dire arrivent aisément.¨ facilement;
Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier¨ remettez votre ouvrage: table de travail;
Polissez-¨ le sans cesse et le repolissez; rendez brillant;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez;¨ gommez;
Vous donc,qui d'un beau feu¨ pour le théâtre épris?¨ amour; amoureux;
Venez, en vers pompeux, y disputer le prix,
Voulez-vous sur la scène étaler des ouvrages,
Où tout Paris en foule¨ apporte ses suffrages,¨ masse; applaudissements;
Et qui, toujours plus beaux, plus ils sont regardés,
Soient au bout de vingt ans encor redemandés?
Que dans tous vos discours¨ la passion émue¨ paroles; émotionnée;
Aille chercher le cœur,l’échauffe et le remue?¨ frappe;
Que dès les¨ premiers vers l'action préparée déjà aux ...;
Sans peine¨ du sujet aplanisse¨ l’entrée. difficulté; facilite;
Qu'en un lieu¨ qu'en un jour, un seul fait accompli¨ place; complet;
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli.
Jamais au spectateur n'offrez rien d'incroyable:
Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.¨ plausible;
Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit"nous l'expose¨ raconte;
Les yeux en le voyant saisiraient¨ mieux la chose, comprendraient;
Mais i est¨ des objets que l'art judicieux¨ il y a; juste;
Doit offrir à l’oreille et reculer¨ des yeux. tenir loin;
La tragédie, informe et grossière¨ en naissant peu fine;
N’était qu'un simple chœur ou chacun en dansant,
Et du dieu des raisins entonnant¨ les louanges¨ chantant; gloire;
S'efforçait¨ d'attirer de fertiles vendanges.¨ voulait; bonne production;
Eschyle dans le chœur jeta les personnages,
D'un masque plus honnête¨ habilla les visages. correct;
Sophocle enfin, donnant l'essor¨ a son génie, élan;
Accrut¨ encor la pompe, augmenta¨ l'harmonie, agrandit; agrandit;
Intéressa¨ le chœur dans toute l'action, fit entrer;
Des vers trop radoteux¨ polit¨ l'expression, dur; adoucit;
Lui donna chez les Grecs cette hauteur divine¨ glorieux;
Où jamais n'atteignit¨ la faiblesse latine. arriva;
Chez nos dévots aïeux¨ le théâtre abhorré¨ (au moyen-âge); rejeté;
Fut longtemps dans la France un plaisir ignoré.¨ inconnu;
De pèlerins, dit-on, une troupe grossière¨ peu civilisée;
En public à Paris y monta la première;
Et, sottement zélée¨ en sa simplicité, enthousiaste;
Joua les Saints, la Vierge et Dieu,par piété¨ dévotion;
Le savoir, à la fin dissipant¨ l'ignorance,¨ chassant; manque de savoir;
Fit voir de ce projet la dévote imprudence.
On chasse ces docteurs prèchants¨ sans mission: prédicateurs;
On vit renaître Hector, Andromaque, Ilion.¨ Troie;
Le théâtre, fertile en¨ censeurs¨ pointilleux,¨ plein de; critiques; précis;
Chez nous, pour se produire, est un champ périlleux.¨ dangereux;
Un auteur n'y fait pas de faciles conquêtes;¨ victoires;
Il trouve a le siffler¨ des bouches toujours prêtes. critiquer;
Il faut qu'en cent façons, pour plaire, il se replie;¨ s'adapte;
Que tantôt il s’élève, et tantôt s'humilie¨ s'abaisse;
Qu'en nobles sentiments il soit toujours fécond¨ riche;
Qu'il soit aisé¨ solide,agréable, profond; facile à comprendre;
Et que tout ce qu'il dit, facile a retenir,¨ se rappeler;
De son ouvrage en nous laisse un long souvenir.
Auteurs, prêtez l'oreille¨ à mes instructions. écoutez;
Voulez-vous faire aimer vos riches fictions?
Qu'en savantes leçons votre muse fertile¨ riche;
Partour joigne¨ au plaisant le solide et l'utile. unisse;