La chanson de Roland est une chanson de geste¨ du onzième siècle.

Notre seigneur, le grand roi Charlemagne,

Sept ans tout pleins¨ a été en Espagne,

Jusqu’à la mer conquis¨ la terre hautaine

Sauf¨ Saragosse, qui est sur la montagne;

Le roi Marsile l'a, qui plein d'incroyance,¨

Sert Mahomet, d'Apollon se réclame.¨

Le Roi Marsile était en Saragosse

Là, il appelle tous les ducs et ses comtes¨

"Voilà, Seigneurs, ce qui tant nous encombre¨

L'empereur Charles, de douce France bonne,

En ce pays est venu nous confondre,¨

Je n'ai pas d'hommes suffisants¨ qui l'affrontent¨

Conseillez-moi comme des sages hommes

Sauvez-moi donc de la mort, de la honte."

Là, Blancandrin, un de ses païens¨

Dit à son roi: "ne soyez pas troublé;

Mandez¨ à Charles, l’orgueilleux¨ et le fier

De le servir en fidèle amitié.

Faites donner des ours, des lions, des chiens.

Quatre cents mules d'or et d'argent chargées¨

Dans ce pays il a assez lutté.¨

En France, à Aix il doit bien retourner

Mandez de le suivre à la Saint-Michel¨

Pour les otages¨ , s'il en veut, envoyez

Dix ou vingt hommes, cela va le tromper¨

Nos propres fils, il faut les envoyer

S'il doit mourir, j'enverrai bien le mien

Les Francs iront tous en France, leur terre

Charles sera à Aix, à sa chapelle¨

Le jour viendra, puis passera le terme¨

Mais il n'aura jamais de vos nouvelles

Dix mules blanches fit amener¨ Marsile

Y montent ceux qui pour lui négocient¨

Et dans leurs mains ont des branches d'olive

Auprès de Charles, roi de France, ils arrivent.

Là, Blancandrin a tout d'abord parlé

Puis sous un pin¨ , le roi s'est allé

Mandant¨ à ses pairs¨ pour y délibérer¨

Roland, le comte, se lève alors pour dire:

"Malheur à vous, si vous croyez Marsile..

Voila¨ sept ans que nous sommes ici

Le roi Marsile y fit bien des traîtrises¨

Deux de vos comtes¨ pour le païen¨ partirent

Il prit leur têtes près du mont d'Haltoïde

Faites la guerre comme elle est entreprise.¨ "

Les Francs se taisent¨ excepté¨ Ganelon

Il se relève et vient devant Charlon

Il dit au roi: "Croyez-vous un félon¨

Qui ne veut pas faire de convention¨

Sans se soucier¨ comment donc nous mourrons?"

Après lui Naimes, le duc est venu

Il dit au roi: "Vous l'avez entendu,

Le roi Marsile, dans la guerre est vaincu¨

Quand il demande d'avoir pitié¨ de lui

C'est un péché¨ de lui demander plus."

Les Français disent: "bien a parlé le duc."

"Chevaliers francs¨ , " a dit l'empereur Charles

Choisissez-moi un baron de ma marche¨

qui porte au roi Marsile mon message¨

Là Roland dit: "Ganelon! Mon parâtre¨ "

Les Français disent: "Il faut bien qu'il le fasse¨ !"

Mais Ganelon, qui est en grande angoisse¨

Dit à Roland:"Fou¨ , pourquoi tu enrages¨

On sait bien que je suis ton parâtre

Et tu veux donc que chez Marsile j'aille!

Si Dieu me donne que de la j’échappe¨

Je te ferrai un si puissant¨ dommage¨

Qu'il durera bien pendant tout ton age¨ "

L'empereur veut son gant droit lui remettre¨

Mais Ganelon voudrait ne pas y être

Avant qu'il prenne, le gant tombe à terre

Les Français disent: "Quel signe ce peut être!

De ce message¨ nous viendra grande perte!"

vêtement qui couvre la main

Mais Ganelon part avec Blancandrin.

L'un donne à l'autre méchamment¨ son crédit¨

Car ils voudraient faire Roland périr¨

Ils chevauchèrent¨ tant par voies¨ , tant par chemins¨

Qu'à Saragosse descendent sous un if¨

Là fut le roi qui l'Espagne soumit.¨

Le Païen dit:"Je trouve merveilleux¨

Charlemagne est déjà chenu¨ et vieux

Ne va-t-il donc jamais quitter ces lieux¨ ?"

"Pas, " dit le comte, "tant¨ que vit son neveu."

"Ganelon, Sire, " lui dit le roi Marsile,

"Comment pourrais-je donc Roland occire¨ ?"

Ganelon dit:"Je vais bien vous le dire:

Le roi sera aux plus grands ports¨ de Sizre;

L’arrière-garde¨ va, de très loin, le suivre

Et là sera Roland, son neveu riche

Et Olivier, à qui tant il se fie¨

Vingt mille Francs sont de leur compagnie¨

De vos païens, envoyez-y cent mille.

De ce combat jamais il ne se tire

Vous n'aurez plus de guerre de la vie."

Marsile dit:"Que de plus j'en dirais¨ ?

Jurez-moi¨ donc de trahir¨ les Français."

Ganelon dit:"Bon, si cela vous plaît."

De grand matin¨ l'empereur s'est levé

Ganelon vint, le félon parjuré¨

Perfidement, il commence à parler.

Il dit au roi: "Par dieu soyez sauvé.

De Saragosse je vous donne les clés

De tres grands biens¨ je viens vous ramener

Bien vous pouvez croire le roi païen.

Vous ne verrez ce dernier mois passé

Qu'il va vous suivre en France bien régnée.¨ "

Là le roi dit: "Que Dieu soit remercié.

De ce fait-là soyez récompensé¨

Puis dans l’armée il fait les cors¨ sonner

Levant le camp¨ on charge les sommiers¨

Vers douce France ils sont dirigés.¨

La nuit s’écoule¨ et l'aube¨ apparaît claire

Tout fièrement notre empereur s'avance¨

"Seigneurs barons" a dit l'empereur Charles

"Voyez les ports et les étroits¨ passages;

Choisissez-moi ceux de l’arrière-garde"

Ganelon dit: "Mais, mon beau-fils le brave¨

Aucun baron n'a de plus grand courage."

Étant choisi pour l’arrière-garde

Roland dit, furieux, a son parâtre¨ :

"Mauvais homme, lâche¨ de vile race,¨

Penses-tu que le gant des mains m’échappe,¨

Comme cella t'arriva devant Charles"

L'empereur Charles a appelé Roland

"Seigneur neveu, or¨ sachez donc vraiment

Je vous donne la moitié¨ de mes gens."

Le comte dit: "Je n'en voudrais pas tant;

Je garderai¨ vingt mille Francs vaillants¨

Vous passerez les ports très sûrement.¨ "

Hauts sont les monts et les vals¨ ténébreux¨

Et les Français vinrent avec douleurs¨

En Gascogne, terre de leur seigneurs.

Aucun soldat qui n'en verse des pleurs.¨

Marsile mande¨ d'Espagne ses barons,

Comtes, vicomtes, ducs et almanzors¨

Quatre cent mille réunis en trois jours

Puis ils chevauchent avec grands efforts¨

Par Cedagne, par les vals et les monts,

Lorsqu'ils ont vu les Francs les gonfalons,¨

L’arrière-garde des douze compagnons.

Les païens s'arment d'hauberts¨ maures de choix

Des cors ils sonnent pour causer de l'effroi¨

Le grand bruit¨ met les Français en émoi.¨

Olivier dit: "Les païens sont bien forts;

Ami Roland, sonnez de votre cor;

Charles l'entendra et reviendra alors."

Roland répond: "Je ne suis pas idiot!

En douce France, je perdrais mon renom.¨ "

Ailleurs¨ se trouve l’archevêque¨ Turpin

Qui sermonne¨ les Français et leur dit:

"Charles, Seigneurs, nous a laissés ici.

Pour notre roi nous devons bien mourir.

La chrétienté¨ , il faut la soutenir.¨

Vous êtes sûr d'avoir bataille ici;

Confessez-vous¨ et priez Dieu merci;

J'absous¨ vos âmes¨ afin¨ de les guérir

Si vous mourez, vous serez des martyrs;¨

Vous siégerez¨ au plus haut paradis."

Tous les Français se dressent¨ sur les pieds.

Ils sont absous, quittes¨ de leurs péchés.

Après, ils montent sur leurs destriers¨ légers.

Au ports d'Espagne est donc passé Roland

Sur Veilantif, son bon cheval courant.¨

Là, il regarde les Français doucement.¨

Puis il leur dit un mot courtoisement¨ :

"Seigneurs barons, battez vous bravement.¨ "

Olivier dit:"À quoi bon¨ donc parler

Votre oliphant,¨ il fallait¨ le sonner

Ceux qui sont là, ne sont pas a blâmer¨

Seigneurs barons, il faut que vous frappiez"

Le combat¨ est merveilleux¨ et pesant¨

Très dur y frappent Olivier et Roland

Et les Français frappent très bravement

Les païens meurent à milliers et à cent

Et les Français perdent leurs meilleurs gens.

Quand Roland voit des siens¨ la grande perte,

Son compagnon Olivier, il l'appelle:

"Ami, de ça que peut-il vous paraître¨ ?

Vous voyez tant de bons vassaux¨ à terre;

Olivier, frère, que pourrons-nous donc faire?"

Olivier dit:"Où le roi peut-il être?

Mieux vaut¨ mourir que honte¨ nous soit faite.¨ "

"Je sonnerai, ", dit Roland, "L'oliphant.

Si Charlemagne l'entend aux ports passant,¨

Je vous jure¨ , il renverra¨ les Francs."

Olivier dit:"L’opprobre¨ serait grand;

La honte aussi envers¨ tous vos parents.¨ "

Roland lui dit:"Très grande est la bataille.

Je sonnerai afin¨ d'avertir¨ Charles."

Olivier dit:"Ça ne serrait pas brave!

Quand je l'ai dit, alors vous refusâtes.¨ "

Les morts ne doivent en avoir aucun blâme.¨

Si je revois ma sœur Aude¨ , la sage¨

Je ferrai que jamais tu ne l'embrasses.¨ "

Quand l’archevêque les entend quereller,¨

Il vient à eux pour les réprimander¨

"Sire Roland et vous Sire Olivier,

Il ne faut pas, par Dieu, vous quereller.

Sonner du cor ne peut plus nous aider,

Mais que le roi vienne pour nous venger.¨ "

prélat de l'église catholique

Roland le comte, par douleur et ahan,¨

Par grande peine sonne son oliphant

Puis de la bouche lui sort beaucoup de sang

Toute la tempe¨ , de la tête se fend¨

Charles l'entend au loin¨ aux ports passant.

Et le roi dit:"C'est le cor de Roland;

Il ne l'a jamais sonné qu'en battant.¨ "

Puis l'empereur a fait sonner les cors.

Sur leurs destriers¨ montent tous les barons.

Piquant des deux¨ ils traversent¨ les ports

Mais à quoi bon¨ ? Ils ont tardé par trop!¨

Le roi fait prendre le comte Ganelon.

Et il commande aux gens de sa maison:

"Gardez-le¨ bien, comme un très grand félon,¨

Qui de mes gens a fait la trahison.¨ "

Hauts sont les monts et ténébreux¨ et grands

Les vals profonds et les fleuves courants.¨

Là, l'empereur chevauche violemment,¨

Les Français sont curieux et très dolents,¨

Et prient¨ Dieu de protéger¨ Roland.

Mais à quoi bon¨ ? Ça ne sert nullement!¨

Ils tardent trop,¨ ne pouvant être à temps.

Les païens voient tous les Français qui sont morts

L'un dit à l'autre:"L'empereur a bien tort.¨ "

Un émir saute sur son cheval bien fort

Pique le bien de ses éperons¨ d'or¨

Frappe Olivier arrière dans le dos.

Olivier sent qu'il est à mort battu.

Tient Hauteclaire,¨ dont l'acier était brun,

Frappe l’émir au heaume¨ à or aigu,¨

Tranche¨ sa tête jusqu’à ses dents menues¨

Frappant son coup, à mort l'abattu.

Olivier sent qu'alors la mort le touche.¨

Il perd l’ouïe,¨ et la vue se perd toute

Puis il descend, sur la terre se couche,

De temps en temps vers Dieu son âme tourne

Il bénit¨ Charles et la France douce.

Le cœur lui manque¨ et le heaume se courbe¨ ,

Et son corps sur la terre s’écroule¨

Le comte est mort. Son âme à Dieu retourne.

Roland le pleure, des yeux les larmes coulent.

Jamais plus grande tristesse l'on trouve.

Roland le comte, résolument se bat.

Mais son corps est en sueur¨ et très las.¨

Sa tête est douloureuse et lui fait mal.

Il eut la tempe¨ rompue,¨ quand il corna¨

Voulant savoir si Charles reviendra

Il prit son cor, faiblement¨ le sonna.

Là, l'empereur s’arrêta, écouta

"Seigneurs, " dit il, "Quel malheur se fait là!

Car aujourd'hui Roland nous quittera.

J'entends au son de son cor qu'il mourra.

Sonnez les cors autant qu'il y en a!"

Soixante mille sonnent avec éclat.¨

Quand ils l'entendent, les païens en ont mal.

L'un dit à l'autre:"Voila Charles déjà!"

Les païens disent":Quel malheur¨ d’être né¨ !

Le pire¨ jour nous est donc arrivé

Avec ses troupes, Charles va retourner.

Roland le comte a beaucoup de fierté.¨

Aucun mortel¨ ne le vaincra¨ jamais.

Attaquons-le¨ de loin¨ pour le tuer!"

Ainsi ils firent; des dards, armes de jet,¨

Épées et lances, javelots empennés.

Ils ont troué¨ l'écu¨ de Roland, et

Ils ont rompu son beau haubert doré,¨

Mais son beau corps, ils ne l'ont pas touché.¨

Les païens fuient¨ furieux et courroucé¨

Mais Roland n'a pas pu les pourchasser.

Il a perdu Vaillantif, son destrier.¨

Puis Roland sent que la mort le surprend.¨

Sur l'herbe verte il s'est couché adent,¨

Sous lui il met l’épée et l'oliphant

Tournant la tête vers le pays païen.

Il fait cela parce qu'il veut vraiment

Que Charles dise, et avec lui ses gens:

"Le noble comte est mort en conquérant.¨ "

Roland le comte se couche sous un pin.¨

De plusieurs choses lui vient le souvenir,

De ces pays si vaillamment¨ conquis,¨

De Charlemagne, son roi qui l'a nourri.¨

Il n'y peut rien, il en pleure¨ et soupire;

Mais lui-même, il ne veut qu'il s'oublie.

"Mea culpa,¨ " dit il, "Ah dieu, merci!"

Sur son bras droite chef¨ il l'a remis;¨

Les mains jointes¨ il est allé à sa fin.¨

Dieu lui envoie son ange chérubin¨

Et avec lui Saint-Michel du Péril¨

Puis avec eux Saint Gabriel y vint

Ils portent l'âme du comte au paradis.

Roland est mort. Dieu a son âme au ciel.

A Roncevaux, enfin, l'empereur vient.

Il n'y a pas de voie,¨ ni de sentier¨

Où il n'y a de Francs ou de païens.

Charles s'écrie:"Où est Roland, le fier,

Où l'archevêque, où le comte Olivier,

Les douze pairs, qu'ici j'avais laissés

Nul¨ ne répond. À quoi bon¨ appeler?

Il n'y a pas de chevalier¨ , de preux,

Qui de pitié¨ très durement ne pleure.

Pleurant leurs fils, leurs frères, leurs neveux

Et leurs amis, et leurs liges¨ seigneurs.

Naimes, le duc, agit¨ en homme preux;¨

Tout premier, il dit à l'empereur:

"Regardez bien au loin à quelques lieues¨

Vous pouvez voir les chemins poussiéreux,¨

Les païens sont, je crois, assez nombreux;¨

Chevauchez donc! Vengez¨ cette douleur!"¨

Le roi Marsile s'enfuit¨ vers Saragosse.

Et la main droite, il l'a perdue en honte¨

Devant sa femme, qui a nom Bramimonde

Il pleure et crie, au chagrin¨ s'abandonne.¨

De Babylone, Baligant est mandé¨

Il est émir, depuis l'Antiquité

A Saragosse il va à son allié.

Les deux armées sont très grandes et belles.

Ils se rencontrent au milieu de la plaine.¨

Les païens crient; "Précieuse", ils appellent.

Les Français disent: "Que la guerre, ils la perdent!"

Cirant "Monjoie", le cri qu'ils renouvellent.

Les deux armées, alors se rencontrèrent;

Et les païens frappent que c'est merveille.¨

Dieu! Tant de lances en deux parts brisèrent!

Vous auriez vu jonchée¨ toute la terre.

L'herbe du champ¨ qui était fine et verte

De tout le sang est devenue vermeille.¨

Le jour passa, le soir est arrivé.

Francs et païens frappent de leurs épées.

Là, c'est "Précieuse" que l'émir a crié,

Charles: "Monjoie", son cri de guerre famé.¨

Et au milieu¨ ils se sont rencontrés.

L'émir païen est de grande vertu.¨

Il frappe Charles sur le heaume¨ tout brun,

Jusqu'à la tête il l'a brisé, fendu.¨

L'épée arrive jusqu'au cheveux menus,¨

Ravit¨ la chair et laisse l'os¨ à nu.¨

Charles chancelle,¨ manquant d'être abattu.¨

Mais Dieu ne veut qu'il soit vraiment vaincu.

Saint Gabriel à Charles est venu.

Il lui demande:"Mais grand roi, que fais tu?"

Quand Charlemagne entend la voix de l'ange,

Il voit la mort déjà sans épouvante.¨

Il bat l'émir de son épée de France,

Lui fend le heaume dont les gemmes¨ reflambent,¨

Fait la tête le cervelle¨ répandre.¨

Il l'abat mort sans qu'il ait une chance.

Les païens fuient, les Français les confondent.¨

La chasse dure, et jusqu'à Saragosse.

Là, dans sa tour, est montée Bramimonde

Elle, voyant des Arabes la honte,¨

De haute voix s'écrie:"Quel opprobe!¨

Eh! Gentil¨ roi! Ils sont vaincus nos hommes!"

À son chagrin Marsile s'abandonne,¨

Pleure des yeux. Puis sa tête retombe.

Il meurt de deuil.¨ Par ses atroces,¨

Il donne l'âme aux diables féroces.¨

Notre empereur est revenu d'Espagne.

Il vient à Aix, capitale de France.

Monte au palais, arrive dans la salle.

Vient à lui Aude, une très belle dame.

Qui dit au roi:"Où est Roland, le brave,

Qui me voulut prendre comme sa femme?"

Pleurant des yeux, Charles tire sa barbe:

"Un homme mort, amie, tu me demandes.

Mais je te donne une excellente échange.¨

Voici Louis, le meilleur homme en France.

Il est mon fils, et il tiendra ma marche.¨ "

Aude répond:"Ce mot-là m'est étrange.¨

Ne plaise à Dieu, à ses saints, à ses anges

Qu'après Roland je sois longtemps vivante!"

Là elle tombe aux pieds de Charlemagne

Et elle meurt. Que Dieu ait bien son âme!

Les barons francs en pleurent et la plaignent.¨

Il est écrit dans l’ancienne geste:¨

"Charles mandait¨ les hommes de ses terres."

Ils sont ensemble à Aix, à la chapelle¨

Alors commencent les plaids¨ et les nouvelles

De Ganelon, qui fit acte de traître.¨

L'empereur dit que cet homme on l'amène.

Les Bavarois viennent, les Allemands.

Les Poitevins, les Bretons, Les Normands.

Sur tous les autres ont conseillé les Francs

Que Ganelog meure par grand ahan.¨

Quatre destriers¨ sont menés en avant.

Puis ils lui lient¨ les mains et les pieds blancs.

Les chevaux sont orgueilleux¨ et courants.¨

Quatre servants les mènent en avant.

Ganelon meurt par terribles tourments.¨

Sur l'herbe verte le sang se répand

Quand l'empereur ainsi a fait justice,

La journée passe, la nuit s'est assombrie.¨

Le roi se couche dans sa chambre fleurie.

Saint Gabriel vient de Dieu pour lui dire:

"Charles appelle les gens de ton empire,

Puis allez vite dans la terre de Bire

Aider le roi Vivien qui vit en Imphe

"La cité¨ par les païens conquise.¨

"Dieu!", dit le roi, "Quels malheurs dans ma vie!"

Pleurant des yeux, à sa barbe il se tire.

Ici, la geste de Turold se termine.¨

(Extraits de la traduction et adaptation de Joseph Bédier, http://www.gutenberg.org/ebooks/42256, des fragments du texte de ±1165 par Béroul, des fragments du texte de ± 11745 par Thomas)

Vous plaît-il¨ d'entendre, Seigneurs,

Un conte d'amour et de mort?

C'est de Tristan et d'Iseut la reine

Écoutez à grand joie, à grand deuil¨

Ils s'aimèrent, puis moururent'

Un même jour, lui par elle, elle par lui

Au temps anciens, le roi Marc régnait en Cornouailles.¨ Ayant appris¨ que ses ennemis le guerroyaient, Rivalen, roi de Loonnois, franchit¨ la mer pour lui porter son aide. Il le servit par l'épée et par le conseil, comme eût fait un vassal, si fidèlement que Marc lui donna en récompense¨ la belle Blanchefleur, sa sœur, que le roi Rivalen aimait d'un merveilleux amour.

Il la prit à femme au moutier¨ de Tintagel. Mais à peine l'eut-il épousée,¨ la nouvelle lui vint que son ancien ennemi, le duc Morgan, ruinait ses bourgs,¨ ses champs, ses villes. Rivalen partit pour soutenir¨ sa guerre.

Blanchefleur l'attendit longuement. Hélas! il ne devait pas revenir. Un jour, elle apprit¨ que le duc Morgan l'avait tué en trahison.¨ Elle ne le pleura point.¨

Trois jours elle attendit de rejoindre¨ son cher seigneur. Au quatrième jour, elle mit au monde un fils, et, l'ayant pris entre ses bras: "Fils, lui dit-elle, j'ai longtemps désiré de te voir; et je vois la plus belle créature que femme ait jamais portée. Triste j'accouche,¨ triste est la première fête que je te fais, à cause¨ de toi j'ai tristesse à mourir. Et comme ainsi tu es venu sur terre par tristesse, tu auras nom Tristan." Quand elle eut dit ces mots, elle le baisa, et, sitôt qu'¨ elle l'eut baisé, elle mourut.

Rohalt le Foi-Tenant¨ recueillit¨ l'orphelin et l'éleva parmi ses fils.

Après sept ans accomplis, lorsque le temps fut venu de le reprendre aux femmes, Rohalt confia¨ Tristan à un sage maître, le bon écuyer¨ Gorvenal. Gorvenal lui enseigna¨ en peu d'années les arts qui conviennent¨ aux barons.

Un jour, Tristan, emmenant avec lui le seul Gorvernal, appareillera¨ pour la terre du roi Marc.

Quand Tristan y entra, Marc et toute sa baronnerie menaient grand deuil.¨ Car le roi d’Irlande avait équipé¨ une flotte¨ pour ravager la Cornouailles, si Marc refusait encore, ainsi¨ qu'il faisait depuis 15 ans, d'acquitter¨ un tribut¨ jadis¨ payé par ces ancêtres.¨ Or,¨ cette année, le roi avait envoyé un chevalier géant,¨ le Morholt, que nul n'avait jamais pu vaincre¨ en bataille.

Au terme marqué,¨ quand les barons furent ensemble dans la salle voûtée¨ du palais le Morholt parla ainsi:

"Roi Marc, entends pour la dernière fois le mandement¨ du roi d'Irlande, mon seigneur. Il te sermont¨ de payer enfin le tribut¨ que tu lui dois. Pourtant,¨ si quelqu'un de tes barons veut prouver¨ par bataille¨ que le roi d'Irlande lève¨ ce tribut contre le droit, j'accepte son gage.¨ Lequel d'enter vous, seigneurs Cornouailles, veut combattre pour la franchise¨ du pays?

Les barons se regardaient entre eux à la dérobée,¨ puis baissaient¨ la tête. Alors Tristan s'agenouilla¨ aux pieds du roi Marc et dit:

"Seigneur roi, s'il vous plaît m'accorder¨ ce don, je ferai la bataille.

En vain,¨ le roi Marc voulut l'en détourner. Il était si jeune chevalier; de quoi lui servirait sa hardiesse?¨ Mais Tristan donna son gage¨ au Morholt, et le Morholt le reçut.

Nul¨ ne vit l'âpre¨ bataille. Enfin, vers l'heure de none,¨ on vit au loin la voile pourpre; la barque de l'Irlandais se détacha de¨ l'île, et une clameur¨ de détresse¨ retendit:¨ "Le Morholt! Le Morholt!" Mais, comme la barque grandissait, soudain,¨ au sommet d'une vague,¨ elle montra un chevalier qui se dressait¨ à la proue;¨ c'était Tristan. Mais quand, parmi les chants d'allégresse,¨ Tristan parvint¨ au château, il s'affaissa¨ entre les bras du roi Marc; et le sang ruisselait¨ de ses blessures: un sang venimeux.¨

Les médecins connurent¨ que le Morholt avait enfoncé¨ dans sa chair¨ un épieu¨ empoisonné,¨ et comme leurs boissons ne pouvaient le sauver, ils le remirent¨ à la garde¨ de Dieu.

Tristan songea:¨ "Il me faut mourir. Il est doux,¨ pourtant, de voir le soleil, et mon cœur est hardi¨ encore. Je veux tenter¨ la mer aventureuse ... Je veux qu'elle m'emporte au loin, seul. Il supplia¨ tant que le roi consentit¨ à son désir.¨

Sept jours et sept nuits la mer l’entraîna¨ doucement. Enfin, la mer, à son insu,¨ l'approcha¨ d'un rivage.¨ Des pécheurs l'accueillirent.¨ Hélas! ce port était Weisenfort et leur dame était Iseut la Blonde. Elle seule, habile aux philtres,¨ pouvait sauver Tristan; mais , seule parmi les femmes, elle voulait sa mort. Quand Tristan, ranimé par son art, se reconnut,¨ il comprit qu'il fallait partir; il s'échappa¨ et après maints¨ dangers couru, un jour il reparut devant le roi Marc.

Il y avait à la cour du roi Marc quatre barons, les plus félons¨ des hommes, qui haïssaient¨ Tristan de male haine.¨ Connaissant¨ que leur roi méditait¨ de vieillir sans enfants pour laisser sa terre à Tristan, leur envie¨ s'irrita et ils pressèrent le roi Marc de prendre à femme une fille de roi, qui lui donnerait des hoirs.¨ Marc leur dit:"Pour vous complaire,¨ seigneurs, je prendrai femme, si toutefois vous voulez quérir celle que j'ai choisie."

"Certes,¨ nous le voulons, beau seigneur. Qui est donc celle que vous avez choisie?"

"J'ai choisi celle à qui fut cheveux d'or et sachez que je n'en veux pas d'autre."

"Et de quelle part,¨ beau seigneur, vous vient ce cheveux d'or? Qui vous la porte? Et de quel pays?"

"Il me vient, seigneurs, de la Belle aux cheveux d'or; deux hirondelles¨ me l'ont porté; elles savent de quel pays."

Les barons comprirent qu'ils étaient raillés¨ et déçus.¨

Mais Tristan, ayant considéré¨ le cheveu d'or, se souvint¨ d'Iseut la Blonde. Il sourit et parla ainsi:

"Roi Marc, j'irai quérir¨ la Belle aux cheveux d'or."

Il équipa¨ une belle nef,¨ et gagna¨ la terre périlleuse.¨

Or, un matin, au point¨ du jour, il ouït¨ une voix si épouvantable¨ qu'on eût dit le cri d'un démon.

Il appela une femme qui passait sur le port:

"Dites-moi," fait-il, "dame, d'où vient cette voix que j'ai ouïe¨ ?"

Elle vient d'une bête fière et la plus hideuse¨ qui soit au monde. Chaque jour, elle descend de sa caverne¨ et s'arrête à l'une des portes de la ville. Nul¨ n'en peut sortir, nul n'y peut entrer, qu'¨ on n'ait livré¨ au dragon une jeune fille; et, dès¨ qu'il la tient entre ses griffes, il la dévore.¨

Vingt chevaliers éprouvés¨ ont déjà tenté l'aventure;¨ car le roi d'Irlande a proclamé qu'il donnerait sa fille Iseut la Blonde à qui tuerait le monstre; mais le monstre les a tous dévorés.¨ " Tristan quitte la femme et retourne vers sa nef.¨ Il s'arme en secret. Soudain,¨ sur la route, cinq hommes fuyaient¨ vers la ville.Tristan saisit¨ au passage l'un d'entre eux et le maintint arrêté: "Dieu vous sauve, beau sire!" dit Tristan; "par quelle route vient le dragon?" Et quand le fuyard lui eut montré la route, Tristan le relâcha.¨

Le monstre approchait.¨

Tristan lança contre lui son destrier d'une telle force que la lance vola en éclats.¨ Vainement:¨ il ne peut le blesser. Alors, le dragon vomit¨ par les naseaux¨ un double jet de flammes venimeuses:¨ le haubert¨ de Tristan noircit son cheval s'abat et meurt. Mais, aussitôt¨ relevé, Tristan enfonce¨ sa bonne épée dans la gueule¨ du monstre: elle y pénètre¨ toute et lui fend¨ le cœur en deux parts. Le dragon pousse¨ une dernière fois son cri horrible et meurt.

Tristan lui coupa la langue et la mit dans sa chausse.¨

Arrivé devant le roi, il montra la langue du dragon et parla ainsi:

"Seigneurs, j'ai tué le Morholt. Afin¨ de racheter¨ le méfait,¨ j'ai mis mon corps en péril¨ de mort et je vous ai délivré¨ du monstre et voici que j'ai conquis¨ Iseut la Blonde, la belle. L'ayant conquise, je l'emporterai donc sur ma nef. Mais, afin¨ que par les terres d'Irlande et de Cornouailles se répande¨ non plus la haine, mais l'amour, sachez que le roi Marc l’épousera.¨

Quand le temps approcha de remettre Iseut aux chevaliers de Cornouailles, sa mère recueillit des herbes, des fleurs et des racines, les mêla dans du vin, et brassa¨ un breuvage¨ puissant.¨ L'ayant achevé¨ par science¨ et magie, elle le versa¨ dans un coutret¨ et dit secrètement à Brangien: Fille, tu dois suivre Iseut au pays du roi Marc . Prends donc ce coutret de vin et retiens¨ mes paroles.¨ Car telle est sa vertu:¨ ceux qui en boiront ensemble s'aimeront de tous leurs sens et de toute leur pensée, à toujours, dans la vie et dans la mort. Brangien promit à la reine qu'elle ferait selon sa volonté.¨

La nef,¨ tranchant les vagues profondes,¨ emportait Iseut. Mais, plus elle s'éloignait¨ de la terre d'Irlande, plus tristement la jeune fille se lamentait. Où ces étrangers l'entraînaient-¨ ils? Vers qui? Vers quelle destinée?¨ Quand Tristan s'approchait¨ d'elle et voulait l'apaiser¨ par de douces paroles, elle s'irritait, le repoussait, et la haine¨ gonflait¨ son cœur.

Tristan vint vers la reine et tâchait¨ de calmer son cœur. Comme le soleil brûlait¨ et qu'ils avaient soif, ils demandèrent à boire. L'enfant chercha quelque breuvage, tant qu'elle découvrit le coutret¨ confié¨ à Brangien par la mère d'Iseut. "J'ai trouvé du vin!" leur cria-t-elle. Non, ce n'était pas du vin: c'était la passion, c'était l'âpre¨ joie et l'angoisse¨ sans fin, et la mort. L'enfant remplit un hanap et le présenta à sa maîtresse. Elle but à longs traits, puis le tendit à Tristan, qui le vida.

A cet instant,¨ Brangien entra et les vit qui se regardaient en silence,¨ comme égarés¨ et comme ravis.¨ Elle vit devant eux le vase presque vide et le hanap. Elle gémit:¨ "Malheureuse! maudit soit¨ le jour où je suis née et maudit le jour où je suis montée sur cette nef!" Et, quand le soir tomba, sur la nef qui bondissait¨ plus rapide vers la terre du roi Marc, liés¨ à jamais,¨ ils s'abandonnèrent¨ à l'amour.

Le roi Marc accueillit¨ Iseut la Blonde au rivage.¨ Tristan la prit par la main et la conduisit¨ devant le roi; le roi se saisit d'elle¨ en la prenant à son tour par la main. À grand honneur il la mena¨ vers le château de Tintagel.

À dix-huit jours de là, ayant convoqué tous ses barons,¨ il prit à femme Iseut la Blonde. Mais, lorsque vint la nuit, Brangien, afin¨ de cacher le déshonneur de la reine et pour la sauver de la mort, prit la place d'Iseut dans le lit nuptial.¨

Iseut est reine et semble vivre en joie. Elle a Tristan auprès d'elle, à loisir,¨ et le jour et la nuit; car, ainsi que¨ veut la coutume¨ chez les hauts seigneurs, il couche¨ dans la chambre royale,¨ parmi les privés et les fidèles.

(Ici suivent les fragments du texte de Béroul)

À la cour étaient trois barons

On ne vit pas de plus félons¨

Par serment¨ ils se sont liés¨

Que, si le roi de la contrée¨

Ne faisait son neveu partir

Ils ne voudraient plus le servir.

Dans leurs châteaux ils rentreraient

Au roi Marc, la guerre feraient.

Ils ont tiré le roi à part:

"Sire, très mal l'affaire part.¨

Ils s'aiment, Tristan et Iseut;

Peut le savoir celui qui veut.

Si vous ne faites pas partir

Votre neveu sans revenir,

vous ne nous verrez plus jamais;

Vous n'aurez jamais plus de paix.

Sire, mandez¨ le nain¨ devin.¨

Certes, il sait bien le latin.

Ses conseils sont vrais, quoique¨ durs.

Mandez le nain, vous serez sûr."

Écoutez quelle trahison¨

Et quels mots de séduction¨

A dit au roi le nain Frocin.

Malheur soit à tous ces devins¨ !

"Dis à ton neveu: qu'à Arthur

À Cordeuil, qui est près du mur,

Il doit aller de grand matin¨

porter un bref¨ sur parchemin

Tristan couche devant ton lit

Maintenant dans la même nuit

Je sais qu'il voudra lui parler¨

Parce qu'il devra la quitter

Roi, sors de la chambre à minuit.

Je te jure¨ par Dieu l'Esprit,

Si Tristan l'aime follement¨

Il va à elle sur le champ."¨

Le roi repond:"Ce sera fait."

Tous partaient, chacun s'en allait

Le nain, de grande fourberie,¨

fit une grande félonie,¨

Car il prit¨ chez le boulanger

De la fleur¨ pour quatre deniers.¨

La nuit, quand le roi a mangé,

Dans la salle ils se sont couchés.

Du bref¨ Tristan entend parler.

Il dit qu'il veut bien la porter.

Le nain est là, tout à couvert.¨

Sachez comment la nuit le sert.¨

Entre les deux lits il répand¨

La fleur¨ ; les pas vont paraissant¨

Si la nuit, l'un à l'autre va

La fleur tient les formes des pas.

Tristan a vu le nain vaguer¨

Et la farine éparpiller¨

ce qu'il faisait il le prévit;¨

Il ne l'avait jamais servi.¨

Au bois, à la jambe, Tristan

S'était blessé le jour avant.

Tristan, je crois, n'a pas dormi.

Le roi s'est levé à minuit;

Hors de la chambre il est sorti.

Le nain bossu¨ aussi partit.

Tristan se fut levé au pied.

Dieu! Pourquoi? Seigneurs, écoutez!

Il joint¨ les pieds et fait un saut,

Sur le lit il tombe de haut.

Sa plaie¨ s'ouvre, et sortant, le sang

Souille¨ les draps, les colorant.

La plaie saigne,¨ il ne le sent pas,

Car il pense trop à sa joie.

En plusieurs lieux¨ le sang se mit.¨

Grâce ਠsa magie, le nain vit

Dehors, qu'ils étaient ensemble,

Les deux amants. De joie il tremble.

Il dit au roi:"Tu peux les prendre,

Sinon, tu peux me faire pendre."¨

Là se trouvaient les trois félons¨

Par qui la lâche¨ trahison¨

Fut méditée secrètement.¨

Le roi revient, Tristan l'entend.

Il se lève avec de frissons.¨

Tout de suite, il a fait un bond.¨

Au mouvement¨ que Tristan fait

Le sang lui coule¨ de la plaie.¨

À sa chambre le roi revient.

Le nain, qui la chandelle tient,

Vient avec lui. Tristan faisait

Semblant de quelqu'un qui dormait.

Le roi a vu au lit le sang;

Vermeils¨ en furent les draps blancs.

Et sur la fleur¨ paraît¨ la trace¨

Du saut. Le roi dit des menaces¨

Les barons sont aussi dedans¨

Par fureur, ils prennent Tristan.

Le cri se lève en la cité¨

Qu'ensemble, ils ont été trouvés

Tristan avec la reine Iiseut;

Que c'est leur mort que le roi veut.

Le roi dit de chercher des ronces,¨

Que dans la terre, on les enfonce.¨

Puis il fait allumer le feu

Et dit d'amener son neveu.

Pour le brûler¨ premièrement.

Ils vont pour lui.¨ Le roi attend.

Ils le prennent, lient¨ ses mains

Par Dieu! Qu'ils sont donc vilains!¨

Sur le chemin par où ils vont,

Une chapelle¨ est sur un mont.

Les meneurs,¨ Tristan les appelle:

"Seigneurs, voyez cette chapelle;

Par Dieu, laissez-moi y entrer.

Ma vie va bientôt terminer.¨

Je prie Dieu d'avoir pitié

De moi; trop souvent j'ai péché."¨

L'un d'eux a dit à son confrère:¨

"Nous pourrons bien le laisser faire."

Ils retirent les liens¨ ; Tristan

Entre, -n'allant pas lentement-.

Derrière l'autel¨ il alla,

Et la fenêtre, il la tira,

Sauta par la fenêtre dehors.

Il vaut mieux sauter que son corps

soit brûle devant le vulgaire.¨

Seigneurs, une très large pierre

Était au milieu du rocher.

Tristan y vient d'un saut léger.

Dans ses habits¨ le vent le prend,

L'empêche de tomber¨ crûment¨

La pierre, les Cornouaillans

L'appellent: le Saut de Tristan.

Ainsi Tristan s'est donc enfui;¨

Dieu avait pitié de lui

Écoutez comment Gorvernal

Son épée ceinte¨ et à cheval,

De la cité¨ était sorti.

Il sait que s'il était suivi,

Il mourrait bien pour son seigneur.

Il a pris le fuite¨ par peur.

Son maître, Tristan, l'aperçut,

Le héla¨ qui¨ le reconnut,

Sans regarder et en courant.

Il eut grand'joie en le voyant.

Seigneurs, au roi vient la nouvelle

Que s'est enfui¨ par la chapelle¨

Son neveu qu'il voulait brûler.

De colère¨ il s'est attristé¨

Triste, il ne peut se contenir,¨

Et dit qu'on fasse Iseut venir.

Alors, la reine est amenée

Jusqu'au feu brûlant du bûcher¨

Il y eut un lépreux lancien¨

Qui était appelé Yvain;

Affreusement¨ il fut défait.¨

Il accourut pour voir ce plaid,¨

Et avec lui cent compagnons

Portant béquilles¨ et bâtons.

Chacun d'eux tenait sa crécelle.¨

Ils crient au roi et l'appellent:

"Sire, tu veux faire justice,

Brûler ta femme pour son vice;¨

C'est bien; mais tu sais, par le feu

Cette justice dure peu.

Il vaudrait mieux¨ que de mourir

Qu'elle vive, mais sans plaisir.

Je te dirais brièvement¨

Comment: voici cent de mes gens;

Donne-nous Iseut en commun.¨

Jamais dame n'eut pire fin."¨

Le roi la lui donne, il la prend.

Des malades, il y eut cent.

Ils se mettent tous autour d'elle.

L'un crie, l'autre l'appelle.

Ils l'emmènent, passant l'aguet¨

Où Tristan attend en secret.

"Dieu, " dit Tristan, "Quelle aventure

Ahi! Iseut, belle figure!

Yvain, qui l'avez emmenée,

Laissez-la, pour cette épée

N'aille pas vous trancher¨ la tête."

Yvain se défait¨ de sa veste.

Tout haut il s'écrie:"Aux béquilles!¨

Qu'à moi les nôtres se rallient!"¨

De sa béquille chacun tape;¨

Et l'un menace, l'autre frappe.

Gorevenal vient aux cris lancés;

En sa main il tient une épée.

Il frappe Yvain qui tien Iseut.

Il tombe mort le malheureux.

Tristan s'en va avec la reine,

laissant le taillis¨ et la plaine¨

En la forêt¨ Morrois ils vont,

Et passent la nuit sur un mont.

Tristan se sent maintenant sûr,¨

Comme derrière un très grand mur.

Seigneurs, voilà au bois Tristan;

Il y vivait à grand ahan.¨

En un lieu¨ il n'ose rester,

Changeant d'endroit pour se coucher,

Vivant de viande, sans plus rien.

Un couleur pâle leur vient.

Les ronces¨ rompent¨ leurs habits;¨

Longtemps par Morrois ils ont fui.

Sachez, Seigneurs, quelle avanture

Leur devait être grave¨ et dure.

Par le bois passe un forestier¨

Qui trouve l'endroit ombragé

Où les amants étaient couchés.

Il les vit dormir, les connut.¨

Le sang lui fuit,¨ troublé il fut.

Il s'enfuit; ce n'est pas merveille.¨

Il sort du bois, court à la merveille.¨

Le roi Marc est dans son palais,

Tient avec ses barons ses plaids.¨

La salle est pleine de barons.

Le forestier descend du mont.

Le roi le vit venir pressé;¨

Il appelle son forestier:

"Que¨ viens-tu? Qu'est-ce que tu sais?"

"Écoute-moi, Roi, s'il te plaît.

Par ce pays on a mandé¨

Que celui qui aurait trouvé

Ton neveu , il devrait venir

Tout de suite pour le dire.

Je l'ai trouvé et avec lui

Ensemble, la reine endormie."

"En quel endroit¨ sont-ils, dis-moi."

"Dans une hutte du Morrois."

Le roi lui dit: "Sors donc d'ici.

Si tu aimes ton corps, ta vie,

Ne dis rien de ce que tu sais

Aux amis, ni aux étrangers.

C'est à la Croix Rouge, aux abords,¨

Là où on enterre les morts,

Que tu t'arrêtes et m'attends.

Tu auras de l'or, de l'argent."

Le roi fait seller¨ son destrier¨

Et est sorti de la cité¨

Il vient là où l'autre l'attend,

Lui dit de partir sur le champ¨

De le mener au but cherché.

Ils entrent au bois ombragé.

Liant¨ les rênes¨ du destrier,

À la branche d'un vert pommier,

Ils avancent, et puis ils virent

L'endroit pour lequel ils partirent.

Le roi délace¨ son manteau-

Dont les nœuds sont en or très beau-

Entre, l'épée nue¨ dans la site

Le forestier entre à sa suite.¨

Le roi a levé son épée,

Et furieux, il s'est oublié.

Déjà le coup tombe sur eux,

S'il les tue, c'était grand deuil,¨

Quand il la voit dans sa chemise,

et l'épée nue qui les divise,¨

"Dieu, " dit le roi, "que dois-je faire?

Ou les tuer, ou me retraire?¨

J'avais le cœur¨ à les occire.¨

Sans les toucher je me retire.

Quand ils s’éveilleront pourtant,

Ils devront savoir sûrement

Qu'ils furent trouvés endormis,

Que j'eus pitié d'elle et de lui."

Au doigt d'Isseut, il voit l'anneau.¨

La retire doucement en haut.

Il prend l'épée qui est entre eux,

Puis il en met la sienne au lieu¨

Hors de la hutte il est allé;

Il s'en va sur son destrier

La reine a rêvé qu'elle était

En une très grande forêt

Dans un très riche pavillon.

A elle venaient deux lions,

Qui voulaient bien la dévorer.¨

Elle voulait "grâce¨ " crier.

Par l'effroi¨ que ça lui donna,

Criant elle se réveilla.

Tristan, de ce cri, s'éveille.

Elle avait la face¨ vermeille¨

Il vit alors l'épée du roi,

Et la reine vit à son doigt

L'anneau qu'il lui avait donné

Et de son doigt le sien ôté.¨

Elle cira:"Seigneur, merci,¨

Le roi nous a trouves ici."

Il lui répond:"C'est vrai, certain.

Il a mon épée; c'est le sien.

Dame, fuyons vite vers Galles.

Le sang me fuit.¨ Il devient pâle.

Traversant Morrois, ils s'en vont.

De grandes étapes ils font.

Le lendemain¨ de la Saint Jean¨

Furent accomplis¨ les trois ans

Qu'à ce philtre furent donnés.

De son lit, Tristan s'est levé,

Dit à Isseut:"Reine, princesse,

Nous passons mal notre jeunesse.

Ma belle amie, si je pouvais,

Par un conseil qu'on me donnait,

Faire avec le roi un accord,

Afin qu'il calmât son transport,¨

Et si c'était à son plaisir

de vous reprendre et me bannir,¨

De se passer de¨ mon service,

Je m'en irais au roi de Frise,

Ou je passerais en Bretagne,

Que¨ Governal seul m'accompagne.¨

Isseut, franche,¨ gente¨ façon¨

Dites-moi ce que nous ferons."

"Seigneur Jésus soit remercié!

Vous voulez fuire¨ le péché.

Ami, rappelez-vous l'hermite¨

Ogrin, qui de la loi écrite

Nous prêcha,¨ quand nous nous trouvions

Dans sa si pauvre habitation.¨

Son conseil serait honorable,¨

Et par cela, à joie durable

Nous pourrons encore venir."

Tristan l'entend, lâche un soupir.¨

Puis, ils retournent au bocage.¨

Ils errent¨ tant qu'à l'hermitage¨

Sont arrivés les deux amants,

Trouvant l’hermite Ogrin lisant.

Quand il les voit, il les appelle.

Ils s'asseyent dans la chapelle.

Tristan lui dit: "Or, écoutez:

Ceci fut notre destinée;¨

Voilà déjà plus de trois ans

Que nous manqua le tourment¨

Si nous pouvons avoir la joie

De raccorder la reine au roi,

Je ne cherche plus le bonheur

D'être avec le roi, mon Seigneur.

Je m'en irrai avant un mois

En Bretagne ou en Loonois."

"Ce compliment je dois te faire,

En ceci tu n'as pas ton pair;¨

Tel sera donc mon bref¨ au roi."

Ogrin l'hermite se leva;

Plume, encre et parchemin il prit,

Toutes ces paroles y mit.

"Qui le portera?" dit 'hermite.

"Moi." - "Tristan, très bien vous le dites."

Avec son bref Tristan s'en va;

Il connaît bien ce pays-là.

Il descend, dans la ville il entre,

Voit la fenêtre de la chambre

Du roi, l'appelle faiblement,

Tâchant¨ de crier doucement.

Le roi s'éveille et dit alors:

"Qui me vient à cette heure encore?

Es-tu en peine¨ ? Dis-moi ton nom."

"Sire, Tristan m'appelle-t-on.

J'apporte un bref que je mets tôt¨

À la fenêtre de l'enclos."¨

Tristan partit; le roi fait un saut.

Il appelle trois fois très haut:

"Par Dieu, neveu, ton oncle attend."

Le bref, dans la main il le prend.

Puis il manda sin chapelain.¨

"Écris vite u bref de ta main,

et quand le bref sera scellé¨

À la Croix Rouge le pendez."

Tristan ne dormit pas la nuit.

Puis avant que vint minuit,

Blanche Lande il l'a traversée.

Là, il prend la charte scellée.¨

La Cornouailles, il laconaût,

Il vient chez Ogrin, lui remet¨

La charte. L'hermite l'a prise,

Lit la lettre, voit la franchise¨

Du roi, qui pardonne à Iseut

Ses méfaits¨ ; et il lit qu'il veut

Le reprendre malgré ses torts;¨

Il voit les termes de l'accord.

"Mon Dieu, " dit Tristan, "quel souci"

Pour celui qui perd son amie.

Il faut le faire pour l'effroi¨

Que vous avez eu tant pour moi."

"Tristan, écoutez-moi très bien.

Laissez-moi Husdent, votre chien."

Et il répond: "Ma chère amie,

Je donne Husdent par symathie."

"Seigneur, je veux vous remercier

Du chien que vous m'avez donné.

Prenez cet anneau en échange."

Elle l'ôte,¨ à son doigt le range.¨

Tristan embrasse alors la reine,

Et elle lui. Dieu! quelle peine!¨

Par Cornouailles on proclame:

Le roi s'accorde¨ avec sa femme.

Seigneurs, au jour du parlement,

Le roi fut avec tous ses gens.

Ils occupent¨ une prairie.

Tristan vient avec son amie.

Il dit à Iseut doucement:

"Dame vous garderez Husdent.

Je vous prie de le garder.

Aimez le bien, si vous m'aimiez.

Voyez le roi, notre seigneur,

Avec lui ses hommes d'honneur.

Si je vous demande une chose,

Faites ce que je vous propose."

"Ami Tristan, écoutez-moi:

Si cet anneau de votre doigt

Vous m'envoyez, je crois sur l'heure¨

Tout ce que dira le porteur."

"Dame, " fait-il, "à Dieu soit grâce."¨

Il l'attire à lui et l'embrasse.

De la reine, congé il prend¨

Ils se regardent doucement.

Tristan part vers la mer. Iseut

l'accompagne longtemps des yeux.

Tant¨ qu'elle peut le voir de loin

De sa place, elle ne part point.¨

Or, il advint¨ qu'un jour chevauchant avec le seul Gorvenal, il entra sur la terre de Bretagne. Pendant deux jours, Tristan et Gorvenal passèrent les champs et les bourgs¨ sans voir un homme, un coq, un chien. Au troisième jour, à l'heure de none,¨ ils approchèrent¨ d'une colline¨ où se dressait¨ une vieille chapelle, et, tout près, l'habitacle¨ d'une ermite. Il souhaita la bienvenue¨ aux arrivants et disposa le manger. Après le repas, comme la nuit était tombée, et qu'ils étaient assis autour du feu, Tristan demanda quelle était cette terre ruinée.

"Beau seigneur, " dit l'ermite, "c'est la terre de Bretagne, que tient le duc Hoël. C'était naguère¨ un beau pays. Mais le comte Riol de Nantes y a fait le dégât."¨ Tristan demanda:"Le duc Hoël, peut-il encore soutenir sa guerre?"

"À grand'peine¨ seigneur. Pourtant, son dernier château, Carhaix, résiste¨ encore, car les murailles en sont fortes, et fort est le cœur du fils du duc Hoël, Kaherdin!"

Tristan demanda à quelle distance était le château. "Sire, à deux milles¨ seulement.

Ils se séparent et dormirent.

Au matin, Tristan prit congé du¨ prud'homme et chevaucha vers Carhaix.

Quand il s'arrêta au pied des murailles closes,¨ il demanda le duc. Hoël se trouvait parmi ses hommes avec son fils Kaherdin. Il se fit connaître, et Tristan dit: "Je suis Tristan, roi de Loonnois, et Marc, le roi de Cornouailles, est mon oncle. J'ai su seigneur, que vos vassaux¨ vous faisaient tort¨ et je suis venu pour vous offrit mon service. Commandez qu'on m'ouvre cette porte."

Kaherdin dit alors: "Recevez-le, mon père, afin qu'il prenne part de nos biens et nos maux.¨ "

Un matin, un guetteur¨ descendit en hâte de sa touret courut par les salles en criant:

"Seigneurs, vous avez trop dormi! Levez-vous, Riol vient faire l'assaillie¨ !"

Chevaliers et bourgeois s'armèrent et coururent aux murailles. Mais Tristan monte, éperonne¨ son cheval jusque dans la plaine.¨ Le duc Riol s'élança. Quand ils se heurtèrent,¨ Tristan frappa Riol. le coup était si fortement assené,¨ que le baron tombe sur les genoux et sur les mains. Riol implora merci,¨ et Tristan reçut son épée. Riol promit de se rendre en la prison du duc Hoël, de lui jurer¨ de nouveaux hommage¨ et foi,¨ de restaurer¨ les bourgs et les villages brûlés.

Quand les vainqueurs¨ f urent rentrés dans Carhaix, Kaherdin dit à son père: "Sire, mandez Tristan, et retenez-le; il n'est pas de meilleur chevalier, et votre pays a besoin d'un baron de telle prouesse.¨ "

Ayant pris conseil de ses hommes, le duc Hoël appela Tristan:

"Ami, je ne saurais trop vous aimer, car vous m'avez conservé cette terre. Je veux donc m'acquitter envers¨ vous. Ma fille, Iseut aux Blanches Mains, est née de ducs, de rois et de reines. Prenez-la, je vous la donne."

"Sire, je la prends, " dit Tristan.

Ah! seigneurs, dit il cette parole? Mais pour cette parole, il mourut..

Ici suivent des fragments du texte de Thomas

Tristan pense oublier Iseut,

Enlever¨ l'amour s'il le peut,

en épousant¨ une autre Iseut.

Se délivrer¨ d'elle il le veut.

Au jour nommé, au terme¨ mis,¨

Vient Tristan avec ses amis,

Épouse¨ Iseut aux blanches mains.

La messe dit le chapelain.

Le jour passe avec les déduits.¨

Les lits sont prêts¨ vers la minuit.

La pucelle¨ va se coucher

Et Tristan se fait dépouiller¨

Du 'blialt"¨ qu'il avait sur soi,

Qui était beau, au poing étroit

Quand le "blialt", ils l'ont ôté,¨

De son doigt l'anneau est tombé.

Au parc Iseut le lui donna,

l'ultime¨ fois qu'il lui parla.

Tristan regarde, voit l'anneau,

Et pense à elle de nouveau,

Se rappelle la convention¨

Qu'il fit à la séparation,

Dans le jardin et au départ,

Du fond¨ du cœur son soupir part.¨

Il dit: "Comment puis-je le faire?

Cette chose qui m'est bien contraire.

Néanmoins¨ je dois me coucher

Avec elle que j'épousai.

Peu j'ai pensé à mon amie,

Quand j'entrepris¨ cette folie.¨ "

Donc Tristan dit: "Ma belle amie,

Ne prenez pas à la vilainie¨

La chose que je vous avoue.¨

De ça, grâce, taisez-vous.¨

Par ici, vers le droit côté,

Au corps, j'ai une infirmité¨

J'en fus malade très longtemps.

Nous en aurons encore assez,

Quand je voudrai et vous voudrez."

"Cela me pèse,¨ ", Yseut répond,

"Plus qu'aucun mal au monde, au fond.¨ "

Mais ce que vous voulez dire,

Je le veux bien, je m'en retire.¨ "

Un jour, Tristan et Kaherdin,

Durent aller chez des voisins.

Ils voient venir un chevalier

Au galop sur un destrier.¨

Il fut très richement armé;

Il eut un écu¨ d'or paré¨

Ils s'émerveillent¨ qui ce soit.

Il vient vers eux. Quand il les voit,

Il les salue doucement.

Son salut, Tristan le lui rend.

Et lui demande où il va.

Quelle affaire pressante il a.

"Sire, " dit donc le chevalier,

"Sauriez-vous bien me renseigner¨

Du bien¨ de Tristan, l'Amoureux?"

Tristan dit: "Dites-moi par Dieu,

À Tristan vous voulez parler?

Vous ne devez si loin aller,

Car je suis Tristan appelé.

Dites-moi ce que vous voulez."

Il dit: " Cette nouvelle j'aime.

Je me nomme Tristan le Naime.

Je suis du pays de Bretagne,

À droite de la mer d'Espagne.

J'y ai un château, une amie;

Je l'aime aussi bien que ma vie.

Mais par malheur je l'ai perdue:

L'avant-dernière nuit ce fut.

Estult l'Orgueilleux Castel Fer

L'a enlevée, cet homme fier.

Il la retient dans son château,

Fait d'elle ce qui lui est beau.¨

Vous êtes redouté et craint¨

Donc je vous demande merci¨

Aidez-moi donc. Et je vous prie

De bien vouloir m'accompagner¨

Pour mon amie, la délivrer."

Tristan dit: "Autant que je peux,

Je vous aidereai de mon mieux;¨

Et très volontiers¨ j'y irai,

Permettez-moi que je m'armerai."

Estult l'Orgueilleux Castel Fer,

Pour le tuer ils partent fiers.

Tant ils ont marché et erré

Que son château, ils l'ont trouvé.

Estult l'Orgueilleux était fier,

Et il avait six nobles frères,

Hardis et vaillants et très preux;¨

Mais il était plus vaillant qu'eux.

Deux d'entre eux d'un tournoi rentrèrent.

Une embuscade¨ ils leur dressèrent,¨

Les défièrent¨ en criant,

Frappèrent sur eux durement.

Les deux frères furent tués.

Au pays on en a parlé.

Et ceux-ci¨ montent au château

Où le seigneur¨ s'était enclos.¨

Et les deux Tristan assaillirent,¨

Courageusement l¨ 'envahirent.¨

Ils furent tous bons chevaliers

À les voir¨ leurs armes porter.

Ils ne cessèrent¨ de combattre¨

Jusqu’à avoir tué les quatre.

Tristan le Naim y fut tué,

Et l'autre Tristan fut blessé,

Tout près de ses reins,¨ d'une épée,

De grand venin empoisonnée.

Ses plaies¨ il les a fait soigner,

Cherchant des mires¨ pour l'aider.

On en a fait assez venir,

Mais aucun n'a pu le guérir.

Sentant qu'il s'en va à sa fin¨

Tristan appelle Kaherdin,

Lui dit:" Entendez, bel ami:

Je suis en étrange pays,

Je n'ai d'ami, ni de parent,

Bel ami, sauf¨ vous seulement.

Sans secours¨ il me faut mourir,

Personne ne peut me guérir,

Sauf seulement la reine Iseut,

Elle le peut, si elle veut.

Allez-lui dire: je suis mort,

Si elle ne donne confort.¨

C'est mon bateau que vous prendrez,

Double voile vous porterez,

Dont l'une est blanche et l'autre noire.

Si vous pouvez Iseut avoir,

Et qu'elle vienne me guérir¨

Du blanc¨ mettez au revenir.¨

Mais si vous ne l'amenez pas,

Mettez la noire dans ce cas.

Courroux¨ de femme est bien à craindre¨

Beaucoup d'hommes peuvent s'en plaindre.¨

Iseut écoute ce que dit

Tristan, et elle a tout compris.

Elle retient¨ tout cela bien,

Mais elle fait semblant de rien.¨

Souvent Tristan se plaint,¨ soupire,

Après¨ son Iseut qu'il désire.

En cette angoisse,¨ en cet ennui¨

Sa femme Iseut vient devant lui.

Méditant une ruse¨ bien

Elle lui dit:"Kaherdin vient.

Sur la mer j'ai vu son bateau

Cingler¨ à grand'peine¨ là-haut.¨ "

Tristan tressaute¨ à la nouvelle.

Il dit à Iseut: "Amie belle,

C'est sa nef¨ donc? C'est bien certain?

Quelle est la voile, dis-moi bien."

Iseut dit:"Vous pouvez me croire

Sachez bien que la voile est noire."

Bien plus que jamais, dans son cœur

Tristan en a grande douleur.

Il se tourne vers la paroi¨

Et dit: "Dieu! sauve Iseut et moi!"

"Amie Iseut" trois fois il dit,

A la quatrième, il rend l'esprit.¨

Alors pleurent par la maison

Les chevaliers, les compagnons.

Du navire Iseut est issue,¨

Entend les plaintes¨ dans la rue,

Aussi les cloches des chapelles.

Elle demande des nouvelles.

Un vieillard, alors, lui a dit:

"Belle dame, à Dieu soit merci.¨

Nous avons beaucoup de douleur,

Bien plus que jamais, dans nos cœurs.

Tristan le preux,¨ le franc est mort,

À tous les gens de grand confort.¨ "

Quand Iseut l'entend débiter¨

D'ennui¨ elle ne peut parler.

De sa mort elle est affligée.¨

Mine défaite¨ elle est allée

Avant les autres au palais.

Et dans la salle où le corps est,

Elle se tourne vers l'orient,

Prie pour lui piteusement.

"Ami, Tristan, je vous vois mort.

Je veux subir le même sort.¨

Pour moi vous perdîtes la vie;

Je le ferai en vraie amie:

Je veux mourir également.

Elle l'embrasse, puis s’étend.¨

Lui baise¨ la bouche et la face.¨

Étroitement¨ elle l'embrasse.¨

Bouche à bouche, corps contre corps,

Elle rend l'esprit.¨ C'est alors

Qu'elle meurt à côté de lui,

Pour la douleur de son amie.

Par Chrétien de Troyes

Chrétien sème¨ et il fait semence¨

D'un roman qu'ici il commence.

Il le fait pour le plus sage¨ homme,

Qui soit dans l'empire de Rome:

Le Comte PHILIPPE DE FLANDRES,

Qui vaut¨ beaucoup mieux qu'Alexandre.¨

Pour lui, ne perdra pas sa peine.

CHRÉTIEN qui entend¨ et qui peine¨

A mettre en vers le meilleur conte

Qui soit conté en Cour Royale:

C'est le conte du SAINT GRAAL.

Au temps ou les arbres fleurissent,¨

Les bocages¨ , les prés verdissent¨ ,

Toute chose de joie enflamme,

Un des fils d'une veuve¨ dame

Vit arriver cinq chevaliers,

De toutes armes équipés¨ ,

Il vit les hauberts¨ reluisants¨ ,

Et les heaumes¨ clairs et brillants,

Et les lances et les écus.¨

Qu'avant, jamais il n'avait vus.

Il dit:"Ha! Seigneur Dieu, merci

Des¨ anges¨ que je vols ici""

Et le maître des chevaliers

Dit à ses hommes:"Là!restez!"

Et au valet:"N'ayez pas peur!"

"Je n'ai pas peur, par le Sauveur¨

Qui êtes-vous?"-"Un chevalier."

"Jamais je n'en ai rencontré.

Qui vous habilla¨ donc ainsi?"

"Valet¨ , je te dirai bien qui."

"Dites-le donc."-"Très volontiers¨ ;

Il n'y a pas cinq jours entiers"

Que tout ce harnais me donna

Le Roi Arthur qui m'adouba.¨ "

Puis, vite, le chevalier part.

Alors le valet se prépare

A retourner à son manoir.¨

Où sa mère, triste, le soir

L'attend.Elle aime son fils tant

Qu'elle court vers lui en criant:

"Mon fils, chagrine¨ , je le suis;

Où as-tu été aujourd'hui?"

"Où Dame?je vous le dirai

Très bien, et je ne mentirai¨ ,

Car une grande joie j'ai eue

Par une chose que j'ai vue:

Les plus belles choses qui sont,

Qui par la vaste¨ forêt¨ vont.

Ils sont plus beaux, comme je pense,

Que Dieu, plus beaux que tous ses anges.

La mère dans ses bras le prend,

Et dit:"Beau fils, à Dieu te rends¨ ;

Car j'ai très grande peur pour toi.

Tu as vu, comme je le crois,

Les anges dont les gens se plaignent¨

Qui tuent tout ce qu'ils atteignent.¨ "

"Non, vraiment, ma mère, ce sont

Des chevaliers voilà leur nom.

"Hélas! que je suis mal servie¨ !

Beau fils doux, de¨ chevalerie

Je pensais si bien te garder

Qu'on ne dut jamais t'en parler.

Ton père, -tu l'as ignoré-¨

Avait eu les jambes blessées.

Et toi, quand tu étais petit,

Avais deux frères très gentils;

En guerre ils sont morts tous les deux;

J'en ai eu grand chagrin¨ , grand deuil¨

Très peu le valet a compris

À ce que sa mère lui dit.

"Donnez-moi, " fait-il, "à manger!

Je ne sais de quoi vous parlez,

Mais j'irais, moi, très volontiers¨

Au roi, qui fait les chevaliers."

Là, elle l'embrasse en pleurant,

Et dit:"Que mon chagrin est grand,

Mon beau fils doux, quand je te vois

T'en aller à la cour du roi.

Tu seras chevaliers sous peu¨

Et s'il plaît a Dieu, je le veux,

Si tu trouves tout près, au loin,

Dame qui d'appui¨ a besoin

Ou fille de secours privée¨ ,

Que ton aide leur soit donnée.

Surtout je voudrais te prier

Que dans l’église et le moutier¨

Tu ailles prier le Seigneur

Pour qu'il te donne tout honneur."

Pas un moment, il ne demeure.¨

Il prend congé¨ ; la mère pleure.

"Fils, "fait-elle, "que Dieu te mène¨

Qu'il te donne très peu de peine.¨

Mais joie, où que tu puisses aller."

Quand le valet fut éloigné¨

Le jet d'une petite pierre,

Il se retourne et voit sa mère

Tomber sur le pont en arrière.

Elle se pâma¨ de manière

A faire croire¨ : elle fut morte.

Mais il s'en va, d'allure¨ forte.

Et le valet tant chevauche,

Qu'en un chemin ou il entra,

Il vit sur¨ la mer un château,

Fort bien séant¨ , solide et beau.

Et il voit sortir par la porte

Un chevalier armé, qui porte

Une coupe d'or à la main.

De l'autre main il tient le frein¨

Et ses armes bien lui séaient.

Bien vermeilles¨ elles étaient.

Le valet vit les armes belles,

Qui furent fraîches¨ et nouvelles,

Qui lui plurent¨ ; Il dit:"Ma foi¨ ,

Je les demanderai au roi."

Alors, vers le château il court;

Il se dépêche vers la cour,

Ou le roi et ses chevaliers

Étaient assis pour le dîner.

Cette salle était en aval¨

Et le valet entre à cheval.

Il fait:"Faites-moi chevalier,

Sire Roi, et je m'en irai."

"Ha!"fait le roi, "ami aimé,

Je le ferai bien volontiers."

Le valet dit:"Beau sire Roi,

Je ne le serai jamais, moi,

Que par un chevalier hardi.¨

Donnez les armes de celui

Que je rencontrai à la porte

Qui votre coupe d'or emporte."

"Ami, vous êtes dans le droit.

Allez-lui donc prendre à l'endroit¨

Les armes; elles sont à vous.

Mais n'agissez¨ pas comme un fou."

Il s'en retourne sans conseil

Après le chevalier vermeil,

Tant qu'il vint au chemin tout droit

Où le chevalier attendait,

Il lui cria:Il faut jeter

Les armes, sans plus les porter.

Le Roi Arthur vous le commande."

"Valet, "fait-il, "je te demande

Si quelqu'un vient de par le¨ roi

Qui voudra se battre avec moi."

"Chevalier, ôtez¨ sur le champ¨

Les armes;car je vous les prends,

Si vous me faites plus parler."

Le chevalier fut très fâché.¨

Des deux mains sa lance il leva.

Il frappa tant qu'il le¨ blessa.

Et le valet s'est courroucé¨

Quand il sentit qu'il fut blessé.

Il fait partir¨ son javelot.¨

Le frappe¨ par l’œil au cerveau¨

Répand¨ la cervelle et le sang.

Par la douleur le cœur lui manque¨

Il s'affaisse¨ ;tombe étendu¨

Et le valet est descendu.

Il met la lance d'une part¨

Et l’écu du col lui séparé¨

Puis le valet, sans nul arrêt,

S'en va, courant par la forêt¨ ,

Tant qu'il vit, à gauche et en haut,

Paraître les tours d'un château.

Le valet, vers le pont chemine.¨

Vêtu¨ d'une robe d'hermine,

Un prud'homme, beau et charmant,

Là, au milieu du pont, l'attend.

Il dit:"Beau frère, d'où viens-tu?"

"D'où? de la cour du roi Arthur."

"Qu'y faisais-tu?"-"Le roi m'a fait

Chevalier; là, chacun le sait."

"Ces armes, qui te les donna?"

"Le Roi, "fait-il, "me les laissa."

"Comment?" Alors, il lui raconte

Ce que vous savez par ce conte.

"Mais quel besoin¨ vous amena¨ ?"

"Sire, ma mère m'enseigna¨

D'aller toujours aux chevaliers,

Pour qu'ils puissent me conseiller."

Le prud'homme répond:"Beau frère,

Bénie¨ soit votre bonne mère,

Car elle vous conseilla bien.

Ne voulez-vous plus dire rien?"

"Oui."-"Et quoi?"-"Eh bien, je vous prie

De bien m’héberger cette nuit."

"Très volontiers, "fait le prud'homme,

"Gornemant de Goort je me nomme."

Ainsi jusqu’à l'hôtel ils viennent;

Par la main tous les deux se tiennent.

Le prud'homme, qui fut courtois,

Le pria de rester un mois.

Volontiers il le retiendrait¨

Pendant ce temps il apprendrait

Telles choses qui lui plairaient,

Qui au besoin lui conviendraient¨

Mais le valet lui dit après:

"Sire, je ne sais pas si près

D'ici ma bonne mère habite.

Je voudrais la revoir très vite."

Ils se couchent sans plus d’arrêt,

car les lits étaient déjà faits.¨

Le lendemain¨ le chevalier

Au lit de son hôte est allé.

Il lui chaussa¨ l'éperon droit.

Alors¨ , il y avait la loi¨

Que celui qui anoblissait¨

Quelqu'un, l’éperon lui chaussait.

Alors¨ il commence à l'armer,

Et puis à lui ceindre¨ l’épée.

Il la lui ceint et l'a baisé¨ ,

Et lui dit qu'il lui a donné

Le plus haut ordre avec l’épée

Que Dieu ait fait et commandé:

C'est l'ordre de chevalerie,

Qui doit être sans vilenie¨

Il dit:"Il faut vous rappeler:

S'il arrive¨ que vous devez

Vous battre contre un chevalier,

Je veux vous dire et vous prier,

Si vous en¨ avez le dessus¨ ,

Et qu'envers¨ vous il ne peut plus

Se défendre ni se tenir,

S'il se rend à votre merci¨ ,

Ne le tuez en aucun cas.

Gardez-vous¨ bien de n'être pas

Trop bavard¨ ni trop discoureur¨

Nul¨ ne peut être trop parleur;

Si vous rencontrez homme ou femme,

Damoiselle ou bien une dame,

Qui est sans secours¨ et sans rien

Conseillez-les, vous ferez bien.

Ceci n'est pas à dédaigner¨

Allez volontiers au moutier¨

Prier Celui Qui a tout fait

De vous pardonner s'il Lui plaît."

Levant la main il le regarde,

Et dit:"Sire, que Dieu vous garde!"

Puis, le nouveau chevalier quitte

Son hôte, car il veut très vite

Chez sa mère pouvoir aller,

La trouver en bonne santé.

A un fleuve il est arrivé;

Par là, il n'ose pas passer.

Le long de la rive il partit,

Quand, en aval,¨ sur l'eau, il vit

Un bateau qui venait d'amont¨

Sur le bateau deux hommes sont.

Au milieu de l'eau arrêtés,

Ils mettent l'ancre pour pêcher.

Il salue pour demander:

"Voulez-vous, Seigneurs, raconter

Où je pourrais trouver logis?"

L'un d'eux répondit: "De ceci,

Bien besoin, je crois, vous aurez.

Cette nuit, je vous logerai.

Quand vous irez là, en amont,

Vous verrez là, au pied d'un mont,

Une maison qui est à moi,

Près de la rivière et du bois."

Maintenant il va en amont,

Tant qu'il vint au sommet¨ du mont.

Le haut d'une tour apparut;

L'on ne trouve jusqu’à Barut¨

Si belle, ni si bien assise¨ ,

Qui fut carrée, de roche bise.¨

Alors, vers la porte il s'en va,

Et devant la porte il trouva

Un pont. Des valets tout en armes

Viennent vers lui et le désarment.

Jusqu'aux loges ils l'ont mené.

Là, dans une salle carrée,

Justement au milieu, il vit

Un prud'homme assis sur un lit.

Quand le seigneur le vit venir,

Il le salue avec plaisir,

Et dit:"Ami, ne m'en veux pas¨

Si moi, je ne me lève pas."

A son coté il s'est assis,

Et le prud'homme dit:"Ami,

D'où veniez-vous donc aujourd'hui?"

"Seigneur, ce matin je partis

D'un lieu appelé Beaurepère."

Quand ainsi tous les deux parlèrent,

Un valet¨ d'une chambre vint,

Une lance blanche en ses mains,

Et ceux qui sur le lit étaient,

Et tous ceux là-dedans, voyaient

La lance blanche et le fer blanc.

Une goutte de sang sortant

Du fer de la lance au sommet¨

Jusqu’à la main de ce valet

Coulait;une goutte vermeille.

Le valet¨ vit cette merveille.¨

Alors deux autres valets vinrent,

Des chandeliers en leurs mains tinrent,

Faits en or fin, à nielle¨ ouvrés.¨

Très beaux ces valets ont été,

Qui les chandeliers apportaient.

Sur chaque chandelier brûlait

Dix belles chandelles au moins.

Tenant un graal¨ en ses mains,

Une demoiselle marchait,

Qui avec les valets venait.

Belle svelte¨ et très bien parée¨

Quand dedans elle fut entrée

Avec le graal qu'elle le tint,

Telle grande clarté¨ en vint

Qu'ainsi perdirent les chandelles

Leur clarté, comme les étoiles

Sitôt que¨ se lève la lune.

Après elle, il en venait une,¨

Tenant un beau plateau d'argent.

Le graal, qui allait devant,

Était tout d'or fin pur ouvré,

De pierres précieuses orné.¨

Quand le valet¨ les vit passer,

Il n'osa pas bien s'informer

Du graal, ni pour qui c’était,

Car toujours il se rappelait

La parole de l'homme sage,

Craignant d'en avoir du dommage¨

Il ne dit rien, rien ne demande.

Alors le seigneur, il commande:

"Dressez la table, donnez l'eau."

Le repas fut très bon et beau.

Ils se parlèrent et veillèrent

Et les valets appareillèrent¨

Le lit.Couchant entre draps fins,

Il dormit jusqu'au grand matin.

Il se lève et arme ses membres¨

Et veut s'en aller par les chambres,

Mais il les trouve bien fermées.

Il appelle et il frappe assez,

Nul n'a ouvert, nul n'a parlé.

Quand il a assez appelé,

Trouvant la porte de la salle

0uverte, aussitôt, il dévale¨

En descendant tous les degrés¨

Il trouve son cheval sellé¨

Il monte et fait le tour dedans,

Retrouve là pas un sergent¨

Il trouve le pont abaissé.

Sans tarder il l'a traversé.

Pour ce faire, il a eu du mal¨

Il sentit que de son cheval

Les pieds furent levés en haut,

Et le cheval fit un grand saut.

S'il n'avait pas si bien sauté,

Tous les deux, ils seraient blessés.

Cherchant ce que ça a été

Il vit que le pont fut levé.

Toute froide était la contrée.

Perceval, cette matinée,

Voulant chercher chevalerie

Vint tout droit dans une prairie,

Qui fut gelée et enneigée,

Où l’armée du roi fut logée.

Grande fut la joie que le roi

Fit de Perceval, le Gaulois;

La reine aussi et les barons

Toute la nuit grand'joie ils font.

Et le départ ils le remirent¨

Jusqu'au troisième jour qu'ils virent

Une demoiselle qui vint

Sur une mule fauve¨ et tint

En sa main droite une courroie¨ ;

Ses cheveux, comme je le crois,

En deux tresses tordues et noires.

Et si on pouvait vraiment croire,

Ce que le livre nous fait lire,

Jamais chose plus laide et pire¨

Ne fut même vue en enfer.

Jamais plus noir ne fut un fer

Que le noir du cou et des mains.

Et ceci était encore moins

Que l'autre laideur qu'elle avait,

Car tout clos¨ ses deux yeux étaient,

Pres-qu’aussi petits qu'yeux de rats.

Son nez fut de singe ou de chat;

Et ses lèvres d’âne ou de bœuf;

Ses dents semblaient du jaune d’œuf;

Et sur la.poitrine une bosse;¨

Une échine¨ comme une crosse.

La bosse au dos, tordues¨ les hanches,

Aussi bien que d’osier¨ les branches,

Trop belles pour mener la danse. -

Devant les chevaliers s’élance

La demoiselle sur la mule.

Avant, jamais, a la cour nulle

Femme comme elle ne fut vue.

Elle va au roi, le salue,

Et les barons également,

Hormis¨ Perceval seulement.

Elle dit, de sa mule fauve:

"Perceval, la Fortune est chauve¨

Derrière et devant chevelue.

Malheur à ceux qui te saluent,

Et qui te souhaitent du bien,

Car tu ne sus conserver point¨

Fortune, quand tu la trouvas. i

Chez le Roi-Pêcheur tu entras.

Là, tu vis la lance qui saigne;

Alors, tu eus si grande peine¨

D'ouvrir ta bouche pour parler,

Que tu ne pus pas demander

Pourquoi cette goutte de sang

Sort par la pointe du fer blanc.

Et du graal que tu as vu

Tu ne demandas rien;pas plus

Qu'à quel seigneur on l'a servi.

Très malheureux est celui qui

Voit du beau temps plus qu'il convienne¨

Mais attend que du plus beau vienne.

Malheur que tu n'aies pas parlé;

Car si tu l'eusses¨ demandé

Le riche roi, qui en souffrit¨

De sa plaie fut¨ déjà guéri,

Et eût tenu sa terre en paix.

Mais il ne l'aura plus jamais."

A part lui¨ Perceval s'est dit:

Qu'il ne passera pas deux nuit

Sous le même toit, de son âge¨ ;

Et si on parle d'un passage¨

Étrange, il n'ira point¨ le voir;

Et si on peut apercevoir¨

Un chevalier plus preux¨ que quatre,

Il n'ira pas pour le combattre,

Avant que du graal il sache

A qui on le sert, et qui cache

La lance-saignante trouvée;

Et que, de vérité prouvée,¨

Il sache pourquoi elle saigne.

Pour ça, il n'y a rien qu'il craigne¨

Perceval-ainsi dit l'histoire-

A perdu toute la mémoire.,

Et Dieu, il l'a tout oublié.

Avril a bien cinq fois passé;

Ce sont donc cinq ans en entier¨

Sans qu'il entrât dans un moutier¨ ,

Sans que de Dieu il se souvînt.

Au bout des¨ cinq ans il advint¨

Que par un désert il allait.

Comme d'usage¨ il cheminait¨

De toutes ses armes armé.

Trois chevaliers sont arrivés

Avec dix dames environ,

Leurs têtes dans des capuchons.

Et ils s'en allaient tous à pied,

Tout en haillons¨ et déchaussés¨

Ne celui qui était venu,

Qui tenait la lance et l’écu

S’émerveillent¨ tant les dames,

Qui, pour le salut de leurs âmes,

Faisaient leur pénitence à pied

Pour leurs fautes et leurs péchés.

Et l'un de ces trois chevaliers

L’arrête et dit:"Ami aimé,

Ne croyez-vous en Jésus-Christ,

Qui la bonne loi écrivit?

Car il n'est pas juste ni bien

D'être armé, -et c'est un grand tort¨

Le jour où Jésus-Christ fut mort"

Et lui qui n’était pas conscient¨

Du¨ jour, de l'heure, ni du temps,

Tant son cœur était en ennui,¨

Répond:"Quel jour est-ce aujourd’hui?"

"Quel jour? vous ne le savez point?

C'est aujourd'hui Vendredi Saint."

"D'où venez-vous, dites-moi bien."

Fait Perceval.-"Sire, je viens

D'un homme sage, un saint hermite,

Qui dans cette forêt habite."

"Par Dieu, Seigneur, qu'y fîtes-vous?

Et que lui demandâtes-vous?"

"Quoi, Sire?"fait une des dames,

"De nos péchés nous demandâmes

Conseil, tout en nous confessant,¨

Faisant ce qui est important,

Ce que doit faire tout chrétien

Qui à Dieu veut se vouer¨ bien."

Ce que Perceval apprenait,

Le fait pleurer.Ça lui plairait

Si au sage il pouvait parler.

Et il voudrait bien y aller.

Puis, Perceval se met en route,

En soupirant de l’âme toute,

Parce qu'en se sentant méfait¨

Envers Dieu, il se repentait¨

Pleurant il va par les feuillages¨

Et quand il vient à l'hermitage,

Il descend et il se désarme,

Liant¨ son cheval à un charme¨

Après il entre chez l'hermite.

Dans une chapelle petite,

Avec un prêtre, il le trouva;

Un clerc jeune aussi était là.

Et ils commençaient le service

Le plus haut qui, en Sainte Église,

Puisse être fait, et le plus doux.

Perceval se met a genoux.

Des yeux les pleurs lui dégouttaient¨

Et Perceval, qui redoutait¨

D'avoir, envers Dieu, bien péché,

A pris l'hermite par les pieds.

Les mains jointes¨ , le chef¨ penché¨

Il le prie de lui donner

Conseil, dont il a bien besoin.

Le bon homme lui prescrit¨ bien

De dire sa confession¨

Car il n'aura jamais pardon,

S'il n'est contrit¨ et repentant.

"Sire, "fait-il, "voilà cinq ans,