26. Alphonse de Lamartine

(Méditations poétiques)

26.1. Le lac

Ainsi toujours poussés vers de nouveaux rivages,¨ bords de rivière;
Dans la nuit éternelle emportes sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges¨ siècles;
Jeter l'ancre un seul jour?

O lac! l'année à peine a fini sa carrière,¨ course, durée;
Et, près des flots chéris¨ qu'elle(1) devait revoir, aimés;
Regarde! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir!

Un soir, t'en souvient-il? nous voguions¨ en silence; naviguions;
On n'entendait au loin, sur l'onde¨ et sous les cieux l'eau;
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Temps jaloux, se peut-il¨ que ces moments d'ivresse¨ est-il possible; extase;
Où l'amour à longs flots nous verse¨ le bonheur apporte;
S'envolent¨ loin de nous de la même vitesse; partent;
Que les jours de malheur?

Hé quoi! N'en pourrons-nous fixer¨ au moins la trace? assurer;
Quoi! passés pour jamais?¨ quoi! tout entiers¨ perdus? toujours; totalement;
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,¨ fait disparaître;
Ne nous les rendra plus?

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,¨ profondeurs;
Que faites-vous des jours que vous engloutissez?¨ absorbez;
Parlez: nous rendez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez?¨ volez;

O lac! rochers muets!¨ grottes! forêt obscure! silencieux;
Vous que le temps épargne¨ ou qu'il peut rajeunir, protège;
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir!

Qu'il¨ soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages, (=le souvenir);
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,¨ hauteurs;
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux!

Qu'il soit dans le zéphir¨ qui frémit¨ et qui passe, vent; tremble;
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre¨ au front d'argent qui blanchit ta surface, ici:la lune;
De ses molles clartés!

Que le vent qui gémit,¨ le roseau¨ qui soupire, murmure; certaine plante;
Que les parfums légers de ton air embaumé,¨ parfumé;
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire:
Tout dise: "Ils ont aimé".

26.2. L'isolement

Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds;
Je promène¨ au hasard¨ mes regards sur la plaine,¨ fais circuler; sans but; pays plat;
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.

Mais à ces doux tableaux mon âme, indifférente,
N'éprouve¨ devant eux ni charme, ni transports;¨ sent; extases;
Je contemple¨ la terre ainsi¨ qu'une ombre¨ errante:¨ regarde; comme; âme; vagabonde;
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.

De colline¨ en colline en vain¨ portant ma vue,¨ petite hauteur; inutilement; regardant;
Du sud à l'aquilon¨ de l'aurore¨ au couchant,¨ nord; est; ouest;
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis: "Nulle part le bonheur ne m'attend"

Que me font¨ ces vallons, ces palais, ces chaumières?¨ intéressent; huttes;
Vains¨ objets dont pour moi le charme est envolé? illusoires;
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé!

Que le tour su soleil ou commence et s’achève,¨ finisse;
D'un œil indifférent je le suis dans son cours;
En un ciel sombre ou pur qu'il¨ se couche ou se lève, =le soleil;
Qu'importe le soleil? Je n'attends¨ rien des jours. espère;

Quand je pourrais le¨ suivre en sa vaste¨ carrière¨ =le soleil; longue; course;
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts:
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire;
Je ne demande rien à l'immense univers.

Mais peut-être au-delਠdes bornes¨ de sa sphère,¨ de l'autre côté; frontières; cercle;
Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille¨ à la terre, corps;
Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux!

Là, je m'enivrerais¨ à la source ou j'aspire; extasierais;
Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre¨ séjour; sur la terre;

Que¨ ne puis-je, porté sur le char de l'Aurore¨ pourquoi; =le soleil;
Vague objet de mes vœux,¨ m’élancer jusqu'à toi! désirs;
Sur la terre d'exil¨ }pourquoi resté-je encore? ici:misère;
Il n'est¨ rien de commun entre la terre et moi. il n'y a;

Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent ou sois s’élève et l’arrache¨ aux vallons; retire de;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie:¨ décoloré;
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons.¨ vents;

(1) Madame Julie Charles.