10. Pierre Corneille

10.1. Le Cid (1636)

Personnages:
DF DON FERNAND, premier roi de Castille.
DD DON DIEGUE, père de don Rodrigue.,
LC LE COMTE, père de Chimène, général de l’armée
DR DON RODRIGUE, amant de Chimène.
CH CHIMÈNE, fille du comte.
DS DON SANCHE, amoureux de Chimène.
DA DON ALONSE, gentilhomme de la Cour.

 
ACTE I
LC Enfin, vous l'emportez¨ et la faveur du Roi triomphez;
Vous élève¨ en un rang qui n’était dû qu'a moi: porte;
DD Il vous fait gouverneur du prince de Castille(1) Cette marque¨ d'honneur qu'il met dans ma famille signe;
Montre à tous qu'il est juste, et fait connaître assez
Qu'il sait récompenser¨ les services passés. gratifier;
LC Pour¨ grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes si;
Ils peuvent se tromper comme les autres hommes;
Et ce choix sert de preuve¨ à tous les courtisans¨ signe; gens de la cour;
Qu'ils savent mal payer les services présents.
DD Ne parlons plus d'un choix dont votre esprit s'irrite,
La faveur l'a pu faire autant que le métrite¨ capacités;
LC Parlons-en mieux, le Roi fait honneur à votre âge.
DD Le Roi, quand il en fait, le mesure¨ au courage. apprécie;
LC Et par là cet honneur n’était dû qu'à mon bras ma force
DD Qui n'a pu l'obtenir¨ ne le méritait pas.¨ avoir; n'en avait pas le droit;
LC Ne le méritait pas! Moi?
DD Ne le méritait pas! Moi? Vous!
LC Ne le méritait pas! Moi? Vous! Ton impudence¨ irrespect;
Téméraire¨ vieillard, aura sa récompense¨ imprudent; ici: punition;
(Il lui donne un soufflet)¨ le frappe au visage;
DD Achève¨ et prends ma vie après un tel affront fini;
Le premier dont ma race¨ ait vu rougir son front famille;
LC Et que penses-tu faire avec tant de faiblesse?
DD O Dieu! ma force en ce besoin¨ me laisse¨ ! nécessité; quitte;
DD Rodrigue, as-tu du cœur?¨ courage;
DR Rodrigue, as-tu du cœur?¨ Tout autre que mon père ¨ ressentirait;
L’éprouverait sur l'heure¨ immédiatement;
DD L’éprouverait sur l'heure¨ Agréable colère¨ fureur;
Ma jeunesse revit en cette ardeur¨ si prompte. énergie;
Viens, mon fils, viens, mon sang, viens réparer ma honte¨ déshonneur;
Viens me venger.
DR Viens me venger. De quoi?
DD Viens me venger. De quoi? D'un affront si cruel,
Qu'a l'honneur de tous deux il porte un coup mortel¨ fatal;
D'un soufflet. L'insolent¨ en eût¨ perdu la vie; ¨ ; aurait; homme irrespectueux;
Mais mon age a trompe ma généreuse envie¨ noble désir;
Et ce fer que mon bras ne peut plus soutenir
Je le remets au tien pour venger et punir.
Va contre un arrogant éprouver¨ ton courage; tester;
Ce n'est que dans le sang qu'on lave un tel outrage¨ offense;
Meurs ou tue. Au surplus¨ pour ne te point flatter au reste;
Je te donne à combattre un homme a redouter¨ craindre;
Plus que brave soldat, plus que grand capitaine, ;
C'est..
DR C'est.. De grâce¨ achevez¨ s'il vous plaît; dites tout;
QD C'est.. De grâce¨ achevez¨ Le père de Chimène.
DR Le...
DD Le... Ne réplique¨ point, je connais ton amour; réponds;
Mais qui peut vivre infâme¨ est indigne¨ du jour. sans honneur; n'a pas droit au;
Je ne te dis plus rien. Venge-moi, venge-toi;
Montre-toi digne fils d'un père tel que moi.
DR Percé¨ jusques au fond du cœur blessé;
DR À moi, Comte, deux mots.
LC D'une atteinte¨ imprévue aussi bien-que mortelle choc;
Misérable vengeur d'une juste querelle¨ conflit;
Et malheureux objet d'une injuste rigueur¨ fatalité;
Je demeure¨ immobile, et mon âme abattue reste;
Cède¨ au coup qui me tue. capitule;
Si près de voir mon feu¨ récompensé¨ amour; realisé;
O Dieu, l’étrange peine¨ ! malheur;
En cet affront¨ mon père est l’offensé, offense;
Et l'offenseur le père de Chimène
Il vaut mieux courir au trépas¨ à la mort;
Je dois à ma maîtresse aussi¨ bien"qu'a mon père: autant;
J'attire en me vengeant sa haine¨ et sa colère¨ horreur; fureur;
J'attire ses mépris¨ en ne me vengeant pas. (contr.de:respect);
A mon plus grand espoir l'un me rend infidèle,
Et l'autre indigne d'elle.
Mon mal augmente¨ à le vouloir guérir; grandit;
Tout redouble ma peine¨ malheur;
Allons, mon âme;et puisqu'¨ il faut mourir, parce qu';
Mourons du moins sans offenser Chimène.
Mourir sans tirer ma raison! ¨ me venger;
Rechercher un trépas¨ si mortel¨ à ma gloire! mort; fatal;
Endurer¨ que l'Espagne impute ¨ à ma mémoire accepter; accuse;
D'avoir mal soutenu l'honneur de ma maison!
Respecter un amour dont mon âme égarée
Voit la perte assurée!
N’écoutons plus ce penser suborneur¨ infâme;
Qui ne sert qu'ਠma peine agrandit;
Allons, mon bras, sauvons du moins l'honneur,
Puisqu'après tout il faut perdre Chimène.

 
ACTE II
DR À moi, Comte, deux mots
LC À moi, Comte, deux mots Parle.
DR À moi, Comte, deux mots Parle. Ôte-¨ moi d'un doute. délivre;
Connais-tu bien don Diègue?
LC Connais-tu bien don Diègue? Oui.
DR Connais-tu bien don Diègue? Oui. Parlons bas. Écoute.
Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu¨ courage;
La vaillance¨ et l'honneur de son temps? le sais-tu? courage;
LC Peut-être.
DR Peut-être. Cette ardeur¨ que dans les yeux je porte feu, énergie;
Sais-tu que c'est son sang? le sais-tu?
LU Sais-tu que c'est son sang? le sais-tu? Que m'importe?
DR À quatre pas d'ici je te le fais savoir.
LC Jeune présomptueux¨ arrogant;
DR Jeune présomptueux¨ Parle sans t’émouvoir¨ te fâcher;
Je suis jeune, il est vrai; mais aux âmes bien nées¨ nobles;
La valeur n'attend point le nombre des années¨ vient vite;
LC Te mesurer¨ à"moi, qui t'a rendu si vain¨ battre; arrogant;
Toi qu'on n'a jamais vu les armes à la main?¨ dans la guerre;
Sais-tu bien qui je suis?
DR Sais-tu bien qui je suis? Oui; tout autre que moi
Au seul bruit de ton nom pourrait trembler d'effroi¨ peur;
LC Viens, tu fais ton devoir, et le fils dégénère
Qui survit¨ un moment à l'honneur de son père. vit plus longtemps que;
DF Le Comte est donc si vain¨ et si peu raisonnable! arrogant;
Ose-t-il croire encore son crime pardonnable?
DA Je l'ai de votre part¨ longtemps entretenu¨ en votre nom; parlé;
J'ai fait mon pouvoir¨ Sire, et n'ai rien obtenu. ce que j'ai pu;
DF Justes cieux! ainsi donc un sujet téméraire¨ inférieur;
A si peu de respect et de soin de me plaire!
S'attaquer à mon choix, c'est se prendre¨ à moi-même critiquer;
Et faire un attentat¨ sur¨ le pouvoir¨ suprême. agression; contre; autorité;
N'en parlons plus. Au reste, on a vu dix vaisseaux¨ bateaux;
De nos vieux ennemis arborer¨ les drapeaux préparer;
Vers la bouche du fleuve ils ont osé paraître
Faites doubler la garde aux murs et sur le port.
C'est assez pour ce soir.
DS C'est assez pour ce soir. Sire, le Comte est mort!
Don Diègue, par son fils, à vengé son offense
DF Dès que¨ j'ai su l'affront;j'ai prévu la vengeance immédiatement;
Et j'ai voulu dès lors prévenir ce malheur.
Chimène à vos genoux apporte sa douleur;¨ chagrin;
Elle vient toute en pleurs vous demander justice.
DF Ce que le Comte a fait semble avoir mérité
Ce digne¨ châtiment¨ de sa témérité¨ juste; punition; arrogance;
Quelque juste pourtant que puisse être sa peine¨ chagrin;
Je ne puis sans regret perdre un tel capitaine.
CH Sire, Sire, justice!
DD Sire, Sire, justice! Ah!Sire, écoutez-nous.
CH Je me jette a vos pieds.
DD Je me jette a vos pieds. J'embrasse vos genoux
CH Je demande justice.
DD Je demande justice. Entendez ma défense.
CH D'un jeune audacieux¨ punissez l'insolence¨ arrogant; irrespect;
Il a de votre sceptre abattu le soutien¨ défenseur;
Il a tue mon père.
DD Il a tue mon père. Il a vengé le sien
DF L'affaire est d'importance, et, bien considérée¨ méditée;
Mérite en plein conseil d’être délibérée¨ discutée;
Don Sanche, remettez¨ Chimène en sa maison. reconduisez;
Don Diègue aura ma cour et sa foi¨ pour prison. parole d'honneur;
Qu'on me cherche son fils.Je vous ferai justice.
CH Il est juste, grand Roi, qu'un meurtrier¨ périsse¨ qq qui a tué; meure;
DF Prends du repos, ma fille, et calme tes douleurs¨ chagrin;
CH M'ordonner du repos, c'est croître¨ mes malheurs. agrandir;

 
ACTE III (Chimène et sa confidente Elvire)
EL Reposez-vous, Madame.
CH Reposez-vous, Madame. Ah! que mal à propos¨ à un mauvais moment;
Dans un malheur si grand tu parles de repos!
Par où¨ sera jamais ma douleur¨ apaisée¨ par quoi; chagrin; calmée;
Si je ne puis haïr¨ la main qui l'a causée? contr. de:aimer ;
EL Il vous prive¨ prends son père)d'un père, et vous l'aimez encore!;
CH C'est peu de dire aimer. Elvire:je l'adore.
Mon cœur prend son parti; mais malgré son¨ effort, (=du cœur);
Je sais ce que je suis, bet que mon père est mort.
EL Madame, croyez-moi, vous serez excusable
D'avoir moins de chaleur¨ contre un objet aimable¨ ici:fureur; QQ que vous aimez;
Ne vous obstinez¨ point en cette humeur étrange. restez;
CH Il y va de ma gloire¨ il faut que je me venge; ma g.est en question;
Et de quoi que nous flatte un désir amoureux,
Toute excuse est honteuse¨ aux esprits généreux¨ ; déshonorant; nobles;
EL Mais vous aimez Rodrigue, il ne vous peut déplaire.
CH Je l'avoue¨ reconnais;
EL Je l'avoue¨ Après tout, que pensez-vous donc faire?
CH Pour conserver ma gloire et finir mon ennui¨ chagrin;
Le poursuivre, le perdre¨ et mourir après lui. causer sa mort;
DR Eh bien, sans vous donner la peine de poursuivre¨ continuer;
Assurez-vous l'honneur de m'empêcher de vivre¨ me tuer;
Je t'ai fait une offense et j'ai dû m'y porter¨ le faire;
Pour effacer¨ ma honte¨ et pour te mériter. faire disparaître; déshonneur;
GH Ah! Rodrigue, il est vrai, quoique ton ennemie,
Je ne puis te blâmer¨ d'avoir fui l'infamie¨ critiquer; déshonneur;
Et de quelque façon qu’éclatent¨ mes douleurs se montrent;
Je ne t'accuse point, je pleure mes malheurs.¨ chagrin;
Je sais ce que l'honneur, après un tel outrage¨ offense;
Demandait a l'ardeur¨ d'un généreux¨ courage chaleur; noble;
Tu n'as fait le devoir que d'un homme de bien; `
Mais aussi, le faisant¨ tu m'as appris le mien. par cela;
DR Au nom d'un père mort, ou de notre amitié,
Punis~moi par vengeance, ou du moins par pitié.
Ton malheureux amant aura bien moins de peine¨ chagrin;
À mourir par ta main qu'à vivre avec ta haine¨ (contr.de:amour);
CH Va, je ne te hais point.
DR Va, je ne te hais point. Tu le dois.
CH Va, je ne te hais point. Tu le dois. Je ne puis.
DR Crains-tu¨ si peu le blâme,¨ et si peu les faux bruits? as-tu peur; critique;
CH Va-t'en, ne montre plus à ma douleur extrême¨ très grande;
Ce qu'il faut que ge perde, encore que¨ je l'aime. malgré que;
Rodrigue, qui l'eut cru?
DR Rodrigue, qui l'eut cru? Chimène qui l'eût dit?
CH Que notre heur¨ fût si proche et si tôt se perdit? bonheur;
Ah! mortelles douleurs!
DR Ah! mortelles douleurs! Ah! regrets¨ superflus¨ lamentations; inutiles;
CH Va-t'en, encore un coup¨ je ne t’écoute plus. une fois;
DR Adieu; je vais traîner¨ une mourante vie, mener;
Tant que, par ta poursuite, elle me soit ravie¨ prise;
DD Rodrigue, enfin le ciel permet que je te voie!
DR Hélas!
DD Hélas! Ne mêle point de soupirs¨ à ma joie. lamentations;
DR L'honneur vous en est dû, je ne pouvais pas moins.
Étant sorti de vous¨ et nourri¨ par vos soins votre fils; éduqué;
Ne me dites plus rien; pour vous j'ai tout perdu:
Ce que je vous devais, je vous l'ai bien rendu.
DD Porte, porte plus haut le fruit de ta victoire:
Je t'ai donne la vie, et tu me rends ma gloire;
Et d'autant que¨ l'honneur m'est plus cher que le jour, parce que;
D'autant plus maintenant je te dois de retour.
Mais d'un cœur magnanime¨ éloigne¨ ces faiblesses; noble; chasse;
Nous n'avons qu'un honneur, il est tant de maîtresses¨ ! femmes à aimer;
L'amour n'est qu'un plaisir, l'honneur est un devoir.
DR Ah! que me dites-vous?
DD Ah! que me dites-vous? Ce que tu dois savoir.
DR Mes liens¨ sont trop forts pour être ainsi rompus; relations;
Ma foi m'engage encore, si je n’espère plus.
Et ne pouvant quitter ni posséder Chimène
Le trepas¨ que je cherche est ma douce peine. mort;
DD Il n'est pas temps encor de chercher le trépas
Ton prince et ton pays ont besoin de ton bras¨ ; force;
La flotte¨ qu'on craignait, dans ce grand fleuve entrée, les bateaux(des Mores);
Croit surprendre la ville et piller¨ la contrée. ravager;
Les Mores vont descendre, et le flux¨ et la nuit courant;
Dans une heure à nos murs les amène sans bruit.
Dans ce malheur public mon bonheur a permis
Que j'ai trouvé chez moi cinq cents de mes amis.
Va marcher a leur tête ou l'honneur te demande:
C'est toi que veut pour chef leur généreuse¨ bande. noble;
Viens, suis-moi, va combattre, et montrer a ton roi
Que ce qu'il perd au Comte il le retrouve en toi.

 
ACTE IV
DF Généreux héritier¨ d'une illustre famille, enfant;
Qui fut toujours la gloire et l'appui¨ de Castille, défense;
Pour te récompenser¨ ma force est trop petite; payer de retour;
Et j'ai moins de pouvoir que tu n'as de mérite¨ capacités;
Le pays délivré d'un si rude ennemi,
Mon sceptre dans ma main par la tienne affermi¨ assuré;
Et les Mores défaits¨ avant qu'en ses alarmes battus;
J'eusse pu donner ordre à repousser¨ leurs armes, chasser;
Ne sont point des exploits¨ qui laissent à ton roi acte héroïque;
Le moyen ni l'espoir de s'acquitter¨ vers toi. payer de retour;
Mais deux rois, tes captifs¨ feront ta récompense. prisonniers;
Ils t'ont nommé tous deux leur Cid en ma présence.
Puisque¨ Cid en leur langue est autant que "seigneur", parce que;
Je ne t'envierai pas¨ ce beau titre d'honneur. suis pas jaloux;
Sois désormais¨ le Cid; qu'à ce grand nom tout cède;¨ à l'avenir; capitule;
Qu'il comble¨ d’épouvante¨ et Grenade et Tolède, remplit; peur;
Et qu'il marque¨ à tous ceux qui vivent sous mes lois fait savoir;
Et ce que tu vaux, et ce que je te dois.
Souffre¨ donc qu'on te loue¨ et de cette victoire; accepte; glorifie;
Apprends-moi plus au long la véritable histoire.
DR Sire, vous avez su qu'en ce danger pressant¨ urgent;
Qui jeta dans la ville un effroi¨ si puissant¨ terreur; grand;
Une troupe d'amis chez mon père assemblée¨ venu ensemble;
Sollicita¨ mon âme encor toute troublée...; demanda;
C'est de cette façon que, pour votre service ....
DA Sire, Chimène vient vous demander justice.
DF La fâcheuse¨ nouvelle et l’importun¨ devoir pénible; déplaisant;
Va, je ne la veux pas obliger¨ à te voir. mette dans la nécessité;
(Rodrigue se retire. À Chimène qui entre ...)
Ma fille, ces transports¨ ont trop de violence¨ fureur; intensité;
Quand on rend la justice, on met tout en balance:
On a tué ton père, il était l'agresseur;
Et la même équité¨ m'ordonne la douceur. justice;
CH Puisque vous refusez la justice a mes larmes,
Sire, permettez-moi de recourir¨ aux armes; employer;
C'est par la seulement qu'il a su m'outrager¨ offenser;
Et c'est aussi par là que je me dois venger.
A tous vos cavaliers¨ je demande sa tête: nobles;
Oui, qu'un d'eux me l'¨ apporte, et je suis sa conquête¨ =sa tête; pour lui;
Qu'ils le combattent, Sire, et le combat fini,
J’épouse¨ le vainqueur, si Rodrigue est puni. me marie avec;
DS_Accordez¨ cette grâce a l'ardeur¨ qui me presse, donnez; passion;
Madame, vous savez quelle est votre promesse.
DF Chimêne, remets-tu ta querelle¨ en sa main? conflit;
CH Sire, je l'ai promis.
DF Sire, je l'ai promis. Soyez prêt à demain.

 
ACTE V
CH Quoi! Rodrigue, en plein jour! d'où te vient cette audace¨ aplomb;
Va, tu me perds¨ d'honneur; retire-toi de grâce¨ fais perdre; s.v.p.;
DR Je vais mourir, Madame, et vous viens en ce lieu
Avant le coup mortel, dire un dernier adieu.
CH Tu vas mourir! Don Sanche est-il si redoutable¨ dangereux;
Qu'il donne l’épouvante¨ a ce cœur indomptable?¨ terreur; fier;
Qui t'a rendu si faible, ou qui le rend si fort?
Rodrigue va combattre, et se croit déjà mort!
DR J’ai toujours même cœur; mais je n'ai point de bras
Quand il faut conserver ce qui ne vous plaît pas.
Puisque, pour t’empêcher¨ de courir au trépas¨ retenir; mort;
Ta vie et ton honneur sont de faibles appas,¨ charmes;
Si jamais je t'aimai, cher Rodrigue, en revanche,¨ en compensation;
Défends-toi maintenant pour m’ôter a don Sanche;
Et si tu sens pour moi ton cœur encore épris¨ amoureux;
Sors vainqueur d'un combat dont Chimène est le prix.
CH Sire, il n'est plus besoin de vous dissimuler¨ cacher;
Ce que tous mes efforts ne vous ont pu celer¨ cacher;
J'aimais, vous l'avez su; mais pour venger mon père,
J'ai bien voulu proscrire¨ une tête si chère. chasser;
DF Ma fille, il ne faut point rougir d'un si beau feu¨ amour;
Ni chercher les moyens d'en faire un désaveu¨ négation;
Une louable¨ honte¨ en vain¨ t'en sollicite¨ juste; réserve; sans résultat; le veux de toi;
Ta gloire est dégagée¨ et ton devoir est quitte¨ ; libre; vengé;
Ton père est satisfait et c’était le venger
Que mettre tant de fois ton Rodrigue en danger.
Tu vois comme le ciel autrement en dispose¨ décide;
Ayant tant fait pour lui, fais pour toi quelque chose,
Et ne sois pas rebelle à mon commandement,
Qui te donne un époux¨ aimé si chèrement. mari;
CH Rodrigue a des vertus¨ que je ne puis haïr; qualités;
Et quand un roi commande, on lui doit obéir.
Mais a quoi que déjà vous m'ayez condamnée¨ obligée;
Pourrez-vous a vos yeux souffrir¨ cet hyménée?¨ tolérer; mariage;
DF Le temps assez souvent a rendu légitime
Ce qui semblait d'abord ne se pouvoir¨ sans crime semblait impossible;
Prends un an, si tu veux, pour essuyer tes larmes¨ porter le deuil;
Rodrigue, cependant il faut prendre les armes.
Et par tes grands exploits¨ fais-toi si bien priser¨ actes héroïques; glorifier;
Qu'il lui soit glorieux alors de t’épouser.

 

10.2. Quelques données sur Le Cid et son auteur

Quand Pierre Corneille publia, en l656, son Cid, les règles classiques étaient partout suivis:
unité de temps:
les événements de la pièce doivent se passer en vingt-quatre heures,
unité de lieu:
l’histoire doit se passer dans un seul endroit,
unité d'action:
toute scène et tout personnage doit être indispensable a l'intrigue.
Il est clair que Corneille s'est moqué¨ dans le Cid de toutes ces règles. Mais l’Académie française, fondée peu avant par le cardinal de Richelieu, avait écrit une critique officielle, sur l'ordre du même Richelieu, qui voulait mettre fin à la "querelle du Cid" entre les défenseurs et les adversaires¨ de la pièce. n'a pas pris au sérieux; les opposants;
Sentiments de l’Académie sur le Cid critiquent le manque d'observation¨ des règles classiques. obéissance;
Corneille a pris le sujet du Cid dans un "romancero"¨ espagnol du moyen-âge. Il écrivait la pièce pour les femmes des salons, flattant¨ leur goût¨ de l’héroïque. histoire épique; plaisant à; préférence;
Le héros cornélien fait toujours son devoir et il est "convaincu" que ce devoir, le principe qu'il est sûr suit, est juste. Et ce devoir contribue¨ à sa gloire. aide à agrandir;
Le héros cornélien ne peut aimer une femme que quand il peut avoir de l'estime¨ pour elle. Ainsi l'amour est base sur l'estime, c.a.d. sans respect, il n'y a pas d'amour possible. respect;

(1) Le Prince de Castille est le dauphin. Le gouverneur du dauphin avait, par sa fonction, une grande influence sur le futur roi et les affaires d’état.